Chapter 1: Prologue
Chapter Text
Ce n’est pas que le Chemin est interdit en Rédanie mais depuis cette histoire de Seigneur de Guerre et la chute de Kaedwen, les sorceleurs se sont vu plus détesté encore sur ces terres malheureuses. Une chance pour le petit peuple, la politique n'empêche pas ces guerriers de l'ombre de faire ce pourquoi ils ont été créés.
Ils sont plus discrets, se cachent sous des capes et échangent contrats et récompenses sous le manteau, mais sont toujours là où on a besoin d'eux. Généralement, ils évitent les grandes villes alors, quand la rumeur court qu’on a besoin de l’un d'entre eux nulle part ailleurs que dans la capitale, Tretogor, c'est Geralt lui-même qui décide de s'y rendre.
Depuis cette histoire de Seigneur de guerre, il ne parcourt plus vraiment le Chemin. Il ne l'a pas quitté définitivement. Être le Loup Blanc ne fait pas de lui autre chose qu'un sorceleur alors, comme les autres, il s’acquitte de son devoir, avec plaisir même. Tuer un monstre est plus facile que négocier avec un roi.
Tout se fait clandestinement. A la demande du commanditaire, dont il ignore jusqu’à l’identité, il remonte les filières de fuite des elfes, qui s’échappent de la Rédanie pour gagner ses propres terres, jusqu’à atteindre la capitale et rencontrer, dans une taverne malfamée, un garde du palais.
Éric n'est pas le commanditaire. C'est évident qu'il parle au nom de quelqu'un. Quelqu'un du palais royal a qui il est fidèle. Assez pour taire son nom, son âge et même son sexe. Pas que ça importe à Geralt. Il se fiche de qui demande, il se fiche même du sac d'or que le soldat lui promet. Tout ce qui compte, c'est la cocatrix qui a élu domicile dans les égouts de la ville.
- Il y a plusieurs passages, dit Éric, qui servent à diverses personnes…
Il est discret, hésitant. Geralt garde sa capuche sur la tête, ses cheveux, ses yeux, sont cachés. L'humain ne sait pas à qui il parle exactement alors il ne sait pas que Geralt sait exactement qui utilise ses passages.
- Hum, grogne-t-il simplement pour montrer qu’il écoute.
Qui que soit le commanditaire, il doit avoir un lien avec le réseau de contrebande du Bécasseau. Un noble qui se soucie des petites gens. Des petites gens non-humaines. C'est rare. Cela lui redonne espoir en la noblesse Rédanienne.
- Donne ton or aux miséreux, gronde Geralt, et montre-moi comment utiliser ces passages. Je m'occupe de ton monstre.
La surprise brille dans le regard de l'humain, puis quelque chose comme de la méfiance. Geralt a l'habitude. L'homme n'est que cela, et le sorceleur sait quelles tristes histoires circulent sur lui et les autres. L'odeur de la peur est faible, mais elle est là, et Geralt sait que ce n'est pas simplement parce qu’ils sont potentiellement hors la loi.
Éric se lève, garde la bourse et accompagne le sorceleur jusqu’à la cave où un passage secret permet de descendre dans les égouts. La taverne est un lieu de passage et un repaire pour les contrebandiers, ce qu'il avait remarqué depuis le début.
Le soldat ne l'accompagne pas mais promet de l’attendre là afin de pouvoir confirmer à la personne qu’il sert que le travail est fait. Geralt ne se vexe pas qu’il doute de lui.
- Veux-tu la tête ? Demande-t-il simplement avant de passer la grille de fer ouverte sur un couloir sombre et malodorant.
- On dit que les cocatrix ont des plumes solides comme l'acier. C'est vrai ?
- Elles sont robustes oui, confirme Geralt, mais pas assez pour arrêter une lame.
Mais Éric ne doute pas de sa capacité à abattre le monstre, il secoue la tête et explique :
- Juste une plume. Une plume pour écrire de la poésie. Pour… qui m’envoie.
- Hum.
Geralt ne commente pas. Il se détourne et entre dans les égouts. Sa dernière pensée avant que sa tête ne soit entièrement focalisée sur sa chasse, c'est qu’Éric prend trop de soin à ne rien dire, par conséquent son maitre pourrait bien être sa maîtresse en vérité.
Trouver la cocatrix n'est pas une longue affaire. L’abattre en revanche… les égouts se prêtent mal à ce genre de combat. Si les étroits murs de pierre gênent la bête, ils gênent aussi Geralt. Il est sous une ville, il doit se faire discret.
Surtout que les égouts ne sont pas simplement peuplés de cette parodie de coq horrible. Il y a aussi des noyeurs qui viennent danser avec lui et sa proie. Attirés par le sang, ils sont nombreux, assez pour le mettre en difficulté.
Dans la mêlé, il perd son sac de potion, qui se brise contre la pierre dans un fracas terrible. Juste assez pour détourner son attention et la cocatrix en profite pour le griffer. Son plastron encaisse une bonne partie du coup mais les serres de l’animal se plantent dans sa chaire. Trois lignes superficielles mais pas sans danger : c'est une femelle et les femelles sont venimeuses.
Merde.
Avec les potions qui brûlent son corps, l'esprit obnubilé par le combat, Geralt n'y pense pas vraiment. Il abat les noyeurs à mesure qu'ils se présentent, il blesse la cocatrix autant qu'il le peut, dansant comme il le fait toujours, rapide et mortel.
Quand il gagne, il ne se réjouie pas. Il n'a pas le miel blanc pour annuler l'effet de ses potions. Il n'a pas non plus de quoi neutraliser le poison et son seul espoir, c'est que ses mutations supplémentaires soient suffisantes pour le faire tenir jusqu’à ce qu’il soit hors-bord la ville.
Après ça, il pourra appeler Yennefer avec le xenovox qu'elle lui a donné. Elle ouvrira un portail pour lui et Triss le soignera et ensuite, les deux sorcières lui hurleront dessus jusqu’à lui faire passer l'envie de parcourir le Chemin encore une fois.
Oui, il peut faire ça. Essoufflé, tanguant sur ses jambes tremblantes, le front brillant de fièvre malgré son teint pâle comme la mort, Geralt se penche sur le cadavre du faux coq, choisie trois plumes au hasard et ne se soucie pas du reste qu’il pourrait prendre. Il n'a pas vraiment le temps ni la force de dépecer quoi que ce soit.
Sa marche retour lui semble prendre des heures mais pourtant, quand il retrouve enfin la grille par laquelle il est entrée, il sait qu'il fait toujours nuit.
Éric est là, comme promis. L'homme s’était assoupi contre un tonneau mais sursaute et vient à sa rencontre quand Geralt tape sur le fer pour attirer son attention. La lumière de la bougie presque entièrement consumée fait grogner le sorceleur et le soldat a un mouvement de recul, effrayé, à cause du grognement animal ou des yeux noirs de Geralt, qui sait ?
- C'est fait. Gronde le sorceleur en lui tendant les plumes.
Il ne parle pas des noyeurs. Il n’a pas la force et ça ne servirait à rien. Il y a bien longtemps qu'il ne négocie plus ses contrats. Même s’il a beaucoup de mal à s’y faire, l'or n'est plus un problème pour lui.
Après une hésitation, Éric prend les plumes. A la lumière de la petite flamme, elles sont d'un joli rouge avec quelques nuances d'or à la pointe. C’était une jeune femelle. Pas encore de couvée. La couleur serait plus terne sinon.
Geralt n’a pas le temps d’expliquer ça. Il tangue, son sang bat dans ses oreilles et sa poitrine le brule. Avant qu'il comprenne ce qu'il se passe, il s'effondre, inconscient.
ooOoo
C'est la vibration de son médaillon qui le réveille. Sans réfléchir, avant même de comprendre où il est, ce qu’il se passe ni même qui il est, son bras se lève, brûlant le peu d’énergie qu’il a pour saisir le poignet de celui qui le touche et l’éloigner.
- Chut, sorceleur, chantonne une délicate voix au-dessus de lui. Je te soigne.
Geralt grogne, faute de pouvoir faire plus. Mais force est de constaté que l’inconnu dit vrai. Il y a un matelas de paille sous lui et il sent une couverture de laine sur ses jambes. Il est dans une petite pièce sans fenêtre, un débarras peut-être, il n'y a qu'une faible bougie pour éclairer.
L’inconnu est en fait une inconnue. Une femme, non, une enfant. Malgré la cape et le masque, c’est évident. Elle est petite, des cheveux blonds et des yeux… des yeux d'un bleu clair, comme un ciel d’été. Ils brillent, trop pour que ce soit naturel, et le médaillon de Geralt vibre à nouveau alors que l'inconnue chantonne.
- Masque. Pas confiance, murmure Geralt, à bout de souffle.
Son bras qui tient toujours le poignet délicat de l’inconnue tremble sous l’effort mais il ne lâche pas, de crainte qu’elle l’attaque. Son médaillon réagit à la magie mais il ne sent pas le Chaos. Pas comme quand Triss, Yennefer ou n'importe quel mage l'utilise. C'est différent. Plus ancien, plus trivial.
- Je tairais mon identité, sorceleur, comme tu tairas la tienne. C’est ce qu’il y a de mieux pour nous tous.
Elle le fixe d'un regard entendu et Geralt sait qu'elle l'a reconnu. Les récits, même s'ils sont faux, même s'ils ont pour but de le faire passer pour le monstre qu'il est quelque part, sont assez descriptif de sa personne. Il déglutit, mal à l'aise, mais finit par lâcher prise, épuisé.
La chanson revient et avec elle, les vibrations de son médaillon. Il n’y a pas d’odeur d’herbe ou de cataplasme pourtant, le chiffon humide qu’elle frotte sur sa poitrine est étrangement apaisant, comme s’il y avait plus que de l’eau.
- Magie. Grogne-t-il bien que la sensation n’ait rien à voir avec les guérisons douces de Triss ou celles, plus brutales, de Yennefer.
La main qui tient le chiffon est parée de bagues en or sertie de pierre précieuses, assorties aux colliers et aux boucles d'oreilles. Sa robe de brocard est ornée de fil doré et de dentelles délicates. Et sur sa tête…
- Reine ?
- Est-ce le diadème qui te fais penser cela, sorceleur ? Se moque-t-elle.
Il n'y a rien de méchant pourtant : ses yeux sont plissés d'amusement et Geralt se demande à quoi elle ressemble sans le masque. Il la suppose belle et si elle était un peu plus vieille, Geralt tenterais peut-être de le lui faire enlever, ça et le reste...
- Je ne suis pas reine. Ni sorcière. Finit par démentir l'inconnue en écartant le chiffon de sa poitrine.
Elle le pose quelque part au sol, et le bruit d'eau informe Geralt qu'il y a une bassine là, avec un soupir fatigué, puis se penche pour saisir un verre posé non loin.
Se faisant, elle se rapproche de Geralt et le sorceleur inspire par réflexe. Il ne trouve pas l'odeur de la peur dans son doux parfum. Elle sent les fleurs et l’été. Quelque chose de totalement naturel. Choquant quand on sait la proportion des femmes de sa stature qui usent et abusent des parfums artificiels.
- Tu n’es pas humaine.
Mais elle n'est pas elfe. Il n'y a pas d'elfe dans la noblesse Rédanienne et aucun de ceux qu’il a rencontré n'a ce genre d’odeur de nature si distinct et pourtant si vrai.
- Pas tout à fait, non. Admet-elle en croisant son regard.
L'image vacille et pendant une seconde ses oreilles pointent au travers de ses cheveux, trop pour être celles d'un elfe.
- Fée, comprend Geralt.
Un poids s'abat sur sa poitrine, son visage se ferme, la méfiance revient. Les fées entrent rarement en contact avec les mortels, elles sont dans leurs propre monde, et ont leurs propres règles, souvent au détriment des malheureux qui les croisent.
- Ne t'en fais pas, sorceleur, souffle la jeune femme tristement. Tu as tué le monstre et refusé l'or. Je te paie autrement.
Avec un temps de retard, Geralt comprend que c'est elle la mystérieuse commanditaire, la noble à qui Éric est si fidèle, celle qui soutient le réseau du Bécasseau… mais elle semble si jeune…
- Qui es-tu ?
Elle ne répond pas. A la place, elle plonge son doigt dans le verre, chantonne d'une voie douce en tournant l’eau et son médaillon vibre encore. C’est la première fois qu’il rencontre ce genre de magie, il n’arrive pas à comprendre comment elle ne peut pas venir du Chaos.
- Bois, ordonne-t-elle en le lui tendant.
Geralt le prend, méfiant, et le renifle. Il n'y a que l'odeur de l'eau et il réalise qu’il a terriblement soif. Il devrait serrer les dents, se forcer à se lever et partir avant que les forces de Vizimir ne le trouvent. Il n'est techniquement pas dans l’illégalité mais s’il était pris, il sait que le roi prendrait l'avantage.
L’inconnue s’était affaissée, comme si elle était soudain fatiguée, mais quand un oiseau siffle quelque part dehors, elle se redresse rapidement. Son cœur bat plus vite et elle fuit, littéralement, sans que Geralt n’ait la force ou le temps de la retenir.
- Je reviendrais demain. Repose-toi.
Elle part sans un autre regard au sorceleur et finalement, alors qu'il ne reste plus que l’odeur résiduelle de fleurs sauvages, il avale le verre d'eau d’une traite. Si elle avait voulu sa mort, il aurait trépassé depuis longtemps.
La faiblesse le prend, à cause du poison qui court toujours dans ses veines ou à cause de l’eau enchanté, il ne sait pas, mais il se rendort rapidement et plonge dans un sommeil étonnement réparateur.
ooOoo
Geralt est seul quand il se réveille à nouveau. Il va beaucoup mieux mais quand il essaie de se lever, la faiblesse fait tourner sa tête, la nausée le prend et il manque de peu de vomir.
A bout de force, il se laisse retomber sur le lit. Enfin, le matelas. Posé à même le sol, dans un coin de la petite pièce sans fenêtre. Son armure, ses armes et ses affaires en général, sont posées dans un autre coin, juste assez loin pour qu'il ne puisse pas les atteindre.
La chandelle a été visiblement changée. On lui a laissé un autre verre d’eau et une miche de pain. Geralt s’oblige à grignoter en regardant la bougie se consommer lentement. Distraitement, il écoute ce qu'il se passe dehors.
Il est toujours dans la taverne. C’est le même brouhaha vulgaire qui a couvert sa conversation avec Éric. Il entend les choppes s’entrechoquer, les cris d'ivrognes et les chansons à boire. Au-delà de ça, il entend la vie d’un quartier pauvre, les gamins des rues et les chiens errants qui aboient, les mendiants et les putains qui sollicitent qui passe, les marchands et les voleurs qui vagabondent.
Au fil des heures, le bruit devient plus fort avant de se calmer à nouveau. Peut-être Geralt s'est-il rendormi à un moment ? Quand la porte de son débarras s’ouvre, il sursaute et cherche d'une main un poignard qu'il n'a pas.
Mais ce n'est que la fée qui revient, comme elle l'avait dit. La cape et le masque ne cachent pas son regard trop bleu ni le délicat parfum de fleur qui l'entoure. Elle porte une robe trop chargée, au corset trop serré, comme si l'objet essayait de simuler une poitrine qu'elle n'a pas encore parce qu'elle est terriblement jeune.
- C'est notre dernière rencontre, sorceleur. Dit-elle rapidement en venant s’agenouiller sur le matelas à côté de Geralt.
Elle pose sur le sol un bol de ragoût fumant et une miche de pain. Geralt réalise qu'il n'a toujours pas vraiment faim, même si le plat sent bon. Dans le dos de la noble, Éric suit, tendant un pichet d’eau à sa maîtresse avec révérence (il est évident qu'il mourrait pour elle) avant de se retirer, les laissant seul tous les deux dans un étonnant accès de confiance.
L'inconnue ne retire pas sa cape ni son masque pourtant l’œil acéré du sorceleur le voit. L’infime hématome, qui se cache derrière une mèche de cheveux bouclé, sur le côté de la nuque, presque sous le col de sa robe.
- Qui ? Demande le sorceleur dans un grondement de colère soudaine.
Il ose, tend la main et écarte d’un doigt la dentelle. Elle se fige, comme une biche aux abois, mais le laisse dévoiler ce qui s’avère être la marque d’un coup de bâton. Un instant, il se demande s’il y en a d’autres, s’il veut savoir ou s’il doit en avoir quelque chose à faire.
Au début, elle ne répond pas. Et pourquoi le ferait-t-elle ? Il n'est que le sorceleur qu'elle a engagé pour un contrat et elle est déjà bien aimable de prendre le risque de le soigner, pourtant, après un moment de silence, elle murmure tristement :
- Un autre monstre contre lequel vous ne pouvez rien, maitre sorceleur.
Geralt grogne, il n'est pas vraiment d’accord. Sa main retombe alors qu’il se résigne. Il imagine un père ou un frère. Peut-être un tuteur ? N’importe qui avec une quelconque autorité et dans un pays aussi misogyne que la Redanie, c’est assez facile en fait.
Avant qu'il ne puisse protester pour l’image, elle commence à chanter, pour de vrai cette fois, dans une langue que le sorceleur ne connait pas, et son médaillon vibre à nouveau. Plus fort même et la magie qu'elle utilise, toujours pas le Chaos comme les sorcières, est épaisse. Geralt peut presque la goutter.
- Tu as récupéré assez de force pour finir de guérir, sorceleur. Dit-elle ensuite en lui tendant la cruche.
Sa main tremble, comme si l’objet était trop lourd pour elle et malgré le masque, Geralt voit son regard bleu troublé par la fatigue. Quelque soit son pouvoir, elle ne le manipule pas sans en payer un certain prix, et elle le fait, pour lui. Pour la seconde fois.
Leurs regards se croisent et cette fois-ci, Geralt n’hésite pas : il boit directement au pichet. L'eau est terriblement fraîche, comme un torrent de montagne au printemps, et il sent sa fraîcheur se répandre dans son corps, chassant le reste du poison.
- Tu garderas une cicatrice, annonce la jeune femme en écartant la couverture pour étudier sa poitrine, mais tu auras assez de force pour rejoindre ta tanière après avoir mangé.
Elle ne le dit pas, mais le non-dit est évident : Tretogor n'est plus sûre, pour peu que la ville l’ait été un jour pour lui. Geralt acquiesce d’un signe de tête et la jeune femme se relève, tangue un instant (la robe ou l’épuisement ?) avant de trouver son équilibre.
- Je te remercie, sorceleur. Que la bénédiction de Melitele soit sur toi.
L’adieu formel le dérange. Pendant une seconde, il veut lui proposer asile sur ses terres, escorte jusque-là. Mais il ne la connaît pas, ne sait rien d'elle et finalement, se ravise et répond, sur le même ton.
- Et je te remercie, ma dame. Que Melitele te protège.
Ses beaux yeux bleus brillent de tristesse et cela dérange Geralt. Ils se regardent un instant sans rien dire, puis le même trille d’un oiseau se fait entendre, la faisant sursauter. L’inconnue réajuste sa cape, se retourne et s’en va sans un mot ni un regard de plus.
Geralt soupir, déçu sans savoir pourquoi, puis mange et se lève. Il a assez de force pour se rhabiller et le tavernier l’intercepte, lui indiquant la cave et les passages souterrains.
Effectivement, comme l’avait prédit la fée, il a assez de force pour rejoindre sa tanière et comme il l'avait pensé, Triss et Yennefer sont particulièrement mécontente de la tournure des événements.
A suivre...
Chapter 2: Ils parlent comme s’ils étaient les vainqueurs
Notes:
Hello tout le monde,
Comme promis, voilà la suite^^
Bonne lecture^^
BD
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Finalement, la guerre avec la Rédanie éclate deux ans plus tard. Certains disent que Vizimir a pris peur quand Nilfgaard a envahi Cintra, et qu’il a voulu s’accaparer Kaedwen et sa force pour impressionner l’empire du sud.
D'autres diront que l’envahisseur ni est pour rien, que depuis longtemps maintenant, le roi regarde par-dessus les montagnes et souhaite agrandir son royaume.
Dans tous les cas, Vizimir ne donne aucune explication. Si dans un premier temps, il semble gagner, une fois les sorceleurs remit de leur surprise, la tendance s’inverse et il ne faut que quelques semaines pour que l’armée du Nord franchisse les montagnes et s’enfonce dans les terres rédaniennes, jusqu’aux portes de Tretogor.
Mais ça ne suffit pourtant pas au roi Rédanien qui insiste. Si lui est trop lâche pour quitter sa précieuse capitale, Geralt croise plusieurs fois sur le champ de batail nul autre que son frère, Monsieur Radowid. L’homme regarde de loin, un petit groupe de cavalier au sommet d’une colline ou d’un rempart, bien protégé par une ligne de soldat en cuirasse.
Avec l’idée que pour tuer le serpent, il faut couper la tête, Geralt décide qu’à la prochaine bataille, il mènera lui-même un petit escadron contre le haut-commandement ennemi. Et effectivement, en décapitant le prince, il gagne. Quand la nouvelle lui parvint, Vizimir exige le corps de son frère et la paix.
Geralt est prêt à accepter à n'importe quelle condition. Son esprit n'est pas à la guerre mais à la petite fille, à la princesse secrète, son Enfant Surprise, que Calanthe lui a confié avant de mourir, quelques mois plus tôt. Les fils du Destin tirent son esprit et l’empêchent de trouver le repos.
Il veut la paix, il veut retourner chez lui, dans les montagnes, et apprendre à devenir un père pour cette enfant si petite, si jeune, si fragile, qui n'a rien à faire dans une forteresse de sorceleurs.
Donc Vizimir demande la paix, offre son or et des terres pour garder sa couronne. Il va même plus loin que ça.
- Sa Gracieuse Majesté offre de sceller cette alliance par un mariage, annonce le diplomate qui représente le roi.
L’homme se tient au milieu de la tente magiquement agrandit que Yennefer a ensorcelé, guindé dans ses vêtements de velours rouge, visiblement méprisant des barbares qui lui font face.
Geralt, Eskel, Lambert et Yennefer forment un front uni et grognent tous discrètement à l’annonce.
- Sa majesté vous offre la main de la princesse Julia, veuve de feu Monsieur Radowid.
- Radowid, gronde Geralt. J’ai décapité cet homme sur le champ de bataille et il veut que j’épouse sa veuve ?
Bien entendu, l'homme interprète mal la réaction du Loup Blanc et s'incline avec une excuse qui n'est presque pas une insulte.
- Il est de coutume que le vainqueur prenne possession de ce qui était au vaincu.
- Tout ce qui était au vaincu ? Répète Geralt d'un ton sombre. Devrais-je aussi m'encombrer de sa marmaille si je suis vos traditions ?
Il ne dit cela que pour souligner l’absurdité de cela mais l'homme ne voit pas la moquerie et répond rapidement :
- Par la grâce des Dieux, la princesse Julia n’a pas eu d’enfant de son précédent mariage. Néanmoins, nul doute qu’elle remplisse ses devoirs avec vous.
- Nul doute, c’est certain ! Se moque Eskel alors que Lambert rigole.
Le diplomate les regarde tous les deux sans mot dire, ne comprenant pas ce qu’il a dit de si drôle. Geralt reste stoïque, peu amusé par la situation alors que Yennefer lève les yeux au ciel, désespérée par les deux sorceleurs.
- La princesse Julia est encore dans la fleur de l’âge et elle est bien éduquée, reprend le diplomate. Elle saura tenir sa place à vos coté. Bien entendu, poursuit-il, si mon seigneur le Loup Blanc préfère une épouse vierge, Sa Gracieuse Majesté lui offrira une noble dame à sa convenance.
Geralt tique, sa patience s’amenuise et la conversation l’ennui. Depuis cette histoire de Loup Blanc et d’empire, il sait que ça lui pend au nez, qu’un jour, il devra faire comme tous ces autres rois et prendre à ses coté une épouse, monter une cours fantoche, se mettre à leur niveau pour éviter d’autres guerres. Ils en ont déjà parlé avec son conseil, à chaque fois qu’une proposition d’alliance de ce genre leur était faite. Malgré tout, il n’est toujours pas motivé à céder…
- Et si je ne veux pas d'une noble dame ou de la princesse Julie ? Demande Geralt, mécontent de la tournure de la conversation.
Le diplomate semble mal à l'aise. De toute évidence, il était impossible pour lui qu'on refuse une femme de son pays et encore moins une princesse. Il prend quelques secondes pour répondre, d'un ton moins certain :
- Cela irait à l’encontre de nos coutumes… Le traité de paix serait fragilisé, explique-t-il, mal à l’aise.
Geralt tique encore. Son mécontentement est évident et Yennefer intervient enfin, annonçant qu’ils allaient réfléchir à la question et donneraient une réponse bientôt. Le diplomate accepte, s'incline et s'en va. A peine le pan de tissu se rabat que Geralt annonce d’un ton catégorique qu’il ne veut épouser personne.
- Tu sais que ce n’est pas si simple, soupire Yennefer d’un ton fatigué.
- Je suis sorceleur. Je ne peux pas engendrer d’enfant. Je n’ai donc pas besoin d’une épouse. Liste Geralt pour prouver la simplicité de son choix.
- Tu es aussi empereur, Loup Blanc. Contre Yennefer. Et pour légitimer ton royaume, tu dois te lier à d’autres. A moins que tu ne veuille conquérir tout le continent ?
Geralt grogne et se détourne, agacé. Il sait que la sorcière à raison, mais tout cela va tellement à l’encontre de ce qu’il est, au plus profond de lui-même… Non, il ne regrette pas d’avoir fait chuter le roi de Kaedwen, et il sait que sur les terres qu’il contrôle, il fait mieux vivre qu’ailleurs. Il porte cette couronne d’empereur pour le bien de tous. Mais à priori, ce n’est pas assez.
- Ah non ! Proteste Eskel, c’est déjà un cauchemar de paperasse, ne m’en rajoute pas plus !
- Vraiment, ne tolérais-tu pas quelques parchemins de plus pour moi ? Demande Geralt en regardant son frère dans les yeux.
- Non. Répond simplement et fermement Eskel, les yeux plantés dans ceux de son frère.
Ils savent bien que ça n’est pas vraiment vrai, qu’Eskel, comme Lambert, comme Vesemir et comme tous les autres, le suivrait jusqu’à la mer et même plus loin, fidèle au Loup Blanc et à ses valeurs.
- Qu’est-ce que Vizimir a à y gagner, détourne Geralt, espérant encore échapper à cette union.
Sa question trouve d’abord un silence en réponse. Tous réfléchissent à l’étrange insistance du diplomate. Après tout, un simple traité pourrait suffire, coutume ou non. Geralt n’est pas fin politologue, mais il n’a qu’une parole, et il n’a pas besoin d’une otage ou d’une offrande de paix comme celle-ci de la part de Vizimir.
- La gloire ? Propose Yennefer avec un large sourire.
- Une assurance ? fait Eskel.
- Une espionne, conclue Lambert.
- Hum.
Plusieurs ont essayer de pénétrer Kaer Morhen, cherchant à se faire recruter pour rejoindre le petit personnel, celui qui peut aller partout sans que personne ne s’en inquiète. Qu’ils viennent de Rédanie ou d’ailleurs, aucun n’a jamais réussi à franchir la grande porte, et personne ne se leurre sur la frustration que cela doit être pour tous les autres royaumes.
Tous se renfrognent, l’idée de Lambert est juste. Evidente même, maintenant qu’il l’a dit. Prendre une reine étrangère, c’est faire entrer le renard dans le poulailler. Même si, de l’avis de Geralt, il n’y a pas grand-chose à espionner chez lui. Ce n’était pas comme si les sorceleurs étaient belliqueux et complotaient dans l’ombre…
- Elle est rédanienne, réfléchit la sorcière à voix haute. Elle a dû être éduquer à broder dans un coin en suivant les ordres de son mari. Je ne suis pas certaine qu’elle soit une menace…
Le mépris dans la voix de Yennefer est évident mais personne ne lui en tient rigueur. Tous savent, plus ou moins précisément, que la sorcière a passé des décennies dans plusieurs cours du monde, et qu’elle a côtoyer son lot de princesses précieuses et idiotes, éduquées à faire des enfants et à se taire.
- Ce qui fait d’elle l’espionne parfaite, conclue la femme sans âge.
- Nous limiterons ses déplacements dans Kaer Morhen et nous lui attribueront une escorte systématique. Propose Eskel.
- Donc je me marie ? S'étrangle Geralt avec fort peu de dignité.
Lambert éclate de rire alors que son commandant pose une main réconfortante sur son épaule.
- Cette princesse où une autre, fait Yennefer, pragmatique.
Geralt grogne, toujours mécontent de ce qu'il doit faire. Il réfléchit à sa, et bien, future épouse et se demande si elle a le choix. De ce qu’il connait de la culture rédanienne, il est certain que non. C’est un choix qu’il doit faire pour elle.
- Peut-être voudrait-elle que je refuse ?
Sa voix est normale, il pose la question comme s’il parlait du temps mais personne ne se leurre sur la véritable intention derrière les mots. Lui, comme les autres, sait quelles rumeurs horribles courent sur les sorceleurs et bien qu’elles soient évidement fausses, il a tout une vie d’insultes et de persécutions derrière lui et être devenu le Loup Blanc n’a pas soigné sa confiance en lui, au contraire. Il est, après tout, le roi des monstres maintenant.
- Demande-lui quand tu la rencontreras, répond Yennefer comme s’il s’agissait d’une évidence.
Son cœur se sert d’appréhension à cette idée. Il est le seigneur barbare venu du Nord, le monstre qui a envahi la Rédanie (qu’importe que ça ne soit que pour se défendre) et le bourreau de son époux. Et maintenant, on lui demande de quitter son pays, son palais (Melitele, c’est une princesse !) pour venir dans une forteresse froide et désolée et surtout, de le prendre lui pour époux. Il anticipe déjà une catastrophe…
Finalement, il annonce :
- Si elle ne se fait pas à Kaer Morhen, nous lui trouveront une place ailleurs. Et je ne la toucherais pas.
Tous d'accord là-dessus, ils décident d'attendre une journée avant de donner suites aux négociations et évidement, la suite de ces dernières ne ravis pas Geralt et sa compagnie.
Déjà, l’idée d’une rencontre est écartée. La princesse Julia doit respectée le deuil de son époux. Geralt ne connait pas les coutumes mortuaires de Rédanie, mais à priori, cela exclu toute rencontre avec son futur époux. Avec qui que ce soit, d’ailleurs car, quand il est question de demander son avis la princesse, le diplomate refuse pour les mêmes raisons mais surtout, ne comprend pas leur insistance.
- Sur quoi devrait-elle donner son avis, mon seigneur ?
Geralt grince des dents, frustré et Yennefer pose une main sur son bras pour l’apaiser. Au vu de la tension soudaine qui prend les trois sorceleurs, la sorcière décide de poursuivre les négociations, tout en faisant fi du regard méprisant de l’humain en face d’elle.
- Sur la simple idée de ce mariage, monsieur.
Yennefer dit « monsieur » comme elle dirait « crétin » et à voir la réaction de l’homme, à savoir plisser les yeux et serrer les dents, le diplomate l’a très bien compris. Mais il s’oblige et rétorque d’un ton mielleux et condescendant, s’adressant visiblement à Geralt :
- Son avis sera celui de son roi, mon seigneur. Sa majesté Vizimir n’aurait jamais l’audace de vous proposer une épouse indigne de vous. La princesse Julia a toutes les qualités qui sont attendus d’une épouse. Elle est…
- Ce n’est pas la question, l’interromps Yennefer qui doute qu’une liste non exhaustive de toutes ces fameuses qualités n’énerve les loups. Nous souhaitons entendre sa voix ici.
Et malgré qu’il soit un humain certain de sa valeur, méprisant des barbares avec qui il est obligé de négocier, l’incompréhension naïve de l’homme devant leurs doutes est franche : il est évident pour lui qu’il n’y a rien à demander à la princesse parce que, pourquoi voudrait-elle autre chose que ce que son roi veut ?
Il fronce les sourcils, réfléchis mais il comprend comme le reste des personnes présentes qu’il y a là un point de blocage insurmontable, une incompréhension profonde entre leurs deux cultures alors finalement, il élude.
- La princesse Julia est soumise au silence du deuil, mon seigneur.
La réponse ne plait pas mais personne ne l’interrompt quand il déroule la suite des négociations, et la question semble alors close. Pour les rédaniens en tout cas. Mais Geralt a déjà accepté l’idée que l’union ne soit que de façade, qu’il demandera directement à la princesse ce qu’elle souhaite et qu’il fera ce qu’il faut pour le lui accorder.
L’homme poursuit. Le mariage doit être prononcé après de la signature du traité de paix et pour être valide, il doit être consommé devant témoin, ainsi que le veut la coutume rédanienne (Geralt en a un peu marre de la coutume rédanienne et s'il n’y avait Ciri qu'il veut rejoindre chez lui le plus rapidement possible, sans doute déciderait-il de conquérir le reste du pays pour avoir la paix).
C'est non négociable pour les rédaniens. Même si l’épouse n'est pas vierge, même si cela importe peu à Geralt de prendre femme, même s'ils sont les vainqueurs et sont en position de force.
- C’est la coutume, insiste le diplomate, afin de s’assurer d’une union solide et véritable.
- Ne peut-on pas croire sur parole que les choses sont faites ?
C’est au tour d’Eskel de paraitre naïf, ce qui lui vaut une exclamation moqueuse de l’homme qui répète, intransigeant :
- Il faut des témoins, mon seigneur. C’est la…
- Coutume, oui, le coupe encore Yennefer, avec un certain plaisir quand l’homme la fusille du regard. Nous pourrions simplement regarder les draps, le lendemain de la nuit de noce, ou même -il lui faut toutes ses décennies d’expérience pour ne pas grimacer à ce qu’elle va dire- un examen gynécologique par une femme…
L’homme refuse. C'est ainsi que les choses sont faites depuis la naissance de la Rédanie et, peut-être parce que le pays a failli disparaitre ou parce que c'est le dernier pouvoir de Vizimir sur les sorceleurs, les hommes ne reculent pas là-dessus.
Puis, insiste le diplomate, Sa Gracieuse Majesté le roi Vizimir leur cède déjà sur tellement de point en leur offrant des terres et des tributs, en acceptant dans son code civil des lois de protection des non-humains, l'Empire du Nord peut bien faire un effort, non ?
Sinon, ces lois qui tiennent tant à cœur aux sorceleurs pourraient bien être rayées du traité et les choses se poursuivre comme avant la guerre, les persécutions, l’esclavage et les exécutions sommaires…
Les pourparlers sont ajournés.
Et après une semaine de négociations infructueuses, Geralt finit par céder, à condition de choisir les témoins.
Finalement, il y aura Eskel et le prêtre qui prononce le mariage, parce que, lui dit-on, il devra encore les bénir et permettre à la princesse de rompre son deuil. Une présence qui, le moment venu, sera un terrible regret pour le Loup Blanc.
Le traité, qui annonce la paix et impose à Vizimir d’appliquer les mêmes lois de protection des non-humains sur ses terres, est signer trois jours plus tard, après lecture par un héraut, devant une foule de rédaniens, aux portes du grand temple de Tretogor.
Vizimir ne parle ni même ne regard Geralt au-delà du minimum requis par la politesse la plus élémentaire, mais personne ne peut vraiment lui en tenir rigueur. Le roi est vêtu du noir du deuil, pour son pays, et surtout pour son frère, et la douleur de sa perte reste trop visible, surtout pour les sorceleurs et leurs sens améliorés.
De toute façon, Geralt n’aime pas les fioritures et souhaite juste que tout se termine le plus rapidement possible. Son esprit suit à peine ce qu’il se passe, se focalisant plutôt sur Kaer Morhen et une autre princesse qu’il a à peine eut le temps de s'attacher avant que la guerre n’éclate.
Une fois le traité signé, Vizimir se tourne vers la foule et annonce, aussi fier que s'il avait gagné la guerre, le généreux don qu'il fait au Loup Blanc en lui offrant sa belle-sœur aujourd’hui triste veuve.
Il y a un carrosse a l’autre bout de la place, et un long tapis rouge sur le pavé qui sépare la foule en deux. Il est positionné là depuis le début de la matinée, quand les discours et la lecture du traité ont commencé.
Il est en plein soleil et c'est la fin de l’été actuellement. Geralt sait que la princesse qu'il va épouser aujourd’hui est dedans. Et même s'il ne veut pas de cette union, même si ses dents grincent à l’idée d’avoir une princesse (avec tout ce que ça implique de préciosité et de risque pour la sécurité de sa forteresse) chez lui, il ne peut que sympathiser avec la pauvre dame.
Il y a un silence de pierre quand la porte du carrosse s’ouvre sous l’action d’un soldat. Un chevalier en armure étincelante tend une main et avec son aide, la fameuse princesse Julia descend lentement, difficilement, les marches de la voiture.
La robe qu’elle porte, de dentelle noire, semble lourde et épaisse, trop pour la saison. Elle est évidement pleine de jupons et de broderies, presque trop large, le chevalier doit tendre ridiculement la main pour tenir celle de la princesse et la guider sur le tapis rouge.
D’ailleurs, si elle ne tangue pas, ses pas sont petits, lents. Elle remonte l’allée qui fend la foule sous un soleil de plomb pendant ce qui semble être une éternité, comme si la ridiculement longue traine de soie toujours noire qu’elle porte essayait de la retenir. Ou peut-être craint-elle de se rapprocher de son futur époux ?
Pas un centimètre de peau n’est exposé : les manches sont longues, elle porte des gants et un épais voile de dentelles noires et Geralt est presque certain qu’elle ne voit pas où elle marche, devant faire confiance à l’homme qui la guide jusqu’à Vizimir.
Devant lui, elle fait une profonde révérence, et le roi lui prend la main, remplace le chevalier pour la conduire à Geralt, devant qui elle s’incline tout autant et à qui Vizimir offre sa main, qu’il prend plus par reflexe que par envi.
Maintenant qu’elle est proche de lui, il ne voit toujours rien d’elle : toutes les couches qu’elle porte masque efficacement sa personne. Pire, elle est parfumée, à la lavande, la fleur d’oranger, le romarin, et d’autres essences, fortes et écœurantes et Geralt doit se concentrer pour ne pas froncer le nez, rebuté.
A la suite de son examen infructueux, frustré, il se détourne et se concentre sur le prêtre, qui commence la première partie de la cérémonie de mariage sur le parvis du temple pour le petit peuple, avant que le reste ne se fasse en comité plus restreint, à l’intérieur des murs de pierre.
A suivre...
Notes:
Évidement, je devais rajouter une obligation de consommer le mariage avec témoin, sinon, c'est pas drôle^^
En espérant que ça vous ait plus, n'hésitez pas à donner votre avis,
On se retrouve dans deux semaines avec Jaskier cette fois-ci,
Bye!
BD
Chapter 3: Il ne faut rien de moins qu’un roi pour la faire taire.
Notes:
Hello tout le monde,
Je publie avec un peu d'avance, j'ai partiel cette semaine alors, je ne suis pas sure d'avoir le temps plus tard.
Je pense que le jour de publication va rester sur le dimanche, c'est plus simple à gérer pour moi.Sinon, ce chapitre est illustré grâce à l'IA. Je ne suis l'autrice que de la description de l'image, le reste, c'est l'intelligence artificielle qui a fait. C'est l'idée que je me fais de Jaskier au féminin.
Je vous souhaite une bonne lecture,
Warning : mention de relation forcée.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Par la force des choses, Jaskier, de son vrai nom Julia Diane Pancratz de Lettenhove, est devenue une grande actrice, malgré qu’elle n’ait que seize printemps, capable de berner des contrebandiers, des lettrés ou même des rois. Si elle pouvait s’en vanter, elle dirait qu’elle a trois visages.
Celle à qui elle est le plus attachée est Jaskier, le poète et musicien maudit et anonyme, auteur de plusieurs livres à succès qui embarrasserait la couronne si un jour il était avoué qu’il s’agit un, d’une femme derrière toutes ses poésies, deux, d’une princesse. Les services secrets savent qu’elle publie sous une fausse identité, son époux a eu la sympathie de donner son avis là-dessus et lui a fait jurer de ne jamais porter la honte sur sa maison.
Puis il y a celle dont elle est la plus fière, la plus difficile à porter, celle qui lui ferait risquer bien plus que quelques gifles ou coups de bâton : le Bécasseau. Elle tire profit de sa position, personne ne fait attention à une femme au palais, alors elle sait les ravitaillements et les mouvements de l’armée, et elle a su s’entourer des bonnes personnes, pour sauver les innocents que la couronne persécute. Et malgré le risque qu’elle encoure, elle aide, quand elle peut, comme elle peut, sortant du palais tard la nuit, usant de chemin dérober pour cela. Si elle se faisait prendre…
Julia n’y pense pas, s’obligeant la plupart de son temps à arborer le masque de sa troisième et détestable identité : celle de la princesse, la petite vicomtesse de Lettenhove, aimé par un prince et devenue l'épouse docile de ce dernier à douze ans à peine. Elle n’y pense pas, à ces quatre ans de mariage, à son mari et son comportement, ses attentes, qu’elle a toutes déçue un jour ou l’autre, faisant planer sur elle l’ombre sordide de la punition.
Radowid n’était pas son choix, grands Dieux non ! Mais Julia ne veut pas y penser, oublier les circonstances qui l’ont conduites là, dans ce palais, au cœur de Tretogor, pour se réjouir de sa position : ici, elle peut coordonner le petit réseau de résistance la nuit, et offrir sa cassette aux miséreux de jour. Elle se fait aimée du peuple ainsi. C’est aussi pour ça qu’elle ne craint pas de quitter le palais quand il le faut.
Quand on lui annonce la visite du roi Vizimir, Julia est occupée à composer une chanson épique sur un chevalier aux yeux d’or, discutant des accords avec Shani, l’esclave elfique guérisseuse devenue son médecin quand elle avait onze ans à peine, qui l'a suivi au palais et dont elle a fait sa femme de chambre et sa meilleure amie. Elle ne s’attendait pas à ce que le roi vienne : elle porte une robe simple, au corset à peine serré et ses mains sont tâchée d’encre.
Une de ses demoiselles de compagnie, la comtesse de Stael, accours, annonçant l’arrivée imminente du roi. Immédiatement Shani s’en va, emportant avec elle ses trois chiens car le roi ne les aime pas. Le reste de ses animaux ne posent pas de problème, la plupart des oiseaux s’envolant par la fenêtre ouverte. Puis de toute façon, aucune n’a le temps de faire plus.
A peine Julia a-t-elle poussé Jaskier et ses compositions dans un tiroir de son secrétaire que les portes de sa chambre s’ouvrent pour laisser entrer l’homme, suivi de la mère supérieure du grand temple de Tretogor. La comtesse s’agenouille et ne bouge plus, le regard au sol.
- Majesté, salue la princesse en se levant de sa chaise pour faire une révérence, inquiète.
Ce n’est pas la première fois que le roi s’invite dans ses appartements. Néanmoins, c’est la première fois que cela se fait si brusquement, et dans sa chambre. Normalement, elle le recevrait dans un salon, après avoir eu le temps de s’apprêter pour être présentable, ainsi que le ferait toute bonne princesse.
- Ma sœur, fait le roi en lui prenant les mains pour la relever, j’ai une bien triste nouvelle à t’annoncer. Il s’agit de mon frère, ton époux.
Le cœur de Julia, qui s’était affolée à la venue du roi s’apaise : il ne s’agit pas du Bécasseau ni de Jaskier, bien. Il n’est question que de Radowid, et si c’est pour lui annoncer qu’il est blessé de guerre et qu’il revient, elle n’en a cure.
- Il est mort, poursuit le roi, une tristesse sincère dans le regard.
La surprise de Julia est tout aussi sincère, et elle ne doit qu’à son instinct de survie de ne pas sourire. A la place, elle écarquille les yeux, ouvre la bouche, puis proteste faiblement.
- Majesté, non, c’est impossible… dit-elle, la voix vibrante d’une émotion forte, faisant passer sa joie pour du déni.
- Hélas ma sœur, insiste Vizimir, lâchant une de ses mains pour la poser sur son épaule, on me rapporte que sa tête a été tranchée par nul autre que ce barbare, ce Loup Blanc…
Le seigneur de guerre ? Lui-même ? Si Radowid s’est retrouvé à croiser le fer avec un sorceleur, avec ce sorceleur, Julia n’est pas surprise de la tournure des évènements. Et donc, elle est veuve… Melitele, que va-t-elle devenir ? Devra-t-elle prendre le voile et prier la Déesse jusqu’à sa mort ? Sera-t-elle remariée ? Renvoyée à son père ? Que va devenir son réseau ? Et sa poésie ? Il y a encore tant de personnes à sauver, tant de poème à écrire…
- Ma sœur, tu dois prendre le deuil…
Le roi se détourne d’elle et fait signes à la mère supérieure de s’approcher. Julia la connait, elle a été l’une de ses tutrices quand elle est arrivée au palais. Elle sait que c’est une vieille femme aigrie et mauvaise, qui a toujours avec elle une fine cane dont elle use sans remord ni limite. D’ailleurs, elle l’a avec elle, la porte à sa ceinture comme s’il s’agissait d’une épée.
- Majesté…
Vizimir est bien connu pour être un fervent croyant et pratiquant. D’ailleurs, la montée de ce nouveau culte, celui de la Flamme Blanche, porté par Nilfgaard, est une grande source d’inquiétude et très certainement la cause du prochain conflit selon les dires…
- Silence, ma sœur. Ordonne l’homme. La main qu’il avait posé amicalement sur son épaule se resserre presque douloureusement. Tu prendras le deuil, ma sœur, dit-il plus fermement, et honoreras la mémoire de mon frère avec tout le respect que tu lui dois, est-ce clair ?
Julia sait mieux que de répondre, elle connait la coutume et le caractère de celui qui la domine. Alors au lieu de dire au roi ce qu’elle pense, comme à chaque fois, elle cède, acquiesce d’un signe de la tête.
La mère supérieure n’est pas venue les mains vides. Outre sa fameuse canne, elle tient aussi une robe de coton épais et couvrant, et d’un regard strict, elle indique le paravent. Julia soupir mais l’y suis avec sa demoiselle de compagnie.
La comtesse défait sa robe, et aucune ne peut ignorer le jugement sévère dans le regard de la nonne quand elle constate les lacets quasi-défait du corset. Ce qu’elle corrige immédiatement, avec plus de force que ce qui est supposer chez une vieille femme comme elle.
Elle serre le corset si fort, que Julia craint un instant de perdre connaissance alors que sa respiration se coupe et que les baleines de métal ne poussent douloureusement contre sa chaire. Mais elle retient une exclamation en se mordant la langue.
- Prie ma sœur, pour mon frère et pour la Rédanie. Exige le roi quand elle s’en retourne lui faire face. Notre sainte mère restera avec toi pour te soutenir.
Elle fait une dernière révérence, un peu moins propre maintenant qu’elle porte cette robe avec son corset trop serré, et le roi la regarde faire, la jugeant silencieusement. Satisfait, il se détourne et s’en va, laissant derrière lui la princesse et la mère supérieure.
- Bien, fait la femme en se tournant vers sa demoiselle de compagnie. Toi, vas t’en.
Elle a un regard pour Julia, attendant son accord, que la princesse lui donne d’un signe de la tête. La coutume veut qu’elle reste seule et il est évident que Vizimir souhaite qu’elle la respecte à la lettre. Silencieusement, elle articule « à plus tard », et la regarde partir, le cœur serré.
La mère supérieure se gratte la gorge, rappelant sa désagréable présence, puis ordonne d’un ton sec :
- Agenouille-toi et prie dans le silence, ma fille.
Comme dans toutes les chambres du palais, Julia a une alcôve dédiée à la religion dans un coin de la pièce : il y a une petite idole et des cierges poussiéreux devant elle, ainsi qu’un prie-Dieu mêlant bois clair et velours sombre. Pendant un instant, la princesse hésite, il n’y a plus la menace du roi, mais la vieille femme tend lentement la main vers sa canne alors elle se résigne.
Julia tient quelques heures, jusqu’à la fin de l’après-midi. La mère supérieure est intransigeante : qu’importe que Julia ait mal au dos ou qu’elle ne respire pas bien, elle l’oblige à rester agenouiller et surtout, silencieuse. Ne pas avoir le droit de parler, pour elle qui a de la musique dans la tête et des mots sur la langue, est une torture terrible, plus que la position qu’elle doit garder.
Bien entendu, elle ne prie pas vraiment, mais essaye plutôt de se raisonner : la mère supérieure devra bien s’en retourner dans son temple à un moment donnée. Ses servantes et ses dames de compagnie vont venir s’occuper d’elle et s’il y en a en qui elle n’a aucune confiance, il y aura toujours Shani à qui elle pourra glisser quelques mots salutaires.
Ce n’est pas le cas. Quand le soir arrive, Julia a droit à un bol de bouillon, un morceau de pain et à peine quelques minutes pour manger avant que la mère supérieure ne la pousse à coup de canne à retourner au prie-Dieu et l’oblige à rester jusqu’à ce que ses paupières se ferment d’elles-mêmes. Alors seulement, elle a le droit de dormir mais ce n’est que pour être réveiller avant l’aube pour reprendre sa veille de prière. Seule et isolée.
Julia tient quatre jours ainsi, les muscles tendus et douloureux de devoir être agenouillé toute la journée, le ventre laissé vide par des repas trop minces car le deuil coupe l’appétit et qu’elle doit rester pur. Surtout, ses lèvres sont scellées, chaque parole lui donnant droit à un coup de canne sur les doigts.
Au coucher du soleil du cinquième jour Paco, son perroquet qui avait fuis le roi avec les autres, profite de la fenêtre ouverte de sa chambre pour revenir et l’oiseau se pose sur son épaule d’un geste habituel, criant de joie de la revoir. Julia a le réflexe de lever une main pour caresser ses belles plumes roses et violettes. Immédiatement, la canne siffle et une douleur cuisante brûle ses doigts.
- Fait partir cet animal et continue de prier.
- Méchante ! Méchante ! Méchante ! crie le perroquet en tournant dans la pièce, effrayé par le coup de canne.
Julia pouffe, amusée par les pitreries de l’oiseau qui sont une bonne excuse. La jeune femme quitte le prie-Dieu et se relève, les articulations douloureuses. Elle a un vertige, la faim tordant toujours son ventre, mais se reprend rapidement.
- Paco, vient là. L’appelle-t-elle en tendant un bras.
La canne siffle encore, la mégère sait l’utiliser et viser juste ! Une fois encore, c’est sur les doigts, et une ligne rouge se rajoute aux autres. Julia siffle, oublie un instant son oiseau pour se tourner vers la mère supérieure.
- Veux-tu que je demande au roi de plumer cet oiseau de malheur ? Menace la nonne.
La colère est un petit animal aux griffes acérées, qui se resserre sur son ventre mais Julia la maitrise, comme elle a si bien appris à le faire depuis qu’elle est dans ce palais. Au lieu de répondre, elle tend le bras à nouveau, et Paco, après un instant, vient s’y poser, l’attention fixé sur la nonne, méfiant.
- Méchante ! Méchante ! Méchante ! Méchante ! Continue-t-il de chanter, agitant sa tête de haut en bas.
Julia arrive à retenir son sourire quelques secondes à peine, juste le temps de tourner le dos à la nonne, et s’en va dans une autre pièce de ses appartements, dédiée à sa ménagerie. Shani est là, occupée à brosser ses chiens et sa femme de chambre rigole franchement du perroquet.
Les trois bêtes chouinent de la voir et courent a sa rencontre en frétillant de joie, oublieux de l'elfe qui les câlinait plus qu'elle ne les brossant. Julia les accueille avec plaisir, distribuant les caresses de sa main libre le plus équitablement possible.
De tous ses animaux, le seul à réagir à Paco est Loki, son corbeau. Le bel oiseau noir imite son cousin, sautille sur son perchoir et croasse. Il lui faut quelques essaies mais rapidement, il chantonne lui aussi le « méchante » sur le même rythme.
Cette fois, Julia éclate de rire, et après des jours de silence total, c’est un soulagement pour elle. Shani abandonne sa brosse et vient lui prendre le perroquet. Se faisant, elle pose une main sur l’avant-bras de la princesse et demande, dans un murmure, comment elle va.
- Comme une fleur privée de son soleil, souffle Julia tout bas.
Shani sert un instant son bras, compréhensive, mais avant qu’elle ne puisse parler encore, le sifflement de la canne se fait entendre. Cette fois, elle ne touche personne, mais le bruit sur la porte effraye tous les animaux et font sursauter les deux femmes.
Immédiatement, ses chiens perdent leurs allures joueuses et s'installent entre la menace est elle, grondent de colère, les babines relevées sur leurs crocs luisant.
La mère supérieure a un cri pathétique dans son dos.
Avec un soupir, Julia se détourne et trouve, accroché au cadre de porte comme si elle avait trébucher (certainement en reculant de peur à cause des chiens) la nonne, qui la regarde, le regard mauvais.
- Quand le roi t’ordonnera de prononcer tes vœux, je lui demanderais de faire taire tous ses oiseaux de malheur définitivement ! Et la peau de ceuux-là ! Ajoute-t-elle en désignant les chiens de sa canne.
Julia lève les yeux au ciel, siffle pour faire reculer ses chiens puis sort de la pièce, contournant la vieille femme qui la suit alors que Shani s’empresse de fermer la porte derrière elles, atténuant le bruyant remue-ménage qui est maintenant dans la ménagerie.
- La plupart sont des cadeaux de mon époux, répond-t-elle en entrant dans la chambre.
- Silence !
La canne siffle à nouveau, mais Julia avait anticipé le coup et s’échappe. Au lieu de retourner au prie-Dieu, elle va prendre son luth rapidement et commence à jouer. C’est son instrument préféré et sa robuste silhouette lui est familière, lui donnant la force de poursuivre la petite rébellion commencée par Paco.
- Pose ça ! Pas de musique ! Tu ne dois que prier.
Au lieu d’écouter, esquivant encore la canne, Julia lance les premiers accords d’une chanson de Jaskier, qu’elle sait être populaire dans les tavernes. Ses doigts lui font mal des coups de canne mais cela ne fait que lui donner plus d’énergie.
- Mon époux aime ma musique !
Bien entendu, la nonne ne comprend pas toute la profondeur de sa revendication, mais le cœur de Julia s’enflamme alors qu’elle joue plus fort, chante plus fort, et pour elle qui a été obligée de se taire, même si ce n’était que quelques jours, c’est un soulagement intense.
La mère supérieure essaye de la frapper encore, de lui prendre l’instrument, mais Julia déborde d’énergie nerveuse, qui s’est accumulée pendant tout ce temps passer sur le prie-Dieu, et esquive à chaque fois, audacieuse comme jamais.
Elle est veuve ! Les Dieux l’ont entendu, l’ont débarrassé de Radowid ! C’est quelque chose qu’elle doit fêter, et qu’importe la punition qui viendra ensuite ! Elle est libre, même si ce n’est que pour quelques minutes, elle est libre ! Et elle veut en profiter.
Julia se perd dans la musique, qui la porte malgré qu’elle soit affamée. Les chansons s’enchainent sans pause, sans qu’elle ne remarque le départ de la mère supérieure. Ses doigts brûlent, sa gorge aussi, et elle pleure de soulagement mais ne s’arrête pas. Pour qu’elle se taise enfin, il faudrait…
Il faudrait un roi. Et c’est un roi qui l’interrompt, bien évidement. Vizimir se présente, suivit par la mère supérieure, qui la regarde d’un œil mauvais, le visage tordu par une grimace de satisfaction, persuadée que la punition sera terrible.
Julia aussi, quand elle reconnait enfin l’homme. De stupeur, elle en lâche le luth. Elle devrait s’agenouiller, demander pardon, mais comme une biche devant un chasseur, elle n’ose plus bouger, son cœur au bord des lèvres, essoufflée par son chant et sa peur.
- Ho, ma sœur, fait-il, faussement sympathique en s’approchant.
L’homme tend une main pour lui caresser la joue, comme pour vérifier que les larmes qui les perlent soient bien cela. C’est sans doute ce qui sauve Julia. La colère du roi s’apaise sur son visage mais la menace reste là. Il ressemble tellement à son frère… Julia regrette son comportement stupide.
- Ma chère sœur, répète Vizimir. Toujours à parler, toujours à chanter… C’est ce que mon frère aimait chez toi…
Julia voudrait parler, se justifier, négocier avec le roi ce deuil trop strict qui lui est imposé mais quand elle ouvre la bouche, il fronce les sourcils et son regard sévère suffit à la faire taire.
- Il a tant fait pour toi, murmure-t-il, pour faire de toi une princesse digne de lui… Tu porteras le deuil ainsi que je l’exige, tu lui dois bien cela, d’accord ?
La poigne sur son menton se resserre alors que de l’autre main, il lui saisit douloureusement les cheveux, tirant sa tête en arrière dans une position peu naturelle et douloureuse. Julia gémit mais se mord la langue pour retenir ses mots.
- Si je dois t’expliquer cela une troisième fois, menace-t-il, la pire punition de Radowid te semblera douce en comparaison, est-ce clair ?
Il la lâche et Julia s’effondre, endolorie bien que la partie la plus pragmatique de sa personne sache que c’est un avertissement bien doux par rapport à d’autres. Elle reprend son souffle, les yeux fixés sur les chaussures finement ouvragées du roi et décide de rester à genoux, cédant à son exigence mais incapable de le faire savoir autrement.
Finalement, Vizimir se penche, ramasse le luth et soupèse l’objet un instant. Julia sait ce qui va se passer, elle connait assez bien la nature sombre de son cœur, et c’est cette connaissance qui lui permet de retenir son cri quand finalement, il fracasse l’instrument sur le sol, devant elle. Puis il s’en va sans un autre mot, il n’en a pas besoin.
- Quand tu rejoindras le couvent, fait la nonne d’un ton satisfait, j’exigerais que tu fasses vœux de silence.
A partir de là, Julia ne dit plus rien. Elle reste dans ses chambres, à pleurer son époux, les lèvres closent pour que ses prières soient mieux entendues. Il n’y a que la nonne avec elle, ni ses dames de compagnies, ni ses femmes de chambres, pas même ses animaux. Elle est privée de tout contact avec le monde.
Il n’y a que pour l’enterrement qu’elle a le droit de sortir, et toujours dans cette fichue robe noire, avec un voile sur le visage. Elle aime que le tissu cache son visage parce qu’aussi bonne actrice qu’elle puisse être, elle n’est pas certaine de pouvoir cacher la joie dans son regard lorsqu’on lui présente la dépouille de Radowid. Le roi lui propose de ne pas regarder, de crainte que l’image soit trop dure pour elle, mais Julia s’y oblige, faisant passer son besoin de certitude pour une attitude noble et courageuse.
C’est bien Radowid, immobile, pâle. Mort. Elle a un cri, qu’elle étouffe d’une main. Heureusement, on prend cela pour du choc et du désespoir et c’est le roi lui-même qui lui prend le coude pour la conduire jusqu’à sa place, à côté de lui, pour la cérémonie. Heureusement, l’homme se détourne pour aller voir son frère, laissant à Julia le temps de se reprendre : elle doit impérativement cacher sa joie.
Dans la foule qui défile lentement pour porter hommage au prince décédé et offrir leur condoléance au roi et à la veuve, il y a Essi Daven, une fille de riche marchand aujourd’hui barde, devenue amie avec Shani à Oxenfurt, et la sienne par la force des choses. En la voyant, le manque de contact humain devient douloureusement présent.
Essi la salue respectueusement et dans l’inclinaison de sa tête, la princesse comprend que les choses sont prises en charge sans elle, que la guerre et le deuil obligatoire n’ont pas paralysé son réseau. Essi, son garde Éric et Shani sont les camarades les plus fiable du Bécasseau.
Après la -longue- cérémonie, au lieu d’être raccompagnée dans sa chambre, on l’informe que le roi la demande, alors elle se laisse conduire dans le bureau de Vizimir, l’ombre de la mère supérieure toujours sur ses pas. Arrivée à destination, elle s’incline encore en le voyant, se mordant la langue pour ne pas parler, le souvenir de son avertissement brulant dans sa mémoire.
- Ma sœur, l’accueille le roi avec sympathie, lui prenant les mains et la conduisant à un siège, devant son bureau.
Ils ne sont pas seul dans la pièce. En plus de la nonne, dans un coin, silencieux et observateur, se tient Dijkstra, le chef des services secrets du roi. Julia sait qui il est, elle qui a passé son temps à l’espionner tout en évitant d’attirer son attention, aussi bien en tant que Jaskier qu’en tant que Bécasseau.
- Je sais que le moment est mal choisi mais en ces heures sombres, il n’y a pas de bon moment.
Le roi est dramatique, comme un acteur sur scène qui a la fiole de poison à la main et qui s’apprête à la boire. C’en est presque ridicule, ou du moins, Julia ne trouve en elle aucune empathie. Elle est peut-être coupée du monde par sa faute, elle sait que la guerre n’allait pas bien avant la mort de Radowid, elle doute que les choses aillent mieux depuis. Et effectivement, le roi confirme ce qu’elle pense :
- Nous allons signer la paix avec ces barbares, annonce le roi, et tu épouseras le Loup Blanc dans trois jours.
La surprise la rend muette, ce qui est une bonne chose sinon, elle aurait commenté cette décision, murmurant nerveusement à l’idée de cette étrange union. Pendant ses longues heures esseulées, elle a réfléchi tout son soule à son avenir, avec plus ou moins de pessimisme. Elle est princesse et elle est jeune, il y a peu de chance pour qu’elle puisse rester tranquille, encore moins qu’on la renvoie dans son doux Lettenhove.
Non, en vérité, il n’y a que deux options possibles : prendre le voile définitivement, devenir une sœur de Melitele et finir ses jours humblement, ce qui lui permettrait, dans une moindre mesure, de laisser Jaskier et le Bécasseau agirent, peut-être avec moins d’influence mais toujours avec efficacité, et ce, malgré les promesses de la mère supérieure de faire de sa vie un enfer.
L’autre option est bien entendu le mariage, et c’est l’option la moins désirée. Après Radowid, elle ne souhaite partager sa couche avec personne. Mais avec sa chance, elle supposait que ce soit ce qui l’attend, et certainement avec un vieux duc ou quelque chose du genre. Certainement pas un jeune chevalier avenant… Pas en secondes noces.
Mais le seigneur de guerre ? Le Loup Blanc ? Un sorceleur ? Même s’il est empereur en son pays, même s’il est à la tête de l’armée la plus puissante du continent, il reste dans l’inconscient collectif un barbare, un monstre indigne d’une femme et surtout d’une noble !
- Malgré les terribles circonstances, intervient Dijkstra en faisant un pas vers elle, cette union est une chance inespérée pour nous. Aucun de mes espions n’a réussi à pénétrer la forteresse de ce barbare, explique-t-il d’un ton contrit.
On dit des sorceleurs qu’ils ne sont pas humains, qu’ils ne l’ont même jamais été. On raconte qu’ils sont le fruit d’union impie entre vierges sacrifiées et monstres hideux. Parait-il qu’ils pillent, tuent et violent, qu’avant d’envahir Kaedwen, ils parcourraient le monde, lâchaient un fléau sur un pauvre village isolé avant de se présenter en sauveur pour escroquer les bonnes gens.
- Toi en revanche, ma sœur, en devenant son épouse, tu seras au plus proche…
Julia pense que toutes ses croyances et racontars sont fausses. Elle a passée de nombreuses heures dans la bibliothèque et si les livres sur les sorceleurs ne sont pas nombreux, ils n’en sont pas moins existants et les quelques lignes qu’elle a pu lire sur eux confirment le coté chasseurs de monstre. Ils seraient des individus créer pour cela, pour protéger le monde des forces obscures nées de la conjonction des sphères.
Puis, même si cela fait partie de ses quelques secrets les mieux gardés, elle a rencontré un sorceleur. Et pas n’importe lequel. Le Loup Blanc est facilement reconnaissable et même s’il était blessé et affaiblie, il n’en était pas moins dangereux. Elle se souvient encore de la force avec laquelle il lui a saisi le bras. Et pour autant, elle ne s’était jamais sentie en danger.
- Pourquoi moi ? Ne peux s’empêcher de demander Julia.
Immédiatement, elle porte ses mains à sa bouche, comme pour faire revenir ses mots à l’intérieur mais il est trop tard et un instant, elle craint la réaction de Vizimir. Néanmoins, le roi se montre étrangement conciliant, et lui prend une main pour la tapoter doucement.
- Je sais, je sais. Soupire-t-il, certain qu’ils partagent tous les deux la même douleur. Il a tué ton époux… Dire que je dois signer un traiter avec ce monstre… C’est justement à cause de cela, ma sœur. En tuant mon frère, cette bête gagne tout ce qui lui appartient.
Julia referme la bouche, sert même les dents, désespérément en colère d’être ainsi considérée comme une possession. Mais ce n’est rien de nouveau pour elle, et elle ne souhaite pas tenter sa chance en parlant encore. De toute façon, il y a bien longtemps qu’elle a compris sa place et qu’elle sait qu’elle n’a rien à dire.
- Bien, se réjouit Vizimir en la voyant baisser la tête, prenant cela comme un accord (inutile), s’est réglé.
Le roi lâche sa main, et Julia sait qu’elle est congédiée. La mort dans l’âme, elle retourne à sa cellule, l’esprit obnubilé par l’idée farfelue de son prochain remariage, le cœur bercé entre crainte et espoir. Après tout, elle connait les rumeurs et les histoires tantôt horribles, tantôt chevaleresque, qui courent sur les sorceleurs et le Loup Blanc.
- Supplie-moi et je te laisserais rejoindre mon couvent, susurre la mère supérieure une fois qu’elles sont dans la chambre.
Julia, qui enlève son voile maintenant qu’elle est dans ses appartements, se fige et la regarde une seconde. La vieille femme boue littéralement de satisfaction, son regard brille, ses lèvres sont tordues d’un sourire mauvais. Un instant, Julia se demande comment une si méchante femme a pu devenir la responsable du plus grand couvent de Tretogor.
- Bien sûr, tu feras vœux de silence. Ajoute-t-elle, persuader d’avoir en face d’elle une petite princesse désespérée d’échapper au loup.
Les histoires qui courent sur les sorceleurs sont effrayante. Si Julia n’était pas elle-même, si elle n’était qu’une petite princesse précieuse et protégée de tout, elle serait sans doute terrorisée à l’idée d’une telle union.
Mais Julia n’est pas une petite princesse précieuse, pas seulement. Elle est Jaskier, elle aide des elfes, des nains, des résistants, des innocents à rejoindre les terres du Seigneur de Guerre, depuis des années maintenant, d’abord avec son père, puis en tant que Bécasseau, ici, au palais. Et le Seigneur de Guerre les accueille et leur offre une meilleure vie. Un homme qui fait cela ne peut pas être mauvais, n’est-ce pas ?
- Je préfère tenter ma chance avec le seigneur de guerre. Répond finalement Julia, le cœur ravi par la mine déconfite de la vieille femme.
Une réaction qui justifie amplement les coups de cannes qu’elle reçoit sur les mains pour avoir parlée.
A suivre...
Notes:
J'espère que ça vous plait toujours, n'hésitez pas à donner votre avis !
Prochain chapitre : le mariage et la nuit de noce, enfin.
Bonne semaine !
A+
BD
Chapter 4: Les mariés étaient en noir, mais ce n’est pas ce qui posa problème
Notes:
Hello tout le monde,
Finalement, je pense avoir assez d'avance (et pas assez de patience) pour me permettre de publier une fois par semaine.
En revanche, je m'accorde le droit de ralentir ce rythme de publication si je juge cela nécessaire.Sur ce, bonne lecture,
Warning : voyeurisme.
A+
BD
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Frustration.
Si on lui demandait, c’est sans doute le premier mot à lui venir à l’esprit pour décrire son mariage. Vizimir, de tous les traits désagréables qu’il arbore, s’avère être une grenouille de bénitier et attend de son entourage la même dévotion, et quelle clémence que le Loup Blanc ait accepté de se plier à toutes ses fioritures inutiles ! La cérémonie interminable sur le parvis du temple a laissé place à une autre cérémonie tout aussi longue et ennuyeuse dans le temple puis à un banquet tout ce qu’il y a de plus guindé et inconfortable.
Le tout est tinté d’une migraine effroyable, qui pulse derrière ses yeux. Geralt sert les dents, essaye de ne pas sentir les parfums forts de son épouse mais c’est difficile quand la jeune femme doit rester à moins de cinquante centimètres de lui, comme une ombre silencieuse.
Complètement silencieuse. On a pris le temps de lui expliquer que temps que le deuil ne sera pas rompu, elle n’aura pas le droit de parler, ni même de se montrer, parce que la blague c’est que sous son voile de dentelle, il y a un autre voile, moins épais, qui laisse deviner des yeux bleus et des cheveux bruns, un visage bien fait et des traits fins.
La partie la plus primaire de sa personne est soulagée : au moins, son épouse semble être une belle personne. Si ça n’avait pas été le cas, il aurait su faire avec, mais cela aurait été moins agréable. S’il ne s’agit que d’un mariage de convenance, il est néanmoins satisfait de cela.
Son épouse reste à ses côtés, calme et silencieuse. Il y a trop de parfum pour qu’il puisse deviner ses sentiments. Au moins, elle ne pleure ni ne tremble. C’est déjà ça. Mieux, Geralt remarque au cours du dîner sa main cachée sous la table, qui remue en rythme avec la musique. C'est un bon signe, non ?
Comme elle est en deuil, elle n’a pas le droit de danser, contrairement au reste de la noblesse qui s’exécute devant eux. C’est sans doute la seule chose bien dans toutes ses traditions : Geralt sait danser, mais il est bien heureux de ne pas avoir à le faire.
Quand le repas arrive, il est bien évidement somptueux : des viandes en sauces, en croutes ou à la broche, sauvages comme des sangliers ou des faisans, ou d’élevage, comme des moutons ou du bœuf. Et il y a des légumes, crus ou cuit, des pains de toutes sortes, des lentilles, du riz… Et du vin, rouge ou blanc, de l’hydromel et de la bière.
Et bien entendu, il y a aussi plus de sorte de gâteaux, de tartes et de chocolat que les sorceleurs n’en ont jamais vu. Des immenses de plusieurs étages aux tous petits, qui se dévorent en une bouchée. Des biscuits secs et d’autres, dégoulinant de crème.
C’est décadent de choix et de quantité. Et c’est d’autant plus énervant pour Geralt que sa chère épouse n’a le droit qu’à un bouillon et morceau pain. C’est aberrant pour lui mais une fois encore, on lui parle de traditions et de deuil et franchement, si cela peut permettre à la princesse de parler et de manger correctement, il est bien heureux que le mariage ait été célébré aussi rapidement.
Peut-être est-elle une petite fille habituée à avoir tout ce qu’elle veut depuis la naissance, peut-être est-elle une précieuse petite chose, fragile et délicate qui va s’évanouir de terreur quand viendra le temps de la nuit de noce, peut-être est-elle une espionne à la solde de Vizimir, Geralt à trop d’empathie pour ignorer la situation.
Il attend que la fête soit bien avancée, quand l’alcool a suffisamment coulé pour qu’on ne leurs prête plus vraiment attention, pour agir. Si elle n’a pas le droit de parler, ce n’est pas son cas alors il lui prend une main doucement, se penche vers elle et lui murmure à l’oreille :
- Sers ma main si tu veux quelque chose.
A travers son voile, Geralt ne voit pas grand-chose, mais il devine la surprise puis un sourire. Ça lui donne confiance alors il poursuit et propose tout ce qui est à sa portée. Le choix de la jeune femme est judicieux, un beignet qu’elle peut cacher sous la table et qu’elle dévore aussi discrètement que possible, sous le regard amusé du sorceleur.
Elle ne peut pas répondre et il y a toujours ce fichu voile mais il semble à Geralt qu’elle lui sourit et que cela parait charmant. S’il peut bien s’entendre avec celle qui est désormais sa reine, c’est une bonne chose, non ?
Le moment est interrompu par l’arrivé du prêtre qui a célébré la cérémonie, et qui doit assister à la nuit de noce. C’est un homme qui sans être âgé, n’en est pas jeune non plus, bedonnant et transpirant dans ses toges de religieux, le visage luisant d’alcool et de satisfaction.
- Vos Altesses, les salue-t-il avec un mouvement de tête polis. Il est temps.
A ses mots, toute joie que Geralt a pu imaginer chez son épouse s’évapore et elle lui lâche la main, soudain tendue. Lui n’est pas en reste, peu désireux de ce qui doit se passer dans les prochaines minutes. Son regard croise celui d’Eskel, qui doit le soutenir dans cette épreuve, et son frère comprend, pose sa coupe et les rejoint.
- Mon enfant, poursuit le prêtre en s’adressant à la princesse, suis-moi. Altesse, fait l’homme en s’adressant à Geralt, un serviteur va vous conduire dans vos chambres dans quelques minutes, je dois avoir un temps seul avec votre épouse, pour rompre son deuil, vous comprenez.
Il y a des rires, des cris et de la musique pourtant Geralt entend clairement le battement de cœur de son épouse accélérer. Néanmoins, conciliante, la jeune femme se lève, se tourne vers lui avec une révérence, puis contourne la table pour suivre le prêtre, sous le regard méfiant du sorceleur.
- Un problème ? demande Eskel en venant se placer ses côtés.
- Peut-être. Viens.
Bien entendu, il ne la connait pas, et peut-être s’imagine-t-il des choses, il ne connait rien aux coutumes rédaniennes et il méprise tellement cette fange de la population, mais pourtant, son instinct de chasseur de monstre le titille, il est certain que quelque chose ne va pas.
- Toi, ordonne Geralt au premier serviteur qu’il croise hors de la salle de banquet, conduit-moi à ma chambre.
Le jeune homme sursaute, puant de peur, mais accepte avec une révérence qui fait soupirer Geralt de désespoir : il a tellement hâte de retourner à Kaer Morhen pour ne plus être traité avec une telle déférence pompeuse et hypocrite !
Il ne leur faut que quelques minutes pour rejoindre l’aile qui leur est allouée. Jusqu’à présent, l’ensemble des sorceleurs et lui-même sont restés dans l’aile des invités, mais pour cette nuit spéciale, le roi leur a donné une suite dans une autre partie du palais.
Le serviteur les abandonne à l’entrée d’un salon surchargé de décoration mais aucun des deux sorceleurs ne s’y attarde, attiré par une porte plus loin derrière laquelle ils entendent la voix du prêtre. Qui ne prie pas, contrairement à ce qu’il avait dit.
- … changé depuis la dernière fois. Laisse-moi te voir. Hum. Le prince Radowid a été si doux pour toi. Je me souviens de cette nuit encore souvent. Ma pauvre enfant, tu vas devoir te donner à cette bête…
Il n’y a pas de piété dans ses paroles, pas même le mépris habituel que les sorceleurs rencontre. La voix de l’homme est chevrotante, ils l’entendent déglutir et respirer fort. Comme s’il avait couru ou qu’il était… excité. Geralt et Eskel échangent un regard dégouté.
- Cette nuit accompagnera mes heures solitaires longtemps…
S’en est trop pour Geralt qui ouvre la porte d’un coup sec et entre, Eskel sur ses talons. La fureur le prend lorsqu’il voit son épouse, enfin délivrée de son voile mais aussi dépouillée de sa robe, vêtu seulement de son corset sous lequel une mince chemise la protège. La pauvre femme se tiens debout, tremblante, la tête basse, les joues rouges de honte.
Le prêtre lui est assis dans un fauteuil, à un mètre à peine d’elle, vautré comme s’il était un prince, l’odeur de son excitation se répandant dans toute la pièce. En voyant les sorceleurs arriver, il devient rouge de colère, et il est évident qu’il va crier, mais avant qu’il ne puisse réagir, Eskel intervient :
- Que fais-tu ? Demande le sorceleur, une main posée sur la dague qu’il porte à sa ceinture comme une menace suffisante.
Le rouge de la colère laisse place à celui de la gêne. Le prêtre se décompose un instant, ne trouvant à priori pas de réponse adéquate :
- Le… le rituel… bafouille l’homme, puant la peur et le mensonge. Pour r… rompre… le… le… le d..
- Nous sentons que tu mens, humain. Ce que tu fais n’a rien à voir avec n’importe quel rituel, interromps Eskel, agacé. Le prêtre veut clairement protester, alors le sorceleur rajoute : Maintenant, calme-toi et ne dit rien, ordonne-t-il en formant le signe d’Axii.
Geralt le laisse s’occuper de lui, son attention focalisée sur son épouse. Elle a sursauté à leur arrivé, et tente de conserver un minimum de pudeur, ses mains croisées sur sa poitrine. Dépourvue de chaussure, elle est plus petite qu’il ne le pensait. Visiblement plus jeune aussi.
- Quel âge as-tu ? Demande-t-il en détaillant son visage délicat sur lequel s’attardent quelques rondeurs de l’enfance.
Contrairement à ce qu’il pensait, ses cheveux ne sont pas bruns mais d’un blond mielleux riche et brillant. Ils pendent en grosses boucles épaisses jusqu’à ses cuisses. En revanche, elle a bien des yeux bleus, autant qu’un ciel d’été. Ça le fait froncer les sourcils et il se demande un instant si… Mais non, c’est impossible que ce soit elle. Pas une princesse, pas l’épouse du frère du roi, et pas si jeune.
Elle ouvre la bouche mais hésite à répondre, son regard allant de Geralt au prêtre, toujours maintenu calme par la magie d’Eskel. Finalement, elle bégaie, impressionnée ou plus probablement effrayée.
- Sei… Seize ans, mon seigneur.
Sa voix est douce, charmante malgré la peur qui la teinte.
- C’est une blague ? s’étouffe Geralt en se tournant vers Eskel.
Son frère partage sa surprise. Personne ne s’attendait à ce qu’elle soit si jeune ! On leur avait parlé de la princesse Julia comme d’une veuve, ils s’attendaient tous à une jeune femme, probablement proche de la trentaine pas… pas à une enfant !
- Non mon seigneur, répond-t-elle d’une voix plus ferme.
- Tu es bien la veuve de Radowid ?
Elle confirme d’un signe de tête et Geralt se frotte les yeux. Il savait la noblesse tordue, mais à ce point ? Radowid était un homme sur la pente déclinante de sa vie. Geralt suppose qu’elle n’était son épouse que depuis peu et qu’avec la guerre, elle n’a pas du souvent partager sa couche. Si son âge était un frein à ce qu’il la touche, cette supposition ne fait que renforcer sa volonté de ne pas consommer ce mariage.
- Je ne peux pas, annonce Geralt en se détournant.
Il est retenu par la princesse Julia, qui lui saisit le bras et s’accroche à lui. Quand il baisse les yeux sur elle, il croise son regard, voit son visage désespéré alors qu’elle le supplie :
- Pitié, mon seigneur. L’union doit être valide sinon…
Même sans ses vêtements, elle sent toujours les essences fortes et entêtantes, qui se mêlent à l’odeur de peur qu’elle dégage maintenant. Le cocktail est désagréable, intensifie la migraine du sorceleur et lui donne même la nausée.
- Je me moque de Vizimir et de ce qu’il veut. Grogne Geralt en la repoussant doucement.
Quand il prend sa main pour la faire lâcher prise, il voit ses doigts striés de nombreuses lignes rouges et boursouflées, certainement douloureuses à en croire la grimace de la jeune fille quand il les touche par mégarde.
- Pour me faire garder le silence, explique-t-elle en baissant les yeux, honteuse. Mais ça ne dure pas et elle insiste avec énergie, aux bords des larmes : pitié, il m’enverra au couvent, je devrais faire vœu de silence…
Geralt se fige, hésite. Il s’était dit que s’il le pouvait, il lui laisserait le choix, sans croire une seconde que son choix serait pour lui. Avec toutes les histoires qu’elle doit croire, avec le veuvage qu’il lui a imposé, elle devrait forcément préférer une vie au service des Dieux, non ?
- Je suis le Loup Blanc, annonce-t-il en se faisant le plus grand et le plus impressionnant possible. Un sorceleur. Un chasseur de monstre. Un mutant. J’ai décapité des rois et des princes (elle a un frisson au rappel peu subtil de son précédent mari). J’ai conquis le nord du continent et imposé ma loi à ton pays. Je suis à la tête d’un empire que d’aucun qualifierait de barbare. Je vis dans une forteresse glacée, perdue dans les montagnes. La vie y est rude, il n’y a pas de bal ou de théâtre là-bas. Es-tu certaine que ce soit ce que tu veux ?
La princesse et lui se fixent du regard quand il termine sa tirade. Geralt est presque essoufflé par ses mots, lui qui parle peu. Si son intervention pour interrompre le prêtre ne l’avait pas déjà fait, il est certain d’avoir ruiné ce mariage farfelu. Elle va lui dire non, qu’elle préfère le couvent à la vie avec des sorceleurs, et il ne pourrait pas le lui reprocher mais, alors qu’il s’attend à ce qu’elle se rétracte, la princesse se redresse elle-même, la détermination fige son jeune visage et elle répond, d’une voix ferme :
- Oui, c’est ce que je veux.
Choqué, Geralt met quelques secondes à réagir puis finalement, il accepte d’un signe de la tête, la fixant toujours du regard. Néanmoins, il ne peut se résoudre à coucher avec une femme aussi jeune alors, il demande l’aide de son frère.
- Eskel !
Il n’a pas besoin d’en dire plus, le sorceleur comprend et Geralt sent son médaillon réagir à la magie de son frère quand il renforce son sort et ordonne :
- Tu vas oublier tout ce qui s’est dit depuis notre arriver et diras que le mariage est consommé et que l’union est valide.
- Le mariage est consommé, répète bêtement le prêtre.
- Va-t’en maintenant.
Eskel relâche un instant son sort, alors que le regard du vieil homme se trouble et qu’il se relève pour obéir. Mais il ne remet pas en question l’ordre et prend le chemin de la sortie. Sur le pas de la porte, Eskel le rappelle alors que le poids d’Axii se renforce à nouveau.
- Tu ne te toucheras plus jamais en pensant à la princesse Julia ou à toute autre femme qui ont dû ou devront se donner sous tes yeux. Est-ce claire ?
- Très clair.
Il passe la porte et s’en va enfin. Eskel échange un regard entendu avec Geralt, ce n’est pas parce que le mariage ne sera pas vraiment consommé, qu’il peut laisser son épouse seule, et emboite le pas au prêtre, refermant la porte derrière lui avec un « vive les mariés » moqueur.
- Que… que s’est-il passé ? murmure la princesse d’une petite voix.
- Axii, répond simplement Geralt, peut désireux de donner des détails.
- Est-ce de la magie ? Pouvez-vous le faire vous aussi ou juste votre commandant ? Les ordres sont-ils définitifs ou vont-ils finir par se dissiper ? Devons-nous nous inquiéter de cela ? Cela fonctionne-t-il sur tout le monde ? Sur moi ? Si mes agissements ne vous conviennent pas, allez-vous…
- Julia, stop ! L’arrête le sorceleur, comprenant pourquoi elle était effrayée par un vœu de silence. Est-elle toujours si bavarde ? Je peux le faire, oui, mais je ne le ferais pas. Ce n’est pas moral…
- Mais vous l’avez fait sur le prêtre, le coupe-t-elle.
- Hum... Un instant, il ne sait pas comment se justifier, mais finalement, il demande : ne le méritait-il pas ?
La princesse Julia a de jolie lèvres roses, qu’elle mordille comme pour se retenir de répondre. Dans ses yeux bleus, il devine un millier d’autres questions, mais finalement, elle semble se résigner, et change de sujet :
- Nous ne… Vous n’allez pas…
Elle est hésitante, presque méfiante, comme si elle s’attendait à ce qu’il lui saute dessus à tout moment. Il ne peut pas lui en vouloir, c’est ce qu’ils sont censés faire en théorie.
- Non. Gronde Geralt, à présent à court de mot.
Mais ça semble suffire à la princesse qui expire, soulagée. Si Geralt n’était pas lui-même, avec une confiance en lui au ras des pâquerettes, il pourrait s’en vexer. Néanmoins, quelque chose doit se voir sur son visage car la princesse se reprend immédiatement :
- Pardonnez-moi, mon seigneur, dit-elle en faisant un pas vers lui, je ne voulais pas vous offenser. Nous ne nous connaissons pas encore. Je suis soulagée que notre union physique soit… repoussée jusque-là ?
La question sous-entendue est particulièrement claire. Il y a trop de rumeurs fausses et horribles pour qu’il la lui reproche, et c’est une chose contre laquelle ils devraient peut-être faire quelque chose, surtout si son empire doit perdurer.
- Je n’ai pas l’intention de te toucher sans ton accord. Répond Geralt en s’éloignant d’un pas. Ni avant quelques années.
La princesse fronce les sourcils, incline la tête, plus curieuse qu’effrayée. En vérité, maintenant qu’il y réfléchit, il n’y a plus aucune crainte ni dans son attitude, ni dans son odeur. Juste les parfums artificiels qui rebutent le sorceleur.
- Je ne suis plus une enfant, mon seigneur, dit-elle.
Elle fait encore un pas et Geralt s’éloigne. Quelque chose comme du doute brouille son regard clair et elle murmure, la tête et les épaules basses.
- Si je ne suis pas à votre gout, je m’en excuse.
- Ce n’est pas ça, contre immédiatement Geralt, ressentant le besoin de la rassurer. Nous, les sorceleurs, avons des sens plus… sensibles et tu portes des parfums qui m’écœure.
- Oh ? Elle recule immédiatement, au grand soulagement de Geralt. Je comprends… Ils… c’est le choix de sa majesté.
Geralt grince des dents mais n’est pas étonné plus que ça. Pour le peu qu’il a côtoyé Vizimir, l’homme semble bien être assez puérile pour ça et tant qu’ils seront en terre rédanienne, il ne peut rien lui dire. En revanche, ce genre d’essence ne sera pas bien toléré à Kaer Morhen.
- Je n’en porte généralement pas, poursuit la princesse, et si cela vous incommode, je n’en porterais plus du tout.
La princesse hésite un instant, regardant la chambre autour d’elle, puis s’excuse encore.
- Malheureusement, nous allons devoir passer la nuit ensemble si…
- Va te coucher, coupe Geralt, je te rejoindrais dans le lit avant le lever du soleil, et personne n’en saura rien.
- Mais… où allez-vous dormir, mon seigneur ?
- Ne t’en inquiète pas.
Elle ne semble pas convaincue, mais au moins se dirige-t-elle vers le lit. Néanmoins, elle s’arrête juste devant et tourne la tête vers son époux. Geralt pense qu’elle va protester encore mais la jeune fille hésite un instant avant de glisser une main dans ses cheveux, les ramenant tous au-dessus de son épaule.
- Pouvez-vous… Pouvez-vous le défaire, s’il vous plait ?
Pendant une seconde, Geralt ne comprend pas de quoi elle parle. Elle lui tourne le dos, et le regarde du coin de l’œil. Ses bras sont repliés contre son ventre, sa nuque dévoilée par son geste mais elle n’est pas séductrice, bien qu’elle soit séduisante, admet le sorceleur.
- Le corset, s’il vous plait. Pouvez-vous le défaire ?
Oh ! Oui, bien évidement. S’ils veulent faire croire que le mariage est consommé, elle doit être dépouillée de cet objet en particulier. C’est un bel ouvrage, tout en dentelle et en soie raffinée, mais les lanières sont particulièrement serrées et quand enfin, il les délasse, il l’entend inspirer profondément.
- Lorsque nous seront à Kaer Morhen, grogne-t-il, soit à l’aise comme tu le souhaite.
Elle lève les yeux vers lui, lui tournant toujours le dos, les mains serrées contre sa poitrine pour retenir le corset. Maintenant qu’il est défait, la chemise en dessous glisse, dévoilant une épaule et sa peau, d’un blanc crémeux et lisse. Dommage qu’elle soit si jeune, songe Geralt.
Sa faim soudaine doit se voir dans son regard car la jeune princesse rougie, se mord la lèvre avant de s’écarter, s’échappant de l’autre côté du lit. Geralt lui-même se reprend, chasse toute pensée libidineuse de son esprit et se détourne, gagne un coin de la chambre, celui qui lui permet de voir la porte d’entrée, le lit et les fenêtres, s’apprêtant à méditer le reste de la nuit.
Ils ne parlent plus jusqu’au matin.
A suivre...
Notes:
J'espère que ce chapitre vous aura plu et surtout, que la vraie rencontre entre Geralt et Julia ne vous aura pas déçue.
Je vous dis à la semaine prochaine pour un chapitre à nouveau illustré par l'IA.
Bonne semaine,
A+
BD
Chapter 5: Elle doit être un peu sorcière quand même, non ?
Notes:
Hello tout le monde,
j'espère que ça va pour vous.
J'espère surtout que le chapitre à venir va vous plaire, pas trop d'actions, mais beaucoup d'info ^^ et vous allez comprendre pourquoi je parle de Jaskier comme d'une princesse Disney^^
Il est illustré par IA encore une fois,
Bonne lecture,
BD
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Eskel se présente devant les appartements de la princesse Julia au milieu de la matinée. Maintenant que le mariage est effectivement officiel, l’armée des sorceleurs et leur chef n’attendent plus qu’une chose : rentrer chez eux.
Ils bouillonnent tous d’énergie nerveuse, fatigués par la guerre et le mépris des rédaniens. Et Eskel n’est pas en reste. De tout le conseil du Loup Blanc, il est le plus diplomate, et parle souvent au nom de Geralt. C’est valorisant mais terriblement épuisant. Il rêve de pouvoir se défouler à l’entrainement avant de trouver un repos bien mérité dans les sources chaudes de Kaer Morhen.
Mais ils ne partent pas les mains vides et, à cause de son deuil, la princesse n’a rien pu préparer de ce qu’elle souhaite emporter. De plus, elle a demandé expressément la présence d’un sorceleur afin de lui demander conseil. Geralt, le lâche, a convaincu son frère d’y aller pour lui, arguant qu’il pourrait en profiter pour lui présenter son escorte. Pour sa sécurité.
Coen le suit. Le griffon a accepté facilement de se charger de la surveillance de la nouvelle reine de Kaer Morhen, honoré que ce soit son école qui soit choisie. C’est un guerrier plus que compétent, à la silhouette plus fine que celle des loups, ou pire, des ourses, et qui sait se faire discret, presque oublié. Si ça n’avait pas été un griffon, ils auraient certainement choisi un chat, mais ils sont bien plus volubiles, sans doute trop pour cette mission.
Les deux sorceleurs sont introduit rapidement dans les appartements où plusieurs serviteurs s’activent. Il y a des malles et des coffres partout, qui se remplissent de choses aussi inutiles que de la vaisselle, des œuvres d’art ou des tissus… Ils auraient peut-être dû faire savoir à la princesse dès le début qu’elle ne pouvait pas tout prendre.
Gêné, il s’avance dans les pièces, Coen sur les talons, évitant les serviteurs qui, concentrer sur leurs tâches, ne font pas vraiment attention à eux. Dans la pièce qui est la chambre à proprement parlé, il entend des voix de femmes et des rires. C’est assez… inattendu. Silencieusement, il s’approche de la porte ouverte pour observer l’intérieur de la pièce et ses occupantes.
La première qu’il voit est une jeune femme blonde, les cheveux délicatement tressés pour dégager son front, portant des bijoux discrets et une robe jaune avec quelques notes de rouge. Elle est occupée à plier une robe de velours épaisse d’un bleu pétillant pour la ranger dans une malle ouverte devant elle.
La seconde est, à la surprise d’Eskel, une elfe, ou demi-elfe au moins. Ses oreilles pointues, qui dépassent de ses courts cheveux roux, ne laissent aucun doute quant à son origine. Elle est vêtue à la garçonne, d’un pourpoint vert et de braies brunes. Pas de bijoux pour elle, si ce n’est un collier d’argent, à ras-le-cou, orné de l’aigle rédanien. Une esclave, comprend le sorceleur en se renfrognant. Elle est occupée à remplir une autre malle de livres.
La troisième femme est évidement sa, hé bien, reine, vêtue d’une complexe robe d’un vert d’eau étincelant. Elle se tient sur son balcon, dont toutes les portes sont ouvertes, et maintenant qu’il la voit en plein jour, Eskel ne peut nier qu’elle est belle et délicate, comme une princesse de conte de fée. En plein soleil, elle semble irradier elle-même de lumière. Et de joie.
Elle a posé sur sa main un grand oiseau dont les plumes vont du rose intense au violet profond alors que sa tête à la couleur orange d’un soleil couchant, avec une crête et une longue queue impressionnante. Un perroquet reconnait le sorceleur, qu’elle caresse de son autre main, le félicitant tout en racontant l’histoire qui fait rire ses compagnes.
- Loki a appris un nouveau mot grâce à lui, n’est-ce pas, mon cher ?
Le perroquet siffle son accord et cela fait rire les trois femmes.
Eskel échange un regard avec Coen, déstabilisé par leur attitude frivole, surtout de la princesse. C’est une chose d’accepter un mariage avec un barbare pour éviter le couvent, c’en est une autre que de s’en réjouir. Eskel est presque hésitant à interrompre la bonne humeur des dames. Mais hélas, il n’a pas vraiment de temps à lui laisser, alors finalement, il frappe sur la porte laisser ouverte et entre.
Les trois femmes se taisent immédiatement, comme si la bulle de joie qui les entourait venait d’éclater mais avant qu’Eskel ne puisse trouver à s’excuser, le perroquet s’envole, et vient directement vers lui. Le sorceleur ne sait pas quoi faire, alors il ne fait rien quand l’animal se pose sur son épaule et se frotte à sa tête.
- Gentil, gentil, gentil ! chante-t-il, alternant entre danser sur son épaule et sautiller de joie.
Dans son dos, Coen pouffe, c’est trop discret pour les humains mais Eskel l’entend et se tourne vers lui. Néanmoins, avant qu’il ne puisse parler, le rire de la princesse se fait entendre, plus proche, puis sa voix amusée.
- Paco, laisse messire Eskel. Ordonne-t-elle.
- Eskel ! Eskel ! Eskel, gentil ! Gentil Eskel ! Beau Eskel, beau ! répète le perroquet sans bouger de son perchoir.
- Pardonnez-le, messire Eskel, soupire Julia, abandonnant vite l’idée de faire entendre raison à son oiseau.
S’il n’y avait les mutations, Eskel serait rouge d’embarras, lui qui est si peu habitué aux compliments. Il n’arrive pas à comprendre ce que l’animal peut voir en lui et pendant quelques instants, il le regarde, méfiant, comme si la bête allait soudainement l’attaquer. Mais Paco s’installe, se lovant contre sa tête, les yeux clos, heureux. Il ne savait pas qu’un perroquet pouvait sourire.
- Heu… Ce n’est rien, finit-il par dire, reportant son attention sur la princesse, altesse ?
Le mot est étrange, trop formel pour une enfant si ouvertement heureuse, et Eskel le goutte comme un mets nouveau dont il ne sait s’il apprécie ou pas. Elle a un sourire indulgent, avant de leurs proposer à boire ou à manger, ce que les sorceleurs déclinent poliment.
- Nous souhaiterions partir le plus tôt possible, altesse.
Julia accepte d’un signe de la tête puis fait un geste vers tout le désordre de ses appartements.
- Je devrais être prête à partir dans le milieu de l’après-midi, explique-t-elle. Néanmoins, j’aurais quelques courses à faire en ville avant le départ, explique-t-elle, et le roi Vizimir a demandé ma présence au Grand Temple à seize heure.
Pourquoi l’homme veut-il la voir ? Eskel garde un visage neutre, mais devient immédiatement méfiant envers la princesse. Elle doit cependant le remarquer car elle demande naïvement si cela pose un problème.
- Non, aucun, dément rapidement le bras droit du Loup Blanc. Voici Coen, de l’école du griffon, présente-t-il avec un geste vers le sorceleur qui s’avance, saluant la princesse d’un signe de la tête profond, une main sur le cœur. Il sera chargé de votre sécurité, altesse.
- Ma sécurité, répète-t-elle, sans joie.
Ses yeux brillent d’intelligence et Eskel sait qu’elle a parfaitement compris, mais au lieu de protester, son sourire revient, et elle détourne la conversation. Il se méfie davantage.
- Combien de personne de ma suite peuvent m’accompagner ? Demande-t-elle.
Ha. Ils n’en avaient pas parlé, n’y avait même pas pensé et si l’envi de répondre zéro lui pique les lèvres, Eskel sait qu’il ne peut pas. C’est une princesse, une reine voire une impératrice suivant le titre qu’on donne à Geralt, elle ne s’est sans doute jamais occupée d’elle seule et déjà qu’elle doit quitter tout son monde, et bien qu’il soit méfiant, il ne s’imagine pas lui imposer la solitude en plus de tout le reste.
- Une ? Propose-t-il, hésitant.
Il s’attend à ce qu’elle refuse et négocie plus mais Eskel a droit à un sourire lumineux et la princesse se tourne vers les deux autres dames, qui vaquent à leurs occupations malgré la présence des sorceleurs.
- C’est parfait, n’est-ce pas ?
L’elfe et elle partagent le même sourire ravie, et Eskel se sent dans l’obligation de ternir leur joie, son regard irrémédiablement attiré par le collier de l’elfe :
- Il n’y a pas d’esclave au Nord, et il n’y en aura plus en Rédanie, annonce-t-il, durement.
Une nouvelle fois, la joie des femmes se brise. Julia tique, les yeux plissés, se mord la lèvre puis répond, d’une voix pleine de jugement.
- Oui, j’ai entendu la lecture du traité hier matin.
- Alors vous devez savoir que vous ne pouvez forcer…
- J’y vais de mon plein gré ! S’exclame l’elfe en lâchant ses livres pour rejoindre sa maitresse, lui prenant une main tout en se mettant stratégiquement entre elle et les sorceleurs.
Paco se réveille et siffle, mécontent lui aussi, puis quitte d’un geste rapide l’épaule d’Eskel pour retourner sur celle de la princesse, qui l’accueille d’une caresse. Etrangement, le sorceleur trouve le vide sur son épaule inconfortable.
- Continue s’il te plait, demande doucement Julia en repoussant l’elfe. Nous n’avons pas de temps à perdre.
L’elfe grogne, a un regard mauvais pour Eskel, mais obtempère, retournant à ses livres.
- Comprenez bien ceci, comandant, reprend la princesse d’une voix plus forte à l’attention du sorceleur, je n’ai rien contre les idées du nord. Je n’aime simplement pas vos méthodes.
Sans laisser le temps à Eskel de répondre, elle enchaine, changeant encore une fois de sujet :
- Comment allons-nous voyager et combien de temps ? Quel temps fait-il dans le nord ? Que dois-je prévoir ? Quel sera le montant de ma casette ? Y aura-t-il une quelconque cérémonie d’intronisation ? Ou au moins, de présentation au peuple ? Aurais-je des obligations ? Si oui, lesquelles ?
- Heu… hésite Eskel, déstabilisé par toutes ses questions. Nous prendrons un portail jusqu’au pied de la montagne. De là, nous finiront à cheval. Il faudra compter deux jours de chevauchée.
- Chevauchée, répète la princesse. Pas de carrosse alors.
- Hé bien…
Le regard inquisiteur de la jeune femme met Eskel mal à l’aise, lui qui pourtant a déjà côtoyé des rois. Plus que jamais, il a le sentiment que l’empire du Loup Blanc, toute cette mascarade de seigneur de guerre, est complètement illégitime et qu’ils devraient tout abandonner maintenant.
Mais la princesse Julia semble conciliante, et peu rancunière, parce qu’elle a un sourire sympathique pour lui et d’un mouvement d’épaule, lui renvoie Paco, qui revient se poser sur l’épaule du sorceleur sagement.
- Être à cheval me convient bien, dit-elle. Devrons-nous prévoir de quoi camper ? Eskel acquiesce, d’un signe de la tête, et elle accepte d’un sourire.
Il ne la comprend pas. N’est-elle pas une princesse rédanienne, soit l’archétype complet de la précieuse et délicate noble, qui a passé sa vie protégée et choyée, attachée à son confort et rechignant à le quitter ? Comme pour provoquer les plaintes qu’il attend depuis le début, Eskel reprend, avec un signe pour toutes les malles :
- Vous ne pouvez pas tout prendre, altesse.
- Et je ne prends pas tout, répond-t-elle rapidement. Certains de ces objets retournent à mon père, d’autre seront donnés aux bonnes œuvres de la ville. Si cela convient, je pensais prendre des vêtements, bien entendu, des fourrures, des tissus et des fils, des bijoux et mon nécessaire de toilette évidement, mes livres ainsi que certains meubles et instruments de musiques.
En parlant, elle zigzague habilement entre les malles pour rejoindre une autre porte, qui elle est fermée. Elle s’arrête devant et fait signe aux sorceleurs de la suivre.
- Tant que vous êtes raisonnable, altesse, souffle Eskel, mais sachez que Kaer Morhen subvient aux besoins de ses habitants et qu’il y a ce qu’il faut là-bas. Notamment des meubles, grogne-t-il dans sa barbe.
Mais la princesse l’entend, s’immobilise, la main sur la poignée, et se tourne vers lui, l’expression contrite.
- Pardon, je ne souhaitais pas vous vexer. Avant qu’il ne puisse répondre, choqué qu’une dame de son rang s’excuse, elle enchaine : en vérité, messire Eskel, j’ai plus besoin d’aide pour ceci, explique-t-elle en ouvrant les doubles portes en grand.
Les deux sorceleurs, restés sur le seuil de la pièce tandis qu’elle entre, partagent la même grimace de surprise quand leurs regards se posent sur la multitude d’animaux présent dans ce qui semble être une pièce qui leurs est totalement dédiée.
Il y a d’abord trois loups. Non, pas des loups, des chiens-loups, plus petits et plus fins que leurs cousins sauvages mais pas moins impressionnant pour autant. Le premier est roux, l’autre noir et le dernier d’un blanc neigeux magnifique. Ils portent tous un collier de cuir noir. Ils se lèvent d’un même mouvement pour venir à la rencontre de la princesse qui les salue tous d’une caresse.
Viennent ensuite les oiseaux. Si Paco reste calmement posé sur l’épaule d’Eskel, il y a un corbeau qui sautille d’impatience sur son perchoir et qui croasse de joie quand Julia est assez proche pour qu’il puisse sauter sur elle. Autour d’eux, volent et trillent des canaries, des perruches, des cardinales, et d’autres, que les sorceleurs ne reconnaissent pas.
Ils pensent avoir tout vu mais la princesse siffle et un cri perçant attire leur attention vers la porte fenêtre, qui est ouverte aussi, sur un balcon où plusieurs perchoirs sont vides. Il remarque une chouette d’un blanc éclatant qui dort, peu perturbée par l’agitation autour d’elle, mais avant qu’ils puissent poser une question, il y a un autre cri puis deux faucons se précipitent, atterrissant sur le rebord de pierre avant de faire un court vol pour rejoindre Julia.
Le plus étonnant dans toute cette ménagerie, songe Eskel, pragmatique, c’est qu’il n’y a pas de chaine, pour aucun animal, et qu’il ne ressent aucune magie. Les animaux pourraient à priori tous fuir, surtout les oiseaux, pourtant ils sont tous là, voletant autour de la princesse, cherchant à avoir une goutte de son attention.
Peut-être sont-ils tous enchanté ? Mais il n’a jamais rien vu ni lu de semblable et un regard à Coen lui apprend que le griffon pense la même chose. Quant à leurs médaillons, ils sont d’un calme confondant. Aucune magie ne semble être en œuvre ici…
- Je sais, fait la princesse en reportant enfin son attention sur les sorceleurs quand les animaux se calment. C’est beaucoup. Certains sont des cadeaux, explique-t-elle en montrant les faucons, d’autres ont été recueilli et soigné par moi-même.
En parlant, elle caresse les plumes du corbeau, qui s’est posé sur son poignet et qu’elle tient contre elle.
- Mais je les aime tous et, si cela convient, j’aimerais les prendre avec moi.
Il y a trop d’espoir dans sa voix, ça rappelle son jeune âge et met Eskel mal à l’aise encore une fois. Rendu muet par la surprise, il prend le temps de réfléchir à question : Kaer Morhen est grande, il serait facile d’aménager une ménagerie comme celle-ci. Mais Kaer Morhen n’est pas Tretogor. Le sorceleur tourne la tête vers Paco, qui somnole toujours sur son épaule.
- Nous pouvons faire de la place pour eux mais certains ne pourront pas venir, pour leur bien. Finit-il par dire. Il fait froid, au nord, altesse.
Le sourire de la princesse se décompose à mesure qu’il parle, et elle baisse les yeux tristement. Néanmoins, alors qu’il s’attend toujours à une plainte, elle accepte ses paroles :
- Je comprends, dit-elle. Je ne voudrais pas les mettre en danger. Lesquels peuvent venir ?
Dans l’immédiat, Eskel ne sait pas quoi répondre, à la place il a une réflexion sur le budget et le temps que cela doit lui prendre de s’occuper d’autant d’animaux.
- Pas vraiment. Horus et Heru, explique-t-elle en désignant les deux faucons qui se sont installés sur le rebord du balcon après avoir eu leurs caresses, chassent leurs pitances. Athéna aussi, ajoute-t-elle avec un geste vers la chouette endormie.
- Ils doivent être dressé, murmure Eskel en levant une main vers Paco sans y penser.
La princesse a un sourire amusé au commentaire mais l’ignore intentionnellement.
- La plupart des oiseaux sortent et se nourrissent ainsi qu’ils le feraient dans la nature, bien que je leurs laisse des graines à disposition, surtout l’hiver. Pour le reste, Sélène, Artémis et Hécate, mes chiennes, sont nourrit par mes soins ou, quand je ne peux le faire, par Shani.
En parlant, elle désigne la chambre et Eskel comprend qu’elle parle de l’elfe qu’elle prévoit de faire venir dans le nord avec elle. Bon sang, avec tout ce qu’elle prévoit déjà de prendre, ça fait trop. Et c’est un voyage éprouvant, trop pour le faire dans une cage.
- Il n’y a ni cage ni laisse, corrige Julia quand il lui en fait la remarque. Ils passeront le portail avec moi et me suivrons, ne vous inquiétez pas pour cela.
- Les avez-vous faits ensorceler ? Demande finalement Eskel en fronçant les sourcils.
La princesse dément avec un sourire gentiment moqueur, avant de répondre vaguement qu’elle aime les animaux et que les animaux l’aiment. Il doit y avoir plus mais Eskel ne sent aucune trace de mensonge dans son odeur et il n’ose pas demander, craignant d’insulter la jeune femme par ses suppositions. Dépassé, il finit par trancher :
- Les chiens peuvent venir. Quant aux oiseaux, les plus exotiques ne survivront pas. Mais s’ils sont aussi libres que vous le dites, ils sauront ce qui est bon pour eux.
- Alors je vais prendre mes dispositions, merci messire, accepte la princesse avec un signe de la tête.
Eskel le lui rend, distrait par le regard perçant des deux faucons qui semblent le juger durement, avant de tourner les talons pour partir. A la porte des appartements, il sursaute quand Paco, qu’il avait oublié, quitte son épaule d’un mouvement brusque pour rejoindre sa maitresse.
C’est insensé, il n’a senti aucune magie mais pourtant, il n’a jamais rien vu de pareil. C’est à n’y rien comprendre. Les humains ne se sont peut-être jamais posés de question sur cette étrange affinité mais Eskel s’interroge : ne serait-elle pas un peu plus qu’une humaine ? La question serait légitime s’il n’était pas question d’une princesse de Rédanie, le pays intolérant par excellence…
A suivre...
Notes:
Voilà, j'espère que ça vous aura plu^^
Je vous souhaite un joyeux Noël pour celles et ceux qui le fête, et sinon, une bonne semaine à tous,
A dimanche prochain,
BD
Chapter 6: Les derniers adieux mais pas les dernières larmes
Chapter Text
Maintenant qu’elle le rencontre seule, Julia se rend compte que le commandant en second du Loup Blanc, messire Eskel, est aussi impressionnant que son époux. La veille, toute son attention était focalisée sur le seigneur de guerre, d’abord à l’idée de devoir le conduire au lit, ensuite parce que d’une certaine façon, il l’avait sauvée.
Julia savait à quoi s’attendre avec le Père Caïn, c’était après tout sa seconde noce. En revanche, elle n’avait pas anticipé ses commentaires et si elle a honte qu’ils aient été entendus par les sorceleurs, elle n’en est pas moins reconnaissante.
Axii, comme l’a appelé son époux, est un sort puissant. Effrayant même. Elle qui a su préserver son esprit, qui s’est construit non pas un mais trois masques pour rester elle-même, est terrorisée à l’idée que les sorceleurs, son mari ou un autre, ne perdent patience avec elle et n’use de cette magie sur elle. Melitele sait qu’elle peut être fatigante par moment…
Mais son époux lui a dit qu’il ne le ferait pas, que ce n’était pas moral et elle a envie de le croire. Elle se doutait déjà que le Loup Blanc n’était pas un mauvais homme, qu’il lui ait donné à manger pendant le banquet, qu’il ait stopper le prêtre et surtout, qu’il n’ait pas souhaiter consommer réellement le mariage (cela aurait été désagréable pour elle) ne fait que confirmer ce qu’elle pense. Le seigneur de guerre est un homme bon, c’est évident.
Et elle est certaine que c’est également le cas de messire Eskel. L’homme est impressionnant, de la même manière que l’est le Loup Blanc, et si ce n’était les cheveux noirs au lieu de blanc et l’immense cicatrice qui lui barre le visage et retrousse sa lèvre en une expression sévère, elle pourrait les croire frères, voir jumeau.
Néanmoins, il y a une douceur dans son regard couleur ambre qui est rassurante. En sa présence, elle n’a pas eu peur… Peut-être à cause de la réaction de son perroquet ? Maintenant que le sorceleur est parti, il ne cesse de chantonner son nom, comme si cela allait le faire revenir. Elle ne l’a jamais vu ainsi, alors qu’elle l’a connu à l’état d’œuf !
Julia sait que le sorceleur a été impressionné par cela, tous ses animaux, tous ses oiseaux, qui gravitent autour d'elle sans qu’elle n’ait besoin de contention ou de magie. Enfin, d’après lui. La princesse n’a jamais rien forcé, mais elle sait que sa magie n’est pas le Chaos, et que tous les animaux y sont sensibles. Il n’est pas le premier à le constater sans comprendre, et comme d’autres avant lui, elle espère qu’en jouant les naïves, il abandonne l’idée et la laisse à sa ménagerie.
La question de savoir si elle devait révéler sa véritable nature n’a pas donné lieu à beaucoup de débat. Shani et elle sont du même avis : ce sont des sorceleurs, ils tuent les monstres. Voilà un argument assez facile à accepter.
Puis, si messire Eskel a été impressionné, il n’a, en revanche, posé que peu de questions, même s’il était visiblement perplexe. Il l’a autorisé à prendre ses animaux avec elle, une autre preuve de gentillesse, et s’en est allé, presque aussi vite qu’il est venu, la laissant seule. Enfin, presque seule.
Si elle n’a pas eu peur de messire Eskel, elle n’est pas aussi à l’aise avec le sorceleur qu’il a présenté comme son escorte, pour sa sécurité. Melitele, pensait-il vraiment qu’elle n’allait pas comprendre la raison première de ce garde ? Il n’y a nul besoin d’étude à Oxenfurt pour comprendre qu’étant une princesse d’un pays ennemi il y a quelques semaines de cela, elle est une menace !
Mais ce n’est pas grave si les sorceleurs la prennent pour une idiote sans cervelle. Non seulement elle en a l’habitude, mais elle sait très bien en tirer parti. C’est ce qui lui a permis de développer ses trois personnalités et de toujours s’en sortir, en y laissant le moins de plumes possible.
Coen de l’école des Griffons, comme l’a présenté messire Eskel, est une ombre silencieuse, qu’elle pourrait presque oublier si elle ne sentait pas constamment le regard pesant de ses yeux de chat sur elle. Et elle n’est pas la seule à le sentir. A ses pieds, vigilant sous une apparence détendue, elle sent ses trois chiens tendus, prêt à gronder s’il devait approcher.
Le sorceleur doit le comprendre parce qu’il ne s’approche pas, ne parle pas, reste dans son coin, et c’est assez, bien que sa présence soit un frein aux derniers préparatifs qu’elle souhaite faire en ville.
Se serait facile de révéler aux sorceleurs qu’elle est le Bécasseau et elle s’est demandé si elle devait le faire, ce matin même, quand elle est revenue de sa nuit de noce intacte, pendant que Shani l’aidait à prendre son bain, insistant à sa demande pour effacer toutes traces du parfum que Vizimir lui a offert, et ne choisissant que des essences douces qui, elle espère, n’heurteront pas les sorceleurs et son époux.
Toutes les deux, murmurant à demi-mots voilés comme toujours, elles en avaient discuté pendant ses ablutions matinales.
N'était-ce qu’à cause de sa position ambigüe à ses côtés, maintenant que l’esclavage était interdit en Rédanie et parce qu’il ne l’était plus depuis longtemps dans le Nord, Shani était pour qu’elle le révèle dès les portes de Tretogor franchis. Cela éviterait des préjugés et des insultes contre Julia, ce que la demi-elfe détestait par-dessus tout.
La façon dont messire Eskel lui avait rappelé plus tôt les lois du Seigneur de Guerre et le mépris évidant dans son regard ambré lui donnait raison.
Néanmoins, sur cette question précise, à savoir révéler son identité la plus secrète et la plus risquée, Julia n’arrivait pas à s’y résigner.
La jeune femme avait émis l’hypothèse que, au vu de ses liens avec la famille royale de Rédanie et Vizimir en particulier, les sorceleurs se méfieraient d’elle, allant jusqu’à la soupçonner d’espionnage. La présence de Coen à ses côtés donne de l’eau à son moulin !
Très justement, Julia avait supposé que révéler son identité maintenant lui serait préjudiciable. Parce qu’elle est particulièrement prudente, elle n’a rien, pas un papier, pas un objet, rien, qui la relie au Bécasseau à part sa bonne foi. Et ce serait une bien étrange coïncidence que, de toutes les nobles dames à marier, ce soit justement celle qui est à l’origine du réseau de résistance le plus étendu et le plus efficace qui soit choisi !
Ils ne la croiraient pas ! Et qui pourrait leur en vouloir, si la situation était inversée, elle n’y croirait pas elle-même ! Donc, décision fut prise de garder le secret.
Cependant, elle ne va pas tuer le Bécasseau pour autant. Son mariage l’éloigne de la Rédanie, ce dont elle se réjouit, elle qui a toujours souhaité voir du pays, mais son réseau doit continuer à fonctionner. Elle n’a aucune confiance en Vizimir. Ni en lui, ni en aucun rédanien. Les lois du Loup Blanc seront peut-être appliquées, Julia sait qu’elles seront interprétées, tordues, dénaturées, et qu’il y aura toujours des non-humains à aider.
Elle doit s’éloigner de son réseau. Ce n’est pas un problème, il est assez grand et assez fort pour perdurer sans qu’elle ne soit là pour le diriger. A peine aura-t-elle besoin d’y prendre part, de loin, comme lorsqu’elle devait suivre Radowid dans ses résidences secondaires, pour ses parties de chasse ou ses fêtes loin de la cour.
Quand Éric se présente, l'informant que son carrosse est prêt, il a un regard mauvais pour Coen mais se mord la langue pour taire sa question. Julia a pitié de lui et explique ce qu'il ne peut demander :
- Voici Coen de l’école des Griffon. Il est présent pour assurer ma sécurité.
- Oh… Le visage d’Éric se décompose puis le soldat avance et met un genou à terre.
Éric n'est pas un chevalier, mais sa petite naissance est largement compensée par sa noblesse de cœur. Une noblesse qu'il a mis au service de la princesse qu'il sert avec ferveur, acceptant entre autres de prendre part à toute cette folie de Bécasseau.
- Dois-je comprendre que je suis congédié ? Vous aurais-je déplus, ma Dame ?
- Bien sûr que non ! Le corrige-t-elle rapidement, lui prenant les mains pour le faire se relever.
Éric a des cheveux blonds et des yeux bleus, il est grand sans l’être trop, et de carrure moyenne. Il a une petite dizaine d’année de plus et n’est pas encore marié. Julia sait qu’il est attaché à Tretogor, qu'il n'a jamais vraiment quitter, qu’il s’occupe de sa mère qui est âgée et malade, et qu'il a encore toute une vie à construire.
- Tu as toujours fait un excellent travail et tu sais que je suis reconnaissante pour tout, dit-elle en fixant son regard dans le sien, mais je ne peux te demander ce sacrifice.
- Vous savez que je vous suivrais, affirme-t-il avec confiance.
- Je sais. Et je ne peux te demander ça. Tu comprends ?
Julia pourrait simplement dire qu'elle n'a pas le droit, que son époux refuse qu'un humain, un homme qui n'est pas un sorceleur soit autour d'elle, mais elle a trop de respect pour Éric pour lui mentir. Et c'est de toute façon une question qui ne s'est pas posée, obnubilée qu'elle était à ne pas vouloir se séparer de sa meilleure amie.
Éric acquiesce, solennel et recule, l'informant qu'il va faire sceller un cheval pour le maître sorceleur et la discussion est close.
Un coup d’œil au dit maître sorceleur montre que s'il regarde tout, rien ne semble l'affecter, Coen affichant une mine totalement neutre. Il la suit quand elle quitte la chambre pour rejoindre sa voiture pour un court voyage dans les rues de la capitale.
L’arrêt de son carrosse la tire de ses pensées, et rapidement, Éric ouvre la porte et tend la main pour l’aider à descendre. Immédiatement, elle est abordée par quelques miséreux qui trainent autour du petit temple qu’elle a choisi de visiter. Ils crient de joie en la voyant et mendient, la main tendue et le regard suppliant.
Attendant que Coen la rejoigne, elle sort de sa bource quelques pièces qu’elle distribue sans compter. Éric veille à ce qu’elle ne soit pas envahie tout en la guidant lentement vers la sœur qui, attiré par le bruit, l’attend sur le seuil de la bâtisse.
Sœur Agathe est une vieille femme, sans doute autant que la mère supérieure qui lui a tenue compagnie pendant son deuil, mais, outre le fait qu’elles aient toutes deux vouer leurs vies aux Dieux, c’est sans doute la seule comparaison possible entre les deux femmes !
Là où la mère supérieure est rigide, strict et intrinsèquement mauvaise et aigrie, sœur Agathe n’est que compassion, tolérance et amour. Elle a accueilli la jeune princesse dès son arrivée à Tretogor, l’une des seules à voir son désespoir et sa douleur, avec Shani, et à l’aider et la guider autant que possible.
La vieille dame s’incline, une révérence un peu trop superficielle mais cela fait sourire Julia, qui lui demande avec gentillesse si elle doit lui faire livrer un sac fleur de camomille pour soulager le poids de l’âge.
- Ha mon enfant, je t’en demanderais toute une caisse si cela pouvait soulager mes vieux os ! répond-t-elle en s’accrochant à son bras. Viens, viens, j’ai fait du thé.
Alors que Julia se laisse conduire dans la fraicheur du temple, Éric reste en arrière, comme il en a l’habitude, et elle l’entend arrêter Coen, indiquant qu’il s’agissait d’un lieu de culte réservé aux femmes qu’il ne pouvait profaner de sa présence.
Julia regarde derrière elle avant que la porte du presbytère ne se referment, s’assurant que le sorceleur obtempère : il est immobile, les bras croisés sur sa poitrine. Bien, même si elle se méfie des sens améliorés dont lui a fait par son mari la veille, cela lui facilitera la tâche.
- Comment vas-tu, mon enfant ? demande la vieille dame une fois qu’elles sont assises devant la cheminée éteinte à cette heure de la journée, une tasse de thé bon marché à la main.
La question serre le cœur de Julia. Sœur Agathe va lui manquer. Elle est sans doute ce qu’elle a de plus proche d’une grand-mère et dans son regard vert et brillant, la princesse lit une inquiétude réelle pour elle. Elle qui s’est mariée hier et qui est donc passée par la nuit de noce, avec un homme qu’on dit monstrueux.
- Je vais bien, ma sœur. Elle hésite une seconde puis rajoute, baissant la voix. Le mariage n’a pas été consommé.
- Ha bon ? s’étonne la vieille dame. Mais, tous les crieurs de rue ont dit que c’était chose faite.
Julia hésite encore, mais sœur Agathe l’a soutenue dans tout, et connait ses pires hontes, alors finalement, les yeux baissés sur sa tasse, elle raconte comment le prête était déplacé, comme son époux et son commandant sont intervenus, comment ils ont usé de leur pouvoir pour fausser la vérité et surtout, comme le Loup Blanc, le barbare, le monstre, a refusé de la toucher. A cause de son âge.
- Il a dit que j’étais trop jeune, murmure-t-elle, des larmes dans la voix et les yeux. Qu’il ne me toucherait pas sans consentement et certainement pas avant quelques années.
Ils disent les hommes du nord rudes et rustres, sans manière. Ils disent que les sorceleurs sont des monstres, qui tuent les hommes, volent les enfants et violent les femmes. Elle a entendu les murmurent à son mariage, sait que plusieurs nobles pensaient qu’elle ne sortirait ni vivante, ni indemne de sa nuit de noce et pourtant…
- Pourquoi… pourquoi mon âge l’a-t-il arrêté quand…
Dans le regard clair de sœur Agathe, Julia voit bien que la vieille femme a compris sa question, mais elle la connait, sait qu’elle ne dira rien, ne réagira pas, l’obligeant à faire sortir les mots qui la hantent pour les exorciser.
- Quand cela n’a pas arrêté un prince ? Finit-elle par murmurer rapidement.
Julia ferme les yeux pour retenir ses larmes, et sait que c’est un échec quand elle les sent dévaler ses joues. Elle n’a pas à attendre longtemps pour sentir sa tasse lui être retiré délicatement puis les bras de la nonne passer autour d’elle pour l’enserrer dans une étreinte chaude et rassurante.
- Je ne sais pas, mon enfant, admet la sœur après un instant de silence. Ce que je sais, c’est que si la Rédanie était aussi civilisée qu’elle le dit, nos amis n’auraient pas besoin de notre aide et toi, tu jouerais toujours pieds nus dans les ruisseaux, à chanter aux oiseaux toutes ses histoires qui te passent par la tête sans rien savoir de la faim des hommes.
Parler de Radowid et de sa rencontre avec le prince la fait frissonner et sœur Agathe ressert son étreinte, fredonnant une berceuse, celle qu’elle chante aux orphelins qu’elle recueille. Malgré tout l’amour qu'elle porte à son père, Julia a souvent prié pour être orpheline elle aussi, recueillis par sœur Agathe et libérée de tout le fardeau de sa vie de princesse.
- Ton époux semble être un homme bon, finit par dire la vieille dame, la voix pleine d’espoir. Je prierais pour qu’il soit bon pour toi.
Finalement, alors que le thé est devenu froid, les deux femmes se séparent et sœur Agathe se réinstalle sur son fauteuil en la félicitant pour ses noces et espérant qu’elles soient bonnes pour elle. Julia se retourne, regarde la porte toujours close, puis se penche vers la vieille femme pour murmurer :
- Nos amis auront toujours besoin d’aide. Puis elle se redresse et poursuit, d’un ton de voix normal. Il y a beaucoup d’objet dont je dois me séparer. J’ai demandé que le produit de leurs ventes vous soit remis, afin d’aider qui en a besoin.
Sœur Agathe acquiesce d’un signe de la tête, comprenant parfaitement de quoi parle la princesse. Le petit temple, proche des remparts de Tretogor, est l’un des accès aux réseaux sous-terrain de la ville, ce qui en fait, avec la taverne du Lion d’or, l’un des lieux de passage privilégié de la résistance.
- Melitele te bénisse pour ta générosité, mon enfant. La remercie-t-elle. Tu sais que ma porte est toujours ouverte a qui en a besoin. Et elle le sera toujours pour toi, mon enfant.
La suite de la conversation est plus légère, Julia racontant la réaction de Paco à la rencontre d’Eskel, et le voyage à venir jusqu’à ce que quelque part en ville sonne quinze heure. Le cœur serrer, Julia doit dire adieux à sa grand-mère d’adoption, promettant de lui écrire autant que possible, et la remerciant sans fin pour tout ce qu’elle a fait pour elle.
Quand elle les rejoints, Éric et Coen, restés sur le seuil du temple, se regardent en chien de faïence. Du moins, Éric fixe le sorceleur, le regard lourd de reproche, alors que le sorceleur l’ignore allégrement, son attention diriger vers elle.
- Vous allez bien, altesse ? Demande-t-il quand elle arrive à son niveau.
Ce sont les premiers mots qu’il lui adresse, et ils prennent de court Julia. Elle a pourtant fait attention à sécher ses larmes et à redresser sa coiffure avant de quitter le presbytère. Un instant, elle craint d’avoir été entendu, et qu’il ait compris, non seulement son trouble face au comportement du Loup Blanc et le mariage invalide, mais aussi les non-dits sur son réseau.
- Vos yeux sont rouges et vous sentez les larmes, précise-t-il en lui tendant un mouchoir de tissu blanc.
- Oh, s’étonne Julia en le prenant par habitude. Je suis triste de quitter sœur Agathe, dit-elle, ce qui n’est pas un mensonge bien que ce ne soit pas à l’origine de ses larmes.
- Tais-toi, sorceleur, intervient Éric, toujours prompte à la défendre. Tu n’as pas à interpeller ta reine, explique-t-il, hargneux. Tu ne dois lui parler que si elle te parle !
La colère d’Éric la fait tristement sourire. Il est devenu au fil des ans un ami cher à son cœur. Qu'il lui soit toujours fidèle alors qu’il se sait renvoyé l’attriste et lui réchauffe la poitrine mais elle sait qu'elle a pris la bonne décision. Même s’il n’était pas impliqué dans le réseau du Bécasseau, Éric a toute sa vie ici. Quand bien même elle le pourrait, elle ne lui demanderait jamais de tout abandonner.
- Tout va bien, Éric, intervient-elle en passant entre les deux hommes.
Cela a l’avantage de couper court à toute forme de dispute et son chef de la garde la rejoint d’un pas rapide juste au moment où elle atteints son carrosse, lui ouvrant la porte et tendant sa main pour l’aider à monter. Quand elle s’installe, il monte lui-même les quelques marches et se penche sur elle, ce qu’il n’a jamais fait avant :
- Julia, murmure-t-il en lui prenant la main doucement.
Jamais il n’a agi aussi ouvertement avec elle, même pendant les nuits les plus sombres, lorsqu’ils aidaient quelqu’un à guérir ou à fuir. Après le rappel des règles de bienséances qu’il vient de faire à Coen, s’est inattendu. Muette de stupéfaction, la princesse se laisse faire.
- Nous sommes proche de la porte ouest, explique-t-il dans un souffle, lui caressant la main, les yeux brillant d’espoir.
D’espoir et d’autre chose, que Julia a déjà entr’aperçue plusieurs fois mais qu’elle n’a jamais cherché à comprendre, effrayée par ce à quoi cela ressemblait. Et elle n’avait pas tort car, sur le visage ouvert du soldat, la princesse lit une dévotion trop grande, presque fanatique, et ce qui ne peut être que de l’amour.
- Nous pourrions fuir, propose-t-il. Nous serions libres. Toi, libre de chanter et moi, je te protégerais…
Il se penche, dépose un baiser sur ses doigts et le geste sort Julia de sa torpeur. Elle tire sa main vers elle, et Éric la laisse faire alors que sa mine se décompose. Le cœur de la princesse se sert, elle n’a jamais voulu lui faire du mal, mais quand elle ouvre la bouche pour parler, il la coupe.
- Ne dites rien, majesté, dit-il d’un ton ferme. J’ai compris. Pardonnez-moi.
Avant qu’elle ne puisse répondre, il saute du carrosse et claque la porte. Par la fenêtre, Julia croise le regard sans expression de Coen. Le sorceleur à tout entendu de ce que l’homme a dit, et elle ne sait pas si cela est une bonne ou une mauvaise chose qu’elle n’ait pas eut droit de réponse. Peut-être devra-t-elle revenir sur ce qui s’était passé plus tard ?
Le carrosse se met en mouvement et cette fois, si Coen chevauche devant, personne ne dit rien.
L’arrêt suivant est pour le Grand Temple. C’est peu avant seize heure quand ils arrivent, et Julia y est accueillis par les gardes du roi, qui demandent à son escorte de rester en retrait pendant qu’elle est conduite dans la nécropole, à l’étage inférieur du bâtiment.
Là, elle retrouve Vizimir, occupé à prier devant le tombeau de son frère. Malgré toute la détestation qu’elle peut avoir pour les deux hommes, elle sait qu’ils étaient proches. Il n’y a qu’un an d’écart entre les deux, ils ont toujours été le meilleur ami l’un de l’autre, et elle a assez de bonté en elle pour être peinée pour le roi.
- Ma sœur, la salue-t-il quand il remarque sa présence.
Il se relève et vient à sa rencontre alors qu’elle s’incline comme toujours. Etrangement sympathique, il pose les mains sur ses épaules et lui embrasse la joue, comme un père qui embrasse sa fille, avant de lui prendre la main et de la conduire devant le tombeau.
- J’ai pensé que tu souhaiterais peut-être te recueillir une dernière fois sur la tombe de ton cher époux.
En parlant, il montre le prit-Dieux en velours rouge qu’il occupait à son arrivée et Julia sait mieux que de protester, elle s’installe, joint les mains et baisse la tête dans un simulacre de piété. Vizimir pose une main sur son dos, et elle sait que c’est pour la retenir alors elle ne bouge plus et attend, semblant prier avec le roi.
- Veux-tu chanter ? Demande-t-il quand elle a récité dans sa tête trois fois la prière la plus courante. Pour mon frère, une dernière fois. Il aimait tellement ta voix.
La gorge de Julia se sert entre douleur et tristesse. Elle a toujours aimé chanter mais s’est toujours maudite d’avoir chanté ce jour-là. Le rapport de Radowid à la musique était plus ambivalent que ce que le roi énonce. Par moment, il la suppliait de chanter, à d’autres, il la battait pour avoir osé ouvrir la bouche.
Néanmoins, elle a assez de bon sens pour savoir que la question du roi n’en n’est pas une et donc, elle s’exécute, choisissant de chanter l’hymne de la Rédanie. Pas celui qui est chanté aujourd’hui, mais celui en vieux rédanien, oublié de tous, qui célèbre les mères douces et les pères aimants, qui salue les gens -pauvres ou riches, nobles ou paysans, humains ou non-humains, qui ont fondés ce pays.
Sa voix d’abord hésitante gagne en volume, résonne contre les murs de pierre comme un contrepoint à elle-même, donnant plus de force, plus solennité à la chanson. Julia chante, les yeux fermés, la voix pleine d’émotion en pensant à son pays, à Lettenhove et aux jours heureux de sa courte jeunesse.
Elle ne craint peut-être pas le Loup Blanc et sa forteresse, elle est peut-être heureuse de voyager enfin, elle réalise en chantant qu’elle quitte la Rédanie, ce qu’elle connait, ses amis, ses habitudes, ses traditions, pour un monde qui lui est complètement étranger.
Quand, à la dernière note de son chant, elle sent la main du roi sur sa joue, elle sursaute et rouvre les yeux, surprise. Vizimir est juste en face d’elle et la retient quand elle veut s’écarter. Son pouce caresse sa joue alors que son autre main se pose sur son épaule, la maintenant agenouiller sans avoir à forcer.
Le roi n’a jamais eu besoin de forcer pour obtenir ce qu’il voulait.
- Tu aimes la Rédanie, ma chère sœur, murmure le roi en essuyant les larmes qu’elle n’avait pas conscience de laisser couler.
- Oui, majesté, admet-elle, la gorge nouée.
Le roi semble satisfait de sa réponse. Il sourit, c’est presque maniaque et ça effraie Julia, qui sait pourtant qu’elle ne doit pas bouger.
- Tu feras ce qui est bon pour elle, alors.
Ils se fixe du regard un instant, avant qu’il ne se penche et qu’il rajoute, balayant son visage de son souffle :
- Je veux tous savoir de ton époux.
Julia déglutit, se mord la lèvre pour retenir ce qu’elle veut vraiment dire, malgré sa peur, et le roi prend son silence pour un accord. Il s’écarte enfin et la laisse partir. La jeune femme se redresse et essaie de ne pas faire passer ça pour de l’empressement quand elle s’incline et lui dit adieu.
- Dis-moi quelles sont ses faiblesses, rajoute-t-il juste avant qu’elle ne quitte le caveau, et je te sauverais de lui.
Julia fuit sans rien dire, craintive qu’il ne la retienne encore. Quand elle lève les yeux sur le sommet de l’escalier, elle croise le regard neutre de Coen, qui a réussi à passer la ligne de gardes royaux et qui l’attend.
La peur lui coupe un instant le souffle.
A suivre...
Notes:
Bon réveillon du Nouvel An,
A la semaine prochaine,
Bye!
BD
Chapter 7: Il y a trop de raison de se méfier, alors, méfions-nous.
Chapter Text
Yennefer se méfie de la nouvelle épouse de Geralt. D’aucun pourrait croire que c’est par jalousie, elle qui a été autrefois dans les bras du sorceleur, on pourrait penser qu’elle voudrait le titre de reine pour elle, et le roi qui va avec mais ce n’est pas cela.
La passion entre Geralt et elle est morte aussi vite qu’elle est née. C’était un oiseau flamboyant, destructeur même, pour l’un comme pour l’autre. Trop vif, trop intense, ça les a consumés, blessés au point de presque les séparer définitivement.
Heureusement, ils ont su aller outre leurs blessures et leurs douleurs et des cendres de cette passion ont poussé les fleurs douces de l’amitié. Si Yennefer aime toujours Geralt, et elle sait que le sorceleur a lui-même quelques sentiments similaires pour elle, ce qu’elle ressent pour lui est de nature amicale, peut-être même fraternelle, mais rien de plus. Et c’est bien assez, pour eux deux.
Non, si Yennefer n’aime pas la nouvelle épouse de Geralt, sa reine, c’est bien plus simple et plus trivial que de la jalousie. La sorcière a vécu longtemps, et partout dans le monde. Elle a connu et servit son lot de gamines inutiles, aux pensées frivoles et à la vie rythmée par la mode et les fêtes, des petites pestes égoïstes et insensibles, intéressées par elles seules et certaines de valoir mieux que tout le monde.
Par les Déesses, la dernière qu’elle a servie a offert sa propre fille nouveau-née à l’assassin venu mettre un terme à leurs deux vies. Pour Yennefer qui rêve toujours de devenir mère un jour, ou du moins, d’avoir le choix de cela, c’est incompréhensible. Cet ultime acte d’égoïsme à finit par faire germer cette graine d’amertume en elle, la poussant à quitter toutes les cours et à détester de toutes ses tripes toutes ses filles stupides.
Elle a rejoint Geralt et sa quête insensée de justice qui l’a conduit à devenir l’empereur de tout le nord parce qu’elle croit en lui, en ses valeurs, et parce qu’elle savait qu’avec les sorceleurs, il n’y aurait jamais toutes ses stupidités de cours. Ces hommes-là sont trop vrais, trop francs pour ça.
Alors bien entendu, à mesure que leur royaume se construisait, elle a compris qu’il finirait par devoir prendre épouse, que cela le légitimerait en tant que souverain. Et cela a été repoussé autant que possible, jusqu’à maintenant.
Donc Yennefer n’aime pas la reine, qu’elle estime sans intérêt, mais, pire, elle se méfie d’elle. Elle s’en méfiait depuis que Lambert avait émis l’hypothèse qu’elle soit une espionne, au début des négociations, et son sentiment s’est intensifié quand Geralt a raconté sa nuit de noce et les suppliques de la princesse pour que l’union soit valide, son souhait de venir au nord, malgré qu’il l’ait prévenu de tout ce que cela implique.
Alors, quand Eskel a parlé des animaux et de la joie des deux femmes, dont l’une est une esclave elfe à l’esprit assez formaté pour croire qu’elle choisit librement de suivre sa maitresse mais aussi de la visite à Vizimir avant le départ, sa méfiance devient une montagne et elle décide déjà de faire fi de toute morale : dès qu’elle en aura l’occasion, et sans attendre le rapport de Coen, elle lira discrètement les pensées de la petite reine.
La majorité de l’armée est déjà repartie, par des portails que Yennefer a ouvert la veille. Il ne reste plus qu’une petite garde, à peine une trentaine de sorceleur et bien entendu, Geralt et son conseil. Cela serait malvenu qu’il s’en aille sans son épouse, quand bien même, il n’attend que de retourner enfin à Kaer Morhen.
Ils sont tous dans la grande cour du palais, déjà à cheval, à attendre que la petite princesse daigne enfin les rejoindre. Déjà, deux charrettes surchargées de malles et chacune tiré par deux chevaux ont été amenées et Yennefer n’a pu retenir une exclamation moqueuse :
- Il faudra peut-être construire tout un palais à la reine !
Ça fait rire les sorceleurs autour d’elle, et Eskel renchérit, amusé :
- Et il n’y a pas encore la ménagerie !
Lambert éclate de rire alors que Geralt se renfrogne. Si son frère a parlé des animaux, il est resté assez évasif, indiquant juste qu’il s’agissait de trois chiens et de quelques oiseaux.
- Tu as dit que ça ne devrait pas poser de problème, gronde-t-il en flattant l’encolure d’Ablette qui s’impatiente.
- Au pire, lance Lambert en jouant avec un couteau, comme à son habitude, ça fera un peu de viande pour cet hiver !
- Oh ! dément Yennefer, le sourire aux lèvres, j’en doute ! Les chiens à la mode chez les princesses sont des rats aussi fragiles qu’elles, qui aboient et chouinent du matin au soir et du soir au matin !
- Raison de plus pour en faire un ragout, conclue Lambert.
Eskel ne dit rien, un petit sourire moqueur aux lèvres. Yennefer le voit mais avant qu’elle ne puisse l’interroger, le bruit des sabots sur le pavé se fait entendre, accompagné par des aboiements et plusieurs cris d’oiseaux, attirant l’attention de tous vers l’entrée des écuries.
La princesse Julia est la première à sortir du bâtiment, vêtue d’une robe d’équitation d’un bleu éclatant, les cheveux relevés en un chignon serré orné d’argent et de saphir, monté en amazone sur un cheval de trait énorme, d’un noir profond, à la crinière couleur crème. Elle guide la bête sans hésitation, les rênes lâchement tenues dans une main.
Marchant autour du cheval en formation serrés, avancent trois chiens-loups, assez haut pour qu’ils frôlent les pieds de leur maitresse. Celui qui ouvre la voie a le pelage aussi noir que la nuit, à sa gauche, il y a son opposé, un animal plus blanc que les cheveux de Geralt, alors qu’à sa droite, le troisième est roux mêlé de brun.
Si ce spectacle n’est déjà pas assez étonnant, se rajoutent autour de la princesse plusieurs oiseaux. Les plus petit, des cardinales, des moineaux, des merles ou des canaries, volettent et piaillent alors qu’un corbeau reste calme et immobile sur une épaule de la jeune femme.
Derrière la princesse, à cheval elle aussi, vient sa compagnie, une femme rousse, une elfe, habillée à la garçonne et montant à califourchon un petit cheval alzan. Sur son épaule, un faucon est posé, aussi calme que le corbeau. A peine tourne-t-il la tête pour observer de son regard sévère les sorceleurs.
La reine siffle, un son bref et aigüe, et venant d’ils ne savent ou, un second faucon mais aussi une chouette, viennent se poser sur le rebord de l’un des chariots, rejoint par quelques petits oiseaux fatigués de voler.
Si les deux femmes ont des épaulières renforcées, aucun des oiseaux n’a de masque de cuire ou de chaine attachée à une serre, comme il est de coutume quand les nobles les utilisent pour la chasse. Après la stupeur, la suspicion gagne Yennefer et elle fronce les sourcils, gouttant discrètement l’air. Mais comme Eskel l’a dit, il n’y a aucune magie pour expliquer le comportement des animaux.
Julia mène son cheval jusqu’à rejoindre Geralt, qu’elle salue, lui et son conseil, d’un signe de la tête, et s’excuse de les avoir fait attendre.
- Ce n’est rien, altesse, fait Eskel pour lui quand il est évident que son frère ne dira rien, trop étonné de la composition de la suite de son épouse.
Le regard du Loup Blanc, comme de la majorité des sorceleurs, vacillent entre les différents animaux, et Yennefer songe qu’Eskel devrait se sentir coupable de ne pas les avoir prévenus de ce qui les attendait.
- Mon seigneur, reprend la reine en s’adressant à son époux, bien que tous l’écoute, je vous présente Shani, médecin herboriste, annonce-t-elle en désignant l’elfe rousse. Elle est diplômée de la faculté d’Oxenfurt.
Il y a une exclamation commune chez les sorceleurs et Yennefer elle-même ne cache pas surprise : l’université d’Oxenfurt, si elle est reconnue comme la meilleure du continent, n’ouvre ses portes qu’à quelques élus et fait preuve d’un élitisme frôlant le fanatisme. De mémoire, les non-humains n’y sont pas autorisés.
- S’il convient à mon seigneur, je souhaiterais qu’elle soit ma dame de compagnie.
Cela pourrait être une ruse mais Eskel avait affirmé que l’elfe voulait venir de son plein gré. Yennefer avait alors penser que son esprit avait été brisé par l’esclavage, comme le chien battu revient toujours vers ses maitres, ce qui avait nourrit la bête de détestation pour la reine qui grandissait dans son ventre, mais la sorcière commence à douter.
Il faudrait au moins une princesse pour forcer les portes de la faculté d’Oxenfurt…
- Hum. Grogne Geralt en réponse.
Eskel intervient, parlant toujours pour le Loup Blanc, assurant que cela leur convient avant d’enchainer à son tour avec les présentations.
- Voici Yennefer de Vengerberg, commence-t-il en désignant la sorcière.
Yennefer profite que la petite reine croise son regard pour tenter une incursion superficielle dans ses pensées. La jeune humaine ne remarque rien, son attention entièrement focalisée sur Eskel qui poursuit les présentations, alors la sorcière pousse un peu plus.
Pousse et rencontre… rien. Enfin, pas vraiment rien. Les gens qui se protègent l'esprit lèvent des murs, des barrières hautes et plus ou moins solides, toujours tangible comme du verre.
Dans l'esprit de la reine, il n’y a rien de tout ça. La sorcière entend des chants d'oiseaux, l’écoulement d’un ruisseau, le bruissement des arbres mais pas de pensées concrète. Et elle voit le ciel, bleu, profond, insondable. Brillant comme si un soleil de midi était la quelque part, caché du regard de la sorcière. Rien d'autre.
Yennefer est incapable de dire si ce qu'elle voit est une défense, une sorte de mur que la reine a intentionnellement dressé pour protéger ses pensées ou si Julia n'a juste… que l’été dans la tête. Mais généralement, les personnes entrainées à se défendre l’esprit ressentent quand on tente de les lire, et Julia ne remarque rien, écoutant les instructions d’Eskel sur le début du voyage.
Un froncement déforme les traits de Yennefer alors que sa méfiance à l’égard de sa reine augmente encore. Elle se demande si elle n'a rien dans la tête ou si, au contraire, elle est moins naïve que ce qu'elle montre…
A moins que… Si Julia n’était pas une princesse de Rédanie, elle émettrait l’hypothèse qu’elle n’est pas aussi humaine qu’elle souhaite le faire croire. Yennefer a déjà lu des traités sur certaines espèces de non-humain, naturellement protégées contre ce genre d’incursion. Cela expliquerait les animaux qui la suivent… Peut-être n’est-elle pas au courant de son ascendance, ou le cache-t-elle très bien ?
Elle est la fille d’un vicomte, Alfred Pancratz ou quelque chose du genre, mais pour ce qui est de sa mère, la sorcière n’a rien trouver d’autre que son nom. Yennefer devra faire part de ses doutes quand ils seront en lieu sûr. Ils ont bien assez trainé en Rédanie.
- Si nous sommes prêts, fait Eskel, attirant l'attention de tous, nous pouvons…
- Eskel ! Eskel ! Eskel !
Le cri fait sursauter tout le monde, même Julia. Yennefer lève une main, une boule de magie entre les doigts quand les sorceleurs saisissent leurs doubles épées. Tous sauf Eskel, qui regarde l’éclaire rose et violet se précipiter sur lui sans rien faire pour l’arrêter. Pire, il plie un bras, offrant un perchoir au perroquet qui s’y pose joyeusement.
- Paco, le reconnait-il.
Heureux, le perroquet sautille, mordille le col de l’armure d’Eskel et s’y agrippe pour l’escalader, trouvant sa place sur son épaule, lover dans son cou.
- Paco, fait Julia en tendant un bras. Laisse messire Eskel.
- Eskel, gentil ! Aimer Eskel !
Yennefer éclate de rire, faisant disparaitre son attaque magique, et la tension tombe aussi soudainement qu’elle est montée : les autres sorceleurs rengainent leurs épées alors qu’Eskel essaye de déloger le perroquet, mais l’animal s’agrippe fermement.
- Paco, dit-il, il fait trop froid chez moi. Tu peux pas venir.
Il y a quelques rires, et la sorcière n’est pas en reste, quand ils voient tous le commandant en second du Loup Blanc, un sorceleur, tenter de raisonner un oiseau tout en essayant de le repousser tout doucement.
- Eskel gentil, Eskel chaud. Aimer Eskel.
Eskel rougit presque (s’il était humain, il serait rouge grenat), sous le regard franchement moqueur de Lambert et celui, discrètement amusé, de Geralt. Yennefer a pitié de lui. Menant son propre cheval pour se rapprocher de lui et étudier l’animal de plus près, il ne lui faut qu’un coup d’œil pour comprendre.
- Tu n’arriveras à rien, affirme-t-elle. C’est un oiseau du crépuscule, n’est-ce pas ? Un regard à la reine, qui confirme d’un mouvement de tête. Ce sont des oiseaux têtus. On dit qu’une fois qu’ils ont choisi quelqu’un, ils leurs sont fidèle jusqu’à la mort.
- Mais… il va mourir de froid, à Kaer Morhen, geint le guerrier alors que sa main à renoncer à repousser l’oiseau pour lui caresser ses plumes.
- Il devra rester à l’intérieur, grogne Geralt alors qu'Ablette hennis de frustration. Allons-y, ordonne-t-il.
Mais avant qu'il puisse se mettre en marche, Shani talonne son cheval pour venir à sa hauteur. Sans parler, elle le fixe droit dans les yeux et retire le collier d'argent qui l’identifie comme esclave avant de le laisser tomber devant lui.
Yennefer note la solennité du geste, comment l'elfe remercie le Seigneur de Guerre d'un geste de la tête rapide, presque agressif et comment Geralt, oublieux de son agacement, accepte d'un geste similaire bien que plus calme.
Il est prévu qu'ils traversent tout Tretogor avant que Yennefer n'ouvre un portail à l’extérieur de la ville. Ils se mettent donc en branle et pour des raisons d'image, la reine chevauche à côté de son époux, ses chiens sur ses talons. Viennent ensuite Eskel et Yennefer puis Lambert, Coen et Shani. Les deux chariots suivent, entourés du reste des troupes qui avancent à pied.
Leur traversée des rues de Tretogor ne passe pas inaperçue. Il y a d'autres anciens esclaves qui se pressent sur le bord des routes et qui, comme Shani, jettent leurs colliers d’argent, de fer ou de cuire devant le Seigneur de Guerre. Mais il n'y a pas de bruit, pas d’exclamation, de joie ou de colère. La foule est silencieuse et il faut un moment a Yennefer pour comprendre les mines sombres et les regards tristes.
Ils sont tous adressés à la reine. Les petites gens, les anciens esclaves et leurs anciens maîtres, tous, sont tristes pour leur princesse, de la voir partir avec les sorceleurs. Yennefer suppose qu’elle sourit tout en agitant un bras, saluant les badauds qui regardent.
Eskel avait dit qu'elle avait fait don de beaucoup de ces affaires, ce qu'elle ne pouvait prendre avec elle, aux bonnes œuvres de la ville. A voir la réaction des gens, ça ne doit pas être un acte si exceptionnel. Il est rare que le petit peuple se soucie des nobles qui les dirigent autrement qu'en questions de taxes et de justices.
Yennefer avait cherché à se renseigner sur la promise avant le mariage, toutes ses questions trouvant comme réponse que la princesse serait une bonne épouse, qu’elle était douce et docile et toutes ces choses qui horripilent la sorcière. Elle avait dû fouiller et soudoyer, pour avoir une image un peu moins parfaite de la jeune princesse Julia.
On lui a dépeint une princesse frivole, qui aime la mode, la fête et la musique. On a fini par lui dire qu’elle n’était pas si docile que cela, qu’elle était même plutôt têtue (et si, comme le suppose Yennefer, elle a fait entrer une elfe à la faculté, cela doit être vrai).
Non, personne ne lui a dit son âge, et même si elle est habituée des uses et coutumes des nobles, la sorcière avait été tout aussi choquée que les sorceleurs d’apprendre que la mariée n’avait que seize printemps !
On lui avait dit qu’elle était jeune, oui, que l’écart d’âge entre Radowid et elle faisait qu’ils n’avaient pas vraiment le même rythme de vie, que la princesse s’ennuyait avec son époux et qu’elle sortait beaucoup, dans des salons, au théâtre, aux bals masqués… Elle sortait souvent seule, que son mari soit là ou pas. Il y avait même des rumeurs, sans preuves comme toutes les rumeurs, qui disait que la petite princesse n’était pas si fidèle que cela au prince.
Ce qui était avéré en revanche, c’étaient les crises de jalousies et les colères de Radowid, et il avait été rapporté plusieurs fois à Yennefer que le prince n’était pas un exemple de sagesse et de tempérance. Le peu d’empathie qu’elle peut avoir pour la jeune femme la pousse à espérer qu’il ne s’agissait que de cris.
A regarder la reine chevaucher la tête haute, le dos droit, au côté de nul autre que son nouvel époux, le bien nommer Loup Blanc, ce devait être le cas. Même si elle n’a pas les sens des sorceleurs, Yennefer voit bien qu’il n’y a aucune peur chez elle.
Ils passent les portes de la ville dans un silence pesant. La reine, qui jusqu’à présent regardait autour d’elle pour saluer le petit peuple, se retourne et lève les yeux vers les remparts de sa ville. Elle ne sourit plus, semble même triste à présent. Malgré toute la méfiance et l’animosité qu’elle a pour la reine, Yennefer ne peut le lui reprocher, elle reste une enfant de seize ans quittant son pays, probablement pour toujours.
A suivre...
Notes:
Vraiment, j'ai essayé de pas faire de Yennefer une méchante.. mais je l'aime pas, et je pense que ça se ressent dans mon écriture...
J'espère que ça vous aura plu !
A la semaine prochaine,
BD
Chapter 8: Elle est trop charmante pour n’être qu’humaine
Notes:
Hello tout le monde,
Nous nous rapprochons de Kaer Mohren, mais nous n'y sommes pas encore^^.
J'espère que ce chapitre vous plaira,
Bonne lecture !
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Il s’avère que le chien-loup blanc, Sélène apprend Geralt, est aussi malade que lui lorsqu’il s’agit de passer un portail. La différence c’est que si le Seigneur de Guerre retient sa nausée, le front posé contre l’encolure d’Ablette, son homologue canin vomi toutes ses tripes dans l’herbe, entouré de ses consœurs et de la reine qui glisse de son cheval pour le consoler.
C’est étrange à voir, une dame de sa stature devrait être dégouttée, froncer le nez et se détourner et pourtant, Julia est accroupie contre le flan de l’animal, le soutien pendant qu’il vomit encore et fredonne doucement pour l’apaiser.
La majorité des oiseaux, une fois le portail passé, se sont dispersés. Geralt suppose qu’ils retourneront à l’état sauvage, même s’il ne comprend pas pourquoi ils ne l’ont pas fait plus tôt. Peut-être passer le portail a rompu le sort qui les liait à la jeune femme ?
Parce qu’il doit bien y avoir une magie quelque part. Certes, à priori, elle semble douée avec les animaux. Ou tout du moins, amicale avec eux. Mais cela ne suffit pas à nouer un lien aussi puissant que celui qui doit être le sien.
Mais s’il était question de magie exorcisé par le portail, pourquoi tous les oiseaux ne se sont-ils pas échappés ? Les deux faucons sont toujours là, installé sur le rebord d’un chariot avec la chouette. Le corbeau a sauté sur la selle de la reine quand elle est descendue, et attend patiemment qu’elle revienne. Même Paco est toujours là, toujours accroché à Eskel !
Geralt ne comprend pas et quand il tourne la tête vers le reste de ses compagnons, il est évident qu’eux non plus. La plus visiblement méfiante est sans surprise Yennefer et il ne faut pas attendre longtemps pour que la sorcière intervienne, jouant les naïves alors qu’elle interpelle la reine :
- Je suis surprise de vous voir si proche de vos animaux, altesse (Geralt sert les dents, entendant une insulte dans le ton de son amie), comment faites-vous cela ?
Apostrophée, Julia lève la tête vers la sorcière avec un sourire polis et rétorque, sur le même ton naïf et moqueur :
- Ne dit-on pas qu’il faut aimer pour être aimée, dame sorcière ?
- J’ignorais que l’amour fut une magie aussi grande, altesse. Rétorque Yennefer, avec trop de dent dans son sourire pour être amical.
Geralt grogne, déjà fatigué de ce qui sera, il le devine, une cohabitation compliquée. La réponse de Julia, dite sur un ton faussement compatissant, lui donne raison :
- C’est que vous ne devez pas connaitre grand-chose de l’amour. Ou de la magie.
Il y a des rires autour d’eux et Yennefer ouvre la bouche, prête à défendre son honneur mais Geralt ne lui en laisse pas le temps. Ils ne sont qu’à une heure de Vespaden et même s’il préfèrerait rejoindre immédiatement Kaer Morhen, ils sont attendu.
- Nous repartons, ordonne-t-il, faisant taire les rires.
Puis il s’approche, décidé à aider Julia à remonter en scelle car avec sa robe, elle ne doit certainement pas pouvoir le faire seule. Mais, alors qu’il n’est plus qu’à un pas de la reine, le chien-loup noir se redresse et gronde, les dents découvertes alors que le troisième se contente de le regarder, la tête penchée sur le côté.
- Hécate, ça suffit ! Ordonne-t-elle, durement. Viens là !
Puis Geralt voit les jambes de son épouse bouger sous sa jupe. Quittant sa position accroupie, elle s’agenouille devant lui alors que le chien a un regard mauvais pour le sorceleur avant d’obéir et de se réfugier derrière elle.
- Pardonnez-la, mon seigneur, supplie la jeune femme, la tête basse. Elle est nerveuse à cause du voyage mais je vous assure qu’elle n’est pas dangereuse. Jamais elle ne vous attaquerait.
La peur dans sa voix est évidente. Dans son odeur aussi. Quelque chose de désagréable et piquant, qui rappelle leur fameuse nuit de noce, même s’il n’y a plus les parfums lourds et entêtants qu’elle portait alors. La réaction de sa reine est trop vive, trop soudaine, pour que ce soit la première fois que cela arrive et il se demande si Radowid ou Vizimir ont déjà menacés ses animaux.
L’agacement qu’il a ressenti en se faisant grogner dessus s’estompe. Il est évident que son épouse aime ses bêtes. Peut-être est-elle une espionne, peut-être leur mariage est-il voué à l’échec, il ne peut nier qu’elle est sincère dans ses sentiments et s’il n’était pas lui-même, pourrait-il en être envieux. Comme cela doit être agréable d’être aimé ainsi…
- Du moment qu’elle n’attaque pas sans raison, la rassure-t-il, je ne ferais rien à ton chien. Nous devons partir à présent.
Comme un test pour l’animal, Geralt offre sa main et Julia hésite une seconde avant de la saisir et se relever. Dans son dos, les chiens grognent. Deux, car Sélène semble partager les mêmes sentiments que sa sœur et n’est plus assez malade pour les ignorer.
- Habituellement, souffle le sorceleur sans lâcher la main de son épouse, j’ai ce genre de réaction de la part des chats.
- Oh ?... S’étonne la jeune femme, après avoir ordonné à ses animaux de se taire encore une fois. Pardonnez-les, mon seigneur, elles sont… très protectrices envers moi.
Geralt accepte l’explication d’un signe de la tête, peu désireux d’avoir plus de détail tout en devinant qu’il y a plus que cela. Il la conduit auprès de son cheval et les chiens ne bronchent pas quand il la saisit aux hanches pour la soulever (elle ne pèse rien) et l’installer sur sa monture mais il sent le poids de leurs regards sur lui tout du long.
La chevaucher reprend, dans une formation plus lâche. Julia ralentit son cheval pour être au même niveau que sa dame de compagnie alors que Yennefer le rejoint. Il devine dans son regard violet qu’elle est mécontente mais la sorcière a la grâce de ne rien dire pour l’instant. Néanmoins, Geralt a déjà les oreilles qui sifflent de ses reproches à venir.
Vespaden est une ville fortifiée qui se dresse sur les rives de la Buina, et entourée de champs et de près. Elle est dirigée par un baron. Felix est de la famille de l’ancien dirigeant, il ne se destinait pas au titre et en a beaucoup voulu aux sorceleurs d’avoir tué son cousin sous prétexte qu’il était trop fidèle à Foltest. Néanmoins, il a juré allégeance au Loup Blanc quand le roi a payé pour ses crimes.
Sans compter le village au pied de la montagne, c’est la ville la plus proche et la plus apte à les accueillir. Cela l’ennui, mais Geralt a conscience qu’il ne peut, en tant que Seigneur de Guerre, se contenter d’une auberge. Yennefer dit que ce ne serait pas bon pour son image et qu’il ne peut pas imposer cela à son épouse (même si la sorcière attend avec impatience la seule nuit de bivouac sur le Tueur pour rire de la reine).
S’ils avaient pu partir à l’aube, comme il l’avait initialement voulu, cet arrêt aurait été inutile, ils auraient pris le Tueur immédiatement et les choses auraient été réglées. Mais son épouse voulait du temps pour se préparer, il ne pouvait pas le lui refuser. Après tout, elle quitte son pays pour le suivre ici…
Néanmoins, Geralt s’attend à ce que son épouse proteste, ou du moins, se plaigne de ce qui n’est qu’un modeste château fort, à la tête duquel il n’y a qu’un simple baron. Pourtant, quand Eskel explique ce que Geralt ne ressent pas le besoin de dire, Julia est compréhensive. Elle s’excuse même encore une fois d’avoir retardé leur départ.
Leur arrivée est attendue et lorsqu’ils sont proche de ses remparts, des cors retentissent pour les annoncer. Ils s’arrêtent un instant au pied des fortifications de la ville pour s’organiser, tous (les sorceleurs) ne souhaitant pas s’attarder en ville après un séjour aussi long à Tretogor.
- Messire Eskel, demande Julia, choisissant sans doute de s’adresser à lui car il a été celui qui lui parle le plus depuis le début, puis-je laisser mes oiseaux libres afin qu’ils chassent ?
Outre les deux faucons, la chouette et le corbeau, la nuée de petits oiseaux qui s’est envolée en passant le portail les a suivie. Ils volètent autour de la jeune femme ou sont posé sur les chariots, à peine dérangé par les sorceleurs. Quant à Paco, il reste fermement accrocher à l’épaule d’Eskel.
- Heu… oui, bien sûr.
Julia le remercie d’un sourire charmant, un de ceux qu’aucune femme n’a jamais adressé à Eskel parce qu’il est sorceleur et balafré et le grand homme se détourne en se grattant la gorge, gêné, sous le regard moqueur de ses frères qui, heureusement, ne disent rien.
Sans réaliser ce qu’elle a fait, la reine se laisse glissée de son cheval d’un mouvement gracieux, sifflant d’un coup sec pour attirer l’attention de ses animaux. C’est assez stupéfiant de voir, alors qu’elle marche vers les chariots, absolument toutes ses bêtes la suivre, les yeux brillants d’envi et joie quand son attention se pose sur l’un d’eux.
- Allé, dit-elle en levant les mains pour caresser les plumes du corbeau et de la chouette. Bonne nuit, mes amours.
La chouette s’envole dans un hululement bas, sans protester, mais le corbeau croasse et saute sur son poignet. Julia rie, laisse l’oiseau picorer un instant ses lèvres avant de le jeter dans les aires. Il râle encore, tourne autour de la jeune femme quelque fois, mais s’éloigne enfin, la laissant se concentrer sur la suite.
C’est fascinant de voir qu’elle n’a même pas à faire de bruit, comme s’il s’agissait d’un rituel journalier. Les deux faucons, l’un après l’autre, viennent s’installer à la place du corbeau, réclament leurs caresses, puis s’envolent eux aussi pour la nuit.
- Paco, laisse messire Eskel pour ce soir, appelle-t-elle alors qu’elle offre un peu de son attention à tous les petits oiseaux qui paillent de joie.
Certains s’envolent et disparaissent eux aussi, d’autres roucoulent et s’installent plus confortablement.
- Vient, renchérie Shani en descendant de cheval à son tour. Je vais rester avec toi. Je vais te donner des fraises.
- Merci, murmure tout bas Julia en posant un instant une main sur le bras de l’elfe.
Le perroquet fredonne mais ne bouge pas, peu désireux de laisser son sorceleur et il faut qu’Eskel lui promette de revenir le lendemain pour qu’il s’envole enfin et rejoigne Shani, qui cherche dans les sacoches de son cheval les fruits promit.
- Bien, je suis prête, annonce Julia en détournant son attention de ses animaux pour regarder les sorceleurs.
La reine se fige sous le regard lourd de toute l’escorte. Avoir l’attention d’une trentaine de sorceleur est assez déstabilisante, et toute princesse habituée à être regardé qu’elle soit, la jeune femme rougie et recule d’un pas, comme effrayé. Intimidée plutôt. Mais elle se reprend, inspire et carre les épaules avant de demander d’une voix ferme :
- Eh bien, vous n’avez jamais vu une dame s’occuper de ses animaux ?
- Nous avons déjà vu des dames avec leurs animaux, rétorque Lambert, suspicieux. Mais ça,
- Allons, maitre sorceleur, beaucoup de ces oiseaux m’ont été donné à l’état d’œuf ! Répond-t-elle avec assurance. Ils sont mes enfants et je les aime comme tel. Et ainsi que je l’ai dit à la dame sorcière, ajoute-t-elle avec un sourire pour Yennefer, ils me le rendent bien.
Lambert grogne, peu convaincu par l’explication mais ne trouve rien pour contrer l’assurance de la reine, qui ne sent absolument pas le mensonge, la conversation dévie sur la répartition des rôles et l’organisation du convoie.
Les chariots et le gros des sorceleurs restent hors de la ville tandis que le Loup Blanc, son conseil et sa reine entrent dans la ville, comme ils ont quitté Tretogor. Les passants s’écartent, saluent le seigneur de guerre avec des cris de bienvenus et de joie mais dans la foule qui gonfle sur leur passage, le sorceleur entend les murmures, les interrogations sur la jeune inconnue qui l’accompagne, qui chevauche à son niveau.
Ils remontent jusqu’au château fort, au centre de la ville, où siège le baron Felix II. L’homme a juré allégeance, applique les lois du Loup Blanc et paie son tribut, mais il n’a jamais fait d’excès de zèle ni montrer la moindre sympathie pour les sorceleurs. L’homme s’occupe de ses terres et se moque bien de devoir s’incliner devant un roi, qu’il soit humain ou non.
Le baron est là, à l’attendre au sommet des marches menant à son château, son épouse, Natasha il lui semble, et ses deux jeunes fils (qui se nommes… ?) avec lui, entouré de toute sa cour. C’est un petit bonhomme rendu grassouillet par l’âge, qui s’accorde bien à sa dame, qui a gardé les formes de sa dernière grossesse.
Le premier mouvement de Geralt lorsqu’il descend de cheval, s’est d’aller à sa rencontre mais quelqu'un se racle doucement la gorge dans son dos lui rappelant qu’il n’est plus seul maintenant.
Avec un regard de remerciement pour Eskel, il change de direction et vient aux cotés de l’immense cheval de Julia pour lui offrir sa main encore une fois. Bien qu’elle ait montré qu’elle n’avait pas besoin d’aide, la jeune femme s’accroche à lui et se laisse glisser à terre. Délicatement, elle s’accroche à son bras et attend silencieusement.
Geralt est mal à l’aise. D’abord parce que deux des trois chiens grognent toujours, trop bas pour qu’une humaine les entende, et qu’ils le fixent comme s’ils allaient lui sauter à la gorge au moindre mouvement, ensuite parce que Felix, sa famille et toute sa cour, les regardent.
Il déteste ça. Être le centre de l’attention. Ce n’est pas dans la nature d’un sorceleur d’attirer le regard ainsi. Ils sont des animaux de l’ombre, habitués à vivre la nuit et à œuvrer dans le noir. Si cette histoire de seigneur de guerre l’a poussé dans la lumière, il n’arrive pas à y prendre gout et il lui faut tout son courage pour ne pas remonter sur Ablette et fuir vers ses montagnes.
Julia doit voir son malaise car après un instant, il sent la main de la jeune femme se poser sur son épaule, attirant son attention. Leurs regards se croisent et elle lui sourit. Elle a l’air confiante. Elle est dans son univers. En tant que princesse, elle n’est pas dépaysée, elle sait ce qu’elle fait. Bien.
Geralt avance enfin, la gardant à son bras. Comme à son habitude, Felix et toute la tripoté d’humain qui forme sa cour s’inclinent tandis que lui les salue d’un mouvement de la tête. Il ne connait rien à l’étiquette, n’a jamais voulu apprendre (être empereur lui donne ce droit), mais voyant Julia s’incliner à peine, sans le lâcher, il suppose qu’il ne doit pas faire si faux que cela.
- Majesté, fait Felix en se redressant. C’est un honneur de vous accueillir vous et votre… suite.
A la fin de sa phrase, le regard interrogateur du baron se fixe sur Julia. Si les oiseaux se sont tous les cinq envolés avant qu’ils n’entrent dans la ville, elle reste une jeune femme inconnue accrochée au bras du seigneur de guerre, son interrogation est légitime. Mais il ne sait pas comment présenter une reine et une fois encore, Julia semble comprendre son malaise.
- Je suis Julia Pancratz de Lettenhove, princesse de Rédanie et… elle a une petite hésitation, qui se traduit par un regard vers lui, puis conclue : épouse du Loup Blanc.
Il y a une acclamation de surprise puis Felix, et toute sa suite, s’inclinent à nouveau. Geralt s’agace de toutes ses courbettes mais ne dit rien.
- C’est une agréable surprise et un honneur de vous accueillir, votre altesse. Je vais organiser un grand bal pour célébrer votre union dès demain et décréter trois jours de fête ! Je vous assure que si nous avions été informés, nous aurions pris nos dispositions plus tôt. Veuillez nous pardonner.
L’obligation dans sa voix est évidente : ça ne le réjouis pas et Geralt, autant par agacement à l’idée de devoir allonger son séjour que par sympathie pour l’homme qui ne l’apprécie guère en retour, refuse :
- Nous repartons demain matin.
La poigne de Julia sur son bras se sert un instant alors que la mine de Felix se décompose.
- C’est très aimable à vous, messire, mais mon seigneur époux a été retenu trop longtemps loin de sa forteresse. Explique-t-elle, amicalement. Il a des obligations qui ne peuvent attendre. Vous devez vous-même être très pris, je me trompe ?
- Non, effectivement, soupire Felix, soulagé. Même un simple baron comme moi n’en finit jamais de travailler, altesse, se plaint-il tout bas.
- On dit que ce qui ne veulent pas du pouvoir l’exerce le mieux, rétorque Julia, charmeuse.
Et le compliment fait mouche. Felix sourit, alors que son épouse à un petit mouvement discret, presque caché par les deux petits seigneurs devant eux, pour lui serrer la main, un sourire tendre sur le visage.
Ensuite, il se passe quelque chose que ni Geralt, ni personne ne comprend. Felix ne s’est jamais caché d’apprécier que moyennement les sorceleurs, qui l’ont tiré de sa vie paisible à la campagne pour faire de lui un baron par obligation. S’il est toujours à la limite du cordial, ils ne se sont jamais sentit les bienvenus, et comme ils en ont l’habitude, jamais personne ne s’en est plaint.
Pourtant, alors que Julia s’intéresse aux deux garçons, félicitant les parents quand il le faut et saluant leur éducation, tout le monde sent le seigneur et sa famille se détendre, être plus ouvert, presque heureux. Son épouse a le mot juste, le bon compliment, le sourire charmant et avant longtemps, Felix offre à minima d’organiser un banquet dès ce soir, pour fêter leur heureuse union.
Julia a un regard pour Geralt, attendant son accord, et prit au dépourvu, il se contente d’un « hum » qui pourrait être aussi bien un « oui » qu’un « non ». Ça ne semble pas déranger son épouse qui, après une seconde hésitation, reporte son attention sur le baron et répond :
- Se serait avec un grand plaisir, messire.
Geralt grogne, ça ne devait être qu’un arrêt rapide, à peine le temps de laisser passer la nuit pour repartir aux premières heures du jour mais à priori, Julia en a décidé autrement. Et une fois encore, son ressentiment dois se voir sur son visage car, alors qu’ils emboitent le pas pour suivre Felix à l’intérieur, elle murmure, juste assez fort pour que lui seul l’entende, le regard fixer devant elle :
- Que mon seigneur époux me pardonne si j’ai outrepassé mes droits. Le cœur de Julia bat vite, l’odeur de la peur est faiblement présente.
- Que ma dame épouse n’oublie pas que nous repartons à l’aube.
L’odeur de peur s’estompe comme son rythme cardiaque ralentit alors que la jeune femme accepte d’un signe de la tête discret. Ensuite, son visage se fige dans un sourire poli, elle redevient avenante alors que Felix et son épouse bavarde sur les évènements récents.
ooOoo
Evidemment, sans doute parce que personne ne s’attendait à ce que le Seigneur de Guerre ait une reine, il n’y a aucune chambre de prête dans les appartements des invités pour Julia, mais la jeune femme, avec une adresse remarquable, l’accepte avec amabilité, s’excuse même de ne pas avoir pu les avertir en amont et, comble de tout, accepte poliment d’user de la chambre de son époux quand la proposition est faite.
- Des jeunes mariés ne pourront qu’apprécier de ne pas être séparé, annonce la baronne, les joues rouges, d’un ton conspirateur, penchée sur Julia.
C’est une femme bonne-vivante, au parlé trop franc et sans tabou pour une cour traditionnel. Son mari est du même acabit. C’est pour ça qu’ils vont bien ensemble, qu’ils s’aiment et que les sorceleurs les ont choisis pour diriger Vespaden, des années plus tôt.
Le sourire de Julia reste impeccable, elle rougit comme il le faut mais Geralt, malgré qu’il ne soit pas du genre à s’étaler sur les sentiments des autres, voit bien dans son regard couleur d’été la même gêne que la veille. Non, pas gêne. Peur.
- Ce sera comme une seconde nuit de noce.
Si c’est dit comme une affirmation heureuse, la question brille dans le regarde que Julia lui lance et Geralt acquiesce avec un grognement. Son épouse souffle doucement, discrètement rassurée, alors que le couple seigneurial en face d’eux prend congé.
Les appartements sont raffinés, toute une suite avec plusieurs chambres s’alignant dans le prolongement d’un salon richement meublé, chaises, tables, fauteuils et canapés. Il y a des tapis aux sols et des tableaux aux murs.
Pendant un moment, le silence pèse, tout le monde se regarde, gêné par la tournure des évènements et ne sachant pas ce qu’il faut dire puis Eskel commente, perçant la bulle d’inconfort :
- Un banquet est toujours mieux que trois jours de fête, rigole-t-il.
- Mais c’est pire qu’un simple dîner, souffle Lambert en retirant ses épées doubles de son dos. A ce rythme, on rentrera jamais !
- Courage, contre Yennefer en allant se servir un verre de vin d’un pichet posé sur l’une des nombreuses tables, nous passons par Vespaden un peu pour ça.
Même s’il n’aime toujours pas être le seigneur de guerre du nord, et qu’il ne l’aimera sans doute jamais, Geralt sait qu’il n’a pas le choix. Avec une couronne métaphorique sur la tête, il doit se montrer au peuple, il doit parcourir ses terres s’il veut que son empire tienne et que ses lois soient appliquées.
Et il doit montrer qu’il a une reine maintenant.
- Ca ne change rien au plan, gronde Geralt en imitant son frère. Demain, à l’aube, nous repartons.
Eskel, Lambert et Coen grognent un « Loup Blanc » d’une même voix, acceptant l’ordre, alors que Yennefer lève son verre, presque moqueuse de son ordre. C’est à cet instant qu’on toque à la porte. Elle s’ouvre avant qu’ils ne puissent rien dire et une tripoté de serviteur entre, portant leurs affaires alors qu’un majordome les informes que les festivités débuteront au coucher du soleil.
Julia, qui est restée silencieuse dans l’entrée, profite de la diversion et s’excuse, affirmant qu’elle doit aller se préparer pour cela, quittant la pièce avec ses chiens pour s’enfoncer dans les appartements qui leurs ont été alloués.
- Faites donc cela, altesse. Siffle Yennefer en la suivant du regard.
A l'instant où la porte de la chambre claque, la sorcière lève une main et les quatre médaillons des sorceleurs vibrent à l’unissons quand la bulle de discrétion se referme sur eux.
- Je n’ai pas confiance en elle, annonce clairement la femme sans âge en reposant son verre.
- Elle devait voir Vizimir cet après-midi, répond Eskel avec un regard interrogateur pour Coen.
Le sorceleur lève une main distraite mais ne rencontre rien sur son épaule : Paco s’est envolé avec les autres. Ça fait sourire Lambert mais avant qu’il ne puisse se moquer, le griffon confirme les paroles du commandant en second :
- Elle l’a vu. Mais je n’ai pas été autorisé à assisté à l’entretien et le son dans la crypte est trop étouffé. A peine l’ai-je entendu chanter.
- Crypte ? soulève Eskel.
- Chanter ? Répète Lambert.
Ensuite, Coen leur explique la visite au roi, dans le Grand Temple et certainement dans ce qui doit être le tombeau de son frère, l’ex-époux de Julia. Geralt se renfrogne, se rappelant qu’il est celui qui a fait d’elle une veuve et qu’il n’a pas encore eu le courage d’aborder la question avec elle.
- Elle a parlé de prendre avec elle des instruments de musique… souffle Eskel.
- Eh bien, cela l’occupera ! Se moque Yennefer. Elle doit être tenue à l’écart de tout, à Kaer Morhen.
- Tu penses vraiment que c’est une espionne ?
Même si c’est Lambert qui a émis cette hypothèse, maintenant qu’ils ont rencontré la jeune femme, qu’ils ont vu que ce n’est qu’une gamine de seize ans, le sorceleur semble moins disposer à lui donner ce statut. Geralt ne peut pas le lui reprocher, malgré cette rencontre avec Vizimir, il doute lui-même.
- Je n’arrive pas à lire ses pensées, argumente Yennefer avec agacement. Ce n’est pas… Elles ne sont pas protégées comme le ferait un maitre de l’esprit mais, il y a quelque chose…
- Magie ? Demande Eskel, méfiant.
- Mon médaillon n’a pas vibré une seule fois depuis que je suis avec la reine, informe Coen.
Les autres sorceleurs acquiescent et Yennefer confirme :
- Non, pas de la magie. Je ne sens rien non plus mais…
La perplexité sur le visage de Yennefer est évidente et Geralt comprend. Il y a de quoi l’être entre ces animaux étrangement attachés à la reine et l’incapacité pour la sorcière la plus puissante du continent à lire son esprit. Son instinct de sorceleur le titille, Geralt sait qu’il y a quelque chose qu’ils ne comprennent pas, mais il n’arrive pas à voir de menace réelle chez Julia pour autant.
Pas chez la jeune fille qui l’a supplié pour garder le droit de parler et pour qui le peuple de Tretogor était triste. Pas chez la princesse qui s’est agenouillée pour protéger ses chiens, qui a osée parler pour lui et à de ce fait adouci tout ce que lui pourrait vouloir dire.
- Peut-être n’est-elle pas entièrement humaine ? Propose Coen.
- Ma main au feu, qu’elle est pas humaine ! Gronde Lambert, mécontent.
Le cœur de Geralt ratte un battement alors que quelque chose comme de l’espoir fleurit dans sa poitrine.
- Une princesse de Rédanie ? se moque Eskel. La belle-sœur du roi ? La Rédanie est trop raciste pour ça !
Son frère a raison et lui-même a repoussé l’idée lorsqu’il a vu Julia sans son voile, parce qu’elle trop proche du roi et aussi parce qu’elle est trop jeune.
- Raison de plus pour qu’elle le cache, argumente Lambert.
Mais Geral se souvient que la fée venue le soigner deux fois était jeune, une fille aux formes encore inexistantes, qu’on cherchait à sculpter avec un corset étroit.
- Si seulement elle le sait. Rajoute Yennefer. Ça pourrait venir d’un de ses deux parents sans qu’on le lui ait dit. Ça expliquerait tout.
Le sorceleur n’a jamais donné de détail sur qui l’avait soigné, lors de sa dernière chasse en Rédanie, juste que la cocatrix l’avait blessé et que le commanditaire l’avait aidé. Rien de plus. Il ne sait pas pourquoi il a gardé la jeune inconnue juste pour lui.
- Si c’était le cas, intervient Geralt, pragmatique. Quelle pourrait être son ascendance ?
Peut-être parce que son existence même semble impossible, comme si une fée pouvait appartenir à la noblesse rédanienne, s’intéresser au petit peuple et s’impliquer dans le réseau du Bécasseau, à un âge où on ne sait encore rien de la vie…
- Nymphe, Nixe, Dryade et autre élémentaire de la forêt, liste Yennefer après un temps de réflexion.
- Une sirène ou un succube pourrait avoir ce genre d’influence ? demande Eskel.
- Pas aussi subtile, dément Lambert avec un geste pour son médaillon. Nous sentirions l’influence d’un succube.
- Et nous reconnaitrions le chant d’une sirène, complète Coen.
Geralt, qui les écoute débattre sur la possible bâtardise de son épouse, toujours prit par le souvenir de la jeune inconnue finit par les interrompre tous et demande, presque timidement, s’il pourrait s’agir d’une fée.
- Hé bien, répond Yennefer en réfléchissant à voix haute. Il y a peu d’écrit, les fées sont dans leur monde mais, de ce que j’en sais, elles sont assez proche de la nature pour avoir ce genre de pouvoir sur elle. Mais j’ai des doutes quant à la possibilité pour un simple humain d’en capturer une. Encore moins d’avoir un enfant avec !
Pourtant, il y a quelque part dans le monde une jeune noble qui est une fée, qui le cache et qui aide qui en a besoin… Yennefer le fixe, suspicieuse, et le sorceleur, pas encore prêt à évoquer sa rencontre presque surnaturelle, conclue :
- Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas des espèces dangereuses donc, si aucun mal n’est fait, nous ne ferons rien. Quant à ce qu’elle fera, ou ne fera pas à Kaer Mohren, laissons-là déjà prendre ses marques dans la forteresse.
Les autres sorceleurs acceptent d’un « loup blanc » scandé d’une même voix, mais la sorcière elle, continue de le fixer, méfiante. Finalement, elle accepte elle aussi, du bout des lèvres, sans pour autant abandonner la question.
- Si elle les prend, rigole la brune avant de redevenir sérieuse : je vais enquêter.
Geralt soupire mais ne commente pas. Tout seigneur de guerre qu’il est, il sait qu’il n’a aucun contrôle sur Yennefer de Vengerberg.
ooOoo
Il s’avère que Julia est très sociable.
Le début du banquet est guindé, rigide et calme. Un quatuor de musicien joue des chansons fades et sans originalités, la plupart sans parole. Toute la cour est là, bien entendu, tous engoncé dans trop de couches de vêtement pour être vraiment à l’aise.
Si Geralt n’a pas pris la peine de retirer son armure, se contentant de déposer ses doubles épées dans la suite qui a leur a été allouée, son épouse, elle, a revêtu une robe rouge, certes simple, mais de manufacture riche et précieuse. Des rubis ont remplacé les saphirs et ses cheveux couleur miel sont désormais lâchement retenue en un demi-chignon très proche de la propre coiffure de Geralt.
Le vin et la nourriture sont bons, les choses calmes. Julia discute avec le couple seigneurial, aimable et avenante, et Geralt laisse faire, peu intéressé parce la mode à la cour de Vizimir ou les dernières fêtes paysannes qui ont eu lieu. Puis, petit à petit, la conversation dévie sur la poésie et la musique et même Eskel discute maintenant.
Jamais Felix n’a été aussi avenant avec un sorceleur, c’est assez inhabituel. Et les choses deviennent encore plus étrange quand, en fin de repas, les musiciens commencent à jouer des airs plus vivants, comme des invitations à la danse qui font mouche chez la reine.
- Avec l’accord de mon seigneur époux, fait poliment la jeune femme quand Felix l’invite à danser.
Geralt grogne un « hum », que la princesse interprète comme un « oui ». Le baron a un regard pour Geralt, s’attendant à ce que le sorceleur réclame la première danse avec sa femme mais le Loup Blanc les laisse faire.
Et à partir de là, Julia danse. Avec le baron, avec les nobles et les chevaliers, même avec Eskel et Lambert, dans une gigue mémorable où elle tourne de partenaire en partenaire. Elle irradie de joie, les joues rouges de vin et de danse et le souffle court, quelques mèches blondes s’échappant de sa coupe de cheveux.
Les heures passent, le banquet à perdu toute sa formalité. C’est presque agréable pour les sorceleurs, qui ne sont habitué à côtoyer des humains aussi détendus que cacher derrière les hauts murs de Kaer Morhen. Il y a des rires, des chants, des danses… Vespaden n’est pas aussi formel que Tretogor, et cela semble parfaitement convenir à Julia, qui au centre de tout ça, s’amuse comme une adolescente de seize ans.
Le regard de Geralt est irrémédiablement attiré par sa reine, c’est une belle femme après tout. Mais il n’y a pas que ça. Après l’avoir rencontrée en silhouette sombre et silencieuse, puis l’avoir vu craintive et timide, c’est étrange de la voir irradier littéralement de joie.
- Eh bien, au moins nous seront où la renvoyer quand elle ne supportera plus Kaer Morhen ! Lance Yennefer en venant s’assoir à coté de Geralt, une coupe de vin à la main.
- Hum.
C’était l’idée, accepter le mariage pour la convenance, lui montrer sa forteresse, attendre qu’elle en soit dégoutée pour l’envoyer ailleurs. Avec une autre princesse, cela prendrait sans doute moins d’un mois mais avec Julia, Geralt a le sentiment que ce ne sera pas aussi simple. Toute reine qu’elle est maintenant, elle ne s’est pas offusquée de devoir parler avec un simple baron, elle n’a, à aucun moment, été hautaine ou désagréable avec qui que ce soit.
- A moins que nous devions l’envoyer dans un couvent, gronde la sorcière en fronçant les sourcils, mauvaise.
Geralt suit son regard et voit son épouse rire alors qu’un noble lui fait un baise-mains quand un second à un bras autour de sa taille. Au-dessus du brouhaha général, le sorceleur entend les deux hommes se disputer la prochaine dance avec elle et son épouse, rendue joyeuse par le vin, ou parce qu’elle n’a que seize ans, joue les naïves charmeuses, vantant les mérites des deux lurons sans les départager.
- Tu sais, souffle Yennefer en approchant son verre de ses lèvres, il parait qu’elle n’était pas si fidèle que cela à Radowid. Ce mariage est peut-être une vaste mascarade, mais il ne doit pas t’humilier pour autant.
Geralt grogne, vide sa choppe d’une traite et se lève.
- Il est peut-être temps que je danse avec mon épouse.
A suivre...
Notes:
Est-ce que Geralt danse ? Se battre, c'est danser donc bon...
On aura la réponse la semaine prochaine^^
A bientôt!
BD
Chapter 9: Elle vient de Rédanie, eh bien, qu’elle y retourne !
Chapter Text
Julia est figée par la terreur. C’est assez désagréable de savoir que, dans un comportement normal de fuite ou de combat, son corps lui choisi plutôt de ne rien faire. L’avantage, c’est qu’elle ne peut pas faire de faute de protocole et se donner en spectacle ainsi.
L’inconvénient, c’est qu’elle reste à disposition de son époux qui approche, le visage fermé, les yeux brillants de colère.
Elle ne sait pas ce qu’il va faire. Elle sait ce qu’aurait fait Radowid mais, le Loup Blanc… C’est un sorceleur et même si Julia est prête à lui accorder le bénéfice du doute sur toutes les histoires qui se racontent sur sa guilde, à cet instant, elle réentend toutes les rumeurs, tous les on-dit, tous les terribles récits qu’on raconte aux enfants le soir pour qu’ils soient sages.
Les deux seigneurs qui se disputent sont si peu attentif à la reine qu’ils ne remarquent pas son état de stupeur. Ils ne remarquent même pas l’approche du Loup Blanc, le premier continu de lui tenir la taille quand le second tient son bras dans une prise ferme, presque douloureuse.
Puis le Seigneur de Guerre arrivent à leur niveau et se racle la gorge. Mécontent, les deux hommes tournent leur attention sur lui et c’est comique de voir une peur similaire à celle que ressent Julia les faire pâlir. Ils bafouillent, ils s’excusent et surtout ils la lâchent et la poussent, presque la jettent dans les bras du monstre pour sauver leurs vies.
Son époux ne parle pas, et Julia se demande si c’est la colère qui scelle sa bouche. Quand il tend une main pour la passer dans son dos, elle sursaute et se crispe, mais se laisse guider jusqu’à la piste de danse où Julia laisse sa mémoire musculaire faire la suite.
Elle ne savait pas qu’il dansait, n’a montré aucun intérêt à cela, ni lors de leur mariage, ni au début du banquet. Mais le Loup Blanc danse, et danse bien. Il est souple et adroit, toujours juste dans ses pas. Quand il lui saisit la main ou la taille, ses grandes mains sont douces, la pression presqu’un effleurement.
Son cœur de sourie ralentit, la terreur s’éloigne doucement alors qu’elle reprend petit à petit possession de son corps, participant à la danse consciemment au lieu de suivre par automatisme. Elle arrive même à sourire à nouveau.
- Hum. Fait le sorceleur.
Il semble se détendre lui-même. Sur son visage d’albâtre, il n’y a plus de trace de colère, et ses yeux semblent plus doux. Il sourit presque et Julia le trouve soudainement… magnifique. Oh, elle l’a toujours trouvé beau (même lorsqu’il était empoisonné et couvert de sang de monstre) avec sa grande taille, sa carrure impressionnante, ses long cheveux blancs et son visage bien fait que les cicatrices n’ont réussi qu’à embellir, mais là, c’est différent, plus intense. Son cœur rate un battement.
La fin de la danse se fait face à face, et Julia ne quitte pas des yeux son partenaire, comme subjuguée par lui. Le Loup Blanc ne regarde pas directement son visage, la tête baissée pour s’assurer que leurs pas ne s’entrechoquent pas (une politesse que tout le monde n’a pas et Julia a déjà mal aux pieds à cause de quelques mauvais danseur).
La dernière note retentit, ils s’arrêtent et enfin, le Loup Blanc lève les yeux vers elle et sous son regard intense, Julia se sent rougir, son cœur s’affole et elle baisse les yeux, comme une pucelle le jour de ses noces. C’est ridicule, parce qu’elle n’est pas une pucelle le jour de ses noces et que le sorceleur en face d’elle est son époux. Elle a le droit de le regarder et c’est même mieux qu’elle le trouve à son gout, non ?
Julia recule d’un pas et fait une révérence alors qu’en même temps, son cavalier recule aussi et s’incline légèrement, le dos droit. Julia l’entend inspirer profondément, ce qui est étrange parce que cela donne l’impression qu’il la… renifle ? Et quand ils se redressent tous les deux, il croise son regard et sourit.
- Mieux, dit-il en lui prenant la main un instant.
Ensuite, le sorceleur se détourne et pendant quelques secondes Julia reste immobile, incertaine, sans comprendre.
Ils ont juste dansé. Il est venu, en colère, peut-être jaloux mais certainement possessif et, au lieu de chercher querelle avec les deux seigneurs, au lieu de la reprendre sur son comportement et de lui rappeler à qui elle appartient, avec plus ou moins de douleur, ils ont simplement… dansé.
- Vous m’accordez cette danse, altesse ?
Julia sursaute et quitte enfin son époux du regard pour se tourner vers messire Eskel qui lui tend la main et attend sa réponse. La jeune femme, prise au dépourvue, ne dit rien mais répond à son geste et se laisse guider dans une autre danse.
- Geralt ne voulait pas vous effrayer, murmure le sorceleur après quelques pas de danse sans rien dire.
Messire Eskel est aussi bon danseur que le Loup Blanc, avec une taille et une carrure similaire. Même le visage cruellement balafré du sorceleur ressemble à celui de son époux. Julia se demande encore s’ils ne sont pas frère, peut-être jumeau ?
- Vous devez savoir, altesse, que ce que l’on dit sur nous est faux.
L’homme a presque l’air de plaider, comme s’il s’excusait pour tous les racontars qui circulaient sur eux et qu’il la priait de bien vouloir le croire sur parole. C’est une dichotomie étrange : les cicatrices sur le visage du sorceleur le rendent menaçant, comme s’il avait un grognement animal au bord des lèvre à chaque seconde que Dieu fait, mais pourtant, ses paroles, sa voix, son regard, tout n’est que douceur.
Julia sourie en réponse, toute trace de terreur effacée.
- Je sais, répond-t-elle enfin. Mon seigneur époux et vous-même n’avez fait preuve que de courtoisie depuis notre rencontre.
Messire Eskel accepte sa réponse d’un signe de la tête mais il est évident qu’elle ne lui suffit pas. Etrangement, Julia ne veut pas le décevoir, et il a été si gentil avec elle depuis le début, qu’elle se sent assez en confiance pour révéler un peu d’elle-même.
- Ce n’est pas le sorceleur que j’ai craint. Murmure-t-elle.
Son esprit se tourne vers Radowid, vers ses crises de colère et de jalousie, et son sourire perd un peu de sa superbe alors que son regard se voile. Mais avant que son cavalier ne puisse répondre, Julia secoue la tête comme pour les chasser et poursuit :
- Que mon seigneur époux se rassure, je ne suis pas assez stupide pour oser lui faire honte. Je connais les limites.
Messire Eskel pince les lèvres, réfléchissant à ses paroles et Julia s’attend à ce qu’il commente, qu’il questionne, parce qu’il est évident qu’il y a plus à dire, même si elle voudrait le garder pour elle, même si ce n’est ni le lieu, ni l’heure pour ce genre de conversation. Il doit le réaliser car il se contente de conclure par un « bien sûr, altesse », et la danse se termine sans que plus rien ne soit dit.
Quand ils se séparent, Julia décide de se reposer un instant, et retourne à sa table boire un verre de vin. Il ne faut pas longtemps pour qu’elle soit invitée à nouveau, et alors que la fête continue, la jeune reine reprend ses danses, plus attentive cette fois-ci au regard de son époux qui la suit à chaque instant.
ooOoo
Julia passe la journée suivante à somnolée sur son cheval. Heureusement, Pégase est assez calme et bien éduqué pour qu’elle n’ait rien à faire d’autre que rester assise sur lui. L’animal se cale sur le rythme des chariots et suis placidement ses congénères.
Même le reste de ses animaux la laisse tranquille. Les oiseaux volent autour d’elle ou se trouvent un perchoir sur les chariots, les chiens trottinent à ses côtés quand ils ne s’éclipsent pour chasser un lièvre ou un écureuil.
Ils traversent plusieurs villes et villages sans s’arrêter. Tous suivent le Loup Blanc qui est accueilli par des cris de joie, des sifflets et des applaudissements. En revanche, quand Julia marche dans ses pas, la population se referme.
Elle ne porte rien, ni emblème, ni couleur, de la Rédanie, mais avec la guerre qui se termine tout juste, avec ses deux chariots pleins de malles, il est assez facile de deviner qui elle est. Ou en tout cas, de savoir d’où elle vient.
Mais ce n’est pas juste ça. La nuit à suffit à porter la nouvelle de l’alliance qui a mis fin à la guerre et franchement, Julia ne devrait pas être étonnée, à la cour comme dans le monde, rien ne reste secret et les nouvelles voyagent vite !
Dans le bruit de la foule, entre les acclamations heureuse pour son époux et les salut joyeux aux sorceleurs, elle entend murmurer : « c’est elle », « c’est la Rédanienne », « elle n’est pas ma reine », « ils devraient la renvoyer dans son pays »… Et d’autres, de vraies insultes, comme si elle était la responsable de la politique de Vizimir et de la guerre.
Son cœur se sert, et un instant, elle regrette sa décision de taire son identité de Bécasseau. Son regard se fixe sur le dos de son époux, qui chevauche en tête de cortège, qui doit tout entendre parce qu’il est sorceleur, mais qui ne dit rien. Et pourquoi interviendrait-il ? essaye-t-elle de se raisonner, entre elle et ses gens, ce n’est pas son parti qu’il va prendre, se serait de l’autosabotage.
La jeune femme sourie, essaye de faire bonne figure, mais il est évident que la populace se méfie des étrangers, et d’elle tout particulièrement. Et personne dans le convoi de sorceleur ne dit rien. A ses coté, Shani boue de rage mais ses années d’esclavage lui ont appris à tenir sa langue.
Julia essaye de lui sourire à elle aussi, de la rassurer sans parole. Elle va bien, elle savait qu’elle ne serait pas accueillie à bras ouvert, ça ira. Mais ça ne change pas grand-chose, l’humeur de sa dame de compagnie est sombre et, étrangement, celle du reste de la caravane se met au diapason.
Quand le soleil est au plus haut, ils atteignent le pied de la montagne et la dernière colonie humaine, qui, leur dit-on, est devenu une petite ville fortifiée depuis cette histoire de seigneur de guerre, renforcé par le passage de tous les convois de tribus que les sorceleurs reçoivent sans qu’ils ne les aient jamais demandés.
Le Loup Blanc les guide, comme toujours, et quand il s’arrête dans la cour d’un grand bâtiment, qui d’après l’écriteau est une taverne, Julia comprend qu’ils font une pause. La nervosité prend le pas sur la fatigue. Il est facile d’ignorer les insultes quand elle ne fait que passer, mais devoir rester ne serait-ce qu’un repas avec des gens qui la déteste…
Ce ne doit pas être plus difficile qu’un repas à la cour de Vizimir, pense-t-elle pour se donner du courage. Elle est tirée de ses pensées par la sorcière, qui interprète mal son expression :
- Oh je suis désolée, altesse, de devoir vous imposer cette humble auberge. Je sais que nous sommes bien loin des palais d’or et de marbre que vous avez connu jusqu’alors. J’espère que vous pourrez vous en accommoder…
Le ton de la sorcière est faussement mielleux, ses yeux violets brillent d’amusement alors que dans la cour, les garçons d’écurie qui s’activent rigolent ouvertement de la moquerie. Et encore une fois, personne ne s’en préoccupe.
Julia choisi de lui répondre d’un sourire qu’elle sait être faux, crispé et désagréable, puis n’attend pas son époux cette fois-ci pour descende de son cheval. S’il a décidé de l’ignorer, elle peut bien se débrouiller toute seule.
Hélas, peu intéressée par ce genre de détail et maladroite comme à son habitude, Julia atterrie les deux pieds dans la boue, le sol étant encore trempé de la pluie de la veille. Il y a d’autre rire autour d’elle, plus franc, alors qu’elle se raccroche à la selle de Pégase pour ne pas tomber.
Cette fois, messire Eskel intervient, par gentillesse ou par pitié, s’approchant pour lui demander si elle a besoin d’aide. Julia pense une seconde à lui répondre que c’était quand elle se faisait insulter plus tôt qu’elle aurait voulu qu’il intervienne mais préfère se mordre la langue une seconde fois.
- Non, c’est bon, merci messire, répond-t-elle, d’un ton crispé.
Dans le regard doux du sorceleur, il semble y avoir quelque chose comme de la compréhension, comme s’il voyait parfaitement l’agacement contrôlé de la reine, mais l’homme préfère reculer que de poursuivre, et Julia l’en remercie silencieusement. Elle n’a pas assez dormi pour ce qui arrive.
Sur le pas de l’entré, un grand homme à la moustache impressionnante, portant un tablier sur ses vêtements, les accueille chaleureusement. Du moins, accueille les sorceleurs chaleureusement. Comme le reste de la population, quand Julia s’approche à son tour pour entrer, l’homme perd son sourire, lui jette un regard suspicieux et dit :
- Pas de chien à l’intérieur, madame.
Il a un accent du sud, lourd et chantant, et le teint halé des gens de Toussaint. A ses côtés pour leurs souhaiter la bienvenue se tient une elfe, que Julia devine être son épouse. Le reste de l’histoire se déduit facilement et la jeune femme ne peut pas lui reprocher son comportement.
Son époux et la majorité des sorceleurs sont déjà entré et prennent leurs aises dans la grande salle de la taverne. Il n’y a qu’Eskel qui l’attend, poli, et Yennefer, qui regarde avidement, comme si elle attendait la faute, l’instant où Julia deviendra odieuse.
Et quelque part, elle pourrait. Elle est née vicomtesse, elle est devenue princesse de Rédanie, aujourd’hui, en devenant l’épouse officiel du Loup Blanc, elle est techniquement impératrice. Elle devrait, en théorie, pouvoir faire ce qu’elle veut, où elle veut. Mais Julia sait depuis longtemps choisir ses combats.
- Artémis, Hécate, Sélène, rejoignez Pégase. Ordonne Julia.
Faire une scène maintenant, même par une simple négociation, ne servirait pas sa cause, elle le sait. Et cela ravirait trop la sorcière qui se détourne, comme déçue de sa réaction. Et la partie la plus enfantine de sa personne n’a pas envie de satisfaire cette femme si ouvertement hostile.
Elle n’a pas besoin de regarder pour savoir que ses chiennes ont obéis, elle entend leurs soupirs et leurs pattes trainer sur le bois puis dans la boue, s’éloignant doucement. Le tavernier -il doit l’être- irradie de supériorité et Julia ne trouve pas la force en elle de lui sourire, elle l’ignore et s’avance, la tête droite, pour s’installer au côté de son époux.
- Les gens d’ici sont méfiant, lui murmure-t-il en se penchant vers elle.
Ce doit être une excuse, ou en tout cas, le signe qu’il a bien remarqué le comportement des petites gens à son égard, et une fois encore, Julia se console en se disant que son époux ne peut prendre son parti sans risque et que c’est à elle de leurs prouver sa valeur.
Julia accepte ses paroles d’un sourire aimable mais ne trouve pas la force de parler, se contentant d’attendre en silence le repas. L’ambiance est lourde dans la taverne, personne n’ose dire un mot. Les quelques habitués qui leurs ont fait de la place fixent le groupe avec hostilité. Enfin, non, pas le groupe, juste Julia, qui les ignore en concentrant son regard sur Shani, assise à une autre table, en face d’elle.
La fureur évidente de l’elfe lui réchauffe le cœur. Julia sait toute l’estime qu’elle a pour elle, et pour l’instant, cela lui suffit. Assez en tout cas pour ne rien dire quand le tavernier, après avoir servi absolument tout le monde, lui apporte son bol de ragout, le jetant presque devant elle avec mépris.
Le Loup Blanc, qui a déjà commencé à manger, visiblement peu attentif à ce genre de manque de respect envers sa reine, grogne tout de même, et le tavernier tressaille et recule, alors qu’Eskel prend sa défense, gêné :
- Ce sont de braves gens, souffle-t-il, qui ont traversé leurs lots d’épreuve…
Pendant qu’il parle, l’épouse du tavernier, l’elfe, apporte une cruche de bière et quatre choppes qu’elle distribue au seigneur de guerre en premier, puis à Eskel, Lambert et enfin, Yennefer. Ensuite, elle plante son regard méprisant dans celui de Julia et dit, mauvaise :
- Oups. J’en ai oublié une.
Elle s’en va, et il est évident qu’elle ne reviendra pas. Si Yennefer et Lambert partagent un petit rire moqueur, Geralt grogne une seconde fois mais ne commente pas, se contentant de pousser sa choppe vers sa reine. Eskel ouvre la bouche pour intervenir, mais avant qu’il ne puisse parler, Shani se lève, faisant grincer sa chaise sur le sol de bois.
- Je vais voir les chiens, annonce-t-elle d’un ton colérique, en emportant son repas.
La tavernière, qui est retourné derrière son comptoir, l’interpelle avec un sourire et une voix douce :
- Ma sœur…
- Je ne suis pas ta sœur. La coupe Shani sans un regard pour elle.
- Vous êtes très fidèle, commente Yennefer en se servant de la bière.
L’elfe se retourne, le temps de fusiller la sorcière du regard et répond, hargneuse :
- Parce que sans elle, j’aurais fini dans un bordel et non à Oxenfurt ! Sans…
- Ça suffit, Shani, la coupe Julia. L’ambiance est déjà bien assez tendue sans rajouter ce genre de petite histoire glauque.
La médecin pince les lèvres, mécontente, puis sort en claquant la porte, alors que la tavernière balance la tête, comme si elle refusait ce que venait d’annoncer la jeune femme. Julia soupir, la tête basse. Si elle comprend pourquoi, le geste de Shani ne va pas l’aider.
La jeune reine se tourne vers le reste de sa tablée, forçant un sourire encore une fois. Néanmoins, avant qu’elle ne puisse parler, la tavernière intervient :
- Des petites histoires, crache-t-elle, du venin dans la voix, c’est tout ce que nous sommes pour vous ?
Enfin, le Loup Blanc bouge pour intervenir, mais alors qu’il se redresse à peine, Julia pose une main sur son épaule pour l’arrêter, et se tourne vers elle pour répondre, la tête haute et le ton ferme, comme la princesse qu’elle a appris à être :
- Non. Mais ce que je pense n’importe pas. Pas plus que cela n’importait hier. J’ai conscience des fautes de mon pays, et j’ai de la peine pour vous mais je ne suis pas la Rédanie. Je ne porterais pas le poids de ses crimes.
Elle finit sa phrase en tournant les yeux vers son époux et Julia rougit en croisant le regard doré du sorceleur qui la fixe, comme tout le reste de la pièce. Il n’y a pas la même sévérité que la veille, quand il s’est approché pour l’inviter à danser, la sortant d’un conflit entre deux seigneurs. Ciel, à cet instant, Julia avait cru qu’il allait la ramener dans sa chambre et la battre. C’est ce que Radowid… Mais son seigneur époux n’est pas feu l’ancien prince, et il s’est contenté de danser avec elle.
Non, il n’y a aucune trace de mécontentement comme la veille, ou de colère. A la place, Julia pense lire sur son visage d’albâtre ce qui pourrait bien être de l’étonnement. Et peut-être une petite pointe de respect, mais elle ne le connait pas assez pour en être sûr. Néanmoins, elle lui sourit, le cœur battant, et il a un rictus en réponse qui pourrait être un micro-sourire.
L’instant est coupé par la tavernière qui lance, toujours visiblement rancunière, un « ta peine m’importe peu, rédanienne ! », avant de tourner les talons et de quitter la grande salle pour les étages. Son époux s’excuse pour elle, en quelques mots, et sans s’adresser à Julia, et la reine comprend qu’il partage les mêmes idées.
Elle ne s’attendait pas à ce qu’un petit discours improvisé dans une auberge change la donne mais, elle baisse les yeux, dépité. Les choses ne vont pas être facile pour elle, et si ici, au pied de la montagne, les gens lui sont si réfractaire, qu’en sera-t-il du reste des sorceleurs, qui eux ont dû faire la guerre à cause de sa patrie ?
L’appétit coupée, la jeune reine s’efforce de se concentrer sur son repas, en mangeant la moitié dans le silence pesant qui, comme une lourde toile d’araignée, emprisonne à nouveau toutes les personnes présentes dans la grande salle.
A suivre...
Chapter 10: Petite histoire glauque et un peu plus
Chapter Text
Pas un mot de trop n’est prononcé quand le Seigneur de Guerre ordonne le départ et il faut un moment de chevauchée pour que l’ambiance se détende, au moins assez pour que les bavardages reviennent.
Julia ne parle pas, et Shani, qui voyagent à sa gauche, non plus. Faisant confiance à Pégase pour suivre le reste des chevaux, elle se concentre sur Loki, son corbeau, qui voyant son humeur sombre, et venu se poser sur son poignet. L’oiseau s’appuis de tout son corps sur sa poitrine, et garde sa tête lovée dans le pli de son cou pendant que de sa main libre, la reine caresse ses belles plumes noires dans un mouvement lent et répétitif.
Concentrée sur Loki, Julia ne remarque pas qu’un autre cavalier vient se placer à sa droite et il faut un mouvement brusque de Pégase, qui redresse la tête d’un coup sec pour éviter le coup de dent de la jument à côté de lui, pour la tirer de ses pensées.
- Qu’est-ce que…
- Chut, Ablette, laisse-le tranquille. Ordonne nul autre que le Loup Blanc en flattant l’encolure de sa monture.
Ablette hennit, mécontente, mais obtempère, se concentrant sur l’étroit chemin qui serpente à flanc de montagne. Loki lui répond d’un croassement tout aussi indigné, avant de réinstaller contre Julia et la reine reprend ses caresses, son attention tournée vers son époux cette fois-ci.
- Pardon, fait ce dernier, Ablette n’aime personne.
- Personne hormis vous, mon seigneur.
Il fait encore ce bruit, ce « hum », qui pourrait être tout et n’importe quoi, et garde le silence un instant. Julia est curieuse, elle voudrait lui poser des questions, sur le voyage, sur la destination… Elle voudrait savoir surtout pourquoi il vient lui parler alors qu’il l’a ignoré toute la matinée. Néanmoins, elle a un petit doute et un instant, elle se demande s’il va lui reprocher son intervention, dans la taverne. Une reine qui s’abaisse à répondre à une simple roturière…
Néanmoins, quand il parle, ce n’est pas pour lui faire la moindre critique, non. A la place, il l’interroge simplement sur la « petite histoire glauque » de Shani, et d’un regard autour d’elle, Julia voit que toute la caravane a son attention tournée vers elle.
Mais ça ne l’intimide pas, elle a l’habitude de parler en public, et a été des années à la cour de Vizimir, qui est bien plus insidieuse et difficile à vivre, alors elle garde un instant le silence, réfléchissant à l’histoire à raconter.
Ce n’est pas une belle histoire, et il y a des choses sur lesquelles elle ne veut pas revenir et qu’elle ne souhaite absolument pas partager. Néanmoins, si ce que messire Eskel a dit le soir de la nuit de noce est vrai, elle va devoir faire attention à ses mots.
- J’ai grandi dans un petit comté, au bord de la mer, commence-t-elle, son regard se perdant au loin. Lettenhove est un endroit féérique où il fait bon vivre. J’y ai vécu mes plus belles années.
Ses paroles sont étranges, presque ridicules, parce qu’elle n’a que seize ans et que peut-elle bien connaitre du monde et du bonheur à son âge ? Mais ni son époux, ni personne autour, ne commente et Julia poursuit, baissant les yeux sur les plumes qu’elle caresse toujours.
- Durant l’année de mes onze ans j’ai… elle hésite sur les mots car ne veut pas donner trop de détail, et donc finalement, elle poursuit : j’ai été malade. J’ai failli mourir.
Ce qui n’est pas un mensonge en soit, donc aucun sorceleur ne semble réagir.
- Mon père a fait appel à la guérisseuse du village. C’était une vieille femme qui possédait Shani, et lui enseignait tout ce qu’elle savait. Elle était…
- Gentille, fait l’elfe restée à sa gauche quand Julia ne trouve pas ses mots. Zéphora était gentille. Elle disait que j’avais du talent, et que je devais me former davantage.
La peine dans la voix de la jeune femme est évidente, comme si elle parlait d’une grand-mère aujourd’hui disparue et c’est un peu le cas. Julia le sait alors, au lieu de continuer à caresser Loki, elle tend une main et prend celle de son amie, qui la sert en retour.
- Mais ce n’était pas de l’avis de son fils. Reprend Julia en tournant son attention sur son époux.
Son époux a le regard fixé un instant sur leurs mains jointes mais ne commente pas, attendant qu’elles poursuivent, à priori non dérangé par l’intervention de sa dame de compagnie. D’ailleurs, encouragé par cette absence de remarque, Shani poursuit sa propre histoire avec une franchise rude :
- L’idiot était accro au jeu et dépensait tout son argent à la taverne, chaque soir. Reprend-t-elle, avec colère. Et il était violent quand il perdait, ce qui arrivait souvent !
Julia est épatée par le courage de son amie, qui admet à haute voix les sévices qu’elle a subie. Pour elle, c’est inimaginable de raconter ne serait-ce qu’un peu de ses propres drames. Elle voudrait avoir son courage et sa force.
- L’enfoiré voulait me vendre au bordel pour payer ses dettes. Explique l’elfe avec colère. Il disait toujours que c’était là que j’allais finir. Il en parlait souvent, et Zéphora était vieille, trop pour s’opposer encore longtemps à lui.
L’elfe a un frisson et Julia sert un instant sa main, comme pour lui rappeler que ça ne s’est pas fait, qu’elle est en sécurité et même libre maintenant qu’elle est sur les terres du Loup Blanc et que les lois esclavagistes ont été abrogées.
- Shani m’en avait parlé, reprend Julia, quand elle venait me voir pour me soigner. Elles m’ont sauvé mais ma convalescence allait être longue. Plusieurs mois, au moins.
- Quelle maladie a pu vous affaiblir ainsi ? S’étonne Yennefer.
Cette fois-ci, la question ne semble pas être une agression comme chaque parole que la sorcière à eut pour elle depuis leur rencontre. Elle semble réellement curieuse de savoir et cela doit être de la curiosité professionnelle, les sorcières étant connu pour être un peu guérisseuses elles aussi.
- Je… hésite Julia. Cette fois, c’est Shani qui la console en lui serrant la main, et cela lui donne la force de poursuivre, cherchant à rester vague. J’aimais jouer dans les lacs, courir dans les ruisseaux…
- Ma maitresse est tombée malade en hiver, la coupe Shani.
Ce n’est pas un mensonge et c’est assez simple pour qu’un scénario se dessine dans leurs esprits, un scénario à des kilomètres de la vérité, et ça convient parfaitement à Julia qui poursuit l’histoire ;
- Mon père a pensé qu’il me fallait quelqu’un pour prendre soin de moi alors je lui ai demandé d’acheter Shani, à tout prix. Il a refusé.
- Tout le monde savait que monsieur le vicomte n’a pas d’esclave ! commente Shani.
Il y a des exclamations de surprise, et des questions fusent immédiatement alors Julia les coupe et explique rapidement :
- Père a toujours été contre l’esclavage. Ce n’est pas quelque chose de digne et il a toujours été frustré de ne pas pouvoir l’abolir sur ses terres sans devenir un ennemi du roi.
- Eh bien, intervient Eskel en regardant au-dessus de son épaule pour croiser son regard, maintenant, il peut.
Julia lui sourit, et il se détourne rapidement, comme gêné, mais la jeune femme n’y prête pas attention et s’exclame avec un rire :
- Oui, ça doit être le cas. Cela au moins, doit le satisfaire.
Son sourire se fane. Repenser à son père, c’est repenser aux derniers moments qu’elle à passer avec lui, à ses dernières paroles qui étaient si dures, si méchantes… Julia a grandi en étant aimée de ses deux parents, mais quand sa mère est partie…
- Mais il l’a fait, il m’a acheté, fait Shani en serrant encore sa main pour attirer son attention.
Julia retrouve son sourire et s’extirpe de ses souvenirs. Du coin de l’œil, elle voit son époux froncer les sourcils mais l’homme ne commente pas et la laisse poursuivre son récit :
- Il n’a cédé que parce qu’il fallait quelqu’un pour me soigner, et parce qu’il ne pouvait pas laisser ce drame arriver.
- Et tu l’as prise avec toi à Tretogor. Devine facilement le Seigneur de Guerre.
- Pour avoir un visage familier à vos côtés, suppose Eskel, sans la regarder cette fois-ci.
- Hum.
Ce n’était pas seulement pour ça, mais Julia n’a aucune envie d’expliquer les autres raisons qui l’on poussé à garder une guérisseuse à ses côtés. Shani lui sert discrètement la main et poursuit l’histoire, expliquant comment, grâce à l’influence d’une princesse, sœur du roi, elle a pu forcer les portes de la faculté de médecine.
- Je ne pouvais y aller que le matin, je devais apprendre et comprendre en quatre heure ce que les autres étudiaient en une journée mais ce n’était pas grave. Julia m’a laissé du temps au palais pour continuer d’étudier, m’a acheté tous les livres dont j’avais besoin, m’a permis de me rendre dans les hospices de la ville pour m’exercer, a payé une magicienne pour m’ouvrir des portails entre Tretogor et Oxenfurt. Sans elle…
- C’est une très grande générosité, commente Yennefer en tournant son regard violet vers Julia.
Pour la première fois, il n’y a aucune hostilité dans les pupilles à la couleurs si atypique. A la place, il y a quelque chose comme du respect, que Julia reconnait avec un petit signe de la tête avant d’expliquer :
- Mon père m’a bien éduqué. J’ai eu la chance de bien naitre, ce n’est pas le cas de tous. Nous devons aider ceux qui en ont besoin.
Comme un test, la sorcière tourne son attention vers Shani et demande :
- Tu sais que tu es libre maintenant ? Tu n’as plus besoin de sa protection ?
- Je sais, répond Shani. Je vais peut-être enfin pouvoir payer ma dette.
- Tu sais que tu ne me dois rien, rétorque immédiatement Julia.
Mais ce sont visiblement des paroles en l’air, des choses qu’elles se sont déjà dites et Julia soupir en levant les yeux au ciel.
- Parler de ton père te rend triste. Lance son époux sans fioriture.
Un instant, Julia est prise au dépourvue, ne sachant pas quoi répondre. Le pouvoir des sorceleurs est terrifiant si en plus de réussir à détecter les mensonges, ils peuvent aussi discerner les émotions de leurs interlocuteurs.
- Oui, cela m’attriste. Confirme Julia.
- Est-il… ?
- Non, il n’est pas mort. L’interrompt-elle rapidement. Mais nous ne nous sommes pas séparés en bon terme et cela fait des années que je ne l’ai pas vu. Vous vous doutez bien que, vu ce qu’il pense des lois du roi, il n’est pas le bienvenu à la cour. Pas qu’il n’ait jamais voulu y aller.
- Mais c’était ce que toi, tu voulais ? Demande le Loup Blanc avec appréhension.
Julia ne comprend pas et cela doit se voir dans son regard car messire Eskel, qui tourne la tête pour la regarder, intervient et explicite ce que le Loup Blanc à dit en si peu de mot :
- Si vous aimez la cour de Vizimir, vous allez détester la vie à la forteresse.
- Oh ! comprend Julia. Non, oui. Comment dire ?
C’est un détail de l’histoire qu’elle ne veut pas donner mais pourtant, elle ressent le besoin de le rassurer alors, après un instant de réflexion, elle dit :
- Je n’ai pas choisi Tretogor et père, il… Il était contre mais m’y a tout de même envoyé, dit-elle en essayant de garder la vérité sans mentir. Et en tant que femme de la noblesse, je n’avais pas mon mot à dire.
C’est presque un euphémisme à ce stade, et c’est quelque chose dont elle n’a toujours pas fait son deuil, d’avoir été obligée de quitter son petit comté pour la grande ville, et cela pour devoir épouser Radowid. Mais avant que ça tristesse ne revienne, Lambert, silencieux jusqu’à présent, intervient :
- Vous avez pas choisi et il vous en a voulu quand même ? s’écrit-il, scandalisé.
Le sorceleur a tiré ses propres conclusions, qui ne sont pas si loin de la vérité, et sa réaction semble disproportionnée. Julia se demande un instant s’il n’y a pas quelque chose à explorer là, du côté de l’homme, mais elle ne le connait pas assez pour oser poser des questions. A l’inverse, elle se contente de protester :
- Mon père n’est pas un mauvais homme, maitre sorceleur. Explique-t-elle tristement. C’est quelqu’un de bien. Lui et ma mère m’ont élevé dans l’amour. Mais quand ma mère est partie, il… il est devenu amer.
La douleur dans sa voix est évidente. C’est quelque chose qu’elle ne souhaite pas aborder. Malgré les années écoulées, c’est toujours une plaie purulente dans sa poitrine, une déception, non, une trahison trop grande, il n’y a pas de mot pour la décrire.
Loki croasse doucement, cherche à se rapprocher encore d’elle, alors que Heru et Horus crient au-dessus d’elle, seul avertissement avant qu’ils ne plongent et ne se posent chacun sur une épaulette, se lovant contre elle alors que les deux oiseaux fouillent dans ses cheveux. Ça calme son envie de pleurer, et elle rit doucement.
- Vous me décoiffez, s’indigne-t-elle en secouant la tête pour les déloger.
Les faucons ne bougent pas, mais cessent de fouiller ses cheveux.
- Pardonnez-moi cette question, peut-être indiscrète, fait Yennefer, mais qui était votre mère ? Je n’ai rien trouvé sur elle hormis son nom.
L’avidité est de retour dans le regard violet de la sorcière et Julia comprend que c’est une question qu’elle ne pourra pas éluder. Elle déglutit. A Tretogor, elle n’avait pas le droit d’aborder la question de sa mère, c’était une trop grande honte. Mais ici, avec le Seigneur de Guerre que son conseil tutoie et appelle par son prénom, alors qu’ils ont mangé dans une simple taverne plus tôt, sans aucune fioriture, elle se demande si ce sera la même chose. A son tour de tester les eaux…
- Ma mère… n’était pas de la noblesse, avoue-t-elle avec hésitation. Quand mon père l’a rencontré, il en est tombé éperdument amoureux. Il a tout fait pour pouvoir l’épouser. Quand elle est partie, il a été dévasté.
- Oh, s’étonne la sorcière en fronçant les sourcils. Vous êtes la fille d’une roturière. Résume-t-elle sans y croire. Et vous avez épousé le frère du roi ?
- Quel conte de fée ! se moque Lambert avec un reniflement méprisant.
Julia se mord la langue pour retenir un commentaire sarcastique. Il lui faut quelques instants inconfortables pour trouver comment aborder Radowid sans parler de tout le reste. Mais son esprit est vide hormis la honte mortifiante qui la prend.
- Ce n’était pas un conte de fée, intervient Shani. Si ma maitresse avait pu choisir, poursuit-elle, elle n’aurait choisi ni Tretogor, ni le prince Radowid.
- Le choix est une chose qu’aucune rédanienne ne possède, commente Julia en lançant un regard noir a son amie.
Elle ne sait pas si les sorceleurs savent exactement à quel âge elle avait épousé Radowid, comme elle ignore si cela aura la moindre importance pour eux (même si à croire les paroles de son époux lors de la nuit de noce, c’est peut-être le cas). Toujours est-il que son union avec le prince est la résultante de sa plus grande honte, et elle ne souhaite rien partager de toute cette terrible histoire.
Shani a la politesse de se mordre les lèvres et de baisser les yeux, contrite. Satisfaite, Julia tourne à nouveau la tête vers son époux, et a la surprise de le trouver… préoccupé. Du moins, c’est ce que semble dire ses sourcils froncés.
- Je suis celui qui a tué Radowid. Dit-il sombrement.
Il a l’air de culpabilisé, cela dérange Julia car elle a très bien connu le prince, malheureusement, et il ne mérite pas que son bourreau ressente le moindre regret de son action !
- Oh, oui, c’est ce qu'on m'a dit. Admet Julia. Elle hésite un instant mais, ressentant le besoin de rassurer son époux, poursuit : prenez-le comme vous voulez mais c'est un événement dont je m’accommode parfaitement.
Maintenant qu'elle n'est plus en terre rédanienne, Julia ne craint plus de donner son véritable avis sur le prince, même si elle ne souhaite pas entrer dans les détails. Et qu'importe qu’ils pensent qu'elle ne dit cela que pour attirer leur sympathie.
- Et pourtant, tu ne m’as pas plus choisi que Radowid.
- Non, c'est vrai. Concède-t-elle. Mais jusqu’à présent, vous vous êtes montré meilleur époux que feu le prince, mon seigneur.
Le ventre de Julia se sert de crainte que son aveu n’ouvre la voie à d’autres questions. Des questions plus précises, ciblées pour l’obliger à avouer plus que ce qu’elle ne peut en dire maintenant. Heureusement, ce n’est pas le cas.
- Hum. Fait son époux.
Cela semble clôturer la conversation, au moins pour quelques dizaines de minute. Ses faucons reprennent leurs envoles et même Loki s’éloigne en quête d'un repas.
- Puis-je poser une question à mon tour ? Demande Julia quand le silence l'ennuie plus que la fatigue ou la tristesse.
- Hum.
La petite reine sourit, amusée, décide d’interpréter ce grognement comme un « oui » et de poursuivre sur sa lancée :
- Dites-moi, chers sorceleurs, les plus vieux livres que j’ai lu sur votre guilde disent que vous êtes à l’origine des chasseurs de monstre. Est-ce vrai ?
- Hum.
Cette fois encore, Julia décide que c'est un « oui ». Elle se demande si un jour, elle aura droit à des mots ou si son époux est si avare de parole pour tous et tout le temps.
- Comment… comment êtes-vous devenu Seigneur de Guerre ?
- Hum. Fait encore le Loup Blanc en fronçant les sourcils. Nous avons tué un monstre.
Comme c’est à priori une habitude, messire Eskel reprend et explique :
- L’ancien roi de Kaedwen n’était pas un bon roi. Il était cruel et méprisait son peuple. Mais surtout, il avait un appétit insatiable et meurtrier pour les jeunes femmes. Une femme dont la fille avait été sa victime est venue demander notre aide, et nous l’avons aidé. La suite… n’était pas prévue.
Comme c’est intéressant, ce n’est pas l’histoire qu’on lui apprit. Elle a toujours douté de la version qui dit que les sorceleurs sont de simples barbares nomades décidant un jour sur un coup de tête de menacer les royaumes souverains. Son doute n’a fait que s’amplifier depuis qu’elle les côtois, cette version lui convient mieux, et lui semble plus probable.
- Ce n'est pas ce qui est raconté en Rédanie, ni ailleurs je suppose.
Autour d’elle, aucun sorceleur ne semble dérangé par cette information. Sans doute ne leur apprend-t-elle rien mais la jeune reine se demande s’ils savent réellement toute la noirceur de ce qui est raconté sur leur dos.
- Les gens ont toujours dit des conneries sur nous ! S’exclame Lambert, avec du fatalisme dans la voix.
- Maître sorceleur, continue la reine en s'adressant à lui spécifiquement, les avez-vous déjà détrompés ? Il y un silence alors Julia poursuit, les sourcils froncés. N’avez-vous jamais fait entendre votre version de l’histoire, même ici, sur vos terres ?
- Ce ne serait pas une mauvaise idée, songe Yennefer en se frottant le menton. Encore faudrait-il trouver un historien pour rédiger un livre. Et qu’il trouve son public, ce qui n'est pas gagné.
Il faut moins de deux secondes de réflexion avant que Julia ne propose :
- Je connais peut-être quelqu'un. Il est poète et adore les histoires. Comme moi, d’ailleurs. Je pourrais faire l’intermédiaire, lui envoyer les histoires que vous me dicterais pour qu'il en fasse un recueil. Peut-être même des chansons, il est barde.
- Vraiment ? Relève Yennefer, peu impressionné. Vous, vous connaissez un barde prêt à utiliser sa plume pour défendre l’honneur des sorceleurs ?
L'ensemble de la troupe grogne et se moque, aussi peu convaincue que la sorcière alors, se rappelant que les fichus surhommes sont capables de détecter les mensonges, Julia affirme :
- Je les rédigerai moi-même, ces livres et ces chansons, si Jaskier refuse de m’aider.
Bien entendu, ce n'est pas un mensonge, et son cœur qui s'emballe d’excitation à l’idée d'un sujet aussi innovant et intéressant peut passer pour un accès de bravoure à l’idée de devoir signer elle-même cette œuvre ho combien jamais vue.
- Jaskier ? Répète Yennefer. Vous connaissez Jaskier, le barde ? Celui dont personne ne connaît ni le visage ni l’identité ni même la voix ?
- Comment peut-il être barde et connu, soulève Lambert, curieux.
- Par ses livres et recueil de chanson. Répond Yennefer. Tu en martyrise quelques-unes quand tu te décides à chanter, se moque-t-elle, son attention toujours fixer sur la reine.
Julia rougit et une fois encore, c'est mal interprété. Elle n'est pas en train de mentir ou de paniquer à l’idée de proposer plus qu'elle ne peut faire. Non, comme à chaque fois que cela arrive, elle est à la fois ravie et mortifiée que son alter-ego masculin soit connu et reconnu.
- Oui, je le connais. Et il le fera, il écrira votre version de l'histoire, pour que le monde sache que vous n’êtes pas des monstres.
- Nous le sommes pourtant, gronde son époux en regardant droit devant lui. Mais avant que quiconque puisse protester, il conclut l'affaire : nous demanderons son avis à Vesemir.
Cela clos la conversation… Une minute. Après quoi, alors que sa main la démange d’écrire et que déjà, la musique se joue dans sa tête, Julia demande des histoires d'avant le Seigneur de Guerre, et si son époux ne dit rien, plusieurs sorceleurs se prêtent au jeu du conte, pour le plus grand plaisir de la reine.
A suivre...
Chapter 11: Tout ceci n'est que pure coïncidence
Chapter Text
La dernière journée de voyage se fait au son du violon que son épouse manipule avec aisance et adresse. C’est celui d’Aubry. Le loup l’a sorti hier au soir, quand ils étaient tous réuni autour d’un grand feu, le ventre remplis d’un bon ragout de cerf.
Même les chiens étaient calmes, occupés à ronger leurs os, ils n’ont pas protesté quand quelques sorceleurs se sont agités, décidés à animer la soirée de chansons paillardes, avec l’idée pas très discrète de faire rougir leur nouvelle reine avec les plus vulgaires d’entre elles.
Et effectivement, Julia a réagi, mais pas comme ils s’y attendaient tous. Au lieu de s’offusquer et de se plaindre, elle a grimacé mais pas à cause des paroles vulgaires. A la fin de la première chanson, Lambert s’est faussement excusé de la choquer, en petit impertinent qu’il sait si bien être.
- Ce qui me choque, maitre sorceleur, a répondu son épouse avec assurance, c’est qu’on me dit que vous devez avoir des sens améliorés et pourtant, aucun de vous n’a remarqué comme ce violon sonne mal.
Après quoi, alors que c’était au tour de Lambert d’être choqué, la jeune femme s’est levée pour aller récupérer l’instrument (le prenant des mains d’un Aubry trop désemparé pour protester) et quelques manipulations plus tard, elle reprenait la mélodie, la jouant comme s’il s’agissait d’un morceau connu depuis longtemps, et le violon sonnait bien mieux.
- Si vous aimez les chansons paillardes, a-t-elle dit en tournant sur elle-même pour voir tout le monde, alors vous devez connaitre celle-ci.
Et Julia a entamé un morceau entrainant et connue du barde Jaskier, y ajoutant plus de fioritures, comme s’il n’y avait pas qu’un seul violon. Et accompagné des cris de joie des sorceleurs, elle a commencé à chanter, les paroles comiques tombant sur sa langue comme si elle les avait écrites elle-même.
La suite de la soirée s’est passé ainsi, Aubry lui laissant l’instrument avec plaisir, admettant humblement qu’elle est bien meilleure musicienne que lui. Et il n’en a pas fallu beaucoup à Julia pour se laisser convaincre de jouer encore et encore, des chansons qu’elle connaissait et d’autres, qu’elle ne connaissait pas. C’est épatant de voir qu’il suffit de lui chanter la mélodie une ou deux fois pour qu’elle puisse la reprendre et l’améliorer.
- Et vous ne l’avez pas entendu jouer du luth, a soufflé Shani près de lui.
Geralt a passé la soirée à regarder son épouse s’amuser, comme il l’avait fait la veille, chez le baron. Plus il la connait, plus il se demande si on ne leur a pas mentit, si la jeune femme est vraiment une noble membre de la royauté rédanienne. Elle semble aussi loin du cliché de la princesse fragile et délicate que lui l’est du prince charmant.
Julia ne s’est pas plainte de devoir dormir à la belle-étoile, elle s’en est même réjouis comme d’une expérience nouvelle. Elle ne s’est pas plainte de manger dans une taverne ou même de dormir chez un simple baron. La jeune femme est vive et joyeuse, douce et accommodante. Et là, avec de la musique entre les doigts, elle semble revivre, comme une plante privée d’eau se redresse quand enfin on l’abreuve.
Monter sur Ablette, Geralt s’arrête sur le bord du chemin pour attendre et laisser passer le début du convoie, le regard toujours attiré par son épouse qui joue encore et encore, des chansons complètes ou quelques notes improvisées. Est-ce qu’elle compose ? Il l’entend marmonner par moment…
Sa voix… Geralt a le sentiment de l’avoir déjà entendu mais il n’en est pas certain. Ou du moins, il n’arrive pas à s’en convaincre parce que vraiment, se serait un hasard improbable, quelque chose de l’ordre de la Destinée si elle et la fée qui l’a sauvé deux ans plus tôt étaient les mêmes personnes.
Surtout, cela voudrait dire qu’elle n’avait que quatorze ans à l’époque, ce qui est bien trop jeune pour participer à un réseau comme celui du Bécasseau. Même si c’est probable, la fée était jeune, il s’en souvient parfaitement. Blonde, comme Julia. Aux yeux bleus, comme elle. Et ils ont convenu que la reine n’était pas tout à fait humaine.
Et sa voix… Julia fredonne quand elle arrive à son niveau et un instant, il revoie la fée, la première fois, alors qu’elle frottait un chiffon sur sa poitrine, avec juste de l’eau mais qui pourtant était plus, assez pour le sauver du poison d’une cocatrix. Geralt lève inconsciemment une main pour frotter sa poitrine. Sous la tunique et le plastron, il y a toujours les trois lignes que le monstre a gravé de ses griffes.
Geralt a envi de l’interpeler, de la prendre à part et de l’interroger mais il se retient, bloqué par l’incertitude. S’il se trompe, si effectivement Julia est une espionne comme le craignent Yennefer, Eskel et Lambert, lui parler de sa rencontre d’il y a deux ans pourrait potentiellement mettre en danger une jeune noble quelque part à Tretogor.
Puis, franchement, Geralt ne veut pas croire au destin (malgré qu’il ait un Enfant Surprise) et se dit que les coïncidences ne sont, ne peuvent, n’être que cela. Comment une princesse, l’épouse du frère du roi, pourrait-elle être au service du Bécasseau ? Les nobles blondes aux yeux bleus sont courantes en Rédanie, c’est la carnation désignée comme trait ultime de beauté. Il doit y avoir beaucoup de femme ressemblant à la fée.
Et à Julia.
De plus, elle l’aurait reconnue, le soir de leur noce ou le lendemain, à la lumière du jour. La fée lui avait clairement fait comprendre qu’elle savait qui il était, Julia aurait eu un geste, une réaction, quelque chose, pour montrer que ce n’était pas leur première rencontre. Ou elle aurait attendu d’être en dehors de la Rédanie, ce qu’il pouvait comprendre, pour le lui dire.
Après tout, Eskel avait été très clair : quand il avait présenté Coen à Julia, il était évident qu’elle avait compris que le griffon était plus là pour la surveiller que pour la protéger, alors, elle aurait parlé, ne serait-ce que pour lever tout doute sur elle.
Cela aurait été pratique. Toutes suspicions à son égard auraient été futiles s’il s’était avéré qu’elle était la fée du Bécasseau. Aucune chance qu’elle travaille de près ou de loin avec Vizimir si effectivement elle protégeait les non-humains et les aidait dans leur fuite. Puis lui aurait alors su ce qu’elle était devenue, elle qui était revenu le voir avec des marques de bâton sur le corps.
Mais Geralt décide que non, elles ne sont pas les mêmes personnes. La coïncidence serait trop grande et Julia aurait parlé. La fée de sa mémoire reste et restera une inconnue, un fait avec lequel il pensait avoir fait la paix depuis longtemps maintenant mais qui le déprime tout de même.
Geralt attend que la caravane soit passée en entier pour talonner Ablette et reprendre son chemin, la mine sombre. Son humeur reste basse pendant le reste du chemin. Inconsciemment, il garde l’oreille tendu vers le violon, écoutant tantôt son épouse chanter, tantôt les sorceleurs s’égosiller, égaillés par les airs rythmés et joyeux qu’elle joue.
Puis à un moment, dans le milieu de l’après-midi, le violon déraille et la musique s’arrête. Geralt, qui était perdu dans ses réflexions et sa déception, sursaute et cherche du regard un danger mais il n’y en a aucun. Pas un monstre n’oserait rôder près de Kaer Mohren et ce n’est pas ça qui a surpris son épouse mais simplement la forteresse.
Julia a stoppé son cheval, et les sorceleurs la contourne sans difficulté, alors qu’elle lève les yeux à s’en briser la nuque pour regarder le château dans son ensemble. Geralt sait que c’est un vestige d’un autre temps, un amas de pierre protégé de lourds remparts, d’une douve et d’un pont levis, le genre de bâtisse qu’on ne construit plus aujourd’hui.
Occupée à scruter le château autant que possible, Julia ne remarque pas la présence de Geralt qui la rattrape. Elle sursaute quand il lui touche le bras pour attirer son attention. Un instant, le sorceleur craint que toutes les plaintes qu’elle n’a pas faites pendant le voyage s’abattent maintenant sur lui parce qu’une princesse comme elle n’a rien à faire dans une forteresse aussi austère.
Mais pourtant, comme toujours, Julia est conciliante. Après la surprise, la joie inonde à nouveau son visage et elle lui sourit :
- Je ne m’attendais pas à ce que votre demeure soit si grande. Dit-elle, impressionnée.
De là où ils sont, ils voient la première ligne de remparts, percée par la grande herse et, dressé derrière, le bas château et surtout, caché derrière une seconde ligne de remparts, le haut château et ses grandes tours, qui, Geralt le sait, offrent une vue complète de toute la vallée. C’est dans l’une de ses dernières qu’il a demandé à faire préparer des appartements pour elle. Tout au sommet, pour les oiseaux.
- C’est aussi la tienne, maintenant. Répond Geralt.
Une partie de lui, celle qui ne pense pas qu’elle soit une espionne, qui a envie de lui faire confiance et d’en faire une amie, raisonne d’espoir à l’idée que peut-être, avec de la chance, Julia sera aussi compliante pour sa vieille forteresse qu’elle ne l’a été pour tout le reste, qu’elle y trouve sa place et souhaitera rester.
Cela ne fait que deux jours qu’il la côtoie et pourtant, il trouve que sa joie simple est agréable, une touche de couleur dans sa vie de sorceleur. De couleur et de musique.
Maintenant que la surprise est passée, Julia joue à nouveau. C’est amusant parce que ça semble presque inconscient pour elle. Alors qu’ils reprennent leur chemin, Pégase suivant la route sans protester ni avoir besoin d’être guidé, sa cavalière parle, un millier de question sur les lèvres :
- De quand date le château ? A-t-il toujours ressemblé à cela ? Combien de personne y habitent ? Est-ce seulement des sorceleurs ou y a-t-il aussi des humains ? Des elfes peut-être ? Je ne vois pas de rivière, comme alimentez-vous le château en eau ? Comment est-il ravitaillé ? Y a-t-il une ferme ? Y a-t-il des jardins ? Shani est médecin-herboriste, elle a pris avec elle plusieurs graines de plantes médicinales qu’elle souhaiterais cultiver, avec votre accord. Comment…
- Julia, stop, la calme Geralt.
Le violon déraille à nouveau et la jeune femme baisse les yeux, ses épaules s’affaissent alors qu’elle inspire profondément et reprend :
- Pardon mon seigneur, je sais que ma curiosité peut être… fatigante.
Geralt se demande combien de fois on lui a fait une réflexion sur la tendance de sa langue à s’emballer. Il a envie de lui dire qu’elle peut le faire, chanter, parler, poser toutes les questions qui traversent sa tête blonde, mais cela n’irait pas dans le sens commun du « méfions-nous, peut-être est-elle une espionne », alors à la place, il répond, reportant son attention sur sa forteresse.
- J’ignore de quand il date, mais je l’ai toujours connu ainsi. Vesemir, mon mentor, sera sans doute plus apte à te parler de l’histoire de ce château. Il y a des humains et des non-humains qui travaillent à Kaer Morhen, ainsi que des aspirants de différents âges. Je ne peux pas te dire combien il y a de sorceleur, mais les six écoles ont trouvé refuges ici.
Peut-être ne devrait-il pas donner autant d’information, peut-être s’empressera-t-elle tout raconter à Vizimir quand elle aura accès à du papier et à de l’encre, mais Geralt se rassure en se disant qu’ils ont prévu de lire l’intégralité de son courrier et il a confiance en Yennefer et Eskel pour déjouer tout langage codé.
- Six ? s’étonne Julia.
- Oui, il y a les loups, dit-il avec un geste pour son médaillon. Les griffons, comme Coen.
- Oh, comprend la jeune femme, « Coen de l’école des griffons » avait dit messire Eskel.
- Hum. Les ours, les chats, les vipères et les manticores.
Puis, il se dit qu’il ne dit rien de trop secret, rien qu’elle ne remarquera pas au bout de quelques jours dans la forteresse alors, autant répondre à ses questions immédiatement.
- Trouvé refuge, répète Julia en jouant quelques notes tristes sur le violon. Cela veut-il dire qu’elles avaient leur propre bastion, avant ?
- Hum.
Geralt faisait ses premiers pas sur le Chemin quand l’école du chat, la première à être attaquée, est tombée. Beaucoup de sorceleur avaient péri dans le conflit. Le reste était venu ici, à Kaer Mohren, oubliant les litiges du passé pour survivre.
Mais le plus terrible dans l’histoire c’est que la chute d’une première école à enorgueillis les hommes et il a fallu moins d’une décennie pour que celles des griffons puis de l’ours ne tombent à leur tour. Après quoi, les entraineurs des écoles restantes s’étaient tous mis d’accord pour que Kaer Mohren redevienne le bastion de tous les sorceleurs, comme elle l’avait été au premier temps du monde.
- Il y eut une époque où le monde nous craignait plus encore. Suffisamment pour attaquer certaines écoles.
- Une erreur évidente, commente Julia en jouant quelque chose de plus énergique. Ce faisant, ils vous ont forcer à vous unir et maintenant, vous voilà à la tête d’un empire s’étendant de Poviss à Kaedwen.
- Hum.
Il est évident que la nature joyeuse de son épouse l’oblige à voir le positif dans tout, et Geralt pourrait s’en sentir vexé, comme si la douleur de trois écoles n’était rien, mais il ne peut nier qu’elle a raison : aussi puissante que soit l’école du loup, sans le soutien de toutes les autres, ils n’en seraient pas là où ils en sont aujourd’hui.
Pendant qu’ils parlaient, ils ont passé le pont levis et maintenant, ils remontent au pas la basse-cour. Il y a là, entre autres, la forge et la ferme. Contre les premiers remparts, des maisons se sont construites à mesure que des humains, et des non-humains, des gens que les sorceleurs avaient aidé, qui avaient été chassé de chez eux, étaient venu pour les servir, avec une dévotion qu’aucun guerrier ne peut comprendre.
Une petite foule s’est rassemblée au passage du convoi, et reste sur place pour les accueillir. Non, pour l’accueillir lui, avec un respect auquel Geralt n’a jamais réussi à se faire. En revanche, Julia, qui chevauche à ses côtés, le violon silencieux maintenant, leur sourit mais n’a droit qu’à des regards méfiants et des commentaires murmurés.
Les mêmes que dans toutes les villes et villages qu’ils ont traversés depuis leur départ de Vespaden. Geralt n’intervient pas, autant par crainte de prendre parti et d’alimenter davantage les colères que parce qu’il est pragmatique : si les gens réussissent à l’apprécier lui, il n’a nul doute que la nature douce de son épouse gagne les cœurs un jour.
Marchant juste devant Julia, ses trois chiens s’agitent, nerveux. Ça n’aide pas vraiment et un instant, le sorceleur craint qu’il n’y ait un drame mais, comme l’avait promis la jeune femme, ils grondent sans attaquer, restant sur le qui-vive et prêt à défendre leur maitresse chèrement.
Pas seulement eux. Dans le ciel au-dessus d’eux, les cris des faucons se mêlent à celui du corbeau et même la chouette est en vol, silencieuse mais toujours au-dessus de Julia. Eux aussi attaqueront, s’il devait se passer quelque chose, c'est évident. Quant aux petits oiseaux, la nuée s’est dispersée, certains restant avec les chariots, d’autres s’enfuyant dans les bois ou voletant autour de la reine.
Finalement, ils arrivent sans encombre dans la haute-cour. Plusieurs sorceleurs déchargent déjà les chariots alors que d’autres s’occupent des chevaux. Un grand escalier mène au château lui-même et sur le parvis, Vesemir et Ciri accueillent Yennefer, Eskel et Lambert.
La petite fille, de cinq ans à peine, saute des bras d’Eskel quand elle le voit et se précipite à sa rencontre. Geralt a à peine le temps de sauter à terre qu’il se retrouve assailli par l’enfant. Sans hésitation, il la soulève et la sert, et la tension dans son esprit, celle du Destin, se calme enfin.
- Geralt ! s’écrit-elle, heureuse. Tu m’as manqué !
- Tu m’as manqué aussi, admet le sorceleur.
Il ne veut pas la poser, et Ciri ne semble pas vouloir descendre alors il la décale simplement pour l’équilibrer sur sa hanche, inspirant profondément son doux parfum de bébé (ce qu’il ne doit absolument pas dire devant elle, elle se vexerait !).
- C’est qui ? Finit par demander la petite fille en tournant la tête vers Julia.
Son épouse est descendue de cheval elle aussi, et s’est délestée du violon comme de Pégase sans que Geralt ne le remarque. Un autre sorceleur a d’ailleurs prit sur lui de conduire Ablette à l’écurie, mais il ne s’inquiète pas, tout le monde sait qu’il n’y a que lui qui s’occupe de la jument.
La jeune femme attend poliment, les mains croisées devant elle, ses trois chiens assis à ses pieds, son corbeau de retour sur son épaule, et quelques moineaux sur l’autre. Elle sourit, mais c’est petit et timide, comme si elle comprenait instinctivement l’importance de cette rencontre.
- C’est Julia, répond le Loup Blanc. C’est… ma femme.
Ça sonne étrange, comme si ce n’était pas adapté. Geralt ne le dira plus jamais comme ça, il n’aime pas. Julia lui lance un regard, une question muette sur les lèvres alors il s’oblige et poursuit les présentations :
- Julia, voici Ciri de Kaer Morhen, ma fille.
La petite gonfle la poitrine de fierté, heureuse d’être reconnue ainsi. Si son épouse est surprise, elle n’en montre rien.
- Bonjour Ciri de Kaer Morhen, répète la reine d’un ton solennel. Elle fait une petite révérence et, dérangé, les petits oiseaux s’envolent quand Loki croasse.
Dans ses bras, Ciri s’agite alors Geralt la repose au sol et la petite, sans peur, s’approche des trois chiens. Ils sont plus haut qu’elle et le sorceleur se tend, pose inconsciemment une main sur la poignée de son poignard, prêt à intervenir si les choses dégénèrent.
- Ciri de Kaer Morhen, reprend Julia en s’accroupissant à côté de ses animaux, je vous présente Sélène, la blanche, Hécate, la noire, et Artémis.
Les trois chiennes sont calmes, leur attention fixée sur la petite. Elles restent immobiles quand elle passe devant eux, les inspectant comme un commandant inspecte ses troupes. Arrivée devant Artémis, le roux, elle s’arrête.
Artémis est aussi haut que les deux autres chien-loup, mais plus fin, les pattes plus longues, presque dégingandées. Il partage avec les sorceleurs les mêmes yeux jaunes, et ils sont actuellement plongé dans le regard de Ciri, à se demander s’il n’y a pas un dialogue silencieux entre eux deux.
Les oreilles du chien bougent, d’avant en arrière, comme s’il écoutait quelque chose. Ou allait attaquer. Geralt veut intervenir mais une main sur son bras l’arrête. C’est Julia, qui s’est relevée et qui regarde avec intérêt la rencontre. Elle connait ses animaux, alors finalement, le sorceleur lui fait confiance.
Et il fait bien car quelques instants plus tard, l’animal se penche, lèche le visage de Ciri avant que la petite ne lui saute au cou avec un éclat de rire tonitruant :
- Tu es à moi, maintenant ! affirme-t-elle, pleine de joie.
Artémis jappe, comme s’il donnait son accord et frétille littéralement de bonheur quand Ciri le lâche, tournant autour de la petite fille pour jouer avec elle.
- Tu ne peux pas réclamer…
Mais une fois encore, Julia l’arrête d’une main sur son bras. Croisant son regard, elle lui sourit tendrement avant de parler à voix basse :
- J’ai toujours su qu’Artémis n’était pas à moi. Explique-t-elle. Il n’a que sept mois. C’est Sélène qui me l’a ramené lors d’une chasse au loup. Il devait avoir à peine un jour ou deux. Ses yeux étaient encore fermés.
Sept mois ? Mais il a la taille des deux autres. Cela veut-il dire qu’il va encore grandir ? Dans son esprit, les cartes se rassemblent et il comprend ce que Julia ne lui dit pas :
- Un loup. C’est un vrai loup.
- Oui mais, et Julia s’accroche à lui, comme désespérée de lui faire entendre raison, je vous assure qu’il ne fera aucun mal à votre fille, mon seigneur.
Un instant, il regarde sa fille jouer avec le loup, lui courir après ou essayer de lui échapper. Il est évident que l’animal est tendre avec elle, comme s’il comprenait que ce n’était qu’une enfant, la laissant lui tordre les oreilles ou tirer les poils, avec une douceur évidente dans le regard. Geralt n’est pas rassuré, mais peut-être peut-il croire son épouse ?
- Ciri m’est très précieuse, gronde-t-il.
- Si précieuse que le continent entier ignore son existence, mon seigneur ? Demande Julia, espiègle.
La jeune femme garde son bras autour du sien, restant accroché à lui sans que cela ne soit gênant pour le sorceleur. Geralt détourne un instant le regard de l’enfant pour planter ses yeux dans ceux de la reine, et devant sa mine sérieuse, elle perd un instant son sourire :
- Et je tiens à ce que cela reste ainsi.
Julia acquiesce, intimidée alors qu’en réponse à son ton ferme, Sélène et Hécate, restées à ses pieds, grognent. Geralt soupir, fatigué. Il ne comprend pas pourquoi elles réagissent ainsi avec lui, alors que les chiens lui sont généralement sympathiques.
- Les bêtes dangereuses dorment au chenil ou sont abattues, fait une voix dans leurs dos.
Julia sursaute et s’écarte pour se retourner et Geralt lui-même, son attention tournée à nouveau vers Ciri, rechigne mais lâche la petite fille des yeux pour accueillir Vesemir d’une poignée de mains ferme. Le vieux loup profite de le tenir pour le tirer vers lui et un court instant, leurs fronts se touchent. Geralt soupir, soulagé.
- Vesemir, dit-il en s’écartant, je te présente…
- Je sais qui elle est, le coupe-t-il en le lâchant pour se tourner vers Julia.
Sous le regard sévère du vieil homme, Julia rougit et, après une hésitation, s’incline, bien que sa révérence soit moins profonde que celle qu’elle a offerte à sa fille.
- Kaer Mohren vous ouvre ses portes, majesté, grogne le sorceleur en croisant les bras sur sa poitrine, se faisant plus menaçant qu’il ne l’est vraiment. Cela changera s’il se passait quoi que ce soit.
Geralt voit son épouse blanchir et déglutir et un instant, il a pitié d’elle. Mais comme avec les paysans qui se méfient, il n’intervient pas, faisant confiance à Vesemir pour être ferme mais juste. D’ailleurs, Julia, après un instant, se redresse elle-même et son expression se fait plus confiante :
- Je comprends, messire Vesemir. Affirme-t-elle. J’ai conscience qu’une épouse n’était pas ce que vous attendiez de la Rédanie, mais je ferais au mieux pour service mon époux et son peuple.
- Nous n’attendions ni la guerre, ni le reste, grogne le vieux loup, mécontent.
Julia a la grâce de ne rien dire et tous reportent leur attention sur Ciri, qui continue de s’amuser avec, hé bien, son loup, on dirait.
A suivre...
Chapter 12: Elle est seule contre tous, ou presque
Notes:
Voilà, maintenant qu'ils sont enfin a Kaer Mohren, ceci est le dernier chapitre d'exposition. Ensuite, nous pourront rentrer dans le vif du sujet!
Bonne lecture !
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Chapter Text
Julia ne savait pas à quoi s’attendre de la forteresse qui doit devenir sa demeure. Elle s’attendait à un château au sommet d’une montagne, quelque chose d’un peu féérique, un peu légendaire, irréel et hors du temps.
Ses premiers pas dans Kaer Mohren vont dans ce sens. La place est magnifique, pleines de tours et de remparts, en équilibre au sommet d’un pic qui s’avère être un plateau rocheux, surplombant une forêt profonde et mystérieuse.
Mais en vérité, la forteresse lui apparait plutôt comme un labyrinthe dans lequel il est difficile de s’y retrouver. Le château de Kaer Mohren n’est que couloir de pierre sur couloir de pierre, tous éclairer de torche, sans fioritures ni distinction.
Du hall d’entrée, on lui montre une double porte impressionnante qui donne sur la grande salle lui dit-on, avant que son guide, un jeune serviteur du nom d’Alexandre, peut-être d’un an ou deux de moins qu’elle, ne se dirige rapidement vers un couloir menant à un escalier, puis un autre couloir et ainsi de suite.
A un moment, Julia se demande si Alexandre, qui n’a été que politesse froide, ne se moque pas un peu d’elle en lui faisant parcourir plus de distance que nécessaire, mais elle fait contre mauvaise fortune bon cœur, et suis sans commenter, malgré la fatigue qui la gagne petit à petit.
La jeune femme a l’impression d’avoir marché pendant une heure au moins avant que le serviteur ne s’arrête devant un dernier escalier et se tourne vers elle :
- Le Loup Blanc a fait préparer pour vous le dernier étage de la tour est, altesse.
Il s’incline légèrement tout en montrant l’escalier d’une main. Julia le remercie, et il lève un sourcil surprit, avant de s’engager sur ce qu’elle espère être les dernières marches de son périple sans qu’il ne la suive, avec Shani sur ses talons.
L’escalier est arrondi, serpentant sur toute la rondeur de la tour et entrecoupé de palier donnant sur des portes closes, qu’aucune des deux femmes n’osent ouvrir. Elles en compte six avant d’atteindre enfin le dernier pallier, à bout de souffle.
- Eh bien, soupir Shani en s’adossant au mur, ça ne sera pas de tout repos !
Julia ne commente pas, autant parce qu’elle n’en a pas le souffle que parce qu’elle a déjà le ventre noué d’anticipation nerveuse. Maintenant qu’elle est à Kaer Mohren, au milieu de gens bien décider à la détester, elle craint des temps à venir plutôt misérables.
Ses quartiers, et ceux de Shani, sont tout au sommet pour les oiseaux, lui dit-on. Malgré que ce soit le plein été, ils sont relativement frais et nécessiterons un feu en fin de journée. Le temps sur la montagne est moins doux qu’en Rédanie, un fait que Julia avait anticipé grâce à messire Eskel, n’emportant avec elle que ses habits les plus chaud.
Ses appartements sont relativement grands, trois pièces s’articulant autour d’un salon avec une grande cheminée. Sommairement meublé en revanche. A peine une table et deux chaises dans le salon, et deux lits aux matelas nus, accompagné d’un chevet et d’une armoire, dans chaque pièce. La troisième est totalement vide, mais cela lui convient.
Les appartements sont entièrement cerclés d’un immense balcon, accessible par toutes les pièces. C’est effectivement l’endroit idéal pour ses oiseaux, il y a de nombreuses poutres visibles sous le toit, qu’ils vont apprécier, et elle voit déjà des interstices dans la pierre, parfaits pour fixer des mangeoires ou des perchoirs.
Puis, après avoir observé le mur, elle se tourne pour en faire de même avec la forteresse et le paysage. Il y a effectivement quelque chose d’hors du temps, dans sa double ligne de rempart, son petit village niché contre la pierre, et son gros cœur que forme le haut château.
L’impression est renforcée par la mer d’arbres qui les entoures. Au nord, là où Julia ne pouvait les voir en venant du chemin menant à la vallée, il y a des prés et quelques champs et la jeune femme se demande quelles plantes peuvent bien être cultivée si haut dans la montagne.
La chambre vide sera celles de ses animaux et elle y laisse ses chiens et ses oiseaux, alors que les sorceleurs ramènent ses affaires sans souffler sous le poids des malles. La jeune femme les organise sans hésitation. Les perchoirs et les mangeoires dans la pièce vide, les vêtements dans leurs chambres respectives, les livre et les instruments restent dans le salon.
Elle n’a plus de luth, mais à prit avec elle plusieurs autres instruments, qu’elle s’est achetée ou qui lui ont été offert, par son père ou plus tard, par Radowid. La harpe et la lyre forment un bel ensemble, à côté de la cheminé, quand elle aligne la vièle, la mandoline et la cithare contre le mur, de l’autre côté.
Le mentaux de la cheminé est assez large pour accueillir ses flûtes. Elles ne resteront pas là, évidement, car la chaleur leur serait néfaste, mais en attendant qu’elle s’installe, et tant qu’il n’y a pas de feu, cela convient. Enfin, dans un autre coin, elle fait disposer son dernier instrument.
Il s’agit d’une nouveauté, un piano forte [1]. Elle a appris à en jouer il y a peu, car l’invention est récente, une évolution du clavecin qu’elle maitrise depuis longtemps, et elle ne doit qu’à son insistance d’en avoir un à elle seule. Elle avoue en rougissant avoir dépenser une somme folle pour lui, l’ébéniste croulant sous les commandes.
Au milieu des allés et venus des sorceleurs se présente une jeune femme, peut-être de l’âge de Julia, ou même moins, vêtu de la robe sombre et du tablier des servantes, ses cheveux bruns en partie couvert d’un bonnet blanc.
- Je suis Martha, se présente-t-elle avec une révérence maladroite, votre femme de chambre.
Martha ne s’attarde pas. Elle est froide et polie, comme l’était Alexandre. D’ailleurs, il y a un petit air de famille entre les deux, peut-être posera-t-elle la question un jour, quand la méfiance à son égard sera moindre. La servante promet de revenir avec le reste de la literie, s’excusant que les chambres n’aient pas été prêtes plus tôt, puis s’en va rapidement. Au regard amusé des sorceleurs, Julia se demande si Martha va vraiment revenir mais son esprit se détourne de la question, accaparé par l’aménagement de ses chambres.
Une fois toutes les affaires montées, le dernier sorceleur à rester est Coen, évidemment. L’homme s’installe à genou sur le seul tapi de fourrure, laissé devant la cheminée et ferme les yeux. Au cours du voyage, il a expliqué à Julia que c’est une façon pour les sorceleurs de se reposer, alors, ne souhaitant pas le déranger, elle quitte le salon pour gagner sa chambre.
En plus des malles, elle a pris avec elle quelques meuble, une commode, une coiffeuse et surtout un petit secrétaire. C’est un meuble délicat, en acajou verni. Outre la table pour écrire, il a plusieurs rangements, des petits tiroirs pour les encres, les poudriers et les lettres pliées. Et sous la table, il y en a un dernier, plus grand, pour accueillir les parchemins vierges. C’est là que Julia cache les carnets de Jaskier.
Chaque tiroir se verrouille. Les petites clés sont des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, qu’elle a réuni en un petit trousseau qu’elle range dans sa table de chevet. Leurs façades sont peintes à la main de petites fleurs sauvages, marguerites, coquelicot, bouton d’or et autres. Nostalgique, Julia caresse l’un des bouquets dessiner sur le tiroir le plus proche. Ce secrétaire est un cadeau de sa mère, fait par elle, pour sa fille.
Julia n’a jamais compris pourquoi elle était partie. Contrairement à ce que les sorceleurs ont compris de son histoire, elle n’est pas orpheline de mère. Simplement, un jour, elle avait ses deux parents, qui l’aimaient et la choyaient, le lendemain, il ne lui restait plus que son père, devenu amer et aigrit par le départ de son épouse.
Sa mère était juste partie, comme ça, sans prévenir, sans laisser le moindre indice pour la retrouver. Peut-être est-elle effectivement morte ? Mais quelque chose dans le cœur de Julia lui dit que non. Sa mère est une naïade après tout, une fée de l’eau alors peut-être est-elle simplement retournée dans son monde ?
Un coup à la porte la tire de ses réflexions et elle lève les yeux pour rencontrer ceux de Shani. La jeune médecin entre et se dirige vers les malles pleines de vêtement, les ouvrant une à une pour regarder leurs contenus.
- Alors, quelle robe pour ton intronisation en tant que reine des sorceleurs ?
Julia sourit, rassurée par la familiarité de son amie. Bien entendu, quand la nouvelle de l’abolition de l’esclavage lui est arrivée, la jeune reine a immédiatement proposée à Shani de partir vivre sa vie et ses rêves. Elle est heureuse qu’elle soit restée. Cela lui fait au moins une personne amicale ici.
- Être l’épouse du Loup Blanc ne fait pas de moi la reine des sorceleurs, soupire Julia en allant vers le lit.
Dépitée, Julia se laisse tomber sans grâce sur le lit. Au moins, il a l’air confortable. Il n’y a ni draps, ni couverture mais le matelas est agréable, c’est déjà ça.
- De n’importe qui, d’ailleurs. Rajoute-t-elle en regardant au plafond.
Shani abandonne les malles pour venir s’assoir à côté d’elle.
- Les gens ne t’aiment pas, souligne douloureusement l’elfe.
Elle s’allonge elle aussi, et les deux femmes restent un instant épaule contre épaule, les yeux dans le vague. La fatigue du voyage s’abat sur elles et pendant quelques minutes, aucune parole n’est échangée. Avant de s’endormir, l’elfe se tourne pour regarder son amie :
- Tu es non seulement reine, mais aussi mère maintenant.
Ciri de Kaer Mohren. Une véritable surprise. Julia est choquée que son existence n’ait jamais fuité. Si les autres royaumes le savaient, il ne se passerait pas une semaine sans proposition de mariage ou tentative d’enlèvement de l’enfant. Elle comprend pourquoi le secret est si bien gardé. Et les gens d’ici doivent être terriblement fidèle pour qu’il perdure.
- Je ne veux pas être sa mère, souffle Julia en posant une main sur son bas ventre, mais je voudrais être son amie.
Julia n’est pas une mère, elle est trop jeune pour ça. C’est amusant, parce qu’elle a commencé à aider des non-humains à quitter la Rédanie alors qu’elle n’avait qu’une dizaine d’année, sur l’impulsion de son père. Puis elle compose aussi, depuis plus de trois ans maintenant, et son altère-égo masculin rencontre un certain succès. Mais être mère, non, elle ne s’en sent pas capable.
- Les gens d’ici ne sont pas très amicaux, reprend Shani en changeant de sujet.
- Peut-on leur en vouloir ? Demande Julia, d’un ton dépité.
La Rédanie n’est pas l’état souverain le plus apprécié des petites gens, qu’ils soient humains ou non. Sa population est écrasée par la féodalité, ses paysans affamés, ses artisans surexploités, pour enrichir le roi et ses nobles.
- Je représente tout ce qu’ils ont fuis, détestes ou qui les a persécutés.
Comme son père, Julia a tenté d’expier les péchés de sa classe, et pas seulement en tant que Bécasseau. Elle s’est toujours montrée généreuse avec sa cassette, offrant la majorité de ses pensions aux hospices religieux pour soigner les plus démunies.
- Ça ne sera pas facile, suppose justement Shani.
- Je crains que ça ne le soit plus jamais pour moi, avoue la jeune reine, pessimiste.
Parfois, Julia se demande si tout son capital chance est passé dans son enfance, ou si avec le départ de sa mère, elle avait perdu sa bonne étoile car depuis il ne se passe plus que des drames dans sa vie. Toute la question est de savoir si son nouveau mariage en est un de plus.
- Ça changerait si tu…
- Non. La coupe Julia en se redressant. Les gens à la cour de Vizimir ne m’aimaient pas plus et j’ai survécu.
Julia a un frisson en repensant à ses premiers pas au palais de Tretogor, à l’accueil tout aussi glaciale qu’elle avait eu, elle, la petite vicomtesse fiancée à rien de moins que le frère du roi et qu’importe qu’elle n’ait que douze ans ! Julia repousse ses vieux souvenirs et reprend, regardant les malles :
- Je doute qu’il y ait la moindre cérémonie d’intronisation.
Messire Eskel n’avait pas répondu quand elle avait posé la question, et ensuite, elle n’avait pas eu l’occasion de la poser encore, son esprit accaparé par le voyage. C’était la première fois qu’elle partait avec toute sa ménagerie, et si elle s’était montrée confiante auprès des sorceleurs, elle est heureuse que cela se finisse bien.
Presque bien. Si elle n’est pas étonnée qu’Artémis se soit trouvé une nouvelle maitresse, comme Paco s’est attaché à messire Eskel, la jeune reine est triste de ne plus avoir tous ses animaux avec elle. Entre ceux qu’elle a dû laisser derrière car ils n’auraient pas supporté le climat des montagnes, et les deux qui l’ont abandonné, c’est devenu trop calme dans la pièce qui leur est dédié.
- Au moins, Jaskier va avoir de quoi s’occuper pendant des mois. Lance Shani en se levant à son tour pour lui remonter le moral.
- Des années mêmes ! Renchérie Julia, heureuse.
Les deux femmes échangent un regard entendu et étouffe un petit rire. Techniquement, Julia n’a pas menti, le fait d’être Jaskier signifie qu’elle le connait. Et les quelques histoires qui ont enrichies la fin de leur voyage lui inspirent déjà moultes chansons.
- Je te dirais bien de mettre la bleue, continue l’elfe en se dirigeant vers l’une des malles.
Julia l’arrête, lui prenant les mains, et murmure avec émotion :
- Merci d’être resté, d’être là, avec moi.
Shani lui sourit à son tour, et Julia cède à son envi et l’embrasse. Elle croit qu’ici, dans ses quartiers, loin de Tretogor, elles peuvent faire ça, être intimes et familières, sans risquer de se faire prendre et punir pour une entorse aussi grave à l’étiquette.
- Alors, la robe bleue… Avec ou sans corset ?
Julia se rappelle les paroles de son époux, le soir de la nuit de noce, qui lui avait dit qu’elle pouvait s’en passer si elle le souhaitait. Les sorceleurs semblent si peu friand d’étiquette qu’elle se demande même si s’habiller en homme conviendrait.
- Je préfère le garder.
Un corset est un objet inconfortable et douloureux, pour peu qu’il soit trop serré. C’est quelque chose de difficile à mettre, et de difficile à enlever. Une couche de vêtement supplémentaire, qui n’a jamais arrêté son ex-époux mais qui lui donne l’illusion d’une protection de plus.
- Hum.
Shani ne commente pas, elle est sa guérisseuse personnelle depuis qu’elle a l’âge de onze ans, elle sait tout de toutes ses hontes, même la plus grande. Sans un mot, elle l’aide à se défaire de sa tenue d’équitation, trouve dans les tiroirs de sa coiffeuse un flacon d’eau de fleur qu’elle frotte avec parcimonie sur la peau de la reine, avant de lui passer le premier jupon.
- Pas de crinoline, par contre.
Pendant que Shani repousse le jupon a armature dans sa malle et prépare le reste des vêtements, Julia défait le chignon qu’elle portait pour le voyage. Ses cheveux sont d’un blond miel et bouclé, longs jusqu’à ses cuisses. Si ça ne tenait qu’à elle, elle les couperait court mais ce ne serait pas décent. Ne pouvant le faire, elle se contente d’en attacher la moitié supérieure avec une broche ornée de saphir.
La robe qu’a choisi Shani est en satin bleu ciel, décorée de dentelles bleu nuit. Le col carré est assez bas pour laisser son cou et le collier de saphir qu’elle choisit dégagé, sans qu’il ne soit trop vulgaire non plus. Les manches sont longues et bouffantes et bien qu’elle ne porte pas de crinoline en dessous, le tissu tombe juste, frôlant à peine le sol.
Julia est debout au milieu de sa chambre, tenant ses cheveux à deux mains pour qu’ils ne dérangent pas Shani pendant que l’elfe lui noue les lacets dans le dos, quand la porte de ses appartements se fracasse contre le mur et que n’entre d’un pas de conquérant nul autre que la princesse Ciri de Kaer Mohren.
A suivre...
[1] Je sais qu'un piano, c'est plus fin Renaissance qu'air Médiéval mais dans un monde de magie et de mutant, sommes nous vraiment à quelques siècles d'anachronismes ? Il me fallait un piano pour mon histoire, désolée si cela dérange.
Notes:
Hello, merci pour votre lecture^^
Ceci est un appel à l'aide : Si quelqu'un sait comment faire pour que ma note de bas de page fonctionne ( c'est à dire que cliquer sur le [1] dans le texte y amène et que la note se termine par un "retour au texte" qui ramène à l'endroit de la note), il ou elle serait très aimable de me donner l'astuce^^. Merci beaucoup^^
Bonne semaine, à dimanche prochain
Chapter 13: La musique quand il n'y a plus de mot...
Notes:
Hello tout le monde,
Ci dessous, une illustration de Ciri et Artemis, créées par IA.
Bonne lecture^^
BD
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Chapter Text
Depuis le centre de sa chambre où elle se tient, Julia voit l’entrée et surtout, la petite princesse de Kaer Mohren qui pénètre dans le salon, comme si elle était chez elle. Doit-elle la reprendre sur la politesse et l’étiquette ? Une petite fille de son âge devrait au moins savoir le strict minimum mais, d’un autre côté, c’est la fille du Loup Blanc, elle est techniquement chez elle dans tout le château et Julia ne souhaite pas s’en faire une ennemie.
Ciri regarde toute la pièce, les yeux brillant de curiosité, alors qu’Artémis la suit, la langue pendante et essoufflé comme s’il venait de courir. Julia profite que l’attention de l’enfant soit sur les multiples objets du salon pour la détailler.
Ciri est une jolie petite fille, aux cheveux presque aussi blancs que ceux de son père, et aux yeux d’un bleu vif. Elle a le visage fin, quoi rond de l’enfance, et une silhouette élancée, mis en valeur par un pantalon et une tunique, comme si elle était un garçon. Une tenue qu’aucune autre princesse sur le continent ne porterait, Julia en est certaine.
Shani termine de lacer sa robe dans le dos et la jeune reine la remercie d’un regard avant de quitter la chambre pour rejoindre le salon, à l’instant où la curiosité de la petite fille l’a poussé à toucher le clavier du piano. Le bruit la fait sursauter et elle recule, regardant autour d’elle avec crainte, comme tous les enfants du monde pris à faire une bêtise.
- Puis-je vous aider, princesse ? Demande la reine avec une petite révérence pour l’enfant.
Ciri sursaute, s’attendant certainement plus à se faire gronder, puis la regarde avec ses grands yeux pleins de surprise :
- Y’a qu’à la cour de grand-mère que les gens s’inclinent et m’appellent « princesse », explique-t-elle.
La cour de grand-mère, songe la jeune femme. Donc Ciri est non seulement la fille du Loup Blanc, mais aussi la descendante d’une noble du continent. Pourquoi n’est-ce pas l’épouse officielle ? Attendez, peut-être l’est-elle ? Peut-être les sorceleurs pratiquent-ils la polygamie, et peut-être que la première reine est aussi secrète que sa fille ? Est-ce par fidélité à cette première épouse que le Loup Blanc a refusé de la toucher, plutôt que par égard vis-à-vis de son âge ?
- Tu as de longs cheveux, commente la petite. Et une belle robe.
Elle ignore totalement le trouble interne de Julia, et la jeune femme fait tout pour le masquer. Au regard que lui lance Coen, toujours agenouillé prêt de la cheminée, et celui de Shani, elle doit échouer quelque part.
- Merci, princesse, répond-elle plus par automatisme.
- Mais ça ne va pas être très pratique, poursuit la petite en se détournant pour regarder le reste de la pièce. Il n’y a que tante Yen qui en porte, mais elle se bat qu’avec de la magie.
Tante Yen ? La sorcière ? Yennefer de Vengerberg ? La femme semble proche de son époux, et a soulevé la petite pour un câlin quand ils sont arrivés plus tôt. S’il n’était pas de notoriété publique que les sorcières ne pouvaient enfanter, elle supposerait que c’est elle, la mère de Ciri.
- Votre… Julia se gratte la gorge et demande, avec autant de subtilité qu’une charge de cavalerie, votre mère n’en portent pas elle-même ?
- Je n’ai pas de mère, répond rapidement la petite comme si elle parlait de la météo.
- Oh, je m’excuse, souffle immédiatement Julia en mettant un genou à terre, plus pour se mettre à son niveau que pour l’étiquette.
- Pourquoi tu t’excuse ? Tu n’y es pour rien.
La petite semble à l’aise avec cette perte, et très sage pour son âge, alors Julia préfère ne pas insister.
- En quoi puis-je vous aider, princesse ? Demande-t-elle à nouveau.
L’attention de Ciri se détourne de ses instruments de musique pour revenir sur elle et la petite demande, avec la candeur de tous les enfants :
- Où sont les oiseaux ? Comment fais-tu pour qu’ils restent avec toi ? Tu pourrais m’apprendre ?
Julia sourit, amusée, et répond, avec un geste pour la porte de la pièce qu’elle leur a dédié que Shani ouvre en une invitation à s’y rendre :
- Ils sont dans cette chambre, ou dehors. J’ai élevé beaucoup d’entre eux, ils me prennent pour leur mère.
La petite a un froncement de sourcil, comme si elle réfléchissait intensément, avant de demander encore :
- Est-ce que Paco prend oncle Eskel comme son papa ?
L’innocence de la petite est délicieuse, Julia rigole encore avant de la corriger :
- Non, Paco est un oiseau du crépuscule. J’ai un livre sur cette race, je vous le prêterais, si vous voulez. Elle se penche, comme pour dire un secret, et murmure : je crois que Paco est tombé amoureux de ce cher sorceleur.
Ciri pouffe, amusée et Julia se sent rassurée. A priori, elle n’a pas fait de faux pas avec la fille de son époux et leur relation semble plutôt bien engagée.
- Artémis voulait te voir. Reprend Ciri en pointant le loup occupé à faire le tour de la pièce en reniflant.
Comme elle l’appelle, le loup s’approche et Julia lève une main pour le caresser, heureuse de le revoir même si la séparation n’a duré que quelques heures.
- Pourquoi Artémis ? Demande Ciri en l’imitant.
- C’est une référence à la lune, et j’avais déjà Sélène et Hécate quand je l’ai adopté.
Comme on parle d’eux, les deux chien-loup quittent leur chambre pour les rejoindre, venant flairer leur frère avec inquiétude. Julia les caresse aussi, souriante.
- Comment l’auriez-vous appelé ?
Ciri lève un instant les yeux pour réfléchir, ne s’attendant certainement pas à la question, puis son visage se fend d’un grand sourire et elle annonce, fière d’elle :
- Loup !
- Loup ? Répète Julia, dubitative. Vous appelleriez votre loup… Loup ?
- Oncle Lambert appelle son cheval Cheval ! Justifie Ciri sans que son sourire décroisse.
Coen, toujours discret, a un petit rire. Shani aussi, alors que Julia est plutôt dépitée par des noms aussi peu recherchés :
- Vous savez, princesse, ce n’est pas parce que messire Lambert le fait, que c’est forcément une bonne chose.
- Messire Lambert, pouffe la petite comme si Julia avait dit un gros mot. Je vais lui dire que tu as dit ça, il va rouspéter !
Le cœur de Julia rate un battement à l’idée d’avoir fait une faute au protocole. Il est vrai que pendant le voyage, elle ne s’est adressée à Lambert qu’en l’appelant « maitre sorceleur ». Peut-être aurait-elle dû se contenter de cela ? Hormis le Loup Blanc et son commandant, Julia ne sait pas quelle est la hiérarchie ni quels sont les titres de chacun.
Son époux a présenté le vieux Vesemir comme son mentor, donc il doit être assez haut dans la hiérarchie, non ? Et Lambert, qui est proche de messire Eskel et du Loup Blanc, qui les tutoie et les appelle par leurs noms, doit lui-même être haut gradé, non ?
Enfin, y a-t-il seulement des grades, chez les sorceleurs ? Un protocole ? Un minimum d’étiquette ?
Soudain, Julia est prise de vertiges, réalisant toute la différence qu’il y a entre Kaer Mohren et Tretogor. La cour de Vizimir est horrible, mais au moins là-bas, Julia connait les règles, sait à qui faire confiance (personne) et de qui se méfier (tout le monde). Ici… ici elle est dans un pays inconnu, parmi des gens qui la déteste au pire ou qu’elle indiffère au mieux, sans rien connaitre des uses et coutumes.
- Je… pardon, princesse. Je…
Julia se relève, peut-être un peu brusquement. La tête lui tourne, son cœur bat trop vite, elle n’entend que lui, alors que sa panique s’intensifie. Pourtant, elle reste cruellement consciente de la présence de la fille de son époux, l’héritière du Loup Blanc qui sera un jour seule et unique reine légitime.
- Ca va ? Demande la petite, le regard brillant d’intelligence.
- Je… Oui, oui, pardon, je… mes excuses princesse, bafouille la jeune femme en reculant.
Julia sursaute lorsqu’elle sent le bras de Shani dans son dos, mais avant qu’elle ne puisse se dégager, l’elfe propose avec un entrain forcé :
- Que diriez-vous d’un concert privé, majesté ?
Ciri pouffe, répétant le « majesté » comme si c’était la chose la plus drôle qui ai été dite, puis accepte avec joie. En vérité, son accord est superflu, Shani poussant déjà son amie vers le tabouret du piano, sur lequel la jeune reine s’installe plus par automatisme.
- Joue, murmure l’elfe, ça te fera du bien.
Julia déglutit, ses mains trouvent les touches mais elle se fige, l’esprit envahie de terreur. Comment a-t-elle pu être aussi stupide ? Bercée par l’euphorie du veuvage et du voyage, elle n’a pas réalisé dans quel guêpier elle se fourrait en épousant le Loup Blanc.
- Je ne vais pas y arriver, murmure Julia dans un souffle paniqué. Je ne connais pas les règles, je ne sais pas ce que je dois faire, ou ne pas faire. Je vais forcément faire une bêtise, je fais toujours des bêtises…
En tant qu’épouse du frère du roi, Julia était soumise à une étiquette très stricte, mais c’était un carcan qui l’empêchait de faire n’importe quoi, comme gaspiller son temps dans la musique ou manquer de respect à la mauvaise personne. Sans le protocole sévère de la cour du roi, Julia n’aurait pas survécu quatre ans comme elle l’a fait, c’est certain.
- Chut Julia, respire, tu ne vas pas faire de bêtise, ça va aller.
En parlant, Shani s’agenouille pour rapprocher leur visage, cherchant à capter son regard, inquiète. Hécate et Sélène se rapprochent en chouinant, poussant contre ses cuisses pour son attention. Il y a quelques battements d’aile et se sont ses oiseaux qui viennent, Loki en tête, pour se poser sur elle, sur ses épaules ou sur l’instrument, piaillant et roucoulant.
- Mais j’ai déjà fait une bêtise, conteste la jeune reine. Tu sais comment je suis. Je fais toujours n’importe quoi et…
Les mains toujours sur le clavier, Julia se recroqueville, cache son visage et ses larmes de panique. Shani se redresse, lui frotte le dos, essaye de la rassurer. L’elfe a cinq ans de plus qu’elle, mais à l’instant, elle pourrait bien en avoir vingt de plus tellement Julia se sent petite et ridicule.
- Non, non, Julia. Tu sais ce que j’en pense.
Coen a la délicatesse de ne pas commenter l’intrigante conversation des deux femmes. A la place, il pose une main sur la tête de Ciri. La petite lève les yeux vers lui et demande d’une petite voix si elle a fait quelque chose de mal, déstabilisée par la réaction de la nouvelle reine.
- Non, vous n’avez rien fait, majesté, intervient Shani. Allé Julia, joue quelque chose.
Les premières notes sont discordantes, comme les pensées de la jeune femme. Elle a été bénie par l’oreille absolue et la dissonance est comme une claque qui attire soudainement son esprit. A partir de là, toute sa personne, corps et âme, se plonge dans la musique et ses doigts volent, les notes s’élèvent, rapides, nerveuses, mais magnifiques.
C’est une tempête musicale, un défouloir. Toute son énergie nerveuse, toute sa peur, se déversent dans son jeu. Il y a des mélodies connues, des choses qu’elle a écrites elle-même, et des fioritures, des mutations, qu’elle ajoute sans s’en rendre compte. Demandez-lui de rejouer cela plus tard, elle n’en sera pas capable.
Sans mauvais jeu de mot, en perdant sa mère, Julia a perdu sa bonne fée. Son père qui était si gentil est devenu un homme amer et cynique, ses dernières paroles à l’égard de sa fille qu’il a autrefois chéri n’ont été qu’une insulte et une condamnation terrible.
Radowid, le frère du roi, le prince sensé être charmant, qui se montrait en époux attentionné et adorant sa si jeune épouse, était un monstre ambivalent, tantôt amoureux transit, doux et tolérant, tantôt bête persécutrice et violente. Leur première rencontre, la grande et honteuse erreur de Julia, a scellée son destin.
C’est même elle qui, des années plus tard, l’a conduite ici, dans cette forteresse inconnue, épouse d’un homme qui n’est pas humain, dont elle ne sait foncièrement rien, et qui pourrait bien se révéler être le monstre que tout le monde dit qu’il est. Il a été gentil avec elle, mais il n’était pas chez lui. Maintenant qu’elle est coincée là, dans cette tour…
Et qui prendrait son parti ? Elle n’a que Shani, et Shani est une ancienne esclave, une étrangère autant qu’elle. Les gens ici la déteste, et Julia est assez au clair sur ce qu’elle représente pour eux et a assez de bonté dans le cœur pour l’accepter.
La tempête laisse place à une pluie fine, une bruine triste qui n’est plus qu’une douce mélodie, lente et calme, répétitive et langoureuse, qui sert le cœur et tire des larmes silencieuses. Sur les dernières notes, Julia inspire profondément et lève la tête, le regard perdu vers le plafond.
Quand ses mains glissent du clavier, des applaudissements retentissent et elle sursaute, se rappelant soudainement qu’elle n’est pas seule. Lorsqu’elle se tourne, c’est pour voir Ciri qui applaudie de toutes ses forces dans les bras de nul autre que son père.
Le Loup Blanc n’applaudit pas, mais son regard est doux, inquiet même, quand il regarde Julia et Julia ne comprend pas jusqu’à ce que Coen, comme un chevalier servant, s’approche pour lui tendre un mouchoir blanc.
La jeune reine le prend, réalisant seulement à cet instant que ses joues sont mouillées de larme, qu’elle essuie rapidement, rougissante et honteuse de sa réaction.
- Mes excuses, mon seigneur, fait-elle après s’être raclé la gorge.
Effrayée, Julia veut se relever pour faire une révérence, espérant que son époux se montre clément, mais se faisant, elle oublie de reculer le lourd tabouret et manque de tomber. Elle ne doit qu’à la réaction rapide de son époux, qui s’avance et lui saisit le bras pour la stabiliser, de ne pas tomber.
- Je n’avais pas vu que vous étiez là. S’explique-t-elle rapidement en se dégageant pour enfin s’incliner.
Les rois n’aiment généralement pas être ignoré mais deux jours de voyage avec les sorceleurs l’ont laissé croire que peut-être ce roi-là n’est pas comme les autres. D’ailleurs, il repousse son excuse d’un signe de la tête, cale sa fille contre sa hanche et lui tend une main.
- C’est l’heure du dîner, se contente de répondre son époux.
Sélène et Hécate s’installent contre les jambes de Julia et si la jeune femme baissait les yeux, elle verrait le regard méfiant des deux animaux braqués sur son époux.
- Oh ? Oh, oui, pardon, mon seigneur, je n’ai pas vu le temps passé.
En parlant, elle prend sa main et se redresse, se tenant assez proche de lui.
- Toute la forteresse t’a entendu jouer de cette chose, accepte le Loup Blanc avec un regard pour le piano.
Un piano forte porte bien son nom et si l’instrument peut se montrer plus doux que le clavecin, dont il est le descendant, il peut aussi se faire bien plus puissant. Sa chambre a une belle acoustique, elle ne doute pas que le son se soit propagé dans l’escalier et le couloir. Mais toute la forteresse ? Sans doute est-ce un abus de langage, que Julia préfère ne pas relever, s’excusant pour le dérangement à la place :
- Tu t’excuse beaucoup, commente Ciri.
Julia veut s’en excuser mais se retient, de peur que la petite, ou son père, ne s’agace. L’enfant s’agite, assez pour que le sorceleur la fasse glisser au sol et quand ses pieds touchent la pierre, elle s’exclame :
- J’ai faim !
L’excuse qu’elle avait sur le bord des lèvres sort dans un murmure, c’est plus fort qu’elle, et Julia rougit sous le regard amusé du Loup Blanc. Il lui tient toujours la main et la sert un instant, attirant son attention :
- C’est l’heure, es-tu prête ?
Julia déglutit, soudainement intimidé par ce qui sera sa présentation officielle à l’ensemble de la forteresse. Elle sait qu’elle doit y aller, mais craint de le faire seule alors, finalement elle ose et demande, d’une petite voix :
- Puis-je… Puis prendre un animal avec moi ?
Radowid ne la laissait pas se déplacer avec ses animaux autrement que pour la chasse, et Vizimir ne les a jamais appréciés, jugeant que c’était un passe-temps futile. Les deux hommes avaient menacé plusieurs fois leur vie pour la faire obéir ou la punir. Maintenant, ses chiennes semblent en colère contre son époux, elle doute que la situation change beaucoup.
Pourtant, Julia est surprise quand le Loup Blanc acquiesce avec un regard doux :
- Prend tous les animaux que tu le souhaite.
Julia est surprise, mais ne proteste pas. Ne dit-on pas qu’à cheval donné, on ne regarde pas la bouche ? Elle appelle Loki et le corbeau vient s’installer sur son épaule, puis commande à Hécate et Sélène de la suivre.
- Es-tu à moitié Leshen ? Demande Ciri depuis l’entrée où elle les attend.
- Leshen ? Répète Julia sans comprendre. Qu’est-ce que cela ?
Son époux gronde, comme mécontent de la question, mais répond :
- Un monstre des bois. Ils sont proches des corbeaux.
- Oh ? Non, princesse, je n’ai aucune parenté avec ce genre de créature. Loki m’a été confié quand il n’était qu’un œuf.
- Ah, donc tu es sa maman, comprend Ciri en se tournant pour partir. Mais tes cheveux sont trop clairs pour un corbeau.
Julia a un petit rire, amusée par l’enfant. Son époux tire sur sa main pour la poser sur son avant-bras, leurs membres s’emmêlent, et il la guide hors de la chambre et dans l’escalier. Julia inspire profondément pour rester calme.
Elle peut le faire. Elle a survécu à la cour de Vizimir. Elle a survécu à son mariage avec Radowid. Elle survivra à ça.
A suivre...
Notes:
Voilà, prochain chapitre, la présentation de Julia à la forteresse, et, ai-je envi de dire, le début des ennuis ?
En espérant que cela vous plaise toujours,
Bonne semaine et à dimanche prochain^^
BD
Chapter 14: Une main de fer dans un gant de velour
Chapter Text
Ciri passe devant, avec Shani et Coen, les laissant seul devant les doubles portes menant à la salle à manger où Geralt s’arrête un instant. Il entend au-delà des portes le bruit de toute une foule de sorceleur qui s’impatiente, les pas des serveurs qui vont et viennent des cuisines, les bières qu’on verse, les plats qu’on pose…
Son oreille est surtout attirée par le battement rapide du cœur de son épouse, juste à côté de lui. Julia s’accroche à son bras, le regard droit devant elle, essayant de paraitre sûre d’elle-même alors que pourtant, elle n’en mène pas large.
L’odeur des larmes est toujours accrochée à elle. Geralt ne sait pas ce qui les a déclenchées plus tôt. Quand il est arrivé, il a à peine eu le temps d’échanger un regard avec Coen avant d’être assailli par sa fille. Si Ciri a compris qu’il se passait quelque chose d’important pour Julia, elle a eu la grâce de ne rien commenter, se contentant d’apprécier la musique.
S’il doit être honnête, Julia n’est pas la seule à être nerveuse. Il le cache bien, cela ne se voit pas sur son visage, ne s’entend pas dans son rythme cardiaque, mais il est lui-même plutôt anxieux à l’idée de se présenter à tous les sorceleurs comme un homme marié.
Il n’était pas sensé devenir ça. Il devrait être sur le Chemin, comme chacun ses frères, être ignoré ou méprisé de tous à moins qu’il n’y ait un monstre à tuer, vivre et mourir de la griffe de l’un d’eux un jour, sans que cela n’émeuve plus que ses frères, oublié et oubliable du reste du monde.
Et pourtant le voici, le Loup Blanc, le Seigneur de Guerre, que tous ses guerriers attendent pour manger, qui s’apprête à rentrer avec au bras une jeune fille, presque une enfant, devenue son épouse par un mystérieux jeu du Destin.
S’il s’inquiète de l’accueil auquel a droit Julia parce qu’elle est étrangère, noble et rédanienne, il s’inquiète surtout de ce que vont penser ses camarades sorceleurs. Certains s’interrogent déjà sur le bienfondé de toute cette histoire d’empire, bien qu’ils se consolent tous en appréciant l’inattendue sympathie des humains qu’ils gouvernent.
Certes, il ne sera pas le premier sorceleur à entretenir ce genre de relation, mais quelque chose d’aussi formel qu’un mariage, arrangé qui plus est ? Vont-ils l’accepter ? Ils ont déjà tous accepté Ciri quand il l’a présenté comme sa fille. Et la petite est attachante, elle a enroulé autour de son petit doigt tous les guerriers de la forteresse. Pourraient-ils faire preuve de la même tolérance pour ce nouveau pas qui l’éloigne de la vie d’un sorceleur.
- Prête ? demande-t-il en tournant la tête pour la regarder.
Julia lui rend son regard. Le bord de ses yeux est encore rouge mais elle lui sourit doucement et sert son bras, comme lorsqu’ils ont rencontré le baron de Vespaden. Néanmoins, contrairement à cette première rencontre, la jeune fille semble plus timide.
- Prête, souffle-t-elle en regardant droit devant elle.
Alors c’est parti.
Quand les doubles portes s’ouvrent, le bruit dans la grande salle s’arrête immédiatement et tous les regards se tournent vers eux. La méfiance est évidente sur chaque visage, qu’il soit celui d’un sorceleur ou d’un serviteur, humain et non humain.
Julia déglutit mais ne trébuche pas, suis son rythme, la tête haute, alors que Geralt la guide au travers de la salle. Son corbeau est calme et silencieux, immobile sur son épaule, alors que le crissement des griffes de Sélène et Hécate accompagne leur marche.
Il y a cinq tables alignées, une pour chaque école, et la sixième est installé dans le fond, à la perpendiculaire de toutes les autres.
Sa place, au centre, et celle de Julia, juste à sa gauche, sont vides. C’est le seul signe qui indique que ce sont les leurs. Les chaises ont la même taille que les autres, les couverts placés devant sont du même métal que le reste. Geralt est roi en titre, non en paraitre.
Un instant, il s’interroge sur la réaction de son épouse, sœur d’un roi et habituée à être traitée différemment du reste de la population, et même si après deux jours, il ne craint plus trop qu’elle réagisse mal, il doute tout de même, s’attendant à ce que ce soit le manque de respect, la goutte d’eau, qui fasse déborder le vase.
Mais non, Julia ne dit rien, se laisse guider et une fois à leur place, reste debout poliment. Geralt lui-même ne s’assoit pas tout de suite. Il regarde les sorceleurs comme les sorceleurs le regardent, attendant qu’il parle.
Il sait ce qu’il doit dire, il se souvient de la manière dont Julia s’est présentée à Felix. Elle n’a finalement que peu de titre. Sauf si on rajoute « épouse du Seigneur de Guerre du Nord et impératrice de Kaedwen, de Caingorn, Kovir et Poviss ».
A la droite de Geralt, après Ciri, il y a Eskel. Son frère a toujours son perroquet sur l’épaule, et même l’oiseau le regarde, comme si lui aussi attendait qu’il annonce qui était la femme qui se tient à côté de lui. Il déglutit et regarde Julia elle-même, tout en sachant que cette fois-ci, elle n’interviendra pas comme devant Felix.
- La paix est signée avec la Rédanie, commence-t-il en balayant la foule des yeux, comme si cela allait justifier la suite.
Il y a des acclamations pendant un court instant, certains sorceleurs levant leur choppe pour trinquer, satisfait de la bonne nouvelle. Mais le silence revient trop vite au gout de Geralt pourtant, il s’oblige :
- Voici Julia Pancratz de Lettenhove, princesse de Rédanie… mon épouse.
Cette fois, il n’y a aucune acclamation. Pas comme si voir leur seigneur désigné se marier était quelque chose dont il fallait se réjouir. Mais, pour le soulagement de Geralt, il n’y a pas de protestation non plus. Il s’assoit et Julia l’imite alors que Yennefer, installée à côté d’Eskel, lève sa coupe de vin, moqueuse :
- Toujours aussi éloquent, Loup Blanc.
Le début du repas se passe sans difficulté particulière, si ce n’est faire manger Ciri. La petite est coincée entre Eskel et lui, mais son attention vacille entre Paco, à qui elle donne ses légumes malgré les protestations de son père, et Artémis, installée à ses pieds sous la table, qui se régale des morceaux de viande que l’enfant lui fait glisser sans discrétion.
Julia est calme, grignotant à peine. Il n’y a pas de boisson adaptée aux humains sur leur table, Ciri ayant déjà une choppe de jus de pomme et Yennefer remplissant son verre de vin par magie. Quand Geralt demande quelque chose d’adapté à sa reine, le serviteur accepte du bout des lèvres de s’en occuper, et prend son temps pour revenir. Il sait que c’est parce que le petit personnel se méfie de son épouse autant que le reste des habitants de ses terres.
Heureusement, Julia est conciliante, comme elle l’est toujours, faisant mine de ne pas remarquer le manque évident de respect du personnel, écoutant poliment les conversations autour d’elle sans chercher à s’immiscer, flattant d’une main sous la table ses chiennes qui, à la manière d’Artémis, se sont installées à ses pieds alors que Loki reste immobile sur son épaule.
Shani a été installé un peu plus loin à table, à côté de Triss Merigold. Un choix judicieux à priori car les deux femmes discutent avec énergie de plantes et de soins. Julia les regarde, un sourire tendre aux lèvres quand ça arrive.
Tout le monde à la table des loups est occupé : Geralt négocie avec Ciri pour qu’elle mange et non les animaux, alors que Lambert fait le pitre pour la faire rire sous l’œil amusé de Yennefer, Eskel et Vesemir discutent de l’entrainement. Personne ne fait attention quand soudain, Julia crie de surprise alors qu’un bruit d’eau se fait entendre.
A cet instant, il se passe plusieurs choses simultanément. D’abord, Julia rattrape Loki, dont les plumes sont trempées de vin comme elle, et le berce contre sa poitrine tout en essayant de le calmer, faisant fi du liquide qui coule de ses cheveux à son visage et sur sa robe. L’oiseau croasse bruyamment, paniqué, alors qu’elle trouve une serviette pour commencer à l’essuyer.
Ensuite, le serviteur qui a trébuché s’excuse faussement, mais a à peine le temps de prononcer un mot que Sélène et Hécate bondissent de sous la table et lui sautent dessus, tous crocs dehors. Geralt craint un drame et a un mouvement pour se lever mais la chienne noire grogne vers lui tandis que la blanche fait tomber sa proie et s’immobilise, debout sur sa poitrine, la gueule à quelques centimètres de son visage, sans s’arrêter de grogner.
Toute la salle est figée dans un silence surpris : on n’entend que les croassements terribles du corbeau, qui a reçu une bonne partie du vin sur la tête, comme sa maitresse, les paroles douces et réconfortantes cette dernière pour l’apaiser, et le chant de grondement des deux chiens.
- Julia, appelle Geralt une fois les premières secondes de stupeurs passées, rappelle tes chiens.
Paco s’envole de l’épaule d’Eskel pour rejoindre Julia, et surtout Loki. Le perroquet s’installe sur la table, assez proche pour passer son bec dans les plumes noir du corbeau, essayant de l’apaiser lui aussi. Il écarte les ailes, comme pour le cacher des autres et roucoule doucement
- Chut, mon amour, s’est fini, l’ignore la jeune femme en essuyant les plumes. Là, là, ce n’est rien. Tu vas bien. Ce n’est qu’un peu de vin, ça va.
Le serviteur, un elfe au visage balafré, à l’oreille droite coupée, tremble de terreur, paralysé par la bête au-dessus de lui. L’odeur de sa peur se mêle à celle du vin renversé.
- Julia !
Le corbeau ne croasse plus, mais Geralt entend toujours son petit cœur d’oiseau battre à tout rompre. Julia le porte contre sa poitrine alors qu’il se tient les ailes écartées et le bec ouvert et Paco coiffe toujours ses plumes.
- Si mon seigneur époux me le permet, je souhaite me retirer pour la nuit. Demande-t-elle calmement, comme si ses chiens ne menaçaient pas de dévorer quelqu’un dans son dos.
- Julia…
- Puis-je me retirer ? Insiste-t-elle en le coupant, levant les yeux pour le regarder directement.
Le vin rouge tâche ses cheveux blonds, coule sur son visage et sa belle robe bleue est très certainement irrattrapable à ce stade, mais elle ne semble préoccupée que par son oiseau. Paco l’escalade, s’installe sur le corbeau pour le protéger de ses ailes.
- Si tu veux mais Julia…
Geralt n’a pas le temps de finir sa phrase, son épouse se lève et siffle, un coup sec. En réponse, Sélène et Hécate se taisent et reviennent vers elle, non sans un dernier regard mauvais pour le serviteur maladroit.
- Ainsi que je vous l’ai dit, mon seigneur, Sélène, Hécate et Artémis n’attaquent que sur ma commande.
Quand elle dit cela, elle tourne à peine la tête pour regarder le serviteur incriminé, qui gémit, effrayé par les chiens qui le fixent à nouveau, se léchant les babines d’un air menaçant, mais personne n’y fait vraiment attention.
Geralt, comme le reste de l’assistance, n’a d’yeux que pour son épouse, époustouflé. C’est la première fois qu’elle ressemble vraiment à la princesse qu’elle est : Julia se tient droite, la tête haute, le regard sévère. La douceur joyeuse à laquelle il s’est habitué a disparu. Malgré le vin qui la salie, et même sans couronne, elle est une reine.
- Je me retire à présent. Je vous souhaite la bonne nuit, mon seigneur, princesse.
Julia a un mouvement de tête pour Ciri, qui regarde toute la scène sans rien dire, les yeux écarquillés, puis repousse sa chaise et s’en va, ses chiens sur les talons. Hécate et Sélène restent proches d’elle, et menacent de leurs regards tout ceux qu’elles croisent.
Shani à un regard pour Triss, promet de poursuivre cette conversation plus tard, mais se lève, court après sa maitresse et la suit elle aussi. Quelques secondes plus tard, c’est Coen qui quitte la table des griffons pour les rejoindre.
Il faut que la porte claque sur eux tous pour que les conversations reprennent. Maintenant que le spectacle est terminé, les sorceleurs se détournent, commentent l’action, alors que le serviteur se relève, époussetant ses vêtements pour essayer de reprendre contenance. Il veut partir mais Geralt le retient :
- Que s’est-il passé ? Lui demande-t-il.
L’elfe se mord la lèvre, détourne le regard, hésitant. Maintenant qu’il n’y a plus les chiens ni la reine pour le menacer, l’odeur de peur s’éloigne, remplacé par une autre, toute aussi désagréable pour les sorceleurs : celle du mensonge.
- J’ai trébuché, Loup Blanc. Affirme-t-il. C’était un accident.
Tout le monde sait à Kaer Mohren qu’il est inutile de mentir à un sorceleur alors, quand Geralt grogne, mécontent de la réponse, l’homme ne tressaille pas, pire, il carre les épaules et insiste, presque hargneux :
- C’était un accident.
Geralt se rappelle que Mathias, l’elfe en question, est un ancien esclave rédanien, qui a connu plusieurs maitres et tortures avant de réussir à s’échapper, grâce au Bécasseau. Il comprend sa colère, même si sa vengeance est petite. Et le sorceleur a peur qu’elle n’ouvre la voie à d’autre, car Mathias n’est pas le seul à avoir un grief contre la Rédanie.
- Je ne tolérerai pas un autre accident de ce genre, gronde Geralt, assez fort pour que tout le monde l’entende, c’est clair ?
- Oui, Loup Blanc.
Mathias décampe rapidement, alors qu’une servante s’approche, un sceau et un linge à la main pour nettoyer le vin renversé. Geralt se détourne et reporte son attention sur sa fille, qui est étrangement calme et silencieuse à côté de lui.
Artémis est sorti de sous la table et se tiens assis, dos à Ciri, surveillant toutes les allées et venues comme si ce qui était arrivé à Julia pouvait arriver à la petite fille. A ce constat, Geralt pose une main sur la tête de l’animal et le félicite : même s’il n’y a aucune chance que quelqu’un fasse cela, il voit bien que le loup veut protéger sa jeune maitresse.
- Ça va ? demande Geralt à sa fille silencieuse.
Ciri à sa fourchette en main, mais ne mange pas, immobile. Finalement, Geralt la lui prend pour la poser sur la table avant de tirer la princesse sur ses genoux et la petite se laisse faire, fond même contre lui.
- Ça va ? Insiste le sorceleur en essayant de capter son regard.
Ciri joue avec le col de sa tunique et acquiesce d’un signe de la tête. Il est évident que ce qu’il vient de se passer la perturbe mais il ne sait pas comment la consoler. En soit, personne n’a été blessé et si la réaction des chiens était impressionnante, elle n’était que cela : un avertissement. Pas sur que ce soit le meilleur chemin pour que Julia se fasse aimer de ses gens mais, à priori, il ne faut pas toucher à ses animaux…
- Est-ce que Loki va mourir ?
Ciri lève ses grands yeux vers lui et Geralt est déstabilisé par l’humidité qu’il y voit. Heureusement, il est sauvé par l’intervention de Yennefer :
- Non ma chérie, ce n’était qu’un peu de vin.
- Il a juste eu peur, suppose Eskel avec assez d’aplomb pour rassurer la petite.
Son frère et lui échange le même regard d’incertitude. Yennefer a raison, ce n’était qu’un peu de vin, rien de terrible et certainement pas mortel, mais la réaction de l’oiseau, et de Julia, est trop excessive pour ce que c’était, et personne ne comprend pourquoi.
- Il l’a fait exprès, hein ? Fait-elle doucement après un long moment de réflexion silencieuse.
Un instant, Geralt ne sait pas quoi dire, et envisage de mentir, mais même si Ciri n’a pas les sens des sorceleurs, c’est une petite fille très intelligente pour son âge, et elle le lit comme on lit un livre ouvert.
- Oui, admet-il, réfléchissant à justifier le geste sans avoir à aborder l’esclavage et la torture.
Mais Ciri ne pose pas plus de question, se détourne même et son visage s’illumine quand elle voit arriver les desserts, des petits gâteaux au citron sur lesquels elle se jettent voracement, compensant tous ce qu’elle a donné à Paco et Artémis plus tôt.
Geralt la laisse faire, heureux qu’elle mange. Autour d’eux, les conversations ont redémarré doucement, mais personne ne parle de ce qu’il vient de se passer, gêné. Même s’ils se méfient de Julia, le geste était petit et puérile, et il trouve que son épouse s’en est tiré avec plus d’honneur que n’importe qui.
Lui qui doutait que Julia soit vraiment la princesse rédanienne qu’on leur a vendu, il sait maintenant que oui, elle est bien d’ascendance noble. Elle a la prestance d’une reine, sachant autant être douce et conciliante, que ferme et menaçante. Une main de fer dans un gant de velours, ce que personne n’avait pu imaginer en deux jours de voyage avec elle.
Ciri tire sur sa tunique pour attirer son attention et Geralt se penche sur sa fille. La petite a réuni dans une grande assiette plusieurs petits gâteaux, mais n’y touche pas.
- Peut-on allé voir Julia ?
- Hum.
Sa fille semble vraiment impacter par ce qui s’est passé, et si d’autres accidents doivent avoir lieu malgré sa parole, il espère vraiment que cela ne se fasse plus sous ses yeux. Geralt repousse sa chaise et se lève, gardant la petite dans les bras. Ciri tient l’assiette de gâteau précieusement alors qu’ils s’éclipsent silencieusement, Artémis sur les talons.
Après un court voyage à travers les couloirs de sa forteresse, Geralt arrive devant la porte des appartements de Julia mais hésite à toquer. Contrairement à Ciri qui n’a pas l’ouïe assez fine, les Dieux en soient remerciés, lui entend très bien les sanglots de son épouse.
Il craint que cet accident soit la goutte de trop, que Julia décide qu’elle ne veut pas de Kaer Mohren, pas de lui, et Geralt est effrayé de découvrir que ce n’est pas quelque chose qu’il souhaite, alors que pourtant il ne la connait que depuis deux jours à peine.
Comme il ne bouge pas, c’est Ciri qui toque, son petit poing faisant à peine assez de bruit pour interrompre les sanglots. Avant que Geralt ne renonce et s’en aille, la porte s’entrouvre sur Shani et le regard noir de l’elfe s’adoucie devant la petite et son assiette de gâteau.
- En quoi puis-je vous aider, majesté ? Demande-t-elle poliment.
- Puis-je voir Julia, s’il vous plait ? Répond sa fille sur le même ton. Je vous ai gardé du dessert.
Shani sourie, attendrie, et prend l’assiette :
- C’est très aimable, princesse. Répond-t-elle. Mais je suis désolée, ma maitresse ne…
- Elle peut entrer, coupe la voix de Julia dans le dos de l’elfe qui soupir et ouvre la porte en grand.
Julia se tient devant la table du salon, une bassine devant elle et un linge à la main, occupé à frotter son visage pour le rincer des restes du vin. Elle ne porte plus sa robe, qui est en boule dans un coin de la pièce avec les jupons et le corset, mais une longue chemise plus fine et une robe de chambre en laine est posée sur le dossier d’une des chaises.
Prêt de la bassine, il y a un tas de tissus que Paco couve, les ailes écartées et en roucoulant. De son ventre dépasse la tête de Loki.
La pièce est éclairée par quelques bougies, mais personne n’est venu allumer le feu ou les torches, et Geralt retient in extremis un grognement. Alors qu’il fait un pas dans la pièce, il constate l’absence de meuble à laquelle il n’avait pas fait attention plus tôt : toutes les chambres ont au moins un canapé et une bibliothèque. Il devra voir avec Eskel demain pour arranger les choses. Si Julia veut bien rester.
- Puis-je vous aider, princesse ? Demande-t-elle en posant le linge humide dans la bassine.
Une bassine d’eau froide, comprend Geralt, puisqu’il n’y a pas de feu dans la pièce. Julia a les cheveux mouillés, les lèvres bleues et des frissons discret, mais ne commente pas l’inconfort, se contentent d’enfiler sa robe de chambre en laine, peut-être un peu épaisse pour la saison, ou qui le serait, s’il y avait un feu dans la cheminée comme dans toutes les autres chambres.
- Mon seigneur, le reconnait-elle avec un mouvement de tête vers lui.
Ses yeux sont rouges et gonflés, alors que l’odeur des larmes se mêle aux derniers effluves de vin qui s’accrochent à elle. Son cœur s’accélère, pense-t-elle qu’il est venu pour la disputer, à cause de sa réaction ou celle de ses chiens ?
D’ailleurs, Hécate et Sélène sont là, prêt d’elle, et le fixent, comme elles semblent en avoir pris l’habitude, et Geralt sait qu’elles sont prêtes à bondir, comme elles l’ont fait plus tôt, mais après la démonstration de ce soir, il ne craint plus une morsure.
Pour la rassurer, Geralt pose sa fille et recule sans rien dire, alors, après un instant, l’attention de son épouse se repose sur Ciri qui s’est rapproché de la table pour regarder les deux oiseaux. La petite tend la main, certainement pour les caresser, et Paco lui mordille les doigts.
- Pardon, princesse, s’excuse Julia pour lui quand Ciri ramène sa main contre sa poitrine avec un petit cri. Il faut les laisser tranquille pour l’instant.
Julia s’accroupie, pour mettre son visage à hauteur de celui de l’enfant, et pose une main réconfortante dans son dos.
- Loki ira bien ? demande Ciri en se rapprochant d’elle.
Son épouse a un sourire tendre et répond avec assurance :
- Oui princesse, il ira bien.
Comme à son habitude, Ciri garde le silence quelques instants, réfléchissant à ses prochains mots et Julia semble avoir compris son fonctionnement car elle ne dit rien et attend la question qui mûrie dans son esprit :
- Pourquoi… pourquoi il a réagi comme ça ? Tante Yen a dit que ce n’était qu’un peu de vin…
- Ha. Julia hésite, cherche Geralt du regard un instant puis reprend : Loki a failli se noyer, il y a quelques mois de cela. Depuis, il a peur de l’eau.
L’odeur du mensonge atteint les narines de Geralt, mais il ne commente pas, se doutant que la véritable histoire n’est sans doute pas adaptée à une petite fille de cinq ans. D’ailleurs, comme pour lui donner raison, Paco grogne un « méchant vieil homme » avant de se réinstaller sur Loki, s’assurant de le cacher complètement.
- Ne vous inquiété pas, princesse, insiste Julia. Loki ira bien.
C’est à cet instant qu’entre Coen, une brassé de bois à la main. Quand Geralt le voit arriver, il gronde, mécontent, mais ne commente rien, de peur de perturber davantage Ciri. A la place, il aide son camarade sorceleur à préparer le feu dans l’âtre, laissant les deux femmes discuter.
- Il l’a fait exprès, murmure Ciri.
- Je sais, répond Julia sur le même ton.
Elle semble plus fataliste que rancunière. Geralt a cruellement conscience qu’une autre princesse demanderait la tête du serviteur qui l’a humilié devant toute sa cour. Mais il est évident que Julia n’est pas de celles-là.
- Pourquoi ?
Du coin de l’œil, le Loup Blanc surveille son épouse qui hésite, cherchant visiblement ses mots mais finalement répond :
- Mon pays a été méchant avec lui.
Ciri fronce les sourcils sans comprendre :
- Mais toi, tu n’as pas été méchante avec lui ?
- Non, princesse, je n’ai pas été méchante avec lui. Dément immédiatement Julia.
Dans un coin de la chambre, observant l’échange de loin, Geralt voit Shani lever les yeux aux ciels et marmonner un « si vous saviez » agacé. Ils ont établi pendant le voyage que Julia, et sa famille, était contre l’esclavage, aussi le sorceleur s’interroge sur toute la profondeur de ce qu’ils ignorent encore.
- Ce n’est pas juste.
Julia sourit, attendrie et ose, passe ses bras autour de la petite fille et la soulève en même temps qu’elle se lève. Ciri se laisse faire, noue même ses bras autour du cou de la jeune femme sans protester.
- Tes cheveux sont mouillés, commente Ciri, mais tu sens toujours le vin.
- Je me laverais mieux demain. Fait Julia sans s’offusquer.
- Tu devrais venir aux sources chaudes avec nous, propose Ciri.
- Des sources chaudes ? Il y a des sources chaudes, ici ? S’étonne la reine.
Comme pour chercher confirmation, le regard de Julia se détourne de la petite fille pour trouver celui des deux sorceleurs, maintenant agenouillés devant un beau feu ronflant. Geralt acquiesce d’un signe de la tête quand Coen confirme que c’est le cas, et la question est réglée, Ciri promettant de venir la chercher demain matin pour y aller.
- J’ai hâte, se réjouis Julia.
Puis la jeune femme marche jusqu’au tabouret du piano sur lequel elle s’assoit, gardant Ciri sur ses genoux.
- Que diriez-vous d’un peu de musique ? Demande Julia avec entrain, posant une main sur le clavier pour jouer quelques notes. Des suggestions ?
En parlant, la jeune femme regarde aussi vers les sorceleurs, mais c’est Ciri qui demande, d’une petite voix, si elle connait la berceuse « Le lionceau de Cintra ». Julia s’étonne, joue la mélodie et Ciri se réjouis de l’entendre. Pendant la chanson, que son épouse chante d’une voix calme, douce et sans hésitation, accompagnée par son instrument, qui fait bien moins de bruit que cet après-midi, Geralt les observe, le cœur lourd.
Ciri est une petite fille douce et énergique, bouillant d’une énergie joyeuse, semblant adorer la vie ici, à Kaer Mohren. Elle apprécie d’avoir moins théoriques et plus pratiques, sur le terrain d’entrainement avec Geralt ou sur la magie avec Yennefer. Elle adore courir dans les longs couloirs et jouer à cache-cache avec les enfants des serviteurs. Elle rigole de pouvoir porter des pantalons et de ne pas avoir à suivre une étiquette trop formelle.
Cela fait depuis le début du printemps qu’elle est ici. Depuis sa naissance, elle vient tous les étés, mais cette année, les choses se sont précipités. Avec la chute de Cintra, et la mort de Calanthe, que Ciri ignore toujours, la petite s’apprête à passer son premier hiver dans la forteresse, mais Geralt ne sait pas comment le lui dire.
Jusqu’à maintenant, elle ne semblait pas souffrir du mal du pays. A aucun moment elle n’a parlé de Cintra, à peine évoque-t-elle de temps en temps sa grand-mère, Sac-à-souris ou la cour, pour comparer avec Kaer Mohren ou pour se rappeler de leur parler de quelque chose. A chaque fois, les autres et lui sont gênés, ne sachant pas comment expliquer à l’enfant joyeuse que non, désolée, elle ne pourra pas raconter cette histoire à Calanthe.
La voix de Julia comme l’instrument baisse de volume, le rythme ralentit, car la petite sur ses genoux s’est endormie. La reine sourie, attendrie, et conclue la chanson doucement avant de nouer ses bras autour de l’enfant pour la stabiliser quand elle se lève avec des gestes calculer.
Geralt l’imite, s’approchant pour récupérer sa fille, qui gémit pendant le transfert mais ne se réveille pas.
- C’est une charmante enfant mon seigneur, murmure la jeune femme, en passant une main dans les cheveux de la petite pour écarter une mèche de son visage.
- Hum.
Julia a un petit rire et demande, un peu moqueuse si un jour, il lui parlera avec des mots ou s’il ne fait que grogner. Geralt se renfrogne puis s’oblige à parler :
- S’il y a d’autres… incident, fait-il en hésitant sur le mot à employer, dis-le-moi. Cette forteresse est la tienne, maintenant.
L’espoir dans la voix de Geralt est discret, mais il est là et le sorceleur le trouve ridicule, parce que depuis le début des négociations sur le mariage, il a dans l’idée de laisser son épouse quitter Kaer Mohren pour un palais plus adapté à son niveau de vie, pourtant, et seulement après deux jours, une partie de lui ne voudrait pas que Julia s’en aille.
Sa reine lui sourit, puis répond par un « bonne nuit, mon seigneur », et Geralt s’en va comme il est venu, portant sa fille, un loup marchant dans ses pas.
A suivre...
Chapter 15: Elle fait des révélations involontaires
Notes:
Avertissement pour le contenu de ce chapitre, qui peut en heurter certain. Cf note de fin pour plus d'information.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Ciri est une petite fille qui déborde d’énergie à peine tirée du lit, et qu’importe que le soleil se montre à peine dans le ciel, témoignant de l’heure matinale. Elle court dans les couloirs de Kaer Mohren, Artémis sur ses talons, sans se soucier de Geralt qui la suit avec moins d’entrain.
Le sorceleur se sent épuisé : sa première nuit dans la sécurité de Kaer Mohren, après des semaines à guerroyer, lui a permis de récupérer un peu de sommeil, mais pas assez. Chose rare, Ciri l’a tiré de son lit, excité d’aller aux sources chaudes avec tout le monde.
La petite n’a pas donnée de détail, mais Geralt devine bien qui est « tout le monde », et grimace en pensant que sa fille est allée réveiller d’autres personnes avant lui, sans se soucier de déranger. Peut-être devrait-il reprendre avec elle certaines règles de vie…
L’idée se renforce quand Ciri se précipite sur la porte de la chambre de Julia et l’ouvre en grand sans toquer, avant qu’il ait la force ou le temps de la retenir et de la reprendre, la petite étant trop vive, trop tôt le matin.
Il y a un cri de surprise -Geralt reconnait la voix de son épouse- et quand il arrive au seuil de sa porte, c’est pour voir les femmes accoudées à la balustrade du balcon, malgré l’air froid matinal. Leurs chevelures blondes brillent de concert dans le soleil levant.
- Il va où l’oiseau ? Demande sa fille.
Des jappements s’entendant dans la chambre de la reine : Artémis a trouvé ses sœurs à priori, et joue avec elles. Loki et Paco sont collés l’un a l’autre, perchés sur le dossier d’une chaise sur laquelle est posé un gros livre de conte, que Julia devait sans doute lire.
Coen est présent bien entendu : Geralt sait qu’il doit lui trouver un binôme car le sorceleur ne peut pas continuer à passer toutes ses journées et toutes ses nuits avec la reine, bien qu’il ne s’en plaigne pas, le saluant simplement d’un « Loup Blanc » poli accompagné d’un signe de la tête.
- En promenade, répond Julia.
Geralt s’approche de l’accès au balcon, son regard attiré par la silhouette du faucon qui s’éloigne, mais reste derrière, ne voulant pas déranger son épouse et sa fille, le cœur étrangement chaud de les voir ensemble.
- Ho, regarde ! fait Ciri en se penchant sur la balustrade, ton hibou !
Julia pose une main dans le dos de la petite pour la sécurisé, puis se penche pour suivre son regard. Ses sourcils se froncent, elle prend le temps d’observer l’oiseau que pointe Ciri avant de murmurer :
- Non, ce n’est pas Athéna… Ce n’est pas… hum… Julia semble perplexe.
Elle siffle, un son aigu et court, et du couvert des arbres au pied de la forteresse un hululement se fait entendre avant que n’émerge la chouette blanche de Julia qui la rejoint en quelques battement d’aile silencieux, venant se poser sur la balustrade, devant la reine.
- Princesse, voici Athéna. C’est une chouette effraie. A la différence des hiboux, elle n’a pas d’aigrette, explique-t-elle en montrant le dessus de ses yeux.
- Oh, alors l’autre aussi, c’est une chouette ? Demande Ciri en se penchant pour chercher du regard l’oiseau qu’elle a vu.
- Probablement. Suppose Julia en posant un baiser sur la tête d’Athéna, qui hulule de plaisir avant de s’envoler pour entrer dans la ménagerie.
Ciri soupir en se redressant, déçue de ne pas avoir trouver l’autre chouette, et comme Geralt en a l’habitude, les pensées de sa fille bondissent, désordonnées comme sait l’être une enfant de cinq ans :
- Il risque pas de se perdre ?
L’attention de Geralt revient sur son épouse, qui sourit à Ciri, amusée. La jeune femme porte une robe de nuit longue, et sa robe de chambre en laine par-dessus alors que ses cheveux sont lâchement tressés dans son dos. Elle semble épuisée : le teint pâle, les traits tirés, les yeux cernés. Geralt se demande si elle a dormi. Julia remarque sa présence et le salut d’un signe de la tête avant de répondre à la petite fille :
- Horus me retrouvera toujours, fait-elle en parvenant à suivre les pensées de Ciri avec aisance.
Satisfaite de la réponse, Ciri quitte le balcon pour retourner dans le salon, attirée par Paco et Loki qui la regarde en retour sur le dossier de la chaise. Comme la veille, elle tend la main mais cette fois, elle hésite à les toucher. Julia vient s’agenouiller prêt d’elle et termine son geste pour elle.
- Vous les avez réveillés, princesse, explique Julia en la suivant.
La reine frôle les serres du corbeau qui comprend le message et grimpe sur sa main. Julia le rapproche de sa fille et Ciri, après une hésitation, caresse les belles plumes de son dos, les frôlant à peine comme par crainte de mal faire.
- Désolée, je voulais pas.
Mais comme à son habitude, Julia ne montre aucune rancune :
- Vous êtes ici chez vous, princesse, fait la jeune femme gentiment. Néanmoins, peut-être devriez-vous revoir les règles de base de l’étiquette avec votre précepteur ?
Ciri fait la grimace puis répond :
- J’ai pas de précepteur ici. Son sourire s’agrandit alors qu’elle poursuit : grand-mère a dit qu’elle allait m’apprendre elle-même quand je rentrerais cet hiver.
- Grand-mère ? Cet hiver ?
Julia répète en levant les yeux vers Geralt. Le sorceleur grimace, mal à l’aise. Il n’a toujours pas dit à Ciri qu’elle ne rentrerait pas à Cintra, parce que Cintra n’existe plus, et que Calanthe, sa grand-mère, sa seule famille, n’est plus de ce monde. Son épouse doit comprendre quelque chose car elle n’insiste pas, demandant à la place :
- Vous n’apprenez pas l’histoire ou les mathématiques ? Devant la grimace de Ciri, elle propose : la lecture ou la géographie ? L’étiquette ?
Ciri fait non de la tête et explique, assez fière :
- J’apprends à me battre avec Geralt, et la magie avec tante Yen ! C’est mieux qu’avec Sac-à-sourie, murmure l’enfant d’un ton conspirateur.
Pendant quelques instants, Julia est muette d’étonnement puis elle se reprend, la compréhension se dessinant sur son visage, et demande, innocemment :
- Princesse, puis-je vous demander pourquoi vous appeler votre père par son nom ?
Avant que Geralt ne puisse intervenir, sa fille répond :
- Geralt n’est pas mon père, je suis son Enfant Surprise.
Cette fois, Julia n’est pas étonnée, comme si elle avait deviné la réponse avant que Ciri ne parle. D’ailleurs, elle n’insiste pas et change de sujet :
- Puis-je vous demander un service ? Pouvez-vous aller réveiller Shani ? En parlant, elle montre une porte encore fermée.
Ciri accepte avec joie et se précipite dans la chambre. Julia profite que la petite s’éloigne pour se redresser, installant d’un mouvement habile Loki sur son épaule avant de s’approcher de Geralt.
- Je comprends pourquoi son existence est si secrète, murmure-t-elle.
- Julia…
- Je ferais comme si je n’avais pas compris, vous avez ma parole. L’interromps son épouse avant de poursuivre, plantant son regard dans le sien. En revanche, mon seigneur, et pardonnez-moi si j’outrepasse mes droits, mais vous devez lui dire qu’elle ne rentrera pas chez elle.
Geralt se renfrogne. Il sait ce qu’il doit faire, mais n’a pas encore trouver ni comment, ni quand le faire. Il a eu l’excuse de la guerre. Ciri lui a été confié au printemps, Calanthe est morte au début de l’été, la nouvelle leur arrivant assez tardivement, puis il y a eu l’attaque de la Rédanie pour le détourner de son devoir.
Et Ciri est vive et joyeuse, il a trop peur de briser ça. Ce n’est pas seulement sa grand-mère qu’elle a perdue, mais tout son pays. Comment peut-on faire un tel deuil ? Et c’est sans doute un peu de la lâcheté que Yennefer, Eskel et les autres pensent que c’est à lui d’annoncer la triste nouvelle à l’enfant.
- Mon seigneur, Ciri ne supportera pas l’hiver ici si vous ne lui expliquez pas pourquoi. Insiste son épouse.
- Hum.
Julia tique puis se détourne, regardant vers la chambre où elle entend Ciri rire et Shani grogner, mécontente du réveil précoce.
- Ce n’est pas à moi de le faire, mais si vous ne dites rien, mon seigneur, je le ferais moi-même.
Geralt n’a pas le temps de répondre, Ciri revient, suivit par Shani. L’elfe enfile elle-même une robe de chambre sur sa tenue de nuit, grimaçant de fatigue. Néanmoins, quand elle remarque la présence de Geralt, elle fait une révérence avant de s’approcher de sa maitresse.
- Princesse, propose Julia, si votre père et vous-même êtes d’accord, je serais honorée d’être votre préceptrice.
Sa proposition ne semble pas plaire car la petite perd son sourire et grimace. Ça ne déstabilise pas Julia, qui s’approche à nouveau pour s’agenouiller devant elle et la regarder dans les yeux :
- Princesse, vous serez reine un jour, n’est-ce pas ? La petite acquiesce, incertaine. Bien, poursuit Julia, mon père disait toujours qu’une reine illettrée est un âne couronné. Etes-vous un âne, princesse ?
Ciri rigole mais fait non de la tête.
- Mais grand-mère va m’apprendre, se défend-t-elle.
Le cœur de Geralt se sert, et un instant, il craint que Julia crache le morceau, mais sa reine répond habilement :
- Je suis certaine qu’elle ne vous en voudra pas de prendre un peu d’avance.
Il est évident qu’elle n’a pas l’adhésion de la princesse, alors Julia insiste :
- Vous êtes la fille du Loup Blanc. Vous êtes un loup, et un loup dois savoir se défendre. Avec ses bras, avec sa magie, et avec sa tête. Enumère la jeune femme en tapotant le front de l’enfant.
Pendant un instant, Ciri ne dit rien :
- D’accord, je vais apprendre. A la condition que tu m’apprennes ça.
En parlant, Ciri pointe le piano du doigt et Julia accepte, ajoutant la condition que son père donne lui-même son aval pour des leçons, ce que Geralt fait immédiatement.
- Il faudra voir avec Yennefer pour s’organiser.
- Oh ! Tante Yen ! Elle doit s’impatienter ! s’écrit Ciri, se rappelant de la raison de leur visite. Ils nous attendent pour aller aux sources chaudes !
Julia fronce les sourcils, comme si elle ne comprenait pas quelque chose dans les paroles de l’enfant, mais n’a pas le temps de parler, Shani intervient, indiquant qu’elles pouvaient y aller, ayant tout préparer pendant les négociations de sa maitresse avec la princesse.
- Merci, fait la reine en lui prenant une partie des affaires préparées, à savoir des draps de bain et des fioles d’huiles ou de savon.
- Loup ! On y va, appelle Ciri.
Artémis sort de la chambre, suivit par Hécate et Sélène. Anticipant une question, Geralt informe son épouse que les deux chiennes peuvent l’accompagner. Le corbeau, en revanche, pourrait être nerveux, à cause de l’eau comme de la caverne. Julia accepte et repose Loki sur la chaise, à coté de Paco, pose un baiser sur le front de chaque oiseau et les suit hors de la chambre, accompagnée comme toujours par Coen.
- Tu as l’air épuisé, souffle Geralt alors qu’ils avancent dans les couloirs.
Le sorceleur grince des dents, réalisant que ce n’est pas le genre de chose que l’on dit à une dame, tout en se demandant pourquoi cela lui importe. Mais Julia est magnanime et explique :
- Loki a eu du mal à se calmer et j’avoue que même sans cela, j’ai eu du mal à trouver le sommeil.
Kaer Mohren n’est pas un lieu accueillant par nature. C’est une vieille forteresse, conçue pour former des monstres à chasser des montres, hantée par les fantômes de tous les enfants qui ont échoué à l’épreuve des Herbes.
Et pour Julia, l’étrangère, la rédanienne, elle l’est encore moins et Geralt attend le moment où elle cessera d’être conciliante, quand la reine en elle, qu’il a vu hier soir, se réveillera et exigera des conditions de vie digne de son rang. Des conditions que Kaer Mohren ne pourra jamais lui offrir.
- Hum.
En peu de temps Julia semble avoir réussi à le décrypter car elle ose, s’accroche à son bras et reprend doucement :
- Que mon seigneur époux se rassure, dit-elle dans un murmure, à moins que vous ne vouliez pas de moi ici, je n’ai pas l’intention de m’enfuir. Après tout, Oxenfurt ne s’est pas construite en un jour.
Son optimisme est rassurant et Geralt acquiesce sans trouver quoi répondre. Le silence qui les accompagne jusqu’au sommet de l’escalier menant aux sources chaudes est agréable. Ciri court devant avec les chiens et son loup, Coen et Shani les suivent sans rien dire non plus.
- Ah ! enfin ! S’écrit Lambert en se redressant quand il les voit arriver.
Le sorceleur n’est pas seul à les attendre. Aiden et Yennefer, qui étaient en pleine conversation, s’interrompent et se tournent vers eux alors qu’Eskel, qui était assis par terre contre le mur, se relève lui aussi. C’est amusant de voir la déception de son frère quand il regarde l’épaule vide de la reine.
- Paco n’est pas là ? Demande-t-il.
Avant que Julia ne puisse répondre, Aiden intervient donnant un coup de coude au sorceleur :
- Tu pourrais être plus poli, reproche-t-il. Puis il s’avance et fait une révérence profonde, presque théâtrale, alors que Lambert soupir en levant les yeux au ciel. Ma reine, je suis Aiden de l’école des chats. Pardonnez l’impolitesse des loups, je crains que ce soit une cause perdue.
Lambert se plaint, Eskel aussi alors que Geralt grogne, mais cela fait rire Julia, qui répond rapidement, aussi solennelle que le sorceleur :
- Je vous rassure, messire Aiden de l’école des chats, nulle offense n’est faite.
- On y va ? s’impatiente Ciri, déjà engagée dans les escaliers.
Geralt comprend. Il est rare que les sorceleurs se baignent si tôt, préférant se rendre aux sources chaudes après l’entrainement du matin. Mais pour les beaux yeux de Ciri, tout le monde est là, et même Yennefer, qui suit sans rien dire, fatiguée de devoir se lever si tôt, ne proteste pas. Au contraire, la sorcière à l’air d’attendre quelque chose, un petit sourire aux lèvres, et Geralt a un mauvais pressentiment.
Avec le recul, il aurait du savoir, parce que c’est évident et Yennefer, qui n’est pas de Kaer Mohren, qui connait les règles de fonctionnement du monde et qui attend toujours l’instant où Julia se révèlera être la petite noble précieuse et trop délicate pour la forteresse, devine ce qu’il va se passer, et s’en réjouit.
A sa décharge, il faut savoir que l’usage mixte des sources chaudes est profondément ancré dans la culture de Kaer Mohren. Même les non sorceleurs qui se sont installés dans la forteresse avec cette histoire de Seigneur de Guerre, ne s’en sont jamais plaint, alors vraiment, il ne s’attendait pas à une réaction si vive de la part de Julia.
Au début, Geralt suppose que sa stupeur figée vient du lieu lui-même. Les cavernes sont grandes, le plafond effacé dans une obscurité que percent des perles de lumières disséminées tout autour des multiples bassins qu’occupent quelques personnes, hommes et femmes confondus. Il l’abandonne là, au pied des marches, s’approchant des bancs longeant les murs pour se déshabiller alors que Yennefer explique :
- Les bassins au-delà de cette ligne, fait-elle avec un geste pour la ligne de pierre blanche qui sépare la pièce en deux, sont trop chaud pour les humains. Je vous conseille de respecter cela,
La sorcière sourit d’un air suffisant, alors qu’elle commence à défaire sa robe en se tournant vers la reine. Mais son sourire se perd quand elle la regarde.
- Altesse ?
Shani, qui s’était avancée dans la caverne avec Coen, se retourne et revient vers sa maitresse pour l’appeler à son tour, sans avoir de réponse.
- Julia ?
L’elfe pose une main sur son bras pour attirer son attention, mais cela ne semble pas fonctionner. Geralt, qui a retiré sa tunique et a les mains sur sa ceinture, s’immobilise et son attention se reporte sur son épouse. A côté de lui, les autres sorceleurs ont une réaction similaire, alors que Ciri ne remarque rien, heureuse d’aller se baigner.
- Julia ? Tu m’entends ?
Geralt fronce les sourcils, s’approche, assez pour entendre la respiration rapide de son épouse. Elle est encore plus pâle, son regard trouble, perdu quelque part sans qu’il ne comprenne où. Elle sent la peur, non, pire, la terreur et ça pique le nez. Hécate et Sélène pleurnichent, frottent leurs têtes à leurs maitresses mais c’est tout aussi inefficace que les appels de Shani.
Tout change quand Ciri, qui n’a rien remarquée, passe devant tout le monde, suivi par Artémis, aussi nue qu’au jour de sa naissance pour plonger dans un bassin déjà occupé par deux femmes et un homme. Julia prend une profonde inspiration et l’odeur de terreur s’échappe, remplacée par celle de la colère.
- Vous la laissez se baigner ici ? Comme ça ?
Le sorceleur fronce les sourcils, sans comprendre, mais ce n’est pas le cas de Yennefer qui rétorque, sur la défensive :
- Je n’apprécie pas ce que vous insinuez, altesse.
Julia rigole, mais c’est affreux, un rire cynique, sans humour, méchant :
- Oh mais que pourrais-je insinuer, répète Julia, mauvaise, quand je vois une petite fille nue se baigner avec des hommes tout aussi nus ?
Julia se redresse, lâche ce qu’elle a en main sans se soucier de faire tomber ses flacons de soin pour le chercher du regard. Le parfum d’agrumes qui se dégage ne suffit pas à masquer l’odeur de sa colère qui s’enflamme, alors qu’elle apparait aussi stricte et souveraine qu’hier. Plus encore, et Geralt ressent le besoin de se défendre :
- Personne n’oserait faire quoi que ce soit à Ciri, gronde-t-il, presque énervé à son tour maintenant qu’il comprend, croisant les bras sur sa poitrine.
Mais ce n’est pas les bons mots. Les deux chiennes qui pleurnichaient un instant plus tôt se mettent au diapason de leur maitresse et se tournent vers lui, babines retroussées, grondantes, et Julia ne fait rien pour les retenir.
- Etes-vous naïf ou simplement stupide, mon seigneur ?
Le titre qu’elle lui donne par respect depuis leur rencontre sonne comme une insulte, une infantilisation soudaine et inattendue à laquelle Geralt ne sait pas quoi répondre. Julia ne lui en laisse pas le temps de toute façon parce qu’elle reprend, toujours hargneuse :
- Pensez-vous que votre fille restera enfermée dans cette forteresse tout le reste de sa vie ? Et pensez-vous que tous les hommes du continent sont aussi vertueux que vos chers sorceleurs ?
Geralt ouvre la bouche pour répondre, bien que son esprit soit totalement vide de toute réplique. Mais ses pensées sont trop lentes et son épouse poursuit sa diatribe :
- Que se passera-t-il, mon seigneur, quand votre fille, se pensant en sécurité comme elle l’est actuellement, se déshabillera devant le mauvais homme ?
Julia est rouge de fureur, elle fait un pas en avant, marchant dans les bris de verres sans faire attention, et l’odeur de sang se rajoute à celle de sa fureur, la semelle fine de ses chaussures ne parvenant pas à la protéger. Mais cela n’arrête pas la reine, qui ne réalise même pas qu’elle est blessée, elle plante un doigt dans la poitrine de Geralt qui décroise les bras par reflexe, le regard levé vers lui, toujours furieuse :
- Devra-t-elle vivre avec le poids de cette erreur toute sa vie ? demande-t-elle. Mais c’est une question rhétorique parce que Julia poursuit, des larmes de fureur bordant ses beaux yeux bleus. Lui demanderez-vous de vivre avec cette honte ?
Elle s’arrête, le temps de reprendre sa respiration, et Geralt pense un instant pouvoir répondre, mais la jeune femme reprend immédiatement :
- Ou alors, sous couvert de préserver l’honneur, vous exigerez d’elle qu’elle épouse celui qui l’aura assaillie ? Devra-t-elle alors devenir sa femme, partager son lit, porter son enfant ?
Le sorceleur pourrait se sentir agressé, en soit, le discours de Julia est une agression, une accusation terrible et sans fondement, parce que personne à Kaer Mohren, qu’il soit sorceleur ou non, n’oserait même envisager toucher à Ciri et qu’il ne s’est jamais rien passé pour qu’un quelconque doute émerge.
Mais pourtant, sous la fureur de son épouse, dans son regard brillant de larmes, dans son rythme cardiaque que Geralt entend, douloureusement rapide pour une humaine, le sorceleur crois comprendre quelque chose, alors il demande, d’un ton calme :
- C’est ce qui t’es arrivé ?
La caverne est silencieuse, l’attention de toutes les personnes fixées sur Julia sans que quiconque ne trouve à réagir à la tirade de la reine, choqué par son contenu. Même Ciri, qui ne comprend pas ce qu’il se passe, ne joue plus, immobile dans l’eau, accrochée à son loup.
Les mots de Geralt résonnent dans le silence. C’est comme s’il venait de gifler Julia : la respiration de la jeune femme se coupe alors qu’elle écarquille les yeux sous le choc. Ils se fixent l’un l’autre, immobiles, et le temps semble suspendu.
Puis la bulle de surprise éclate, Julia ne répond pas, tourne les talons et fuit dans les escaliers, suivi par Shani qui l’appelle désespérément, et ses chiennes. Geralt veut la suivre mais une main sur son épaule le retient. Quand il tourne la tête, il voit Coen, et le griffon le regarde, l’air grave, assez pour que le Loup Blanc comprenne qu’il a certainement visé juste.
- Elle parlait d'une erreur hier, avant qu'elle ne joue de son instrument. Explique-t-il. Shani ne semblait pas d’accord avec elle.
Il y a quelques grognements, dont Geralt lui-même qui est certain d’avoir visé juste, et qui est trop pessimiste pour ne pas imaginer le pire. Et il n’est pas le seul.
- Putain, s’écrit Lambert, c’était vraiment pas un conte de fée !
Yennefer s’avance, l’air tout aussi grave, et s’accroupi, passant des mains luisantes de magie sur les affaires brisées au sol : les flacons se reconstituent, leurs contenus retournent à l’intérieur, et les draps de bains se défroissent.
- Non, ça ne l’était pas, répond-t-elle sombrement en ramassant les affaires restaurées.
A suivre...
Notes:
Avertissement : référence au viol, mariage forcé.
J'adore la série "The Accidental Warlord and His Pack" de inexplicifics, et je pense que, au vu du succès de ces fics, nombre d'entre vous l'ont sans doute déjà lu. Mais il y a une chose qui m'a toujours fait grincer des dents dans cette série, et qu'on retrouve certainement dans d'autres, c'est le traitement des sources chaudes : une petite fille et des hommes adultes, tous nus... nan, nan, ça passe pas pour moi. Et sans doute que c'est un biais culturel de ma part mais non, j'y arrive pas.
Donc voilà ma version, en espérant que cela vous ait plus.
A la semaine prochaine !
Bye!
Chapter 16: Entre la panique et la résignation, son cœur balance…
Notes:
Avertissement : référence à de la maltraitance, SSPT
Chapter Text
Julia prend la tasse que lui tend Shani mais se contente de la garder en main, les doigts réchauffés par la chaleur de la boisson. Son regard est posé sur les braises dans la cheminée, qui s’éteignent lentement. Le feu que son époux a allumé la veille n’a pas été entretenu, et elle n’a pas de buche pour l’alimenter.
Une partie de son esprit voudrait pouvoir se fixer là-dessus, se perdre dans ce petit problème insignifiant, quitte à aller chercher du bois elle-même s’il le faut, pour que les flammes renaissent et fassent reculer la fraicheur de cette journée pluvieuse.
Mais penser à ce feu, c’est penser à son époux, et donc à ce qu’elle lui a dit plus tôt. Ce qu’elle lui a crié plutôt. Ciel, Melitele en soit témoin, sa langue sera sa perte un jour. Et ce jour est peut-être venu parce qu’elle, la petite princesse rédanienne, a osé lever la voix sur le Loup Blanc. A osé l’insulter.
Julia pose la tasse sur le sol à côté d’elle, et se prend le visage dans les mains, la panique qui l’a poussé à fuir les sources chaudes revenant bousculer douloureusement son cœur, poussant des larmes aux bords de ses yeux et la faisant trembler.
Immédiatement, elle sent la main chaude de Shani sur son épaule, alors que Sélène et Hécate pleurnichent et essayent de se rapprocher encore, se lovant contre elle, dérangeant Loki et Paco qui se sont nichés sur ses genoux. Les petits oiseaux chantent et sautillent autour d’elle, ou volettent entre les poutres du toit qui sert de perchoir à Athéna et Heru, qui veillent de loin.
Faute de canapés pour les accueillir, ils sont tous installés là, sur une fourrure devant la cheminée. Il semble à Julia que Shani a demandé du bois à Martha, mais comme pour les draps, la jeune servante a accepté d’aller en chercher sans jamais revenir. Une autre marque d’irrespect qui l’impact peu.
Elle a, malheureusement, d’autres chats à fouetter.
Enfin… ce n’est pas elle qui va tenir le fouet… Les sorceleurs utilisent-ils un fouet ? Ou est-ce un bâton, comme la loi l’autorise en Rédanie, pour corriger une épouse ou une fille désobéissante ? Peut-on appeler son honteux éclat une désobéissance ?
C’est bien au-delà de ça, pense Julia, pragmatique. Elle ne s’est pas contenté d’enfreindre les règles et l’étiquette, elle est allée jusqu’à insulter son seigneur et maitre. Si pareil comportement avait été le sien avec Radowid… Non, elle ne veut pas penser à ce qu’aurait fait feu son ex-mari. Elle a bien assez à penser avec l’actuel !
Julia ne pense pas que les sorceleurs soient des monstres. Elle a envie de croire qu’ils sont des chevaliers de l’ombres, des êtres sacrifiés à la protection du commun des mortels contre des menaces plus terribles qu’un petit seigneur en mal de pouvoir, qui méritent d’être loués et non dénigrés.
Pourtant, malgré cela, une partie de son esprit ne cesse de se répéter en boucle que tout conte à une part de vérité, et elle se demande si la nature monstrueuse de sorceleur de son époux ne va pas s’exprimer ici et maintenant.
Non pas qu’elle ne le mérite pas. Julia a parfaitement conscience d’avoir dépassé les bornes. Non seulement sa stupidité l’a poussée à outrepasser toutes les règles établies et à insulter le Loup Blanc, mais en plus, l’homme a gardé suffisamment d’esprit pour comprendre ce qu’elle ne voulait pas dire.
Par Melitele, il doit être soulagé de ne pas avoir touchée une fille aussi pathétique qu'elle. Maintenant qu’il a compris au moins une partie de sa faute, et si elle survie à la prochaine confrontation avec son époux, certainement qu’il la répudiera, et à raison. Qui voudrait d’une trainée comme elle pour reine ?
- Julia, bois s’il te plait.
Shani a reprie la tasse et la lui tend encore. Elle est moins chaude qu’avant quand Julia la porte à ses lèvres. Presque froide même. Combien de temps s’est écoulé ? Julia se sent perdue, déconnecté de la réalité du temps qui passe. Les braises ne sont presque plus que des cendres, et il fait sombre dans la chambre. Est-ce la fin de la journée ?
Quand elle est revenue des sources chaudes, Julia s’est enfermée dans sa chambre, craignant que son époux ne la suive et ne la punisse immédiatement, sous le coup de la colère. Ce n’est sans doute pas le plus intelligent, trouver une porte close ne l’aurait sans doute pas apaisé, ni arrêté, n’est-ce pas ? On dit les sorceleurs plus fort que les hommes…
Mais le Loup Blanc ne s’est pas présenté, seulement Shani, qui a cogné contre sa porte, qui a crié, qui a supplié, qui a promis qu’elle était seule. Et ses chiennes ont gratté, Paco, Loki et les autres oiseaux piaillant eux aussi, tous concerné par elle.
Finalement, Julia a ouvert la porte, les yeux rouges de ses larmes, les mains tremblantes de ses peurs. Shani a essayé de la consoler, mais la jeune reine était au-delà de ça, dans une sorte de résignation triste, qui lui a permis de se préparer pour ce qui va indubitablement arriver.
Sur son ordre, l’elfe l’a aidé à se laver, avec les restes de l’eau de la veille. Sa fraicheur l’a à peine fait sourciller. Ensuite, elle a enfilé l’un de ses corsets, le plus épais, celui qui a plus de baleines que les autres. Si elle peut le garder, cela la protégera à minimum. Ça l’a déjà fait dans le passé.
Après quoi, elle a laissé Shani choisir la robe, et son amie, terriblement habitué à ce manège, lui a fait enfiler un habit gris et triste, jolie avec ses broderies sombres et délicates, mais qui peut être salis et déchiré sans que cela n’attriste sa maitresse.
Enfin, Shani lui a brossé longuement les cheveux avant de les tresser et de les réunir en un chignon serrer. Ça, en revanche, ça ne changera pas grand-chose. S’il veut les lui saisir et les tirer, il y arrivera toujours. Elle y a déjà laissé des mèches entières par le passé.
Depuis, elles sont installées là, devant le feu qui s’éteint, attendant. Par moment, quand les pensées de Julia s’emballent, la panique revient, mais ensuite, la résignation l’apaise et elle attend à nouveau. Shani ne dit rien, parce qu’il n’y a rien à dire, et qu’elle aussi sait ce qui va arriver, ce qui est déjà arrivé.
Ce doit être la fin de journée. Difficile à dire exactement parce que la pluie a commencé à tomber peu après que Julia soit revenue, le ciel restant d’un gris sombre et morne, plongeant la chambre dans une demi-pénombre désagréable. Il semble à Julia que personne n’est venu lui porter de repas, pas que ce soit une surprise, et pas qu’elle ait faim non plus, mais cela l’ennui que ses animaux et surtout Shani soient obligés de jeûner à cause d’elle.
Le Loup Blanc prend du temps. Quelque part, et après réflexion, elle aurait préféré qu’il vienne immédiatement, qu’il la punisse et qu’elle puisse passer à la suite, si suite il doit y avoir. Au moins, Shani ne serait pas resté prêt d’elle, à lui tenir compagnie alors qu’elle est actuellement la personne la moins intéressante à côtoyer.
Julia voudrait trouver la force de la congédier, peut-être pourrait-elle l’envoyer trouver cette Triss Merigold, avec qui elle a bien discuté la veille au soir. Se serait bien mieux que de rester là, à attendre que la foudre ne lui tombe sur la tête. Mais aussi résignée qu’elle puisse l’être, la jeune femme est terrorisée à l’idée de rester seule maintenant.
Shani n’a jamais rien pu faire pour la protéger. Ni hier, quand elle était esclave, et certainement pas aujourd’hui, alors que l’ennemi est le Seigneur de Guerre, l’empereur du Nord et le sorceleur le plus puissant du continent. L’elfe ne pourra que la soigner, comme elle l’a toujours fait depuis les onze ans de Julia et sa première rencontre avec Radowid.
Aucunes des deux ne sait l’heure qu’il est, juste qu’il fait presque nuit maintenant, quand un coup à la porte fait sursauter les deux femmes. Pendant une longue seconde, elles se regardent sans savoir quoi faire, puis un second coup les fait réagir et immédiatement Shani se lève pour aller ouvrir.
Julia fait de même, se redresse et siffle ses animaux, les poussant à rejoindre la ménagerie. Il ne faut pas qu’ils soient là quand ça arrivera. Et surtout pas ses chiennes. Il y a déjà eu le juste de compte de menace à leurs égards si elles osaient ne serait-ce que regarder Radowid de travers. Mais maintenant, avec un sorceleur contre lequel elles ne cessent de gronder… Julia ne veut pas qu’il décide de faire de leurs peau une descente de lit.
Sélène et Hécate protestent et pleurnichent, Julia a du mal à refermer la porte sur elles et quand elle y parvient, c’est pour les entendre gratter contre le bois. Ça la fait tristement sourire, pendant une seconde, puis elle se rappelle pourquoi les animaux réagissent ainsi et son sourire se fane.
Son cœur s’emballe, elle s’oblige à inspirer profondément avant de se tourner vers le salon. Comme elle s’y attendait, son époux est là, immense au milieu de la pièce, son commandant se tenant un pas derrière lui, fidèle comme une ombre.
Julia déglutit, elle aurait préféré qu’il n’y ait pas de témoin, et pendant une seconde, elle panique. Son regard cherche de l’aide, capte au dernier moment celui de Shani. L’elfe est tout aussi désolée pour elle, alors qu’elle s’en va dans sa propre chambre, habitué à être congédié pour ce qui va arriver. Bien, cela fait au moins des yeux en moins pour voir ce triste spectacle.
La présence de messire Eskel ne doit rien changer, se rassure Julia. Ce n’est que le juste retour des choses se raisonne-t-elle. Après tout, elle a humilié son époux devant témoin alors…
- Pourquoi avoir enfermé tes chiens ? Demande ce dernier, curieux.
Son ton est calme, et son beau visage n’est marqué que par la curiosité. Un regard à son compagnon sorceleur montre la même chose. Pas d’amusement cruel, pas de colère cachée. Bien, au moins, il ne devrait pas se laisser entrainer par ses émotions quand il frappera.
D’ailleurs, Julia note qu’il n’a pas amené, à priori, d’objet pour cela. Peut-être les sorceleurs préfèrent-ils user de leurs mains pour cette besogne particulière ? Elle ne sait pas si c’est mieux ou non, alors elle préfère sagement ranger la question de côté. Après tout, elle aura la réponse dans un avenir proche.
- Elles chercheront à me défendre mon seigneur.
Julia est assez fière de sa voix, qui ne tremble ni ne cède. Gargarisé par cette petite victoire, elle trouve la force de s’éloigner de la porte de la ménagerie pour s’approcher de son époux. C’est bien qu’il n’y ait pas beaucoup de meuble, cela laisse assez de place pour ce qui va arriver.
- Te défendre contre quoi ? Insiste le Loup Blanc, méfiant.
Il a les bras croisés sur sa poitrine, une posture imitée par son commandant, comme il se tenait ce matin, quand elle a osé le prendre à partie et l’insulter. Julia déglutit, s’arrête à deux mètres de lui et n’ose pas s’approcher davantage (notez que ça ne la protégera pas non plus, mais elle est trop effrayée pour réfléchir à cela).
- Contre vous, mon seigneur, explique Julia.
Ce simple aveu aurait couté la vie de ses chiennes face à Radowid, mais malgré sa terreur, Julia n’oublie pas qu’il est inutile de mentir à un sorceleur, et elle espère que sa franchise épargnera ses animaux de quelconques représailles.
- Et pourquoi devraient-ils te défendre contre moi ? Insiste le Loup Blanc, les yeux plissés.
Julia se retient in extremis de soupirée, fatiguée par ce jeu. Radowid le faisait souvent, l’obligeant à admettre à voix haute ses erreurs, comme pour se dédouaner des coups de bâtons qu’elle aurait ensuite, ou pour s’assurer qu’elle comprenne bien ses torts qui le poussait à être si violent avec la femme qu’il aimait éperdument.
- Parce que vous allez me punir de vous avoir crié dessus et insulté, lâche-t-elle d’une traite en se laissant tombée à genoux devant lui.
Parce qu’elle a la tête basse, Julia ne voit pas les deux sorceleurs s’étouffer, bien qu’elle entende leur exclamation de surprise. Elle n’y prête pas vraiment attention, se dit que peut-être il ne la veut pas comme ça, peut-être veut-il qu’elle lui présente son dos ou qu’elle se déshabille avant ?
Si c’est le cas, elle devra faire revenir Shani pour l’aider. A moins qu’il n’en ait pas la patience et qu’il se décide à lui arracher ses vêtements. Son ami a bien choisi sa robe dans ce cas, Julia n’a que peu d’intérêt pour ce qui n’est pas richement coloré.
Peut-être que son commandant est là pour ça ? Pour la tenir pendant qu’il déchire les dentelles ? Pour la tenir pendant qu’il fait autre chose ? Peut-être son époux est-il ici pour lui rappeler sa place en consommant leur mariage devant témoin, ainsi que cela aurait dû être fait, quelques jours plus tôt ?
Julia n’a pas conscience de la tension qui la fait trembler, ni de ses larmes qui s’échappent de ses yeux. Même sa respiration, superficielle, inefficace, elle ne la remarque pas. C’est presque comme si elle se regardait d’un autre coin de la pièce, extérieure à elle-même et complètement coupée de la panique qui la saisit.
Jusqu’à ce que son époux la touche.
Le Loup Blanc, le Seigneur de Guerre, s’agenouille devant elle, avec des mouvements lents, comme s’il approchait un quelconque monstre prêt à lui bondir au visage, et tend une main pour saisir la sienne. Ses gestes sont doux quand il dénoue celles de Julia, qu’elle garde contre son ventre. Il est délicat quand il lui prend la main droite, la recouvre et l’enferme entre les siennes, qui sont tellement plus grandes, comme s’il s’agissait d’un moineau fragile.
- Pitié, arrive miraculeusement à murmurer Julia, ne me cassez pas les doigts.
Elle ne peut pas jouer si cela arrive. Pas que ça n’ait jamais arrêté Radowid, ni pour les lui briser, ni pour réclamer un morceau de musique ensuite. Et malgré tout son talent, sa douleur était trop grande alors Radowid, il…
Il la lui lâche, comme s’il s’était brûlé, et la jeune femme ramène sa main contre son ventre, les croise à nouveau, les jointures blanches sous la tension nerveuse, mais seul moyen pour elle de masquer leurs tremblements.
- Julia, appelle son époux d’une voix douce, je ne vais pas te casser les doigts.
- Merci, mon seigneur, répond-t-elle avec gratitude.
C’est trop rapide, presque un réflexe pour la jeune femme, qui a été bien dressée, et les deux sorceleurs grimacent. Pas qu’elle s’en rende compte, les yeux toujours baissés. Elle ne voit que la poitrine large et forte de son époux, et cela ne fait que lui rappeler que les sorceleurs sont plus fort, qu’il est plus fort et que par conséquent…
- Julia, appelle encore son époux, presque dépité. Je ne vais pas te punir.
Radowid aussi disait ça, parfois, quand il était d’humeur joueuse, quand il voulait qu’elle coure après sa peine et la réclame. Une autre punition en soit que de devoir s’humilier ainsi. Jusqu’à présent, les sorceleurs se sont montrer bon avec elle, jamais elle n’aurait pensé qu’ils seraient tout aussi pervers que feu son ex-mari.
- Je le mérite mon seigneur, s’empresse-t-elle de dire, dans un désir masochiste d’en finir avec tout ceci, je vous ai humilié, j’ai osé vous crier dessus et vous in… insulter.
Sa voix tressaute sur le dernier mot à cause de l’horreur de son acte. Jamais elle n’a fait une chose pareille avec Radowid alors elle ne sait pas quel degré supplémentaire de punition elle mérite. Quoi que, si toute la torture que son époux lui fait subir par son interrogatoire est une indication…
- Chut, Julia, respire. Ordonne son époux.
Si elle n’était pas concentrée sur sa propre panique, peut-être remarquerait-elle la même émotion qui semble prendre les deux sorceleurs. En l’état, elle ne les voit pas échanger un regard, semblant discuter sans parole, avant que l’attention de son époux ne revienne sur elle.
- Respire, Julia, tu vas t’évanouir sinon…
- Peut-être devrions-nous utiliser Axii ? propose messire Eskel.
Immédiatement, Julia sens tout son épiderme se tendre à l’idée et sa panique gagne un nouveau cran, assez forte pour lui permettre de supplier encore une fois, levant les yeux pour croiser le regard doré du Loup Blanc :
- Pitié, non, mon seigneur. Pas ça, pas la magie, fait-elle en s’accrochant à ses mains comme pour le retenir, ou ne pas tomber. Je serais bonne, je ne vais pas me débattre, s’il vous plait, ne faites pas ça.
Julia n’entend pas le « oh merde » de messire Eskel, à peine remarque-t-elle qu’il recule. Toute son attention est focalisée sur son époux, son bourreau, priant tous les Dieux qu’elle connait pour qu’il accède à sa requête et n’utilise pas ce sort sur elle.
- Je ne vais pas le faire, Eskel non plus. Promis, répond rapidement le Loup Blanc, presque comme s’il était dépassé par ce qui arrivait.
Il semble sincère. Julia a envie de pleurer de soulagement mais retient ses sanglots. Ça n’a jamais fait qu’agacer Radowid. Elle ne sait pas comment le sorceleur en face d’elle les prendrait. Peut-être en serait-t-il lui-même énervé, ou qu’il appréciera davantage et alors…
Julia a un esprit prolifique, toujours à chercher de nouvelles histoires à se raconter, en bien ou en mal. C’est une peine pour elle, qui s’imagine autant de tortures que de secondes ne passent, entretenant la panique qui fait battre son cœur douloureusement vite dans sa poitrine.
- Julia, nous n’allons pas utiliser Axii sur toi, répète son époux, articulant comme s’il parlait à un sourd, et ni moi, ni personne, n’allons te punir. Tu es en sécurité ici.
Les grandes mains du sorceleur se pose sur ses épaules, poussent pour la redresser et leurs regards se croisent encore une fois. A travers les larmes, Julia lit quelque chose comme de la détermination, mais aussi de la colère. Il n’est pas apaisé, il lui promet la sécurité, mais elle sait que ce n’est qu’un leurre. Tout cela n’est que mensonge éhonté.
- Mais… Essaye de protester Julia, sans comprendre.
- Tu es en sécurité ici. Insiste le Loup Blanc.
Comme pour confirmer ce qu’il dit, son époux la lâche, se relève et recule, alors qu’au même instant, messire Eskel va ouvrir la porte de la ménagerie. Immédiatement, tous ses animaux l’entourent, Sélène et Hécate formant un rempart de grognements entre les sorceleurs et elle. Par reflexe, la jeune femme leur ordonne de se taire, craignant que son époux ne demande leur mise à mort pour pareille irrespect.
- Shani, appelle le Loup Blanc, peu dérangé par la menace que sont les chiens. Il y a un bruit de porte et il demande : as-tu ce qu’il faut pour calmer ta maitresse. ?
Julia ne comprend pas, suis d’une oreille distraite la conversation, son attention prise par ses animaux, essayant de les cacher derrière elle pour les protéger lorsque la colère de son époux s’abattra sur l’un d’eux quand il en aura assez de jouer les gentils. Ou quand il décidera de la punir en les blessant.
- Je vais vous faire porter du bois et à manger. Poursuit messire Eskel. Tu restes avec elle ?
Paco. Il parle à Paco. Son perroquet est retourné sur l’épaule du sorceleur, mais chantonne un « oui » avant de lui revenir, se lovant contre elle quand elle tend les mains pour le rattraper, aussi effrayée pour lui que pour les autres.
- Prenez le temps qu’il faut, rajoute son époux en reculant vers la porte. Dis-lui bien qu’elle est en sécurité ici, que personne ne lèvera la main sur elle.
Shani est là maintenant, debout devant elle, s’ajoutant à la barrière que sont Hécate et Sélène. Julia veut intervenir, poussée l’elfe dans son dos, avec les oiseaux, parce qu’elle ne veut pas la voir punis elle aussi pour une erreur qui lui incombe totalement. Mais elle n’a pas la force ni de parler, ni de se lever.
Ça ne change rien. Les sorceleurs ne font pas mine de s’énerver contre l’ancienne esclave. Ils lui parlent juste, lui demandent des choses quand ils pourraient ordonner, et ensuite, ils s’en vont, comme ils sont venus, sans l’avoir blessé.
Julia ne comprend pas.
A suivre...
Chapter 17: Elle ne veut rien dire, mais doit bien s’expliquer…
Chapter Text
Trois jours plus tard, Julia n’a toujours pas compris. Personne n’est venu les déranger, exiger qu’elle se montre ou la priver de quelque chose. A peine Martha et d’autres serviteurs se sont-ils présentés régulièrement pour le feu, le linge et surtout des victuailles, de quoi les nourrir elles mais aussi les animaux.
Ce n’est pas ce qui devrait arriver. Julia a conscience de ses erreurs, admets ses fautes et accepte sa punition alors, pourquoi son époux ne la punit-il pas ? Est-il tellement en colère qu’il attend de se calmer pour ne pas la tuer sous l’émotion ?
Il ne lui semblait pas en colère lorsqu’il s’est présenté dans ses appartements mais avec le recul, Julia n’est pas certaine de ce qu’elle a vu chez le sorceleur, trop effrayée pour lire le modèle de neutralité stoïque qu'est son époux.
Peut-être qu’il n’a que de l’indifférence pour elle, et qu’il exprime son mécontentement par l’isolement ? Devrait-elle alors rester dans sa tour jusqu’à ce qu’il l’autorise à reparaitre en public ? Comment savoir ? Jusqu’à présent, il n’a pas fait montre de vouloir sa présence… Ce mariage n’est qu’une vaste fumisterie…
Shani essaye de lui expliquer, répète ce que le Loup Blanc a dit, qu’elle est en sécurité, que personne ne va la blesser. L’elfe semble le croire. En tout cas, la non-action des sorceleurs à son encontre semble leur avoir donné quelques crédits auprès de la médecin.
Elle la veille, l’oblige à manger, à boire, la soigne comme elle le fait toujours, sans se lasser de ses mouvements d’humeurs, qui vont de la dépression à la panique, refusant toujours toutes ses réassurances et répétant inlassablement ses craintes. Mais c'est toujours mieux qu’après chaque rencontré avec Radowid.
Au matin du quatrième jour, Julia trouve la force de s’installer à son piano et laisse ses doigts voler sur les touches. Il n’y a pas la même émotion que lorsqu’elle s’est laissé à paniquer devant l’inconnue qu’est devenu sa vie.
Elle joue timidement, comme par crainte de déranger, mais personne ne vient toquer à sa porte pour la faire taire alors ça lui donne la force de poursuivre, plus vite, plus fort. La jeune femme se laisse porter par la musique, bercée par ses mélodies mais sa gorge reste nouée par la peur. Malgré les preuves qui s’accumulent, elle ne parvient pas à s’en défaire.
Quand le soir arrive et que Ciri se présente dans sa chambre, c’est toujours le cas, mais Julia a trouvé la force de la masquée, au moins assez efficacement pour que la jeune enfant ne le remarque pas, s’installant sur le tabouret à côté d’elle, Artémis à ses pieds, pour toucher le clavier et essayer de jouer elle aussi.
Ce n’est pas le cas de la sorcière qui l’accompagne. Yennefer a une petite révérence polie pour elle, avant de transformer l’une des chaises du salon en fauteuil et de s’installer, une tasse de thé à la main, faisant peser un lourd regard de jugement sur la reine.
Julia l'ignore, se concentrant sur l’explication de la gamme et des touches. Elle laisse Ciri répéter les gestes et faire des erreurs mais la petite leçon informelle s’interromps quand la petite fille s’excuse :
- Je pensais pas que ça te poserai problème, dit-elle en regardant ses mains. Tante Yen dit que dans ton pays, les garçons et les filles se regardent pas tout nu et que c’est pour ça que t’as eu peur.
Julia déglutit. Elle n’en a pas envie, mais son éclat doit être expliqué à la petite. Elle n’a pas réfléchi à elle pendant ces quatre jours, ses pensées focalisées sur le comportement incompréhensible de son époux, et l’absence de punition qu’elle n’explique pas.
- Oui, admet Julia, en espérant que la princesse se contente de cette explication. Les filles doivent se cacher des garçons jusqu’au mariage.
Ciri fronce les sourcils, c'est une petite fille très perspicace, et l’espoir que cela lui suffise s’efface dans l’esprit de Julia. Après un instant de réflexion silencieuse, la princesse demande :
- Y’a un garçon qui t’as regardé avant ton mariage avec Geralt ?
- Ciri ! Intervient Yennefer en se redressant, ça ne se demande pas !
Julia n’entend pas la réprimande de la sorcière. Son cœur rate un battement alors que la nausée la prend. Comment expliquer sa plus grande honte à une enfant qui par définition, ne sait rien de la vie ? Comment la protéger autant que possible ? Ciri mérite d’être épargnée. Comme elle mérite de savoir…
- Oui princesse, admet Julia quand elle pense pouvoir maitriser sa voix.
Ciri ne peut pas comprendre toute la profondeur de son aveux, Melitele en soit remerciée. Mais ce n’est pas le cas de Yennefer qui est rendue muette par la surprise et la regarde, ses beaux yeux violets écarquillés :
- J’ai fait une erreur, autrefois, souffle Julia. La sorcière fronce les sourcils alors que Shani, qui observe la scène depuis un coin du salon, tique encore. Et cela m’a coûté… très cher.
Sa voix chevrote, son regard se brouille, alors elle tourne la tête et inspire profondément pour trouver la force de poursuivre. De toute façon, se dit-elle pour nourrir son courage, tout a été dit, et compris, il y a quatre jours, quand elle a perdu son sang-froid.
- Ce qui m’es arrivé, je ne le souhaite à personne. Reprend la jeune reine en laissant ses doigts jouer une petite mélodie triste. Et surtout pas à vous, princesse.
- Tu sais, fait la petite en tapotant son épaule dans un maladroit geste pour la rassurer, ici, y’a pas de garçon qui me fera du mal.
- Et dans tous les cas, intervient Yennefer en se levant pour venir poser une main douce sur la tête blonde de l’enfant, tu apprends à te défendre, contre n’importe qui et dans n’importe quelle situation.
Quand elle finit sa phrase, Yennefer regarde Julia droit dans les yeux. Ça sonne comme une promesse et cela réchauffe quelque chose dans le cœur de la reine, apaise la peur primaire qu’elle a ressentie pour la petite princesse. Elle accepte, d’un signe de la tête.
Puis Yennefer reprend, forçant la bonne humeur dans sa voix pour expliquer la raison de cette visite, à savoir mettre en place un planning de formation pour Ciri. En l’écoutant parler, la petite baisse la tête et les épaules, avec un grand soupire et Julia devine qu’elle aura du mal à l’intéresser à un quelconque cours théorique.
Cela la fait sourire et discuter avec Yennefer d’autre chose que de sa honte ou son comportement stupide aux sources chaudes lui fait du bien. L’histoire n’est pas close, elle ne pourra pas tant qu’elle pensera toujours mériter une punition de la part de son époux et l’attendre, mais au moins, elle s’en éloigne.
Les deux femmes font le point sur ce que Ciri sait déjà, et sur ce qu’elle doit apprendre en priorité. Pendant qu’elles parlent, la petite fille s’en va dans la ménagerie pour jouer avec les oiseaux et les chiens. Artémis l’y suis et bientôt, le rire de l’enfant se fait entendre.
- Tenez, altesse, fait Yennefer quand elles ont fini de parler. Cadeau de Geralt.
En parlant, la sorcière pose une grosse clé de fer forgé sur le piano. La question doit se lire dans le regard de la reine, car la femme sans âge explique :
- Le Loup Blanc a fait aménager l’appartement juste en dessous du votre pour vous. Yennefer a un sourire amusé, et annonce mystérieusement : L’eau restera toujours propre et chaude. Ciri, on y va.
La petite revient, les joue rouges et essoufflée, suivit par les trois chiens qui chahutent autour d’elle.
- Horus est revenu ! S’écrie l’enfant. Il a un bijou au pied !
Le cœur de Julia rate un battement alors que Yennefer fronce les sourcils, méfiante. Mais la jeune reine, habitué à masquer son identité de Bécasseau, répond rapidement, avec assez d’assurance l’espère-t-elle pour que la sorcière l’accepte :
- Parfois, Horus part loin et longtemps. C’est juste une bague d’identification pour que s’il se blesse, on me le ramène.
- Oh ? D’accord. Fait la petite, convaincue. Tante Yen, j’ai faim.
- C’est l’heure du dîner, rassure la brune avec un sourire. Aurons-nous le plaisir de vous y voir, altesse ?
Dans le regard poli qu'elle lui lance, Julia lit toute la méfiance de la sorcière. Clairement, elle n’a pas été convaincue par l’explication qu’elle a donnée. D’ailleurs, comme si elle se rappelait de quelque chose soudainement, elle rajoute :
- J’y pense, si vous souhaitez écrire à quelqu’un, faites-moi passé vos lettres, je me chargerais de l’envoie.
Et de la lecture aussi, évidement. Julia répond par un sourire tout aussi poli et la remercie avant de répondre qu’elle préfère rester ici ce soir encore. Ciri est déçue, mais accepte et rapidement, elle tire la sorcière par la main pour la faire sortir, pressée d’aller manger.
- Pars devant, fait Yennefer en se dégageant de l'emprise de la petite. Je te rejoins.
Ciri souffle, frustrée, mais obtempère, partant en courant et en criant, suivi comme toujours par Artémis. Sélène et Hécate baissent la tête tristement et retournent dans la ménagerie en trainant des pattes. Julia n'y prend pas garde, concentrée sur la sorcière.
Si Yennefer de Vengerberg se méfie d'elle, Julia lui rend la pareille et une part non négligeable de sa personne attend que la sorcière ne l'ensorcèle ou ne la maudissent, simplement parce qu'elle l'aura contrarié sans savoir… Ou pour tirer cette histoire de bague au clair…
- Altesse, fait la femme sans âge quand le rire de Ciri se perd dans les escaliers, nous essayons d’éduquer la princesse de la façon la plus saine possible.
Julia fronce les sourcils sans comprendre, ne s'attendant pas du tout à ça. Mais elle n'a pas besoin de poser la question, la sorcière poursuit :
- A l'avenir, évitez de dire qu'une femme porte la responsabilité de son propre viol.
Le cœur de la reine manque un battement et si elle n’était pas déjà assise, sans doute se serait-elle écroulée. Puis la colère prend le pas sur la surprise car, de quoi se mêlé cette fichue sorcière ? Les joues rouges, Julia rétorque :
- Vous ne connaissez pas l'histoire…
Pas que Julia veuille la raconter de toute façon. Mais Yennefer la coupe avec fermeté :
- Et je n'ai pas besoin de la connaître. Son regard violet se fait plus doux, comme sa voix, et elle rajoute : je suis allé lire les archives de Tretogor, je sais à quel âge vous avez épouser Radowid…
- Vous ne savez rien, l’interrompt la reine, un fond de panique faisant battre son cœur.
Les deux femmes se fixent du regard un instant, se défiant de rajouter quelque chose, puis la sorcière soupir.
- Peut-être, admet-elle avec une sympathie réelle. Mais je sais une chose, altesse : une enfant de douze ans n'est en rien coupable d'une pareille agression.
Ça fait mal, comme à chaque fois que Shani lui dit des choses comme celle-là. Julia ne veut pas l'entendre, encore moins l'admettre alors, ignorant les larmes qui menacent de s’échapper de ses yeux, elle ordonne, avec assez d’autorité espère-t-elle pour se faire obéir :
- Allez-vous-en, sorcière.
Yennefer a un sourire sympathique teintée de la condescendance de ses décennies de vie, et Julia se sent terriblement jeune et naïve face à elle. Néanmoins, la sorcière a un signe de la tête pour elle puis tourne les talons, et quand la porte de sa chambre se referme sur elle, Julia s’autorise à respirer à nouveau.
- Tu sais qu'elle a raison ? Intervient Shani, remuant le couteau dans la plaie.
Julia tique, agacée. C’est un débat qu’elles ont déjà eu, et surtout, qu’elle ne veut plus avoir. Alors, au lieu de répondre, elle se lève pour rejoindre la ménagerie.
- Je vais voir Horus, explique-t-elle. Peux-tu sortir Sélène et Hécate ?
L’elfe soupire mais n’insiste pas et appelle les deux chiennes pour aller les promener. Sélène et Hécate sautent d’excitation. Quatre jours enfermés dans la chambre, avec trois promenades par jour, ça ne leur suffit pas et Julia se demande si, quand elle s’en sentira la force, elle pourra les emmener à la chasse. La forêt autour de la forteresse doit regorgée de proies fameuses.
Comme l’a annoncé Ciri, Horus est là, perché à côté de son frère. Il chante de joie en la voyant et Julia chantonne en réponse, heureuse de le revoir. Après quelques caresses, l’oiseau lui tend sa patte, habitué à la manœuvre.
Il a, autour de la serre droite, une bague en argent, un dispositif assez simple, juste un anneau large sur lequel un petit cylindre est fixé, permettant de glisser un petit bout de parchemin, que Julia récupère d’un geste habile.
Même si maintenant qu’elle est à Kaer Mohren, elle ne peut plus intervenir au sein de son réseau comme avant, à quitter le palais pour soigner quelqu’un ou guider un groupe, elle n’est pas prête à abandonner son masque du Bécasseau. Quand bien même, elle ne fait que superviser et conseiller, Julia continuera de le faire, certaine qu’il y aura toujours, en Rédanie comme ailleurs, des gens à sauver.
Et effectivement, le court message codé qu’elle lit confirme ses craintes : il y a toujours des groupes de réfugiés qui franchissent la frontière entre Kaedwen et la Rédanie. On pourrait croire que c’est parce que le traité est jeune, que les lois du Loup Blanc s’appliquent à peine, mais la jeune femme devine que ce n’est pas ça. Elle sait Vizimir, et le reste de la noblesse, assez fourbe pour tordre leurs promesses et continuer leurs agissements.
Après en avoir pris connaissance, Julia brule le petit parchemin dans la flamme d’une bougie proche puis décroche la bague de la serre d’Horus pour la fixer sur celle de Heru. Comme son frère, l’oiseau se laisse faire, et fredonne de contentement quand Julia pose un baiser sur son bec.
- Repose-toi bien, mon amour, lui murmure-t-elle, demain, tu pars.
Comme s’il la comprenait, le faucon s’envole pour gagner un perchoir à l’écart et s’installe pour la nuit, sous le regard heureux de Julia. Elle ne sait pas comme elle fait, mais le lien qu’elle a avec ses animaux lui donne le sentiment qu’ils la comprennent totalement.
Quand Shani revient, elle n’est pas seule : Aiden, le sorceleur chat qu’elles ont rencontré quatre jours plus tôt se présente en suppléance de Coen, aussi théâtrale que l’autre matin, autant en envolées lyriques qu’en révérences exagérées, faisant rire les deux femmes.
Mais le rire de Julia lui pique la gorge comme un jus de citron : elle n’oublie pas que si le sorceleur est là, c’est plus pour la surveiller que pour la protéger, et une part d’elle regrette d’avoir tut son identité de Bécasseau, même si elle ne démord pas de l’idée que, sans preuve, elle ne peut rien dire. Personne ne la prendrait au sérieux.
Enfin… elle pourrait parler de sa vrai première rencontre avec le Loup Blanc, alors qu’il était blessé et mourant. Elle pourrait raconter comment elle lui a sauver la vie mais… cela l’obligerait à avouer son ascendance non-humaine et même si les sorceleurs se montrent tolérant avec les elfes et les nains, elle n’est pas certaine d’avoir droit au même traitement. Les fées n’ont pas bonne réputation, et les sorceleurs sont, par définition, des tueurs de monstre…
- Et si on allait voir ce cadeau ? Propose Shani quand les rires se calment.
Julia accepte, heureuse d’avoir de quoi la détourner de toutes ses inquiétudes. Shani prend la clé, restée posée sur le piano, et Julia la suit à l’extérieur de la chambre (la première fois, en quatre jours, qu’elle en sort). Elle a une petite appréhension en passant la porte mais, bien entendu, rien ne se passe, et finalement, elle descend à l’étage inférieur sans rien dire.
L’appartement sous le sien a le même agencement mais c’est la seule ressemblance. Quand Shani ouvre la porte, ce n’est pas pour entrer dans un salon mais dans ce qui est une immense salle de bain. Aux murs, il y a des étagères, et des armoires aux portes de verres colorées, pour la majorité vide, mais quelques draps de bain sont posés, ainsi que les fioles qu’elles avaient prises pour aller aux sources chaudes.
Mais le plus impressionnant, c’est la grande baignoire d’étain, un monstre rond, assez grand pour accueillir au moins quatre personnes, remplis d’une eau blanche comme du lait. Des vapeurs parfumées s’en échappent doucement, alors que la pièce est chauffée par un immense feu dans la cheminée.
La première chambre, sous la ménagerie, est vide. La seconde en revanche… Julia entre dans ce qui est propice à devenir une garde-robe digne d’une reine : il y a des mannequins de bois qui attendent de porter une robe, des armoires et des commodes, avec des tiroirs de tailles différentes, fait pour accueillir des chaussures ou des bijoux. Et contre le mur du fond est posé un grand miroir en pied.
La troisième porte n’est pas pour Julia. Il y a un morceau de parchemin fixé sur le bois où est indiquer, d’une écriture toute en courbe et délicate « Pour Shani, de Triss ». Ça fait sourire l’elfe, qui décroche le papier prudemment avant de le glisser dans les plis de son pourpoint comme s’il s’agissait de quelque chose de précieux.
Le sourire de Julia se fane un instant, alors que l’inquiétude la prend. Elle connait les attirances de son amie, une chose qui n’est absolument pas permis en Rédanie. De ce qu’elle sait du fonctionnement du monde, il n’y a pas un endroit sur le continent qui soit tolérant envers cela. Si elle le peut, elle la protégera.
Derrière la porte, ce qu’elles trouvent n’a rien à voir avec le reste de l’appartement. Pas de garde-robe ou de bains mais des établies et des tables, une bibliothèque assez grande pour accueillir tous les livres de médecine de Shani, même plus encore, et de la verrerie, un alambic, des béchers, des fioles… tout un atelier d’alchimie flambant neuf. Et pour décorer la pièce, des pots remplis de terre, certain déjà garnies de plantes, d’autres laissés vide pour que Shani y fasse pousser ce qu’elle veut.
La lumière de la pièce ne provient pas de bougies ou de torches. En vérité, il est difficile de dire d’où elle provient exactement parce qu’elle est diffuse, d’un blanc doux qui n’éblouis pas mais éclaire assez pour pouvoir lire sans difficulté.
Shani tourne dans la pièce, éclatante de bonheur et Julia la laisse faire, le cœur lourd. Elle sait que bientôt, elle va devoir freiner son amie pour la protéger, la retenir avant qu’elle ne commette une erreur qui lui couterais la vie. Mais pour l’instant, elle ne dit rien.
A suivre...
Chapter 18: Peut-être peut-elle avoir confiance ?
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Shani et elle, avec l’aide d’Aiden et de Martha, descendent une bonne partie de leurs affaires dans le second appartement, vidant enfin toutes leurs malles de voyage pour compléter, là la bibliothèque, là la garde-robe. Cela leur prend une bonne partie de la soirée et au moment de se coucher, les humaines sont épuisées.
Julia s’endort dès que sa tête touche l’oreiller mais cela ne l’empêche pas de se réveiller à l’aube. Les yeux encore collés de fatigue, elle quitte son lit pour gagner son secrétaire et rédiger un court message codé qu’elle cache dans ses robes avant de sortir dans le salon. A l’image de Coen avant lui, Aiden est agenouillé devant le feu pour méditer. C’est étrange de le voir si calme, sans l’expression espiègle qui semble graver sur son visage.
Essayant de se faire discrète, elle gagne la ménagerie. Ses oiseaux dorment pour la plupart mais Heru vient à sa rencontre, habitué à prendre le relais de son frère. Julia se retourne, s’assure que la porte soit fermée, avant de glisser d’un geste habile le petit bout de parchemin dans la bague d’argent. Puis elle va sur le balcon. Le château et la vallée sont plongés dans un brouillard épais, qui la fait frissonner, et elle ne s’attarde pas, embrasse son oiseau, lui dit qui trouver, lui souhaite bon voyage et lui donne l’impulsion nécessaire pour s’envoler.
Heru disparait rapidement dans la brume, mais l’attention de Julia est attirée par un mouvement plus bas. Malgré le froid, elle se penche et fouille du regard le brouillard. Il faut quelques secondes avant qu’elle ne reconnaisse la silhouette d’une chouette, juste avant que cette dernière ne disparaisse derrière un mur de pierre.
Ce n’est pas Athéna, qui est déjà revenue de sa nuit de chasse. Quelque chose perturbe Julia, mais elle n’arrive pas à comprendre quoi. Cependant, avant qu’elle ne puisse réfléchir davantage, une main sur son épaule la fait sursauter. Elle se retourne pour trouver Aiden, debout à côté d’elle avec une cape de laine à la main.
- Vous allez prendre froid, altesse. Dit-il en la passant sur ses épaules.
- Oh, merci.
- Vous êtes levée tôt, altesse, commente le sorceleur.
Julia sourit sous son regard intense, rendue mal à l’aise par la méfiance qu’elle lit dans ses yeux vert brillant. Aiden est sympathique, d’humeur joyeuse et prompte à faire le pitre mais il n’en demeure pas moins un sorceleur. Pendant une seconde, elle ne sait pas quoi répondre, craignant un mensonge qui ne fera que renforcer sa méfiance à son égard.
- J’ai l’intention d’aller finir ma nuit dans un bain, finit-elle par dire en contournant l’homme pour retourner à l’intérieur.
Aiden ne répond rien, se contentant de la suivre. S’il constate l’absence d’un des faucons, il ne dit rien et Julia s’oblige à penser au magnifique cadeau de son époux pour noyer son inquiétude. Ça a l’air de fonctionner, au moins un peu, parce que le sorceleur l’escorte jusqu’à l’appartement inférieur sans plus rien dire.
Quand Julia l’ouvre, elle se tourne vers lui, soudainement hésitante : va-t-il vouloir rester avec elle, même pour ça ? Heureusement, Aiden comprend et recule d’un pas, s’adossant au mur d’en face, les bras croisés, nonchalant.
La salle de bain est un cadeau aussi inestimable pour elle que l’atelier d’alchimie l’est pour Shani. Rien que l’idée de ne plus avoir à se laver à l’eau froide la fait frémir de plaisir. Pas que cela ne l’ait jamais dérangé : Julia aime l’eau, quel que soit sa température. Et qu’elle n’ait pas à descendre aux sources chaudes, ouvertes à tous, femmes et hommes, lui convient très bien.
Elle n’a pas besoin d’être sorcière pour voir que le lieu est imprégné de magie. Peut-être à cause de son ascendance, elle sent le Chaos frôler sa peau, parfumer l’air… c’est très subtil mais c’est là. Est-ce l’œuvre de dame Yennefer ? Une autre sorcière ou mage ? Elle devra se renseigner pour la remercier, en plus de remercier son époux.
Mais pour ça, elle doit retrouver une vie publique et donc, sortir de sa chambre. Après son éclat révélateur, et toujours craintive de recevoir un retour de bâton désagréable, Julia se sent anxieuse à l’idée de quitter sa tour, tout en sachant qu’elle ne peut pas y rester enfermée définitivement.
Chassant ses pensées nerveuses, elle se concentre sur son bain. La pièce est baignée dans la chaleur agréable du feu de cheminé, qui brûle sans avoir à être entretenu. Il n’y a pas de lumière diffuse comme dans la pièce de Shani, mais des torches et des bougies un peu partout, qui offrent un éclairage tamisé si les rideaux aux fenêtres sont tirés, comme c’est le cas actuellement, parfait pour finir une nuit.
Julia se déshabille et entre dans l’eau, qui est parfaitement chaude. Après des jours à ne faire que des toilettes de chat à l’eau froide, c’est un plaisir intense qui la fait fondre. Et mieux encore, il y a un banc dans l’eau, juste à bonne hauteur pour qu’elle reste assise au chaud.
La jeune femme somnole dans l’eau, assez longtemps pour que Shani la rejoigne, alors que le soleil perce enfin la brume extérieure. L’elfe hésite, cela aurait été impossible à Tretogor, mais la rejoint dans l’eau sur son invitation, car le bac est bien assez grand pour elles deux. Elle aide sa maitresse à se laver les cheveux avant de prendre soin d’elle-même.
- Ça va ? demande-t-elle en s’installant à son tour sur le banc immergé.
Julia prend le temps de réfléchir à la réponse à donner, qui va au-delà d’un simple « oui ». Elle se sent effectivement plus calme. Quatre jours ne suffisent pas à faire passer sa peur, et elle craint toujours que la colère de son époux ne s’abatte sur elle, mais le fait qu’il l’ai laissé tranquille jusque-là est à la fois une torture et un soulagement.
Elle est heureuse que Ciri et Yennefer soient venues la voir hier au soir. Si la conversation n’était pas toujours agréable, d’avoir mis en place un planning d’enseignement lui donne quelque chose à faire, quelque chose à penser, autre que son inadaptation évidente à la vie de Kaer Mohren.
- Hum… je pense que ça ira. Finit par répondre Julia.
Il y a encore des inconnues, et les gens d’ici la déteste toujours mais, elle peut faire avec. Elle a survécu à la cour de Vizimir. Si effectivement, son époux ne demande pas rétribution de son éclat aux sources chaudes, les choses devraient s’arranger tout doucement.
- Le Loup Blanc pourrait être bon pour toi, murmure Shani en se rapprochant.
Le Loup Blanc… Il est vrai qu’il s’est montré bon et prévenant pour elle, refusant de consommer le mariage, refusant de lever la main sur elle quand cela est parfaitement justifier, voire attendu… Et même au-delà de ça, il ne s’est jamais montré condescendant, orgueilleux ou… monstrueux. A croire que la réputation des sorceleurs est surfaite (ce que Julia pense depuis toujours).
- Tu… tu crois ? Demande-t-elle sur le même ton, comme si elles partageaient le plus terrible des secrets.
- Il a l’air sincère, admet Shani en la regardant dans les yeux.
Le cœur de Julia gonfle d’un espoir qu’elle hésite à laisser vivre : comme son amie, elle voudrait pouvoir accorder sa confiance à son époux mais…
- Je ne sais pas si je suis prête pour…
Shani prend sa main, sous l’eau, pour la soutenir, et lui sourit tendrement :
- Je crois qu’il ne te demandera rien, fait-elle.
La fermeté dans le ton de l’elfe ne laisse planner aucun doute : la non-action de son époux à son encontre lui a fait gagner le cœur de son amie sans qu’il ne s’en rende compte, et Julia se laisse bercer, peut-être qu’enfin, sa bonne étoile lui est revenue ?
- C’est un beau cadeau, dit-elle pour changer de sujet, en parcourant la pièce du regard.
- Digne d’une reine, commente Shani, un peu moqueuse.
Julia lui lance un regard en biais, tique puis se penche pour murmurer, sur le ton de la conspiration :
- D’une reine de la médecine.
En parlant, elle a un mouvement de tête pour la troisième porte, celle qui donne sur l’atelier de Shani, qui lui a été offert par cette fameuse Triss Merigold, alors que les deux femmes ont à peine eu le temps de se rencontrer le catastrophique soir de sa présentation à Kaer Mohren.
Shani rougit, gênée, et baisse les yeux.
- Ça ne veut rien dire, souffle-t-elle.
Julia connait bien son amie, et elle comprend dans son ton de voix qu’elle espère tout le contraire de ce qu’elle dit. Une fois encore, son cœur se sert d’inquiétude et elle tourne la tête vers l’entrée, comme si elle pouvait voir le sorceleur qui la surveille malgré le pan de bois. Elle sait qu’il entend tout, alors, elle souffle, tout bas :
- Fais attention à toi. Rien n’a changé, je n’ai pas assez de pouvoir pour te protéger si…
Shani lui sert la main, un sourire triste sur les lèvres, bien consciente que sa déviance lui vaudrait le bûcher. Julia a de la peine pour elle, sachant qu’elle ne peut rien faire de plus que de la protéger d’un mariage, la laissant vivre sa vie seule.
Après cela, les deux femmes ne parlent plus et l’ambiance étant moins joviale, elles finissent par mettre un terme au bain. L’avantage de la garde-robe juste à côté permet à Julia de se préparer facilement, choisissant de remettre son corset épais et la robe grise, incapable de dépasser sa peur malgré les assurances de Shani.
Une fois prête, il reste juste assez de temps à la reine pour manger un petit déjeuner léger, un petit pain sucré et une tasse de thé, avant de descendre dans la cour pour sortir ses chiennes. Hécate et Sélène sautent de joie, et courent, heureuses, et Julia se promet de demander à les emmener en forêt prochainement, pour se faire pardonner des quatre jours d’enfermement.
Shani ne l’accompagne pas, demandant plutôt à pouvoir aller trouver Triss Merigold pour la remercier, ce qu’elle lui permet bien évidement, mais Aiden reste avec elle, la suivant comme une ombre ou expliquant la forteresse et ses habitudes.
Jusqu’à présent, c’était l’elfe qui s’occupait de cette tâche, et Julia est assez intimidée à l’idée de se promener dans Kaer Mohren. Si les sorceleurs qu’elle croise font à peine suffisamment attention à elle pour ne pas la heurter, le reste de la populace lui jette des regards mauvais, voir, pour quelques audacieux, crachent dans son dos.
Aiden et elle font comme si de rien n’était, bien conscient que faire un éclat maintenant ne servirait pas sa cause, et la jeune femme se retrouve à parcourir le chemin de ronde du premier rempart, celui qui sépare la basse-cour avec sa ferme, ses artisans et le terrain d’entrainement qu’occupent les sorceleurs et les apprentis de la haute-cour.
Le temps est humide et brumeux, et la reine est heureuse d’avoir sa cape de laine sur les épaules, mais elle songe que si elle veut pouvoir passer l’hiver ici, elle devra coudre quelques doublures à certaines de ses robes. C’est à peine la fin de l’été, et le temps est déjà froid et maussade.
Alors qu’elle retourne vers le château, une cloche sonne quelque part : c’est l’heure convenu pour les leçons de la princesse. Julia repasse par ses chambres pour récupérer Loki et Paco, n’ayant pas voulu les emmener dehors à cause du temps, puis Aiden, à la fois surveillant, protecteur et guide lui montre le chemin.
Il a été convenu avec Yennefer que Julia ferait cours à la princesse dans l’une des salles de classe utilisées par les aspirants sorceleurs. A cette heure de la journée, elles sont vides, les enfants s’entrainant aux combats à l’extérieur. De plus, elles sont parfaitement équipées : plusieurs rangées de pupitres s’alignent, il y a une carte du continent affichée, des livres, des parchemins, des encriers, des plumes et même un tableau noir.
C’est un objet que Julia découvre avec surprise. Elle n’a toujours utilisé que de petites ardoises de bois dans son enfance, et n’a jamais eu l’idée d’en faire une plus grande et fixée au mur. C’est ingénieux, et elle voit déjà comment faire usage de cet outils inédit.
Les livres ne sont que des bestiaires, évidement, et présent en plusieurs exemplaire, ce qui est logique. Julia en prend un et l’ouvre pour le feuilleter. Après quelques pages, le hasard veut qu’elle tombe sur le chapitre dédié aux fées. Elle en est à lire la description peu sympathique de ces créatures, dites malicieuses et fourbes, à éviter et à qui il ne faut rien dire, quand un coup à la porte la fait sursauter.
Manquant de faire tomber le livre, elle se retourne pour voir sur le seuil de la classe son élève dans les bras de nul autre que son époux. Le cœur de Julia ratte un battement alors que des réminiscences de sa peur lui reviennent.
- Mon seigneur, princesse, se force-t-elle à dire avec une révérence.
Julia se raisonne : s’il ne l’a pas puni plus tôt, ce n’est pas ici, ni maintenant, alors que sa jeune fille est présente qu’il va le faire. Elle force un sourire sur son visage, mais sait que c’est quelque chose de crispé et maladroit. Néanmoins, son époux ne lui en tient pas rigueur, se contentant de poser sa fille sans entrer dans la classe.
- Julia, la salut-il avec un signe de la tête.
Ciri s’accroche à lui, et le sorceleur doit la pousser pour que finalement la petite, après un autre soupire, s’approche pour venir s’installer sur l’un des pupitres du premier rang, lançant un « bonjour » grogné digne du Loup Blanc qui fait rire Julia.
- Ne soyez pas si triste, princesse, dit-elle, nous allons bien nous amuser.
L’enfant ne semble pas convaincue, mais au moins, elle lui laisse le bénéfice du doute. C’est un défi pour Julia. Elle n’a jamais enseigné mais a eu la chance d’avoir de très bon enseignant à Lettenhove et pense avoir quelques qualités pour occuper ce poste à son tour. Après tout, il suffit de captiver l’auditoire, et pour celle qui est en secret le barde Jaskier, ce ne devrait pas être trop compliqué.
Le Loup Blanc regarde toujours, adossé au chambranle de la porte, les bras croisés, alors qu’Aiden s’est assis… non, plutôt affalé sur l’un des pupitres trop petits du fond, les mains croisées derrière la tête, les yeux fermés, feignant de dormir.
Julia l’ignore, inspire profondément et ose, s’approche de son époux qui la regarde venir, parfaitement immobile. Sélène et Hécate l’accompagnent toujours, elle entend leurs griffes sur le sol de pierre, et Loki et Paco sont deux présences chaudes et rassurantes sur ses épaules.
Elle s’arrête à un pas de lui. Il n’aurait qu’à tendre le bras pour la frapper ou la saisir à la gorge, et pendant une seconde, elle est rassurée par son corset trop rigide et ses cheveux en chignon serrer. Il pourrait, mais Julia veut croire qu’il ne le fera pas.
- Mon seigneur, l’interpelle-t-elle d’une voix un peu timide, Je vous remercie pour la salle de bain. C'est un cadeau précieux.
L'homme acquiesce d'un signe de la tête, semblant presque gêner par ses paroles. Il se racle la gorge et répond finalement :
- S'il te faut autre chose, n’hésite pas.
- Merci, mon seigneur.
Elle ne demandera rien, Julia n'a jamais été du genre à faire des caprices et ce qu'elle a ramené de Tretogor lui suffit amplement. Néanmoins, s'il le propose… Après un silence maladroit, la jeune reine ose et reprend la parole :
- Puis-je croire que vous allez prochainement rencontrer messire Eskel ?
Au nom du sorceleur, Paco s’agite, elle sent ses belles plumes colorées frôler ses joues, mais n’y réagit pas par habitude. Le Loup Blanc acquiesce d’un signe de la tête alors elle poursuit :
- Voulez-vous bien prendre avec vous Paco dans ce cas ?
Elle lève une main et son perroquet, tout aussi habitué à être sur son épaule qu’elle l’est à l’avoir, siffle et grimpe dessus, prenant soin de ne pas blesser sa peau de ses serres. Le sorceleur acquiesce encore une fois, et reste immobile quand elle lui tend l’oiseau.
C’est un test sans qu’il ne le sache : les oiseaux du crépuscule sont particulièrement intelligents, et on les dit capable de cerner une personne d’un regard, ce que Julia veut bien croire : Paco n’a jamais aimé Radowid mais s’est entiché de messire Eskel dès qu’il l’a vu.
Jusqu’à présent, son oiseau a été relativement indifférent à tous les autres sorceleurs, n’ayant d’yeux que pour un seul. Sans ce dernier pour accaparer son attention, il semble découvrir le Loup Blanc pour la première fois.
Paco siffle encore quand il est proche de la haute épaule du sorceleur. Sa crête se déploie, il ouvre un peu les ailes et pendant un instant, Julia croit qu’il va attaquer. Son époux le regarde en retour, clairement méfiant, mais reste immobile quand finalement, le perroquet grimpe sur son épaule et s’installe, aussi royal qu’un aigle. Puis il fait mine de lui tirer l’oreille.
Ça fait pouffé Aiden, qui ne dort bien évidement pas, bien qu’il soit toujours allongé, et Ciri aussi, qui regarde depuis son pupitre en attendant que le cours commence. Julia elle, se mord la lèvre, craintive que son époux le prenne mal, mais il se contente de s’écarter et l’oiseau rit.
- Si tu veux voir Eskel, gronde-t-il, soit tranquille.
Paco se redresse, et répond dans la parodie du ton solennel de tous les sorceleurs :
- Loup Blanc !
Cette fois, Aiden rigole franchement, et répète-lui aussi le titre. Le rire clair de Ciri se fait entendre et même Julia lève une main pour masquer son sourire, se retenant de rigoler, le cœur allégé par les pitreries de Paco. Ses pitreries et la grande patience avec laquelle son époux les accepte.
- Tu as de la chance qu’Eskel t’aime, souffle-t-il en levant les yeux au ciel.
Il n’en faut pas plus à Paco qui sautille, heureux, clamant sa joie et son amour pour le sorceleur qu’il s’est choisi, et très vite, voyant son époux dépassé par la réaction, Julia le tempère :
- Chut, Paco, dit-elle en levant une main pour le caresser. Reste calme et tu verras ton cher ami.
L’oiseau siffle mais obtempère, reprenant sa posture d’aigle, la tête haute, les ailes entrouvertes, chantonnant calmement sa joie. Le sorceleur n’est clairement pas à l’aise avec le perroquet sur son épaule, mais il ne semble pas vouloir s’en débarrasser et Julia se sent respirer à nouveau. L’homme se redresse, gardant toujours un œil sur l’oiseau, puis s’en va, promettant de revenir chercher Ciri plus tard.
Julia le regarde partir, rassurée que sa rencontre avec son époux se soit bien passée mais inquiète pour Paco : elle le connait assez pour savoir qu’il peut être joueur voir moqueur, et elle espère qu’il ne viendra pas à bout de la patience du Seigneur de Guerre.
Quand elle se retourne pour enfin commencer sa leçon, son regard capte un mouvement dans le couloir. Il s’agit d’un enfant, probablement celui d’un des serviteurs à en croire ses vêtements simples et tâchés de suie. Comme il essaye de se cacher, la reine fait mine de ne pas le voir et entre dans la classe, laissant volontairement la porte ouverte.
A suivre...
Chapter 19: Elle avait confiance, elle n’aurait pas dû.
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A partir de là, les journées de Julia se fondent dans une douce répétitivité, qu’elle trouve agréable et qui l’aide à prendre ses marques dans Kaer Morhen, même si les gens ne semblent ni l’apprécier davantage, ni se lasser de le montrer.
La première semaine, elle qui a pris l’habitude de manger son petit-déjeuner en chambre, trouve un rat sous la cloche de métal couvrant son assiette. Le rongeur, aussi surprit qu’elle, s’échappe et alors, ça devient un capharnaüm improbable : Sélène et Hécate le chassent, Coen (ce matin-là, c’est le griffon qui la garde), essaye, lui aussi, de se saisir du rongeur alors qu’Horus voltige pour tenter sa chance.
Malheureusement, l’animal est trop rapide, et la chambre trop exigüe pour permettre à l’oiseau de proie de plonger convenablement. Le sorceleur lui, même s’il veut attraper le rat, essaye plus de l’éloigner de sa reine dans un geste chevaleresque, quand les deux chiens bousculent tout sur leurs passages pour s’en saisir.
Finalement, et à la surprise de tous, la petite bête trouve refuge sous les jupes de Julia elle-même, qui grince des dents en sentant ses petites pattes griffues s’agripper à ses chevilles. C’est un moment très gênant pour tout le monde quand le sorceleur doit s’agenouiller devant elle pour passer ses mains en-dessous et attraper l’animal.
Ce matin-là, Julia ne mange rien, l’appétit coupé, et sort directement avec ses chiennes pour prendre l’air, faisant une promenade plus longue qu’à l’accoutumée. Le château dispose d’un jardin, pour les plantes médicinales et d’autres, que la reine ne connait pas mais qui servent aux sorceleurs, et elle y passe une bonne partie de la matinée avant de se rendre en classe.
Ciri n’est plus la seule enfant à l’attendre. Comme elle l’avait bien remarqué le premier jour, il y a un garçon, un peu plus âgé que la princesse, qui s’invite tous les jours un petit peu plus. La petite fille lui a expliqué que Dara -c’est son nom- était le fils d’une des servantes du château et qu’ils jouaient ensemble assez souvent.
Julia n’est pas gênée par sa présence. Chaque jour, il ose et entre un peu plus dans la salle de classe. La reine prépare chaque jour un parchemin, une plume et un encrier à coté de Ciri, dans l’espoir qu’aujourd’hui, il prendra part à son cours.
Il s’avère que Ciri est une petite fille brillante. Elle sait presque lire, des connaissances qu’elle a acquis chez sa grand-mère avant de venir ici, mais qui n’ont pas été entretenue. Ça ne dérange pas Julia de reprendre les bases, et à entendre Dara marmonner de loin quand elle fait réciter les lettres ou les chiffres, c’est une bonne chose.
Après la classe, elle a pour habitude de se joindre au repas de la petite, dans la grande salle. C’est un moment beaucoup moins formel, ou chacun se sert et mange quand il le veut, avant de retourner vaquer à ses tâches. C’est là qu’elle retrouve parfois son époux, mais toujours la sorcière, à qui elle remet la princesse avant de s’éclipser pour l’après-midi.
Généralement, son temps d’après repas est occupé, soit par une promenade à cheval dans les bois avec ses chiennes, qui n’hésitent pas à revenir avec une proie en gueule, soit par l’écoute et la rédaction d’un récit du sorceleur qui la garde, Coen ou Aiden qui se relaient, soit en musique.
Le soir, son époux prend l’habitude de venir la chercher, sinon, prise comme elle sait si bien l’être par la tâche d’écrire ou de composer, elle ne se rendrait même pas compte que c’est l’heure de manger. Alors il vient, ne lui reproche jamais de se perdre dans son travaille, ne lui reparle jamais de son éclat dans les sources chaudes, et l’escorte jusqu’à la grande salle.
Si les premières fois, Julia était un peu tendue, craintive qu’il se passe à nouveau quelque chose malgré la veille solennelle de ses deux chiennes qui restent assises dans son dos, en vérité, tout se passe bien et petit à petit, l’atmosphère se détend. Elle parle avec Yennefer des avancées de Ciri, avec Eskel des pitreries de Paco, avec Lambert de celles d’Aiden.
Les choses se passent bien. De temps en temps, on lui parle d’une chouette qui se promène dans le château lui-même, en journée, et on lui dit de rappeler Athéna mais Julia sait que ce n’est pas elle, parce que sa chouette dort en journée, comme tous les rapaces de cette race, et ça la gêne sans qu’elle n’arrive à comprendre pourquoi.
La semaine suivante, alors que le froid et l’humidité de l’automne commencent à s’infiltrer, Julia trouve son lit saccagé, un sceau de crottin de cheval renversé sur le matelas. C’est assez tard dans la nuit, elle s’est attardée pour jouer du violon aux sorceleurs, à la demande d’Aubry qui lui a tendu son instrument, et avec l’accord de son époux qui s’est contenté de l’écouter.
Julia a passé une excellente soirée, en musiques et en chansons, et elle ose croire que la foule de sorceleur qui l’a écouté, même accompagné, en a fait de même. Si elle a eu droit à quelques rires et moqueries quand elle à prit l’instrument, elle sait que son jeu a impressionné, et, au lieu d’être pétrifié par l’attention de toute une salle, elle s’est sentie galvanisée par elle.
Si Julia était née homme, et malgré tout l’amour qu’elle a pour ses terres, elle aurait fui Lettenhove pour devenir barde itinérant. Quel aurait été sa vie alors ? Aurait-elle tout de même rencontré le Loup Blanc ?
La jeune reine en est là de ses réflexions, s’imaginant sa vie si elle était née de l’autre sexe, se racontant que le Destin l’aurait toujours mis sur la route de son sorceleur époux, parce qu’elle aime l’idée de l’avoir dans sa vie, et qu’elle se sent bien ici, même si les choses pourraient être mieux, quand l’odeur nauséabonde lui caresse les narines.
Sa chambre est ruinée. Son sorceleur escorte, Aiden ce soir-là, tique et s’excuse, quand Shani peste et gronde. La liberté fait du bien à son amie, qui ose de plus en plus donner son avis. La liberté, ou l’amitié toujours plus grande qu’elle entretien avec Triss Merigold, qu’elle voit tous les jours pour l’aider sur quelque chose de trop secret, Julia n’a pas le droit de savoir, et ne s’en vexe pas. Tout ce qu’elle sait, c’est que cela pourrait sauver la vie de bon nombre de garçon alors, elle laisse faire, heureuse que l’elfe trouve sa place dans la forteresse.
Toujours est-il que Shani s’agace toujours plus, et la presse à demi-mot de révéler son identité, ce qu’elle refuse toujours, trop têtue pour revenir sur sa décision et toujours persuader que sans preuve, on ne la prendra pas au sérieux.
Aiden propose d’aller chercher Martha et une sorcière pour nettoyer l’endroit mais Julia refuse, il est tard et tout le monde dort. Elles s’occuperont de tout cela demain. Pour ce soir, elle se contentera de dormir avec Shani, et l’elfe lui ouvre son lit sans protester.
Les deux femmes ne dorment pas beaucoup cette nuit-là, plus occuper à se murmurer leurs rêves et leurs espoirs qu’à se reposer. Shani avoue souhaiter plus de Triss, même si elle a bien conscience de la dangerosité de ses désirs, quand Julia murmure tout bas que peut-être, oui, le Loup Blanc est un homme bon, un homme dont elle pourrait tomber amoureuse.
Le lendemain, tout est nettoyer, le matelas changé et l’accident, non pas oublié, mais Julia conserve sa posture de non-réaction et attend toujours que ceux qui ont besoin de ses petites vengeances à son égard ne se lassent enfin.
Au moins, Dara ose enfin s’asseoir à coté de Ciri. C’est un jeune garçon, à la peau foncée, la tête couverte d’un bonnet qu’il n’enlève pas, et Julia devine qu’il y a des oreilles pointues qui se cachent en dessous. Mais pour ça, comme pour le reste, elle ne force pas.
Le garçon est timide et sursaute quand Julia s’accroupi à côté de lui et pose une main sur la sienne pour l’aider à mieux tenir sa plume. Il a un regard pour Ciri, comme s’il demandait son approbation, et finit par se détendre un peu quand la petite lui sourit.
A partir de là, il revient tous les jours, et s’installe pour apprendre à lire et à compter lui aussi, ce qui est très bien pour la princesse. Ciri se sent elle-même obligée d’apprendre, maintenant que son ami à un intérêt pour cela.
La semaine suivante, elle ne peut pas faire cours : quelqu’un a glissé dans l’eau de son thé une infusion de quelque chose, Shani pense du girofle entre autres, qui anesthésie et fait gonfler sa langue et ses lèvres et l’empêche de parler. Il faut trois jours de traitement, pendant lesquels elle se cache de tout le monde, pour pouvoir reprendre sa routine habituelle.
Elle fait dire à son époux que c’est certainement une réaction allergique de sa part, au grand mécontentement de Shani. Même Aiden fronce les sourcils et proteste, mais Julia reste ferme : non seulement elle estime qu’il ne faut pas réagir pour que les gens se lassent, mais en plus, elle ne veut pas que celui ou celle qui a fait ça ne soit puni, peut-être durement.
Après tout, empoisonner son thé, même avec quelque chose qui doit juste la rendre inconfortable et non la tuer, reste un geste fort, et qui pourrait mériter une punition exemplaire, ce qu’elle refuse car, dit-elle, aucun mal n’a été fait finalement.
Elle poursuit sa vie, ses cours aux enfants (une petite fille, toute petite, toute menue, semblant plus jeune que Ciri elle-même, vient elle aussi mais n’ose pas parler quand Dara arrive enfin à répondre à ses questions sans bégayer), ses promenades et ses écrits, qu’elle fait régulièrement lire à messire Eskel pour validation avant de les envoyer à Jaskier par l’intermédiaire de Yennefer.
La sorcière accepte volontiers toutes les lettres que Julia souhaite envoyer. Pour ne pas attirer l’attention sur ses faucons qui vont et viennent l’un après l’autre, disparaissant assez de jour pour qu’on devine qu’ils quittent le pays, la jeune reine écrit des lettres vides et sans intérêt à quelques amies qu’elle s’est faite à Tretogor. Elle n’ose pas écrire à son père.
Pas une seule fois, elle n’écrit au roi ou à ceux qu’elle sait être dans les services secrets de Rédanie.
Elle raconte sa vie à Kaer Morhen, sans jamais donner de détails qui pourraient être retourné contre les sorceleurs, se contentant de décrire les chasses et les repas, le temps et le paysage… Jamais elle ne parle de Ciri, bien entendu, ni des cours qu’elle donne chaque matin, préférant parler de musique et demander des nouvelles de la mode et de la cour de Vizimir.
Julia sait qu’il n’a pas fallu longtemps pour que les gens de Kaer Mohren comprennent son intérêt pour la musique. Outre ses instruments qu’elle fait sonner presque tous les jours, et ce, depuis son arrivé dans la forteresse, elle joue régulièrement le soir, après le repas.
Souvent avec le violon d’Aubry, mais d’autres sorceleurs se prêtent au jeu, lui proposant une mandole ou un psaltérion, aussi étonnée par le fait qu’elle sache en jouer que par le nombre de chanson qu’elle connait ou apprend en quelques minutes.
Un autre soir de musique, deux semaines après l’incident du thé, Julia remonte chez elle et a la désagréable surprise de trouver les cordes de ses instruments coupées et ses flutes tordues ou brisées. Il n’y a que le piano qui est épargné, sauvé à priori par sa nouveauté : celui ou celle qui a fait ça ne devait pas savoir qu’il suffisait de soulever le couvercle pour accéder à ses propres cordes.
Dépitée, Julia se laisse tomber sur le tabouret de l’instrument, la tête entre les mains, retenant difficilement ses larmes. L’injustice de la situation lui brule le cœur et elle a autant envie de crier sa colère que de s’enfermer pour pleurer toutes les larmes de son corps.
Elle sait qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Après tout, c’est elle qui a décidé de ne rien révéler de sa véritable identité, et le dire maintenant serait ridicule, autant parce qu’elle n’a aucune preuve que parce qu’on ne la prendrait toujours pas au sérieux.
Pourtant, et même si elle ne dit pas qu’elle est le Bécasseau, Julia pense être une bonne reine. Du moins, une bonne personne : elle éduque les enfants qui se présentent dans sa classe, elle remercie qui la sert, se montre gentil et compréhensive, n’exige rien et certainement pas payement de toutes ses attaques contre sa personne.
Julia n’est pas rancunière, mais ce soir-là, après avoir pleuré et accepté encore une fois les excuses du sorceleur qui la garde, elle se couche le cœur lourd, méditant sur sa volonté de ne pas alerter son époux. Peut-être que s’il était au courant, les choses s’apaiseraient ?
Mais Julia ne veut pas qu’il ait à intervenir : jamais les gens n’auront de respect pour elle si elle doit se cacher derrière le Loup Blanc pour être à minima épargnée. Pire, les gens pourraient la détester plus encore, même si elle se demande si cela est vraiment possible…
Finalement, elle décide de maintenir sa ligne de conduite et de tout garder pour elle, au grand désarroi de Shani qui soupir et peste de colère, et même du sorceleur qui la garde, toujours plus désolé pour elle. Néanmoins, à partir du lendemain, elle décide de fermer ses appartements à clé quand elle n’y est pas.
Julia regrette sa décision de se taire quatre semaines plus tard.
Pendant cette période, elle ose croire que les gens se sont effectivement lassés : son thé est du thé, sans sel ni plantes dangereuses, ses appartements sont propres et bien entretenus, les nouvelles cordes de ses instruments, pour celles qu’elle a pu changer, sont laissées tranquilles et si le personnel qu’elle croise est toujours froid avec elle, au moins la laisse-t-on en paix.
Il y a bien un petit accident, un soir de musique, alors qu’elle joue, chante et danse avec les sorceleurs tard dans la nuit. Il y a un moment où, alors qu’elle fait une pause, on lui tend une coupe sans qu’elle ne fasse attention et elle ne doit qu’à a la réactivité de Leo, un jeune garçon qui a rejoint l’école des loups il y a peu, de ne pas s’empoisonner. Le jeune homme lui arrache son verre alors qu’elle le porte à ses lèvres, criant que c’est de la mouette blanche.
Julia est trop ivre à ce moment-là pour réaliser, mais le lendemain matin, elle doute : l’erreur était-elle volontaire ? Elle reste un long moment dans son lit à réfléchir à la question, mais finalement, décide que ce n’était pas le cas, peut-être par naïveté, mais surtout par bienveillance.
Elle pense même que les choses s’améliorent quand un matin, quelques jours plus tard, elle trouve avec son petit déjeuner un gros bol de graine, pour les oiseaux lui dit le serviteur qu’elle croise en remontant de sa salle de bain. C’est celui qui a renversé le vin sur sa tête, le premier soir, et il a un mouvement de recule devant ses chiennes qui ne l’ont pas oubliées.
Julia s’excuse pour elles et les retient, aimable. L’elfe lui lance un regard surprit, une reine qui s’excuse, c’est toujours étrange, mais ne s’attarde pas, et part, un air renfrogné sur le visage. Elle le laisse faire et s’en va prendre son petit déjeuner, entouré de tous ses oiseaux qui, ennuyés de manger tous les jours la même chose pour ceux qui ne sortent pas ou peu, se jettent sur les graines et vident le bol.
Loki préfère partager son petit pain sucré, comme tous les matins, une chose dont elle remerciera Melitele plus tard.
Plus tard, c’est quand elle commence sa classe. Enfin, aujourd’hui, elle a décidé de ne pas faire classe. La veille, elle a été choquée de déjà voir les premières chutes de neige, alors que l’automne bat son plein. C’est normal, ici dans la montagne lui a-t-on dit, et très bientôt, le col sera fermé et ils seront isolé pour quelques mois.
C’est une connaissance qui ne la rassure pas tellement. Julia est de nature optimiste, et depuis le début, sa relation avec le Loup Blanc se passe bien. Comme l’a espéré Shani, il est bon pour elle, et elle, l’apprécie toujours un peu plus. Mais l’idée d’être enfermée dans cette forteresse pour les longs mois d’hiver la déprime et l’angoisse, alors elle évite d’y penser.
Le château, les jardins, les cours, sont tous recouvert d’un magnifique manteau blanc, qui scintille sous le soleil matinal. Julia n’est pas habituée à voir ce spectacle, il neige peu à Tretogor, et encore moins à Lettenhove, qui se situe plus au sud. Alors, au lieu de rester enfermé au chaud dans la salle de classe, elle a proposé aux enfants de jouer dehors, et prévois de leurs faire découvrir le chocolat chaud.
Il n’y en a pas ici, du chocolat. C’est un produit cher et rare. Mais quand Julia a quitté Tretogor, elle a pris avec elle des denrées alimentaires, surtout pour les oiseaux, mais aussi quelques douceurs qu’elle sait difficile à trouver en dehors de la capitale, comme des bonbons ou du nougat. Et du chocolat.
Elle-même n’a pas vraiment la dent sucrée, même si elle aime ça. S’il lui est déjà arriver de piocher dans ses réserves pour offrir une motivation aux enfants (Ciri semble avoir une préférence pour les pâtes de fruit quand Dara adore les dragées), elle n’a pas encore eu l’occasion de leurs présenter le chocolat. C’est un produit délicat et amer, qui doit être convenablement préparé, surtout pour plaire à des enfants, mais elle sait que ça plaira, surtout après une matinée à s’amuser dans la neige !
Sous sa surveillance, Ciri joue avec ses amis, Dara bien entendu, la toute petite fille, qui s’appelle Sophia et qui ne parle pas, et aussi deux autres garçonnets, qui ne sont jamais venu en classe mais que la reine ne peut désâment pas renvoyer, ainsi qu’avec Loup.
Artémis ne répond plus qu’à ce nom maintenant, et la vie à la forteresse (ou aux côtés d’une petite fille prompte à laisser tomber par terre accidentellement une grande partie de son assiette à chaque repas, Yennefer et Eskel ont été obligé de changer de place à table pour que la petite ne soit pas déconcentrée par Paco en plus de son loup) lui est bénéfique : la bête a gagné en taille et en poids, dépassant ses sœurs d’une tête maintenant.
Sélène et Hécate s’amusent elles-mêmes, adorant passionnément la neige, et cela fait rire Julia qui les regarde faire, bien emmitouflée dans une robe épaisse et couverte d’un manteau laine doublé de fourrure, les mains dans un manchon de fourrure douce pour les protéger du froid. A ses côté, Aiden a à peine passé une cape de laine, mais ne semble pas dérangé par le froid.
- Altesse, puis-je vous dire quelque chose ? Demande le sorceleur sans quitter les enfants des yeux. Julia le regarde, et il semble prendre cela pour un accord, alors il poursuit et lance : Vous êtes une bonne reine.
La jeune femme se sent rougir, mais si le compliment lui fait plaisir, cela titille un point douloureux dans sa poitrine, et elle ne peut s’empêcher de répondre tristement :
- Je n’en ai que le titre, et encore… vous et moi savons que peu me l’accorde réellement. Tant que les gens me détesteront…
- Cela passera, la coupe Aiden avec un sourire confiant. Ils finiront par voir que vous êtes bonne pour Kaer Morhen… et ses enfants.
En parlant, il a un mouvement de tête pour les enfants en question, qui s’amusent maintenant à lancer des boules de neige pour que les chiens courent après, les faisant sauter dans la neige fraiche, déclenchant des torrents de rire qui rebondissent contre les murs de la forteresse, dans leur dos. Les yeux verts d’Aiden sont brillants de quelque chose que la jeune femme ne peut comprendre.
Julia n’y prend pas garde, mais il y a beaucoup de regards sur la scène, de personnes qu’elles soient sorceleurs ou non, qui s’arrêtent ou qui viennent, attirées par le bruit et le spectacle au combien inédit d’enfants qui s’amusent, ici, dans cette vieille forteresse qui en a tué tant d’autres, et qui au printemps, en tuera encore.
La jeune reine ne sait pas tout ça. Personne ne lui a dit comment on fait un sorceleur, seulement que des enfants sont là, orphelins ou donnés par leurs parents, qu’ils sont entrainés par chaque école, leur vie coupée du reste de la forteresse jusqu’à ce qu’ils soient assez grand et qu’ils réussissent certaines épreuves qu’elle ne connait pas, pour être intronisé dans l’école et les rejoindre à table.
Julia ne sait pas, et ne cherche pas à savoir non plus, bien consciente qu’on se méfie toujours d’elle et de ce qu’elle pourrait faire savoir à Vizimir. Moins elle en sait, mieux cela sera pour elle. A peine est-elle au courant que le projet de Triss Merigold, avec qui Shani travaille tous les jours, concerne une partie de cet entrainent de sorceleur, mais rien de plus.
Les enfants protestent quand Julia les rappelle, jugeant qu’ils ont été dehors assez longtemps. Il faut la promesse d’une délicieuse surprise pour qu’ils acceptent de revenir en classe et effectivement, quand ils atteignent la salle, une cruche fumante et quelques tasses attendent, posée sur le poêle de fonte qui chauffe la pièce.
Elle a demandé à avoir du lait chaud sucré, ce pour quoi les enfants se lèchent déjà les lèvres, mais quand elle leur explique que ce n’est pas seulement ça la surprise, et qu’elle sort des plis de sa robe un bloc de chocolat emballé dans du papier ciré et un petit sac d’épices, ils sont tous étonnés.
Les cinq l’écoutent silencieusement quand elle leur explique ce que c’est, d’où ça vient et comment s’est cultivé (Julia est un peu professeur dans l’âme et ne manque pas une occasion de faire cours). Elle a un regard amusé pour Aiden, toujours affalé au fond de la classe, qui écoute lui aussi, plus attentif qu’à son habitude.
Quand la boisson est prête, son parfum appétissant faisant gronder quelques ventres (et pas seulement chez les petits !), Julia les sert tous, sans faire de distinction entre Ciri, qui est princesse, et les autres. A Tretogor, se serait inadmissible, inconcevable même ! Une terrible faute au protocole mais la jeune femme a vite compris qu’ici, le protocole était très allégé. De plus, elle pense que si la fille du Loup Blanc traite les petites gens comme les autres, cela fera d’elle une meilleure reine.
Il y a assez de tasse et de boisson pour que Julia, une fois les enfants servit, en propose une a Aiden. Le sorceleur est surprit mais accepte. La reine a rapidement compris qu’il aime les choses sucrés, et lui propose systématiquement quand elle en a, que ce soit gâteaux, bonbons ou ici, du chocolat.
Comme elle s’en doutait, la boisson fait mouche. Les enfants, les deux nouveaux venus qui ont hésité à les suivre en classe, se sont regardés, et ont attendu que Ciri et Dara goutent en premier, pour en faire de même, motivé par les exclamations ravies de leurs camarades.
Julia est occupée à siroter elle-même une tasse, Loki, qui est resté dans la salle de classe le temps que les enfants jouent, posé sur son épaule. Elle sourit devant les exclamations heureuses de ses protégées, bien consciente que pour tous, avoir quelque chose comme du chocolat est un évènement rare. Un évènement de fête.
Elle est surprise quand la petite Sophia, qui ne parle pas, qui est intimidée par elle, pose sa tasse et vient vers elle. Pour attirer son attention, la petite tire sur sa robe et Julia, amusée, s’accroupie et lui demande si elle veut encore à boire. Mais l’enfant fait « non » de la tête et demande, d’une toute petite voix inquiète, si bas que la reine doit tendre l’oreille :
- Loki… il a mangé les graines ?
Julia fronce les sourcils, se demandant comment la petite peut être au courant qu’on lui a apporté de quoi manger pour ses oiseaux. D’après ce que lui a dit Ciri, elle est la fille d’une blanchisseuse, elle n’a rien à faire avec la cuisine ou les réserves alimentaires. Julia répond que non, mais ça ne rassure pas l’enfant :
- Ciri, elle dit que vous en avez plein d’autres. Ils en ont mangé ?
L’inquiétude de l’enfant est communicative, même si Julia ne sait pas exactement ce qui doit l’inquiéter. Elle fait « oui » de la tête et a la terrible surprise de voir les yeux de l’enfant se remplir de larmes :
- Fallait pas… et elle a un sanglot terrible, vite récupérée par Dara qui la soulève dans ses bras et la berce.
Le jeune elfe (il a enfin enlevé son bonnet) a la mine triste mais ne semble pas étonné par la réaction de Sophia. Cela plus que le reste inquiète Julia qui se relève, s’excuse à demi-mot et sort de la salle de classe précipitamment.
Elle n’a plus besoin de guide maintenant pour rejoindre ses appartements mais, comme toujours, elle entend dans son dos les pas d’Aiden et ceux, bien moins discret, de Sélène et d’Hécate. Courir avec une robe et un corset est une plaie, et dans son empressement, elle trébuche sur les premières marches qui mène à sa tour. Le sorceleur la rattrape et l’aide à se relever, elle le remercie dans un souffle court et reprend sa course.
Julia porte à sa ceinture ses deux clés d’appartement. Deux clés très similaires et dans la panique soudaine que Sophia et sa réaction ont fait naitre dans son cœur, elle les confond et n’arrive pas à trouver la bonne. Une fois encore, c’est Aiden qui l’aide, lui prenant des mains pour déverrouiller la porte.
Ses appartements… sont terriblement calmes. Julia est habituée, quand elle remonte, à être accueilli par le chant des oiseaux et même par certains d’entre eux qui viennent à sa rencontre, elle qui laisse sa ménagerie toujours ouverte maintenant que son époux n’est plus un homme capricieux et jaloux.
Mais là, il n’y a rien. Pas de chant, pas de battement d’aile. Rien. Pendant une longue seconde, Julia reste figée dans l’entrée, effrayée par ce qu’elle va trouver. C’est la main d’Aiden dans son dos, qui la pousse doucement pour pouvoir entrer lui aussi, qui la remet en mouvement et Julia sait ce qu’elle va voir.
Son esprit fonctionne vite et bien, il a déjà relié les points entre les paroles énigmatiques de Sophia et ce calme inhabituel. Mais même si elle sait, la douleur qu’elle ressent quand son regard se pose sur sa ménagerie n’en est pas moins forte.
Ses oiseaux… tous ses oiseaux, les perruches, les canaries, les cardinaux, les moineaux… tous ceux qui ont mangé les graines qui lui ont été apporté ce matin gisent au sol, morts. Heru et Athéna sont lovés l’un contre l’autre, caché dans un coin du plafond, sur une poutre. Les deux rapaces chantonnent quand ils la voient, mais c’est aussi triste que l’est Julia qui s’effondre, terrassée par le chagrin.
A suivre...
Notes:
Avertissement : mort d'animaux.
Chapter 20: Elle pourrait demander sa tête, le fera-t-elle ?
Chapter Text
Geralt sait que les choses ne se passent pas très bien pour Julia. Pas en détail, non. Coen et Aiden sont très évasifs, arguant que c’est à la demande de la reine elle-même, qui ne veut pas faire de vague et qui pense que les gens finiront par se lasser.
Ça arrange un peu le Loup Blanc, qui ne saurait pas quoi faire si elle venait à se plaindre chez lui. Il n’est empereur que par titre, pas par volonté. Il n’est qu’un guerrier, n’a jamais été formé à gérer autre chose qu’une petite formation de sorceleur quand la menace est trop grande pour un seul d’entre eux.
Alors Geralt ne pose pas trop de question non plus et laisse faire, parce qu’il ne saurait pas comment gérer la situation, et aussi parce que Julia, qui est une princesse, qui a grandi avec des serviteurs, doit savoir ce qu’elle fait. Puis, même si c’est certainement une situation inédite pour son épouse, si elle pense que les gens se lasseront, très bien, attendons.
De plus, il ne doute pas que la haine contre son épouse se calme : elle est une personne douce et clairement, peu rancunière. Ciri l’adore, et quand sa fille lui parle de Dara qui s’invite dans sa classe, ou des bonbons qu’elle apporte aux enfants, Geralt ne doute pas que ce soit la marque de sa générosité, et non un geste calculé.
Julia est une personne très vraie. Outre l’incident des sources chaudes, elle semble bien se faire à la vie à Kaer Mohren. Sa salle de bain privative, qui n’a été possible que grâce à l’intervention très charitable de Yennefer et Triss, lui plait et elle semble apprécier énormément enseigner à Ciri. Pour le reste, il semble que du moment où on lui laisse ses animaux et sa musique, elle est heureuse.
Et c’est très bien. Lui qui craignait que son épouse soit une petite princesse précieuse, exigeante et capricieuse, qui haïrait la rudesse de la forteresse, ne supportant pas la simplicité de la vie ici, intolérante à la quasi-absence d’étiquette, ennuyé de ne pas avoir de bal ou de théâtre pour la divertir, est rassuré.
Julia n’est pas comme ça. Si elle veut danser, elle joue et chante toute seule, appréciant visiblement d’avoir un public le soir avec qui s’amuser et Geralt suppose que, dans d’autres condition, sans doute serait-elle devenue tout autre, une artiste en tout cas.
Geralt est à la fenêtre de la salle qui sert de bureau à son conseil. Il y a un feu qui ronronne dans la cheminée d’un côté, encadré de deux gros fauteuils confortables, alors que de l’autre, une grande table de chêne massif, accueille des parchemins, surtout des courriers, et plusieurs cartes du continent, laissant un espace vide devant l’entrée, pour recevoir les messagers potentiels. Perchée sur les hautes poutres de la pièce, la chouette de Julia somnole silencieusement.
Il ne regarde pas la neige qui tombe doucement dans la lumière du soir, ni les serviteurs qui achèvent leurs tâches et s’empressent de rejoindre l’intérieur du château. Son regard suit son épouse, qui revient à cheval de sa balade en forêt.
Enfin, balade n’est pas le mot le plus adapté. Ça n’était pas une sortie plaisir pour sa reine, qui a demandé à pouvoir disposer de ses oiseaux décimés à l’abris des regards indiscrets. Triss et Shani ont dû en autopsier certains pour confirmer le crime et identifier le poison, mais ensuite, Geralt l’a laissé faire à sa guise.
Les gens ne se sont pas lassés. Geralt ne sait pas exactement combien de mauvaises blagues ou de pièges ont été tendus à son épouse, mais la dernière en date est la plus terrible, et celle-là, le Loup Blanc ne peut pas l’ignorer, même s’il ne sait pas comment il doit réagir.
Julia est suivie comme toujours par ses chiennes et Coen, qui l’a escorté dans les bois. Même s’il la voit de loin, la tristesse de son épouse est évidente, la tête basse, les épaules voutées et c’est étrange de voir ses animaux, son cheval, ses chiens, sembler tout aussi triste qu’elle, comme si tout le poids du monde pesait sur eux.
Elle berce dans ses bras un oiseau blanc. Sans doute parce qu’il fait trop froid pour Loki, elle n’a pris avec elle que son faucon, qui se perche sur la tête d’un Pégase très certainement habitué à ça, et sa chouette, qu’elle tient.
En remarquant le rapace, Geralt fronce les sourcils et lève les yeux vers la chouette qui somnole dans la hauteur du plafond, près de la cheminée, qu’il a pris pour Athéna mais qui ne l’est visiblement pas. Comme si l’oiseau sentait son regard, il s’agite, ébouriffe ses plumes et s’envole, s’échappant du bureau quand entrent Yennefer, Vesemir et Eskel, Paco sur son épaule comme toujours.
- Sorcière ! crie le perroquet quand le rapace le frôle, vite calmé par son sorceleur qui le caresse.
Oubliant l’oiseau, il se concentre sur son frère qui soupir en se laissant tomber sur l’un des sièges. Paco passe de son épaule à ses mains, et c’est tristement drôle de voir le grand sorceleur le bercer, comme si ce qui était arrivé aux protégés de Julia pouvait lui arriver aussi.
- Il a tout avoué, annonce Eskel, fatigué.
En quelques mots, il explique comment ils ont rapidement confondu Mathias et l’interrogatoire qui a suivie. Le serviteur a été facile à identifier, et n’a pas nié son action. Audacieux, il a même annoncé regretter de ne pas avoir empoisonner la reine directement.
- Qu’est-ce que je suis sensé faire ?
Yennefer, qui s’est installée en face d’Eskel, pose les coudes sur la table et croise les mains devant son visage, la mine pensive. A côté d’elle, Vesemir est tout aussi silencieux, réfléchissant à une solution qui satisfera tout le monde. Toute la question est de savoir ce que vaut la vie de quelques oiseaux.
- Elle pourrait te demander sa tête, souffle Eskel en caressant Paco distraitement.
C’est tout le problème. Une autre princesse, une noble quelconque, n’aurait pas toléré ne serait qu’un dixième de ce qui a été fait à Julia depuis qu’elle est ici. Une autre aurait exigé des coupables et des punitions, aurait déjà quitté la forteresse en les traitant de barbares. Jusqu’à présent, son épouse s’est montrée tolérante et aimable. Mais pour ses oiseaux, le sera-t-elle toujours ?
- Si tu fais ça, prévient Yennefer, tu vas au-devant d’une révolte. Aucun serviteur dans le château ne l’acceptera. Et surement pas les elfes !
Ils ne l’acceptent déjà pas alors qu’elle se laisse malmenée par eux, si maintenant elle se défend… Geralt a parfaitement conscience qu’avoir épousé une rédanienne s’apparente déjà à de la trahison. Filavandrel lui-même lui a écrit pour lui conseiller de se méfier de cette union, présageant qu’elle ne lui apporterait que des difficultés.
- Il y a une colère qui gronde depuis qu’elle est ici, souligne justement Vesemir. Un rien suffirait pour mettre le feu aux poudres.
Les sorceleurs dans la généralité se sont montrés plutôt indifférent à Julia et au mariage, malgré les craintes de Geralt. Ce n’est pas le cas des serviteurs, les elfes bien évidement, mais les nains et les humains ne sont pas en reste non plus…
- Une condamnation à mort n’est pas rien, rétorque Yen.
Le vieux Vesemir fredonne son accord et rajoute :
- Il faut un procès. Public.
La sorcière se redresse, les yeux brillant d’excitation, visiblement ravi par l’idée. Elle plussoie et rajoute :
- Si elle demande sa tête, tout le monde verra que tu es juste quand tu le refuseras.
Geralt grogne, comprenant que se sera à lui de juger et donc de déterminer ce que vaut la vie de quelques oiseaux. Ça ne lui plait pas mais, même s’il n’a jamais demandé le titre de Loup Blanc, il accepte ses responsabilités.
- Si elle demande sa tête, fait Eskel sombrement sans jamais cesser de caresser Paco, les gens la détesteront encore plus… Peut-être devrions-nous l’avertir de ne pas le faire ?
Eskel ne cache pas sa sympathie pour Julia, pas depuis qu’elle lui a laissé son perroquet, sur lequel ils ont beaucoup échangé au début. Maintenant, quand ils se rencontrent, ils parlent davantage de poésie, toujours avec joie et énergie, s’échangeant des livres ou conseillant des lectures. Ils s’entendent assez bien pour que Geralt songe qu’un mariage entre eux deux aurait été plus plaisant, tout en sentant son cœur se tordre désagréablement à cette idée.
- Non, fait Yennefer. Les gens doivent voir comment est leur reine. Si elle réclame sa tête, ou non.
Geralt gronde, incertain, bien que comprenant le fil de réflexion de la sorcière. Il sait que Yen a été assez hostile à la reine, ce qui s’est très largement calmé après l’incident des sources chaudes, son hostilité en partie remplacée par un élan de sororité. Que Ciri apprécie Julia et que les cours se passent bien n’ont fait qu’apaiser son amie.
Finalement, ils décident d’un procès public, présidé par son conseil et lui, le soir même, et font avertir Julia.
ooOoo
Geralt monte les escaliers menant aux appartements de son épouse, le pas lourd, préférant visiblement être partout ailleurs qu’ici. Il s’arrête néanmoins sur l’avant dernier pallier, ou attend Aiden, adossé contre le mur, la mine sombre. Le chat a un mouvement de la tête pour la porte de la salle de bain.
- Non, Shani, je ne peux pas porter le deuil pour des oiseaux. Entend-t-il à travers le pan de bois. Ce ne sont que des oiseaux !
- Personne ne t’en jugera ! répond Shani comme s’il s’agissait d’une évidence.
Les deux femmes se disputent visiblement. Si au début, ils étaient tous choqué d’entendre l’elfe, l’ancienne esclave, tutoyer la reine, il est devenu rapidement évident qu’elles sont amies, et depuis longtemps. La quasi-absence de protocole à Kaer Mohren semble avoir fait du bien à leur lien, le renforçant. Sauf erreur de sa part, c’est la première fois qu’il y a un tel désaccord entre elle.
- Laisse-moi !
Julia semble bouleversée. Il n’a pas besoin de la voir pour le comprendre : l’émotion dans sa voix est brute, comme si elle se retenait de pleurer. Une porte claque, ça fait réagir Geralt qui toque et entre sans attendre de réponse.
Dans la salle de bain, il n’y a que Shani, qui se tient debout devant la porte de la garde-robe, celle qu’elle vient de claquer, de toute évidence. L’elfe se frotte le visage, sans remarquer la présence du sorceleur. Ses cheveux courts sont en bataille, comme si elle avait passé sa main dedans trop de fois.
- Pourquoi ne peut-elle porter le deuil pour ses oiseaux ?
Pas que Geralt soit désireux de la revoir couverte de noir des pieds à la tête, aussi silencieuse qu’une ombre mais si c’est ce qu’elle veut, il ne l’en empêchera pas.
Shani sursaute et recule, effrayée, avant de s’excuser rapidement avec une révérence. Même si elle est plus détendue qu’à leur arrivée, et qu’ici, personne ne l’a jamais rabrouée, parce qu’elle est une femme libre et plus une esclave, elle garde certains reflexe, surtout avec lui, qui est après tout, le Seigneur de Guerre du nord, le plus haut gradé ici, s’il doit y avoir des grades.
- C’est une triste histoire, mon seigneur. Répond sombrement Shani.
Geralt ne dit rien, et la docteure semble prendre cela pour une question car elle soupir et poursuit, le regard perdu dans un souvenir affreux.
- Il y a eu cette fois-là où le prince Radowid a réussi à attraper Jeanne, une perruche de Julia. Il… il l’a étranglé sous ses yeux. Shani fronce les sourcils, sa voix passe de la tristesse à la colère alors qu’elle raconte : il jubilait de l’entendre supplier. Et il lui a interdit de pleurer ensuite parce que…
L’émotion dans la voix de l’elfe est trop forte, elle lui coupe la parole, mais Geralt devine la suite et termine pour elle, d’un ton sombre :
- Ce ne sont que des oiseaux.
Shani pince les lèvres, c’est la seule confirmation dont le sorceleur a besoin. La colère gronde dans sa poitrine, mais il la maitrise. Plus il en apprend sur le précédent époux de Julia, plus il se réjouis de lui avoir coupé la tête.
Ce n’est pas que Julia en parle vraiment, elle n’en a même pas forcément besoin. Les mauvais traitements qu’elle a subis sont inscrit dans sa manière d’être, dans son hésitation première à faire quoi que ce soit, cherchant l’accord de Geralt, comme si elle s’attendait à être bridée, réprimée, battue.
La porte de la garde-robe s’ouvre sur Julia avant que la conversation ne puisse redémarrer. Elle a un mouvement de surprise pour son époux avant de le saluer d’un signe de la tête polie. La reine porte une belle robe d’un bleu nuit surpiqué d’argent, ses longs cheveux blonds en partie réuni en une queue de cheval retenue par une broche sertie de saphir.
S’il n’y avait son teint pâle, ses yeux rouges et gonflés et l’odeur de larme qui s’accroche à elle, personne ne pourrait supposer sa perte récente. Elle garde en main un mouchoir de tissu blanc, et perché sur son épaule, lové dans le creux de son cou, Loki roucoule tout doucement.
- Sens-toi libre de porter le deuil pour tes oiseaux, si tu veux. Fait Geralt, amicalement.
Julia ne répond pas, tourne plutôt la tête vers Shani, les sourcils froncés, mais ne remet pas en question les paroles de son époux. A la place, elle se détourne pour chercher dans ses affaires un grand châle de dentelle noire, qu’elle place sur ses cheveux et ses épaules. Loki s’envole le temps qu’elle le fasse avant qu’il ne revienne dans ses bras, se perchant sur son poignet alors qu’elle le caresse de sa main libre, le berce presque.
- Je ne prendrais pas le deuil, explique Julia. Mes oiseaux chantaient. Ils chantaient tout le temps.
Geralt grogne, comprenant qu’elle ne veuille pas garder le silence, puis lui tend un bras, qu’elle saisit, pour la guider hors des appartements et jusqu’à la grande salle. Sélène et Hécate suivent toujours, terriblement habituée à escorter leur maitresse, bien que cette fois-ci, elles semblent plus tendues, comme si elles s’attendaient à devoir se battre.
Shani et Aiden ferment la marche silencieusement et c’est étrange comme la forteresse semble calme sur leur passage.
Il y a des sorceleurs, qui s’écartent et les regardent passer sans rien dire, mais il y a surtout des serviteurs, hommes ou femmes, humains, nains ou elfes, qui s’arrêtent dans leurs tâches, ou qui s’accumulent sur leurs passages et les suivent. Leurs mines sont sombres et, en grande partie, colériques.
Geralt repense à la discussion qu’il a eu avec son conseil : la reine est en droit de demander la tête de celui qui a fait ça, et il aurait peu d’arguments autre que « ce ne sont que des oiseaux » (un argument dont il ne veut absolument pas faire usage, surtout maintenant qu’il connait le passif de son épouse avec cette phrase) pour l’arrêter.
Pourtant, une partie de lui doute que la jeune femme exige cela. Jusqu’à présent, elle s’est montrée clémente et peu rancunière… Néanmoins, quand Loki a été mouillé de vin, elle a tout de même annoncé à demi-mot ne pas hésiter à lâcher ses chiennes la prochaine fois qu’on l’attaque, elle et ses oiseaux. Surtout ses oiseaux.
Ils sont dans le hall, marchant vers la grande salle quand, de la foule des serviteurs qui s’accumulent silencieusement, surgit une petite fille qui se précipite dans les jambes de la reine pour les serrés, cherchant clairement à l’arrêter. Il y a des exclamations, et c’est triste d’entendre beaucoup craindre qu’elle repousse la petite violement.
Geralt en doute fortement, mais il y a toujours Sélène et Hécate, qui suivent leur maitresse comme une ombre fidèle, qui pourraient prendre ça pour une attaque et y répondre avec leurs crocs. Il veut intervenir avant que quelque chose comme cela n’arrive, mais Julia lâche son bras, pose Loki sur son épaule et s’accroupie, repoussant doucement l’enfant pour la regarder dans les yeux alors que ses chiennes s’arrêtent dans son dos, leur attention tournée vers la foule.
- Sophia, ma chérie, ça va ? Demande la reine en essuyant le visage de l’enfant.
Ses gestes sont délicats, visant clairement à consoler la petite fille, qui répond entre deux sanglots :
- C’est ma f…faute.
Elle lutte visiblement contre ses larmes, mais s’explique en reniflant que son père ne voulait pas qu’elle vienne avec Dara et Ciri, qu’il était très en colère et que c’est pour ça qu’il a donné des mauvaises graines à ses oiseaux.
- Oh, trésor, répond Julia se relevant, soulevant la petite pour la tenir dans ses bras. Tu n’y es pour rien, chérie. Ton papa est énervé contre moi, pas contre toi.
Il y a une femme non loin, qui se tient au bord de la foule, les mains crispées sur sa bouche, visiblement tendue par la peur. Sans doute la mère de la petite. Julia la remarque aussi, et s’approche d’elle, tout en berçant l’enfant pour apaiser ses pleurs. Néanmoins, alors qu’elle n’est plus qu’à un pas d’elle, la femme tombe à genoux, et saisit le bas de sa robe, suppliant pour qu’elle soit clémente, pour sa fille, mais aussi pour son époux.
- Relève-toi, ordonne Julia.
La femme hésite mais obéis, méfiante. Il est évident que ses bras la démangent de lui arracher sa fille, et Julia doit le remarquer son emprise se resserre sur la petite, la calant sur sa hanche d’un mouvement habile.
- Pitié, ose encore supplier la femme. Ma fille est innocente…
Geralt gronde, et veut intervenir pour apaiser les choses avant que la foule ne se décide à libérer l’enfant par la force mais Julia le prend de cours en tendant la fille à sa mère. La petite -Sophia- se laisse passer de bras en bras mais continue de fixer la reine avec espoir. Espoir et non crainte. Geralt espère que d’autres le verront aussi.
- Tout comme l’était mes oiseaux, répond la reine en se détournant pour rejoindre son époux.
Elle saisit son bras et Geralt la laisse faire, la mine sombre, soudain craintif qu’effectivement, Julia réclame la tête de Mathias et ne trouvant aucun autre argument que « ce ne sont que des oiseaux » pour l’en dissuader.
A suivre...
Chapter 21: C’est à se demander qui est jugé, vraiment
Chapter Text
La grande salle a été aménagée pour l’évènement. Toutes les tables et les bancs ont été poussé contre les murs pour dégager un espace assez grand pour accueillir, non pas tout Kaer Mohren, mais une grande majorité de la foule qui a suivi le couple royal, Sophia et sa mère en tête.
A la place de la table des loups se tient maintenant une estrade, pas très haute, mais assez grande pour accueillir plusieurs chaises dont trois dimensionnées comme des trônes, larges, robustes et finement sculptées. Le tout sent encore le Chaos, une sensation similaire à celle qui perdure dans sa salle de bain. Julia suppose que c’est Yennefer qui en est à l’origine.
Son époux la conduit jusqu’à l’un des trois trônes et s’installe sur l’autre. Ils sont assez proche pour qu’ils puissent se pencher l’un vers l’autre et murmurer ensemble. Assez proche pour qu’ils puissent se prendre par la main si l’envi les en prenait.
Ça n’arrive pas, bien sûr. Son époux est silencieux et poli, presque ennuyé d’être là et Julia admet que c’est tout une théâtralité qui l’ennui elle aussi, un spectacle à donner pour la foule, qui lui est si hostile et qui n’acceptera certainement pas qu’on lui rende justice. Néanmoins, dans sa douleur, elle sait que c’est le seul soutien qu’il lui donnera, parce qu’au final, elle n’est que son épouse, et encore… Leur union n’est qu’un mensonge fragile.
Sélène et Hécate s’assoient à ses pieds, tournées vers la foule, sur le qui-vive. Ce ne sont que des chiennes et pourtant, Julia est persuadée qu’elles comprennent tout, ou au moins assez pour penser que leur maitresse n’est pas en sécurité.
Aiden et Shani s’installent sur le côté de l’estrade, rapidement rejoint par Lambert, et les trois gardent la mine grave alors qu’ils parcourent la salle du regard. L’hostilité de la foule est palpable, elle doit être désagréable pour les sorceleurs et leurs sens améliorés.
Ils n’ont pas à attendre longtemps, les prochains à arriver sont le conseil du Loup Blanc et nul autre que Ciri. Pour une fois, la petite a enfilée une robe et elle marche la tête haute. Quand Julia croise son regard, elle est triste de voir la lèvre de l’enfant trembler, Yennefer se penche sur elle et lui murmure quelque chose, mais Ciri l’ignore, care les épaules et continue de marcher vers l’estrade.
Il y a un siège prévu pour elle, un petit trône juste à côté de son père, mais ce n’est pas vers lui qu’elle va dans un premier temps. Non, à la place, elle s’approche de Julia et s’arrête devant elle. Un instant, la reine hésite, peut-être devrait-elle se lever et faire une révérence à la seule véritable souveraine de la forteresse ?
Mais Ciri la prend de court quand elle s’incline. C’est maladroit et trop rapide, mais le geste est là. Comme la vraie princesse qu’elle est, la fille du Loup Blanc est solennelle quand elle lui présente ses condoléances, et Julia les acceptes avec autant de gravité, touchée par l’effort.
Ensuite, Ciri va à sa place et une fois tout le monde installé, les grandes portes s’ouvrent une dernière fois pour laisser entrer le coupable, qui avance sans chaines, la tête haute, presque hautain, escorté par deux sorceleurs. Il s’arrête à quelques mètres de l’estrade, salut le Loup Blanc et son conseil d’un regard, mais n’en a pas un seul pour Julia.
La jeune reine reconnait l’homme, celui qu’elle a croisé dans ses escaliers, qui lui a parlé des graines presque avec agressivité, comme s’il était contrarié par quelque chose, et elle comprend pourquoi maintenant. C’est aussi lui qui a mouillé Loki et le corbeau, sur son poignet, siffle en ébouriffant ses plumes quand Sélène et Hécate fixent leur attention sur lui.
Il y a un moment de flottement, pendant lequel il est évident que personne ne sait ce qu’il doit faire. Dans d’autres circonstances, Julia aurait pris sur elle de détendre l’atmosphère, par un babillage sans intérêt ou avec une chanson. Mais il n’en est rien ici, et finalement, voyant que le Loup Blanc reste silencieux, messire Eskel se lève et approche du bout de l’estrade pour ouvrir le procès, Paco toujours fidèlement perché sur son épaule.
- Bien, fait-il avec un regard pour la foule. Hier matin, pendant le petit déjeuner, la majorité des oiseaux de la reine ont été empoisonné.
C’est étrange pour Julia d’être appelé ainsi. Certes, on lui donne du « altesse » avec plus ou moins de respect depuis qu’elle est ici, mais ce n’est pas pour autant qu’elle se sent être une reine, pas quand depuis son arrivé, on lui fait payer d’être rédanienne avec un irrespect frappant, ni quand on se permet de tuer ses chers protégés.
- Mathias, reprend le sorceleur en fixant son regard sur l’elfe. Reconnais-tu avoir empoisonné la nourriture pour oiseau et l’avoir déposé dans les appartements de la reine dans le but de les tuer.
Fier comme un paon, l’homme se redresse. Il arbore les balafres sur son visage, qui descendent dans son cou et sa nuque et disparaissent sous sa tunique beige, comme un bouclier, et a rasé la partie droite de son crane pour laisser son oreille mutilée visible par tous.
- Je le reconnais, clame-t-il d’une voix forte.
De la foule, jusqu’à présent silencieuse, s’élèvent quelques applaudissement et cris de soutien. Ça fait sourire l’elfe, lui donne peut-être l’élan nécessaire pour ajouter, un sourire mauvais sur le visage :
- C’est dans son thé que j’aurais dû verser le poison !
Il a un mouvement du menton méprisant pour Julia, et la jeune femme pince les lèvres pour s’empêcher de répondre. Si elle s’oblige à rester de marbre devant le mépris de la foule qui siffle et acclame pour la plupart la bravade du serviteur, ce n’est pas le cas de Shani qui s’avance, les bras croisés sur sa poitrine, une expression déterminée sur le visage.
- Et tu l’as fait pour te venger, n’est-ce pas ? Demande-t-elle en le prenant à partie directement. Parce que je pari que c’est en Rédanie que tu as perdu ton oreille, non ? Et que tu as eu tout le reste ?
Julia est sidérée de voir son amie avancer comme ça, parler sans qu’on ne lui ait donner un accord explicite. C’est quelque chose qui aurait été inenvisageable, avant. Mais Kaer Morhen et la liberté ont nourrit le tempérament fort de la docteure, lui donnant le courage de s’immiscer dans un procès qui ne la concerne pas vraiment.
- Oui, admet Mathias quand il voit que personne n’interrompt Shani. Il rajoute avec mépris. Mais une chienne bien dressée comme toi ne peut pas comprendre.
Julia tique, et veut réagir. Elle ne se défend peut-être pas de toutes ses attaques injustifiées, elle ne peut laisser Shani être insulter sans rien dire. Mais avant qu’elle ou n’importe qui puisse intervenir, son amie a un rire moqueur et demande :
- Je parie que tu as fui grâce au réseau du Bécasseau.
Cette fois, Mathias fronce les sourcils, sans comprendre le chemin que prend l’interrogatoire. A en croire les mines curieuses du conseil et même du Loup Blanc, c’est le cas pour eux aussi. Il n’y a que Julia qui voit où elle veut en venir, et son cœur accélère sous le coup de la panique.
- Shani, recule, ordonne-t-elle, espérant la faire taire.
Mais le temps où Shani lui devait obéissance est révolu, pour peu qu’il ait existé un jour, et l’elfe l’ignore, fais quelques pas pour se rapprocher de Mathias et reprend, son regard planté dans celui du coupable :
- Sais-tu que Julia Diane Pancratz de Lettenhove, épouse de feu le prince Radowid…
- Shani, essaye encore Julia en se levant, Loki sautant de son poignet à son épaule d’un geste habile.
C’est peine perdue, Shani poursuit, sa voix portant dans toute la salle :
- …Epouse du Seigneur de Guerre, le Loup Blanc, ta reine…
- Shani s’il te plait… Julia fait un pas en avant, mais c’est trop tard car son amie conclue :
- …Est depuis qu’il existe un soutien essentiel au réseau du Bécasseau ?
Il y a des exclamations de surprise, des sifflets et des cris. On proteste et on s’offusque, exigeant des preuves ou se moquant de la docteure qui doit avoir été trop bien dressée par la rédanienne pour oser sortir ce genre d’idiotie.
Il faut que messire Eskel siffle fort pour attirer l’attention de tout le monde sur l’estrade. Julia entend plus qu’elle ne voit son époux se relever et appeler au silence. Elle n’y prête pas vraiment attention, son cœur bat vite et fort dans ses oreilles, et pendant un instant, elle ne sait plus comment respirer.
Shani ne l’a pas prévenue et Julia se sent piégée : elle n’a toujours pas d’autre preuve que sa bonne foi, et celle de son amie, donc autant dire, rien. Les gens de Kaer Morhen vont la tourner au ridicule, voir la haïr davantage pour avoir osé lancer ce qui leur apparaitra comme un mensonge éhonté et une insulte.
- Julia, appelle le Loup Blanc en posant une main sur son épaule pour l’obliger à se tourner vers lui. Est-ce vrai ? demande-t-il quand leurs regards se croisent.
Dans les yeux d’or liquide comme sur son visage d’albâtre, la jeune femme croit lire quelque chose comme de l’espoir mêlé de confusion et un instant, elle se demande ce qu’il espère réellement. Jusqu’à présent, il ne l’a pas reconnue, elle portait un masque et il était très affaiblie lors de leurs premières rencontres, mais peut-être…
- Oui, mon seigneur. Répond-t-elle en priant pour que cela ne passe pas pour un mensonge.
Ça a l’air de fonctionner, car être le Bécasseau fait qu’elle soutient le réseau après tout. Son époux écarquille les yeux de surprise, un « oh » silencieux tordant sa bouche, puis il semble heureux mais avant qu’il ne puisse parler encore, Yennefer intervient :
- Et pourquoi n’avoir rien dit, altesse ? interroge-t-elle, visiblement méfiante.
Julia tique. C’est exactement pour cela qu’elle voulait garder cela secret. Il y a une vague d’assentiment qui parcoure la foule puis un silence tendu, chacun attendant la justification de la reine. Soudainement, Julia sent que c’est elle qui est jugée, et non l’assassin de ses oiseaux.
- Toi, fait-elle en se tournant vers lui, crois-tu Shani quand elle te dit que je soutiens le réseau du Bécasseau, et me crois-tu quand je dis que c’est vrai ?
L’elfe interpellé croise les bras, son mépris clairement affiché sur son visage balafré. Il refuse de répondre dans un premier temps mais le poids silencieux de l’attention de toute la salle finit par avoir raison de son entêtement et il rétorque :
- La parole de deux chiennes rédaniennes ne vaut rien !
L’un des sorceleurs qui l’escorte le bouscule un peu, dans le but évident de lui rappeler les limites, mais ça n’a pas l’air de le perturber. Julia non plus, qui se tourne vers Yennefer en ignorant totalement l’insulte, pour soupirer d’un ton résigné :
- Voilà pourquoi, dame sorcière.
La femme sans âge acquiesce d’un signe de la tête compréhensif, mais rajoute, toujours méfiante :
- Je suppose que si vous aviez la moindre preuve pouvant vous rattacher au réseau du Bécasseau, vous n’auriez pas gardé cela secret, n’est-ce pas ?
- Si j’avais la moindre preuve, répond Julia en se tenant droite et fière, je me balancerais au bout d’une corde, toute épouse de prince que j’ai pu être.
Ou brûlée vive. Ou décapitée. Ou torturée en place public… La Rédanie a tellement d’imagination quand il s’agit de punir un traitre à la couronne, et Vizimir est particulièrement friand de ce genre de spectacle, qu’il fait organiser assez régulièrement pour le divertir, lui et sa cour…
- Alors il n’y a que votre parole, conclue la sorcière.
Une conclusion qui amène un nouveau vent de huée. La foule est du même avis que Mathias, et scande au mensonge, à l’insulte même, exigeant que Julia soit rabrouée, répudiée et renvoyer en Rédanie sans plus attendre. Il faut un autre sifflement puissant de messire Eskel pour interrompre le flot de colère haineuse et Shani profite du silence qui revient pour reprendre la parole :
- Il y a des preuves, annonce-t-elle. Elles ne sont simplement pas écrites.
- Shani, souffle Julia en s’approchant du bord de l’estrade dans le but de rattraper son amie, ça suffit.
Mais bien entendue, Shani ne l’écoute pas. L’elfe arbore un sourire presque maniaque quand elle reprend, parlant à nouveau assez fort pour être entendu de toute la salle :
- Altesse, parlez-moi des moyens qu’emploie le Bécasseau et son réseau à Tretogor.
Julia se fige, un instant prise au dépourvue. La vague de haine précédente lui a fait mal, assez pour menacer de la faire craquer, elle qui porte déjà le deuil de ses oiseaux, mais la demande de son amie la laisse un instant pantoise. Il faut que Loki, toujours perché sur son épaule, lui mordille l’oreille pour la faire réagir.
La foule la fixe, leurs visages se mêlant dans un fouillis de colère et de circonspection, la haine toujours visible dans le regard de tous ces gens. Quand elle tourne la tête, c’est pour voir le conseil du Loup Blanc, et le Loup Blanc lui-même, certes plus amical, mais tout aussi méfiant que l’a été Yennefer jusque-là. Tous attendent sa réponse, et finalement, la reine soupire et répond, laconique :
- Il est plus simple de faire transiter les personnes en fuite par la capitale car il y a plusieurs tâches dédiées aux esclaves, comme le travail dans les mines proches, qui sont dangereuses. Assez pour que, en soudoyant les bonnes personnes, on puisse les faire croire mort. On ne peut pas toujours le faire, mais cela limite la traque.
Il y a quelques exclamations surprises mais ça n’arrête pas Julia qui poursuit :
- Une fois en ville, le passage privilégier pour la quitter est par les égouts. Explique-t-elle. Il y a en tout dix-sept passages dans Tretogor, qui donnent soit directement sur eux, ou qui demandent de passer par les catacombes, comme c’est le cas pour celui du grand temple par exemple.
Maintenant qu’elle a commencé, Julia ne s’arrête plus et récite ce qu’elle s’est juré de ne jamais révéler, même sous la torture :
- Néanmoins, tous ne sont pas utilisable par le réseau. Six d’entre eux sont totalement contrôlés par les forces du roi, la caserne, le grand temple… Cinq ont leurs accès totalement détruits, ou bloqués par une bête inconnue qui tue qui s’approche. Malheureusement, les sorceleurs ne sont plus les bienvenues en Rédanie pour s’occuper de cela.
La reine a un mouvement de la main pour messire Eskel, qui se tient prêt d’elle et qui la renifle avec assez peu de discrétion, puis conclue :
- Au final, il reste six passages que le réseau utilise de manière aléatoire. Pour des raisons évidentes, je n’en dirais pas plus sur ces-derniers.
Cette fois, la foule murmure encore, mais ce n’est plus la haine précédente. Ici et là, on entend des interrogations, des suppositions… comme si certains étaient prêt à lui accorder le bénéfice du doute. Mais Julia refuse de croire qu’un petit exposé sur les méthodes du Bécasseau et les égouts de la capitale suffise à lui attirer la sympathie de personnes tellement décidées à la détester alors finalement, elle tourne le dos à la foule pour se concentrer sur son époux et son conseil.
- Vous en parlez au présent, altesse, fait remarquer messire Eskel, prêt d’elle.
Un instant, Julia hésite. Elle ne se rappelle que trop bien de son éclat dans les sources chaudes, et la crainte qui a suivi ensuite, qu’elle ressent encore, dans une moindre mesure, comme l’écho de toutes les punitions qu’elle a subi de la main de Radowid. Pourtant, le Loup Blanc n’est pas Radowid et la simple connaissance qu’il ne l’a jamais blessé intentionnellement ainsi que l’envi de le croire quand il dit qu’elle est en sécurité lui donne la force de répondre :
- Pardonnez-moi, messire, dit-elle avec autant de diplomatie qu’elle peut, mais si vous pensez que le roi Vizimir appliquera le traité de paix à la lettre, ainsi que vous l’espérez, vous êtes bien naïf.
Julia tourne son attention sur son époux, qui au lieu de rougir de l’insulte, fronce les sourcils, réfléchissant à ce qu’elle dit. La jeune femme profite de l’occasion en or que lui offre l’intervention de Shani pour annoncer une vérité qu’elle sait par l’intermédiaire d’Heru et d’Horus :
- Les tunnels sont toujours actifs. Le réseau du Bécasseau continu d’aider qui en a besoin.
Il y a à nouveau une vague d’agitation dans la foule, mais cette fois, c’est pour lui donner raison. Certains parlent de leurs proches, d’amis ou de connaissances qui ont franchis la frontière il y a peu, qui disent devoir fuir des persécutions toujours terribles à leurs égards.
Ça laisse le Loup Blanc et son conseil silencieux, surprit comme s’ils découvraient seulement maintenant que le monde, et la Rédanie en particulier, n’est pas honnête. Julia a de la peine pour eux. Elle aurait voulu pouvoir les en avertir plus tôt, et en l’absence d’un public, mais n’a jamais réussi à trouver le moyen de le faire sans s’attirer d’ennui.
C’est chose faite maintenant, et même si cela ne fait pas pencher la balance en sa faveur, au moins, la jeune femme est soulagée d’avoir pu avouer cette terrible vérité, et elle espère que cela fera réagir le Loup Blanc et qu’il demandera des comptes à Vizimir, même si elle ne veut pas d’une autre guerre.
- Menteuse ! Crit Mathias, rappelant que c’est lui qui est jugé et non elle.
S’il n’y avait la réaction inhumainement rapide des sorceleurs, l’elfe se serait jeté sur Julia, les mains tendues, visiblement décidé à l’étrangler. En l’état, il est arrêté et retenu par son escorte, alors que Sélène et Hécate accourent pour s’interposer entre leur maitresse et la menace. Julia ouvre la bouche pour parler, mais avant qu’elle ne puisse dire un mot, son époux avance et se place à ses côtés.
- Si je résume l’affaire qui nous concerne ce jour, fait-il d’une voix profonde, apportant le silence dans la salle, tu as empoisonné les oiseaux d’une femme à qui tu dois possiblement la liberté.
- Loup Blanc, se défend Mathias avec hargne. Elle ne dit que des mensonges. C’est une pourriture rédanienne, elle ne…
Mais l’elfe ravale se paroles et se tait, impressionné par le sorceleur immense qui se redresse, bras croisés sur sa poitrine. Julia elle-même sent sa bouche s’assécher de voir son époux ainsi. Il ne veut peut-être pas du titre de roi, mais il est royal ainsi, et son cœur bat de quelque chose à l’idée que ce soit pour elle et sa défense.
- Tous les sorceleurs ici présent peuvent témoigner que ni Shani, ni la reine Julia ne mentent, explique messire Eskel, annonçant ce que le souverain ne dit pas. Donc ce que tu as fait, et tout ce qui a été fait avant, n’est en rien justifié.
L’étonnement de la foule se fait entendre, rapidement replacer par l’incrédulité, et il faut attendre à nouveau quelques instants pour que le silence revienne. Quand c’est le cas, le Loup Blanc demande, s’adressant à Julia mais ne quittant pas du regard le coupable :
- Quelle punition ma dame épouse demande-t-elle pour cela ?
Le ton solennel du Loup Blanc, qui ne l’a appelé comme cela qu’une seule fois depuis leur mariage, pourrait la faire rire, si l’instant n’était pas si grave. A la place, elle répond, entre tristesse et dépit :
- Que mon seigneur époux soit rassuré, je ne demande pas sa tête. Elle fouille du regard la foule pour trouver Sophia, toujours dans les bras de sa mère, et poursuit : je ne l’ai jamais voulu.
Julia s’avance, descend de l’estrade pour venir se placer à un pas de Mathias, encouragée par la prise ferme des sorceleurs qui le retiennent. Il y a tellement de haine dans son regard, elle sait qu’elle s’adresse à un mur, mais pourtant, elle poursuit :
- J’ai de la peine pour toi, pour ce que la Rédanie t’as fait. Je te pardonne.
Malheureusement, ses paroles compréhensives semblent être de l’huile sur le feu et Mathias se débat vainement contre la poigne des deux sorceleurs, le visage tordu par la haine. Julia soupire, dépitée, puis recule et se retourne vers son époux qui attend toujours qu’elle se prononce :
- Que mon seigneur époux me l’accorde, je ne veux plus le voir.
Le Loup Blanc acquiesce d’un signe de la tête compréhensif, puis décroise les bras pour tendre une main vers elle. Julia s’avance et la saisit, s’y accrochant pour remonter sur l’estrade et se placer entre son époux et son frère sorceleur. Entre eux deux, elle se sent ridiculement petite, mais protégée aussi, une sensation étrange et chaleureuse.
- Le col sera fermé dans quelques jours, une semaine tout au plus. Fait messire Eskel.
- Je ne te bannis pas de Kaer Mohren pour cette simple raison, poursuit le Loup Blanc, gravement. Mais le haut château t’est désormais strictement interdit.
- Si tu es pris en ses murs, fait son commandant.
- Ou à t’approcher de ma dame épouse et de ses bêtes, précise le Loup Blanc.
Messire Eskel grogne son accord avant de reprendre :
- Tu seras jeté par-delà les remparts, qu’importe que le col soit ouvert ou non.
- C’est fait. Conclu le Loup Blanc.
Il y a un grognement général puis l’ensemble des sorceleurs présent acceptent leurs paroles d’un « Loup Blanc » scandé avec force, alors que la majorité de la foule fredonne un accord moins ferme, mais tout aussi valable. Ils ne la croient pas mais font confiance aux sorceleurs en qui ils ont foi. Puis elle se disperse lentement, maintenant que le spectacle est terminé. Entre les gens qui s’éloignent, venant à contre sens, Sophia et sa mère se précipitent sur Mathias pour le serrer contre elles, et Julia se détourne, leur accordant de l’intimité.
Elle se retourne pour trouver l’attention de l’ensemble du conseil du Loup Blanc concentré sur elle. Il n’y a que Ciri qui ne la regarde pas. La petite a été très calme pendant tout le procès, alors qu’elle n’a sans doute pas compris grand-chose de ce qui s’est dit, mais là, elle regarde le sol, les sourcils froncés, comme si elle réfléchissait intensément.
Personne ne dit rien, attendant que la salle soit vide. Shani la rejoint, très fière de son action, et même si elle a pris Julia au dépourvu, et même si au final, les gens ne la croient toujours pas, la jeune femme est contente qu’elle l’ait fait, le cœur soulagé d’un poids qu’elle ignorait porter.
- Alors, fait Lambert en grimpant sur l’estrade pour se rapprocher du cercle qu’ils forment tous. On aide des elfes en cachette, altesse ?
Sous le ton moqueur, il y a quelque chose comme du respect, et ça fait rougir Julia qui baisse les yeux, gênée. Shani se décide à parler pour elle :
- Elle vous l’a dit, quand nous voyagions, le vicomte de Lettenhove est contre l’esclavage.
- Oui enfin, intervient Aiden en venant s’appuyer sur l’épaule du roux qui passe un bras dans son dos pour le stabiliser. Entre être contre et faire partie d’un réseau clandestin, il y a un monde.
- Les chats ne font pas des chiens ! Réplique Shani, amusée. Ou des loups !
Il y a quelques rire, on continue de filer la blague tout en abordant le réseau, mais Julia ne les écoute pas, son attention entièrement tournée vers son époux. Le grand homme semble lui-même peu attiré par tout ce qui se dit, se contentant de la fixer, sourcils froncés, une question muette dans le regard. Julia se demande s’il va lui demander, pour cette première fois, s’il se doute que c’était elle tout en étant craintive de devoir admettre son ascendance non-humaine.
Le Loup Blanc ouvre la bouche, prêt à poser cette question qui a pris le temps de mûrir dans son esprit, mais est interrompu par sa fille qui demande d’une voix claire, s’adressant directement à lui :
- Geralt, si le col est bientôt fermé, comment est-ce que je vais rentrer à Cintra ? Tante Yen va ouvrir un portail malgré les protections ? Quand ?
Prit complètement au dépourvu, l’ensemble des adultes se tait et finalement, acculé, le Loup Blanc se racle la gorge et s’avance pour soulever la petite dans ses bras.
- Ciri, il faut que je te parle. Commence-t-il, solennel.
A suivre...
Chapter 22: Le doute, toujours le doute...
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Il y a un coup léger à la porte, si léger, que si Geralt n’était pas un sorceleur, il ne l’aurait pas entendu. Un instant, il hésite à se lever. Ciri ne dort pas contre lui, mais elle est enfin calme, et il ne veut pas déclencher une nouvelle crise de larme en s’éloignant.
On toque encore, et il entend, de l’autre côté du pan de bois, Julia murmurer, comptant visiblement sur les facultés améliorées de son époux pour être entendue :
- Je m’excuse de vous déranger, mon seigneur, mais j’ai un présent pour la princesse qui pourrait peut-être l’aider.
Geralt soupèse l’idée. Ciri ne pleure plus, mais elle sent toujours les larmes et la tristesse. C’est terriblement douloureux pour le sorceleur qui ne sait pas comment l’apaiser. Même Loup, qui est allongé de l’autre côté de l’enfant, pleurniche de temps en temps, aussi désemparé que lui.
Finalement, il se lève doucement, murmurant à sa fille qu’il revient, et va ouvrir la porte à son épouse qui s’était tournée pour partir, croyant qu’elle n’aurait pas de réponse.
- Pardon, fait-elle avec une petite révérence, je ne voulais pas déranger.
Aujourd’hui, elle porte une robe vert sombre et des bijoux d’émeraude. Le châle de dentelle noir recouvre encore ses cheveux et ses épaules, dont une est occupée comme toujours par Loki, alors qu’elle tient contre son ventre un paquet de tissu bleu et gris. Derrière elle, Coen, Sélène et Hécate l’escortent comme toujours.
Geralt ne répond rien, se contentant de s’écarter en une invitation silencieuse. Julia ferme la bouche sur toute parole qui auraient pu fleurir dans son esprit et passe le seuil de la porte. Aussitôt, son regard parcourt la pièce, un salon presque aussi spartiate que le sien quand elle est arrivée, sa monotonie de pierre nue coupée uniquement par des râteliers portant plusieurs sortes d’armes différentes, une table et un canapé devant la cheminée.
Un instant, le sorceleur ressent quelque chose comme de la honte, il sait que ses quartiers n’ont rien de somptueux, et qu’ils ne devraient pas convenir à un Seigneur de Guerre, empereur du nord et à tout le décorum qui accompagne ses titres ronflants, puis il se redresse, parce que sa simplicité fait qu’il est proche de ses gens et c’est quelque chose dont il est fier.
Bien entendu, Julia ne commente pas, se contenant de demander si elle peut voir la princesse. Geralt lui montre la porte de la chambre, restée ouverte, et la jeune femme s’y rend, cognant contre le chambranle pour demander la permission d’entrer.
Geralt la suit, mais reste sur le seuil de la pièce, observant son épouse entrer et venir s’asseoir sur le bord du lit. Elle a une caresse pour Loup, qui remue brièvement la queue, avant de porter son attention sur la princesse immobile.
Ciri est réveillée, Geralt le sait au bruit que fait son cœur et à la vitesse de sa respiration, mais elle ne réagit pas quand Julia l’interpelle. Son épouse ne semble pas surprise, et au lieu d’insister pour avoir une réaction, elle demande, un peu timidement :
- Princesse, m’autoriserez-vous à faire une entorse à l’étiquette ?
Julia est patiente, et attend que Ciri, intriguée par la demande, réagisse enfin, après une longue minute sans mouvement. La petite se redresse, ses gestes sont lents, et acquiesce d’un signe de la tête. Immédiatement, la reine repousse le tas de tissu qu’elle a apporté pour tendre les bras et attrapée l’enfant sous les bras.
- Oh, ma chérie, fredonne-t-elle en la tirant sur ses genoux. Je suis désolée pour toi.
Les larmes reviennent chez Ciri et Geralt se tend. Il ne veut pas que sa fille soit bouleversée une nouvelle fois, mais avant qu’il ne puisse intervenir, Julia la sert contre elle et la berce, fredonnant la berceuse qu’elle lui a demandée le premier soir.
Ciri se sert contre elle, se laisse bercée et pleure à nouveau, mais ce ne sont plus les sanglots d’avant alors Geralt laisse faire, à la fois mal à l’aise et apaisée de les voir toutes les deux si proches. Une fois encore, il songe qu’une autre n’aurait que du mépris pour la petite princesse de Kaer Mohren et l’ombre qu’elle pourrait faire sur elle.
Mais Julia n’est pas jalouse. Elle n’est pas rancunière. Elle n’est pas hautaine. Elle n’est rien de ce qu’ils attendaient tous d’elle. Non, à l’inverse, elle est courageuse, assez pour s’impliquer dans un réseau de résistances qui l’aurait conduit à la potence si ça s’était su. Assez gracieuse pour pardonner à celui qui a tué ses oiseaux. Assez douce pour essuyer les larmes d’une petite fille qu’elle connait à peine.
Quand la chanson est terminée et que les larmes sur les joues de Ciri se sont apaisées, Julia reprend le tissu qu’elle a apporté et le pose sur les genoux de la fillette qu’elle tient contre elle. Son épouse semble un peu hésitante mais finalement, elle explique :
- Avant d’épouser ton père, j’ai été mariée à un prince.
Ciri ne regarde pas le tissu sur ses genoux, elle regarde fixement le visage de Julia et demande d’une petite voix enrouée par les pleurs :
- C’est lui qui t’a regardé ?
Geralt entend clairement le cœur de Julia rater un battement, et il fronce les sourcils, lui-même mal à l’aise. Bien entendu, Yennefer lui a parlé de l’aveu masqué qu’elle avait fait à la princesse (sans préciser son âge), et lui-même a assez justement deviner la terrible épreuve de son épouse lors de son éclat aux source chaudes, mais il n’est pas certain qu’il veuille une confirmation.
Julia se gratte finalement la gorge et décide d’ignorer la question, reportant son attention sur le tissu qu’elle observe, jouant avec d’une main distraite.
- Il y a eu beaucoup de rois et de reines présent à mon premier mariage. Et notamment la reine Calanthe de Cintra.
La surprise se dessine sur le visage de sa fille qui commente :
- Tu as rencontré grand-mère ?
Julia acquiesce, puis raconte, un sourire aux lèvres :
- J’avoue avoir été… elle cherche ses mots puis conclu : intimidé par ta grand-mère, ma chérie. Calanthe peut être… impressionnante.
Il est évident que Julia cherche ses mots, ne voulant pas critiquer la grand-mère de Ciri même si, au regard des dernières révélations sur Julia et de la politique profondément raciste de Cintra, les deux femmes ne se seraient probablement pas entendues. Son épouse exagère un frisson, et ça fait rire Ciri qui raconte avec énergie :
- Les serviteurs osent pas entrer dans la chambre de grand-mère, mais moi je vais toujours la réveiller le matin pour qu’on mange ensemble. Je lui apporte une brioche chaude et alors, elle crie pas.
Le sourire de Ciri se fane alors que son regard se baisse tristement. Les larmes reviennent alors qu’elle réalise que c’est quelque chose qu’elle ne pourra plus jamais faire. Geralt sent son cœur se serrer de culpabilité alors qu’il s’en veut d’avoir dû annoncer cette perte à sa fille, et de colère contre Nilfgaard pour avoir été l’instrument de ce drame.
- Elle était très gentille en vérité, reprend Julia pour ramener Ciri vers elle. Elle a été… très douce avec moi.
Cette fois, c’est le regard de Julia qui se perd un instant, et Geralt se doute que le souvenir qui la happe n’est pas joyeux. Il a compris bien assez de son histoire pour deviner ce qu’il en est, et il hésite à intervenir. Au final, il n’a pas à le faire car la jeune femme se reprend, et soulève le tissu pour le montrer à Ciri :
- Elle m’a offert cette étole, aux couleurs de son pays. Regarde, dit-elle en pointant un motif brodé en particulier, c’est le lion de Cintra.
Ciri suit son regard et saisit le tissu à deux mains pour regarder de plus prêt. Elle sourit quand elle reconnait l’animal, et décide de le déplier pour le regarder en entier. L’étole est trop grande pour elle, bien entendue, mais Geralt n’est pas surpris par ce que dit Julia ensuite :
- Je voudrais te le donner, ma chérie. Ce n’est pas grand-chose, mais j’espère qu’avoir un petit bout de chez toi ici te consolera, au moins un peu.
Pendant un moment, Ciri ne dit rien, concentrée sur le tissu qu’elle déroule et observe. Puis finalement, elle le prend contre elle avant de se serrer contre Julia qui répond à son étreinte, la berçant à nouveau, une autre berceuse quittant doucement ses lèvres, entrecoupant ses paroles par des baisers et des caresses.
Geralt les regarde, le cœur étrangement léger, alors qu’il a enfin le temps de penser au procès et surtout à tout ce qui a été dit. Jusqu’à présent, il était accaparé par Ciri et la triste annonce de la disparition de sa famille mais aussi de tout son pays. Mais maintenant que Julia est là, à s’occuper de sa fille avec une douceur pas si surprenante si on la connait un petit peu, il y réfléchit enfin.
Rien ne s’est passé comme prévu. Ils ont compris depuis un moment que Julia n’était pas une princesse classique, mais de là à ce qu’elle fasse partie du réseau du Bécasseau ? Ça devient presque logique quand on la connait, quand on voit comment elle remercie les serviteurs sans distinction entre ceux qui ont les oreilles pointues et les autres. Quand on sait qu’elle apprend à lire et compter à tous les enfants qui se présentent dans sa classe équitablement, leur distribuant par moment des denrées rares et chères.
Le doute lui revient, encore. Il avait pensé pendant le voyage que toutes ressemblances entre Julia et la fée du Bécasseau n’étaient que fortuites, qu’il y avait trop de nobles blondes aux yeux bleus et que le hasard était trop grand pour que de toutes les princesses, ce soit elle justement qui lui soit proposé en mariage. Mais maintenant, le doute revient, et Geralt ne sait pas quoi faire.
Il a besoin d’en parler à quelqu’un.
ooOoo
Eskel ne vient pas lui ouvrir quand il toque à sa porte quelques soirs plus tard, mais l’invite à entrer d’une parole, ce que Geralt fait sans protester, devinant que son frère doit être occupé. Et effectivement, il trouve son commandant installé dans un fauteuil confortable, devant la cheminée, Paco lové contre lui, alors qu’il lit à voix basse un livre de poésie.
Si Lambert était là, sans doute serait-il moqueur du grand sorceleur qui se laisse aller, non seulement à lire de la poésie, mais en plus pour un oiseau qui roucoule à son oreille, juste heureux d’être avec lui. Heureusement, Geralt n’est pas comme ça, et il se contente de s’installer sur un autre fauteuil, en face de lui.
Entre eux deux se trouve une petite table de bois, déjà recouvertes de plusieurs livres. Certains, il le sait, appartiennent à Julia. Son épouse et Eskel ont une passion commune pour la littérature et s’échangent régulièrement des lectures pour pouvoir les commenter ensuite. Geralt les repousse doucement, dégageant assez d’espace pour poser deux verres et la bouteille de Mouette Blanche qu’il a apporté.
- Hum, commente son frère, c’est pour ça.
En parlant, il ferme son livre et se redresse, prenant soin de ne pas déranger Paco.
- Comment va Ciri ? Demande-t-il en prenant le verre que Geralt lui sert.
- Hum.
Les cours n’ont pas encore repris pour Ciri. Tout le monde l’a vu se promener dans la forteresse emmitouflée dans une étole trop grande pour elle. La petite passe son temps partagée entre Julia et sa musique, et Yennefer et sa magie, les deux femmes se pliant en quatre pour la consoler.
Eskel est perspicace. Bien que ce soit lui qui a été choisi pour subir deux fois les Epreuves des Herbes, Geralt pense que son frère est le meilleur des sorceleurs, le plus intelligent c’est certain, car il comprend vite que ce n’est pas sa fille qui le préoccupe ce soir.
- Et comment va ta femme ? Demande-t-il innocemment.
- Hum.
Eskel a un petit rire, les secousses dérangent Paco qui lui mordille l’oreille en réponse avant de descendre de son perchoir pour s’installer sur les genoux du sorceleur. Sans regarder, l’homme pose son livre parterre et profite de sa main libre pour le caresser.
- Tu sais, dit-il un peu moqueur, même si ça fait des décennies qu’on se connait, il va me falloir des mots si tu veux que je t’aide.
- Hum.
Geralt lève son propre verre et le bois d’une traite. La boisson est forte, riche en épice et amer. Elle vient d’une vieille cuvée de Lambert, distillées plusieurs hivers plus tôt et presque oubliée depuis. Il comprend pourquoi, elle n’est pas très bonne. Mais elle fera l’affaire ce soir.
- Tu te souviens, commence Geralt, décidé à tout raconté depuis le début, la dernière fois que j’ai parcouru le Chemin ?
- En Rédanie, acquiesce Eskel. Je me souviens surtout de la soufflante de Triss et Yen à ton retour.
Le souvenir de la colère des deux sorcières fait grogner Geralt. Aujourd’hui encore, il trouve que c’était exagérer parce que, soyons honnête, il est sorceleur : c’est le propre de leur profession d’être blessé au combat, même de mourir sous les griffes d’un monstre, mais ça n’était pas une bonne justification. Pire, les cris avaient doublé après qu’il ait dit ça.
- Une cocatrix, rappelle Geralt. Pendant le combat, commence-t-il, hésitant, j’ai… j’ai perdu mes fioles.
Eskel fronce les sourcils, réfléchissant à ce que son frère lui dit. Geralt a été évasif sur le sujet à son retour, disant qu’il avait été empoisonné et avait eu besoin de soin et de repos avant de pouvoir rentrer, ce qui justifiait son retard d’alors.
- Mais… comment n’es-tu pas mort ? S’inquiète Eskel.
Geralt hésite encore, prend le temps de se resservir et de finir son verre pour réunir ses pensées. Son frère le connait bien, et le laisse faire, sirotant sa propre boisson plus lentement.
- J’ai perdu connaissance en sortant des égouts, dans la cave de la taverne. Quand je me suis réveillé… elle était là.
- Qui était là ? Insiste Eskel.
Mais Geralt secoue la tête négativement et répond :
- Elle ne m’a pas dit. Pour notre sécurité à chacun, elle n’a pas voulu me donner son nom, et a fait comme si elle ne m’avait pas reconnu.
Les deux sorceleurs échangent un regard entendu : il y a assez d’histoires, de rumeurs et de mensonges sur lui mais, tous les récits concordent sur sa description, et il est de fait, assez facilement reconnaissable.
- Elle portait un masque mais ses habits étaient riches, explique encore le Loup Blanc. Je sais juste qu’elle était blonde aux yeux bleus, rajoute-t-il en fixant le fond de son verre vide. Et jeune.
- Julia ? Comprend Eskel en tendant la main vers la bouteille pour les resservir tous les deux.
- Hum.
- Si c’était elle, poursuit son frère, peu dérangé par ses monosyllabes, pourquoi n’a-t-elle rien dit ? Sans doute n’aurait-elle pas oublié une rencontre pareille, et c’est une preuve bien plus édifiante qu’une liste des points de passage secret de Tretogor.
Geralt grogne son accord : si effectivement, Julia est celle qu’il l’a aidé, faire le récit de cette rencontre que seul elle et lui connaissent lui donnerait tout le crédit dont elle a besoin pour se faire enfin accepter des gens du nord. Mais le sorceleur sait pourquoi elle ne dit rien, si effectivement c’est elle.
- Celle qui m’a aidé, reprend-t-il en savourant le bourdonnement chaud de l’alcool dans son ventre, elle n’était pas humaine.
Eskel fronce encore les sourcils, mais ne dit rien, attendant que Geralt poursuive son récit, ce qu’il fait, le regard perdu sur les flammes de la cheminée toute proche :
- Elle utilisait une magie, ce n’était pas le Chaos. C’était… différent. Plus… naturel. Je ne sais pas. C’était… je n’ai jamais entendu parler d’une magie pareille…
- C’était du Chaos, le coupe Eskel. Du Chaos d’avant la conjonction des sphères, avant que les monstres ne soient lâchés sur le continent et ne ternissent la magie.
Geralt le fixe, surprit sans l’être vraiment : Eskel est le plus intelligent de tous et cultive son savoir par des lectures variées, allant de traités ennuyeux sur des plantes obscures à des romans d’amour niais et sans intérêt aucun pour un sorceleur.
- Je n’ai fait que lire quelques lignes là-dessus, Geralt, poursuit-il en se penchant vers lui. Mais les créatures capables de l’utiliser…
- Bon ou mauvais ?
La question lui vient soudainement, mais il n’a pas vraiment envie de connaitre la réponse, surtout si elle va à l’encontre de ce qu’il pense. Eskel doit le comprendre parce qu’il hausse les épaules sans savoir :
- Les récits sont rares et flous. S’excuse-t-il.
Geralt grogne, à la fois soulagé et déçu de ne pas avoir de confirmation de ce qu’il croit : à savoir que celle qui l’a aidé, qui prend le risque de sortir de sa petite vie de noble pour venir au secours de non-humains persécutés et d’un foutu sorceleur, ne peut être que bonne.
- C’était une fée, reprend-t-il finalement.
- Une fée ?! Répète Eskel, surprit.
- Elle le cachait mais à fait tomber son sort pour me montrer quand je lui aie dis que je n’avais pas confiance.
Eskel a une excellente mémoire, il ne lui faut quelques secondes pour réaliser :
- Tu as demandé si Julia pouvait être une fée quand on en a parlé, à Vespaden.
Il y a quelque chose comme de la trahison dans le ton de voix de son frère, mais Geralt ne s’inquiète pas outre mesure, sachant qu’il sera compréhensif envers lui, et qu’il ne lui montrera aucune rancune d’avoir caché la vérité. D’ailleurs, son frère poursuit, réfléchissant à voix haute :
- Ça expliquerait son lien avec les animaux, c’est certain. Mais une fée ? Elles sont si rares… Et les récits ne sont pas à leurs avantages.
Geralt grogne, il sait pourquoi il n’a rien dit, il connait les bestiaires lui aussi.
- Toutes ne sont pas mauvaises, gronde-t-il.
L’espoir s’entend dans sa voix, alors il préfère se cacher derrière son verre qu’il vide à nouveau, détendu par le bourdonnement chaleureux de la boisson dans son ventre qui s’étend doucement dans sa poitrine.
- C’est vrai, admet Eskel. Mais elles sont si rares… Pourquoi se ferait-elle passer pour une noble rédanienne ?
- Métisse.
La compréhension se dessine sur le visage d’Eskel, et Geralt acquiesce d’un mouvement de la tête.
- Julia a dit que son père était tombé éperdument amoureux de sa mère, rappelle Geralt. Et qu’elle n’était pas noble.
- Et on sait que certaines races de fée peuvent être enjôleuses pour les hommes, commente Eskel en vidant son verre.
Les deux sorceleurs se taisent, savourant leurs boissons tout en méditant sur ce qu’ils s’étaient dit. Dans leurs esprits, une histoire se dessine à partir de leurs suppositions, celle d’un petit vicomte qui rencontre une fée et l’aime, assez pour en faire sa femme, pour lui faire un enfant, celle d’une petite fille bâtarde de deux races qui en grandissant rencontre la mauvaise personne, celle de la princesse qui met son pouvoir au bénéfice des plus démunis.
- Tu dois lui parler, finit par dire Eskel en posant son verre vide à l’envers.
Geralt grogne, prend la bouteille et se sert encore. Il savait que c’était la finalité de la conversation parce que c’est bien beau d’émettre des hypothèses et de débattre de leurs véracités, la seule façon de savoir la vérité est de confronter Julia.
- Si jamais elle est une fée, reprend Eskel mais il est interrompu pas Geralt :
- Aucun mal ne lui sera fait. Dit-il fermement. Si effectivement, elle est la fée du Bécasseau, alors elle n’est pas mauvaise.
Eskel le regarde, le regard brillant d’amusement, mais au lieu de se moquer, il rajoute :
- Même si elle ne l’est pas, elle n’est pas mauvaise.
- Julia gentille, confirme Paco avec assurance.
- Hum, grogne Geralt, décidé à parler à son épouse lorsqu’il la verra, le lendemain matin.
ooOoo
Le lendemain matin, Geralt n’a pas l’occasion de confronter Julia. Toute idée d’une conversation civilisée avec elle disparait, consumée par une colère terrible quand il prend connaissance de la missive qui leur est parvenue de Rédanie, signée par le roi Vizimir lui-même, et qui offre de consolider la paix entre leurs deux pays par un second mariage entre son fils, Radowid II et « la princesse Ciri de Kaer Mohren ».
Chapter 23: Elle est coupable, jusqu’à preuve du contraire
Chapter Text
Julia se promène sur les remparts intérieurs de la forteresse en ce matin sombre et froid de la fin de l’automne. Il y a eu un redoux après le premier épisode de neige mais maintenant, il fait froid et humide, une bruine fine ne cesse de tomber depuis plusieurs jours et le ciel est d’un gris déprimant.
Sélène et Hécate flânent devant elle, faisant leur tour habituel, indifférentes aux sorceleurs qu’elles croisent, alors qu’Aiden marche à ses côtés, lui racontant sa première chasse, quand il était fraichement devenu un sorceleur de l’école du chat.
Depuis le procès, les choses n’ont pas vraiment changé pour la reine. Les serviteurs gardent leurs réserves, comme s’ils attendaient la preuve irréfutable que ce qui avait été annoncé ce jour-là était vrai, quant aux sorceleurs, ils ont toujours été polis envers elle.
Aussi, ni Julia, ni ses chiennes ne se méfient de voir Lambert courir vers elle. Il porte son armure et ses deux lames dans le dos alors que son visage n’exprime que la colère. La jeune femme cesse de parler, surprise et inquiète, devinant qu’il se passe quelque chose de grave. Quand il arrive à sa hauteur, elle demande :
- Que ce p…
- Silence. La coupe-t-il brutalement. Vous êtes en état d’arrestation pour haute trahison.
En parlant, il tend le bras pour saisir celui de Julia et la tirer vers lui sans douceur mais c’est sans compter sur ses chiennes, alertées par le petit cri douloureux de leur maitresse. De concert, elles se précipitent et sautent, tout crocs dehors.
Lambert lâche Julia, surprit quand Sélène referme sa mâchoire sur son bras, pour repousser la chienne, la jetant sur Hécate qui accoure pour se battre elle aussi. Sans attendre, le sorceleur dégaine son arme et Julia, qui a trébuchée contre le mur du rempart quand elle a été repoussée crie de panique :
- Non ! Ne leur faites pas de mal !
Mais Lambert a un sourire mauvais, se contentant de faire tourner sa lame dans une menace silencieuse qui ne dissuade pas les animaux. Quand elle se précipitent à nouveau, il est prêt à les accueillir, et à les tuer.
- Calme ! ordonne Aiden en formant le signe d’Axii.
Le chat s’est placé entre Julia et Lambert, et le poids de sa magie suffit à arrêter les chiennes qui s’immobilisent aussi rapidement qu’elles ont attaquées. Lambert tique, visiblement déçu, puis rengaine son arme.
Faisant confiance à son camarade sorceleur pour s’occuper des animaux, le loup reporte son attention sur la reine. Sans un mot, il lui saisit à nouveau le bras pour la tirer sans délicatesse dans la forteresse et Julia, trop choquée, se laisse malmenée jusqu’à ses propres quartiers où il la repousse avec la même rudesse.
Ses quartiers… sont sans dessus-dessous. Les livres qu’elle a gardé dans son salon sont répandus au sol, leurs couvertures arrachées. Le peu de meuble qu’elle a est renversé, ses instruments de musique aussi, et quand elle se redresse, c’est pour accueillir ses oiseaux, Heru, Athéna et Loki. Leurs plumes sont ébouriffées, ils sautent et piaillent, nerveux, mais Julia ne les regarde pas, son attention attirée par sa chambre.
La porte ouverte lui permet de voir qu’elle a été aussi retournée que le reste de l’appartement, le matelas éventré, les tiroirs de sa table de nuit arrachés mais surtout, surtout, son secrétaire détruit. Julia s’approche, tremblante, le regard brouillé de larmes, et se laisse tombée à genoux devant la ruine de bois.
Ses tiroirs se fermaient à clé, et la clé était dans la table de nuit. Mais celui qui a fait ça n’a pas cherché à comprendre, n’a pas réfléchit, se contentant de massacrer chaque façade peinte pour accéder à son contenu. Il est allé jusqu’à briser les pieds délicats, sans doute à la recherche de rangements caché.
Tous ses parchemins ont disparu. Ses cahiers de cuire relier, Jaskier, aussi. Il ne reste que ses flacons d’encres renversés et même ses trois plumes de cocatrix, celles que son époux lui a offert sans le savoir, sont brisées.
Dans son dos, Julia entend le pas annonciateur de ses chiennes. Un pas si calme et régulier, qu’elle n’a pas besoin de sentir la magie pour savoir qu’elles sont toujours sous l’emprise terrible de l’Axii d’Aiden. Ça devrait l’inquiéter mais pour le moment, elle ne peut penser qu’à son secrétaire.
- C’est ma mère qui me l’avait offert, explique-t-elle la voix chancelante de larme.
Elle tend la main et saisit un morceau de bois sur lequel est dessiné un bouquet de fleurs sauvages, presque laissé intacte :
- C’est elle qui l’avait peint.
Julia se parle à elle-même, la mémoire envahis par le souvenir heureux de sa mère, quand sa vie était celle d’une petite fille innocente. Le souvenir est d’autant plus douloureux que tout est détruit maintenant, perdu à jamais.
- J’étais avec elle.
Il y a un raclement de gorge dans son dos, quelqu’un essaye d’attirer son attention, mais Julia ne l’entend pas, perdue dans son souvenir. Du bout du doigt, elle caresse un bouton d’or, une petite fleur maladroite et tordue, quand toutes les autres sont nettes et belles.
- Je me souviens encore du poids de sa main sur la mienne pour me guider.
Aujourd’hui, Julia a un geste similaire pour Ciri, Dara ou Sophia parce que c’est elle qui enseigne maintenant. Mais à l’époque, c’était sa mère qui était douce et prévenante, patiente et pédagogue, la félicitant pour cette petite fleur imparfaite comme si elle venait de créer un chef-d’œuvre.
- Julia.
Finalement, les larmes quittent ses yeux quand elle ferme les paupières pour ne plus voir le massacre alors que ses doigts tremblants laissent échappés le morceau de bois qu’elle tenait. On l’appelle encore, plus fermement, alors elle finit par mettre de côté sa douleur, retrouvant un vieux réflexe qu’elle a appris à Tretogor, renfilant le masque de la petite princesse parfaite et soumise.
Sans se relever, elle se tourne vers l’entrée de sa chambre dans laquelle se tient nul autre que son époux. Il est grand, menaçant même, à se tenir là, en armure de cuir clouté, les bras croisés, le visage fermé, les yeux brûlant de colère. Julia comprend qu’il ait réussi à faire taire Mathias d’un regard lors du procès, elle sent elle-même la peur bouillir dans son ventre et avant même d’y réfléchir, elle s’agenouille, plus bas qu’elle ne l’a jamais fait pour Radowid.
Il jette devant elle l’un de ses carnets de cuire, le dernier qu’elle a utilisé, qui est presque plein de récit de chasse aux monstres et de chanson à la gloire des sorceleurs. Sa couverture de cuire rouge est marquée d’un « J » stylisé.
- C’est toi, Jaskier, n’est-ce pas ?
Il pose la question, mais elle est rhétorique parce que tout est écrit là, dans son calepin, et dans tous les autres qu’ils lui ont pris alors, au lieu de confirmée, Julia reste écrasée contre le sol, le front contre la pierre froide, et s’excuse.
- Pardonnez-moi, mon seigneur. Je vous assure que je n’ai rien écrit qui puisse vous faire honte, je ne le voudrais pas. Je m’excuse de ne pas vous l’avoir dit, je…
Elle ne sait pas s’il l’entendu, ou s’il se fiche d’elle et de ce qu’elle dit, parce qu’il poursuit son interrogatoire, intransigeant :
- Julia, où est ton faucon ?
Il ne parle bien entendu pas d’Heru, qui paille avec Loki et Athéna dans le salon. Melitele en soit remerciée, ses oiseaux savent mieux que d’intervenir, bien dressé par Radowid autrefois.
Julia pince les lèvres, relève le buste mais garde la tête basse, n’osant pas faire plus, espérant inconsciemment qu’en restant au sol, la punition sera moins terrible, même si elle ne sait pas pourquoi elle est punie. Bêtement, elle songe qu’elle ne porte ni la bonne robe, ni le bon corset.
- Où est ton faucon ? Insiste le Loup Blanc d’un ton menaçant.
Julia sait qu’elle ne doit pas mentir, face à un sorceleur, ça ne servirait à rien. Mais même si elle ignore la raison de l’ire de son époux, elle devine que la vérité ne fera que l’alimenter aussi doit-elle s’y reprendre à deux fois pour réussir à articuler tout bas :
- En Rédanie, mon seigneur.
Le sorceleur ne semble pas surprit de la réponse, et demande encore, comme s’il cherchait confirmation de quelque chose qu’il savait déjà :
- Et que fait-il en Rédanie ?
Julia a le regard fixé sur les bottes de son époux, les comparant silencieusement à celle de Vizimir. Elles sont plus simples, d’un cuire noir robuste et taché de boue. Quelque chose de solide et fonctionnel, pas pour l’apparat comme l’apprécie tellement son ancien souverain, mais pour le combat et la guerre.
- Il porte un message, avoue-t-elle dans un souffle.
C’est étrange comme le destin la pousse toujours à devoir se soumettre comme ça. Elle n’avait pas voulu y croire, quand Shani lui disait qu’elle pouvait avoir confiance, mais les derniers évènements avaient permis à l’espoir de forcer la porte de son cœur. Et maintenant…
- A qui porte-t-il un message ? Poursuit le Loup Blanc, sans pitié.
Julia a envie de pleurer, de rire et de crier tout en même temps. C’est un chaos d’émotion qu’elle cache habilement derrière son masque de princesse, assez bien pour que sa voix reste ferme et presque neutre quand elle parle :
- Aux Scoia’tael, mon seig…
- Menteuse, la coupe-t-il, mauvais. A qui écris-tu ?
Le cœur de Julia manque un battement douloureux quand la peur prend le pas sur tout autre émotion : si dire la vérité ne convainc pas le sorceleur impitoyable devant elle, comment pourra-t-elle s’en sortir ? Peut-être doit-elle être plus précise ?
- A Gallatin, chef des Scoia’tael, insiste-t-elle.
- Menteuse ! Accuse encore le Loup Blanc.
Il fait un pas vers elle, menaçant, et Julia s’écrase au sol, anticipant une claque ou tout autre coup, gardant ses mains cachées contre son ventre, effrayée à l’idée qu’il pourrait les écraser sous sa grosse botte tâchée de boue.
- Je ne mens pas, mon seigneur, s’écrit-elle, paniquée.
Il s’accroupit et elle se sent engloutie par l’ombre menaçante de son gros corps. Et c’est étrange comme les choses se répètent, assez pour que quand il lui saisit les cheveux pour la redresser, ce ne soit pas une surprise pour Julia, la douleur la ramenant à une autre époque, devant un autre homme pendant un court instant.
- A. Qui. Ecris. Tu ? insiste-t-il en articulant chaque mot, son regard brûlant de colère plongée dans celui de Julia.
C’est comme cette première fois, quand il a refusé de la punir. Julia se sent tellement dépassée par ses émotions qu’elle a l’impression que c’est à une autre femme qu’il tire actuellement les cheveux, et sa voix reste étrangement calme quand elle répond la seule chose qu’elle puisse répondre :
- A Gallatin, mon seigneur, chef des Scoia’tael.
Le Loup Blanc n’est pas convaincu et Julia croit qu’il va la frapper. Mais au lieu de cela, il la repousse, se relève et tape plutôt dans le mur. C’est impressionnant, la pierre craque, se fissure même là où le poing l’a touché et la jeune femme sait qu’il l’aurait tué s’il s’était défoulé sur elle.
- Geralt !
C’est messire Eskel, depuis le salon, qui interpelle le Loup Blanc, visiblement inquiet, comme s’il essayait de le retenir. Julia se demande s’il le peut vraiment, ici, dans cette forteresse au protocole si pauvre, ou le conseil tutoie son roi.
- Si ce n’est pas elle, alors qui ? S’écrit son époux, furieux.
Ça ne fait pas reculer messire Eskel, mais il ne s’approche pas non plus, et Julia tremble de terreur une nouvelle fois quand son époux revient vers elle, s’accroupissant à nouveau pour mettre son regard à sa hauteur. La main qui a frappé le mur saigne, mais l’homme ne s’en préoccupe pas, se fiche de tâcher la peau de Julia quand il passe ses doigts sur sa gorge. Il ne sert pas encore, mais la menace est là.
- Si ce n’est pas toi, alors qui ?
Julia tremble, terrorisée. La main sur sa gorge pourrait tout aussi bien être une corde au bout de laquelle se faire pendre. Elle ferme les yeux et déglutit pour ne pas voir le visage tordu de rage du Loup Blanc, tout proche du sien.
- Qui ? insiste-t-il alors qu’elle ne comprend pas.
Il va serrer, c’est certain. Son cou est si fin dans sa grande main, comme un cou d’oiseau. Elle repense à sa perruche, Jeanne, que Radowid a étranglé comme elle va l’être bientôt, et étrangement, l’idée de sa mort proche l’effraie moins que l’homme devant elle, alors qu’elle n’a jusqu’à présent jamais eut l’envie d’en finir.
- Geralt, calme-toi, fait la voix de messire Eskel, tout proche.
La poigne s’éloigne, l’homme aussi, et, comme elle n’est pas morte, Julia rouvre les yeux pour voir les deux sorceleurs proches, messire Eskel tenant le Loup Blanc, front contre front, une main ferme sur sa nuque. Il murmure, assez fort pour que la jeune femme comprenne :
- Tu n’arriveras à rien si tu la terrorise.
Le Loup Blanc accepte et inspire profondément, comme pour se calmer. Son commandant le retient quelques respirations de plus et quand il le lâche, la fureur est redevenue de la colère sur le visage de son souverain.
- Vizimir m’a écrit ce matin, explique-t-il d’un ton faussement calme.
Il s’approche à nouveau, la domine de toute sa hauteur et Julia baisse les yeux, se retenant à peine de s’écraser à nouveau sur le sol en le suppliant de la pardonner, même si elle ne comprend toujours pas pourquoi il s’en prend à elle.
- Il a proposé de renforcer le lien entre nos deux pays. Continue-t-il en croisant à nouveau les bras sur sa poitrine.
Julia ne sait pas où elle trouve la force de relever la tête, comment elle arrive à regarder le Loup Blanc droit dans les yeux, mais c’est ce qu’elle fait, et elle voit sa colère s’enflammer une nouvelle fois quand il finit son récit :
- En mariant son fils à ma fille. Ma fille secrète dont personne avant que tu n’arrives ne savait l’existence !
- Quoi ?
Julia est sidérée, au point qu’elle oublie un instant d’avoir peur. Vizimir est au courant pour Ciri ? Comment est-ce possible ? Elle a toujours entendu dire que la forteresse des sorceleurs était impénétrable, qu’aucun espion de nulle part ne pouvait entrer, comment cette information est-elle parvenue au roi ? Pourquoi…
- Attendez, comprend Julia en reprenant courage, s’énervant à son tour, je n’ai pas divulgué l’existence de Ciri ! Se défend-t-elle.
Bien entendu, il ne l’écoute pas, se moque même d’elle, et l’injustice de la situation donne la force à Julia d’insister encore :
- Je ne vous ai jamais trahis ! Je vous le jure ! Mon seigneur, vous devez me croire, je ne mens pas, jamais…
- Silence ! Ordonne le Loup Blanc.
La peur revient, chassant la colère qui s’est enflammée en elle comme un fétu de paille et Julia ferme la bouche, baisse les yeux et babille des excuses sans queue ni tête :
- Pardon, je suis désolée, je n’ai rien fait, promis, pardonnez-moi, mon seigneur, je serais sage, pardon, j’aime Ciri, jamais je ne la trahirais, je vous promets, mon seigneur, pardon, je suis désolée…
Il y a un soupir, quelque part derrière le Loup Blanc et la voix de messire Eskel s’élève à nouveau :
- Elle ne ment pas, fait-il, avec un espoir dans la voix que Julia n’entend pas.
Comme il parle, Julia se tait, parce qu’elle ne doit pas couper la parole, ne doit pas contredire ses maitres, et elle pince les lèvres pour retenir toutes les paroles, toutes les suppliques, qui lui grattent la gorge et la démangent de sortir pour leur faire comprendre son innocence.
- Elle le doit, pourtant. La voix de son époux semble plus dépitée que colérique maintenant. Il poursuit : tu es consignée dans tes quartiers jusqu’à ce que cette affaire soit tirée au clair.
- Oui, d’accord, pas de problème, accepte-t-elle sans hésiter. Je resterais là, comme vous voulez. Tout ce que vous voulez. Très bien.
Le Loup Blanc soupire, elle doit l’agacer, elle sait qu’elle peut être agaçante, alors Julia pose les mains sur sa bouche pour se bâillonner elle-même, les yeux débordant à nouveau de larme. Il y a un instant de silence tendu, puis son époux poursuit :
- Ton oiseau sera abattu à son retour.
La menace donne la force à Julia de bouger, s’élançant pour attraper la jambe du sorceleur qui, choqué, la laisse faire :
- Pitié seigneur, ne le tuez pas. Supplie-t-elle, sans se soucier de son honneur. Il n’ira plus. Ni lui, ni Heru. Ils resteront là, avec moi, n’iront chasser qu’en journée et reviendront avant le coucher du soleil. Pitié seigneur, je vous donnerais le message, la bague… tout ! Prenez tout, mais laissez mon oiseau vivre, pitié.
Elle sent les mains fortes du sorceleur sur les siennes, forçant ses doigts à s’ouvrir pour la faire lâcher prise. Malgré sa colère évidente, il est assez délicat pour ne pas la blesser, mais pas assez pour la retenir quand il la lâche et qu’elle s’effondre au sol, continuant de plaider pour la vie d’Horus.
- Je veux le message dès qu’il revient, finit par accepter le sorceleur.
La gratitude pour le souverain devant elle inonde un instant Julia, qui oublie que c’est lui-même qui l’a mis dans cet état, et elle se redresse, heureuse, le remerciant sans fin pour sa clémence. Perdue dans ses propres émotions, elle ne remarque pas que son époux, au lieu d’être en colère comme il l’était avant, n’est plus que gêne maladroite et qu’il recule, incertain de ce qu’il doit faire.
Il y a du mouvement autour d’elle : son époux s’en va, sans un regard pour elle, et son commandant le suit, presque à contre cœur. Sur le pas de la porte, parlant a quelqu’un qu’elle ne voit pas, il demande :
- Tu viens ?
- Non, répond nul autre que Paco.
Il y a un battement d’aile et le perroquet vient à la rencontre de la reine, qui le prend dans ses bras plus par automatisme qu’autre chose. Maintenant que les sorceleurs l’ont laissé tranquille, il est vite rejoint par les quelques oiseaux qui lui restent.
- Méchant Loup Blanc. Méchant Eskel. Condamne l’oiseau sans regarder le sorceleur qu’il s’est choisi.
Dans une autre situation, Julia pourrait avoir de la peine pour la mine déconfite de messire Eskel, sans doute aurait-elle reprit Paco pour ses paroles, parce qu’une partie d’elle, celle qui est la plus pragmatique, sait qu’ils n’ont pas agi par méchanceté. Mais elle ne peut pas, et garde le silence, se contenant de serrer contre elle l’oiseau coloré.
Elle ne regarde pas le sorceleur quand il part lui aussi, concentrée sur ses animaux, et quand ses chiennes, enfin libérées du sortilège d’Aiden se joignent à elle, la jeune femme fond en larme contre leurs douce fourrure, prise d’un profond désespoir.
A suivre...
Notes:
Warning : violence / violence psychologique / SSPT
Chapter 24: Il y a tant d'espoirs déçus maintenant !
Chapter Text
Aiden et Coen ne se relaient plus maintenant. Ils montent la garde ensemble, à l’extérieur des quartiers de la reine. Personne ne leur a demandé de le faire, ils ne se sont même pas concertés pour ça, se sont simplement retrouvé là, et y restent, ne s’éclipsant l’un après l’autre que pour les besoins de base.
N’ayant aucune confiance envers les serviteurs quand il est question de Julia, c’est toujours l’un d’entre eux qui descend pour chercher à manger pour la reine et sa compagnie, du bois ou de l'eau. Shani l’a rejoint le jour-même de son emprisonnement, bouillonnante de rage, et depuis, elle partage sa peine, et sa colère quand l’un d’entre eux frappe à leur porte pour le repas.
Ce n’est jamais Julia qui ouvre. Depuis trois jours qu’elle a été condamnée, la jeune femme est restée cachée de tous. De ce qu’ils peuvent voir, le salon est à peine rangé, les livres mutilés empilés dans un coin, la table et les chaises redressées. Mais les chambres ou la ménagerie… Shani fait barrière, leur refuse d’entrer comme ils doivent les empêcher de sortir.
Même à Triss, quand elle se présente, non pas pour la reine, mais pour Shani. La sorcière toque, appelle l’elfe d’une voix suppliante, assez pour que la porte s’ouvre, mais pas assez pour apaiser sa rage.
- Nous ne voulons voir personne.
C’est dur, pour les sorceleurs, de ne pas intervenir, parce qu’il est évident que l’elfe ment, que la présence de la sorcière qu’elle apprécie, avec qui elle passait la majorité de son temps avant tout ça, lui fait du mal et qu’elle prend sur elle de dire tout le contraire de ce qu’elle veut.
- Shani, s’il te plait… essaye Triss en s’approchant.
Mais Shani recule, ferme presque la porte pour se cacher derrière, et ça suffit à arrêter la sorcière. La tristesse de la femme sans âge est piquante, autant que celle que l’elfe cache sous la colère :
- Quoi ? crache-t-elle. Tu vas les croire, toi aussi ? Après tout ce que je t’ai dit ?
- Non ! se défend Triss, je te le jure !
Shani a un rire mauvais et lance :
- Julia aussi, elle a jurée.
Triss ouvre la bouche pour parler, sans doute se défendre, mais Shani ne lui en laisse pas le temps et reprend, des larmes furieuses faisant briller ses yeux :
- J'ai vraiment cru qu'il serait bon pour elle, avoue la médecin d'un ton entre déception et colère, mais tout sorceleur qu'il soit, il n'est pas différent des autres ! Un homme reste un homme !
Avant que Triss ne puisse répondre, la docteure recule et claque la porte, laissant la pauvre sorcière là, triste et seule. Coen et Aiden, qui se font oubliés de chaque côté de la porte, ne disent rien, échangent à peine un regard, et finalement, avant qu’elle ne fonde en larme, Triss tourne les talons et s’en va.
Deux jours plus tard, c’est Lambert qui se présente, accompagné de deux sorceleurs. Il n’est pas là pour la reine ou même l’elfe, mais pour Aiden. Les deux hommes ne se sont pas reparlés depuis l’arrestation de Julia, quand le chat a dû s’interposer pour empêcher le loup de massacrer les chiens de la reine.
- Allé les gars, fait Lambert quand il arrive au sommet de l’escalier, d’un ton amical forcé, je vous ramène la relève.
- Non, merci, fait Coen sans bouger de sa place.
Le sourire de Lambert se fane un instant, mais il revient quand il tourne son attention vers Aiden, les yeux brillant d’espoir.
- Tu viens ? demande-t-il.
Aiden ne le regarde pas. C’est difficile pour le chat, parce que lui et Lambert sont proches, assez et depuis assez longtemps, pour que leurs cœurs battent de concert. Assez pour que, même s’ils ne se sont jamais rien promis, ni même dit, ils soient exclusifs l’un avec l’autre, partent sur le Chemin ensembles quand c’est leur tour, et passent le plus clair de leur temps avec l'autre.
- Allé, insiste Lambert quand le chat ne répond pas. Laisse la traitresse et viens…
Ils se connaissent depuis longtemps maintenant, et se sont fait assez confiance pour s'avouer leurs blessures les plus intimes. Aiden sait que Julia a réussi à gagner le cœur de son ami, assez profondément pour que l’idée d’une trahison pousse le loup dans une colère irréfléchie.
- Elle n’est pas une traitresse, rétorque Aiden.
Une colère assez aveugle pour qu’il dégaine son épée, près à tuer les chiens de la reine, assez pour refuser qu’elle n’ait pas mentit une seule fois quand elle a été si rudement interrogé par le Loup Blanc, assez pour la condamner parce que c’est ce qu’il y a de plus simple à faire.
Lambert tique, mais n’a visiblement pas d’argument à donner pour contredire le chat, et Aiden ne lui laisse pas le temps d’en trouver, il explique, presque désespérément, ce que lui, mais aussi Coen, croit être la vérité :
- Elle ne mentait pas pendant le procès, fait-il, et elle n’a pas mentit à Geralt non plus. Si quelqu’un nous a trahis, ce n’est pas elle.
Néanmoins, ça ne suffit pas et Lambert demande, comme si c’était une preuve suffisante :
- Et les faucons ?
Oui, elle utilise ses faucons pour envoyer des messages, et oui, elle a su être assez discrète pour qu’ils ne le remarque pas. A peine ont-ils eut des doutes, comme le reste des sorceleurs, quand ils ont remarqué les départs alternés des deux oiseaux.
- Elle a été honnête là-dessus aussi.
Quand son putain de mari l’a enfermé dans sa chambre, la laissant dans un état pitoyable. Ce n’est que parce qu’il savait que les chiennes auraient été abattu qu’il a maintenant Axii si longtemps…
- Si elle écrit aux Scoia’tael, elle peut écrire à Vizimir ! Accuse-t-il, hargneux.
Mais Aiden dément d’un signe de tête, répétant qu’elle ne mentait pas, ni au procès, ni face au Loup Blanc.
- Tu le sais, tu étais là ! Ajoute-t-il, accusateur à son tour.
- Et l’idée qu’elle soit un putain d’agent double n’a pas traversé ta jolie petite tête brune ?
Depuis près de trois mois qu’ils sont ses gardes, les deux sorceleurs ont pu voir que Julia est une gentille fille, une femme douce et tolérante, à la patience d’or, qui a su faire naitre des rires d’enfants dans cette forteresse sinistre, qui l’a meublée de musique presque tous les jours, qui n’exige ni vengeance, ni rien, parce qu’elle n’est pas une petite fille pourrie gâtée.
- Non.
Qu'elle soit le poète Jaskier n'est pas vraiment une surprise. Ils l'ont entendu composer bien assez de fois, et elle leur a lu bien assez de passages des récits qu'elle écrit pour deviner une plume talentueuse, assez pour être publiée. C'est un petit mensonge dont ils ne lui tiennent pas rigueur, comprenant sa nécessité.
- Putain, Aiden… Réfléchit, bordel.
- Toi réfléchis, le coupe le chat, énervé. Parce que si Julia n’est pas la traitresse, comme nous le croyons, fait-il avec un geste vers Coen qui a la grâce de ne pas intervenir, ça veut dire qu’il y a un mouchard dans la forteresse qui se promène librement !
C'est un dialogue de sourd, qui les blesse tous les deux et finalement, Lambert jure en langue naine puis s’en va, frustré, suivi par la relève qui ne sert à rien ici. Si Aiden s’appuie contre le mur et garde la tête basse pendant les heures qui suivent, Coen ne commente pas, comme il ne dit rien sur l’odeur de tristesse qui se dégage du sorceleur.
Encore deux jours de plus et c’est Ciri qui se présente, escortée par Yennefer et Loup. La sorcière est un modèle de neutralité, son visage figé dans un sourire polis et il est impossible pour les deux sorceleurs de deviner ce qu’elle pense réellement de toute cette histoire.
La petite princesse, en revanche, est plus ouverte, bien entendu. Elle est trop jeune pour masquer sa peine, et même si elle y arrivait, ses yeux rougis de larmes parlent pour elle. Ciri a eu trop de raison de pleurer ces derniers temps.
Yennefer pose un doigt sur sa bouche dans le geste universel qui demande le silence, puis toque à la porte doucement. Comme toujours c’est Shani qui ouvre, d’un geste vif, mais sa colère s’apaise quand elle remarque la présence de la petite fille sur le pas de la porte.
- Puis-je voir Julia, s’il vous plait ? demande-t-elle.
L’elfe se mord les lèvres, ayant clairement envi de refuser, mais la colère du Loup Blanc ou l’enfermement imposé semble lui avoir rappelé sa position précaire dans la hiérarchie implicite de la forteresse.
- Pouvez-vous nous laisser quelques minutes pour qu’elle se rendre présentable, majesté ?
Ciri accepte d’un signe de la tête alors que Yennefer fronce les sourcils. Les deux gardes sorceleurs échangent un regard, inquiet. Ils veillent cette porte depuis une semaine maintenant et n’ont pas revu la reine, et s’ils s’inquiétaient déjà avant, les quelques paroles de Shani renforcent leur sentiment.
Il faut attendre presque dix minutes pour que la porte s’ouvre à nouveau. D’abord intimidé, Ciri finit par entrer, suivi par la sorcière, mais aussi par les deux sorceleurs.
Il fait plutôt froid dans la chambre. Ce n’est pas un défaut de la cheminée, dans laquelle brûle un feu vif, mais toutes les fenêtres sont ouvertes, laissant entrer l’air frais du jour. L’air frais, et l’odeur des déjections canines : Sélène et Hécate sont aussi enfermées que leur maitresse, devant faire leurs affaires sur le balcon faute de mieux.
Comme ils l’ont noté à chaque fois qu’ils portent un repas ou quelque chose aux deux enfermées, le salon est sommairement rangé, vide même des animaux, mais ce n’est pas sur ça que s’arrête leur regard.
Tous n’ont d’yeux que pour la reine. Julia est une femme vive et colorée, du genre à voir le verre à moitié plein et à avoir le sourire facile. Mais elle ne sourit pas, actuellement. Elle se tiens proche de la porte de sa chambre, presque comme si elle voulait s’y réfugier, vêtue de la même robe verte qu’elle portait quand elle a été arrêtée, les mains nouées nerveusement devant elle.
Elle est terne, il n’y a pas d’autre mot pour la décrire. Sa peau est d’une pâleur effrayante, presque maladive, contrastant terriblement avec ses vêtements. Ses cheveux, qu’elle a réuni dans un chignon serré, semblent perdre de leur éclat blond, comme ses yeux qui sont vides et délavés. On dirait presque qu’elle s’efface, c’est affreux à voir.
Assez pour que Ciri se précipite, des larmes dans les yeux, pour se serrer contre ses jambes.
Les deux sorceleurs savent qu’avant, Julia se serait penchée, aurait ramassé la petite pour la prendre dans ses bras et la consoler. Sans doute lui aurait-elle chanté une chanson, ou jouer de la musique sur son piano pour la divertir.
- Je ne veux pas que vous ayez des ennuis, majesté, souffle la jeune femme.
Mais pas cette fois. Julia se penche, oui, mais c’est pour décrocher l’enfant de ses jambes et la faire reculer, la repoussant assez pour pouvoir faire une révérence parfaite, gardant le regard bas.
- Que puis-je faire pour vous, majesté ?
La voix de Julia est aussi terne qu’elle, comme si elle avait perdue toute sa musicalité. Ça fait grincer les deux sorceleurs et même Yennefer, qui s’approche pour soutenir Ciri qui ne comprend bien entendu pas.
- Je voulais te voir, explique Ciri en essuyant ses larmes, s’accrochant au pelage de Loup qui lui lèche le visage un instant, faute de pouvoir le faire avec la reine. Geralt voulait pas.
Parler du Loup Blanc fait monter un instant le stress chez Julia qui se crispe, essayant de masquer sa réaction par un pas en arrière, qui la conduit à se coller à la porte de sa chambre.
- Peut-être ne devriez-vous pas être là, alors, princesse, dit-elle nerveusement.
Ciri ne le remarque pas, mais ce n’est pas le cas de la sorcière qui se penche sur la petite et propose qu’elles s’en aillent avant de se faire prendre. Mais Ciri n’est rien sinon têtue alors elle refuse d’un signe de la tête et demande :
- Geralt dit que tu m’as trahie, que t’as dit que j’existais alors que je suis un secret pour ma sécurité.
La fin de sa phrase est clairement quelque chose qu’elle a apprît par cœur, qu’on a dû lui rabâcher plusieurs fois, et ça pourrait faire sourire, mais bien entendu, ce n’est pas le cas. Julia a encore une révérence (ni Coen, ni Aiden, ne comprend pourquoi elle s’incline autant, peu familier qu’ils sont avec l’étiquette).
- Je vous assure que je ne vous aie pas trahis, majesté.
Elle ne ment pas. Si Ciri n’a pas les sens assez développés pour le savoir, ce n’est pas le cas des sorceleurs, ni de la sorcière. Les médaillons vibrent doucement quand elle use du Chaos pour gouter l’air et s’en assurer.
- Si ce n’est vous, altesse, demande-t-elle d’un ton neutre, qui alors ?
Julia fronce les sourcils et se mord la lèvre, réfléchissant à la question. Elle hésite mais finit par répondre, incertaine de ses propres mots :
- Il y a… il y a cette chouette… ce n’est pas Athéna… je l’ai vu quelques fois, en plein jour, dans la forteresse…
Coen et Aiden l’ont vu eux aussi, comme plusieurs personnes dans Kaer Mohren. Tous l’ont prise pour la chouette de la reine, mais eux-mêmes ont vu l’oiseau en question rester toute la journée sur son perchoir à dormir, et ils ont confiance en Julia : si elle dit que ce n’est pas sa chouette, ils la croient.
- Une chouette ? Répète Yennefer, dubitative.
L’incrédulité dans sa voix doit passer pour de la moquerie ou de la colère parce que Julia s’incline encore pour se confondre en excuses :
- Pardonnez-moi, dame sorcière, je divague certainement. Je ne sais pas ce que je dis. Veuillez m’excuser…
C’est le moment que choisit Shani pour intervenir, coupant les excuses interminables que babille sa maitresse en se plaçant entre elle et les deux invitées, nerveuse elle aussi.
- Il est peut-être temps pour vous de partir, majesté, fait l’elfe avec une politesse forcée, surtout si vous ne souhaitez pas vous faire prendre par sa majesté votre père.
Yennefer acquiesce d’un signe de la tête et avant que Ciri ne puisse protester, soulève l’enfant pour la caler sur sa hanche.
- Vous avez raison, dit-elle en se forçant au même timbre de voix. Merci pour votre accueil, nous allons vous laisser maintenant.
Julia s’incline à nouveau, Shani aussi. Yennefer grogne, mais se détourne, se précipite presque jusqu’à la porte pour partir. Sur le seuil, Ciri parle à nouveau :
- Je préfère quand tu respectes pas l’étiquette, dit-elle tristement.
Julia, qui garde le buste incliné dans une longue révérence, baisse la tête, seul signe qu’elle a entendu la petite princesse. Elle, et Shani qui l’imite, gardent la position jusqu’à ce que la porte claque sur les deux femmes, mais aussi les sorceleurs, qui ressortent pour reprendre leur garde silencieuse, toujours plus inquiet pour leur reine de cœur.
Trois jours plus tard, alors que c’est le milieu de l’après-midi, la porte de la chambre s’ouvre pour la première fois sans que personne n’ait à y toquer. C’est Shani, bien entendu, qui indique aux sorceleurs que Horus est revenu et qu’il faut prévenir le Loup Blanc.
C’est Aiden qui s’en charge, et c’est lui qui revient en compagnie de Geralt et Eskel, les suivant jusqu’à l’intérieur de la chambre pour se poster dans un coin. Il ne le dit pas, il n’en a pas besoin, le Loup Blanc comme son commandant comprennent pourquoi il est là, et ils ne protestent pas.
Il n’y a pas d’animaux cette fois non plus, Aiden les entends gratter à la porte de la ménagerie. Eskel est visiblement triste de ne pas voir Paco. On dit que depuis dix jours, le sorceleur est de mauvaise humeur, et assez vicieux et énergique sur le terrain d’entrainement pour faire fuir tout partenaire autre que Geralt lui-même.
Il fait toujours froid dans le salon, même si cette fois, les fenêtres sont fermées. Shani non plus n’est pas là, laissant sa maitresse seule pour affronter le Seigneur de Guerre. Enfin, affronté n’est peut-être pas le bon mot, étant donné qu’elle s’est agenouillée dès qu’il a passé la porte, et ne semble pas décidée à se relever.
La colère de Geralt s’est apaisée au fil des jours, lui dit-on, a part quand il se défoule sur le terrain d’entrainement. Parait-il qu’il ne comprends pas parce que, si Julia ne ment pas, alors qui l’a trahie ? Et si elle ment, comment fait-elle ? Doivent-ils se méfier des humains maintenant ?
- Relève-toi, ordonne-t-il.
Il n’y a pas de colère, mais il n’y a pas de sympathie non plus. Julia s’exécute, masquant le tremblement de ses mains en les serrant l’une contre l’autre devant elle. Elle porte toujours la robe verte avec son corset serré et ses cheveux sont attachés, sans bijoux, sans couleur. Terriblement terne.
- Merci mon seigneur, se force-t-elle à dire, de ne pas avoir fait abattre Horus.
Aiden pince les lèvres, détestant voir la jeune femme remercier pour cette clémence, comme si ne pas tuer son oiseau devait vraiment être salué. C’est ridicule et son sentiment doit se voir parce qu’Eskel lui lance un regard sympathique.
- La bague et le message sont là. Poursuit-elle en pointant du doigt la table. Je vous promets que je n’en ai pas d’autre.
Comme toujours, Julia ne sent pas le mensonge, et ça fait grogner le Loup Blanc, qui semble malgré tout peu disposé à la croire. Le sorceleur s’approche de la table, se faisant, il se rapproche de Julia, qui se tend involontairement.
La reine est terrorisée. C’est horrible à voir, ça leur rappelle qu’elle n’est qu’une enfant de seize ans, qu’elle a déjà connu son lot de drame avant d’arriver ici, et qu’ici aussi, malheureusement, elle n’a pas été ménagée.
Geralt grogne encore, prend le petit rouleau de parchemin et la bague en argent avant de reculer, presque précipitamment vers Eskel. Il déroule le parchemin et les deux hommes lisent son contenu, fronçant les sourcils car c’est très cout, le morceau de papier ne faisant que quelques centimètres de long pour un seul de haut, plus proche du ruban que d’autre chose.
- C’est codé. Commente Eskel.
- Qu’est-ce que ça dit ? Demande Geralt en se tournant à nouveau vers son épouse.
Mais cette fois, Julia garde la bouche close. Elle est toujours immobile, les mains croisées devant elle nerveusement, le regard fixé sur le sol. Une statue plus qu’une femme.
- Julia, insiste le Loup Blanc en faisant un pas vers elle, répond-moi.
La reine se crispe, et l’effort qu’elle fait pour ne pas reculer est évident, mais refuse toujours de parler. Un instant, Aiden craint que le Loup Blanc s’énerve à nouveau, et qu’il s’en prenne à son épouse encore une fois. Eskel aussi doit avoir un sentiment similaire parce qu’il intervient, jouant la carte de la diplomatie :
- Nous ne pourrons pas vous laisser sortir si vous ne collaborez pas avec nous, altesse. Tente-t-il.
Ça ne fait pas céder Julia, mais en revanche, ça fait réagir Geralt qui quitte la reine du regard pour regarder la pièce et son désordre rangé, comme s’il remarquait seulement maintenant tout le mal qui a été fait.
- Altesse, insiste Eskel, vous devez nous aider si vous voulez qu’on vous croie.
Les livres mutilés, les instruments renversés, dont plusieurs ont les cordes coupées (un fait qui remonte à avant la fouille). Malgré les fenêtres fermées, l’odeurs des déjections canines est immanquable, surtout pour des sorceleurs, et Geralt fronce le nez.
- Altesse…
- Je vous ai promis la bague et le message, messire, le coupe Julia avec une révérence. Pas son contenue.
Il y a dans sa voix comme dans la façon qu’elle a de lever les yeux tout en gardant la tête inclinée, une petite rébellion qui, Aiden en est certain, a dû lui faire prendre des coups dans le passer. D’ailleurs, quand Geralt grogne, mécontent de la réponse, la peur prend le dessus chez la reine et elle s’incline à nouveau.
- Trop de vies sont en jeu pour que je les trahisse, messire.
Avant qu’un ou l’autre sorceleur ne réponde, sans doute pour promettre de ne menacer personne, quand la jeune femme poursuit, s’adressant directement à Geralt :
- Les vérités que j'énonce ne vous plaisent pas, mon seigneur, s'explique-t-elle en levant une main pour frôler sa gorge, je préfère me taire
Aiden se mord la langue pour se retenir d’intervenir, de s'interposer comme il n'a pas pu le faire la dernière fois, mais se serait certainement prit pour de la trahison et malgré tout, il veut encore être fidèle au Loup Blanc.
- Pardonnez-moi, mon seigneur, s'excuse-t-elle encore.
Les deux loups se regardent, parlant sans dire un mot et finalement, après quelques instants d’échanges silencieux, Geralt soupir et abandonne. Son commandant et lui tournent les talons pour partir mais, sur le seuil de la porte, le Loup Blanc offre, avec une clémence presque forcée :
- Tu es autorisée à sortir avec escorte trois fois par jour pour tes chiens.
- Merci mon seigneur, répond Julia avec une autre putain de révérence qui fait fuir Geralt, mal à l’aise.
Aiden voudrait parler, s’excuser pour le comportement du loup comme il l’a fait pour celui des serviteurs, mais sa langue est de plomb. Il est fidèle au Loup Blanc et à ses idées, mais ne peut pas être d’accord ni pardonner le traitement injuste de la reine.
A voir comme elle s’effondre quand elle est laissée seule, il se demande si même elle, qui a fait preuve d’une clémence inouïe pour tous ceux qui l’ont blessé, même l’assassin de ses oiseaux, pourra le faire un jour.
A suivre...
Chapter 25: Petite conversation autour d’un thé…
Chapter Text
Au début, ce n’est pas Julia qui sort Sélène et Hécate mais Shani.
D’abord, parce que l’enfermement est de sa faute uniquement et qu’elle s’en veut de le faire subir à son ami et ses animaux, qui bien entendu, n’entendent pas ses excuses (parce qu’ils l’aiment et la soutiennent inconditionnellement), donc elle lui laisse le plaisir de marcher à l’air libre.
Ensuite parce qu’elle n’en a pas la force. Elle a beau savoir qu’elle est innocente, Shani et les deux sorceleurs qui montent toujours la garde à sa porte aussi, ils sont les seuls dans toute la forteresse à prêter foi aux vérités qu’elle énonce. Julia sait que lorsqu’elle sortira, elle sera la traitresse, la chienne rédanienne qui a vendu Ciri à Vizimir.
Alors, bien entendu, au début, elle n’a pas la force.
Puis, l’injustice de la situation l’a plongé dans un puit de désespoir sans fond, dont elle ignore comment sortir, ni même si elle le veut parce qu’au final, qu’est-ce que ça change ? Quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise, il y a toujours quelqu’un, un homme plus fort qu’elle, qui va vouloir l’écraser sous sa botte, et elle n’aura rien d’autre à faire que de l’accepter.
Oh, elle pourrait prouver qu’elle est le Bécasseau. Il suffirait de lever le sortilège qui cache ses oreilles, celui qui est si discret qu’aucun sorcier ou sorceleur ne peut le remarquer, et raconter comment elle a sauvé le Loup Blanc après l’avoir embauché pour tuer une cocatrix, une bête dont elle a trois plumes, cassées maintenant, en sa possession.
Mais ils la prennent déjà pour une traitresse alors, s’ils devaient savoir qu’elle est un monstre en plus… Malgré tout le désespoir de sa situation, Julia se rend compte qu’elle n’est toujours pas prête à se laisser pendre au bout d’une corde. Ou décapité. Comment les sorceleurs tuent-ils une fée ?
Au cinquième jour après la visite de son époux, Shani ne lui laisse pas le choix : elle ne sortira pas Sélène et Hécate, c’est à Julia de le faire. Et cela lui fera du bien : il fait beau dehors, un beau soleil d’hiver, alors que la neige fraiche recouvre la forteresse.
L’elfe vient dans sa chambre, ouvre les rideaux, tire les couvertures. Depuis qu’elles sont enfermées, la plupart des fenêtres restent ouvertes, pour faire entrer l’air, et même s’il fait froid, ce matin n’échappe pas à la règle.
- Allé, tu te lèves ! Ordonne la médecin avec énergie.
Julia grogne et se redresse, effrayée, demandant si elle a de la visite. Elle n’a pourtant pas entendu toquer à la porte et de toute façon, ses animaux, qui restent avec elle la plupart du temps, sont calmement installé sur son lit.
- Non, mais tu te lèves quand même.
Avec un soupir, la jeune reine se laisse tomber dans son lit et se recroqueville, le bras sur les yeux pour ne pas voir la lumière du jour. Depuis qu’elle a été condamnée et enfermée, Julia passe la majorité de son temps alité, sans se laver et, s’il n’y avait l’insistance de Shani, sans manger, comme si toute force de vivre l’avait quitté.
- Allé, j’ai mis de l’eau à chauffer. Insiste Shani.
Jusqu’à présent, Shani s’est montrée compréhensive avec elle, compensant le peu d’apport calorique de son manque d’appétit en lui faisant boire des thés très sucrés, ou en lui proposant des aliments simples à avaler comme des gâteaux ou des soupes, et en la laissant pleurer et dormir tout son soule, restant prêt d’elle pour la soutenir et la consoler.
- Allé, debout !
Mais à priori, le temps de la clémence est fini parce que Shani, au lieu de lui apporter son petit déjeuner, de s’assoir au bord du matelas et de négocier avec elle quelques bouchées de pain, se penche pour lui prendre le bras et la forcer à se lever.
- Allé !
- Laisse-moi !
Julia tire en retour et l’elfe bascule sur le lit, manquant de lui tomber dessus. Au lieu de s’énerver, Shani reste au-dessus d’elle et fronce le nez avec une grimace :
- Il faut vraiment que tu te laves…
C’est juste une petite pique pour Julia, pour l’obliger à se lever, et la reine ne peut de toute façon pas protester : elle ne s’est rendue présentable que pour les deux visites qu’elle a eu au cours de son enfermement, et n’a pas eu la force d’en faire plus depuis.
- Allé, lève-toi. Je suis sûre qu’Aiden et Coen te laisseront aller à la salle de bain.
Julia soupir mais obtempère, ne serait-ce que pour le confort de sa compagnie à qui elle impose déjà l’emprisonnement. Shani se lève aussi et lui tend sa robe de chambre, que la reine prend et enfile. La jeune femme s’oblige à ne pas regarder le coin de sa chambre où les restes mutilés de son secrétaire ont été empilé, c’est un cruel rappel de ce qu’elle a perdu et de ce dont on l’accuse injustement.
Ses mouvements sont lents, elle est déjà fatiguée. Non épuisée. Même si elle dort toute la nuit et une bonne partie du jour. Ça n’a rien de physique, c’est un épuisement mental. Depuis qu’elle est là, Julia fait de son mieux, donne tout ce qu’elle a pour que les gens d’ici l’aiment et l’acceptent. Pas qu’elle s’y force vraiment, c’est dans sa nature que d’être aimable et généreuse, ça lui fait plaisir de donner de la musique, des bonbons, son pardon… tout ce qu’elle peut donner.
Et pourtant, ça ne suffit pas. L’ingratitude des gens, l’injustice de son emprisonnement, la peur d’être, au mieux, répudiée et renvoyée à Vizimir (il doit être tellement en colère contre elle, qui ne lui a jamais écrit) nourrit une bête d’angoisse qui ronge son ventre, fait ses griffes sur son cœur, et l’épuise, comme si elle se nourrissait de son essence même.
Paco n’est pas en meilleur état qu’elle. Le pauvre perroquet est triste, pour elle bien entendu, comme le sont tous ses animaux, mais surtout pour messire Eskel, à qui il a délibérément tourné le dos pour rester là. Depuis, l’oiseau dépérit à vue d’œil, manquant autant d’appétit qu’elle. Il ne perd pas encore ses plumes, mais Julia sait que ça ne saurait tarder. Elles sont déjà ternes et fades.
- Oh, mon cher amour, fait-elle en tendant les mains pour le prendre.
Le perroquet se laisse faire, grimpant sur son poignet, alors que Loki s’envole pour venir s’installer sur son épaule, aussi concerné par Paco que par Julia. L’oiseau se laisse bercer et Shani ne commente pas quand elle la voit venir dans le salon ainsi, se contentant de lui servir une tasse de thé que Julia sait être trop sucrée.
- Tu sais, murmure la jeune reine en s’installant à table, tu n’es pas obligé de rester, mon amour. Aucun de vous ne l’est, ajoute-t-elle en levant les yeux vers Shani qui s’installe en face d’elle.
A cet instant, un coup à la porte se fait entendre et contrairement aux fois précédente, Coen n’attend pas que l’elfe vienne lui ouvrir pour entrer, portant un plateau chargé de petits pains sucré d’un côté, et deux os pleins de viande de l’autre.
- Et où voudriez-vous que nous soyons, altesse ? demande-t-il en le posant sur la table.
Il prend l’assiette qui contient les os et la pose parterre pour Sélène et Hécate à qui il distribue une caresse quand elles viennent chercher leurs repas. Les chiennes se laissent faire, remuant même la queue, heureuses.
- Loin de moi, répond Julia en le regardant faire. Avant d’être paria dans votre propre château.
Shani soupir et lui tend un petit pain sucré sur lequel elle a rajouté une belle couche de confiture de fraise :
- Mange au lieu de dire des bêtises.
Julia lève les yeux au ciel et arrache un petit bout du pain, mais ce n’est pas pour elle. Paco s’est installé sur ses genoux et grignote du bout du bec ce qu’elle lui tend, en laissant une grande partie à Loki qui picore lui aussi le même morceau.
- Ne risquez-vous pas d’être considéré comme traitre ?
Coen, qui est resté un genou à terre pour continuer de flatter les chiennes qui mangent sans trop se soucier de lui, secoue la tête négativement et explique :
- Nous aurions déjà été arrêté si c’était le cas altesse. Vous ne mentiez pas, et tous les sorceleurs le savent.
Julia tique, prenant un autre morceau de pain pour le partager à Loki et Paco. Athéna, Heru et Horus sont perché sur les poutres, au-dessus d’eux. Elle les enverra chasser après le petit déjeuner.
- Et pourtant, me voilà enfermé pour une trahison que je n’ai pas commise, rétorque-t-elle, d’un ton cinglant.
Coen abandonne les chiennes et se relève pour répondre, la mine désolée :
- Le Loup Blanc est en colère mais ça finira par passer, et quand ce sera le cas, il réalisera son erreur.
Parler du Loup Blanc fait frissonner Julia qui inconsciemment se recroqueville sur sa chaise. La bête de nervosité dans son ventre attaque encore, et la brulure qu’elle ressent à l’estomac est réelle, assez pour lui couper l’appétit.
Shani souffle, agacée, mais ne rajoute rien, concentrée à tartiner un autre pain de confiture pour Julia.
- Mange, ordonne-t-elle en le poussant vers elle.
Julia l’ignore, préférant poursuivre sa conversation avec Coen :
- Mais peut-être ne fait-il pas d’erreur ? Insiste-t-elle. Je suis rédanienne après tout, et j’ai usé de mes oiseaux pour correspondre avec la Rédanie dans le dos de tout le monde.
Inconsciemment, Julia cherche à repousser les sorceleurs, comme si se faire détester par eux allait les protéger. Elle a entendu Aiden et Lambert se disputer devant sa porte, elle sait que les deux sont proches, et que le loup n’est pas revenu voir le chat depuis. Elle ne veut pas qu’ils soient stigmatisés et mis au banc de leur société pour elle.
- Je sais qu’ils vous manquent, poursuit Julia. Eskel, Triss et Lambert. Vous devriez aller les trouver et me laisser. Je ne suis de toute façon pas d’une bonne compagnie.
La porte s’ouvre tandis qu’elle parle, et Aiden s’appuie contre le chambranle, alors que Shani se lève pour contourner la table et venir poser une main sur son épaule libre quand Paco répète tristement le nom de son sorceleur tout en se lovant contre son ventre.
- Nous les retrouverons, fait le chat d’un ton ferme, quand ils auront enlevé la merde de leurs yeux !
- Tu ne vas pas te débarrasser de nous comme ça. Enchaine Shani en se penchant pour rapprocher l’assiette avec le pain intacte. Maintenant, mange.
Julia soupir, mais obtempère, le cœur réchauffé par leur entêtement. Elle n’a pas vraiment d’appétit mais grignote la moitié du pain, boit quelques gorgés de thé, avant d’abandonnée, épuisée par l’effort et nauséeuse. L’elfe n’insiste pas plus, l’invitant à aller prendre un bain, ce que les sorceleurs, restés dans le salon avec elles, acceptent facilement.
Une fois encore, Julia se laisse guidée par son amie, trop affaiblie et trop triste pour protester. Elle sait toute façon son médecin terriblement têtue : c’est une bataille qu’elle ne pourra pas gagner. Et elle doit avouer que l’eau chaude lui fait du bien.
Depuis le début, elles ouvrent les fenêtres autant que possible pour ne pas se sentir enfermer plus qu’elles ne le sont déjà, et cela conjugué à son manque d’énergie fait qu’elle a froid, terriblement froid, comme si ses os eux-mêmes étaient fait de glace.
Shani lui lave les cheveux et lui prépare une robe bleue, épaisse et confortable, et un corset léger. Julia veut refuser, préférant son corset renforcé et une robe sans couleur, mais elle n’a pas la force de le faire, et se laisse habillée sans protester, comme une poupée de porcelaine. Elle refuse néanmoins de mettre n’importe quel bijou, et ses cheveux sont simplement tressé.
Ensuite, Shani termine en lui tendant son manteau, en laine épaisse doublé de fourrure d’un blanc tacheté, et son manchon.
- Tu sors, cette fois.
- Mais…
Le visage de Shani est fermé, elle sera intransigeante, Julia le sait. D’ailleurs, l’elfe connait les points sur lesquels appuyer pour la faire céder sans trop de négociation :
- Je ne sortirais pas Sélène et Hécate aujourd’hui donc, soit tu y va, soit elles resteront enfermées avec toi.
- Shani…
C’est non négociable, bien entendu et finalement, à contre cœur, effrayée à l’idée de croiser quelqu’un et d’être accusée encore une fois (ou de croiser son époux), Julia s’engage dans les escaliers, Coen et Aiden à ses côtés, ses chiennes trottinant devant elle, heureuses de sortir de ses appartements.
Il est encore assez tôt dans la matinée alors il n’y a pas grand monde qui se promène dans la forteresse. Les sorceleurs sont pour la plupart à l’entrainement, et les serviteurs sont plutôt occupés au niveau des cuisines et de la grande salle où le petit déjeuner est servi.
Julia avance d’un pas lent, hésitant. Elle est encadrée par Aiden et Coen et si les deux sorceleurs étaient là au début pour la surveiller, aujourd’hui, ce n’est plus le cas : il est évident qu’ils sont présents, l’un comme l’autre, pour sa sécurité uniquement. Ils sont sérieux tous les deux, sur le qui-vive, comme s’ils s’attendaient eux aussi à être pris à parti et agressés.
Ça n’arrive pas. Ils atteignent la première ligne de rempart, la parcourt comme Julia en avait pris l’habitude avant que tout cela n’arrive, et rien ne se passe. Il fait beau, et Shani a raison, être dehors, même s’il fait froid, même si elle est épuisée, lui fait du bien. Elle n’avait pas réalisé à quel point cela lui manquait, et peut-être, si les choses s’arrangent et qu’elle n’est pas répudiée, elle pourra demander à faire une sortie dans les bois ?
Ils croisent quelques personnes au retour, des serviteurs comme des sorceleurs et si les seconds s’écartent sans lui prêter une grande attention, ce n’est pas le cas des premiers. Son cœur s’emballe, comme un cheval effrayé se cabre et fuit, et son sang bat à ses oreilles, mais pas assez fort pour ne pas entendre leurs murmures peu discrets.
Pas comme s’ils essayaient d’être discret, de toute façon : ils ne lui ont jamais fait confiance et maintenant qu’elle est officiellement accusée de traitrise, ils ont champ libre pour se laisser aller à leur haine. C’est pire qu’à son arrivé. Ils commentent et insultent, crachent sur ses pas et s’il n’y avait la présence sécurisante de deux sorceleurs en plus de ses chiennes, Julia sait qu’elle aurait été prise à partie et malmenée.
Mais ce n’est pas plus mal, au moins, elle est heureuse de revenir dans ses appartements, de s’y réfugier, alors qu’elle y a passé déjà deux semaines enfermées entre ses quatre murs. Sélène et Hécate ne sont pas du même avis mais la suivent toujours. Oui, Julia demandera une longue chasse quand elle le pourra, dans les bois, pour elles.
Pour les sorties suivantes, Shani fait de même et ainsi, sous l’impulsion de l’elfe, Julia sort trois fois par jours, chaque jour, juste pour ses chiennes et toujours escortée par ses deux sorceleurs. Ça se passe toujours de la même façon, des guerriers indifférents et des serviteurs bien heureux de pouvoir déverser leurs détestations dans ses pas, mais au moins, elle sort.
Tout change six jours plus tard, quand Julia remonte dans son appartement après une autre promenade surveillée, pour constater qu’elle a de la visite.
Yennefer de Vengerberg a pris ses aises : il fait chaud et les fenêtres sont fermées. Elle a surtout fait apparaitre un joli ensemble de canapé aux tentures fleuries, entre lesquels est disposé une petite table d’acajou. Un service à thé en porcelaine et une belle assiette de mignardises sont posés dessus, attendant d’être mangé.
La sorcière se tient devant le perchoir de Paco, celui qui est le plus proche de la cheminée, et caresse doucement l’oiseau indifférent à ses attentions tout en essayant de le consoler :
- … Bel oiseau, tu lui manque aussi, tu sais ? Il est de très mauvaise compagnie depuis… Oh, altesse, bonjour !
Shani est là, bien entendu, et vient à sa rencontre, expliquant rapidement qu’elle n’a pas pu faire autrement, la sorcière ne lui laissant pas le choix. Julia l’apaise d’une parole, elle est bien placée pour savoir qu’entre toute, c’est Yennefer qui a le plus de pouvoir.
- Dame sorcière, la salut la reine poliment.
Aujourd’hui, Yennefer porte une robe de velours noir brodée de dentelles violettes, assortie à la couleur de ses yeux. Le corset serré et le décolleté plongeant mettent en lumière sa belle poitrine, soulignée par un collier à pendant tout aussi sombre. Une robe indécente mais qui sied bien à une femme de pouvoir comme elle.
Julia retire son manteau avec l’aide de l’elfe alors que dans son dos, Coen et Aiden se positionnent silencieusement de chaque côté de la porte, à l’intérieur de l’appartement. Même si la reine sait que face à Yennefer, ils ne peuvent rien faire (et elle ne veut pas qu’ils fassent quoi que ce soit, bien entendu), cela la rassure.
Néanmoins, Sélène et Hécate, si elles restent près d’elle, sont calmes, attendant qu’elle s’installe pour aller trouver leur place sur le tapis de fourrure devant la cheminée. Les oiseaux aussi ne disent rien, que ce soit Paco, installé devant le feu, Loki tout prêt de lui, ou Heru, Horus et Athéna, qui somnolent sur les poutres supérieures. Cela la rassure tout autant que la présence des sorceleurs.
- Venez altesse, reprend Yennefer en pointant l’un des canapés, nous devons parler.
- Je suppose que je n’ai pas le choix, soupire Julia en allant s’installer en face de la sorcière.
Yennefer a un sourire, presque moqueur, et s’assoit à son tour. Elle ignore Julia et sa nervosité évidente, qui l’oblige à se tenir droite, les mains crispées sur ses genoux, en lui servant une tasse de thé. Elle en prépare une seconde, qu’elle pose à côté, et invite Shani à s’installer avec elles.
L’elfe, qui a disposé du manteau, revient de la chambre et lui lance un regard surprit. Néanmoins, elle ne proteste pas, et vient tout à côté de Julia, assez proche pour que leurs cuisses se touchent presque, et Julia sait que si elle pouvait, elle lui prendrait la main pour la soutenir.
- Gouttez le thé, altesse, il est délicieux.
Yennefer la fixe de manière insistante, portant elle-même la boisson à ses lèvres, et Julia sait qu’elle n’a pas le choix. Ses mains ne tremblent pas quand elle se saisit de sa propre tasse, mais la jeune femme prend le temps de renifler la boisson, suspicieuse. Elle ne sent que la menthe et le thé vert, rien de dangereux à priori.
Elle trempe ses lèvres, la boisson n’a pas de gout autre même si elle est puissante, mais son ventre est trop serré pour prendre une vraie gorgée. Néanmoins, la sorcière n’est ni dérangée par son hésitation, ni insultée quand elle repose sa tasse immédiatement. Au contraire, elle semble satisfaite.
- Bien, reprend la sorcière en posant sa propre tasse. Je pense qu’il est temps de jouer carte sur table, vous êtes d’accord ?
Julia déglutit mais ne répond rien, autant parce que la petite bête de stress s’attaque à son ventre, assez pour craindre de vomir si elle devait ouvrir la bouche, que parce qu’il n’y a rien à dire. Elle est peut-être l’épouse du Loup Blanc sur le papier, en vérité, elle est tout en bas de l’échelle de pouvoir.
- Etes-vous une espionne pour le compte de la Rédanie et du roi Vizimir ?
La franchise de la question est presque comique, mais comme une blague trop longue qui en devient agaçante. Julia grince des dents, plus fatiguée qu’effrayée par cette accusation sans fondement qui l’a conduit à être privée de liberté.
- Non, répond-t-elle d’un ton ferme voir fâché.
- Jamais vous n’avez révélé le moindre fait concernant Ciri ? Insiste Yennefer, la fixant toujours du regard.
- Jamais.
Julia soutient son regard, lasse d’être effrayée par tout et tout le monde. De toute façon, elle n’a plus rien à perdre, sa position est déjà sur la sellette, alors autant arrêter de jouer la gentil petite princesse, douce et soumise. C’est un masque dont elle ne veut plus.
- D’accord, finit par conclure Yennefer avec un sourire amusé, détournant le regard pour prendre une mignardise sur le plateau entre elles.
- D’accord ? répète Julia sans comprendre la clémence soudaine de la sorcière.
Depuis le début, Yennefer s’est montrée méfiante avec elle, et n’a pas cachée son animosité, bien que cela se soit un peu calmé après l’incident des sources chaudes. Après lui, les deux femmes ont réussi à trouver un terrain d’entente autour de l’éducation de Ciri, et si Julia a craint un instant de créer une jalousie chez la sorcière, il n’en est rien : Yennefer se satisfait de son rôle auprès de la petite princesse, et ne semble pas dérangée par la place que la reine prend dans sa vie.
Rectification : prenait dans sa vie. Avec son emprisonnement, il est évidement hors de question de donner encore cours et ses élèves lui manquent, surtout la petite princesse vive et intelligente qui est à l’origine de tout cela.
- Vous ne pourriez pas mentir, altesse, explique Yennefer en baissant les yeux sur la tasse de thé, même si vous le vouliez.
Si Julia met quelques instants à comprendre, ce n’est pas le cas de Shani qui se saisit de sa tasse pour la renifler, inquiète :
- Qu’est-ce que vous avez mis ? Quelle dose ? Quels effets exactement ? Y a-t-il des contre-indications ?
Yennefer la rassure, amusée, et répond rapidement à ses questions, alors que Julia réalise qu’elle a encore une fois été empoisonnée. Et même si prendre un sérum de vérité sert sa cause, ce n’est pas quelque chose qu’elle souhaite voir devenir une habitude.
- Julia ne mange presque rien, elle a perdue beaucoup de poids, comment savoir que même à moindre dose, ce ne soit pas toxique ? Insiste Shani, entre colère et nervosité.
La jeune reine baisse les yeux, gênée de l’aveu sur sa santé mais ne peut pas contredire son amie, non seulement à cause de ce qu’elle a bu, mais aussi parce qu’elle voit bien qu’il faut serrer ses corsets davantage et que ses robes s’ajustent moins bien sur ses épaules.
- Moui, fait Yennefer avec une décontraction presque insultante pour la médecin, cela se voit, confirme-t-elle en jaugeant la reine de la tête aux pieds, mais rassure-toi, j’ai vu avec Triss pour la dose, elle la supportera.
Shani ouvre la bouche pour répliquer mais Julia est plus rapide :
- Vous savez que je suis là, n’est-ce pas ? Si l’elfe a la grâce de rougir, ce n’est pas le cas de la sorcière qui se contente de sourire, toujours amusée. Si vous voulez bien poursuivre votre interrogatoire, continue Julia, je suis certaine que vous devez avoir bien d’autres choses plus intéressantes à faire.
C’est une bravade de sa part parce qu’intérieurement, Julia est terrifiée à l’idée qu’en quelque mots, Yennefer puisse enfoncer le dernier clou de son cercueil en la forçant à révéler ses derniers secrets, que ce soit le Bécasseau ou sa mère non-humaine.
La sorcière a un petit rire, mais accepte.
- Vos oiseaux sont-ils bons chasseurs ?
Julia s’attendait à tout sauf à cela et pendant quelques secondes, elle ne sait même pas quoi répondre, mais ça n’a pas l’air de déranger Yennefer qui, lisant son incompréhension, explique, un sourire carnassier lui coupant le visage en deux :
- Nous avons une chouette à attraper.
A suivre...
Chapter 26: Il faut se concentrer sur les faits, non sur les émotions
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Geralt est furieux. Non, ce n’est pas le bon mot : il est terrorisé. Ciri est son plus grand secret, son plus grand amour aussi. Il n’y croyait pas, au début, quand il a accepté la Surprise comme paiement, et qu’il a eu une enfant. Etant sorceleur, il ne s’est jamais destiné à la parentalité, bien évidement.
Mais le Destin en a voulu autrement et même s’il a un temps refusé son rôle, Ciri est là maintenant, et par les Dieux, qu’est-ce qu’il peut l’aimer ! Sa fille est vive, joyeuse, intelligente… C’est un rayon de soleil dans sa triste vie de Loup Blanc. Il ne l’échangerait pour rien au monde.
Jusqu’à présent, le monde ignorait que Ciri existait par conséquent, aucun lien ne pouvait être fait entre elle et la princesse héritière du trône déchu de Cintra. C’était la meilleure des protections possibles, cela leur donnait le temps d’enseigner à sa fille comment se battre, comment maitriser son pouvoir, pour le jour où elle se déciderait à reprendre à Nilfgaard sa couronne.
Mais cela n’est plus possible. Du moins, c’est compromis. S’il n’est toujours pas question de Cirilla de Cintra, juste de Ciri de Kaer Mohren, pour Geralt, c’est déjà une première ligne de défense qui tombe, et c’est inacceptable.
La colère est plus facile à vivre et à exprimer que la peur, parce qu’un sorceleur n’est même pas sensé ressentir ce genre de chose, donc il s’y vautre avec une facilité confondante, fermant les yeux sur tout autre sentiment.
Même sur son espoir déçu, celui qui croit que Julia et la fée du Bécasseau sont les mêmes personnes, celui qui voudrait accorder le bénéfice du doute à sa reine parce qu’en trois mois de vie à Kaer Mohren, elle s’est montrée comme une bonne personne et que non, elle ne ment pas, ni devant la foule au procès, ni quand il l’interroge durement.
Geralt sait qu’il agit mal à ce moment-là, et il remercie le ciel d’avoir avec lui Eskel pour le tempérer, mais sa rage est trop grande, alimentée par un brûlant sentiment de trahison, lui qui était prêt à lui faire confiance, il ne sait pas comment faire autrement que de la laisser sortir, au risque d’être consumé par elle s’il la retient.
Ça ne mène à rien, bien entendu, parce que Julia n’a que seize ans, qu’elle est humaine et déjà traumatisée par son précédent mari. Il n’y a rien à tirer d’elle d’autre que des courbettes et des excuses. C’est terrible, assez pour le faire culpabiliser et se retirer, gêné.
Eskel, son frère, qui l’accompagne et le soutient dans tout, est choqué quand Paco ne le suit pas et franchement, se serait facile de dire que ce n’est qu’un oiseau, ce n’est pas grave, il finira par revenir et sinon tant pis, Geralt sait que ce n’est pas le cas.
La présence du perroquet au côté de son frère lui a fait du bien, plus qu’il ne pensait en avoir besoin. L’amour, parce qu’à ce stade, ça ne peut être que cela, l’amour d’un premier abord inconditionnel de l’oiseau pour un homme qui se sait défiguré et monstrueux à soigner quelque chose en lui. Enfin, presque inconditionnel car à priori, Paco reste fidèle à Julia.
Eskel est dépité, d’autant plus qu’il n’est pas celui qui a malmenée la petite reine, non, ça c’est de la culpabilité pour Geralt, et qu’il croit en plus qu’elle est innocente : elle n’a jamais menti, et rien ne prouve que la fuite vienne d’elle. Il plaide quand il peut au nom de la jeune femme, mais la colère rend Geralt sourd à ce qu’il ne veut pas entendre.
Puis Lambert croit tout l’inverse, lui, et nourrit le ressentiment du Loup Blanc avec ses propres émotions. Il a toujours été fougueux, difficile à apprivoiser et terriblement rancunier en cas de trahison, alors forcément, il est presque aussi remonté contre la reine que Geralt. Plus encore cinq jours plus tard (Geralt apprend qu’il y a eu une dispute entre Aiden et lui, à propos de Julia justement, d’où l’excès de colère).
Ça aussi, ça le dérange : Aiden et Coen lui sont fidèle, il n’en doute pas, mais pourtant, ils choisissent de prendre ouvertement le partit de Julia et eux qui la côtoient tous les jours depuis leur mariage, eux qui ont été les premiers à sympathiser vraiment avec elle, ils devraient être les plus affecté par la trahison.
Il n’en est rien, jugeant eux aussi la reine innocente. Ils ne sont pas les seuls. On murmure dans la forteresse, on réfléchit et on débat. Si tous les serviteurs sont d’avis de se ranger derrière sa propre opinion par foi aveugle envers le Loup Blanc, ce n’est pas le cas de ses camarades sorceleurs.
Eux aussi, ils ont senti que Julia ne mentait pas pendant le procès, et le discours rapporté de l’absence de mensonge lors de l’interrogatoire les font douter : certains sont comme Lambert, à penser qu’elle a trouvé un moyen de leurs dire n’importe quoi, d’autres pensent tout l’inverse, comme Aiden et Coen, et défendent une enfant innocente, autrement bonne pour la forteresse.
C’est vrai qu’il n’y a plus de musique. Plus de rire non plus. Les couloirs sont redevenus triste sans Julia pour les animés, ou pour inviter les enfants aux jeux. Ciri n’en n’aurait pas envie de toute façon. Entre la nouvelle de la mort de sa famille, la perte de son pays, et ça, la petite est devenue triste et silencieuse.
Pire, elle refuse de lui parler. Yennefer joue les intermédiaires, se cachant bien de donner son propre avis sur la question, mais lui avoue que Ciri, qui aime Julia, ne croit pas que la jeune reine l’a trahi, et pense donc que Geralt est méchant avec elle sans raison. Elle lui en veut.
Ça nourrit la bête de colère qui loge dans le cœur de Geralt, parce que sa petite fille chérie est ainsi à cause de Julia, qui s’est faite aimé d’elle pour mieux la trahir ensuite. C’est quelque chose qu’il ne peut pas pardonner et quand ils auront la preuve formelle de son ignominie, elle aura de la chance s’il se contente de la répudier.
Mais cette fichue preuve formelle n’apparait pas. Le faucon revient, un message codé à la patte dont il n’y a rien à tirer, Julia refusant de le traduire pour eux, dans un soubresaut de bravoure mal venue, et Eskel est là pour empêcher sa colère de flamber encore.
Lui, et sa culpabilité bien entendu. Parce qu’il réalise qu’en privant Julia de sa liberté, il en prive aussi toute son étrange suite. Ce n’est pas ce qu’il voulait, et il se montre clément quand il lui offre de sortir ses chiens. Ça lui donne le sentiment d’agir justement, comme si ça pouvait absoudre tout ce qu’il a mal fait avant.
Mais ils piétinent : il n’y a aucune preuve pour infirmer ou confirmer la culpabilité de Julia, et Geralt est assez sage dans sa colère pour savoir qu’il ne doit pas retourner la voir maintenant, au risque de s’emporter encore. Triss a soignée sa main, mais la sorcière lui a clairement fait comprendre qu’elle ne le refera plus, pas temps que Shani sera aussi prisonnière que la reine.
Parce que, bien sûr, Triss est tout aussi convaincue de l’innocence de Julia. Elle a promis à Shani de ne rien dire, mais l’elfe s’est beaucoup confiée à elle, les deux femmes se sont bien rapprochées, à travailler tous les jours sur une décoction sensé pouvoir protéger les enfants lors de l’Epreuve des Herbes.
A mesure que le temps passe, et qu’il ne se passe rien, justement, Geralt se sent de plus en plus isolé, incertain, indécis. Par moment, la colère lui brûle le cœur, et il ne pense qu’à une chose, aller trouver Julia, la confronter encore, user de tous les moyens à sa disposition pour lui faire avouer son crime. A d’autre, la culpabilité revient, en même temps que le doute, et il se dit que si elle est effectivement la fée du Bécasseau, jamais elle ne l’aurait trahi, non ?
ooOoo
La salle du conseil est animée, comme elle l’est toujours depuis presque trois semaines maintenant. C’est Eskel et Lambert qui font tout le spectacle, se disputant sans retenir leurs cris, lançant arguments et contre-arguments sans que le débat n’avance jamais.
L’un comme l’autre campe sur ses positions. Lambert, contre la reine, qu’il condamne sans retenu, et Eskel en faveur de Julia, qu’il innocente avec tout autant de ferveur. Les deux sorceleurs n’en viennent pas aux mains mais presque, et si cela pouvait aider à faire bouger les choses, Vesemir leur ordonneraient d’aller se défouler sur les airs d’entrainements pour régler tout cela une bonne fois pour toute.
Mais ça ne servirait à rien, bien entendu. Sans preuve pour sauver ou condamner la reine, ils sont dans une impasse. Jusqu’à présent, le vieux sorceleur ne s’est pas prononcé, dans un sens ou dans l’autre, estimant qu’il n’est pas question d’opinion dans cette histoire.
Parce que son opinion, Geralt et tous les autres la connaissent bien : un sorceleur n’a pas à prendre épouse. Mais comme un sorceleur n’a pas à prendre le pouvoir non plus alors… se serait hypocrite de condamner Geralt pour ça, quand on lui pardonne tout le reste.
Et Vesemir a choisi d’accorder sa confiance au Loup Blanc, lui a offert sa fidélité et sait que ce qui a été fait, le Seigneur de Guerre et tout ça, c’est une bonne chose. Les gens vivent mieux sous son règne et les sorceleurs sont plus heureux que tout ce que le vieil homme a vu, en quelques siècle de vie.
Vesemir détourne le regard des deux coqs qui se disputent pour regarder son protéger. Geralt est perdu, c’est évident, tantôt furieux, tantôt débordant d’espoir et de culpabilité. Le vieux sorceleur n’a rien dit, mais il a bien vu son élève se rapprocher doucement de son épouse et qui pourrait lui jeter la pierre ?
Même un vieux loup comme lui, qui a été si méfiant envers la rédanienne, si prompte à garder ses distances pour garder sa neutralité, doit admettre que Julia Diane Pancratz de Lettenhove est une jeune femme facile à aimer.
En tout impartialité, il a vu comment sa présence et son enseignement ont fait du bien à Ciri et aux quelques enfants assez courageux pour suivre ses cours, comment sa musique et ses chansons animent leurs soirées, comment sa langue habile et sa patience avec les sorceleurs lui ont permis de percer la carapace de nombre d’entre eux, Aiden et Coen en tête, Eskel et les autres ensuite.
Vesemir n’est pas de ceux-là. Ainsi qu’il l’a voulu, il a pris soin d’être courtois mais distant avec Julia et la jeune femme n’a pas forcé les choses. C’est bien parce qu’aujourd’hui, il se sent assez neutre pour pouvoir soit la condamner et lui fermer les portes de sa forteresse, ainsi qu’il l’a prévenu à son arrivé, soit la réhabiliter s’il s’avère qu’elle n’est effectivement pas une traitresse.
Mais dans un cas comme dans l’autre, il faut des preuves car, ainsi qu’il l’a dit, il n’est pas question d’opinion ici, il faut des faits. Et le fait est que par omission, volontaire, il en est certain, Julia leur a déjà mentit, en leur cachant qu’elle est le fameux poète Jaskier, en usant de ses faucons pour correspondre avec la Rédanie au nez et à la barbe de tout le monde.
Là-dessus, Lambert a raison.
Mais elle a affirmé soutenir le réseau du Bécasseau et écrire aux Scoia’tael, et n’a pas mentit une seule fois. Et Shani, l’elfe anciennement esclave, celle pour qui la reine a forcé les portes de l’université pour lui permettre de devenir médecin, lui voue une confiance aveugle.
Là, c’est Eskel qui a raison.
Vesemir détourne le regard de Geralt pour observer le dernier membre du conseil. Yennefer est installée non pas à table, mais dans un fauteuil près de la cheminée, un verre de vin qu’elle fait tourner plus qu’elle ne le boit à la main, regardant de loin la dispute, un sourire mystérieux aux lèvres. Elle non plus, elle n’a pas donné son avis sur la situation.
- Et toi, sorcière, qui est allé parler à la reine deux fois, as-tu quelque chose à ajouter ?
Ça a l’avantage de faire taire Eskel et Lambert, attirant leur attention, alors que Geralt relève la tête et fronce les sourcils :
- Deux fois ? s’étonne-t-il.
- Courtes visites, se défend Yennefer.
Vesemir sait que lors de la première, il y avait Ciri, et devine que c’était sans doute la petite qui voulait voir Julia. Néanmoins, sachant qu’évoquer la fille et la femme de Geralt en même temps a tendance à pousser le Loup Blanc à la colère, le vieux loup garde pour lui cette information, préférant insister sur le contenu de ses entretiens, aussi courts qu’ils aient pu être :
- Pas grand-chose, fait la sorcière. Elle n’a fait que jurer n’avoir jamais trahis personne.
Le parfum de groseille à maquereaux et de lilas n’est pas teinté par celui du mensonge, pourtant, Vesemir devine la sorcière trop vague pour être honnête, alors il insiste :
- Nous piétinons, dit-il, as-tu une idée ?
Loin d’être déstabilisée, le sourire de Yennefer grandit, comme s’il venait de lui faire une offre intéressante. Elle répond, levant son verre :
- Dans l’immédiat non, mais j’espère très bientôt.
Vesemir fronce les sourcils, méfiant. Yennefer cache trop son jeu, elle est trop mystérieuse, il est évident qu’elle prépare quelque chose, et à croire l’expression perplexe de ses trois louveteaux, eux aussi se méfie :
- Est-ce que cela a à voir avec les faucons de la reine ? Demande Eskel d’un ton soupçonneux
Depuis quelques jours maintenant, on rapporte que les deux rapaces ne se cantonnent plus à la tour est et aux appartements de la reine, mais qu’ils survolent tout Kaer Mohren, tournent autour et cherchent les perchoirs les plus élevés presque comme s’ils… montaient la garde, ce qui est étrange.
Yennefer ne répond pas, se contentant de sourire et ça tire des quatre loups un grognement frustré. Pourtant, depuis le temps qu’ils la côtoient, ils savent très bien qu’il ne sert à rien d’insister : Yennefer ne se laisse impressionnée par personne, pas même le sorceleur à qui elle a juré fidélité.
- Et toi, vieux loup, as-tu une idée ?
Vesemir grogne mais il est habitué à ce que la sorcière lui parle ainsi, avec une fausse animosité teintée de respect. Il ne proteste pas, préférant garder un instant le silence pour réfléchir à ce qui pourrait enfin faire bouger les choses.
- Hum… il faut revenir aux faits. Finit-il par dire en se tournant vers ses louveteaux.
C’est comme s’il donnait cours une nouvelle fois. Malgré qu’ils soient adultes et sorceleurs depuis des décennies maintenant, Geralt, Eskel et Lambert l’écoutent religieusement, comme si leur vieux professeur avait la clé de la solution. C’est à la fois triste et drôle, et Vesemir ne peut s’empêcher de les voir comme les enfants qu’ils étaient autrefois. Il poursuit la leçon :
- Vizimir n’a pas appris l’existence de Ciri par hasard. Il y a forcément quelqu’un, dans Kaer Mohren, qui nous as trahis.
Vesemir dit « nous » parce que, comme tout le reste de la forteresse, il est profondément attaché à la petite princesse. Ciri est encore un autre écart de Geralt, parce qu’il est évident que le Destin ne veut pas qu’il soit un simple sorceleur, mais pas un de ceux qu’on peut lui reprocher, l’enfant étant terriblement attachante, depuis le tout début.
- Néanmoins, on ne peut pas accuser la reine simplement parce qu’elle est rédanienne.
Lambert fronce les sourcils, grince des dents et Vesemir le connait assez pour savoir que son plus fougueux garçon va bientôt se mettre à aboyer, alors il ne perd pas son temps et poursuit :
- Mais on ne peut pas non plus ignorer ses liens avec la Rédanie.
Cette fois, c’est Eskel qui grimace, mais lui est trop sage pour oser interrompre son mentor, ce qui laisse le temps au vieux loup de réfléchir à ces prochaines paroles :
- Qu’elle ait utilisé ses faucons sans prévenir personne n’aide pas son cas, mais ce n’est pas une preuve suffisante pour l’inculper.
Vesemir soupir et rajoute, tout de même un peu triste pour la jeune femme en pensant à tous les manques de respect qu’elle a subi pendant trois mois, dont le plus terrible a coûté la vie de plusieurs de ses oiseaux pour lesquels elle a un attachement sincère :
- Certes, ça suffirait pour la majorité des non-sorceleurs…
- Parce qu’elle est coupable à leurs yeux depuis le début, souligne très justement Yennefer.
Le vieux loup acquiesce et reprend :
- Mais ça ne suffira pas pour les sorceleurs. Beaucoup l’apprécie, et beaucoup sont aussi indécis que toi, Geralt.
Vesemir soupir, aussi fatigué par la situation que son ancien élève. Ces discordances lui rappelle pourquoi les écoles s’étaient initialement séparées, pourquoi la vie d’un sorceleur est sensée être solitaire. Les choses sont tellement plus simples quand il n’y a pas une multitude d’opinion à rallier… Tiens, ça lui donne une idée.
- Il faut un procès, propose-t-il aussitôt qu’il y pense. Public, comme la dernière fois.
- Juger la reine ? Comprend Eskel avec surprise. Cela ne va-t-il pas contre toute définition de la royauté ?
Lambert tique et rétorque, agressif comme il sait si bien l’être :
- Ce n’est qu’une mortelle, le charrie-t-il.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire, se défend Eskel.
Ils vont se disputer alors Vesemir intervient, leur coupant l’herbe sous le pied :
- Nous comprenons ce que tu voulais dire. N’importe qui ne peut pas la juger. Nous ne pouvons pas la juger.
Il tourne son regard vers Geralt, dont l’humeur sombre s’accentue alors qu’il comprend avant que son mentor ne termine :
- En revanche, le Seigneur de Guerre du nord, le Loup Blanc, le peut.
Geralt gronde, mécontent, et veut certainement protester mais alors qu’il s’apprête à parler, la porte du bureau s’ouvre brusquement sous un vent magique qui fait vibrer tous les pendentifs des sorceleurs et qu’un croassement répétitif se fait entendre. Avant que quiconque ne puisse comprendre, Loki, le corbeau de la reine entre et se précipite sur Yennefer.
- Sorcière ! Sorcière ! Sorcière !
Si la femme sans âge n’a pas l’air surprise par l’intrusion, il est évident que les sorceleurs, eux, ne comprennent pas et, quand bien même, certains ont plus de ressentiment que d’autre envers la reine, tous partagent la même inquiétude pour Julia, se demandant s’il se passent quelque chose de grave.
Néanmoins, avant qu’ils ne puissent poser une question, ils entendent une détonation, semblant venir de l’extérieur, et les murs de la forteresse tremblent un instant, faisant tomber la poussière millénaire qui s’y cache.
A suivre...
Notes:
Promis, la semaine prochaine il y aura moins de blabla et plus d'action !
A bientôt!
Chapter 27: Cette chouette qui n’en est pas une…
Chapter Text
Julia promène ses chiennes sur le chemin de ronde du rempart intérieur, comme à son habitude. Il fait beau aujourd’hui, et il a encore neigé cette nuit. Il y a d’épaisses congères le long du chemin, et l’air est piquant de froid. La jeune reine est immobile au bord d’un des remparts, observant la foule de sorceleur qui s’entraine en contre-bas malgré le temps, et plus loin, la forêt tout aussi blanche de neige.
Sa balade touche à sa fin, elle le sait. Bientôt, elle devra retourner dans ses appartements et la jeune femme se rend compte jours après jours que cela devient de plus en plus difficile maintenant qu’elle a un espoir.
Elle est toujours choquée d’avoir le soutien de Yennefer. De tous, c’est le dernier qu’elle pensait avoir, même si la sorcière ne s’était plus montrée aussi hostile qu’à leurs premières rencontres. Mais de là à la croire, mieux, à lui proposer un plan et lui demander son aide… Si Julia n’avait pas le poids familier de Loki, caché dans la capuche de son manteau, elle n’y croirait pas.
Et pourtant, son corbeau est avec elle quand elle sort, et à l’affut des cris de ses frères faucons quand elle est enfermée. Il connait sa mission, et est prêt à intervenir à tout moment. Comme Heru et Horus, qui parcourent le ciel juste au-dessus d’elle, surveillant Kaer Mohren et ses alentours.
Aiden et Coen sont avec elle, comme toujours. Après l’étrange visite de Yennefer, les deux sorceleurs ont ajouté à leurs armements une arbalète, pour une raison évidente, mais Julia espère qu’ils n’auront pas à s’en servir, que le plan de la sorcière fonctionnera sans violence.
- Altesse, l’interpelle le griffon, nous devons…
Un cri l’interrompt. Aigu et perçant. Tous les trois lèvent les yeux pour voir dans le ciel l’un des faucons faisant cercle au-dessus d’une des tours, rejoint rapidement par son frère. Mais leurs regards se détournent immédiatement des deux rapaces pour trouver, plus bas, la silhouette de cette étrange chouette.
Ce n’est pas Athéna, même si la ressemblance est frappante. Elle se promène en pleine journée et cherche actuellement une fenêtre ouverte. Ce n’est pas un comportement normal, et Julia, qui s’y connait en oiseau, est persuadée maintenant que ce n’est pas une chouette du tout.
- Loki, mon amour, souffle Julia, va trouver dame Yennefer.
Le corbeau croasse doucement, s’extirpant de la capuche de laine bordée de fourrure habilement, pour s’envoler et s’engouffrer dans la première porte qu’il trouve. Julia n’était pas rassurée, mais a laissé la sorcière ensorceler son oiseau pour qu’il puisse circuler sans rencontrer d’obstacle. A priori, ça fonctionne.
Pendant ce temps, alors que les deux faucons continuent de surveiller leur proie silencieusement, la chouette erre de fenêtre en fenêtre, cherchant un point d’entrée. En plein hivers, ils ne sont pas nombreux alors Julia espère que quand elle en trouvera un, elle s’y engouffrera sans réfléchir.
La jeune reine la suit du regard, arpentant le rempart pour ne pas la perdre de vue. Elle sait qu’il y a quelques ouvertures laissées accessibles, c’est essentiel pour le plan de Yennefer que la chouette pose une patte sur une pierre de la forteresse.
Il y en a une, Julia la voit, une porte fenêtre sur un balcon, la chouette tourne autour un instant. Son vol silencieux lui garantit une discrétion inégalable. Elle tourne, regarde, hésite, c’est évident. Julia murmure tout bas, l’invite à entrer, veut que le piège se referme. C’est la clé de sa liberté, si ce que Yennefer et elle pensent est vrai, et alors, elle ne sera plus la traitresse.
- Elle ne va pas entrer, devine Aiden, qui suit lui aussi le manège de l’animal.
Comme pour lui donner raison, la chouette recule, observant le reste du château un instant avant de… se détourner, complètement, retournant vers la forêt. Elle s’enfuit. Sans doute parce qu’elle a deviné le piège qui lui est tendu. C’est inacceptable.
- Abattez-là. Ordonne-t-elle.
Ni Aiden, ni Coen, ne protestent, conscient de l’enjeux. Le griffon tire son arbalète et l’arme, prenant le temps de viser avant de finalement appuyer sur la gâchette.
Tous suivent le carreau du regard. Il est évident que le griffon a bien visé, et qu’il va empaler la chouette qui tourne le dos à l’attaque. Pourtant, alors qu’elle doit la toucher, il y a un éclair de lumière et le carreau est dévié de sa trajectoire.
Sans réfléchir, Julia siffle, un son court et exigeant, qui lance habituellement la chasse et il ne faut pas attendre longtemps pour voir ses deux faucons plonger d’un même mouvement. La chouette inconnue essaye de fuir, mais elle est vite rattrapée par les deux rapaces prédateurs, qui attaquent sur l’ordre de la reine.
Il y a un autre éclair de lumière et Horus est repoussé, chutant du ciel sans mouvement. C’est terrible mais cela offre sa chance à Heru, qui plonge et saisit l’aile de la chouette dans ses serres, bloquant son vol et la tirant avec lui vers le sol et vers Julia.
La reine suit du regard le corps de son faucon tomber dans la cour intérieure, le cœur battant de terreur. Sans un regard pour le combat qui se déroule toujours dans le ciel, elle se précipite, empruntant un escalier glissant pour rejoindre la cour et le point de chute, un gros tas de neige fraiche, suivit par Aiden et ses chiennes.
Coen reste sur le rempart. Il a déjà réarmé l’arbalète mais n’ose pas tirer de peur de toucher le faucon de la reine. Horus a chuté dans la neige, juste en contre-bas de sa position mais son attention est fixée sur les deux oiseaux qui crient et se battent, Heru refusant de lâcher prise malgré les coups de bec de la chouette.
Ils en sont à quelques mètre du sol quand la chouette se transforme et ce n’est plus un oiseau mais une femme qui atterrie à son tour dans un tas de neige, dans la cour intérieure du haut château, toujours attaquée par le faucon qui ne lâche pas prise. Julia n’est pas loin, portant le corps immobile d’Horus.
Quand elle voit l’inconnue se relever, la reine n’hésite pas et la pointe du doigt, ordonnant à ses chiennes :
- Attaque !
Il y a un autre éclair de lumière, de la magie évidement, mais Heru l’évite et avant que la métamorphe ne puisse réagir, elle est arrêtée par Sélène qui lui saute à la gorge. L’animal est repoussé par une détonation de magie, mais Hécate profite que la femme tende la main pour la lui saisir et ne plus lâcher, mordant jusqu’au sang.
Par ce temps, il n’y a personne dans la cour intérieure, mais le bruit et les détonations de magie attirent du monde aux fenêtres et quelques personnes sortent même, alors que les sorceleurs quittent leurs entrainements pour venir voir ce qu’il se passe. La sorcière inconnue les voit venir et bloque leur arrivée en faisant exploser la porte du rempart. Tout le château tremble. Quelque part, une cloche sonne alors que quelqu’un cri à l’invasion, enfin.
Coen a dû sauter en urgence du rempart, évitant le gros de l’explosion, mais se faisant, il est sous le feu nourrit de pierres qui retombent, se protégeant in extremis grâce à un Quen avant d’être engloutit sous les débris.
Aiden hésite une seconde à venir en aide au griffon : les deux chiennes attaquent sans délicatesse, faisant couler le sang et se relevant à chaque fois qu’elles sont repoussées. Heru continue de fondre sur la femme, visant son visage, essayant visiblement de lui crever les yeux. Julia le voit et prend la décision pour lui :
- Mes animaux vont la retenir le temps que Yennefer arrive, lui dit-elle avec assurance, allez aider Coen.
Aiden acquiesce et Julia est bien heureuse que son attention se détourne d’elle et de son faucon qu’elle tient toujours. Elle sent le cœur de l'oiseau battre trop lentement contre sa main et sait que le temps est compté. Il y a bien quelques spectateurs maintenant, des curieux que la bataille attire, même si le gros des sorceleurs, qui était à l’entrainement, est bloqué dans la cour inférieure. C’est sa chance.
Personne ne regarde la reine chantonner en frottant de la neige sur ses plumes. Les médaillons de chacun étant déjà agité par la magie qu’utilise la métamorphe, personne ne remarque le pouvoir de Julia quand elle soigne son faucon.
Horus cri en revenant à la vie, et Julia expire de soulagement, mais ça ne dure pas longtemps : un jappement de chien lui rappelle le terrible combat qui se déroule toujours alors elle murmure à son oiseau qu’elle tient :
- Peux-tu, mon amour ?
Le faucon siffle puis s’envole, rejoignant son frère dans sa danse. Julia se relève alors que la fatigue de sa magie la prend, hésitante à son tour. Elle devrait se trouver un abri mais rechigne à laisser ses animaux derrière elle, et elle sait qu’elle sera d’une piètre aide pour déplacer les lourds morceaux de pierre qu’Aiden soulève pour atteindre Coen toujours ensevelie.
L’un des faucons parvient à ses fins et perce l’œil de la métamorphe, qui laisse éclater son pouvoir pour repousser d’un coup tous les animaux qui l’assaillent. Ensanglantée, la chaire arrachée en plusieurs morsures, le visage lacéré, elle pose son unique œil sur la reine et hurle, rageuse :
- Traitresse !
La magie agressive soulève la neige quand elle progresse rapidement vers Julia qui se fige, effrayée. Avec Coen toujours ensevelie et Aiden qui cherche à le libérer, il n’y a personne pour la protéger et le vent magique la frappe de plein fouet, l’envoyant heurter un mur de pierre alors qu’elle sent sa propre chaire rompre sous l’attaque.
Son cri de douleur se mêle à un autre : Sélène et Hécate ont réussi à attraper la sorcière espionne, la première son poignet, l’autre la cheville, et leurs mâchoires d’acier tirent dans le but évident de la démembrer. Ça laisse le temps à Horus de crever son second œil. Tous sont repoussés encore par une autre explosion de magie et la métamorphe fait un mouvement, non plus pour attaquer mais pour fuir par portail.
Néanmoins, c’est un effort évident et même vain : les barrières de protections sont l’œuvre de plusieurs sorcières, dont Yennefer de Vengerberg, reconnue comme la plus puissante d’entre toutes. Il n’y a qu’une ébauche lumineuse de portail, immédiatement étouffée par la magie de Yennefer elle-même qui s’avance dans la cour, Loki sur son épaule, suivit par le Loup Blanc et son conseil.
- Philippa, la salue-t-elle en formant une boule de Chaos entre ses doigts.
Julia, qui se redresse à peine, sonnée par l’attaque, siffle paniquée quand la magie des deux sorcières entre en collision. Bien dressés, ses animaux lui reviennent, les faucons et Loki en premier, Sélène et Hécate, toutes deux boitillantes et ensanglantées en second.
L’adrénaline qui coule dans ses veines cache à sa vue ses propres blessures, même si sa tête tourne et qu’elle doit s’aider du mur pour se relever. Devant elle, les deux chiennes grognent et tournent, nerveuses, sans quitter du regard leur proie qui essaye de repousser les attaques de Yennefer, chacune portant un faucon sur son dos.
C’est un duel impressionnant, les deux sorcières étant d’un calibre exceptionnel, et même les sorceleurs qui arrivent enfin, soit en escaladant le rempart détruit, soit par une brèche qu’ils ont réussi à creuser dans les débris de pierre, prennent position autour de la cour mais n’osent pas intervenir.
Certains font comme Aiden et cherchent dans les décombres ceux qui auraient pu subir le même sort que Coen. L’un d’entre eux approche, pour aider Julia mais ses chiennes grognent et s’interposent. Personne n’a le temps de parler, il y a une autre explosion de magie, cette fois beaucoup plus forte et un instant, Julia croit qu’elle va être écrasée et elle se couvre les yeux, aveuglée par la lumière forte.
Mais cette fois-ci, elle sent peser sur ses épaules quelque chose, comme une couverture chaude qui l’entoure et la protège, et la magie glisse sur elle sans la toucher. Quand elle rouvre les yeux, il y a tout une ligne de sorceleur devant elle, tous dans la même position, et brillant d’une aura bleue. Plus tard, elle apprendra que c’est le signe de Quen.
Aiden et Coen sont parmi eux. Le griffon est couvert de poussière mais semble autrement intact. Sélène et Hécate, habituée à leurs présences, les laisse approcher quand, une fois l’attaque passée, ils se retourne vers elle pour l’aider.
- Vous êtes blessée, remarque le griffon d’un ton plein de culpabilité.
Heru et Horus sont tous les deux perchés sur les chiennes, chacun s’accrochant au collier de cuir et comme elles, ils ne quittent pas des yeux le combat, visiblement prêt à intervenir encore une fois. En revanche, Loki est là, sur son épaule, se frottant à elle avec des trilles inquiètes.
- Ce n’est rien, minimise la reine.
En vrai, elle ne sait pas : son cœur bat la chamade alors que son attention reste fixer sur le duel de sorcellerie qui anime la cour. Elle n’en sait pas assez pour savoir qui gagne vraiment, même si la sorcière espionne, que Yennefer a appelé « Philippa », semble mal au point. Il faut dire que ses animaux ne l’ont pas épargnée.
Julia l’a déjà vu, autrefois. Elle a les cheveux et la peau brune. Enfin, là où elle n’est pas mordue et déchirée par les chiennes qui l’ont harcelées. Quant à ses yeux, ils sont irrémédiablement crevés, déversant sur ses joues un mélange sanglant de fluides répugnants. Mais sa cécité nouvelle ne semble pas vraiment la déranger outre mesure.
Il y a une pause dans le combat quand Yennefer est rejoint par d’autres mages et sorcières, dont Triss. Aucun des nouveaux venus n’attaquent, mais leur présence est assez dissuasive pour que Philippa renonce et lève les bras en signe de reddition.
Comme si elle voyait toujours, elle tourne le dos à Yennefer avec insolence, pour s’adresser directement au Loup Blanc qui regarde le spectacle du parvis de son château, aussi hésitant que les autres à intervenir.
- Tout ceci n’est qu’un malentendu, cher Loup Blanc, ose-t-elle dire d’une voix à peine essoufflée. Nos deux pays sont en paix, après tout.
Avec une assurance impressionnante, elle ose faire quelques pas vers le sorceleur, comme si elle n’était pas sous la menace de toute une légion de mages et de guerriers hostiles. Il y a des volutes de lumières qui tournent autour d’elle, refermant ses plaies et réparant même sa robe. Quand elle arrive au pied de l’escalier menant à la porte principale et au Seigneur de Guerre, c’est comme si elle ne s’était pas battue.
Presque.
Si sa robe blanche et noire aux motifs compliqués et ses long cheveux bruns sont à nouveau impeccables et que toutes traces de sang ont disparu, ses paupières sont closes sur des globes oculaires détruit maintenant, mais une fois encore, ça n’a pas l’air de la déranger.
- Nous sommes en paix, insiste la sorcière. Malheureusement, je crains qu’un pareil accueille ne mette mon roi très en colère. Cela pourrait compromettre la paix…
La menace est évidente, et le Loup Blanc fronce les sourcils mais Julia est incapable de dire si c’est par colère ou hésitation. Néanmoins, si son époux est peu habitué aux fourberies de la diplomatie, ce n’est pas son cas et la jeune femme se permet d’intervenir. Une fois encore, l’adrénaline lui permet d’ignorer ses blessures et elle s’élance, suivi par sa garde personnelle sans qu’elle n’ait rien à leur dire.
- Que vous osiez espionner Kaer Mohren depuis des mois est le premier affront à cette paix, accuse-t-elle d’une voix forte, assez pour que tout le monde l’entende.
Ayant confiance en Yennefer, les autres mages, sa garde et l’ensemble des sorceleurs, la jeune reine avance jusqu’à pouvoir se tenir au pieds des marches, à quelques mètres à peine de Philippa. Elle déglutit quand la sorcière tourne vers elle son regard aveugle :
- Toi, gronde-t-elle tout bas d’un ton mordant, j’obligerais tes oiseaux à crever tes yeux avant de vous étrangler tous !
Maintenant qu’elle la voit de près, Julia reconnait Philippa Eilhart, la sorcière de cour de Vizimir. Si elle ignorait qu’elle avait cette capacité de métamorphose, que ce soit elle qui espionne ne l’étonne pas, elle a toujours été de mèche avec Dijkstra, le chef des services secrets rédaniens. Elle déglutit mais ignore la menace pour l’accuser encore :
- Votre simple présence ici est une insulte à la paix pour laquelle mon seigneur époux pourrait réclamer votre tête et la Rédanie.
Philippa sert les dents, furieuse. Il est évident qu’elle veut répondre voire attaquer la reine, mais, intelligente, elle se détourne et reporte son attention sur le Loup Blanc, le seul à pouvoir mettre fin à la confrontation :
- Ainsi que je le disais, ce n’est qu’un malentendu. Sa voix se fait suave, alors qu’elle rajoute, comme s’il n’y avait que le Seigneur de Guerre et elle, je suis certaine que l’on peut trouver un arrangement…
- Hum.
Pendant un court instant, Julia croit que son époux va se laisser séduire ou berner, peut-être inquiet de déclencher une autre guerre avec la Rédanie si effectivement, il condamne trop fermement la sorcière intruse. Et à croire le sourire suffisant de Philippa, elle doit croire la même chose. Puis son sourire se décompose quand il ordonne sa mise aux arrêts, dans une cellule dédiée aux utilisateurs de magie.
Julia respire, soulagée, alors qu’on s’active dans la cour et que la sorcière est emmenée, hurlant à l’injustice et menaçant sans retenue d’une guerre, escortée par Yennefer pour être certain qu’elle ne s’échappe pas.
- Coen, mon ami, appelle Julia en se tournant vers ses deux sorceleurs escortes, je peux vous appeler Coen ? Demande-t-elle nerveusement.
Elle n’a toujours eu que du « messire » ou « maitre sorceleur » avec ses gardiens jusqu’à présent. L’adrénaline coule toujours, mais Julia sait que ça ne va pas durer. Maintenant que la menace est passée, que la chouette est capturée, son stress et sa panique retombent, et petit à petit, son corps se réveille de douleurs nouvelles.
- Oui, altesse, fait le griffon en venant à sa rencontre.
- Parfait, parfait.
Ses muscles tirent, comme si elle avait couru toute la nuit alors que sa tête est lourde, battante d’une migraine qui cogne au rythme de son cœur, troublant sa vue et lui donnant la nausée.
- Vous saignez, souligne Aiden en l’imitant.
Effectivement, elle se sent poisseuse et si sa robe semble à première vue intacte, elle sait qu’en dessous, ce n’est pas le cas de sa peau qui a été lacérée par la magie de Philippa. Néanmoins, elle ignore l’intervention du chat :
- Puis-je vous demandez un service ? Demande-t-elle à Coen. S’il vous plait, restez et expliquez à mon seigneur époux le fin mot de cette histoire ?
En parlant du loup, ce dernier veut s’approcher lui aussi, mais il est arrêté par Sélène et Hécate qui, malgré qu’elles soient blessées et boiteuses, sont toujours prêtes à la défendre. Horus et Heru, toujours sur les deux chiennes, piaillent eux aussi, ailes écartées, se faisant plus gros qu’ils ne le sont. Julia ne les en empêche pas, sachant son temps compter :
- Et s’il vous plait, consultez un guérisseur, juste pour être sûr.
Coen veut protester mais Julia l’ignore en se tournant vers Aiden, à qui elle demande aussi la permission de l’appeler simplement par son prénom, ce que le chat autorise sans discuter, visiblement inquiet pour elle :
- Vous êtes blessée, altesse. Insiste-t-il.
- Aiden mon cher, je pense que je vais m’évanouir dans les prochaines secondes. Puis-je compter sur vous pour me conduire à Shani ? Elle saura quoi faire.
Julia n’a pas le temps d’entendre sa réponse, son sang bat trop fort à ses oreilles et la douleur à raison d’elle : tout devient noir alors qu’elle perd enfin connaissance.
A suivre...
Chapter 28: Les choses vont peut-être enfin s'arranger ?
Chapter Text
Quand Julia se réveille réellement, c’est le milieu de la nuit et tout est calme. Elle avait ouvert les yeux plusieurs fois avant, mais n’était restée consciente que quelques instants, la douleur et l’épuisement forçant son esprit à fuir son corps.
Mais pas cette fois. La douleur est toujours là, mais elle est bien moins forte. Sa peau tiraille par endroit, ses muscles sont endoloris, mais tout est supportable. Quand elle se tâte pour évaluer les dégâts, elle rencontre plusieurs bandages, sur ses cuisses, son ventre et sa poitrine, et l’odeur d’onguent et d’antiseptique s’accroche à elle.
Sa chambre, c’est là qu’elle est, est éclairée par une maigre chandelle, mais c’est bien assez pour voir, quand elle écarte le bandage sur sa poitrine, ce qui ressemble à une lacération qui la coupe d’un sein à l’autre. Elle espère que ce n’est pas assez profond pour laisser des cicatrices, puis replace le bandage avant de se faire prendre par Shani, qui la grondera à coup sûr !
Shani est là, d’ailleurs. Assise sur une chaise contre son lit, la tête posée sur le matelas, endormie. Julia a un sourire tendre quand elle la voit, et devine que son amie n’a pas chômé pour la soigner. Avoir l’elfe dans sa vie est une grande chance, et Julia remercie le ciel pour cela. Délicatement, autant parce qu’elle a mal que parce qu’elle ne veut pas la réveiller, la jeune femme prend une de ses couvertures pour la mettre sur les épaules de la médecin, qui gémit mais ne se réveille pas.
Il n’y a pas que l’elfe dans sa chambre. Quand Julia se redresse dans l’idée de se lever, elle voit ses chiennes qui dorment elles aussi. Mais au lieu d’être sur le lit, comme elles en ont pris l’habitude, elles sont étendues sur une fourrure, tout près.
La jeune femme fronce les sourcils, prend le petit bougeoir pour mieux voir et descend du lit pour aller les trouver. Sa tête tourne un instant et ses muscles tirent quand elle marche et s’agenouille à côté des bêtes, mais rien qui ne soit pas tolérable.
Sélène et Hécate se réveillent à l’instant où elle les touche, et Julia leur murmure de rester calme, ce qu’elles font, se contentant de remuer la queue, la sentir et lécher la peau qu’elles peuvent atteindre, chatouillant Julia au passage.
- Ho, mes amours, souffle la jeune reine en les détaillant.
Elles ont été aussi soignées qu’elle et cela la rassure. Sélène a perdu une oreille, et son pelage blanc est strié de plaies longues et croutées, comme si des éclairs s’étaient dessinés sur sa peau. Elle a un bandage autour de la patte arrière droite, et cette patte n’a pas bougée quand elle s’est redressée pour l’accueillir.
Hécate n’est pas mieux. Elle a toujours ses deux oreilles, mais son œil gauche est barré d’une longue plaie allant jusqu’à sa babine qu’elle coupe en deux. Son œil est terne, laiteux, et Julia craint qu’il soit aveugle car quand elle passe sa main devant, la chienne ne réagit pas. Comme sa sœur, son pelage noir est découpé par des plaies à la même forme, et un bandage entour son épaule gauche.
- Mes chers amours, murmure Julia avec émotion. Vous avez été si brave, si forte. Merci.
Julia ne sait pas combien de temps elle reste là, à les caresser en les remerciant, les félicitant sans fin pour leur bravoure, mais finalement, les deux chiennes se rendorment, épuisées elles aussi par le combat et la guérison, qu’elle se promet d’accélérer en enchantant leur eau.
Les muscles de Julia protestent eux-mêmes de la position agenouillée aussi la jeune femme, avec quelques difficultés, se redresse. Elle hésite un instant à retourner dans le lit, ce que Shani voudrait certainement qu’elle fasse, mais ne se sent plus fatiguée. Puis, il n’y a pas que Sélène et Hécate à féliciter.
Loki et Paco sont là, perchés sur la tête de lit, endormis. Julia hésite mais décide de laisser les deux oiseaux se reposer. Elle pose le bougeoir sur le lit le temps d’enfiler sa robe de chambre en laine, ne serrant la ceinture que marginalement car elle passe sur l’une des plaies, puis reprend la lumière et quitte à pas de sourie sa chambre.
Le salon n’est pas vide et quand Julia le remarque, à peine la porte passée, elle pose ses mains sur sa bouche pour retenir son cri de surprise, faisant tomber son bougeoir, et détourne les yeux, son cœur s’emballant en un instant alors que le rouge lui monte aux joues.
Dans le salon, il y a Aiden et Lambert, le premier allongé sous le second, devant la cheminé. Les choses semblent bien avancées entre les deux hommes, puisqu’ils sont tors nu et qu’ils s’embrassent comme s’il n’y avait pas de lendemain. Enfin, s’embrassaient, parce que la venue de la reine les fait sursauter autant qu’elle.
- Pardon, fait-elle sans les regarder, allant jusqu’à poser une main sur ses yeux.
C’est la première fois que Julia voit deux hommes ainsi. L’homosexualité est taboue, même criminelle en Rédanie et ailleurs. Pour ce qu’ils ont fait ce soir, ils pourraient être arrêtés, condamnés et brûlés vif. Ou autre chose, suivant comment les sorceleurs traites de cela. Julia ne veut pas savoir.
- Pardon, répète-t-elle rapidement, je suis désolée. Je ferais comme si je n’avais rien vu, je ne dirais rien, promis. Désolée, vraiment. Pardon.
Pendant qu’elle babille nerveusement ses excuses, Aiden et Lambert bougent, elle entend quelques mots en langues étrangères, des bruissements de vêtement et des bruits de pas et avant longtemps, elle sent quelqu’un poser sa main sur son bras pour attirer son attention.
Julia se tait, inspire et retire sa main de ses yeux pour se tourner vers Aiden qui se tient près d’elle, la mine désolée. L’image de lui à demi-nu sous Lambert la fait rougir et elle baisse les yeux, gênée.
- Désolée, fait-elle, je ne voulais pas vous interrompre.
- C’est à nous de nous excuser, altesse, répond le chat, contrit.
Dans son dos, Lambert grogne, les bras croisés sur sa poitrine, la tête relevée dans une attitude hautaine. Mais dans ses sourcils froncés et ses lèvres pincées, Julia pense lire autre chose, bien qu’elle ne sache pas s’il s’agit de gêne ou de peur.
- Ne vous en faites pas, fait-elle avec un sourire tendre, je ne dirais rien.
Elle n’a peut-être jamais vu deux hommes s’embrasser, mais n’y trouve ni péché ni crime maintenant que c’est chose faites. Julia a toujours été tolérante, ne prêtant pas l’oreilles aux commérages salaces qui pouvaient porter préjudice à untel ou untel à la cour de Vizimir, ce n’est pas ici qu’elle commencera.
- Ne rien dire ? répète le chat en fronçant les sourcils.
- Oui, explique Julia, pensant les rassurer. Je ne veux pas que vous ayez des problèmes à cause de… ça.
En parlant, elle montre vaguement la cheminée et la fourrure sur laquelle les deux hommes étaient étendu plus tôt. Les sorceleurs suivent son geste, ne comprenant visiblement pas ce qu’elle dit, et pendant une seconde, il y a un silence gênant. Puis le regard de Lambert s’éclaire, et il demande, un peu moqueur, un peu impertinent comme il sait si bien l’être :
- Deux hommes ensembles vous dérange, altesse ?
Comme pour la provoquer (ce qui est certainement le cas), le roux s’avance jusqu’à pouvoir passer un bras sur les épaules d’Aiden, se collant dans son dos et déposant un gros baiser bruyant sur sa joue avant de la fixer, la défiant de dire quelque chose. Julia se demande s’il a vraiment un instinct de survie et comment il fait pour être encore vivant.
- Dans la mesure où cela constitue un crime passible de la peine de mort, répond-elle, cela devrait me déranger, oui. Mais je vous rassure, ajoute-t-elle en voyant leurs visages se décomposer, en vrai, il n’en est rien, et je saurai me taire.
- Un crime ? Répète Aiden.
- La peine de mort ? Fait Lambert.
Puis, c’est comme s’ils comprenaient enfin quelque chose : le visage des deux hommes s’éclairent alors qu’un sourire amusé fleurit, et c’est au tour de Julia d’être perplexe. Ça ne dure pas, Aiden explique rapidement :
- Ce genre de détail ne nous concerne pas quand nous parcourons le Chemin…
- Je me fous de ce genre de loi ! le coupe Lambert, hargneux.
Sans doute habitué aux commentaires de son amant, Aiden poursuit sans lui prêter attention :
- Ici, ce n’est pas un crime. Explique-t-il. Du moment que l’autre est assez grand pour consentir, tout le monde s’en fiche.
C’est au tour de Julia d’écarquiller les yeux, la bouche pendante de surprise. L’homosexualité, pas un crime aux yeux des hommes ? Aux yeux des Dieux ? Non, c’est impossible, ils doivent la faire marcher parce qu’il n’y a pas un pays sur le continent qui ne condamne pas cette pratique.
- C’est une blague ?
Immédiatement, les deux sorceleurs se referment. La prise de Lambert sur les épaules d’Aiden se raffermit alors que le chat lève une main pour s’accrocher à son bras, comme pour le retenir. Leurs regards se fait dur, plein de jugement et Julia se sent obligée de se défendre :
- Non, non, ne croyez pas que je le pense, dit-elle. L’amour ne doit pas être condamné, je me fiche que cela soit entre un homme et une femme, deux hommes ou… deux femmes ? ajoute-t-elle avec hésitation. Mais que cela soit autorisé par la loi et les Dieux…
- Les Dieux se moquent bien de qui on aime, altesse, répond Aiden. Selon certaines croyances, ils sont eux-mêmes à l’origine de nos sentiments, alors ne serait-ce pas hypocrite de nous condamner pour cela ?
Julia acquiesce au raisonnement logique et Lambert renchérit :
- Quant à la loi, celle du Loup Blanc n’est pas celle de la Rédanie. Du moment que les impliqués sont assez grand pour consentir, elle se fiche de qui baise qui, altesse.
Dans d’autre circonstance, Julia aurait ri ou rougi d’une telle vulgarité, mais en l’état, la découverte d’une telle tolérance la laisse béat de surprise. Si ce qu’ils disent est vrai, si l’amour entre homme ou entre femme n’est pas condamné, cela voudrait dire que Shani pourrait… Non, elle a besoin d’avoir une confirmation.
- Est-ce que… demande-t-elle timidement… Est-ce que cela est vrai aussi pour… les femmes ?
Le jugement a disparu chez les deux hommes, et leur attitude défensive s’est détendu, néanmoins, Lambert fronce les sourcils alors qu’Aiden lui répond à l’affirmative.
- On préfère rester entre dame, altesse ? Demande le loup, moqueur.
- Ce n’est pas ça, se défend immédiatement Julia, les joues rouges.
Mais elle n’ose pas dire pour qui elle pose la question, même si, en y réfléchissant un instant, il n’y a pas mille solutions. Aiden donne un coup de coude à son compagnon pour le faire taire avant de s’excuser pour lui.
- Ce n’est rien, fait Julia, magnanime.
Puis, voulant changer de sujet, et ne le voyant pas avec eux, elle demande, inquiète, s'il y a eu des victimes et comment va son sorceleur griffon.
- Pas de mort, juste quelques blessés comme Coen. Il va bien, altesse, répond Aiden. Il a été vu par un guérisseur, il a eu commotion cérébrale mais a été soigné. Il se repose dans sa propre chambre actuellement. Le chat garde un instant le silence, jaugeant Julia de la tête aux pieds. Vous aussi, vous devriez vous reposer, d’ailleurs.
- Je vais bien, dément immédiatement la reine avec un geste de dédain.
Mais ça n’a pas l’air de convaincre le sorceleur qui insiste :
- Vous avez été touché par une magie dangereuse, altesse, qui vous a beaucoup fait saigner. Sans l’intervention de Triss…
- Oh, Triss était là ? Le coupe Julia. Je devrais la remercier alors.
La jeune reine fait un pas en avant pour poser une main sur le bras d’Aiden, le remerciant pour sa sollicitude. Mais ça ne semble pas être les bons mots car le chat se détache de Lambert pour mettre un genou à terre, théâtrale comme il sait si bien l’être. Mais c’est sérieux, cette fois.
- Je suis sensé vous protéger, altesse, dit-il d’un ton noyé de culpabilité. J’ai échoué. Veuillez me pardonner.
Dans son dos, Lambert tique mais ne commente pas, et si Julia est un instant surprise, la tendresse lui chauffe le cœur et elle se penche sur le chat, lui prenant la main pour la serrer sur son cœur. Aiden se laisse faire, choqué :
- Cher Aiden, vous n’avez pas à vous en vouloir de ce qu’il s’est passé. C’est moi qui vous ai demandé d’attaquer la chouette, et moi aussi qui vous ai ordonné d’aller aider Coen. Je vous l’assure, vous avez rempli votre mission. Ne vous châtiez pas d’avoir suivi ma parole.
Aiden veut clairement parler, et la contredire, elle ne lui en laisse pas le temps :
- Je vous remercie. Pour cela, pour avoir permis d’attraper cette chouette et de m’avoir ramené ici, ainsi que je vous l’ai demandé. Merci d’avoir toujours cru en moi.
Julia s’incline à son tour, tirant la main du sorceleur de sa poitrine à son front, pour donner plus de force à ses paroles, aussi théâtrale et solennelle que le chat :
- Merci.
Elle est elle-même prise d’une émotion forte quand elle réalise le soutien qu’elle a eu de la part du sorceleur, et de son confrère griffon (qu’elle devra remercier tout aussi chaleureusement quand elle le verra), à l’heure où personne dans la forteresse ne croyait en elle. Sans eux, son enfermement aurait été bien plus terrible, elle le sait. Les serviteurs déjà hostiles à sa personne n’auraient pas eu autant de diligence pour elle que les deux sorceleurs.
Finalement, les deux se redressent d’un même geste, mais Julia ne lâche pas la main du sorceleur, au contraire, elle tend l’autre à Lambert. Le loup hésite un instant, terriblement gêné. Depuis trois mois qu’elle est ici, la jeune femme a compris que l’étalage d’émotions n’est pas le fort des sorceleurs, elle attend patiemment qu’il réponde à son geste.
- Je suis heureuse, dit-elle en réunissant leurs deux mains. Pour vous deux, et d’être ici. Merci.
- Vous ne devriez pas me remercier, altesse, souffle Lambert en baissant les yeux.
C’est amusant, Lambert est plus grand qu’elle, plus large, avec une belle barbe rousse et des cheveux mi-long bouclé. C’est un homme dans tout ce qu’il y a de plus masculin à montrer, et pourtant, il ressemble actuellement à un petit garçon qui a fait une bêtise, ça fait sourire Julia alors que le loup s’explique :
- Je vous ai accusé…
- Et je ne vous en veux pas, le coupe-t-elle, compréhensive. La trahison est un sentiment terrible, qui aveugle qui la vit.
En près de trois semaines d’enfermement, entre les moments de désespoir totale et la fatigue mentale qui s’était abattu sur elle, Julia a eu le temps de réfléchir, d’intellectualiser ce qui s’était passé, assez pour pouvoir le justifier et absoudre les sorceleurs de leurs actes et ressentiment.
- De plus, ajoute-t-elle quand il veut protester, vous aviez toutes les raisons de croire que c’était moi. Je suis rédanienne et je vous ai mentit.
- Mais pas trahie, dit-il avec détermination en levant les yeux pour la regarder.
- Non, pas trahie, confirme Julia en supportant son regard.
Ils se regardent encore un instant sans rien dire, et c’est comme s’il y avait une compréhension nouvelle entre eux. Jusqu’à présent, elle ne s’est rapprochée de Lambert que pour répondre à ses piques ou rire avec lui, et quand la condamnation était tombée, elle l’a entendu l’accuser au travers de sa porte. Mais la jeune femme a le sentiment d’avoir gagné sa fidélité, au même titre que celle de Coen ou d’Aiden. Elle sourit tendrement puis se détourne, lâchant leurs mains.
- Je vais voir mes oiseaux, annonce-t-elle, puis j’irais me recoucher.
A la grimace d’Aiden, il est évident que le plan ne lui plait pas, mais il ne dit rien, se penche pour ramasser le bougeoir qu’il rallume d’un geste avant de le lui tendre, et la laisse se détourner d’eux pour aller vers la ménagerie.
- Bonne nuit, messieurs.
Quand elle referme la porte, elle a un dernier sourire, sincère, même si une partie d’elle a du mal à croire ce qu’elle a appris ce soir. Ce qu’ils lui ont dit est fou, et la partie la plus rationnelle de sa personne pense qu’ils l’ont charriée, ou qu’ils veulent encore tester sa parole en voyant si elle va les dénoncer. Julia sait déjà qu’elle ne dira rien, mais elle se demande s’il n’y a pas un recueil de loi qu’elle peut consulter. S’il s’avère que tout est vrai, alors Shani pourra être heureuse, et c’est sans doute ce qu’il y aura de mieux dans toute cette histoire.
Si les choses s’améliorent pour elle, qu’elle est effectivement dédouanée de toute trahison, Julia pourra se dire heureuse de pouvoir reprendre son petit rythme de vie, à enseigner aux enfants le matin, à écrire et composer l’après-midi. C’est bien, c’est tranquille. Et son époux…
Julia ne sait pas ce qu’elle veut de son époux. Il y a une grande différence d’âge entre eux, c’est ce qui l’a empêché de consommer leur union, pour le meilleur songe-t-elle, car elle ne se sent pas capable de partager sa couche avec un homme sans perdre une partie d’elle-même. Pas encore.
Mais le pourra-t-elle un jour ? Julia ne sait pas. Il est vrai que le Loup Blanc est un bel homme, autrement juste et compréhensif s’il n’est pas en colère. Avant toute cette histoire de trahison, il s’est montré gentil avec elle, presque attentionné dans sa façon de venir la chercher pour le dîner chaque soir, dans sa façon de lui parler et de la laisser rire et chanter à sa guise avec les sorceleurs, dans sa façon de gérer la mort de ses oiseaux.
Attentionné, doux et gentil, il ne l’était plus à partir du moment où il l’a considérée comme une traitresse. A ce moment-là, quand la fureur l’a pris… Julia frissonne en revoyant son époux la dominer. Un instant, elle sent le fantôme de sa main sur sa gorge alors qu’elle se rappelle comment il a réussi à fissurer une pierre du mur de sa chambre d’un seul coup terrible. S’il le voulait, il pourrait la tuer si facilement…
Si une partie d’elle, la plus pragmatique, comprend sa colère et la pardonne, de la même façon qu’elle le fait pour Lambert, la partie la plus imaginative de sa personne doute : que se passera-t-il la prochaine fois qu’elle le provoquera ?
Julia sait qu’elle peut être très contrariante. Il fallait le protocole strict de la cour de Vizimir pour la cadrer et la retenir, l’empêchant d’être elle-même, certes, mais la protégeant de toute bêtises grossières. Et encore, ça ne l’a pas arrêté quand elle a décidé d’aider les pauvres gens persécutés et qu’elle est devenue le Bécasseau, ni quand elle a voulu publier ses écrits et chansons sous la plume de Jaskier.
Alors ici, où le protocole est autrement plus léger, voire inexistant… Julia sait qu’il ne lui faudra pas longtemps avant de commettre une erreur, parce qu’elle en fait toujours, et alors, une fois de plus, la fureur de son époux s’abattra sur elle et ce sera terrible…
Julia est détournée de ses terribles pensées par un hululement doux et avec quelques battements d’ailes silencieuse, Athéna la rejoint, s’installant sur son poignet que Julia tend plus par habitude qu’autre chose.
La jeune reine pose son bougeoir en équilibre précaire sur le perchoir le plus proche pour libérer sa main et la chouette hulule encore, puis ferme les yeux de contentement quand elle commence à caresser ses belles plumes blanches.
- Ah, mon amour, souffle la reine. Tu seras enfin la seule chouette à voler en ces lieux.
Elle doit admettre que c’était très intelligent de la part de la sorcière de se faire passer pour Athéna. Julia se demande si elle peut prendre l’apparence d’autres animaux tout en songeant qu’autrement, se serait un hasard étrange. Néanmoins, cela justifierait que Vizimir ait été si insistant sur son mariage, avoir un leurre comme sa chouette dans la forteresse leur a donner tout le luxe d’espionner les sorceleurs.
- Si tu croises une autre chouette qui n’en est pas une, fais-le moi savoir, ma chère.
Julia ne peut pas parler avec ses animaux, mais elle a déjà expérimenté avec eux une compréhension hors norme, que d’aucun qualifierait de communication, c’est certain. S’ils doivent lui transmettre un message, ils savent tous comment faire et Julia, même si elle ignore toute la portée de ce pouvoir, saura le comprendre.
- As-tu mangé ?
Athéna hulule encore et tourne sa tête pour pouvoir regarder un instant les deux faucons qui dorment eux aussi, perchés sur l’une des poutres en hauteur, lovés l’un contre l’autre. Julia comprend et sourit, heureuse que ses animaux soient si attachés entre eux.
- Oh, tu as chassé pour eux. Comme c’est gentil de ta part, ma belle.
La chouette hulule de contentement, et ébouriffe ses plumes, que Julia caresse pour les remettre en place, pour le plus grand plaisir de l’oiseau qui se laisse faire, sifflant de contentement.
La jeune reine passe un moment avec l’animal puis, quand la fatigue la prend et qu’être debout devient petit à petit trop douloureux pour elle, Athéna le comprend et regagne son perchoir. Julia décide qu’elle remerciera ses faucons demain, quand ils auront fini de dormir, et se détourne pour retourner se coucher.
Aiden et Lambert ne sont plus dans le salon quand elle y repasse mais cela ne l’inquiète pas, elle se sait protégé quoi qu’il arrive et Julia se recouche avec le cœur plus léger, gonflé d’espoir pour la suite.
A suivre...
Chapter 29: Cette tolérance qui fait tellement défaut.
Chapter Text
La première visite officielle que Julia a, c’est celle de messire Eskel, qui se présente le lendemain matin, peu après le petit-déjeuner.
Il y a eu Triss avant, qui est venue au petit matin pour l’ausculter et s’assurer que plus aucune magie agressive ne demeurait dans les plaies. Elle lui a aussi proposer d’accélérer la cicatrisation mais Julia a refusée, nerveuse :
- Il y a eu bien assez de magie pour moi, merci.
La vérité, c’est qu’elle est presque sûre que Triss découvrira sa nature non-humaine si elle devait faire plus que l’ausculter vaguement, alors elle préfère ne pas lui laisser la chance de deviner. Shani plussoie, assurant qu’elle sait soigner sa maitresse.
Triss a un sourire crispé pour l’elfe :
- Je n’en doute pas, fait-elle avec une fausse bonne humeur qui fait grincer des dents.
La sorcière lui a assurée qu’elle n’aurait pas de cicatrice, ce qui est rassurant. En revanche, les choses restent tendues entre elle et Shani jusqu’à son départ et Julia va devoir dire quelque chose, surtout si ce qu’elle a appris cette nuit est vraie.
Les canapés que Yennefer a fait apparaitre dans son salon sont toujours là, et Julia est installée dessus, une couverture sur les genoux, ses chiennes allongées à ses pieds. Elle sait maintenant que les blessures de Sélène et Hécate les handicapent trop pour monter à côté d’elle mais Shani est plutôt confiante, surtout si Julia peut aider.
Elle l’a fait, ce matin, quand Aiden, qui a repris sa veille dans le salon à un moment donné dans la nuit, s’est éclipsé pour aller chercher le petit-déjeuner, comme il en a pris l’habitude. La gamelle d’eau enchantée est à leur disposition, et elle en a frotté une partie sur leurs plaies. Malgré tout, Julia ne sait pas si Hécate retrouvera la vue ou si la patte de Sélène bougera à nouveau.
Julia a toujours peu d’appétit, mais a réussi à manger plus que les jours précédents. En tout cas, elle a déjà un bien meilleur moral, même si attraper la chouette ne va peut-être pas la libérer, au moins, elle a fait ce qu’elle pouvait pour prouver son innocence.
Heru et Horus, qu’elle a longuement félicité et remercié ce matin, sont installés sur les poutres au-dessus de sa tête. Loki est perché sur son épaule, comme toujours, alors qu’elle caresse les plumes de Paco. Le pauvre perroquet est sur ses genoux, toujours aussi triste, et se laisse bercer sans que cela ne le rassure réellement, quand on frappe à la porte.
C’est messire Eskel, que Shani laisse entrer après avoir demandé à Julia si elle voulait le voir. La jeune femme pense que si elle avait voulu, tout commandant qu’il est, le sorceleur aurait accepté un refus le cas échéant, et c’est quelque chose de nouveau pour elle.
- Altesse, la salue-t-il en entrant dans le salon.
Son regard tombe immédiatement sur Paco, et le perroquet lui-même se tend en le voyant, avant d’ébouriffer ses plumes et de se retourner, cachant sa tête dans le ventre de Julia. Loki réagi, descend de son épaule pour venir se lover contre l’oiseau coloré, écartant les ailes comme pour le masqué.
Face à ce spectacle, le dos de messire Eskel se voute, sa tête se baisse alors que sur son visage passe toute sa tristesse déçue. Julia a de la peine pour lui. Elle qui est si proche de ses animaux, elle n’ose imaginer quelle torture cela doit être d’être ainsi rejeté. Néanmoins, elle ne commente pas et l’invite à s’installer en face d’elle, ce que le sorceleur fait, s’obligeant à redevenir neutre.
- Je venais vous annoncer que vous être libre, altesse. Dit-il en reprenant contenance.
Shani s’approche, portant une tasse de thé qu’elle pose devant le sorceleur, sans lui laisser la possibilité de refuser. Il l’accepte donc d’un sourire crispé avant de se tourner à nouveau vers la reine. Mais inlassablement, son regard tombe sur les deux oiseaux.
- Philippa Eilhart a avoué être à l’origine de la fuite. C’est elle qui a parlé de Ciri a Vizimir.
Shani, qui s’installe à table avec un mortier et diverses plantes à broyer, marmonne un « bien évidement » colérique alors qu’un sourire immense fleurit sur le visage de Julia. C’est comme si un poids énorme lui était retiré. Immédiatement, la musique renait dans son esprit et ses doigts la démangent de jouer, de composer à nouveau. Ces dernières semaines ont été trop silencieuses à son goût.
- Je suis… désolé, reprend messire Eskel après s’être râclé la gorge, gêné. J’aurais souhaité que les choses se passent différemment et que vous n’ayez pas… à passer par cette épreuve.
Shani peste encore, mais Julia ne réagit pas, habitué au tempérament toujours plus libre de son amie. A la place, elle repousse Loki, qui râle mais se réinstalle sur son épaule, et intime Paco à se redresser pour pouvoir le regarder dans les yeux.
- Ne vous en faites pas, messire Eskel, dit-elle. Je sais que vous n’avez fait que suivre les ordres. Vous n’êtes coupable en rien de ce qui s’est passé.
Le perroquet incline la tête sans comprendre alors que le sorceleur en face d’elle se penche, pose les coudes sur ses genoux et se frotte la nuque un instant, réfléchissant clairement à ses prochains mots :
- J’aurais voulu pouvoir arrête Geralt avant que…
Il ne finit pas sa phrase, il n’en a pas besoin. Julia a un sourire dépité pour lui. Elle aussi, aurait préféré que quelqu’un arrête son époux avant qu’il ne s’en prenne à elle si rudement. Et dans un sens, c’est ce qui est arrivé.
- Mais vous l’avez retenu, messire, le défend-t-elle. Le Loup Blanc est seigneur ici, sa parole est commandement. Vous avez fait ce que vous pouviez, et je vous en remercie.
Le bras droit du Loup Blanc la regarde, peut convaincu par ses paroles. Julia a déjà remarqué que les sorceleurs ont une piètre opinion d’eux-mêmes. D’avoir dû laisser faire, et d’avoir été rejeté par Paco pour cela ne doit pas lui avoir fait du bien.
- Méchant Loup Blanc, accuse l’oiseau d’une toute petite voix.
Julia soupir mais insiste, autant pour le bien de son oiseau que pour le sorceleur qui regarde l’échange, muet et plein d’espoir :
- Il me croyait coupable, fait-elle comme si ça justifiait tout.
A priori, à croire l’exclamation agacée de Shani, ce n’est pas le cas, mais la jeune femme l’ignore et poursuit :
- Et messire Eskel m’a protégé, autant qu’il le pouvait. Il n’est pas un mauvais homme. Le Loup Blanc non plus.
Même si une part de Julia continue de craindre son époux, elle arrive assez facilement à se convaincre de cela parce qu’après tout, pour son peuple, pour ses guerriers, pour sa fille, le Seigneur de Guerre est bon et rend leurs vies meilleures.
- Messire Eskel, puis-je vous poser une question ? Demande-t-elle, souhaitant changer de sujet le temps de laisser l'oiseau réfléchir à ses paroles.
Le sorceleur acquiesce, intrigué, sans quitter le perroquet du regard. C’est amusant de voir comme il s’est attaché à Paco, mais Julia ne peut l’en blâmer : de ce qu’elle a lu sur les oiseaux du crépuscule, le lien qu’ils forment avec la personne choisie est puissant, créant une dépendance entre les deux êtres concernés.
- Avez-vous un recueil de vos lois que je pourrais consulter ?
- Nos lois ? s’étonne l’homme puis il prend le temps de réfléchir avant de répondre, incertain de lui-même : non, pas vraiment mais cela pourrait être une bonne chose de tout réunir dans un livre. Pourquoi ? Que voulez-vous savoir ?
Julia garde un instant le silence, gênée. Elle aurait voulu pouvoir poser ses questions à un livre, c’est bien plus simple, mais doit se résoudre à aborder le sujet de vive voix, et malheureusement, une partie d’elle craint toujours d’être rabrouée pour oser parler de ça, malgré les affirmations d’Aiden et Lambert la nuit précédente.
- Cette nuit j’ai… hum… Julia rougit, gênée, se râcle la gorge et reprend. Cette nuit j’ai appris que, contrairement à d’autres pays, dont la Rédanie, ici vous ne… Enfin vous étiez…
Le rythme régulier du pilon dans la coupe en céramique ralentit, Shani elle-même curieuse de ce que Julia va demander. C’est bien, elle est la première concernée. La reine se redresse, inspire profondément puis ose :
- On m’a dit qu’il y avait une grande tolérance pour les unions non-mixtes.
Elle qui est si douée avec les mots sait qu’elle s’est mal exprimée, parce que messire Eskel se redresse et la regarde comme si elle venait de lui demander si l’eau, ça mouillait. D’ailleurs, quand il répond, c’est d’un ton incertain, ne comprenant pas où elle veut en venir.
- Heu… C’est-à-dire que Kaer Morhen accueille beaucoup de race, altesse. Sans faire de différence alors…
Julia soupire, ça fait taire le sorceleur, qui lui laisse le temps de réunir ses pensées. C’est difficile, même si elle a une langue d’argent. Cela lui demande d’aller à l’encontre d’année d'endoctrinement pendant lesquelles on lui a fait intérioriser toute une haine à l’encontre de certaines personnes, sur la base de leurs seules inclinations. Ça n’a jamais vraiment prit chez elle, la haine est une mauvaise herbe qu’elle rejette, mais la peur de la punition a toujours été suffisante pour lui faire tenir sa langue.
- Non, je veux dire… Hum… pardonnez-moi, on ne parle pas de ce genre de chose en Rédanie. C’est un crime là-bas.
Mais elle doit le faire, pour Shani, elle lui doit bien cela. Messire Eskel se penche vers elle, curieux. Finalement, Julia inspire encore, prend son courage à deux mains et demande enfin :
- Est-il vrai qu’une femme peut en aimer une autre sans que cela ne soit condamné par l’opinion publique et la loi ?
Le bruit du mortier s’arrête totalement alors que le visage du sorceleur s’éclaire de compréhension et de surprise :
- Oh ! Puis il fronce les sourcils et demande, inquiet : êtes-vous concernée par cela ?
- Pas directement, non. Le rassure-t-elle rapidement, craignant toujours de prendre un blâme ou pire.
Il doit le comprendre parce qu’il n’insiste pas, préférant lui répondre à la place :
- Non, cela n’est pas condamnable ici, altesse. Du moment que toutes les parties prenantes sont en âge de consentir et consentantes, nul mal ne leur sera fait.
Les mots sont les mêmes. Ça fait sourire Julia alors qu’elle sent son cœur battre à tout rompre, emporté par la joie. Le silence qui vient de Shani est assourdissant, mais elle s’oblige à ne pas regarder l’elfe, habituée à cacher ses préférences pour la protéger.
- C’est… une tolérance unique, messire, commente Julia en tendant la main pour prendre sa tasse et se cacher derrière.
- Hum… Je crois savoir que la Rédanie est moins… favorable à ce genre d’union. Si cela vous dérange…
- Oh non ! Pas du tout, je vous assure ! dément Julia rapidement. J’avais juste besoin de confirmer ce qui m’a été dit cette nuit, c’est tout.
- Hum.
Julia se demande s’il ne s’agit pas d’une habitude familiale de parler par monosyllabe ainsi, mais elle se mord la langue pour ne pas poser la question, craignant que cela soit mal prit. Surtout que pendant quelques instant, le regard du sorceleur est sérieux, sévère même, comme s’il la jugeait.
- Ils l’ont fait ici, n’est-ce pas ? finit-il par demander d’un ton accusateur.
C’est au tour de Julia de ne pas comprendre, et cela doit se voir parce que rapidement, il explicite sa pensée :
- Aiden et Lambert, je parie que vous êtes tombé sur eux cette nuit.
Le sorceleur est très perspicace et pour s’empêcher de mentir, Julia ne répond rien, bien que son rougissement soudain soit une réponse en soit. Comme elle l’a promis aux deux hommes, elle ne veut pas leurs attirer des ennuis, quand bien même on lui dit qu’ils n’en n’auront pas. C’est encore une nouvelle difficile à croire.
- Chat et loup, tu parles ! gronde le sorceleur, mécontent. Lapin plutôt ! Je vais leur faire passer l’idée de se livrer à ce genre de chose dans des endroits inappropriés.
- Une fois encore, répète Julia, se sentant obliger de prendre leur défense, cela ne me dérange pas.
Puis, elle a conscience que le couple a été séparé par leurs opinions pendant presque trois semaines, qu’ils se sont disputés à propos d’elle. Une part de sa culpabilité l’oblige à être tolérante avec eux, acceptant qu’ils soient si indécents dans ses propres appartements.
- Ils n’ont rien fait de mal, insiste-t-elle, craintive qu’ils aient des problèmes parce qu’elle n’a pas su tenir sa langue.
- Altesse, fait le sorceleur d’un ton ferme, je vais reprendre avec eux la notion de chambre privée, et sans doute voir avec Vesemir pour leur faire faire quelques tours de piste en plus à l’entrainement, mais rassurez-vous, ils n’auront rien de plus. Tout le monde sait quel est le lien entre Aiden et Lambert, et tout le monde l’accepte. Je vous l’assure.
- Vraiment ?
Même s’ils sont trois à tenir le même discours, Julia a du mal à le croire. Pas qu’elle ne le veut pas, à l’inverse, parce que les implications pour Shani sont juste merveilleuses, mais c’est difficile pour elle de se départir de toute une vie d’éducation liberticide.
Messire Eskel doit le comprendre car, au lieu d’insister encore, il se racle la gorge et change de sujet, souhaitant à son tour poser une question à la reine, ce qu’elle lui accorde évidement.
- Je me demandais… et pardonnez-moi si cela vous semble inconvenant mais… Nous n’avons toujours répondu à Vizimir et à sa proposition de mariage, et maintenant, nous avons emprisonné sa magicienne de cour…
C’est drôle de voir le sorceleur, un homme grand et fort, dont les vêtements sombre et l’allure sévère tranchent avec les motifs fleurit des canapés, se tortiller, mal à l’aise et Julia se mord la langue encore une fois pour retenir un commentaire. Finalement, il soupir et pose une dernière question, plein d’espoir :
- Savez-vous comment dire « non » à un roi sans provoquer une guerre ?
L’amusement s’efface dans le cœur de Julia alors qu’elle entend la question et pendant une seconde, elle envisage de l’envoyer sur les roses. Mais malgré son allure de guerrier impitoyable, messire Eskel a un regard doux et il est évident qu’il espère qu’elle a une solution pour lui. Malheureusement, elle est obligée de le décevoir, et se trouve étrangement franche quand elle le fait :
- Navrée, messire, dit-elle d’un ton amer, je ne sais pas comment dire « non » à un roi, et certainement pas à Vizimir.
Le sous-entendu est évident, et l’humeur de son interlocuteur s’assombrie alors qu’il s’excuse, bien qu’il ne sache pas vraiment pourquoi, Julia se refusant à donner des détails. Néanmoins, ne souhaitant pas que leur entretien se termine sur une note aussi triste, elle propose, aimable :
- Peut-être pourrions-nous y réfléchir ensemble ?
- Tu dois te reposer, intervient immédiatement Shani.
Mais cela ne la coupe pas dans son élan, et Julia poursuit :
- Si cela vous convient, je vous laisserais prendre des notes.
- Si vous n’êtes pas trop épuisée pour cela, altesse, accepte messire Eskel.
Shani soupir mais, sachant sa maitresse têtue, se lève pour aller trouver un morceau de parchemin vierge, abandonné lors de la fouille de la chambre, un pot d’encre dont la majeure partie du contenu a été renversé ce jour-là, et la plume la moins abimée pour tendre le tout au sorceleur qui la remercie.
- Cocatrix ? Reconnait messire Eskel, surprit.
Julia acquiesce sans réfléchir, ne remarquant pas le temps d’arrêt que marque le sorceleur, qui l’observe en silence, comme s’il la voyait pour la première fois. Elle a fermé les yeux pour réfléchir, ainsi qu’elle le fait quand elle compose, et les mots s’ordonnent déjà dans sa tête, alors que l’idée de dire « non » à Vizimir la met en joie.
Mais quoi que pense le sorceleur, il le garde pour lui et avant longtemps, ils travaillent de pair pour rédiger la meilleure réponse possible pour Vizimir. Quand il part, quelques heures plus tard, le sorceleur est satisfait d’avoir un premier jet complet, et promet de lui faire lire la version définitive avant de l’envoyer.
- Ils vont très certainement vouloir envoyer une délégation, prévient la jeune femme juste avant qu’il ne parte, pour négocier votre refus et sans doute essayer de récupérer leur sorcière.
- Je vous ferais aussi lire leur réponse, altesse.
Julia, qui s’est levée du canapé pour le saluer, le remercie, heureuse d’avoir été utile. Quand il part, Paco, qui est toujours lover dans ses bras, soupir le nom du sorceleur et cela brise le cœur de la jeune femme :
- Tu sais, mon amour, je te remercie pour tout ce temps que tu as passé avec moi, lui murmure-t-elle en caressant ses plumes. Ta sollicitude me touche. Mais je sais que tu l’aimes.
Elle lève la tête et accroche le regard de Shani, qui à présent mélange une sorte de pâte verte et odorante.
- Et tu as le droit de l’aimer, poursuit-elle en s’adressant plus à l’elfe qu’au perroquet. Tu devrais en profiter. Elle baisse à nouveau les yeux sur Paco. Je ne t’en voudrais jamais d’être heureux, mon amour.
- Eskel, amour. Chantonne l’oiseau, d’un ton désolé.
- Je sais. C’est bien.
Julia le soulève, assez pour poser un baiser sur son front, avant de lever une main pour caresser Loki et le réveiller de la sieste qu’il fait sur son épaule.
- Cher cœur, veux-tu bien conduire Paco jusqu’à son sorceleur.
Le corbeau croasse, mécontent de devoir bouger, mais quitte son épaule et avant longtemps, il s’en va, suivi par le perroquet, alors que le sort de Yennefer, qui agit toujours, lui ouvre toutes les portes.
Dans le salon silencieux, Julia s’étire, exagérant sa fatigue, et annonce qu’elle va faire une sieste. Elle partage avec Shani un regard entendu avant de se rendre dans sa chambre où elle n’a pas à attendre longtemps avant que la porte de ses appartements ne claque.
Julia se couche dans son lit, satisfaite.
A suivre...
Chapter 30: Ce doit être une forme d’excuse, non ?
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Maintenant qu’elle est disculpée, Julia reçoit plein de visite. La première, la plus étonnante, c’est celle de Martha, sa femme de chambre qu’elle n’a pas vue de tout son emprisonnement. La jeune femme est gênée, et s’excuse pour son comportement. Julia la pardonne sans peine et la laisse reprendre ses tâches, soulageant Shani et ses sorceleurs.
Coen lui revient deux jours après la visite de messire Eskel, et de la même manière qu'Aiden, tout aussi théâtrale que lui, comme s’il s’agissait d’un chevalier servant, il confesse sa culpabilité et demande pardon pour ne pas avoir réussi à la protéger. Et comme Aiden, elle l’absout de tout, et le remercie en retour pour tout ce qu’il a fait pour elle.
Le premier artisan à venir toquer à sa porte, une semaine plus tard, est un vieil elfe du nom de Sandorin. L’homme est grand et maigre, le dos vouté, des cheveux gris et une paire de lunette épaisse cache son visage ridé. Il est vêtu d’un pourpoint gris, propre et simple, et joue nerveusement avec son chapeau, quand il est introduit dans les appartements de la reine.
Il est accompagné de deux enfants d’une quinzaine d’année peut-être, portant une malle, que Julia n’a jamais vu. Eux aussi sont tirés à quatre épingle, même si leurs vêtements sont simples, comme s’ils avaient fait un effort pour venir la voir, elle, ce qui est étrange et improbable. Sans doute se raconte-t-elle des histoires.
Coen est là, posté près de la porte, alors Julia ne craint pas que ce soit pour l’attaquer ou l’insulter, mais elle ne peut retenir son geste, à savoir tirer Loki de son épaule pour le prendre contre elle, le caressant aussi nerveusement que le nouveau venu joue avec son chapeau.
- Je suis le bibliothécaire de Kaer Mohren, se présent-il.
Bibliothèque. Julia sait qu’il y en a une quelque part dans la forteresse, et on lui a raconté qu’elle était énorme. Mais jusqu’à présent, son accès lui était interdit, sous prétexte qu’elle n’aurait aucun livre pour elle, ne renfermant que des bestiaires et des ouvrages pour sorceleur. Même si ça l’a frustrée, elle n’a pas protesté, habituée à être discriminée (autrefois, parce qu’elle était une femme, ici, parce qu’elle est rédanienne).
- Le Loup Blanc m’a demandé de venir vous proposer mes services, explique Sandorin. Il me dit que vos livres ont été… abimés.
Pendant qu’il parle, le regard de l’homme se détourne de Julia, installée comme à son habitude sur l’un des canapés, pour trouver sa bibliothèque. Le meuble a été redressé, et Shani et elle y ont reposé ses livres, tâchant de les replacer autant que possible dans leurs habits de cuire, mais le mal est évident.
- Je pourrais vous les réparer, majesté.
Julia hésite, craintive que ce soit un mensonge et que l’elfe, au lieu de l’aider, ne fasse plus de mal pour se venger de la Rédanie ainsi que l’ont fait toutes les petites gens ou presque jusqu’à présent. Elle a un regard pour Coen, qui surveille l’échange et doit comprendre son malaise, car le sorceleur acquiesce silencieusement. Elle se détend.
- C’est très aimable de votre part, monsieur. Accepte-t-elle. Quel paiement souhaitez-vous en échange ?
- Le Loup Blanc se charge de cela, m’a-t-il dit. Répond rapidement l’elfe en se dirigeant vers la bibliothèque. Nous allons prendre vos livres aujourd’hui mais sachez que cela pourrait prendre du temps suivant… l’usure.
L’elfe fronce les sourcils et s’empourpre quand il est assez proche pour constater les dégâts. Julia qui le suit du regard, lui devine un amour irrépressible pour eux, et comprend sa colère silencieuse. Elle-même a beaucoup souffert de les voir martyriser, quand bien même il ne s’agisse que d’objet.
- Prenez le temps qu’il faut, monsieur. Fait-elle, magnanime. Ils le méritent.
L’homme acquiesce sans rien dire puis fait signe aux garçons de se rapprocher. Avec des gestes délicats, il prend chaque livre et couverture abimée pour les placer dans la malle et il fait cela avec tant de révérence que toute crainte chez Julia s’évapore. Il est évident qu’il va les réparer, et cela la fait sourire, heureuse.
Il lui promet de la tenir au courant de l’avancée des travaux et repart en les emportant tous.
Plus tard dans la journée, elle reçoit la visite de Ciri, toujours accompagnée par Yennefer. La petite porte à nouveau des vêtements de garçons, crie et court, heureuse encore une fois. Quand elle la voit, elle hésite un instant mais Julia ouvre les bras et elle s’y précipite.
- Ha, mon amour, l’accueille-t-elle, se rappelant que Ciri préfère quand elle ne suit pas l’étiquette. Comme tu m’as manqué !
Loup la suit, et fait la fête à Sélène et Hécate, mais délicatement, comprenant que ses sœurs sont blessées. Et sans doute aussi parce qu’il devient immense. Julia a l’impression qu’en un mois, il a doublé de taille, mais c’est sans doute exagéré. Néanmoins, il est si grand maintenant que le confondre avec un chien, comme c’était le cas jusqu’à présent, est impossible : Loup est un loup, c’est indéniable.
- Tu m’as manquée aussi, fait Ciri en s’installant sur ses genoux.
Julia sert un peu les dents, la petite prenant appui sur l’une de ses plaies, puis la décale pour se soulager, avant de leur proposer, à Yennefer et elle, à boire, que Martha prépare déjà. Si l’enfant refuse, la sorcière accepte et avant longtemps, elles sont toutes les trois installées tranquillement avec un thé pour les adultes, un biscuit pour la plus petite.
- J’avais dit à Geralt que t’avais pas trahie ! Fais Ciri toute fière d’elle. Mais il m’a pas écouté. Alors j’lui ai plus parlé.
Autant Julia trouve adorable la confiance aveugle que la petite a en elle, autant entendre qu’elle a boudé son père qui l’adore de manière presque irrationnelle la fait un instant paniquer. La jeune reine se doute que loin d’apaiser le Loup Blanc, ça n’a fait qu’attiser sa colère.
- Oh… Je suis certaine que ça l’a fait réfléchir, commente Julia en jetant un coup d’œil à Yennefer.
Les deux femmes échangent un regard entendu et laisse Ciri continuer de faire la conversation, racontant tout ce que Julia a manquée, selon elle, pendant son enfermement. Ainsi, elle apprend entre autres que la petite a repris l’entrainement et la magie.
- Nous allons devoir reprendre les cours, alors, annonce Julia.
Ciri grimace mais ne proteste pas, avouant même que ça manque à Dara. Néanmoins, Yennefer intervient :
- Pas sans l’accord de votre médecin, altesse.
Shani n’est pas là. Depuis la visite d’Eskel et la mise au point sur les lois de ce pays, l’elfe a reprit ses activités avec Triss. Julia ne sait pas exactement comment les retrouvailles se sont passée, mais à en croire le sourire tendre de son amie depuis, les choses sembles bien aller.
Il y a une pause dans la conversation. Ciri, qui est vive et énergique, regarde un instant Sélène et Hécate, contre lesquelles se blottit Loup, pensive. Yennefer et Julia, qui la connaissent bien, attendent toutes les deux que la question vienne, sirotant leur thé en silence. Et effectivement, après un moment, la petite reprend la parole :
- Tes chiennes sont blessées. Constate-t-elle, d’une petite voix.
- Elles iront bien, mon cœur, la console immédiatement Julia en lui frottant le dos.
- Toi aussi, tu es blessée, murmure encore Ciri, toute triste.
Ça sert le cœur de Julia qui la reprend dans ses bras malgré les plaies qui tiraillent pour la bercer contre elle.
- J’irais bien aussi, mon amour. La rassure-t-elle.
- Mais c’est pas juste…
Ciri pleure, Julia la berce tout en essayant de la rassurer, même si elle sait qu’il faudra du temps. Elle n’a pas l’orgueil de croire qu’elle est aussi aimée que l’a été feu sa grand-mère ou son pays, mais il est évident que l’enfant, après avoir appris sa terrible perte, a eu peur d’en vivre une autre. La jeune reine est à la fois triste et heureuse d’avoir au moins une place dans le cœur de sa belle-fille.
Finalement, quand les pleures se calment enfin, Julia propose de finir avec un peu de musique. Elle n’a pas encore eu la force de s’installer au piano, entre les plaies qui cicatrisent et ses muscles raides, mais elle est prête à souffrir un petit peu si c'est pour apaiser Ciri. D’ailleurs, la petite applaudie et lui demande de jouer la berceuse de Cintra que Julia exécute sans protester.
Quand elles repartent plus tard, c’est avec la promesse de revenir bientôt, et des yeux bien secs. Julia a le temps de glisser un « merci » a Yennefer en lui prenant le bras, bien consciente que sans l’intervention de la sorcière, elle serait toujours prisonnière et coupable aux yeux du monde. Yennefer lui tapote la main, ses yeux violet brillant de la sagesse de son âge et une nouvelle fois, la reine se sent terriblement jeune face à elle, mais cette fois-ci, ça ne la dérange pas.
Entre elles aussi, il y a une compréhension nouvelle et la jeune femme espère qu’après toute cette histoire, et pour le bien de Ciri, les choses continueront d’aller dans le bon sens. Julia continue de jouer sans y réfléchir jusqu’à ce que Shani revienne et la gronde.
Le lendemain matin, un autre artisan se présente à sa porte. C’est un homme dans la force de l’âge, grand, les épaules carrées, semblant aussi musclé qu’un sorceleur, humain à priori, habillé d’une chemise blanche et d’un pantalon brun, recouvert d’un tablier de cuire. Plusieurs instruments étranges pendent à sa ceinture et il a avec lui une grosse sacoche accrochée à son épaule.
- Je m’appelle Raymond et je suis luthier, se présente-t-il. Le Loup Blanc m’a demandé de venir vous proposer mes services, pour vos instruments.
Les cadavres de ses flûtes, qui avaient été si rudement détruites, ont été relégués à une malle, dans un coin de la pièce, mais ses différents instruments à corde sont toujours là, exposant leurs blessures à la vue de tous. Il n’y a que sa vièle qu’elle a pu réparer, et encore, l’archet a été irrémédiablement brisé.
Sans attendre de réponse, il pose sa sacoche par terre et l’ouvre, révélant d’autres outils et plusieurs jeux de cordes différentes. Julia le laisse faire, l’aide même, lui apportant les instruments les uns après les autres, heureuse d’entendre à nouveau leur voix.
L’homme travaille silencieusement, professionnellement, s’applique à remplacer ce qui a été cassé, passe de l’huile et nourrit le bois s’il le faut et prend le temps de tous les réaccorder, aussi à l’aise avec une lyre qu’avec une cithare.
Quand il lui tend le dernier instrument réparé, Raymond, qui n’a été que sérieux et concentré à sa tâche, sûr de lui, semble un peu hésitant et son regard dévie un instant sur le piano. Il n’a pas besoin de parler, elle comprend sa demande implicite et repose l’instrument qu’il lui a donné pour s’en approcher.
- Ceci est un piano forte, explique-t-elle en le contournant pour ouvrir son couvercle afin de montrer la table d’harmonie. A l’inverse du clavecin, dont il est le descendant, ses cordes sont frappées, et non pincées. Ce qui explique qu’il peut être doux ou puissant, suivant la force du jeu. Mais essayez si vous le souhaitez.
Raymond, qui a suivi et écoute religieusement, la tête penchée sur la caisse de résonnance pour observer le mécanisme, rougit mais n’ose pas toucher. Alors Julia calle le couvercle en position ouverte et s’installe pour une démonstration.
La musique semble détendre le luthier, qui observe et interroge enfin et pendant longtemps, ils restent là, à échanger, d’abord sur cette innovation qu’est le piano, et toute son ingéniosité, puis sur la musique et les différents instruments qu’ils connaissent l’un l’autre, ravi de trouver quelqu’un d’aussi passionné avec qui parler.
Ils sont interrompus par Martha, qui apporte son repas à la reine, et Julia fait promettre à Raymond de se revoir pour parler encore (il le faudra, il doit lui rapporter un nouvel archet), avant de le laisser partir, heureuse de sa matinée.
Julia guérit bien, mais cela lui demande beaucoup d’énergie. Surtout que, bien que son moral soit meilleur, elle garde un appétit d’oiseau, ne faisant que picorer dans son assiette au grand damne de Shani, qui compense en lui faisant servir de quoi manger toutes les deux heures environ.
Ainsi, la jeune reine passe le plus claire de son temps, quand elle n’a pas de visite, soit à dormir dans sa chambre, soit à se reposer sur l’un des canapés en caressant Loki, Heru, Horus ou même Athéna. Ses oiseaux restent tous avec elle, les rapaces ne s’absentant que pour des parties de chasse rapides.
Elle n’a pas revue Paco depuis qu’il est retourné auprès de messire Eskel, mais ne s’inquiète pas pour son perroquet, elle sait que le sorceleur prendra bien soin de lui, et elle est heureuse que les deux se soient enfin retrouvés.
Deux jours plus tard, c’est un nain qui vient frapper à sa porte. Petit et barbus comme tous les gens de sa race, il arbore une mine sévère, presque hargneuse, d’autant plus qu’il porte des habiles sombres et un tablier de cuire lui aussi, mais tâché. Néanmoins, toute l’image que Julia se construit de lui s’effondre quand il se présente :
- Je suis Borin, votre majesté. Je suis maitre-ébéniste, et mon seigneur le Loup Blanc a fait appel à mes services pour vous. Il m’a parlé d’un secrétaire qui a été cassé.
Si Julia est étonnée, les nains sont plus connus pour travailler le métal que le bois, elle ne remet pas ses compétences en question. Néanmoins, elle pince les lèvres, peu disposée à laisser un autre s’approcher des restes de son meuble chéri.
- C’est aimable, maitre nain, répond-t-elle aussi polie que lui, mais le secrétaire en question me vient de ma mère et j’y tiens beaucoup.
- Je suis le meilleur de mon domaine, votre majesté ! se défend Borin avec une révérence.
- Et je n’en doute pas, le rassure-t-elle, mais comprenez que ce meuble était unique, et que j’ignore s’il peut être réparé, ni si je le souhaite.
Aujourd’hui, Julia a réussi à mettre un corset, même s’il est très peu serré, sous sa robe rose pâle. Elle ne peut retenir une grimace quand, en se levant, l’une des baleines appuie durement sur sa plaie au ventre, et Borin s’inquiète.
- Ce n’est rien, fait-elle en posant une main sur son ventre. Venez, je vais vous montrer.
Le nain la regarde un instant, perplexe, mais accepte de la suivre jusqu’à la chambre, ou il reste sur le seuil, indiquant qu’il ne serait pas convenable pour lui d’entrer. Enfin, jusqu’à ce qu’il voie le tas de bois que sont les ruines de son secrétaire. A ce moment-là, oubliant toute bienséance, il s’élance et s’agenouille, prenant une planche avec révérence pour l’étudier.
- Acajou… ancien… bien entretenu, marmonne-t-il en faisant tourner la planche entre ses doigts. Peint et verni…
Il grogne quand en soulevant un autre morceau de planche, il tombe sur une tâche d’encre qui a été irrémédiablement absorbé par le bois. Du bout du doigt, il la caresse, comme pour s’assurer qu’elle est bien sèche, avant de se détourner pour continuer son auscultation minutieuse.
- Le Loup Blanc m’a dit qu’il était cassé, gronde-t-il, en colère, il ne m’a pas dit qu’il avait été littéralement piétiné.
- Oui, répond tristement Julia qui s’est assise sur son lit pour l’observer, c’est un mot adéquat.
Le nain se détourne du meuble pour la regarder, toujours à genoux sur le sol, et fronce les sourcils en une grimace de culpabilité :
- Mes excuses, votre majesté, je ne voulais pas réveiller vos blessures.
- Ce n’est rien, maitre nain. Dit-elle aimable. Mais vous comprenez je pense, mon hésitation. Voyez ces fleurs, explique-t-elle en pointant un morceau de bois qu’il tient dans sa main, c’est ma mère elle-même qui les a dessinés
- Oserais-je croire que votre mère…
- Oui, maitre nain. Le coupe Julia, qui ne veut pas avoir à en parler encore.
Voir son précieux secrétaire en ruine est une blessure bien assez grande, elle n’a pas besoin qu’on lui rappelle l’abandon de sa mère. Le nain semble le comprendre, parce qu’il s’excuse avant de se tourner à nouveau vers le meuble. Avec minutie, il étale chaque morceau de bois sur le sol, marmonnant pour lui et réfléchissant à voix haute.
Quand il termine, il se relève et recule, regardant son travail en méditant. Julia le laisse faire, caressant Loki qui s’est réveillé de sa sieste et s’est installé sur ses genoux. Sélène et Hécate l’ont suivi aussi, les deux chiennes boitant de moins en moins grâce aux soins conjugués de Triss, Shani et elle. Sur la tête de son lit, Heru et Horus sont là, encadrant une Athéna endormie.
Quand Borin se tourne enfin vers elle, il ne dit d’abord rien, son regard allant d’un animal à l’autre, étudiant l’étrange ménagerie qui l’entoure, avant de revenir sur elle.
- Je ne vais pas vous mentir, votre majesté. Votre secrétaire est irréparable.
- Ainsi que je m’en doutais, accepte-t-elle, néanmoins déçue.
- Cependant, et avec votre permission, je pourrais vous en refaire un et y intégrer certains éléments, les planches les moins abimées, certaines qui ont été décorées par votre mère, votre majesté.
Quand il parle, il a un geste pour les façades peintes qu’il a regroupé dans un coin, étalées les unes à côté des autres comme un grand assemblage discordant. Julia regarde elle aussi, pensive. Elle sait déjà qu’elle n’aura plus son secrétaire, et cela la peine terriblement, mais est-elle prête à l’abandonner définitivement.
- Peut-être est-ce pour le mieux, se résigne-t-elle finalement. Cela au moins, les sauvera de la cheminée.
Elle est clairement dubitative, mais le nain ne s’offusque pas et promet de prendre son temps pour lui fabriquer un meuble d’exception.
- Ce ne sera jamais celui de votre mère, avoue-t-il avec une compréhension respectueuse, mais je lui rendrais hommage.
Julia lui sourit, triste mais contente qu’il ne s’obstine pas à vouloir lui rendre ce qui est définitivement perdu. Ce sera une déception de moins. Borin regroupe à nouveau tous les morceaux de bois, et indique qu’il reviendra avec de l’aide pour les récupérer, avant de prendre poliment congé.
Une fois seule dans ses appartements, si ce n’est ses animaux et son garde sorceleur habituel, aujourd’hui Aiden, Julia songe qu’elle a eu beaucoup de visites ces derniers temps, mais pas celle qui lui importe le plus.
Son époux ne s’est pas montré, et une part d’elle trouve cela normal parce qu’elle n’est sa reine que sur le papier, ils ne sont rien l’un pour l’autre, ou presque. Mais une autre, celle qui apprécie de plus en plus le sorceleur, est triste qu’il ne se soit pas présenté. Elle se demande s’il ne craint pas de venir la voir, de devoir s’excuser mais, avec tous ses artisans venus à sa porte à sa demande, cela devrait suffire non ?
A suivre...
Notes:
La semaine prochaine, Julia reprend part à la vie de la forteresse^^
Chapter 31: Et c’est ainsi qu’elle tombe
Notes:
On m'a fait la remarque que peut-être cette histoire devenait ennuyante... J'aurais dut rajouter dans les tag que oui, cette histoire prend son temps. Je n'aurais jamais l'orgueil de me comparer à Tolkien ou Hugo, mais avez-vous lu le chapitre du conseil d'Elrond, ou celui sur l'architecture de Paris ? Les bonnes histoires doivent ralentirent par moment, les choses doivent se poser. Cela permet de mettre les moments de tension en exergue, de les rendre plus intense encore...
Je n'écrirais pas un coup de foudre en trois chapitre et, quitte à perdre des lecteurs, je l'annonce : cette fic sera longue. Elle l'est déjà, je suis bien plus loin dans mon récit, et c'est ce qui me permet d'être régulière dans la publication. Il va se passer encore plein de choses, je ne vais pas spoiler, etje ne vais pas accélérer. J'aime cette histoire, j'aime qu'elle prenne son temps. Et si j'espère que vous l'aimiez aussi, je ne vous force pas à lire bien sur. Si cela vous ennuie, passez votre chemin.
Sur ce, bonne lecture à ceux qui restent.PS : avertissement en fin de page.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Julia doit patienter deux longues semaines avant que Shani ne la déclare suffisamment soignée pour reprendre part à la vie de la forteresse. Ciri et Yennefer sont là quand la nouvelle tombe et si la petite crie d’abord de joie, elle se rappelle que cela signifie le retour à l’école, et elle grimace, ce qui fait rire les adultes.
Ensembles, elles conviennent d’un dernier jour de repos avant de reprendre, enfin, son rythme de vie d’avant toute cette histoire. C’est une bonne chose pour ses chiennes qui ne boitent plus, grâce au Ciel. L’œil d’Hécate est définitivement aveugle, mais la patte de Sélène n’est pas paralysée, et elle peut s’appuyer dessus. Néanmoins, elles restent toutes deux irrémédiablement marquées par le combat, leur poile épais ne suffisant pas à masquer certaines des plus grosses cicatrices.
Ainsi, le lendemain matin, après un bain, un petit-déjeuner et une promenade sur un rempart intérieur fraichement réparé, Julia prend le chemin de sa classe, Loki sur son épaule, Sélène, Hécate et Aiden sur ses pas, comme avant. La joie de cette familiarité, qu’elle a cru un moment perdu, bout dans son ventre et marque son visage d’un sourire qu’elle ne peut retenir.
Surtout quand elle arrive enfin en classe, ou une surprise l’attend.
Ciri est déjà là, mais elle n’est pas seule. Il y a Dara et Sophia, bien entendu, mais aussi d’autres enfants, entre quatre ans et une dizaine d’année. Ceux des serviteurs, à n’en pas douter. Certains sont humains, d’autre arborent fièrement leurs oreilles pointues, et il lui semble même que deux d’entre eux sont d’ascendance naine, mais rien n’est vraiment sûr à cet âge.
Les bancs de la classe ne sont pas bondés, mais bien plus peuplée qu’avant. Elle en compte une quinzaine depuis l’entrée où elle est figée de surprise. Les enfants sont installés en rangs serrés, au-devant de la classe, et se sont tous levés quand elle a ouvert la porte.
Il fait bien chaud dans la salle de classe. C’est le cœur de l’hiver maintenant, et la neige tombe sans relâche, poussée par un vent glacial. Mais il fait bon ici, et une délicieuse odeur de cannelle et d’orange embaume la pièce : il y a une grosse casserole posée sur le poêle dont le contenu frémi doucement.
Au tableau, en lettres bancales et tremblantes, avec une faute d’orthographe mais ce n’est pas grave, est écrit un joli « Bienvennu ». Ça la fait sourire : celui ou celle qui a écrit ça a commencé grand, pour finir petit, et c’est penché. Mais c’est adorable.
Finalement, Julia s’avance enfin entre les pupitres, pour gagner le bureau mais elle ne s’assoit pas, prenant le temps de balayer chaque visage. Ils la regardent en retour calmement, fille comme garçon, princesse comme roturier, humain, elfe ou nain. Tous égaux.
Pour l’idéal de vie dont l’a bercé son père et qu’elle garde au fond de son cœur comme ligne directrice de ses valeurs, c’est merveilleux et Julia doit inspirer profondément pour tempérer la joie bondissante qui lui serre la poitrine, avant de pouvoir enfin prendre la parole.
- Bonjour les enfants, je suis contente de voir de nouvelles têtes parmi nous. Vous êtes tous les bienvenus dans cette classe. Tous ceux qui veulent apprendre le sont.
Aiden s’est réinstallé au fond, comme il le fait toujours, et s’il mime de dormir comme à chaque fois, il sourit en l’entendant parler, et Julia sait qu’il l’écoute aussi religieusement que tous les enfants devant elle.
La jeune femme ne fait pas vraiment cours ce jour-là, se contentant de demander à chaque enfant nouveau venu de se présenter, et de lui indiquer s’il sait déjà quelque chose, lire, écrire ou compter. Et c’est le cas pour quelques un, elle devra faire des groupes de niveau en conséquence. Ensuite, ils partagent ce qui s’avère être un jus de pomme chaud, aromatisés aux agrumes et aux épices.
Julia ne connaissait pas cette boisson, mais elle est bien heureuse de la découvrir, surtout quand dehors, l’hiver redouble d’intensité. Les enfants, d’abord intimidés, s’en donnent à cœur joie, lui rapportant des variantes de la recette ou d’autres mets d’hivers typique de la région.
Quand vient la fin de la classe, elle les salue tous chaudement, le promettant de commencer à apprendre le lendemain, avant de prendre le chemin de la grande salle en compagnie de Ciri, comme elle l’a toujours fait jusqu’à ce que toute cette histoire d’oiseau n’arrive.
Si elle est un peu intimidée, craintive de croiser son époux qu’elle n’a toujours pas vu depuis les deux dernières terrible fois, elle le cache assez bien pour que la petite fille ne le remarque pas. Ce n’est pas le cas d’Aiden, en revanche, et si le chat marche un peu plus proche d’elle que d’habitude, elle ne commente pas.
Et effectivement, arrivée dans la grande salle, le regard de la reine trouve immédiatement la haute silhouette de son époux. Entre sa carrure forte et sa chevelure unique, il est relativement immanquable. Inconsciemment, elle ralentit le pas et Aiden, dans son dos, doit la pousser un peu pour la faire avancer.
- Tout ira bien, murmure le chat, confient.
Julia ne répond pas mais reprend sa marche, déterminée. Elle se rassure en se disant que depuis, elle a été innocentée, qu’il sait maintenant qu’elle n’est pas une traitresse. Et tous ces artisans qu’il lui a envoyé pour réparer ce que les sorceleurs ont détruit pendant la fouille… c’est bien un rameau de paix entre eux, n’est-ce pas ?
Le Loup Blanc ne la remarque pas tout de suite, occupé à discuter avec messire Eskel, installé à sa place habituelle. L’estrade a disparue, sans doute depuis longtemps, et la grande salle a repris son aménagement classique auquel s’est rajouté une septième table pour soutenir le buffet.
C’est là que Julia va en premier, pour se servir une assiette ridiculement petite, sous le regard septique d’Aiden qui heureusement, tient sa langue. Elle qui n’a déjà que peu d’appétit, sent son estomac se tordre de nervosité à l’idée d’aller prendre sa place, juste à côté de son époux.
Un instant, elle envisage de s’installer à la table des chats, avec Aiden, mais le Loup Blanc le prendrait surement mal. Puis Ciri ne lui laisse pas le choix non plus, attrapant sa jupe pour la tirer vers la table des loups. Julia inspire pour se donner du courage, se disant que c’est comme faire une représentation. Si elle pouvait faire face à Vizimir et Radowid, qui étaient autrement plus terrible, elle peut faire face au Loup Blanc. Après tout, elle l’a choisi…
- Mon seigneur, messire Eskel, les salue-t-elle en venant s’installer à sa place, entre eux.
Si les deux hommes se taisent et la regarde faire, Paco, qui est lové sur l’épaule de son sorceleur, lui répond avec joie, sautillant sur place. Elle est heureuse de voir qu’il a repris des couleurs et qu’il est plus énergique, visiblement en meilleur santé, elle l’en félicite alors que Loki croasse lui aussi de plaisir.
- Altesse, finit par se reprendre messire Eskel, nous parlions justement de la réponse de Vizimir. Je voulais passer vous la montrer cet après-midi. Comme vous le supposiez, il veut envoyer une délégation.
- Ce n’est pas une surprise. Passez quand vous voulez, messire, nous pourront discuter de tout cela tranquillement.
Si son époux ne commente pas, se contentant de la fixer sans rien dire, son commandant a la politesse de faire la conversation avec elle, et parvient mine de rien à la détendre, assez pour qu’elle commence à manger son maigre repas, grignotant de petites bouchées comme elle en a pris l’habitude.
- Tu porte ta robe grise, finit par gronder le Loup Blanc, se fichant de couper son frère en pleine phrase.
Julia rougit au commentaire, mais ne trouve rien à y répondre. C’est vrai que ce matin, craintive de cette journée et de croiser à nouveau du monde, dont son époux, elle a préférée mettre cette robe qui ne lui plait pas et qui est sacrifiable, ainsi que son corset renforcé. Shani, qui l’a aidée à s’habiller avec Martha, l’a laissé faire, bien consciente de tous ses traumatismes.
- Je n’aime pas cette robe. Conclu le Loup Blanc après un instant à la jauger silencieusement.
Puis il se détourne et poursuit son repas, concentrant son attention sur Ciri, à côté de lui, qui lui raconte comme s’est passé la classe ce matin alors que messire Eskel soupire un « Geralt » désespéré.
Julia reste un long moment pantoise, ne comprenant pas l’intervention de son époux, et certainement pas pour lui dire cela. Ça n’a pas de sens. Les sorceleurs sont des gens simples, le Loup Blanc surtout, alors que pourtant, il est empereur et pourrait réclamer toutes les richesses de ses terres, ce qu’il ne fait pas.
Pourquoi lui parler de sa robe ? Jusqu’à présent, la mode ne semblait pas être une sensibilité pour lui, qui porte toujours des habits noirs, certainement trop simple pour un homme de son rang. Pourquoi lui en parler ? S’attendait-il à ce qu’elle ait autant de tenues qu’il y a de jour dans l’année, comme, si l’on croit la rumeur, la reine de Témérie ?
Non, ce n’est pas ça. Elle a déjà porté plusieurs fois certaines de ses robes, elle n’est pas venue avec un nombre illimité de vêtement non plus. Mais c’est la première fois qu’il lui fait la réflexion. En y réfléchissant, ce ne sont pas ses robes qui posent visiblement problème, mais cette robe.
- Oh, souffle doucement Julia en comprenant.
Il a dû reconnaitre la robe que Shani lui a fait porter après l’incident des sources chaudes, quand elle s’attendait à être puni. S’il n’a rien dit sur le corset, il a certainement compris ce qu’elle représente pour elle, et il ne doit pas aimer cela.
Puis Yennefer arrive, la saluant poliment et Julia se laisse distraire par le flot des conversations, gardant néanmoins à l’esprit de mettre cette robe le moins possible, et qu’elle doit se changer dans l’après-midi.
Le repas finit, Julia prend congé, laissant Ciri à Yennefer comme elle en a l’habitude, pour retourner dans ses quartiers où elle demande à Martha de lui trouver des parchemins vierges car elle doit réfléchir à différent programmes d’enseignements pour sa toute nouvelle classe. Sa femme de chambre s’exécute et avant longtemps, Julia entend toquer à sa porte.
Comme elle s’attend à ce que ce soit Martha qui revient avec les bras trop chargés pour ouvrir, elle y va elle-même alors que Coen, qui a pris la relève d’Aiden, et qui s’apprêtait à méditer devant la cheminé comme il en l’habitude, fait mine de se relever.
- Laissez, laissez, fait-elle en allant ouvrir.
Mais ce n’est pas Martha de l’autre côté de la porte. A la place se tient une femme forte, à la longue chevelure rousse retenue en une tresse épaisse, son visage rond plein de tache de rousseur et ses yeux verts brillant d’amusement féroce. Elle porte une robe simple mais colorée, et Julia remarque immédiatement le bracelet pique-aiguille à son poignet ainsi que la grosse paire de ciseau en métal qui dépasse de la poche de son tablier.
Et si ces détails ne suffisaient pas à identifier la profession de la nouvelle venue, les cinq serviteurs portant des rouleaux de tissus colorés parlent pour elle. Julia lève un sourcil interrogatif puis s’écarte pour les laisser entrer.
D’accord, il a dit qu’il n’aimait pas sa robe, mais tout de même…
Sans surprise, la femme, Fabiosa, se présente comme couturière, et envoyer par le Loup Blanc pour étoffer sa garde-robe, à ses frais bien entendu, et avant longtemps, Coen est renvoyé hors de la chambre avec tous les serviteurs alors que Julia se retrouve dépouillée de sa robe.
- Triste vêtement, commente Fabiosa. Mais je pensais qu’elle serait au gout du Loup Blanc, se moque-t-elle en la repoussant dans un coin, lui qui aime tellement le noir !
Puis elle se tourne vers Julia et son amusement s’efface alors qu’elle baisse les yeux sur le corset. Un corset serré, avec plus d’armature que nécessaire, fabriqué à partir d’un tissu sombre et épais, inconfortable. Sous son regard, la jeune reine se sent intimidée et croise les mains devant elle, comme pour essayer de le cacher.
- J’avais une cliente, raconte la couturière en faisant le tour pour venir dans son dos défaire les lacets. Dans ma boutique à Brugge. Elle me commandait toujours ce genre de chose.
En parlant, elle tire sur les lacets pour les ouvrir, avec assez de force pour faire tanguer Julia qui ne s’attendait pas à ce qu’elle mette autant d’énergie dans l’action.
- « Je veux plus de métal » qu’elle me disait. « Je veux un tissu plus épais » qu’elle me disait.
- S’il vous plait, murmure la reine, voyant parfaitement où va l’histoire et ne souhaitant pas avoir confirmation de ses craintes.
Mais la couturière l’ignore, écarte le corset et l’oblige à lever les bras pour l’en débarrasser, la laissant en simple chemise longue et sous-vêtements.
- Un jour, elle n’est pas venue. J’ai appris plus tard qu’elle était morte.
Le corset est jeté avec la robe, presque avec dédain, puis Fabiosa la contourne à nouveau pour venir devant elle. Julia l’imagine mère de famille nombreuse, quelqu’un de strict mais juste. Sous son regard sévère, elle se sent toute petite, toute jeune aussi, et elle baisse les yeux, toute reine qu’elle puisse être.
- On raconte que son mari l’a poussé dans les escaliers.
Pendant un moment, la couturière ne dit rien, se contentant de la jaugée du regard, et Julia attend la critique ou la moquerie, quelque chose de négatif alors quand la femme la touche pour la tirer dans ses bras, la serrant sur sa forte poitrine, la jeune femme sursaute, surprise.
- Pauvre petit rossignole, s'exclame-t-elle en resserrant sa prise. C’était ton père ?
- Mon époux, répond sans réfléchir Julia en essayant de s’extraire de la prise forte de la femme.
Mais ce n’est pas la bonne chose à dire car si effectivement Fabiosa la repousse, c’est juste pour pouvoir la regarder dans les yeux et cracher de fureur :
- Ce fichu Loup Blanc ! Que croit-il pouvoir faire…
- Non ! la coupe Julia, consciente de l’erreur grossière. Pas lui, mon ex-mari !
Ça a le mérite de couper Fabiosa dans sa colère. La femme se fige, la lâche enfin et recule, la regardant à nouveau des pieds à la tête, avant de secouer la tête, refusant ses paroles :
- Ex-mari ? Tu as quoi, quinze ans ?
- Seize, corrige Julia en défroissant sa chemise que l’étreinte à bouger.
- Seize ans ! Se moque Fabiosa. Et tu en serais à ton second mariage ? Pff ! N’importe quoi !
Julia n’a jamais fait montre d’un quelconque orgueil mais ça fait des années maintenant qu’une étrangère ne lui a pas parlé avec autant de familiarité. C’est très déstabilisant et elle se sent obliger de demander, au cas où l’autre ne le saurait pas :
- Vous savez que je suis reine, non ?
Ça n’a pas l’air d’impressionner Fabiosa, qui croise les mains sous sa poitrine opulente, la défiant du regard de rajouter quoi que ce soit.
- Laissez tomber, souffle Julia, abandonnant l’idée d’une quelconque marque de respect aussi vite qu’elle lui est venue. Le Loup Blanc n’a jamais porter la main sur moi.
Julia est contente qu’il n’y a pas de sorceleur et que son interlocutrice soit incapable de lire les mensonges, parce qu’à peine a-t-elle dit cela, qu’elle sent à nouveau le fantôme de la grande main du Loup Blanc sur son cou. Fabiosa doit voir quelque chose néanmoins, parce qu’elle ne semble pas convaincue.
- A d’autre, chérie. Elle baisse encore les yeux, ne cessant de jauger Julia qui se sent mal à l’aise. Tu es trop maigre pour être honnête.
Julia s’empourpre, agacée. Elle est peut-être tolérante, mais la femme devant elle va trop loin, et pendant une seconde, elle veut la renvoyer mais Fabiosa ne lui laisse pas le temps de parler, la tirant à nouveau dans une étreinte d’ours :
- Pauvre petit rossignol, s’il y a quoi que ce soit, fais-moi demander. Je t’aiderais, offre-t-elle. Je le faisais, à Brugge. Je le ferai ici aussi, s’il le faut.
Ensuite, Julia apprend que Fabiosa est mariée à un sorceleur loup, qu’elle est née ici, à Kaer Mohren, d’une mère elfe et d’un père humain. Elle n’a pas d’enfant elle-même, mais, étant l’ainée, elle a aidé à élever ses six frères et sœurs, dont deux sont devenu sorceleur à leur tour. Si elle est partie pour apprendre la couture, c’était pour mieux revenir et s’établir ici même, comme couturière officielle des sorceleurs, et du Seigneur de Guerre, s’il vous plait. Elle apprend surtout que Fabiosa a connu le Loup Blanc avant qu’il ne soit le Loup Blanc, raison pour laquelle elle se moque bien de toute étiquette ou protocole, même (ou surtout) pour une gamine comme elle.
- Mais quel âge avez-vous ? S’étonne Julia alors que Fabiosa prend ses mesures en lui racontant son historie.
- Moi ? Je vais sur mes cent quarante-sept ans, ma petite.
La longévité des elfes est incroyable, mais au lieu de s’arrêter là-dessus, Julia demande, intriguée, des histoires sur son époux et son enfance, curieuse d’en apprendre plus sur lui, et ravie de rencontrer quelqu’un qui l’a vécu de première main.
- Il faisait les quatre cents coups avec Eskel, les petits monstres. Mais ça ne l’empêchait pas d’être le meilleur, raconte Fabiosa. C’est pour ça qu’ils l’ont choisi, les enfoirés.
- Qui ?
Elle ne peut pas parler des sorceleurs eux-mêmes, qui l’auraient choisi pour devenir leur chef. Elle a déjà eu cette histoire-là, de la part de Coen, et sait que cela s’est fait à la suite de longs débats et avec l’unanimité de tous.
- Les anciens mages, répond Fabiosa en notant les mensurations de Julia sur un parchemin. Tu es vraiment trop maigre, petit rossignol. Ce n’est pas sain.
- Qui sont les anciens mages ? Pour quoi ont-ils choisi mon époux ?
- Des enfoirés, je te dis. De méchants hommes, toujours à tester des choses horribles sur les enfants. Heureusement, ils ne sont plus là. Geralt les a fait chasser.
Julia garde le silence, attendant la suite de l’histoire avec impatience et Fabiosa ne la déçoit pas, une fois les mensurations prises et notées, elle poursuit :
- Ils l’ont choisi, lui et quelques autres, les meilleurs de cette année-là, pour passer encore une fois l’Epreuve des Herbes. Fabiosa soupire tristement et poursuit son récit, sans se soucier du fait que Julia ignore totalement de quoi il s’agit. Il a été le seul à survivre, le pauvre.
- Oh.
Après ça, même si elle ne sait pas ce que c’est, Julia ne pose plus de question et la conversation dévie sur les robes et ce qu’elle aime. Fabiosa est ravie d’apprendre qu’elle veut des couleurs, toutes les couleurs, et promet de lui faire toute une ligne de vêtement adapté à son « joli minois », comme elle dit.
Ensuite, la couturière fait venir de sa garde-robe, à l’étage inférieur, une autre robe et un corset plus léger parce qu’il est « hors de question qu’un petit rossignol comme toi se balade dans des habits aussi tristoune » et l’aide à la rhabiller juste à temps pour l’arrivée de messire Eskel.
- Oh, je vois que vous avez rencontré notre couturière, se moque-t-il en entrant dans le salon, observant les différents rouleaux de textile éparpillés un peu partout. Je peux repasser plus tard, s’il le faut…
Il y en a même qui sont tombés sur Sélène et Hécate et il ne retient pas son rire lorsqu’il les voit ramper pour s’extirper de là en chouinant. Mais avant que Julia ne puisse répondre, Fabiosa réplique, avec la même familiarité déroutante :
- Fais donc prendre l’air à ce rossignol, Eskel, ordonne-t-elle en lui jetant ce qui s’avère être le manteau de laine doublé de fourrure de la reine. Je vais ranger tout ce bazar. Tu auras tes premières robes dans quelques jours, mon cœur, rajoute-t-elle d’un ton plus doux en s’adressant à Julia directement.
- Merci madame.
- Appelle-moi Fabiosa, trésor.
Julia a l’impression d’être à nouveau une enfant, et si c’est à la fois étrange et déstabilisant, c’est aussi particulièrement agréable. Elle est traitée en adulte depuis qu’elle a onze ans, et a dû grandir trop vite à cause de Radowid, mais avec Fabiosa, elle a l’impression de pouvoir régresser à nouveau.
- Merci, souffle-t-elle avec émotion.
La couturière se contente de lui faire un sourire tendre, avant de se tourner vers Eskel pour lui ordonner de l’aider à la couvrir pour sortir, et c’est amusant de voir le commandant en second du Loup Blanc se précipiter pour s’exécuté tout en s’excusant.
Paco reste avec Loki dans la chambre, s’installant hors de portée de Fabiosa, sur les poutres du toit, alors que le sorceleur escorte la jeune reine dehors, devancé par Sélène et Hécate qui trottinent, bien heureuses de pouvoir sortir.
- C’est quelque chose, commente Julia une fois en bas de la tour.
- Sacrée bonne femme oui, renchérit messire Eskel. Je suis sûr qu’elle aurait fait une sorceleuse hors-pair ! J’espère qu’elle ne vous aura pas… offusqué, altesse.
Mais Julia le rassure, si effectivement les manières de Fabiosa sont déstabilisantes, elle ne les a pas mal prises. Néanmoins, elle avoue vouloir être prévenue, la prochaine fois, si elle doit encore rencontrer quelqu’un comme la couturière.
- Ouais… consent le sorceleur. Geralt n’a pas vraiment réfléchit quand il vous l’a envoyé.
- Il n’aimait pas ma robe.
Le sorceleur à un regard en biais pour l’habit jaune qu’elle porte maintenant, bien qu’il soit en grande partie caché par son manteau de laine, puis, après une hésitation, se râcle la gorge et répond :
- Celle-ci est mieux, altesse.
Il y a de la gêne dans sa voix, alors Julia ne relève pas, se contentant de rougir sous le compliment. Puis elle se rappelle que messire Eskel était avec son époux quand elle a crue qu’elle serait punie, et qu’il en est certainement venu aux mêmes conclusions. Alors, pour changer de sujet, elle demande ce qu’est l’Epreuve des Herbes.
- Fabiosa m’a dit que mon époux l’a subi deux fois… Mais voyant l’expression de son compagnon de promenade se refermer, elle s’empresse de préciser qu’il n’a pas à répondre s’il ne le souhaite pas.
- Les aspirants sorceleurs sont entrainé à l’écart de la forteresse jusqu’à être en âge de passer cette épreuve, explique messire Eskel après un silence. C’est entre autres pour qu’il n’y ait pas trop d’attaches si jamais…
- Ils ne survivent pas, devine Julia en se rappelant les quelques paroles de Fabiosa.
Ils sont sur les remparts maintenant, et s’il neige toujours, le temps est assez clair pour pouvoir observer en contre-bas les différentes classes d’apprentis s’entrainer sous la direction de sorceleurs enseignant de toutes les écoles, malgré le froid mordant.
- Nous pouvons passer cette épreuve à partir de l’âge de dix ans. Ça dépend de nos réussites à l’entrainement, explique sombrement messire Eskel en observant les enfants répéter un mouvement de parade.
Il a un frisson, qui n’a rien à voir avec le froid, alors Julia se permet, s’approche et lui prend la main, lui offrant un soutient silencieux alors qu’il poursuit :
- Ils nous attachent, murmure-t-il d’une voix hantée, et nous injecte des mutagènes et des potions, nous font avaler des herbes et des décoctions….
Il n’y a pas que sa voix qui est hantée. Son regard ambre si doux se perd devant lui, il est évident qu’il ne voit plus les enfants s’entrainer et Julia a de la peine, elle voudrait l’interrompre, lui dire qu’il n’a pas à en dire plus, mais elle veut aussi savoir le reste, alors elle se tait et se contente de lui serrer la main doucement.
- Et ça fait mal, explique-t-il en répondant à son geste. Il n’y a pas beaucoup de survivant. Trois sur dix, à peine.
- Et vous êtes tous passez par-là ? demande Julia. C’est comme ça qu’on fait des sorceleurs ? En tuant des enfants ?
Julia sait qu’il n’y est pour rien, mais elle ne peut retenir le venin dans sa voix quand elle parle. Heureusement, messire Eskel est quelqu’un de compréhensif, il ne le prend pas pour lui et répond, reprenant contenance :
- Ce n’est pas ce que nous voulons, mais c’est ce qui arrive. C’est pour cela que les travaux de Triss sont importants. Avec l’aide de Shani, elles essayent de rendre cette épreuve plus supportable, et moins dangereuse.
- Parce que ça a toujours lieu ? s’étonne Julia, choquée.
Pendant une seconde, messire Eskel la regarde sans rien dire, le visage brouillé de culpabilité, puis il soupire et répond :
- Au printemps, oui. Nous faisons toujours en sorte de vider la forteresse pour la semaine. Explique-t-il. Nous callons l’épreuve sur les fêtes de Belleteyn, c’est plus simple de faire partir les non-sorceleurs. Nous sommes d’ailleurs en négociation avec Filavandrel pour qu’il vous accueille, Ciri et vous, cette année. Quant aux sorceleurs, sans surprise…
- Ils ne veulent pas rester. Je comprends.
Une part de Julia aurait voulu rester à jamais dans l’ignorance parce que maintenant qu’elle sait, elle ne peut plus regarder les enfants en contre-bas sans se demander qui. Qui aura la chance de survivre à cette torture terrible, et combien ne le feront pas ? Un instant, elle a le sentiment de regarder des cadavres se mouvoir devant elle, alors elle détourne le regard.
- Et mon époux l’a passé deux fois, cette épreuve ? Messire Eskel acquiesce silencieusement, et elle soupire : cela a dû être terrible.
- Ça l’était.
Elle le tient toujours, et finalement, au lieu de se laisser aller à la colère et à l’horreur, Julia s’oblige à revenir à sa nature positive et offre, amicale, en lui serrant encore la main :
- Heureusement, vous étiez là pour lui, et il était là pour vous, n’est-ce pas ?
Cela semble marcher, la culpabilité s’efface sur le visage du sorceleur alors que son regard retrouve son éclat de douceur. Ils gardent le silence encore un moment avant que Julia propose de renter, changeant encore de sujet, pour parler de ce que contient la réponse de Vizimir.
Il accepte et ensemble, ils passent le reste de l’après-midi à en parler, et elle lui offre tous les conseils qu’elle peut avoir pour l’accueil de cette délégation à venir. Ce sera la première fois que Kaer Morhen reçoit un tel cortège, ils ne savent pas vraiment ce qu’ils doivent faire, ou non, et messire Eskel semble rassuré de pouvoir lui poser toutes ses questions, autant qu’elle est heureuse de lui être utile.
Le soir venu, c’est lui qui escorte Julia jusqu’à la grande salle. Son époux est déjà installé à table quand ils arrivent et s’il ne dit rien, il a tout de même un « hum » pour sa robe que la jeune femme interprète comme un « mieux », à l’image de ce que lui a dit messire Eskel plus tôt.
Le repas se passe sans incident, au contraire même. Alors qu’avant, les serviteurs avaient une attitude froide et réservée, à la limite de l’irrespect envers Julia, maintenant, il n’y a plus besoin de la veille silencieuse des sorceleurs pour qu’elle ait une assiette descente et du vin adapté à porté de main. C’est étrange, mais cela la rassure : cela aura été douloureux mais peut-être a-t-elle enfin trouvé sa place ici ?
Elle le croit d’autant plus quand, à la fin du repas, Aubry s’approche pour lui tendre son violon. La salle est encore pleine, et silencieuse même, attendant visiblement qu’elle leur joue de la musique une nouvelle fois, et Julia se sent rougir de plaisir.
- Tu ne peux pas déambuler comme ça, tu dois te reposer. Fait Shani, sévère.
Julia a envie de répondre qu’elle va bien mais avant qu’elle ne puisse parler, Lambert intervient. Il est généralement installé en face du Loup Blanc, au côté de Vesemir et le sorceleur se lève, débarrassant rapidement la table devant lui avant de tendre les bras vers elle.
- Donne-là moi.
La jeune femme n’a pas le temps de comprendre, avant qu’elle ne puisse poser la moindre question, elle sent les mains de son époux sur ses hanches et elle est soulevée, comme si elle ne pesait rien, pour être passé à Lambert, de l’autre côté de la table sur laquelle il l’assoit, positionnant sa chaise sous ses jambes pour son confort.
- Voila, fait le loup en croisant les mains sur sa poitrine, fier de lui. Pas de déambulation, mais de la musique.
- Vous savez que vous ne pouvez pas porter les gens comme ça ? les gronde messire Eskel d’un ton fatigué.
Il y a quelques rires, alors que Sélène et Hécate, perturbées par la disparition soudaine de leur maitresse, passent sous la table pour la rejoindre. Julia elle-même ne dit rien, choquée, puis finit par soupirer, acceptant que les sorceleurs n’aient vraiment aucun sens du protocole.
- Bien, fait-elle finalement en saisissant le violon qu’Aubry lui tend toujours. Mon retour parmi vous est peut-être le bon moment pour interpréter une nouvelle chanson de Jaskier…
Quelqu’un se râcle la gorge dans son dos pour attirer son attention et Julia se tait pour se pencher en arrière, tendant l’oreille à messire Eskel qui l’informe :
- Tout le monde sait que vous êtes Jaskier, altesse.
Surprise et n’y croyant pas, Julia tourne la tête pour croiser le regard de son époux qui se contente de rajouter :
- Je ne veux pas que tu te caches.
A suivre...
Notes:
avertissement : mention de maltraitance sur adulte/enfant, mention de féminicide.
Chapter 32: Et c’est ainsi qu’ils tombent partie 1
Notes:
Merci encore pour votre soutien,
Bonne lecture^^
Chapter Text
- Je ne veux pas que tu te caches.
A peine Geralt a-t-il dit cela que le parfum de son épouse explose. Les notes de fleurs sauvages, de miel et de soleil l’atteignent lui, mais aussi les sorceleurs autour d’eux et il entend certains gémir doucement, charmés par ce qui ne peut qu’être l’odeur du bonheur.
Son épouse sent l’été, c’est terriblement agréable, surtout en plein milieu de l’hiver. Mais pour Geralt, cela semble aussi familier et un instant, il revoit à nouveau la fée du Bécasseau, lorsqu’elle s’était penchée sur lui et qu’il avait pu renifler son parfum.
Ça alimente le doute dans sa poitrine, comme toujours, et il se mord la langue pour se retenir de confronter Julia, ici et maintenant, devant tout le monde. C’est une conversation qu’ils doivent avoir, mais il ne sait pas quand il pourra l’interroger.
- Oh… fait Julia, oh ?
La surprise marque son visage : sa bouche s’ouvre, ses yeux s’écarquillent alors que le violon glisse de ses mains. Sans Vesemir juste à côté d’elle, il aurait fini dans la tarte posée tout près. Puis l’odeur d’été se voile, alors qu’elle se mord la lèvre un instant et demande, hésitante :
- Je… vous êtes sûr ? Je ne veux pas faire honte à votre maison…
Geralt se demande si Radowid était au courant, si c’est lui qui a mis ces mots dans sa bouche. Ça expliquerait la peur qu’il lit dans son regard couleur bleuet. Les y a-t-il mit à coup de poing, de ceinture ou de… Il se souvient, la fée du Bécasseau, la seconde fois, elle avait des marques dans le dos. Des marques de bâtons.
- Chante, Jaskier, répond le Loup Blanc avec férocité, ils t’attendent.
- Oh… merci.
Ses yeux brillent d’émerveillement, il se demande si c’est la première fois que quelqu’un l’appelle ainsi, elle rougit et son sourire… il est énorme, débordant de joie et de lumière. Oui, son épouse est éblouissante quand elle se retourne enfin vers son public. Surtout quand Lambert, qui a tout entendu, cri avec un geste vers elle :
- Mesdames et messieurs, le barde Jaskier !
Il n’en faut pas plus, l’odeur d’été revient alors que Julia descend de son perchoir pour faire une révérence à toute la salle qui applaudie et siffle en réponse. Elle se redresse, tourne sur elle-même, avec sa robe couleur soleil, et fait un pas vers Vesemir qui lui tend le violon sans qu’elle ait à demander.
- Bien, reprend-t-elle enfin en parlant assez fort pour que toute la salle l’entende, comme je le disais, mon retour parmi vous me semble idéal pour vous interpréter une chanson que j’ai composé pour vous tous et pour mon époux.
Quand elle parle de lui, Julia se tourne rapidement, le temps d’un instant, pour croiser son regard et lui offrir un sourire et le cœur de Geralt rate un battement sans qu’il ne comprenne, ou ne veuille comprendre, pourquoi.
Julia ne se rassoit pas quand elle fait sonner le violon pour le tester ni quand, satisfaite du son, elle commence à jouer, d’abord quelques notes longues, une mélodie mélancolique, qui s’accélère pour devenir épique et rapide. Comme à chaque fois, il semble y avoir trop de note, comme s’il y avait plusieurs instruments mais non, ce n’est que Julia et son talent.
- Altesse, l’appelle Triss, vous devriez…
- Laisse, fait Shani résignée. On l’a perdu.
C’est vrai que Julia semble dans son monde tandis qu’elle joue. Et quand elle se met à chanter, c’est avec une voix claire et forte, mélodieuse et envoutante, comme elle ne l’a jamais fait avant. Ce qui peut être identifié maintenant comme de la retenue n’est plus là, elle semble totalement libre et c’est un spectacle qu’aucun sorceleur ne manque.
Sa chanson parle d’un enfant, d’un orphelin, recueilli, entrainé, destiné. Elle parle d’un cœur vaillant, d’une force impressionnante et d’une tête bien faite. Elle parle d’abnégation, de courage et de luttes, de monstres cachés dans la nuit et d’innocents sauvés. Elle parle de sorceleur et pleure l’injustice qui les fait passer pour des monstres eux-mêmes.
La salle est silencieuse, attentive, même si dès le second refrain, certains chantonnent avec elle les quelques paroles qu’ils ont retenues. Aiden chez les chats, et Coen chez les griffons sont de ceux-là, et avec une justesse qui laisse deviner qu’ils ont déjà entendu ce chant.
La chanson n’est pas triste. Si elle commence tristement, elle s’enflamme, comme le morceau sans parole qu’elle a joué au début, devient rythmé et c’est un appel à la danse auquel Julia elle-même répond, tournant sur elle-même avant de se déplacer dans la salle, de déambuler entre les tables comme le ferait un vrai barde, oubliant qu’il y a une semaine à peine, elle était alitée.
Quand il y pense, l’humeur de Geralt s’assombrit. Ça lui rappelle à quel point il a mal fait les choses, en l’accusant simplement parce qu’elle est rédanienne, guidé par des préjugés idiots, et en lui laissant la nécessité de prouver elle-même son innocence. Et le pire c’est qu’en faisant cela, en démasquant la chouette espionne, elle a protégé toute la forteresse, et sa fille.
Ce n’était pourtant pas à elle de le faire. Kaer Mohren est rempli de guerrier, ils sont sensés former l’armée la plus puissante du continent, ce n’était pas à elle de débusquer l’espionne et de se battre. Et pourtant, c’est ce qu'il s’est passé. Geralt est heureux que Julia ait ses chiennes et ses oiseaux pour la protéger. Sans eux…
Il ne veut pas savoir. S’il ne quitte pas du regard son épouse, il voit tourner autour d’elle ses chiennes, aussi marquées par le combat que le serait un sorceleur, et son corbeau, qui tantôt se pose sur elle, tantôt fait des cercles au-dessus de sa tête.
Il voit aussi comment les sorceleurs s’illuminent sur son passage, comment ils tapent des mains et dansent en rythme entre eux ou avec elle, comment ils lèvent leurs choppent et trinquent, joyeux. Et pas seulement eux, les serviteurs aussi sont tout aussi réceptif à Julia et à sa chanson.
Quand Geralt l’a condamné, ils l’ont condamné eux aussi, facilement même. Et quand il a finalement annoncé son innocence, il a eu peur que ça ne suffise toujours pas, que les choses redeviennent ce qu’elles étaient avant, quand ils lui faisaient payer d’être rédanienne.
Il n’en est rien. Beaucoup ont assisté à l’arrestation de Philippa Eilhart, attiré comme les sorceleurs par l’explosion et le bruit des détonations. Tous ont vu les animaux de la reine combattre la sorcière espionne, et ils l’ont entendu, elle, défendre Kaer Mohren et légitimer l’attaque, clouant le bec à une redoutable sorcière, assez habile politiquement pour retourner la situation en sa faveur.
Yennefer l’en a assuré. Elle se méfie de Philippa et de sa langue d’argent, et elle a prévenu tous les sorceleurs qui ont été amené à être en contact avec elle, que ce soit simplement pour la garder dans sa cellule ou pour l’interroger : Philippa est rusée et manipulatrice.
Et oui, c’est quelque chose qu’on ne peut pas lui enlever. Prendre l’apparence d’une chouette et utiliser celle de la reine comme leurre est très astucieux, essayer de faire croire à de la légitime défense, menacer de représailles et proposer un accord dans un lit, l’est moins, en revanche.
Julia revient vers la table des loups, reprend sa place initiale et termine sa chanson. C’est un franc succès : la salle applaudie, siffle et réclame que le spectacle continu et son épouse est ravie, remercie son public avec d’autres courbettes, mais manque de perdre l’équilibre. Elle était alitée, il y a une semaine.
Lambert, resté debout, la rattrape et la guide pour qu’elle se rassoit sur la table, replaçant la chaise sous ses pieds. Julia se laisse faire, et passe sa soirée là, à jouer encore pour un public conquis.
ooOoo
Il est hors de question de lever les protections de Kaer Mohren pour permette l’ouverture d’un portail. Surtout pas maintenant qu’elles ont été renforcées pour que l’incident de la chouette espionne ne se reproduise plus.
Aussi, quand deux semaines plus tard, la délégation rédanienne se présente aux portes du château, il est plus tard que prévu et elle est épuisé. Il faut dire que parcourir la montagne par ce temps, même les sorceleurs ne le font pas ! A peine Geralt a-t-il accepté de leur envoyer une escouade avec Triss, pour les aider à franchir le col et les soutenir dans cette ascension périlleuse.
Les hommes, trois ducs et deux généraux, des membres de la haute-noblesse comme les a avertis Julia, ainsi que leur suite de gardes et d’aides de camps, demandent à pouvoir se reposer avant d’entamer toute négociation, ce qui leur est accordé, et restent enfermés dans les appartements qui leurs ont été donné pendant deux longues journées.
Cela agace tout le monde. Qu’ils soient sorceleurs ou non, personne n’aime l’idée d’avoir des étrangers dans la forteresse et il flotte dans l’air une tension étrange, qui met tout le monde à cran et ruine l’ambiance. Julia ne chante pas pendant ses deux jours, et semble même aussi timide qu’à son arrivée.
Geralt n’aime pas ça, surtout que lorsqu’on l’interroge, elle dit bien aller, ce qui est un mensonge qu’on lui permet. Shani est elle-même plus discrète, et Geralt sait qu’au lieu de rejoindre Triss comme elle le fait toujours, l’elfe reste avec sa maitresse tout du long.
Ainsi, quand au matin du troisième jour, on lui annonce que la délégation est prête à commencer les négociations, il est plutôt content que les choses avancent enfin et avant longtemps, la grande salle est aménagée, comme lors du procès, et il est assis sur le trône que lui a fait apparaitre Yennefer, à écouter l’un des ducs lire une lettre de Vizimir d’un ton pompeux.
Tout son conseil est avec lui, bien entendu. Il n’y a que deux sièges vides, ceux de Julia et de Ciri. Il a été décidé que le rythme de l’enfant ne serait pas perturbé autrement que pour empêcher toute rencontre avec la délégation : c’est une chose de connaitre son existence, s’en est une autre de voir son visage. De plus, une escorte de deux sorceleurs lui a été adjointe, alors qu’Aiden et Coen ont repris leur garde commune auprès de la reine.
Et il y a des gardes sorceleurs postés un peu partout dans la grande salle. Certains bien visibles, contre les murs en lignes ordonnées, d’autres plus discrets, caché dans l’ombre des piliers ou, pour les chats, perchés sur les poutres du plafond, prêt à se laisser tomber à tout moment.
La délégation se tient en face de l’estrade, debout, entouré de ses propres gardes. Julia leurs à expliquer l’importance de cela : en Rédanie, ne s’assoit que ceux que le roi autorise, et il l’autorise rarement. Leurs offrir un siège pourrait leur insuffler trop de confiance en eux. Le duc qui lit a fait quelques pas pour se démarquer.
Geralt n’écoute pas vraiment la lecture de la longue -et inutile- lettre de Vizimir. L’homme qui la lit a un ton de voix monotone, lent et solennel, comme si chaque mot qu’il prononçait avait le pouvoir de changer la face du monde, alors presque personne ne lui prête d’oreille attentive.
Le regard du Loup Blanc erre sur le visage de tous les humains face à lui. Les nobles portes des pourpoint épais rouges ou blancs, richement décoré de broderies d’or, une épée de parade flanquant leurs côtés. Les deux généraux ont des médailles accrochées à leurs poitrines.
Leurs gardes sont en armure, leurs propres épées au fourreau. La question s’est posée de les leurs prendre mais, encerclés de sorceleur comme ils le sont, une attaque serait du suicide. De plus, s’ils veulent préserver la paix, il faut leurs accorder quelques marques de confiance.
Parmi la dizaine d’humain en armure, le regard de Geralt est attiré par l’un d’entre eux, un jeune homme blond aux yeux bleus, au visage bien fait. Le sorceleur fouille sa mémoire, certain de l’avoir déjà vu quelque part sans réussir à trouver où, quand son attention revient soudainement au duc et à sa lettre, interpellé par le nom de son épouse :
- Quoi ? Fait-il en l’interrompant.
Le duc, un vieil homme usant d’un monocle pour pouvoir lire, retire l’objet de son œil et repousse son parchemin pour lui lancer un regard mauvais. Néanmoins, avec une politesse forcée à faire grincer des dents, il répond :
- La princesse Julia Diane Pancratz de Lettenhove, veuve de feu le prince Radowid.
- Qu’est-ce qu’il y a avec Julia ? Insiste Geralt, sans comprendre.
Les membres de la délégation ont un soupir méprisant mais c’est Eskel, installé normalement à côté de Julia qui se penche vers lui et explique à voix basse :
- Ils disent que le mariage n’ayant pas été consommé, il n’a aucune validité.
Geralt ne sait pas comment ils ont eu cette information, qui somme toute est vraie. Eskel est celui qui maitrise le mieux les signes, même mieux que lui alors qu’il a eu double dose de mutagène. Il a une confiance absolue en son Axii. Mais qu’importe le comment, ça ne change rien pour lui.
- Et alors ?
- Alors ils disent que le traité de paix doit être renégocié et que Julia doit retourner en Rédanie. Intervient Yennefer de l’autre côté.
- Hors de question.
La sorcière et lui échange un regard entendu avant de se tourner à nouveau vers le duc et le reste de la délégation, qui attendent de pouvoir poursuivre. Quand il pense avoir leur attention, le duc remet son monocle, relève son parchemin et ouvre la bouche pour continuer sa lecture :
- Julia est mon épouse, affirme Geralt en lui coupant la parole sans vergogne.
Le duc grimace encore, repousse parchemin et monocle pour le regarder dans les yeux et explique, d’un ton pédant :
- Nous savons de source sûre que le mariage n’a pas été consommé. Elle n’est donc pas votre épouse, majesté, mais une princesse de Rédanie, à qui elle doit être rendue.
Ils parlent de Julia comme s’il s’agissait d’un objet, et cela agace l’ensemble des sorceleurs présent, même si personne ne dit mot. Geralt se sent lui-même obligé de freiner sa colère pour réguler son ton de voix quand il répond :
- Julia est mon épouse, répète-t-il avec insistance, elle ne retournera pas en Rédanie.
- Oseriez-vous affirmer que le mariage a été consommé, le soir de la nuit de noce et devant témoin, ainsi que cela devait être fait quand nous savons que cela n’a pas été le cas ? Demande le duc, hautain.
Tout le monde sait que l’homme ne parlerait pas à Vizimir comme il parle à Geralt. Le mépris évident qu’il a pour les sorceleurs lui fait oublier qu’il s’adresse au Loup Blanc, au Seigneur de Guerre contrôlant tout le nord du continent, et qu’il lui suffirait d’un rien pour ajouter la Rédanie à sa collection de terres conquises.
Mais une chance pour lui, Geralt, comme l’ensemble des sorceleurs d’ailleurs, est habitué à ce qu’on lui manque de respect et du reste, n’accorde lui-même qu’une maigre importance aux titres qu’on veut lui donner, alors il ne réagit pas et se contente de grogner, agacé :
- J’ose affirmer que Julia est mon épouse.
Le duc soupir encore en levant les yeux au ciel, comme s’il s’adressait à un gamin insolent et explique encore :
- Nous savons que vous avez fait usage de votre magie noire pour forcer le prêtre à dire que le mariage était consommé.
- Et quelle preuve avez-vous de cela ? intervient Yennefer en sentant la tension monter chez le Loup Blanc et le reste des sorceleurs.
Comme s’ils attendaient cette question, un autre noble, un peu plus jeune et militaire, à en croire les médailles sur sa poitrine, s’avance brandissant un parchemin roulé et scellé d’un ruban à la main :
- Le témoignage écrit et signé du père Caïn, qui devait assister à votre union, fait-il avec assurance, après qu’il eût été vu par un mage-guérisseur, bien entendu.
Pendant un instant, personne ne dit rien. Son conseil s’échange des regards, incertains, alors qu’en face, les deux hommes et leur suite les fixent, hautains, certains d’avoir gain de cause. Ça agace Geralt qui n’a qu’une envie : les jeter hors de sa forteresse. Néanmoins, il se tempère encore, et se justifie :
- Julia n’a que seize ans alors que moi…
- C’est sans rapport, le coupe le vieux duc au monocle. Sa majesté le prince Radowid avait cinquante-cinq ans et la princesse seulement douze quand ils se sont unis, selon nos traditions.
Ce n’était pas la chose à dire. Il y a un vent d’hué parmi les sorceleurs et Geralt lui-même, ainsi que son conseil, blanchis en l’écoutant parler. Il avait pourtant noté l’écart d’âge, et supposé que le premier mariage de Julia n’avait que quelques mois. Il n’en est rien. En vérité, elle avait… elle était…
- Vous marriez des enfants ? souffle-t-il, choqué.
C’est au tour de la délégation de s’empourprer, ne supportant pas le jugement de valeur de ceux qu’ils considèrent comme des barbares. Eux aussi protestent et s’indignent et bientôt, la salle entière est plongée dans un capharnaüm inintelligible.
Il n’y a que Yennefer qui reste calme, et Geralt suppose que la sorcière savait déjà que Julia n’était qu’une enfant quand elle a épousé Radowid (sans doute cela justifie l’élan de sororité dont elle a fait preuve d’ailleurs). Voyant que le calme ne revient pas de lui-même, elle se lève et s’avance avant de faire exploser une gerbe de lumière magique pour attirer l’attention.
- Messieurs, propose-t-elle quand le silence est là, pourquoi ne pas demander son avis à la reine ?
Geralt ne l’a pas reconnu tout de suite, mais l’homme au monocle et le diplomate qui a négocié la paix, des mois plus tôt, sont les mêmes personnes et le mépris qu’il avait alors pour Yennefer est toujours le même.
- Vous savez, explique la sorcière avec un venin moqueur dans la voix, comme ce que nous voulions faire lorsqu’il était question d’un mariage et que vous avez refusé parce que, je cite, « la princesse sera de l’avis de son roi » ?
Le duc sert les dents, trop furieux pour répondre et c’est son camarade militaire qui le fait :
- Le témoignage d’une femme ne vaut rien devant le témoignage d’un homme, annonce-t-il en brandissant encore son parchemin roulé, encore moins quand il s’agit d’un prêtre.
Avant que Yennefer ne réponde, Geralt se penche en avant et rétorque, d’un ton grave marqué d’une fureur froide :
- Ici, le témoignage d’une femme en chair et os vaut plus que tous les parchemins que vous pourriez amener. Puis il se tourne vers Aubry, qui monte la garde tout proche, pour lui demander d’aller trouver la reine.
Les nobliaux devant eux sont visiblement énervés par la tournure des évènements, mais ils ne peuvent rien dire : ils ne sont pas sur leurs terres et doivent se plier aux lois du Loup Blanc. C’est plaisant de manière très mesquine, et Yennefer jubile quand elle vient se rassoir.
Ce n’est pas forcément le cas de Geralt qui s’inquiète : et si Julia préférait rentrer chez elle, en Rédanie ? Certes, elle semble heureuse ici, à enseigner aux enfants le matin, à composer et écrire l’après-midi pour finir par se représenter en tant que Jaskier le soir, mais à quel prix cela s’est-il fait ?
Elle a été mal traitée dès son arrivée, et les choses sont allées tellement loin que cela a coûté la vie de la majorité de ses oiseaux. Personne ne lui a fait confiance. Et après ça, lui l’a cruellement condamné, la privant de liberté sans preuve, l’obligeant à débusquer elle-même l’espionne, se blessant en le faisant.
Julia l’a peut-être choisi, le soir de la nuit de noce, lorsqu’il lui a brossé le portrait de ce que serait sa vie ici, à la forteresse, mais maintenant qu’elle a réellement vu de quoi il s’agissait, comment s’était, il n’y a aucune chance pour que cela se reproduise, Geralt en est certain.
Et il réalise que, malgré tout le mal qu’il lui a fait, et qu’il risque encore de lui faire, il n’est pas prêt à la laisser partir. Quitte à déclencher une guerre ?
A suivre...
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