Chapter Text
La relation entre Viorel et Itzal en surprenait plus d'un, quand les gens les connaissaient de manière séparée. Ils avaient ce genre de personnalité que tout opposait, au point que personne ne pouvait les imaginer ne serait-ce que dans la même pièce.
Et pourtant, non seulement ils en partageaient plus d'une, mais ils étaient actuellement en train de signer le registre, l'un après l'autre, devant le maire Hagar, sous l'attention de leurs témoins. Et des reniflements émus de Pyrrhus qui avait déjà trempé tous ses mouchoirs, à la fausse irritation de son compagnon qui camouflait mal son attendrissement.
Une fois la signature des nouveaux époux apposée, c'était à eux, les témoins, de les imiter. Par galanterie, ils permirent à Zelda de passer la première puis se chamaillèrent gentiment pour la suite, tentant de ne pas trop faire honte à leurs amis, en ce jour si spécial.
Une fois l'encre sèche, le maire les observa avec émotion, tous les six, les couples se tenant par la main, avant de s'adresser une dernière fois à eux :
— Je vous souhaite tous mes vœux de bonheur. Et attention, toi, je t'ai à l'œil !
La dernière partie s'adressait à Itzal qui arbora sa meilleure expression surprise et innocente, alors qu'il se faisait menacer de l'index tendu du plus vieux.
Personne n'était dupe, pas plus le maire que les autres, mais ils ne tentèrent pas d'intervenir.
Itzal était le seul à ne pas être né à la Cité d'Hyrule, y parvenant durant un changement de famille d'accueil, à l'adolescence. Il était du genre rebelle et bruyant, suivi par un casier judiciaire déjà bien entamé. L'édile avait eu à faire avec lui plus d'une fois, bien qu'il savait très bien qu'au fond, c'était un jeune comme les autres, qui avait juste besoin d'être soutenu pour rester sur le droit chemin.
Et c'était ce que semblait lui permettre Viorel.
Il n'avait rien fait de spécial, ni de rituel vaudou ou de chantage vicieux, contrairement à ce que prétendaient les rumeurs, et ce n'avait même pas été de son fait.
D'un naturel calme et sérieux, il avait été tout désigné pour « inspirer » le délinquant juvénile et, fort de cette observation, tous les professeurs décidèrent de les coller ensemble à chaque cours, chaque devoir et, surtout, chaque année.
Chance, leur décision avait abouti sur un mariage. Mais ça n'avait pas été sans heurt et plus d'une fois une envie meurtrière les avait envahi, à destination de l'autre. Ou du corps enseignant.
Ne recommencez plus jamais, pitié.
N'ayant invité personne d'autre, c'est en petit comité qu'ils quittèrent l'hôtel de ville, salués et félicités par les agents qui s'y trouvaient.
— Bon, restau ? lança Nilesh.
Il avait été chargé du choix et de la réservation, et croisait mentalement les doigts pour ne pas s'être trompé. Viorel et Itzal le lui pardonneraient, au bout d'un temps plus ou moins long selon la personne, mais pas Zelda qui le toiserait alors d'une œillade froide jusqu'à la fin de leurs jours.
Pour toute réponse, chacun attrapa sa moitié et, bras dessus, bras dessous, prirent la direction indiquée, papotant sur leur quotidien.
Bien qu'ils avaient tous soignés leurs mises pour l'occasion, ils ne hurlaient pas « mariage » pour autant, ce qui leur permettait de ne pas être grossièrement interpelé par les autres passants ou recevoir des vœux malvenus de la part du personnel du restaurant.
Les nouveaux époux tenaient à leur tranquillité et à la discrétion de leur récente union, ne tenant pas particulièrement à étaler la nouvelle au monde entier. Leur cercle restreint d'amis était bien suffisant. Même, si la présence de témoins n'avait pas été obligatoire, ils auraient été bien capables de se présenter rien que tous les deux à la cérémonie.
Mais, pour le moment, ils étaient exceptionnellement réunis tous les six, ce qui n'était pas arrivé depuis plusieurs années, que ce soit dû à leurs professions respectives ou tout simplement les impératifs de la vie d'adulte, et avaient bien l'intention d'en profiter.
S'emparant de son verre, Pyrrhus se redressa, à défaut de se lever, après s'être râclé la gorge, attirant l'attention de ses amis :
— Je tenais simplement à remercier notre couple de tourtereaux pour nous avoir épargné une cérémonie longue, fastueuse, où Vio se serait consumé d'anxiété et de surcharge sensorielle, avant de finir en shutdown, pendant qu'Itzal serait en train de détruire la traditionnelle pièce montée en la balançant sur les invités, épaulés par ces petites créatures échappées des enfers qu'on appelle enfant. N'essayez même pas de vous défendre, on vous connaît, glissa-t-il rapidement en les voyant prêt à protester. On vous connaît suffisamment pour savoir que c'est exactement ce qui serait passé.
— Je vais quand même devoir te corriger, mon cher, intervint Viorel. Avant ce fameux shutdown, je me serais assuré de récupérer le couteau de la pièce montée pour l'enfoncer dans les tripes d'un cousin éloigné afin qu'il se taise une bonne fois pour toutes.
Il reprit une gorgée de vin sans se départir de son petit sourire.
— Mille excuses, tu as parfaitement raison, comment ai-je pu oublier ce détail ? D'ailleurs, il paraît que notre vieux professeur de théâtre refuse toujours de mettre en scène Hamlet.
— Pas ma faute si l'accessoiriste était un incapable et que lui tenait tant que ça à jouer Polonius, balaya-t-il d'un haussement d'épaules.
Bientôt vingt ans plus tard, et la légende du lycéen manquant d'assassiner son enseignant durant une représentation publique tournait encore.
Ému à ce souvenir – par un curieux hasard, ils s'étaient retrouvés tous les deux en garde-à-vue en même temps, bien que pour des faits différents – Itzal saisit son tout nouveau époux par les épaules et le pressa contre lui, l'embrassant sur la tempe.
Parfaitement conscient de ce qui occupait ses pensées, il le laissa faire, mais juste pour l'occasion.
— Bref, malgré cette riante et hypocrite possibilité, il était important pour moi – pour nous – de vous féliciter mais tout autant de vous remercier pour avoir brisé avec les traditions et d'avoir pensé à vous avant tout.
— Tu dis ça parce que tu aurais utilisé le couteau à huitres dans la première seconde, intervint Astrit.
— Pff ! Je doute que nos chers amis auraient servi des huitres à leur réception. Ils ont plus de goût que ça !
— Toi, par contre, tu en serais capable, commenta l'unique fille.
— Totalement, reconnut-il. Et juste à ceux que j'aurais dû inviter par obligation et non par envie.
— Comme tes parents ?
Ils échangèrent un sourire de connivence avant de lever leurs verres à leur tour et de les entrechoquer doucement, s'échangeant des vœux avec plus ou moins de sérieux.
Le lendemain ne parut pas plus différent que tous ceux l'ayant précédé.
Dans son sommeil agité, Itzal avait fini par embarquer la couette avec lui, bien qu'il gisait à moitié sur le sol et à moitié sur le lit, pas plus dérangé que son désormais mari qui avait paré depuis longtemps à la situation avec sa propre couverture lestée.
Ils avaient bien testé d'avoir chacun sa couverture, mais le manque de contact entre eux était trop étrange. Ce compromis était ce qu'ils avaient trouvé de mieux. Un peu comme le reste de leur vie à deux, qui avait nécessité pas mal de tâtonnements et traversé un certain nombre de turbulences.
C'était dans ces moments qu'étaient intervenus les quatre amis (Zelda était une amie d'enfance de Viorel) pour arbitrer le match ou apaiser les tensions avant que l'un des deux ne décide de céder à ses pulsions.
Le professeur de théâtre était loin d'être la première tentative de Vio, et le casier d'Itzal possédait des mentions qui pouvaient faire craindre le pire…
Malgré les volets fermés, ce fut la luminosité qui tira Viorel de son sommeil.
Sa routine matinale était simple et provoquait peu de bruits, permettant à son compagnon de continuer de dormir, bien qu'il le recouvrit de la couverture lorsqu'il passa à côté de lui.
Par contre, il ne le repositionna pas, tant pis pour lui s'il commençait la journée avec un torticolis, fallait pas pousser !
Si le besoin de routines était vital pour lui, Itzal avait eu du mal à le comprendre et s'en moquait encore maintenant – bien que cela tenait plus de la taquinerie que de la cruauté, depuis le temps – et pourtant, Vio savait à quel moment exact il ouvrirait les yeux à son tour, glisserait dans la salle d'eau, le temps qu'il y passerait, mais surtout qu'il entrera dans la cuisine à la seconde exacte où le grille-pain sortira les toasts tout chaud.
Il pouvait s'en défendre, mais sur certaines parties de la journée, il était réglé comme du papier à musique !
Les cheveux à la diable, il vint se coller contre son dos, encore embué de sommeil malgré sa douche matinale, pendant que Vio terminait de préparer leur petit-déjeuner. Il ne s'écarta qu'une fois le tout fini, s'écroulant sur sa chaise pendant que son café refroidissait devant lui.
— Tu t'es beaucoup retourné, cette nuit.
— Oui, désolé, j'arrivais pas à trouver le sommeil. Je crois que j'étais trop excité par notre mariage, puis que je n'ai pas réussi à évacuer l'énergie. Je t'ai dérangé ?
— Non, je ne crois pas.
La présence d'alliances à leurs annulaires ne modifiait rien à leur quotidien, et ils vaquèrent à leurs occupations, bien qu'il leur arrivait parfois de jeter un œil en direction de leurs mains avant d'afficher un sourire, l'un rêveur, l'autre frénétique, à leur vision.
À la fin de la journée, ils se retrouvèrent dans la balancelle du jardin, Itzal se chargeant dudit balancement pendant que son compagnon feuilletait sa lecture du moment, profitant des sons de la nature. Et de la civilisation, mais nous étions dimanche, donc c'était réduit.
Viorel ne releva les yeux qu'à l'immobilisation de la balancelle, surpris. C'était lui qui avait eu envie d'en avoir une et l'avait construite à partir de zéro, passant autant de temps qui lui était possible dessus, seul comme accompagné.
— Un souci ?
Il avait les sourcils froncés et l'air pensif, les premiers signes qu'une réflexion le dérangeait. Et le connaissant, il allait bientôt cracher le morceau.
— Rien, juste… Je repensais à ce qu'avait dit Pyrrhus, hier.
— Sa parodie de discours du témoin, ou autre chose ?
— Son discours.
Repoussant son livre, Vio se remémora ledit discours, tentant de deviner ce qui posait problème.
— C'est… l'accusation de bataille de nourritures, qui te dérange ?
Il obtint un pouffement de rire surpris.
— On m'a déjà accusé de bien pire, et tu le sais, rit-il.
Se penchant vers lui, il attrapa la main portant l'alliance encore brillante, en embrassant le dos.
— Comment l'oublier ? Je te rappelle que tu as eu la curieuse idée de m'emmener à une de tes audiences, comme rencard…
— Tu t'es bien amusé.
— Je soulignais juste tes choix douteux.
— Tu es un de ces choix douteux.
Le petit coup de pied qu'il reçut dans la cuisse n'apaisa pas son hilarité, avant de revenir à sa réflexion précédente.
— Donc, non, rien à voir avec ça. Je repensais seulement à l'organisation. À notre décision de restreindre au maximum nos invités.
— Tu aurais voulu inviter d'autres personnes ?
Sa surprise pourrait paraître blessante, mais l'idée à la base venait d'Itzal. Ou, plutôt, Viorel l'avait suggéré, sachant que son partenaire avait un cercle de connaissances extrêmement restreint. Ils étaient pratiquement tous présents, hier.
Quand à lui… il ne courait pas vraiment après les relations sociales, et rien de mieux qu'un héritage démesuré pour couper définitivement les ponts avec les derniers hypocrites.
— Non, surtout que je ne vois pas vraiment à qui. Comme je te l'ai assez répété, c'était notre célébration. Je ne vois aucun intérêt à se forcer à côtoyer des gens qui nous insupportent, juste pour le plaisir de leur enfoncer notre bonheur dans la gorge. Et, franchement, je ne me voyais pas inviter mon agent de probation.
— Ton ancien agent de probation.
— Il te passe le bonjour, d'ailleurs.
— Tu lui rendras la politesse.
Pensant que c'était tout, il allait retourner à sa lecture, mais Itzal n'avait toujours pas lâché sa main, faisant plutôt tourner la bande en argent, les yeux rivés dessus.
— Quel était le vrai souci ?
— Tu n'aurais pas voulu inviter quelqu'un d'autre ?
— Nan, claqua-t-il directement.
Sa famille était constituée de connards qui avaient toujours préféré le cataloguer comme « débile » plutôt que d'admettre son autisme et ses besoins afférents. Quand aux amis, depuis cette fameuse représentation théâtrale (dis donc, on ne parlait que de ça, depuis hier, non ?), ils avaient préféré prendre de la distance pour mieux cacher le fait qu'ils coupaient les ponts. Étrangement, c'était sa foutue ombre qui avait été là à la sortie du commissariat (bon, techniquement, ils étaient sortis en même temps) et l'avait soutenu le temps que l'affaire se tasse (étant toujours mineur à l'époque des faits et, de nombreux élèves ayant pu être témoin de l'intérêt… dérangeant de l'enseignant pour le rôle, l'affaire avait été traité rapidement et en sa faveur).
Lui, à la limite, n'aurait aucun problème à les forcer à subir une cérémonie pour leur marteler à quel point sa vie était meilleure sans eux. Mais, comme l'avait souligné Pyrrhus, le contre-coup aurait été bien trop violent.
— Même pas… tes parents ?
— Ils sont morts, répliqua-t-il du tac au tac.
Il haussa les épaules, peu affecté.
— Pourquoi ? Tu aurais voulu qu'on ajoute une séance de spiritisme au déroulé de la journée ?
Ce n'était pas sa faute, il ne parvenait vraiment pas à comprendre de quoi parlait son mari depuis tout à l'heure. Il essayait, promis, mais il semblerait que ça soit une de ces conversations hermétiques où Itzal allait passer plus de temps à lui expliquer ce qu'il avait voulu lui dire que de lui dire.
Un projet de soirée idéale, en somme.
Et, évidemment, malgré tout l'amour qu'il pouvait lui porter, il ne pouvait actuellement pas s'empêcher de le regarder par en-dessous, l'air blasé, les épaules basses.
— J'avais envisagé une conversation posée et prudente sur le sujet, mais je sens que ça va empirer la situation, alors tant pis : est-ce que tu aurais voulu que tes parents soient présents ?
— Mais ils sont morts, objecta-t-il de nouveau. Peu importe ce que j'aurais voulu. À moins qu'on ne déterre leurs cercueils pour la cérémonie… ou qu'on ne l'a réalise dans le cimetière… Est-ce que c'est possible ?
— Chéri, c'est toi le cerveau de notre couple, si tu ne le sais pas, il y a de fortes chances que moi non plus. Mais ce n'était pas le sujet. Je voulais savoir si tu n'avais pas de regret, du fait qu'ils n'avaient pas été là ? Du genre, qu'ils puissent être témoins, eux aussi, de ton mariage ?
Sentant qu'il devait réfléchir a minima avant de répondre, Viorel baissa les yeux sur son ouvrage, fronçant les sourcils à son tour, avant d'ouvrir la bouche :
— Je ne me suis jamais vraiment posé la question. D'ailleurs, je n'ai jamais songé que je pourrais me marier un jour. Alors, qu'ils soient présents ou non…
Désabusé par sa réponse – en même temps, à quoi s'attendre du gars qui n'avait pas compris sa déclaration d'amour – Itzal ne put cacher son sourire malgré son bruyant soupir.
— Et toi ? Tu aurais voulu que les tiens soient présents ?
L'ambiance changea du tout au tout, au rappel de ses géniteurs. Mais la journée était trop belle pour la gâcher sur ces monstres, alors il se contenta de hausser les épaules et de se réinstaller dans la balancelle, reprenant leur balancement.
— Ils ont déjà tout gâché beaucoup de moments précieux de ma vie, aucun risque que je souhaite que notre union s'y ajoute.
Viorel resta un moment à le fixer, de cet air inquisiteur, mais il lâcha finalement l'affaire, reprenant sa main et sa lecture.
Il semblerait que tout soit fini, et que rien d'autre ne les dérangerait.