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Tout avait commencé avec un cours de Botanique en troisième année. Encerclée par les effluves d’humus, de fleurs encore en bouton et du cuir de ses gants en peau de dragon, l’univers de Pansy avait été chamboulé à jamais. Sous la chape odorante de la serre numéro trois, un nouveau parfum était venu taquiner ses narines. Derrière l’entêtant fumet de terreau qui émanait du pot dans lequel elle replantait – bon gré mal gré - un pied de Mimbletus Mimbletonia, la fragrance, fraîche et presque délicate, de la citronnelle lui était parvenue.
Les ailes de son nez avaient frémi et elle avait incliné distraitement la tête pour chasser l’émanation. Ses paupières avaient papillonné alors qu’une myriade de souvenirs, tous plus inattendus les uns que les autres, s'étaient bousculés en elle.
Courir pieds nus dans le jardin de sa tante Dahlia et rire aux éclats quand un Aguamenti plaqua la mousseline de sa jupe contre ses cuisses. Trébucher sur une taupinière et s’avachir dans le buisson odorant avec un éclat de rire sonore. Le goût sucré des figues, mangées à l’ombre de l’arbre durant les mois d’été. La sensation collante du sort repousse-moustique que sa tante appliquait sur sa peau et qui la couvrait toujours d’un parfum citronné.
Elle avait exhalé profondément avant de réaliser que le bouquet émanait de l’infernale masse de boucles brunes qui lui masquait la vue. Elle avait refermé la bouche avec un petit bruit sec, sous le choc, et avait grogné son dégoût avec ferveur.
— Granger, bouge le nid d'oiseaux qui te sert de tignasse, veux-tu ‽ Tu devrais passer tes cours au dernier rang, honnêtement, quel manque de respect pour l’éducation d’autrui que de nous imposer cette horreur !
Draco avait ricané, un petit son aigre et insupportable, et Granger avait frissonné de rage si fort que sa chevelure en avait frémi.
Les jours étaient passés, les semaines, les mois et les années avec eux et, si Pansy s’était prise à plusieurs reprises à inhaler plus fort quand Granger passait à proximité, tout le monde n’y avait vu que du feu. Si ses yeux s'étaient égarés sur les boucles qu’elle avait fini par maîtriser et qui s’étaient mises à tomber en parfaites spirales dans son dos, personne n’avait rien dit. S’ils avaient aussi, parfois, erré sur l’arrondi d’un sein ou d’une hanche au travers de la laine d’un pull ou du tartan d’une jupe d’uniforme, Pansy n’en avait pas fait grand cas. Toutes les filles regardaient leurs potentielles adversaires, non? C’était normal.
Il s’avérait qu’en réalité : non, toutes les filles ne reluquaient pas la concurrence et que les yeux de Pansy flirtaient d’un peu trop près avec les regards lourds de cupidité des garçons. Il lui avait fallu des années pour accepter cet état de fait, mais aujourd’hui à presque vingt-six ans, elle s’était fait une raison. Si Draco l’avait attiré à une époque, c’était uniquement parce que ses traits juvéniles rappelaient bien plus ceux de sa mère que de son père. Maintenant qu’il frisait le mètre quatre-vingt-cinq, que la largeur de ses épaules dépassait celles des siennes et qu’il fleurait bon le bois de santal et la poudre à canon, elle ne lui trouvait plus rien d'attrayant. Rien du tout.
Il n’y avait rien d’attirant dans l’éclat neigeux de sa peau et l’acier trempé de ses yeux. Rien de charmant dans l’épaisseur de ses lèvres ou leur teinte bouton de rose. Rien de troublant dans la façon dont ses épaules roulaient sous le tissu hors de prix de sa chemise. Rien de sexy dans le sourire en coin qu’il arborait constamment ou les tendons qui roulaient sous la peau fine du dos de ses mains. Rien. Draco n’était rien qu’un souvenir familier, un fantôme de son passé, le réceptacle d’une enfance qui leur avait été volée par des parents trop étouffants. Elle n’avait jamais cherché à imaginer le goût de sa peau ni l’odeur qu’elle aurait au réveil.
— Et du coup, j’ai décidé de demander Greg en mariage.
— Quoi‽
— Ah, je vois qu’enfin tu m’écoutes, souffla-t-il, un rictus narquois aux lèvres.
— Mais je t’écoutais, enfin!
— Me prends pas pour un niffleur de trois semaines, Pansy, t’avais le regard aussi vide que celui d’un strangulot dans son bocal, t’étais tout sauf présente.
Elle haussa les épaules et replaça une mèche, parfaitement lisse et noire, derrière son oreille. La pointe vint en taquiner le lobe et elle soupira.
— Qu’est-ce qui te tracasse comme ça ? demanda son meilleur ami en se renfonçant dans son fauteuil.
Une tasse de thé fumait devant lui et Pansy la fixa avec dépit. C’était elle, la coupable, avec ces petites volutes odorantes et les souvenirs qu’elles appelaient. Elle remua le contenu de sa propre tasse du bout de sa cuillère.
— Tu te rappelles de ma tante Dahlia ? demanda Pansy les yeux braqués sur la chevalière qui ornait l’annulaire de Draco.
En argent, ornée du M et du blason des Malfoy, elle semblait presque vulgaire à sa main. Il avait les doigts si longs et fins, les tendons si définis que le bijou clinquant alourdissait sa main.
— L’illuminée ? Celle qui vivait dans son cottage dans les bois et que ta mère t’a interdit de voir quand t’as eu neuf ans ?
— Oui, elle, soupira-t-elle en roulant des yeux. Faut vraiment que t’arrêtes de trainer avec ta clique de Gryffondor, tu deviens aussi stupide qu’eux! Comme si j’avais douze tantes.
Et surtout, comme si Draco avait eu l’occasion d’en connaître d'autres. Il ricana et passa une main dans ses cheveux pâles. Pansy lui avait longtemps enviés ses mèches d’un blond presque blanc qui ondulaient à la moindre humidité, là où ses cheveux à elle restaient aussi raides que des baguettes et noirs comme une nuit sans lune quoiqu’elle leur fasse.
— Tsk. Du coup, oui, ta tante Dahlia?
— Rien, l’odeur de ton thé m’a fait pensé à elle, c’est tout, dit-elle en haussant les sourcils, la bouche pincée sur le côté alors qu’elle mordillait l’intérieur de sa joue.
— Tu mens, mais alors, tellement mal, Parks. Crache le morceau.
Elle fit la grimace et lui tendit son majeur. Draco rit et le son tinta autour d’elle avec la légèreté des grelots qui ornaient la devanture du café dans lequel il s’était réfugié pour échapper au froid mordant. L’hiver à Londres était toujours le même. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette constance. Il y faisait un froid polaire qui vous mordait les joues et gelait les doigts et quand la pluie ne vous rinçait pas jusqu’à l’os, le verglas en voulait à vos chevilles.
Elle croisa les siennes sous la table. La pointe de son escarpin s’enfonça dans le mollet de Draco, qui ne bougea pas d’un iota et se contenta de la fixer d’un air impassible. Elle détourna les yeux. Elle était lâche comme ça, Pansy. Il y avait des choses qu’il valait mieux taire de toute façon.
— Comment va ta femme ?
— Ma petite amie, s’il te plaît, reprit-il avec un rire, j’ai pas encore trouvé le courage de la demander en mariage.
— On sait tous les deux que ça arrivera bien assez vite, souffla-t-elle dans son mug. Ça fait quoi, trois ans maintenant?
— Et demi, oui. Elle va bien, je l’ai encore entendue hurler sur le directeur du Département de Régulation et Contrôle des Créatures Magiques en passant ce matin.
Le sourire de Draco, niais et dégoulinant de tendresse, se logea quelque part dans la poitrine de Pansy. Ça faisait mal, quelque part à mi-chemin entre la joie et la peine. Elle appuya son menton dans la paume de sa main et son coude sur la table dans une posture qui aurait rendu feu sa mère folle de rage.
— Hm, et en dehors de terroriser le département, elle fait quoi de beau ces jours-ci?
C’était toujours ambivalent de demander à Draco ce que devenait sa compagne. Ça réveillait toujours des sentiments que Pansy aurait préféré garder endormis, mais elle devait être masochiste quelque part et elle ne pouvait pas s’en empêcher. À chaque fois qu’elle revenait à Londres, à chaque fois qu’elle retrouvait Draco et ses fossettes, elle finissait par demander.
— Eh bien, elle a reussit à faire passer la dernière législation qu’elle voulait…
— Celle pour l’ouverture d’une école pour les sorciers de moins de onze ans? Un genre de pré-Poudlard?
— Yep, on a fêté ça en juin, c’était juste après que tu sois reparti pour le… Pérou?
— L’Argentine, mais c’est pareil, corrigea-t-elle avec un petit geste de la main et un sourire narquois.
— Roh, ça va, j’y peux rien si t’es toujours par maux et par vaux ! Bref, depuis, eh bien… Pas grand-chose, honnêtement. Elle a un nouveau projet en tête, quelque chose sur le traitement des centaures, mais elle est assez secrète dessus.
— Hm, c’est bien. Comment va ton petit troupeau de crétins alors?
Draco rit, encore, et le son réchauffa Pansy plus sûrement que sa gorgée de thé.
— Tu devrais vraiment arrêter de les appeler comme ça, tu sais ?
— Heh, dit-elle en haussant les épaules. Pour quoi faire ? C’est bien plus drôle de les voir s’offusquer.
— T’es mal placée pour te foutre d’eux après être sortie avec Weaslette pendant presque un an, hypocrite.
— Ah… Mais Ginny c’est pas pareil, Gin’ c’est une aventurière ! soupira-t-elle, les yeux dans le vague.
Sa relation avec la cadette du clan Weasley avait été aussi tumultueuse qu’enrichissante et c’était grâce à elle que Pansy avait trouvé sa vocation. C’était l’impulsion donnée par Ginny qui lui avait enfin donné le courage nécessaire pour se lancer dans la magizoologie. Elle avait toujours été secrètement fascinée par la faune magique, mais l’intérêt était resté mort-né quand elle avait compris, à neuf ans, que sa mère ne lui laisserait jamais la possibilité d’explorer quoi que ce soit qui toucherait, de près ou de loin, à ce milieu sauvage.
Aujourd’hui, elle passait la majorité de son temps les pieds dans la boue au fond d'une forêt luxuriante ou perchée en équilibre précaire sur un rocher dans l’espoir d’obtenir la photographie parfaite. Trois de ses clichés avaient déjà eu l’honneur d’être publiés dans Magical Geography et elle n’en revenait toujours pas. Elle avait même partagé une couverture avec Londubat l’an dernier, quand ils avaient travaillé ensemble sur la relation symbiotique entre certaines plantes et espèces animales. Six mois, perdue au fond de l’Amazonie et au creux des bras de Neville, avaient changé Pansy aussi sûrement que le reste de sa carrière.
Elle soupira quand Draco poussa son pied du bout du sien. Elle s’était encore perdue. Ça tendait à arriver de plus en plus souvent quand elle revenait à Londres.
— Tu viens demain soir ?
— Demain soir ?
— T’as pas reçu mon invitation ? demanda Draco en haussant un sourcil.
— J’ai pas encore pris le temps de passer à l’appart’, admit-elle avec un sourire.
— Ah ! Bah, le bal de Noël du Ministère, tout le monde, ou presque sera là, et comme je ne peux pas y aller avec ma chère et tendre puisqu’elle est maîtresse de cérémonie, je me suis dit que…
— Second choix, hein, railla-t-elle en se penchant pour lui pincer le biceps.
— Roh, c’est bon, me la fais pas, hein !
Elle rit doucement alors qu’il frottait son bras et lui tirait la langue. Toujours seconde. Jamais première. D’abord il y avait eu Daphné, puis Astoria, et maintenant, ça. Pansy savait qu’elle ne ferait jamais le poids, ni pour l’un ni pour l’autre. Et puis, qu’est-ce qu’elle gagnerait à essayer de s’insérer entre ces deux-là, à part un cœur brisé et la perte de son meilleur ami ?
— Oui, je viendrai, accepta-t-elle néanmoins.
Parce qu’elle était lâche, Pansy, mais elle était aussi addict et rien n’aurait sur la tenir éloignée d’une occasion comme celle-ci. Le visage de Draco s’illumina et, bien qu’elle sache qu’elle rentrerait seule et le palpitant au fond de ses Louboutin, elle savait qu’elle avait pris la bonne décision. Une soirée à les voir ensemble, à les observer de loin, c’était tout ce qu’elle s’autorisait chaque année.
— T’as de quoi t’habiller ?
— Tu me prends pour qui, Malfoy ? s’offusqua-t-elle.
— Bah pour une nana qui passe les trois quarts de son temps en treillis dans la nature ?
— J’ai l’air de porter un treillis pour toi ? s’enquit-elle en étirant une de ses longues jambes hors de sous la table.
Son mollet chatoyait d’un sort de protection thermique et ses orteils, parfaitement vernis de prune, s’agitèrent par l’ouverture de ses escarpins ouverts. Le mouvement fit légèrement remonter sa jupe patineuse en laine noire et elle arqua un sourcil en direction de Draco qui fixait sa jambe d’un œil appréciateur.
— Non, pas vraiment.
— Voilà.
— Navré, Votre Altesse.
Elle lui assena un coup de pied dans le tibia en ramenant ses jambes sous la table et il couina en se penchant pour masser la zone d’impact.
— Connasse.
— Chieur.
Elle lui envoya un baiser qu’il fit mine d’attraper au vol avant de jeter un œil à sa montre. Leur temps était imparti. Pansy attendit qu’il relève les yeux vers elle et plaqua un sourire paisible sur son visage.
— Faut que…
— T’y aille, je sais. T’en fais pas, j’vais finir ma tasse et on se voit demain, d’accord ?
— Vingt heures devant le Ministère ?
— Ça me va.
— Tu me réserveras une danse ?
— Toujours, trésor.
Il lui sourit à nouveau, de ce sourire à renverser les immeubles, faire fondre les glaces et craquer la croûte terrestre et elle s’agrippa distraitement à la table alors qu’il se levait. Il se pencha vers elle, pressa ses lèvres contre sa joue et l’enveloppa d’un nuage qui fleurait le santal, la poudre à canon et la citronnelle.
Pansy l’observa s’éloigner, la nonchalance de sa démarche, le balancier discret de ses hanches et… sa respiration siffla entre ses dents quand Draco se pencha pour refaire les lacets de ses chaussures de ville. Ses yeux voyagèrent de ses longs doigts à la longueur improbable de ses mollets, sur la façon dont le tissu de son pantalon en laine se tendait sur ses cuisses épaisses et enfin, bien malgré elle, sur l’arrondi indécent d’un cul à faire se damner un saint. Draco se releva, récupéra sa veste dans le vestiaire de l’entrée et disparut dans le blizzard londonien alors que Pansy restait là avec ses deux tasses vides, sa respiration précipitée, ses joues brûlantes et ses pensées éparses.
Son appartement était aussi morne et gris que pouvait l’être un logement qui ne voyait ses occupants que pour de courtes périodes. Il débordait de petits souvenirs qu’elle avait ramenés de ses voyages, mais le reste de la décoration était d’un stérile à faire pleurer de joie un chirurgien. Un canapé crème, posé sur un tapis beige, lui-même servant à couvrir un parquet d’un marron sans caractère. Une cuisine au carrelage blanc, aux meubles noirs et à l’electromagique flambant neuf. Une salle de bain bleu et blanc, au thème nautique digne des meilleurs hôtels bas-budget, et une chambre aux murs immaculés, à la moquette aussi beige que le tapis du salon et la literie tout aussi insipide que l’était la salle de bain. Pansy s’avachit dans le canapé avec un soupir las et farfouilla dans son courrier jusqu’à trouver l’invitation de Draco.
Elle rit devant sa calligraphie toujours aussi parfaite et les mêmes fautes d’orthographe qu’il n’avait jamais réussi à cesser de faire malgré les multiples tuteurs et les années. Elle porta le parchemin à ses narines, mais n’y trouva aucun relent de son parfum familier, rien que la doucereuse odeur du papier et celle presque sucrée de l’encre.
La feuille coincée entre le pouce et l’index, elle réfléchit. Elle savait, bien sûr qu’elle savait, que c’était une mauvaise idée, mais après tout, elle était connue pour ne pas être la plus futée de sa promotion. Elle ferma les yeux et reposa sa tête contre le dossier en soupirant. Elle pouvait les voir d’ici. Lui tout en noir – il ne portait rien d’autre, le bougre – et elle en bleu pervenche. Elle portait toujours du bleu pervenche pour les grandes occasions. Très certainement pour faire plaisir à Draco parce qu’il avait bien dû lui avouer, après trois ans, que la robe qu’elle avait portée durant le bal de Noël en quatrième année l’avait obsédée pendant des mois. Pansy, qui avait pourtant voué une ferveur presque similaire au vêtement – bien que plus silencieusement – en avait presque fini par la détester.
Elle s’imagina en prune ou en bordeaux, danser avec l’un ou l’autre, les jupons de sa robe s’emmêlant dans la mousseline de la sienne. Les doigts pâles de Draco qui trancherait délicatement contre le tissu sombre sur sa taille. Elle tressaillit. C’était de la torture et c’était stupide. Elle se leva avec un soupir, plia le parchemin proprement et le plaça en évidence sur la desserte - en bois beige ! - qui habillait l’entrée.
Après un repas frugal et une douche brûlante, elle se glissa dans son lit et fixa son plafond blanc pendant de longues minutes. Est-ce que ça en valait la peine ? Est-ce que les quelques miettes de joie qu’elle récolterait valaient la peine qu’elle s’infligerait ? Elle savait bien que non, mais elle irait quand même. Parce que quelques miettes valaient mieux que rien et que l’oubli lui faisait plus peur que la jalousie.
Elle expira par le nez avec force, replaça une mèche derrière son oreille et avança d’un pas vif jusqu’à sa cheminée. Sa capelette en laine crème effleura le creux de son coude quand elle jeta une pleine poignée de poudre dans l’âtre et les flammes émeraude léchèrent le bout de ses escarpins. Les mêmes que la veille. Noir, vernis, ouvert au bout. Ils allaient avec tout, y compris son fourreau prune. Elle avança et frissonna quand la tiédeur du feu lécha ses mollets et le pli de ses genoux.
— Ministère de la Magie, énonça-t-elle d’une voix claire.
Le tourbillon l’emporta et elle sortit avec élégance dans le grand Atrium. Ses yeux s’écarquillèrent. La décoration avait changé drastiquement depuis sa dernière visite. Si le marbre était toujours de mise, il était désormais blanc et contrastait avec les dorures qui ornaient chaque cheminée. L’espace semblait à la fois mille fois plus vaste et cent fois plus accueillant. Elle fit quelques pas hésitant avant qu’une main, gantée de blanc, ne l’arrête d’une pression sur son coude.
— Votre invitation, Miss…? s’enquit un garde à l’air ronchon.
— Oh, euh, Miss Parkinson? Pansy ? J’ai été invitée par Draco Malfoy.
Il haussa un sourcil circonspect et agita les doigts, clairement dans l’attente du papier qu’elle avait, bien entendu, oublié dans la panière beige sur la desserte beige de son appartement beige qu’elle détestait. Elle s’apprêtait à faire demi-tour et à s’infliger un nouveau passage par la cheminette quand une voix familière la héla.
— C’est bon, Patrick, elle est avec nous, s’écria Potter depuis l’autre côté du cordon de sécurité magique qui entourait la réception.
Jamais Pansy n’aurait cru être reconnaissante de voir la tignasse ébouriffée du balafré. Theo pendait à son bras comme une étole et elle se retint de rouler des yeux quand il lui fit un clin d'œil en agitant les doigts. Elle offrit un sourire sirupeux au garde qui la laissa passer avec empressement et elle traversa le voile avec un frisson. La musique assaillit immédiatement ses oreilles et elle cligna des yeux, un peu déboussolée.
Theo claqua une bise sonore sur sa joue et la débarrassa de sa cape qu’il envoya au vestiaire d’un petit coup de baguette avant de siffler entre ses dents d’un air appréciateur.
— Eh bah, Pans’, ça te réussi de disparaître pendant des mois à l’autre bout du monde, complimenta-t-il avec un petit coup de coude pour Harry.
— Hm… Oui, absolument ravissante, marmonna-t-il après un bref coup d'œil pour Pansy qui se renfrogna un peu.
C’était bien la peine de l’aider à passer si c’était pour l’ignorer royalement dans la foulée. Potter avait commencé à fréquenter Theo presque cinq ans plus tôt et leur couple avait été le marqueur de la fusion des deux groupes rivaux à Poudlard. Ça, conjugué à une tournée d’excuses épuisantes pour chacun d’entre eux, de multiples incompréhensions et des engueulades mémorables avait suffit à cimenter une amitié étrange que le groupe maintenait à coup de lettres, de soirées dansantes et de beuveries.
— Il est où, bordel ? bougonna Potter en tournant sur lui-même comme une girouette mal vissée.
Pansy jeta un regard inquisiteur à Theo qui lui offrit son bras.
— Il cherche Draco, t’étais censé le rejoindre devant le ministère, pas dedans.
— Oh ! Tu penses que je devrais aller le chercher ?
— Naaaan, il finira bien par revenir, il voudra pas manquer le discours d’Hermione.
Le prénom la frappa en plein cœur. Elle peinait encore à l’utiliser elle-même et d’un commun accord aussi étrange que tacite, ni elle ni Draco ne le prononçait jamais lors de leurs conversations. Elle ne savait pas trop ni quand ni comment ils en étaient venus à cet état de fait, mais la plupart du temps, ça l’arrangeait bien.
— Pansy !
Le cœur de Pansy s’arrêta dans sa poitrine et elle se tourna, aussi lentement que possible. C’était comme si prononcer son prénom avait suffi à la faire apparaître.
Elle était là. En robe pervenche, comme elle l’avait deviné. Le tissu chamarré ondulait avec indécence sur sa silhouette toute en rondeur et le cœur de Pansy repartit sur un rythme plein de cahots.
Hermione s’approcha et l’enveloppa dans une étreinte moelleuse, qui sentait l’enfance, le soleil et les jours heureux à se rouler dans la citronnelle au fond du jardin de tante Dahlia. Les yeux de Pansy s’humidifièrent malgré elle et ses bras - traîtres qu’ils étaient - s’enroulèrent autour de la taille d’Hermione. Elles se pressèrent l’une contre l’autre dans une embrassade inédite et Pansy crut qu’elle allait défaillir quand elles s’éloignèrent enfin.
— L’Argentine te réussit, lui souffla Hermione en la tenant à bout de bras.
Ses yeux, de la même couleur que les caramels que Pansy adorait grignoter quand elle se sentait seule, scanèrent son visage et sa silhouette avec acuité. Elle ne put s’empêcher de rougir légèrement.
— Je pourrais dire la même chose du Ministère, Granger, lança-t-elle, mais les cernes sous tes yeux me feraient mentir.
Hermione grimaça et Pansy aurait voulu s’arracher la langue. Pourtant, un rire léger lui échappa et elle secoua la tête.
— On croirait entendre Draco.
Le prénom roula dans sa bouche comme un bonbon qu’on savoure. Circé, ce qu’ils étaient amoureux, ces deux-là.
— Il faut bien qu’il ait raison une fois de temps en temps, non?
— Je suppose, fit Hermione dans un rire avant de relâcher Pansy.
Ses paumes laissèrent deux empreintes brûlantes sur le haut de ses bras et elle aurait voulu que la sensation ne s’efface jamais. Pourtant, en moins de temps qu’il en fallût pour dire Quidditch, elle s’évanouissait déjà.
— Alors, c’est quoi ce projet qui t’empêche de dormir ? se força-t-elle à demander dans l’espoir, probablement vain, de la garder un peu près d’elle.
— J’essaie de débloquer une nouvelle parcelle de terre pour la horde de centaures de Poudlard. J’ai discuté longuement avec Bane et ils souhaiteraient être impliqués dans la protection des espèces magiques locales, mais tu connais les lois en ce qui les concerne et c’est un en-fer, se plaignit Hermione en entortillant une boucle autour de son index.
Pansy essaya vainement de se concentrer sur autre chose que le geste répétitif, mais rien n’y fit, ses yeux restèrent glués sur les doigts d’Hermione. Elles n’étaient même pas belles, ses mains : trop petites, pleines de taches d’encre et ses ongles étaient si courts qu’il était clair qu’elle les rongeait.
— Si jamais tu as besoin du soutien d’une magizoologiste… avança Pansy avec un léger haussement d’épaules.
Le visage d’Hermione s’illumina et elle ouvrit la bouche.
— Miss Granger! Dépêchez-vous, vous êtes censée monter sur l’estrade dans trente secondes, les interrompit ce que Pansy supposa être son assistant.
Le pauvre hère semblait au bord de l’apoplexie avec ses joues écarlates, son souffle court et ses cheveux hirsutes. Pansy l’arrêta pour replacer sa cravate au milieu de son torse alors qu’Hermione avançait déjà à grandes enjambées vers l’estrade.
— Oh merci, John ! À toute à l’heure, Pansy ! lança-t-elle au-dessus de son épaule.
— Mieux, assena Pansy avec un petit hochement de tête, en tapotant le poitrail de John. Suis-là ou tu vas encore la perdre.
Il se carapata à la suite d’Hermione et Pansy ravala un rire. Elles auraient, peut-être, le temps d’en discuter plus tard. Ou par courrier, si Hermione s’avérait trop occupée avec son emploi du temps de ministre.
Draco la rejoignit pendant le discours d’Hermione. Il irradiait d’une telle fierté alors qu’il observait sa compagne expliquer en long, en large et en travers tout ce que le Ministère avait accompli durant l’année, que Pansy ne put s’empêcher de lui planter le coude entre les côtes.
— Dégonfle, on dirait une prune dirigeable.
— Oh, la ferme Parks, regarde la !
Elle ne faisait que ça. Regarder. De loin. Sans jamais toucher, sans jamais goûter. Regarder, observer, admirer. Elle n’avait fait que ça depuis ses quatorze ans. Elle restait toujours assez loin pour que ni l’un ni l’autre ne puisse réaliser quoique ce soit, mais ce soir, après deux coupes de champagne et trois rasades de la flasque que Theo gardait cachée dans la poche interne de sa veste, Pansy se sentait courageuse.
— Je regarde, Draco. Je regarde, dit-elle sans le quitter des yeux.
Quand il tourna la tête, leurs regards se rencontrèrent quelques secondes, gris contre vert, et Pansy détourna le sien lentement, pour le poser sur Hermione. Elle ne chercha pas à cacher la façon dont ses prunelles s’attachèrent à caresser la courbe du col qui épousait son décolleté, ou la façon dont le tissu agrippait les hanches pleines d’Hermione qui déambulait sur scène.
Hermione termina son discours sous les applaudissements de la foule et Pansy l’observa descendre de scène avec une pointe de déception. Ses raisons pour l’observer s’amenuisaient de minute en minute. Elle admira la houle de ses boucles contre ses reins alors qu’elle rejoignait un Draco fier comme un paon. Il l’embrassa à pleine bouche et enfouit ses longs doigts pâles dans les mèches chocolat et le cœur de Pansy fit une embardée. Ils étaient si bien assortis. Elle, toute en teintes chaudes et lui, froid comme l’hiver. Elle l’avait fait fondre avec plus de succès que Pansy n’en avait eu en presque vingt ans d’amitié.
La musique enfla en une valse et Draco l’emporta au loin. Pansy refusa la main offerte de Theo pour suivre des yeux les deux amants enlacés qui se laissaient porter au gré des notes comme deux barques sur les flots. Il y avait dans leur danse ce quelque chose de plus qui ne se voyait que rarement. Une complicité qui dépassait les mots pour devenir geste, pour s’ancrer dans une main posée négligemment sur une hanche, sur la façon dont la commissure des lèvres s’arquait parfaitement ou encore dans un échange de regard.
Pansy avait toujours recherché cette symbiose sans jamais la trouver et la voir en action, sous ses yeux, juste ici, était aussi douloureux que magnifique. Draco tournoya, entraîna Hermione plus loin avant de décrire un large cercle. Il s’arrêta juste devant Pansy alors que les derniers accords de piano mouraient dans la pièce.
— Il est tout à toi, Pansy, lui dit Hermione, un peu essoufflée, en lui tendant la main de Draco.
Si seulement tu savais, pensa Pansy, un peu amère et émue par le geste.
Elle s’empara de la main, toujours fraîche, de Draco et il l'entraîna à son tour. Elle avait l’impression de flotter ainsi prisonnière de ses bras. À la fois en sûreté et complètement vulnérable alors qu’il la guidait entre les corps qui se mouvait en rythme autour d’eux.
— J’ai vu comme tu la regardes, souffla Draco au creux de son oreille.
Pansy trébucha et Draco la maintint d’aplomb d’une main ferme. Il n’y avait ni colère ni rage dans les yeux gris qui se posèrent sur elle. Seulement de l’affection et peut-être, mais c’était sûrement son imagination, une once d’espoir.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, nia-t-elle en détournant les yeux alors qu’elle attaquait à nouveau l'intérieur de sa joue.
— T’es une menteuse merdique, Parks.
Elle esquissa un sourire et secoua la tête.
— Je veux pas en parler.
— Il va falloir pourtant.
— Pourquoi ? demanda-t-elle d’un ton las.
— Parce que ça dure depuis des années et que si j’ai vu comment tu la regardes, elle a aussi vu comment tu me regardes.
Le cœur de Pansy rata un battement, puis deux, puis trois. Elle aurait pu trouver une explication facile pour Hermione, un mensonge aisé, une pirouette quelconque, mais pour Draco c’était plus complexe. Elle déglutit difficilement, les mains soudain moites. Elle remercia le ciel que Draco ne porte que du noir, qui camouflait l’humidité qu’elle laissa sur l’épaule de son costume.
— Je suis désolée, je sais que… J’ai vraiment essayé. Je… Je reviendrai pas. Après mon prochain voyage, je reviendrai pas. Je… Je suis désolée, Draco.
Elle le lâcha et détala comme un lapin. Lâche, comme toujours. Parce qu’après tout, comment était-elle censée expliquer presque dix ans d’un amour silencieux pour ces deux-là? Elle avait aimé Draco avant tout le monde, quand son nez et son menton étaient encore si pointus qu’elle avait craint de s’y érafler. Et elle avait aimé Hermione avant Draco, quand ses cheveux n’étaient encore qu’un nid d’oiseau, mais qu’elle sentait déjà comme les plus doux souvenirs de Pansy.
Un garçon en forme de chardon, dangereux et plein d'épines et une fille en forme de nuage, ourlé du charme de l’enfance et de l’insouciance.
Elle s’arrêta net quand on la héla. Elle aurait voulu continuer, mais elle n’avait jamais su dire non à cette voix-là.
— Arrête de courir, Parkinson.
Theo se tenait dans l’embrasure du couloir qu’elle venait de quitter, une épaule appuyée contre la colonne pleine de dorure.
— Où tu t’enfuis comme ça ?
— Loin.
— Tu comptes fuir ton bonheur encore longtemps ?
Elle lui jeta un regard venimeux.
— Mon bonheur , Theo ? Vraiment ? Mon bonheur ? Qu’est-ce que t’en sais de mon bonheur ‽ cracha-t-elle en agitant les bras.
Il se contenta de hausser les épaules avec son habituel air nonchalant. Il l’avait déjà à cinq ans quand elle l’avait rencontré. Insupportable.
— J’en sais rien, mais je pense pas que tu le trouveras en fuyant.
— Parce que je vais le trouver en observant les deux personnes que j’aime vivre leur plus belle histoire sans moi ? Tu penses que c’est ça être heureuse, Theo ? Attendre sur le bas-côté et ramasser les miettes alors qu’ils mangent à s’en faire péter la panse ?
Sa voix tremblait. Les larmes menaçaient et il n’y avait rien qu’elle haïssait plus que pleurer en public. Les yeux de Theo quittèrent les siens pour se fixer derrière elle et elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir.
— Pans’...
— Elle est toute à vous.
Theo avança d’un pas, embrassa son front tendrement et planta ses yeux saphir dans les siens.
— Je sais que tu ne te fais pas confiance. Mais fais leur confiance à eux , dit-il dans un souffle avant de s’éloigner.
Elle inspira plusieurs fois avant de trouver la force de se retourner.
— C’est vrai ? demanda Hermione d’une voix douce en s’approchant.
Pansy observa, la bouche entrouverte, alors que Draco, les yeux brillants et les joues rouges, la poussait vers elle.
— Ah… Err… bafouilla-t-elle sans réussir à articuler quoi que ce soit de compréhensible.
Hermione s’arrêta si près que Pansy manqua d’air. Tout n’était que citronnelle et l’odeur força son cerveau paniqué à s’apaiser un peu.
— Oui, parvint-elle à ânonner finalement. Je suis désolée, je… promis, je suis heureuse pour vous, vraiment.
— Je sais, l’interrompit Hermione. Je sais que tu es heureuse pour nous, mais…
Elle jeta un regard par-dessus son épaule vers Draco qui lui sourit d’un air encourageant.
— Tu voudrais pas être heureuse avec nous plutôt ?
Le silence qui régna sous le crâne de Pansy était assourdissant. Avec eux ? Les deux ? Ses yeux dardèrent entre Hermione et Draco qui venait de s’approcher.
— Ça fait des semaines que j’essaie de te faire revenir et des mois qu’on essaie de te le faire comprendre, souffla-t-il en appuyant son menton sur le haut du crâne d’Hermione.
— Quoi ‽
Hermione rit et le son traversa Pansy de part en part.
— Je suis pas du genre à enlacer les gens comme je le fais avec toi, Pansy et je parle pas de ce soir.
— Et je prends rarement le temps de reluquer les jambes de mes “amies”, Pansy et encore moins celui de les laisser mater mon cul.
— Hier‽
— Oui, ricana-t-il. Jette un œil à mes chaussures. C’est les mêmes.
Elle baissa le nez et, près des escarpins bleu nuit d’Hermione, les pieds de Draco avaient l’air immenses. Ses chaussures, cirées à la perfection, n'avaient pas de lacets. Elles n’avaient pas de lacets.
Elle releva la tête d’un coup sec, la bouche entrouverte sous le choc.
— Depuis quand ? souffla Pansy, abasourdie.
— La cinquième année, répondit Hermione, les joues rouges.
— Toujours, annonça Draco comme évidence. Depuis toujours.
Le cœur de Pansy trembla d’effroi dans sa poitrine.
— Et… Je… Tous les trois ? demanda-t-elle avec éloquence.
— Tous les trois, répondit Hermione avec un hochement de tête plein de certitude.
— Mais… comment ?
— On avisera, la rassura Draco en tendant une main pour replacer une mèche derrière son oreille.
Il ne la retira pas et, au contraire, pressa sa paume contre la joue de Pansy. Elles étaient si grandes qu’elle englobait sa pommette et sa mâchoire d’un même geste. Elle s’y pressa avec ferveur et inhala son parfum de bois et de citronnelle.
Hermione s’approcha, enroula ses bras autour de la taille de Pansy et, à nouveau, cette étreinte inédite, cette chaleur qui se répandit partout et manqua de l’embraser. Elle s’accrocha à Hermione et leva les yeux vers Draco. Il se pencha pour l’embrasser, leurs lèvres se trouvèrent et il n’eut rien des hésitations des premiers baisers. C’était comme rentrer à la maison après un long voyage. Comme retrouver Londres et son blizzard hivernal après six mois sous la touffeur des tropiques. Les lèvres d’Hermione trouvèrent sa gorge et le gémissement qui échappa à Pansy fut avalé par Draco lorsqu’il plongea les doigts dans ses mèches noires.
Elle réalisa qu’elle pouvait enfin le faire aussi. Elle enfouit une main sous la tignasse d’Hermione et s’émut de la douceur des boucles entre ses doigts. La seconde se perdit dans les fils de soie sur le crâne de Draco et quand il recula, les joues rouges et le souffle court, Hermione prit sa place immédiatement et Pansy fondit contre elle. Draco jura à mi-voix et le regard qu’il leur jeta, les pupilles complètement dilatées et le souffle court, quand elles se tournèrent vers lui, tira un sourire narquois à Pansy.
— Oh… souffla Draco quand Hermione se pressa plus fermement contre elle.
— Je pense qu’il comprend à peine qu’il vient de se foutre dans une merde intersidérale, ricana Hermione contre son oreille et Pansy éclata de rire.
C’était comme s’avachir dans les fourrés chez Dhalia, comme courir pieds nus dans l’herbe fraîchement coupée et tacher ses jupons neufs, comme se faire éclabousser par un Aguamenti. C’était comme rentrer à la maison pour la découvrir intégralement changée, mais toujours aussi familière.