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Language:
Français
Collections:
Échange Yule de la Fabrique à Plumes (2023), Textes La Fabrique à Plumes
Stats:
Published:
2023-12-01
Words:
1,106
Chapters:
1/1
Comments:
2
Kudos:
3
Hits:
18

loin des yeux, près du coeur

Summary:

Sunati prend parfois des jumelles laissées à disposition du personnel pour les braquer vers l’espace infini, et imagine que l’une des étoiles scintillantes qu’elle observe est la Terre.

Notes:

(See the end of the work for notes.)

Work Text:

            Si elle regarde Encelade sous le bon angle, elle peut presque s’imaginer admirer l’océan à côté duquel elle a grandi. Le bleu pointe parfois le bout de son nez dans cette mer de blanc, aux endroits où l’épaisse couche de neige laisse place à une suggestion de vie organique.

            Pour admirer les progrès de la colonie, Sunati prend parfois des jumelles laissées à disposition du personnel. Les points imperceptibles des bases d’opération sautent alors à ses yeux, la preuve d’une activité humaine en contrebas. Elle n’a pour l’instant pas l’autorisation de descendre à la surface d’Encelade – trop dangereux, arguent ses collègues qui ont, eux, eu la chance de s’aventurer en dehors de la station spatiale – et doit se contenter de ce moyen d’observation pour nourrir sa mémoire et son imagination.

 

            La station spatiale est rudimentaire. Il y a de quoi se nourrir, se laver, et dormir. Une salle de sport et une bibliothèque sont disponibles pour le personnel en repos, ainsi qu’un endroit où ils peuvent visualiser des films – le vieux projecteur lui a posé quelques problèmes au début, sous les rires de ses collègues plus âgés – ou des projections virtuelles. C’est souvent ici qu’elle se réfugie, son casque sur la tête, se plongeant dans son travail. Coder, coder et recoder ; constater l’effet des lignes qu’elle tapote frénétiquement, corriger les bugs, voire même tout refaire : une fois qu’on lui ramène des photographies de la surface d’Encelade, Sunati peut passer toute la semaine à parfaire ses modélisations virtuelles, jusqu’à enfin être satisfaite du résultat. Et quand elle a fini, souvent exténuée, elle retourne prendre une paire de jumelles.

            Pas pour sonder Encelade, qu’elle connaît aussi bien que sa chambre désormais : mais pour les braquer vers l’espace infini, et imaginer que l’une des étoiles scintillantes au loin qu’elle observe est la Terre.

            Elle n’en sait jamais rien, évidemment. Des milliards d’astres, et par chance elle réussirait à attraper celle qui lui manque le plus ? Son imagination, cependant, rattrape bien vite sa logique, et de l’imagination elle en a à revendre. Après tout, c’est grâce à ça qu’elle déambule dans les couloirs d’une station spatiale située à plusieurs mois de voyage de la Terre, avec ses pensées et sa tablette pour seules compagnes.

 

            Ce n’est pas lorsqu’elle est seule dans sa chambre que Sunati rêve – de toute façon, elle a une colocataire, du moins les jours où cette dernière n’est pas occupée à déambuler sur une planète que l’on est en train de coloniser – mais bien lorsque l’espace entier s’ouvre à son regard et à celui de ses jumelles, et qu’elle observe en silence, le cœur battant alors qu’elle imagine mille et une choses. Que ses parents sont là pour lui cuisiner de meilleurs plats que ceux du réfectoire et la rassurer ; que Rae est occupée à l’autre bout de la station et que si elle a besoin d’un conseil, il lui suffira d’aller la retrouver.

            Et Austen. Est-ce que, elle aussi, elle regarde l’espace en pensant à elle ?

            Enfin. Le ciel, plutôt. Même séparées d’un milliard de kilomètres, elles sont complémentaires : Austen contemple un ciel bleu, là où Sunati le voit sous ses pieds, poindre dans cette marée de blanc.

 

            Elles parlent quelques fois. Ou plutôt, elles échangent : les messages mettent un temps fou à être réceptionnés, tant et si bien que Sunati a cru plusieurs fois qu’elle allait s’en arracher les cheveux. Les premières semaines, elle avait gardé cette habitude de les envoyer un par un, deux ou trois lignes à peine pour décrire à quel point Austen lui manquait, qu’Encelade était somptueux, mais tout de même qu’est-ce qu’elle voulait qu’elle soit ici avec elle…

            C’est en recevant une brique de texte deux jours – deux ! jours ! – plus tard qu’elle avait compris qu’il fallait qu’elle change sa manière de communiquer. Quelque part, écrire aussi longuement lui rappelle ces romans où les protagonistes s’échangent lettre sur lettre, avec un meilleur vocabulaire qu’elle sans aucun doute, mais avec le même romantisme, de cela elle en est certaine. Certaines choses ne changent pas malgré le temps et la distance, après tout.

            Sunati a tenté certaines fois d’envoyer son travail à Austen. Sa petite-amie l’a reçu une fois : le reste du temps, le téléchargement a échoué, la connexion trop faible pour exporter un fichier si lourd à quelqu’un qui n’est pas marqué prioritaire dans la base de données de la station. Mais une fois, cela suffit : une fois, c’est assez pour qu’Austen soit accueillie par son avatar qui décrit d’une voix passionnée les progrès faits sur Encelade, qui explique l’importance de telle expédition et de telle avancée ; qui décompte le temps qu’il lui reste à passer dans ce qui lui paraît être les confins de l’univers ; et qui salue le client d’une manière fort polie, le remerciant encore une fois de cette opportunité.

            Austen aime bien. Les vidéos, écrit-elle, ne suffisent pas toujours à lui rappeler que Sunati existe encore quelque part, ailleurs que dans sa tête. Même si sa personnalité de travail est bien éloignée de celle de sa vie personnelle...

            Sunati relit parfois le message pour se donner le sourire. Ce ne sont que de simples lignes de texte, mais ce sont celles d’Austen, et au travers d’elles elle peut sentir poindre son ton amusé, croit pouvoir apercevoir son sourire. Elle meurt d’envie de la voir en vrai ou en holographique ; mais se contente des vidéos qu’elles ont enregistré ensemble, et des photos que sa petite-amie lui envoie quand la connexion daigne les télécharger.

 

            Scruter l’espace qui s’étend devant elle est le moment où elle se permet de rêver d’Austen près d’elle. Quand les lumières de la station s’éteignent pour simuler la nuit, Sunati n’aperçoit plus que son reflet dans les grandes baies vitrées, et s’imagine Austen la rejoindre. Le fantôme que conjure son esprit est presque assez réel pour qu’elle y croit ; elle a beau être désespérée, cependant, elle ne l’est pas à ce point-là. Et si ces images imaginaires manquent de l’étouffer parfois, il lui suffit de retourner dans sa chambre, ou de regarder le tatouage qui serti son poignet qui lui rappelle Rae et ses conseils cinglants. Et si cela ne suffit pas, alors Sunati contemple la bague qu’Austen lui a donné : un héritage de famille, pas une demande en mariage, qu’elle compte récupérer à son retour… Mais pour Sunati c’est la plus belle chose qu’elle possède sur cette station, dans ce coin de l’univers, ce serment que lui a glissé Austen en même temps qu’elle scellait son cadeau avec un baiser.

 

           Un milliard de kilomètres, autant de moi qui les séparent, et une bague comme promesse : celle qu’elles finiront par se retrouver au bout du compte.

Notes:

la fin est abrupte mais je savais plus quoi écrire frère