Chapter Text
A partir de là, les journées de Julia se fondent dans une douce répétitivité, qu’elle trouve agréable et qui l’aide à prendre ses marques dans Kaer Morhen, même si les gens ne semblent ni l’apprécier davantage, ni se lasser de le montrer.
La première semaine, elle qui a pris l’habitude de manger son petit-déjeuner en chambre, trouve un rat sous la cloche de métal couvrant son assiette. Le rongeur, aussi surprit qu’elle, s’échappe et alors, ça devient un capharnaüm improbable : Sélène et Hécate le chassent, Coen (ce matin-là, c’est le griffon qui la garde), essaye, lui aussi, de se saisir du rongeur alors qu’Horus voltige pour tenter sa chance.
Malheureusement, l’animal est trop rapide, et la chambre trop exigüe pour permettre à l’oiseau de proie de plonger convenablement. Le sorceleur lui, même s’il veut attraper le rat, essaye plus de l’éloigner de sa reine dans un geste chevaleresque, quand les deux chiens bousculent tout sur leurs passages pour s’en saisir.
Finalement, et à la surprise de tous, la petite bête trouve refuge sous les jupes de Julia elle-même, qui grince des dents en sentant ses petites pattes griffues s’agripper à ses chevilles. C’est un moment très gênant pour tout le monde quand le sorceleur doit s’agenouiller devant elle pour passer ses mains en-dessous et attraper l’animal.
Ce matin-là, Julia ne mange rien, l’appétit coupé, et sort directement avec ses chiennes pour prendre l’air, faisant une promenade plus longue qu’à l’accoutumée. Le château dispose d’un jardin, pour les plantes médicinales et d’autres, que la reine ne connait pas mais qui servent aux sorceleurs, et elle y passe une bonne partie de la matinée avant de se rendre en classe.
Ciri n’est plus la seule enfant à l’attendre. Comme elle l’avait bien remarqué le premier jour, il y a un garçon, un peu plus âgé que la princesse, qui s’invite tous les jours un petit peu plus. La petite fille lui a expliqué que Dara -c’est son nom- était le fils d’une des servantes du château et qu’ils jouaient ensemble assez souvent.
Julia n’est pas gênée par sa présence. Chaque jour, il ose et entre un peu plus dans la salle de classe. La reine prépare chaque jour un parchemin, une plume et un encrier à coté de Ciri, dans l’espoir qu’aujourd’hui, il prendra part à son cours.
Il s’avère que Ciri est une petite fille brillante. Elle sait presque lire, des connaissances qu’elle a acquis chez sa grand-mère avant de venir ici, mais qui n’ont pas été entretenue. Ça ne dérange pas Julia de reprendre les bases, et à entendre Dara marmonner de loin quand elle fait réciter les lettres ou les chiffres, c’est une bonne chose.
Après la classe, elle a pour habitude de se joindre au repas de la petite, dans la grande salle. C’est un moment beaucoup moins formel, ou chacun se sert et mange quand il le veut, avant de retourner vaquer à ses tâches. C’est là qu’elle retrouve parfois son époux, mais toujours la sorcière, à qui elle remet la princesse avant de s’éclipser pour l’après-midi.
Généralement, son temps d’après repas est occupé, soit par une promenade à cheval dans les bois avec ses chiennes, qui n’hésitent pas à revenir avec une proie en gueule, soit par l’écoute et la rédaction d’un récit du sorceleur qui la garde, Coen ou Aiden qui se relaient, soit en musique.
Le soir, son époux prend l’habitude de venir la chercher, sinon, prise comme elle sait si bien l’être par la tâche d’écrire ou de composer, elle ne se rendrait même pas compte que c’est l’heure de manger. Alors il vient, ne lui reproche jamais de se perdre dans son travaille, ne lui reparle jamais de son éclat dans les sources chaudes, et l’escorte jusqu’à la grande salle.
Si les premières fois, Julia était un peu tendue, craintive qu’il se passe à nouveau quelque chose malgré la veille solennelle de ses deux chiennes qui restent assises dans son dos, en vérité, tout se passe bien et petit à petit, l’atmosphère se détend. Elle parle avec Yennefer des avancées de Ciri, avec Eskel des pitreries de Paco, avec Lambert de celles d’Aiden.
Les choses se passent bien. De temps en temps, on lui parle d’une chouette qui se promène dans le château lui-même, en journée, et on lui dit de rappeler Athéna mais Julia sait que ce n’est pas elle, parce que sa chouette dort en journée, comme tous les rapaces de cette race, et ça la gêne sans qu’elle n’arrive à comprendre pourquoi.
La semaine suivante, alors que le froid et l’humidité de l’automne commencent à s’infiltrer, Julia trouve son lit saccagé, un sceau de crottin de cheval renversé sur le matelas. C’est assez tard dans la nuit, elle s’est attardée pour jouer du violon aux sorceleurs, à la demande d’Aubry qui lui a tendu son instrument, et avec l’accord de son époux qui s’est contenté de l’écouter.
Julia a passé une excellente soirée, en musiques et en chansons, et elle ose croire que la foule de sorceleur qui l’a écouté, même accompagné, en a fait de même. Si elle a eu droit à quelques rires et moqueries quand elle à prit l’instrument, elle sait que son jeu a impressionné, et, au lieu d’être pétrifié par l’attention de toute une salle, elle s’est sentie galvanisée par elle.
Si Julia était née homme, et malgré tout l’amour qu’elle a pour ses terres, elle aurait fui Lettenhove pour devenir barde itinérant. Quel aurait été sa vie alors ? Aurait-elle tout de même rencontré le Loup Blanc ?
La jeune reine en est là de ses réflexions, s’imaginant sa vie si elle était née de l’autre sexe, se racontant que le Destin l’aurait toujours mis sur la route de son sorceleur époux, parce qu’elle aime l’idée de l’avoir dans sa vie, et qu’elle se sent bien ici, même si les choses pourraient être mieux, quand l’odeur nauséabonde lui caresse les narines.
Sa chambre est ruinée. Son sorceleur escorte, Aiden ce soir-là, tique et s’excuse, quand Shani peste et gronde. La liberté fait du bien à son amie, qui ose de plus en plus donner son avis. La liberté, ou l’amitié toujours plus grande qu’elle entretien avec Triss Merigold, qu’elle voit tous les jours pour l’aider sur quelque chose de trop secret, Julia n’a pas le droit de savoir, et ne s’en vexe pas. Tout ce qu’elle sait, c’est que cela pourrait sauver la vie de bon nombre de garçon alors, elle laisse faire, heureuse que l’elfe trouve sa place dans la forteresse.
Toujours est-il que Shani s’agace toujours plus, et la presse à demi-mot de révéler son identité, ce qu’elle refuse toujours, trop têtue pour revenir sur sa décision et toujours persuader que sans preuve, on ne la prendra pas au sérieux.
Aiden propose d’aller chercher Martha et une sorcière pour nettoyer l’endroit mais Julia refuse, il est tard et tout le monde dort. Elles s’occuperont de tout cela demain. Pour ce soir, elle se contentera de dormir avec Shani, et l’elfe lui ouvre son lit sans protester.
Les deux femmes ne dorment pas beaucoup cette nuit-là, plus occuper à se murmurer leurs rêves et leurs espoirs qu’à se reposer. Shani avoue souhaiter plus de Triss, même si elle a bien conscience de la dangerosité de ses désirs, quand Julia murmure tout bas que peut-être, oui, le Loup Blanc est un homme bon, un homme dont elle pourrait tomber amoureuse.
Le lendemain, tout est nettoyer, le matelas changé et l’accident, non pas oublié, mais Julia conserve sa posture de non-réaction et attend toujours que ceux qui ont besoin de ses petites vengeances à son égard ne se lassent enfin.
Au moins, Dara ose enfin s’asseoir à coté de Ciri. C’est un jeune garçon, à la peau foncée, la tête couverte d’un bonnet qu’il n’enlève pas, et Julia devine qu’il y a des oreilles pointues qui se cachent en dessous. Mais pour ça, comme pour le reste, elle ne force pas.
Le garçon est timide et sursaute quand Julia s’accroupi à côté de lui et pose une main sur la sienne pour l’aider à mieux tenir sa plume. Il a un regard pour Ciri, comme s’il demandait son approbation, et finit par se détendre un peu quand la petite lui sourit.
A partir de là, il revient tous les jours, et s’installe pour apprendre à lire et à compter lui aussi, ce qui est très bien pour la princesse. Ciri se sent elle-même obligée d’apprendre, maintenant que son ami à un intérêt pour cela.
La semaine suivante, elle ne peut pas faire cours : quelqu’un a glissé dans l’eau de son thé une infusion de quelque chose, Shani pense du girofle entre autres, qui anesthésie et fait gonfler sa langue et ses lèvres et l’empêche de parler. Il faut trois jours de traitement, pendant lesquels elle se cache de tout le monde, pour pouvoir reprendre sa routine habituelle.
Elle fait dire à son époux que c’est certainement une réaction allergique de sa part, au grand mécontentement de Shani. Même Aiden fronce les sourcils et proteste, mais Julia reste ferme : non seulement elle estime qu’il ne faut pas réagir pour que les gens se lassent, mais en plus, elle ne veut pas que celui ou celle qui a fait ça ne soit puni, peut-être durement.
Après tout, empoisonner son thé, même avec quelque chose qui doit juste la rendre inconfortable et non la tuer, reste un geste fort, et qui pourrait mériter une punition exemplaire, ce qu’elle refuse car, dit-elle, aucun mal n’a été fait finalement.
Elle poursuit sa vie, ses cours aux enfants (une petite fille, toute petite, toute menue, semblant plus jeune que Ciri elle-même, vient elle aussi mais n’ose pas parler quand Dara arrive enfin à répondre à ses questions sans bégayer), ses promenades et ses écrits, qu’elle fait régulièrement lire à messire Eskel pour validation avant de les envoyer à Jaskier par l’intermédiaire de Yennefer.
La sorcière accepte volontiers toutes les lettres que Julia souhaite envoyer. Pour ne pas attirer l’attention sur ses faucons qui vont et viennent l’un après l’autre, disparaissant assez de jour pour qu’on devine qu’ils quittent le pays, la jeune reine écrit des lettres vides et sans intérêt à quelques amies qu’elle s’est faite à Tretogor. Elle n’ose pas écrire à son père.
Pas une seule fois, elle n’écrit au roi ou à ceux qu’elle sait être dans les services secrets de Rédanie.
Elle raconte sa vie à Kaer Morhen, sans jamais donner de détails qui pourraient être retourné contre les sorceleurs, se contentant de décrire les chasses et les repas, le temps et le paysage… Jamais elle ne parle de Ciri, bien entendu, ni des cours qu’elle donne chaque matin, préférant parler de musique et demander des nouvelles de la mode et de la cour de Vizimir.
Julia sait qu’il n’a pas fallu longtemps pour que les gens de Kaer Mohren comprennent son intérêt pour la musique. Outre ses instruments qu’elle fait sonner presque tous les jours, et ce, depuis son arrivé dans la forteresse, elle joue régulièrement le soir, après le repas.
Souvent avec le violon d’Aubry, mais d’autres sorceleurs se prêtent au jeu, lui proposant une mandole ou un psaltérion, aussi étonnée par le fait qu’elle sache en jouer que par le nombre de chanson qu’elle connait ou apprend en quelques minutes.
Un autre soir de musique, deux semaines après l’incident du thé, Julia remonte chez elle et a la désagréable surprise de trouver les cordes de ses instruments coupées et ses flutes tordues ou brisées. Il n’y a que le piano qui est épargné, sauvé à priori par sa nouveauté : celui ou celle qui a fait ça ne devait pas savoir qu’il suffisait de soulever le couvercle pour accéder à ses propres cordes.
Dépitée, Julia se laisse tomber sur le tabouret de l’instrument, la tête entre les mains, retenant difficilement ses larmes. L’injustice de la situation lui brule le cœur et elle a autant envie de crier sa colère que de s’enfermer pour pleurer toutes les larmes de son corps.
Elle sait qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Après tout, c’est elle qui a décidé de ne rien révéler de sa véritable identité, et le dire maintenant serait ridicule, autant parce qu’elle n’a aucune preuve que parce qu’on ne la prendrait toujours pas au sérieux.
Pourtant, et même si elle ne dit pas qu’elle est le Bécasseau, Julia pense être une bonne reine. Du moins, une bonne personne : elle éduque les enfants qui se présentent dans sa classe, elle remercie qui la sert, se montre gentil et compréhensive, n’exige rien et certainement pas payement de toutes ses attaques contre sa personne.
Julia n’est pas rancunière, mais ce soir-là, après avoir pleuré et accepté encore une fois les excuses du sorceleur qui la garde, elle se couche le cœur lourd, méditant sur sa volonté de ne pas alerter son époux. Peut-être que s’il était au courant, les choses s’apaiseraient ?
Mais Julia ne veut pas qu’il ait à intervenir : jamais les gens n’auront de respect pour elle si elle doit se cacher derrière le Loup Blanc pour être à minima épargnée. Pire, les gens pourraient la détester plus encore, même si elle se demande si cela est vraiment possible…
Finalement, elle décide de maintenir sa ligne de conduite et de tout garder pour elle, au grand désarroi de Shani qui soupir et peste de colère, et même du sorceleur qui la garde, toujours plus désolé pour elle. Néanmoins, à partir du lendemain, elle décide de fermer ses appartements à clé quand elle n’y est pas.
Julia regrette sa décision de se taire quatre semaines plus tard.
Pendant cette période, elle ose croire que les gens se sont effectivement lassés : son thé est du thé, sans sel ni plantes dangereuses, ses appartements sont propres et bien entretenus, les nouvelles cordes de ses instruments, pour celles qu’elle a pu changer, sont laissées tranquilles et si le personnel qu’elle croise est toujours froid avec elle, au moins la laisse-t-on en paix.
Il y a bien un petit accident, un soir de musique, alors qu’elle joue, chante et danse avec les sorceleurs tard dans la nuit. Il y a un moment où, alors qu’elle fait une pause, on lui tend une coupe sans qu’elle ne fasse attention et elle ne doit qu’à a la réactivité de Leo, un jeune garçon qui a rejoint l’école des loups il y a peu, de ne pas s’empoisonner. Le jeune homme lui arrache son verre alors qu’elle le porte à ses lèvres, criant que c’est de la mouette blanche.
Julia est trop ivre à ce moment-là pour réaliser, mais le lendemain matin, elle doute : l’erreur était-elle volontaire ? Elle reste un long moment dans son lit à réfléchir à la question, mais finalement, décide que ce n’était pas le cas, peut-être par naïveté, mais surtout par bienveillance.
Elle pense même que les choses s’améliorent quand un matin, quelques jours plus tard, elle trouve avec son petit déjeuner un gros bol de graine, pour les oiseaux lui dit le serviteur qu’elle croise en remontant de sa salle de bain. C’est celui qui a renversé le vin sur sa tête, le premier soir, et il a un mouvement de recule devant ses chiennes qui ne l’ont pas oubliées.
Julia s’excuse pour elles et les retient, aimable. L’elfe lui lance un regard surprit, une reine qui s’excuse, c’est toujours étrange, mais ne s’attarde pas, et part, un air renfrogné sur le visage. Elle le laisse faire et s’en va prendre son petit déjeuner, entouré de tous ses oiseaux qui, ennuyés de manger tous les jours la même chose pour ceux qui ne sortent pas ou peu, se jettent sur les graines et vident le bol.
Loki préfère partager son petit pain sucré, comme tous les matins, une chose dont elle remerciera Melitele plus tard.
Plus tard, c’est quand elle commence sa classe. Enfin, aujourd’hui, elle a décidé de ne pas faire classe. La veille, elle a été choquée de déjà voir les premières chutes de neige, alors que l’automne bat son plein. C’est normal, ici dans la montagne lui a-t-on dit, et très bientôt, le col sera fermé et ils seront isolé pour quelques mois.
C’est une connaissance qui ne la rassure pas tellement. Julia est de nature optimiste, et depuis le début, sa relation avec le Loup Blanc se passe bien. Comme l’a espéré Shani, il est bon pour elle, et elle, l’apprécie toujours un peu plus. Mais l’idée d’être enfermée dans cette forteresse pour les longs mois d’hiver la déprime et l’angoisse, alors elle évite d’y penser.
Le château, les jardins, les cours, sont tous recouvert d’un magnifique manteau blanc, qui scintille sous le soleil matinal. Julia n’est pas habituée à voir ce spectacle, il neige peu à Tretogor, et encore moins à Lettenhove, qui se situe plus au sud. Alors, au lieu de rester enfermé au chaud dans la salle de classe, elle a proposé aux enfants de jouer dehors, et prévois de leurs faire découvrir le chocolat chaud.
Il n’y en a pas ici, du chocolat. C’est un produit cher et rare. Mais quand Julia a quitté Tretogor, elle a pris avec elle des denrées alimentaires, surtout pour les oiseaux, mais aussi quelques douceurs qu’elle sait difficile à trouver en dehors de la capitale, comme des bonbons ou du nougat. Et du chocolat.
Elle-même n’a pas vraiment la dent sucrée, même si elle aime ça. S’il lui est déjà arriver de piocher dans ses réserves pour offrir une motivation aux enfants (Ciri semble avoir une préférence pour les pâtes de fruit quand Dara adore les dragées), elle n’a pas encore eu l’occasion de leurs présenter le chocolat. C’est un produit délicat et amer, qui doit être convenablement préparé, surtout pour plaire à des enfants, mais elle sait que ça plaira, surtout après une matinée à s’amuser dans la neige !
Sous sa surveillance, Ciri joue avec ses amis, Dara bien entendu, la toute petite fille, qui s’appelle Sophia et qui ne parle pas, et aussi deux autres garçonnets, qui ne sont jamais venu en classe mais que la reine ne peut désâment pas renvoyer, ainsi qu’avec Loup.
Artémis ne répond plus qu’à ce nom maintenant, et la vie à la forteresse (ou aux côtés d’une petite fille prompte à laisser tomber par terre accidentellement une grande partie de son assiette à chaque repas, Yennefer et Eskel ont été obligé de changer de place à table pour que la petite ne soit pas déconcentrée par Paco en plus de son loup) lui est bénéfique : la bête a gagné en taille et en poids, dépassant ses sœurs d’une tête maintenant.
Sélène et Hécate s’amusent elles-mêmes, adorant passionnément la neige, et cela fait rire Julia qui les regarde faire, bien emmitouflée dans une robe épaisse et couverte d’un manteau laine doublé de fourrure, les mains dans un manchon de fourrure douce pour les protéger du froid. A ses côté, Aiden a à peine passé une cape de laine, mais ne semble pas dérangé par le froid.
- Altesse, puis-je vous dire quelque chose ? Demande le sorceleur sans quitter les enfants des yeux. Julia le regarde, et il semble prendre cela pour un accord, alors il poursuit et lance : Vous êtes une bonne reine.
La jeune femme se sent rougir, mais si le compliment lui fait plaisir, cela titille un point douloureux dans sa poitrine, et elle ne peut s’empêcher de répondre tristement :
- Je n’en ai que le titre, et encore… vous et moi savons que peu me l’accorde réellement. Tant que les gens me détesteront…
- Cela passera, la coupe Aiden avec un sourire confiant. Ils finiront par voir que vous êtes bonne pour Kaer Morhen… et ses enfants.
En parlant, il a un mouvement de tête pour les enfants en question, qui s’amusent maintenant à lancer des boules de neige pour que les chiens courent après, les faisant sauter dans la neige fraiche, déclenchant des torrents de rire qui rebondissent contre les murs de la forteresse, dans leur dos. Les yeux verts d’Aiden sont brillants de quelque chose que la jeune femme ne peut comprendre.
Julia n’y prend pas garde, mais il y a beaucoup de regards sur la scène, de personnes qu’elles soient sorceleurs ou non, qui s’arrêtent ou qui viennent, attirées par le bruit et le spectacle au combien inédit d’enfants qui s’amusent, ici, dans cette vieille forteresse qui en a tué tant d’autres, et qui au printemps, en tuera encore.
La jeune reine ne sait pas tout ça. Personne ne lui a dit comment on fait un sorceleur, seulement que des enfants sont là, orphelins ou donnés par leurs parents, qu’ils sont entrainés par chaque école, leur vie coupée du reste de la forteresse jusqu’à ce qu’ils soient assez grand et qu’ils réussissent certaines épreuves qu’elle ne connait pas, pour être intronisé dans l’école et les rejoindre à table.
Julia ne sait pas, et ne cherche pas à savoir non plus, bien consciente qu’on se méfie toujours d’elle et de ce qu’elle pourrait faire savoir à Vizimir. Moins elle en sait, mieux cela sera pour elle. A peine est-elle au courant que le projet de Triss Merigold, avec qui Shani travaille tous les jours, concerne une partie de cet entrainent de sorceleur, mais rien de plus.
Les enfants protestent quand Julia les rappelle, jugeant qu’ils ont été dehors assez longtemps. Il faut la promesse d’une délicieuse surprise pour qu’ils acceptent de revenir en classe et effectivement, quand ils atteignent la salle, une cruche fumante et quelques tasses attendent, posée sur le poêle de fonte qui chauffe la pièce.
Elle a demandé à avoir du lait chaud sucré, ce pour quoi les enfants se lèchent déjà les lèvres, mais quand elle leur explique que ce n’est pas seulement ça la surprise, et qu’elle sort des plis de sa robe un bloc de chocolat emballé dans du papier ciré et un petit sac d’épices, ils sont tous étonnés.
Les cinq l’écoutent silencieusement quand elle leur explique ce que c’est, d’où ça vient et comment s’est cultivé (Julia est un peu professeur dans l’âme et ne manque pas une occasion de faire cours). Elle a un regard amusé pour Aiden, toujours affalé au fond de la classe, qui écoute lui aussi, plus attentif qu’à son habitude.
Quand la boisson est prête, son parfum appétissant faisant gronder quelques ventres (et pas seulement chez les petits !), Julia les sert tous, sans faire de distinction entre Ciri, qui est princesse, et les autres. A Tretogor, se serait inadmissible, inconcevable même ! Une terrible faute au protocole mais la jeune femme a vite compris qu’ici, le protocole était très allégé. De plus, elle pense que si la fille du Loup Blanc traite les petites gens comme les autres, cela fera d’elle une meilleure reine.
Il y a assez de tasse et de boisson pour que Julia, une fois les enfants servit, en propose une a Aiden. Le sorceleur est surprit mais accepte. La reine a rapidement compris qu’il aime les choses sucrés, et lui propose systématiquement quand elle en a, que ce soit gâteaux, bonbons ou ici, du chocolat.
Comme elle s’en doutait, la boisson fait mouche. Les enfants, les deux nouveaux venus qui ont hésité à les suivre en classe, se sont regardés, et ont attendu que Ciri et Dara goutent en premier, pour en faire de même, motivé par les exclamations ravies de leurs camarades.
Julia est occupée à siroter elle-même une tasse, Loki, qui est resté dans la salle de classe le temps que les enfants jouent, posé sur son épaule. Elle sourit devant les exclamations heureuses de ses protégées, bien consciente que pour tous, avoir quelque chose comme du chocolat est un évènement rare. Un évènement de fête.
Elle est surprise quand la petite Sophia, qui ne parle pas, qui est intimidée par elle, pose sa tasse et vient vers elle. Pour attirer son attention, la petite tire sur sa robe et Julia, amusée, s’accroupie et lui demande si elle veut encore à boire. Mais l’enfant fait « non » de la tête et demande, d’une toute petite voix inquiète, si bas que la reine doit tendre l’oreille :
- Loki… il a mangé les graines ?
Julia fronce les sourcils, se demandant comment la petite peut être au courant qu’on lui a apporté de quoi manger pour ses oiseaux. D’après ce que lui a dit Ciri, elle est la fille d’une blanchisseuse, elle n’a rien à faire avec la cuisine ou les réserves alimentaires. Julia répond que non, mais ça ne rassure pas l’enfant :
- Ciri, elle dit que vous en avez plein d’autres. Ils en ont mangé ?
L’inquiétude de l’enfant est communicative, même si Julia ne sait pas exactement ce qui doit l’inquiéter. Elle fait « oui » de la tête et a la terrible surprise de voir les yeux de l’enfant se remplir de larmes :
- Fallait pas… et elle a un sanglot terrible, vite récupérée par Dara qui la soulève dans ses bras et la berce.
Le jeune elfe (il a enfin enlevé son bonnet) a la mine triste mais ne semble pas étonné par la réaction de Sophia. Cela plus que le reste inquiète Julia qui se relève, s’excuse à demi-mot et sort de la salle de classe précipitamment.
Elle n’a plus besoin de guide maintenant pour rejoindre ses appartements mais, comme toujours, elle entend dans son dos les pas d’Aiden et ceux, bien moins discret, de Sélène et d’Hécate. Courir avec une robe et un corset est une plaie, et dans son empressement, elle trébuche sur les premières marches qui mène à sa tour. Le sorceleur la rattrape et l’aide à se relever, elle le remercie dans un souffle court et reprend sa course.
Julia porte à sa ceinture ses deux clés d’appartement. Deux clés très similaires et dans la panique soudaine que Sophia et sa réaction ont fait naitre dans son cœur, elle les confond et n’arrive pas à trouver la bonne. Une fois encore, c’est Aiden qui l’aide, lui prenant des mains pour déverrouiller la porte.
Ses appartements… sont terriblement calmes. Julia est habituée, quand elle remonte, à être accueilli par le chant des oiseaux et même par certains d’entre eux qui viennent à sa rencontre, elle qui laisse sa ménagerie toujours ouverte maintenant que son époux n’est plus un homme capricieux et jaloux.
Mais là, il n’y a rien. Pas de chant, pas de battement d’aile. Rien. Pendant une longue seconde, Julia reste figée dans l’entrée, effrayée par ce qu’elle va trouver. C’est la main d’Aiden dans son dos, qui la pousse doucement pour pouvoir entrer lui aussi, qui la remet en mouvement et Julia sait ce qu’elle va voir.
Son esprit fonctionne vite et bien, il a déjà relié les points entre les paroles énigmatiques de Sophia et ce calme inhabituel. Mais même si elle sait, la douleur qu’elle ressent quand son regard se pose sur sa ménagerie n’en est pas moins forte.
Ses oiseaux… tous ses oiseaux, les perruches, les canaries, les cardinaux, les moineaux… tous ceux qui ont mangé les graines qui lui ont été apporté ce matin gisent au sol, morts. Heru et Athéna sont lovés l’un contre l’autre, caché dans un coin du plafond, sur une poutre. Les deux rapaces chantonnent quand ils la voient, mais c’est aussi triste que l’est Julia qui s’effondre, terrassée par le chagrin.
A suivre...
Dreiks on Chapter 19 Sun 30 Mar 2025 05:43PM UTC
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Bdraco on Chapter 19 Sun 30 Mar 2025 06:20PM UTC
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MilleniumRoger on Chapter 19 Tue 01 Apr 2025 10:41AM UTC
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