Chapter 1: Le poids des années
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La nuit avait l’odeur du métal et des cendres, un goût âcre de peur et de magie brûlée suspendu dans l’air, même des années plus tard.
Dans ses cauchemars, Elias ne vieillissait jamais. Il était toujours ce jeune homme au souffle court, les bottes couvertes de cendres, les yeux écarquillés sur les ruines du domaine Night, où la magie avait tout dévasté. Le manoir effondré fumait encore, les arbres calcinés dressaient des ombres tordues sur le ciel. Des silhouettes hurlaient autour de lui, mais leurs voix s’éloignaient comme englouties par une mer invisible. Il courait, toujours, jusqu’à ce qu’elle apparaisse — entre les débris, silhouette vacillante dans la brume, son nom accroché à ses lèvres sans qu’il ose le prononcer.
Emily.
Elle se tenait là, dans les décombres, son regard sombre vibrant d’une force que lui-même n’avait plus. L’air empestait la cendre humide et le bois brûlé, chaque inspiration lui arrachait la gorge. Le vent siffla entre les pierres écroulées, faisant gémir les restes du manoir. Il se souvenait — le froid, la peur, le rire qu’elle avait eu malgré la guerre, ce timbre qui contrastait avec le désastre. Il tendait la main, toujours, pour la rattraper, les doigts effleurant une poussière chaude où la magie s’était éteinte. Et, toujours, elle disparaissait avant qu’il n’y arrive.
Puis le silence.
Ce silence-là le tirait de son sommeil chaque fois, haletant, couvert de sueur malgré le froid de Londres.
Elias se redressa lentement, frissonnant sous le contact froid du drap humide contre sa peau. Le silence de la pièce semblait trop vaste après le vacarme du rêve, seulement rompu par le craquement du bois dans la cheminée éteinte, la respiration saccadée. Les draps étaient en désordre, tordus comme s’ils avaient tenté de le retenir dans son cauchemar. À côté de lui, Selene dormait encore, paisible. Son visage calme contrastait avec le tumulte qu’il portait en lui.
Il resta un long moment assis au bord du lit, les coudes sur les genoux, la tête entre les mains. Son souffle tremblait encore, rythmé par la mémoire du feu et du cri d'Emily. Les rêves revenaient plus souvent, ces derniers temps, s’infiltrant jusque dans ses heures de veille. Peut-être à cause du travail, ou peut-être parce que, malgré tout ce qu’il s’efforçait d’enterrer, certaines blessures refusaient simplement de cicatriser. Il se demanda combien de temps encore il pourrait vivre avec ce gouffre en lui, sans que ceux qu’il aimait devinent la faille.
Quand il finit par se lever, la maison était encore plongée dans l’obscurité. Le parquet craqua sous ses pas, familier, rassurant. Il passa devant les chambres des enfants — Ariane, qui murmurait en dormant, et Henry, enroulé dans sa couverture. Ce simple tableau domestique aurait dû lui rappeler ce qu’il avait de plus précieux. Il ralentit malgré lui, posant une main contre la porte entrouverte, le souffle suspendu à l’écoute de leur respiration régulière. Un réflexe né du manque et de la peur : celle, ancienne, d’un silence trop long. Il revit malgré lui une autre chambre, vide celle-là, les rideaux soulevés par le vent et un berceau resté intact, sans nom à murmurer. Quand il avait découvert qu’Emily portait son enfant, il était déjà trop tard : la guerre avait tout pris, et les mois de recherches n’avaient livré que des traces effacées, des témoins sans réponse. Cette absence, plus douloureuse que n’importe quelle blessure, l’avait changé à jamais. Depuis, chaque souffle de ses enfants était une promesse qu’il se faisait de protéger ce qu’il lui restait du monde. Alors il restait là, à veiller, jusqu’à ce que le murmure des vivants chasse un peu le poids des morts.
Mais parfois, l’amour des vivants ne suffit pas à faire taire les fantômes.
Dans la cuisine, il fit du café d’un sort informulé. Le silence retomba aussitôt, épais. L’aube dessinait une lueur pâle derrière les vitres.
Sur la table, un dossier l’attendait — les restes d’une enquête qui refusait, elle aussi, de le laisser dormir. Trafic de potions illégales, plusieurs victimes, traces d’enchantements mentaux instables.
Harry et Ron voulaient qu’il se concentre sur les filières de contrebande, sur le concret. Mais Elias savait déjà que ce genre d’affaires ne tenait jamais qu’à un fil — un ingrédient mal utilisé, un alchimiste désespéré, une erreur humaine.
Il feuilleta distraitement les pages, jusqu’à tomber sur un nom inscrit dans un coin du dossier :
“Correspondance reçue de l’Académie de Salem – Professeur Mathieu Leclair, mentionnant une ancienne élève compétente en potions curatives. Recommandation jointe : C. Dufresne.”
Dufresne.
Un nom moldu, banal, mais porteur d’un étrange frisson d’espoir. Ce n’était pas un patronyme familier du monde magique, et pourtant il éveillait en lui une curiosité fébrile, une intuition qu’il n’osait formuler.
Il resta immobile, le regard accroché aux lettres. Une seconde, son esprit tenta de rationaliser : probablement une coïncidence. Un nom parmi tant d’autres. Et pourtant, ce nom moldu souleva en lui mille questions et une lueur d’espoir qu’il n’aurait su expliquer.
Il referma brutalement le dossier, comme pour contenir la brûlure qui montait en lui.
Chapter 2: Le bruit des tasses et des fantômes
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Le matin glissa par la fenêtre comme une lumière fraîche et humide. L’air sentait le métal des vitres et le linge propre. Londres traçait déjà ses lignes grises sur le verre quand Elias effleura le plan de travail du bout de la baguette, lançant plusieurs sortilèges non formulés. La bouilloire vibra, la cafetière se mit à respirer, la poêle se réchauffa. La chaleur monta peu à peu, mêlant le crépitement du beurre, la note poivrée de la sauge et l’amertume du café, tissant dans la pièce un charme domestique fait de sons, d’odeurs et de gestes précis.
Il aimait ce moment—ou, du moins, il s’y agrippait. Le bruit maîtrisé des tasses, la précision des gestes, cette discipline qui tenait lieu de paix. Un coup de baguette fendit le silence : un couteau coupa des tranches de pain d’un mouvement net, une confiture d’orange tiédit à feu doux. Les assiettes, en file, vinrent se poser sur la table, suivies de deux cuillères qui tintèrent avec discrétion.
Il essaya très fort de ne penser à rien.
C. Dufresne.
Le nom le traversa comme une écharde sous la peau, vif et inattendu. Il serra la mâchoire, changea de main pour verser le café, ralentit sa respiration comme avant une intervention. Un craquement sec le fit sursauter—le filtre avait cédé.
Il essuya le plan de travail d’un geste trop vif. La cafetière repartit. La poêle accueillit les œufs, qui frissonnèrent.
Flash.
Le domaine Night. Une vaste demeure de pierre grises, typique de l’architecture de Boston, avec ses frontons massifs, ses colonnes élégantes et ses toits d’ardoise qui luisaient sous la pluie. Les allées bordées de chênes formaient un couloir de brume menant à la façade éventrée. La lumière blanchâtre des sorts d’Aurors et de Médicomages balayait les décombres, révélant les reflets ternes des vitraux brisés. L’odeur de métal, de cendre humide et de pierre calcinée emplissait l’air, un goût de magie brûlée qui râpait la gorge et restait sur la langue.
Il cligna des yeux, de retour à sa cuisine.
Le beurre moussa. Les œufs prirent. Le pain grilla.
Les couverts s’alignèrent, les verres se tournèrent vers la carafe de jus d'orange qui vint se poser d’elle-même. Il tapota deux fois du bout du doigt le bord du plan de travail — un tic nerveux, presque inconscient, que seuls les jours difficiles réveillaient. C’était parfait. Tout était à sa place. Tout, sauf ce nom planté au creux de sa poitrine comme une rune mal effacée.
C. Dufresne. Une recommandation. Salem. Mathieu Leclair. Ce nom-là, lui, n’était pas étranger. Leclair… compagnon d’Alexander Night, le frère d’Emily. Le souvenir se referma sur lui comme une main glacée. Ce lien, si ténu, glaça son sang — peut-être à tort, peut-être par réflexe. Mais son instinct, lui, se souvenait toujours avant sa raison.
Le souvenir entra par surprise, comme une bourrasque qui éteint les chandelles.
Flash.
Un couloir étroit, la pierre suintante, un escalier où l’on court trop vite. Emily derrière lui qui murmure « Elias, attends » et sa main qui attrape sa manche—légère, sûre. La sensation exacte de cette pression douce mais ferme, là où le tissu s’était froissé, le regard qu’elle lui avait lancé : "Tu vas trop vite, tu vas tomber." Elle avait toujours cette façon de sourire après l’avoir réprimandé, moitié tendresse, moitié défi. Dans sa mémoire, son rire résonnait encore, cette note claire qui allégeait tout. Il se revit, à leurs débuts de mission, son sérieux à lui heurtant sa chaleur spontanée à elle. Ils s’étaient équilibrés sans jamais l’admettre : elle, la lumière vive, et lui, l’ombre qui veillait. Lui n’était jamais tombé qu’après elle.
La cuisine reprit sa couleur. Il avait posé la poêle hors du feu. Une mince fumée montait, tordue, sans odeur de brûlé encore.
Il posa la main sur le bord de l’évier.
Le battement dans ses tempes accéléra—comme si quelqu’un remontait une vieille pendule à l’intérieur de sa tête. Sa vision se resserra en tunnel ; les bruits—tic, tic, tic des gouttes sur le métal—prirent une importance démesurée. Le plan de travail bougea à peine (non, c’était lui).
Respirer.
Il se força à compter : quatre temps à l’inspiration, six à l’expiration. Sa baguette cliqueta contre le marbre. Il ne comprenait pas pourquoi ce nom, aujourd’hui, maintenant. Pourquoi, alors que les années avaient dû finir par anesthésier le pire, quelque chose en lui se remettait à saigner.
— Elias ?
La voix venait de l’embrasure de la porte, douce, encore un peu voilée par le sommeil. Il se tourna.
Selene.
Elle portait une robe de chambre ample et une natte imparfaite, les pieds nus sur le carrelage froid. Le simple fait de la voir eut l’effet d’un contre-sort : sa respiration se recala doucement, la pièce retrouva ses angles. Elle s’approcha, passa une main sur son bras—geste bref, naturel.
— Tu t’es levé tôt… encore.
— J’avais faim, répondit-il. (Ce n’était pas vrai, mais cela sonnait comme une vérité acceptable.)
Selene sourit, ce sourire qui tenait chaud sans jamais brûler.
— Ou alors tu avais besoin d’aligner des assiettes au cordeau.
Il pinça les lèvres, mi-amusé, mi-contrarié d’être si lisible pour elle. Il lui fit signe de s’asseoir ; la chaise vint seule sous ses doigts.
— Café ?
— S’il te plaît. Et… merci.
Elle le connaissait depuis assez longtemps pour ne pas chercher à nommer ce qu’elle voyait sur son visage : les nuits hachées, les réveils trop abrupts, ce silence qu’il opposait au bruit du monde. Il ne lui donnait pas beaucoup de mots, mais il donnait le reste : le toit, les gestes, la constance. Il tirait la chaise, vérifiait la chaleur de sa tasse, plaçait le pot de miel à sa gauche parce qu’il savait qu’elle le cherchait toujours du mauvais côté. Galant, protecteur, inexprimé.
— Tu vas où aujourd’hui ? demanda-t-elle, la voix prudente, sans intrusion.
— Sainte Mangouste d’abord. Les victimes. J’aimerais… (le mot lui échappa) …comprendre leurs symptômes, leur progression. Ensuite, le Ministère.
Selene approuva d’un léger hochement de tête.
— Fais attention à toi.
— Toujours.
C’était une promesse qu’il tenait mieux qu’aucune autre : rester vivant, rester debout. Pour eux.
La porte de l’escalier grincela avant que la voix ne retentisse :
— Est-ce qu’il reste du café, ou est-ce que père a déjà soulevé le Ministère à bout de bras avant huit heures ?
Henry entra, l’air d’un garçon qui n’essayait plus vraiment d’avoir l’air d’un garçon : dix-neuf ans, les cheveux blond cendré coiffés-décoiffés comme s’il revenait d’un entraînement, les mêmes taches de rousseur que son père mais adoucies par des fossettes qu’il tenait de sa mère. Robuste, à la carrure carrée, il dégageait pourtant une approche facile, un éclat tranquille dans le regard. Il embrassa Selene sur la tempe, effleura brièvement l’épaule de son père — un geste prudent, respectueux de cette distance physique qu’Elias gardait toujours — puis attrapa une tasse.
— Ce n’est pas à neuf heures que tu ouvres le terrain pour les essais ? demanda Elias.
— Si, mais j’ai une réunion avant. Essais régionaux de Quidditch, nouvelle norme sur les balais de prêt, tu sais ce que c’est : tout le monde veut des Poursuiveurs et personne ne veut lire des règlements.
— Rassurant, fit Selene.
— Absolument, confirma Henry avec un sérieux étudié qui lui allait mal, les yeux pétillants d’un air faussement grave. Où est Ariane ?
Il avait déjà ce ton mi-taquin, mi-affectueux qu’il réservait à sa sœur, celle qu’il adorait et qu’il considérait comme sa cible favorite.
— Ici, soupira une voix, suivie d’un livre qui atterrit sur la table avec un bruit mou. La voix d’Ariane avait ce grain chaud et légèrement voilé des gens qui lisent trop tard et rient souvent, un timbre doux mais sûr, qui trahissait autant la fatigue des matins pressés que la tendresse d’une âme rêveuse.
Ariane avait ce don de donner l’impression d’être apparue sans ouvrir de porte. Même sans uniforme, on aurait deviné la libraire dans sa façon de poser les mains sur la couverture, comme si elle en caressait la reliure. Ses cheveux châtains, mi-longs, ondulaient avec cette souplesse héritée de Selene, la mèche de droite toujours glissée à moitié derrière une oreille. Elle avait les yeux d’Elias, où brillait la même attention silencieuse. De taille moyenne, elle portait des vêtements chauds et confortables, comme si la douceur faisait partie de son armure. Sa tasse cherchait déjà le thé et non le café.
— Je commence plus tôt, dit-elle. La vitrine. La livraison de la collection « Romances moldues ». (Ses yeux brillèrent comme ceux d’une enfant.) Il y a un tirage rare : Les Amants de la Troisième Lune.
Henry se laissa tomber sur une chaise avec un soupir dramatique.
— Et voilà : Ariane va tomber amoureuse dix fois avant midi.
— Onze, rectifia-t-elle, imperturbable, avec un petit sourire malicieux. J’ai rajouté une anthologie, histoire de battre mon propre record de chagrins imaginaires.
— Tu vois, dit Henry à ses parents, c’est pour ça que j’ai choisi le sport : les balais, au moins, ne te brisent pas le cœur.
Il porta la main à sa poitrine, faussement accablé.
— Enfin, pas de cette façon.
Il roula des yeux vers le plafond avec l’air tragique d’un acteur en pleine scène, arrachant à Ariane un éclat de rire complice.
Ariane haussa les épaules, le sourire doux.
— Heureusement que les cœurs ont plus de ressort qu’un Cognard, sinon on serait tous fichus.
Elias ne put s’empêcher de sentir une détente réelle—pas seulement dans ses épaules, mais dans un endroit plus profond, là où la panique cessait de cogner. Les jumeaux discutaient, se chamaillaient sans venin ; Selene intervenait juste assez pour relancer une plaisanterie, calmer une exagération. Les assiettes se remplissaient, les couverts reprenaient leur musique ordinaire.
— Au fait, dit Henry, Bill m’a demandé si je pouvais passer dire deux mots à son fils Louis au stand de Quidditch de Poudlard ce week-end. Apparemment, il veut un avis sur les nouveaux Cognards auto-stabilisants.
— Lis d'abord la nouvelle norme, répondit Elias sans lever les yeux.
Henry grimaça, pris.
— J’allais le faire.
— Bien sûr que tu allais le faire, renchérit Ariane, angélique. (À Elias :) Tu vas à Sainte Mangouste ce matin ?
— Oui.
— Tu salueras la bibliothécaire du troisième. Elle met de côté pour moi les rapports cliniques avec une bibliographie correcte. (Elle hésita.) Tu… tu dors mieux ?
Le regard de Selene se posa sur lui, sans peser. Elias arrangea une assiette, aligna un couteau, fit signe à la confiture de s’approcher d’Ariane.
— Ça va.
Ce n’était pas une réponse. C’était la seule qu’il savait donner.
Ils parlèrent encore—du ciel trop clair pour une pluie annoncée, d’un livre qu’Ariane voulait offrir à Selene (« pas une romance, promis »), d’un pari perdu par Henry (« la prochaine fois, garde tes Gallions, pas tes gants »). Le bruit des tasses, des fourchettes, des chaises qui frottent—tout cela finit par composer un chant familier. Quelque chose en Elias se réaccorda.
Lorsqu’ils se levèrent, chacun prit sa direction dans une géographie connue. Selene posa une main sur sa nuque en passant derrière lui ; il inclina la tête, imperceptiblement. Cela pouvait passer pour rien. C’était tout.
Elias resta un instant seul dans la cuisine, puis enfila sa veste en cuir de dragon sombre, usée aux coudes, et glissa sa baguette dans l’étui intérieur. Le cuir craqua doucement, familier, presque rassurant.
Sainte Mangouste avait le silence particulier des lieux pleins de douleur qu’on s’applique à ignorer. Un silence entretenu comme un jardin : taillé, discipliné, parfumé de potions et d’herbes propres. Ce calme feutré vibrait sous la peau d’Elias, mélange d’apaisement et de tension contenue, comme une pression constante sur la poitrine. Il croisa deux Médicomages qui le saluèrent d’un hochement bref ; il répondit de la même façon, sa main effleurant machinalement la baguette à sa ceinture. Il avait appris, avec le temps, à marcher dans ces couloirs sans faire fléchir l’air, à contenir le poids des souvenirs qui rôdaient derrière chaque porte, à respirer comme si la douleur des autres pouvait déborder à tout moment.
Troisième étage—Pathologies magiques et empoisonnements. La plaque vibrait déjà à son approche ; on lui ouvrit.
— Auror Prewett, dit la secrétaire, avec cette neutralité aimable qui disait : encore lui.
— Je viens voir les patients liés à l’enquête des potions. Je ne prendrai pas de notes formelles aujourd’hui.
Elle opina, lui tendit une liste. Il parcourut les noms sans s’y attarder. Les chambres, lui, n’avait jamais besoin qu’on les lui indique : il se souvenait des endroits avec une précision presque douloureuse, comme si chaque lit devenait un point fixe sur une carte intérieure.
La première, une jeune femme aux yeux trop grands, regard ancré au plafond comme si le blanc le protégeait de tout. Des traces d’enchantement mental—épaisses, cordées—qui persistaient au-dessus d’elle comme de la brume violette. Il parla doucement, se présenta, demanda la permission. Elle hocha à peine la tête ; il s’assit, au lieu de rester debout comme une autorité.
— Est-ce que vous rêvez ? demanda-t-il.
— Tout le temps, dit-elle. Mais je ne sais pas si c’est moi qui rêve ou quelqu’un qui rêve à ma place.
Il prit cela comme une donnée, pas une énigme.
— Est-ce que les bruits vous agressent ? Le métal, les voix lointaines, les pas ?
— Les voix. Elles… elles avancent et reculent.
Il hocha la tête. Prise de notes mentale. Il la remercia, promit de revenir sans promettre de solution. À la suivante.
Un homme d’âge moyen qui clignait trop fort des yeux, comme pour chasser quelque chose qu’Elias ne voyait pas. Une étudiante qui pleurait sans larmes. Un garçon taciturne qui refusait de s’endormir par peur de réveiller « l’autre ». À chaque lit, Elias posait des questions calibrées, cherchait les motifs répétitifs, les constantes : goût métallique dans la bouche, stase de la magie vitale, images intrusives liées à des lieux détruits, peur irraisonnée des fenêtres, besoin de surfaces lisses. Tout ce qui pouvait se transformer en piste—ou, au moins, en carte pour ne pas se perdre.
Ce fut à la cinquième chambre que le sol bougea très légèrement—non pas sous ses pieds, mais au-dedans. Un parfum d’orange, presque rien, flottait dans l’air (une lotion posée sur une table). La mémoire s’empara de lui plus vite qu’un sort :
Flash.
La cuisine de l'appartement d’Emily à l'époque, trop petite pour deux, et pourtant ils s’y tenaient comme si elle contenait tout l’espace du monde. La confiture d’orange qui frémissait, elle qui goûtait avec le dos d’une cuiller et laissait échapper un « oh » sérieux, presque académique, pour dire « c’est bon ». Sa main tachée de zeste sur sa joue.
Le présent revint en un clignement. Elias se racla la gorge.
— Excusez-moi, dit-il doucement au patient, je… (Il inspira.) Je reviens dans une minute.
Dans le couloir, il s’appuya au mur. Il ne descendit pas plus bas que cela—il s’y refusa. Quatre, six. Quatre, six. La panique recula d’un pas, puis d’un autre. Ce n’était pas le lieu, ni l’instant. Il reprit.
Le dernier patient, avant de partir, murmura :
— Est-ce que ça va passer?
— Non, répondit Elias avec calme. (Il laissa une seconde.) Mais ça peut devenir vivable si nous trouvons un remède.
Le regard du patient s’étonna de la franchise. Parfois, la vérité fait office de potion calmante.
Dehors, Londres avait pris sa lumière plate de début de matinée. Les rues magiques, elles, semblaient plus nerveuses : un hibou se trompa de fenêtre et se reprit au vol ; une enseigne cliqueta ; un enfant protesta contre une cape trop longue. Elias, qui s’était à peine absenté une heure pour Sainte Mangouste, préférait marcher plutôt que Transplaner entre l’hôpital et le Ministère ; la traversée lui servait de sas, un moyen de retrouver le rythme ordinaire après la tension des salles. Il s’attarda un instant à l’angle d’une ruelle pour observer un père lacer la botte de sa fille—les gestes maladroits, la patience attentive. Il sentit quelque chose se détendre sans tomber.
Le hall du Ministère l’engloutit comme une mer familière. Le marbre poli, les voix qui ricochent, la grande horloge enchantée qui égrainait les secondes sans bruit. Il passa le contrôle sans lever les yeux, traversa le foyer avec la même allure mesurée qu’à l’hôpital.
Il pensa, malgré lui : C. Dufresne.
Le nom fit un pas à l’intérieur de lui, comme si, désormais, il avait le droit d’entrer.
La journée n’avait pas encore commencé qu’il savait déjà qu’elle serait longue. Il inspira, posa la main à plat sur la porte du Bureau des Aurors, et entra.
Chapter 3: L'ombre du souvenir
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L’odeur familière d’encre, de parchemin et de cuir de dragon l’accueillit lorsqu’il entra dans son bureau. Le léger bourdonnement des plumes enchantées emplissait l’air, ponctué par le froissement des dossiers triés par magie. Quelques objets magiques de défense — un médaillon protecteur suspendu au-dessus de la porte, une rune de dissimulation gravée sous le bureau, un globe de détection posé sur l’étagère — vibraient doucement en percevant son retour. De légers enchantements miroitaient dans l’air, dessinant des leurres discrets sur l’apparence du lieu pour décourager toute intrusion magique. Il effleura d’un geste automatique sa baguette, vérifiant les sceaux de protection, avant de s’avancer. Ses collègues levèrent brièvement la tête, lui adressant des signes de tête où se mêlaient respect et distance. Elias répondit d’un simple geste silencieux, puis gagna son bureau.
Des piles de rapports l’attendaient, petites forteresses de papier. Il ouvrit son carnet — un vieux modèle relié de cuir rugueux, aux bords adoucis par les années. Sa plume resta suspendue un instant avant de se mettre en mouvement. Les mots vinrent par rafales, des phrases codées que lui seul pouvait déchiffrer : références, coordonnées, symboles reliant davantage à la mémoire qu’à la logique. Une langue de survie. Chaque marque le stabilisait.
C. Dufresne, encore. Souligné deux fois. Pas une erreur — un présage.
Un coup frappé contre l’encadrement de la porte brisa le silence.
— « Réunion dans cinq minutes, Prewett. »
Il hocha la tête sans relever les yeux, termina sa ligne et referma le carnet d’un claquement feutré. La pièce, vidée de son bruit, ne laissa plus entendre que son propre pouls.
Quand il entra dans la salle de conférence, les voix murmuraient déjà. Liam était affalé sur sa chaise, une aisance feinte masquant la tension. Elias ne le connaissait pas personnellement, mais il savait qu’il était le fils d’un vieil ami : un homme froid, rigoureux, loyal jusqu’à l’os, issu d’une ancienne famille de la noblesse magique. Le jeune homme semblait en avoir hérité une partie du port et de la discipline, mêlée à une désinvolture nerveuse propre à sa génération.
Alice, au bout de la table, écrivait d’une main rapide et sûre. Sa filleule. La fille unique d’Hugo — son meilleur ami, son frère d’armes. La voir ce matin lui fit l’effet d’une lame sous la peau. Un éclair de souvenir vrilla dans sa tête : la grotte humide, les chaînes qui rongeaient sa peau, l’odeur du sang et de la pierre froide. Puis la lumière bleutée d’un sort d’éclatement, la silhouette d’Hugo se dressant entre lui et leurs assaillants. Il s’était battu jusqu’à la dernière seconde, criant son nom avant que le sort fatal ne l’emporte. Elias sentit sa poitrine se contracter, un tremblement furtif lui parcourut les mains, une sueur froide coula dans son dos. Il inspira, ferma brièvement les yeux pour ravaler le vertige et retrouver contenance. Son visage redevint impassible, son souffle maîtrisé, mais la douleur, elle, vibrait encore sous la surface.
Et, un peu plus loin — des visages connus et d'autres inconnus. Quelques Aurors qu'il croisait parfois dans les couloirs, silhouettes professionnelles aux regards fatigués, figures de confiance dans le chaos ordinaire du Ministère. Il aperçut aussi Henry Wilcox, le responsable du Département de la Recherche Magique — un homme courtois et chaleureux, dont la précision et la mémoire prodigieuse forçaient le respect. Autour d'eux, d'autres visages lui échappaient encore : jeunes recrues nerveuses, chercheurs concentrés.
Puis il la vit.
L’instinct. Le souffle juste avant le souvenir — et soudain, la salle se dédoubla dans son esprit. Pendant un bref instant, le présent se superposa au passé : même table, mêmes murs, mais la lumière différente, dorée, celle d’il y a plus de vingt ans. Emily était assise là, à cette place exacte, le dos droit, les doigts tachés d’encre et le regard rieur derrière une mèche rebelle. Elle prenait des notes avec la même intensité, la même façon de froncer les sourcils en cherchant la logique au milieu du chaos. Le souvenir s’imposa avec une netteté douloureuse. Elias sentit sa gorge se serrer, son souffle s’écourter. Il cligna des yeux et tout s’effaça, remplacé par la jeune femme présente, dont la silhouette venait d’effacer le fantôme d'Emily. Il resta immobile, les doigts crispés sur la table, reprenant lentement le contrôle de sa respiration, comme s’il refermait à la main une porte qu’il n’aurait jamais dû rouvrir.
Elle était assise au centre, les cheveux sombres glissant sur son épaule, un carnet de cuir dans les mains. Elle prenait des notes avec concentration, sans lever la tête — ou en feignant de ne pas le faire. Pourtant, quelque chose dans sa présence heurta Elias comme un son à moitié oublié d’une autre vie. Ce n’était pas possible. Et pourtant, sa poitrine se serra.
Il s’obligea à rester dans l’ombre d’une haute bibliothèque, les bras croisés. Observer. Évaluer.
Le monde se réduisit à son profil, à l’inclinaison de sa main sur la page, à la légère ride entre ses sourcils. Camille Dufresne. Il connaissait ce nom avant même de vérifier la liste des participants. Il l’avait lu ce matin, noté, tenté de l’oublier. Et maintenant, ce nom avait un visage. Une voix. Une présence.
Ses doigts se crispèrent sur l’accoudoir. Il dut lutter contre l’envie de bouger, de parler, de— n’importe quoi. Le moindre son risquait de le trahir.
Elle leva les yeux. Leurs regards se croisèrent.
Un battement de silence. Aucune magie, et pourtant tout son instinct s’enflamma.
Son regard à elle vacilla, puis revint. Pas de peur — de la confusion, de la gêne. Il réalisa trop tard qu’il n’avait pas cligné des yeux.
Son visage ne lui était pas familier, et pourtant... il y avait dans la ligne de sa mâchoire, dans son expression, des échos. Emily. Mais plus douce, plus jeune. La continuité d’une autre vie.
Il inspira lentement, baissa les yeux vers le parchemin devant lui et feignit d’écrire. Son pouls, lui, le trahit. Même Selene ne l’avait jamais vu ainsi : sur cette ligne fragile entre le déni et la douleur. Et pourtant, sous la surface de ce trouble, une idée se formait, terrifiante et insensée. Serait-il possible que cette jeune femme ait un lien avec Emily ? Que le bébé perdu après l’attaque du manoir Night ait survécu, grandi quelque part, ignorante de tout ? Ou bien était-elle la fille d’Alexander, ou une parente éloignée, un écho de ce passé qu’il croyait scellé ? Et si ce n’était qu’une coïncidence, un caprice du destin, une ressemblance cruelle ? Ces questions se pressaient dans son esprit, déstabilisant sa respiration, bousculant sa raison qu’il s’efforçait de maintenir intacte.
Liam se pencha vers elle, lui souffla quelque chose qui fit bouger ses lèvres. Il n’entendit pas les mots, mais la scène suffit à le ramener. Des collègues. Rien de plus. Une mission. Une coïncidence.
Il se répéta ces mots jusqu’à ce qu’ils perdent leur sens.
Harry prit la parole. Présentations, consignes, la routine. Elias n’en retint que des fragments : l’accent doux mais ferme de la jeune femme qu'il ne parvenait pas à placer, son calme maîtrisé. Il n’aurait pas cru que l’écouter puisse lui faire mal — et pourtant. Le rythme de sa voix rappelait celui d’un rapport de terrain lu après un désastre.
Il resserra sa prise sur sa plume pour étouffer le tremblement.
Quand Harry fit apparaître l’hologramme — la victime, les veines noircies, le flux magique altéré — Elias se leva, la voix aussi stable que toujours lorsqu’il s’agissait de devoir.
— « Trois victimes encore en vie, une quatrième morte cette nuit. Aucune trace de contamination sur les lieux. Le poison cible le flux magique interne, pas les organes. C’est progressif, indétectable jusqu’à l’effondrement. Aucun antidote connu. »
Il parla avec détachement, mais chaque mot pesait comme du plomb. Il sentit son regard à elle de nouveau posé sur lui, sans oser le croiser cette fois. Il ne pouvait pas.
Un léger courant d’air glissa contre sa nuque — la caresse froide des fantômes anciens.
Harry répartit les tâches : Camille avec Liam, Alice sur les correspondances, Elias sur le terrain. Il acquiesça d’un signe bref, le visage impassible. Mais à l’intérieur, quelque chose venait de basculer.
Quand la réunion prit fin, le bruit des chaises, des dossiers et des bottes emplit la pièce. Il resta en retrait, dans la pénombre, feignant de vérifier ses notes.
De là, il la regarda longuement. Inchangée, concentrée, vivante. Comme si son existence n’avait pas ouvert en lui une brèche.
Camille Dufresne.
Le nom épousait trop bien le vide qu’il portait depuis des années.
Chapter 4: L'ombre d'une reconnaissance
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Alors que la salle se vidait lentement, Elias Prewett demeura en retrait, immobile, à demi dissimulé dans l’ombre d’une étagère chargée de dossiers vides. Il restait là, figé dans le silence, observant Camille. Non — il la dévisageait. Ses yeux vert d’eau, d’ordinaire si impassibles, portaient une fixité étrange, ni menaçante ni bienveillante, mais… bouleversée. Quelque chose s’était ouvert en lui, une brèche qu’il n’arrivait pas à refermer.
Camille, occupée à ranger ses papiers, sentit à nouveau ce regard sur elle. Elle se retourna, hésita une seconde, puis se dirigea vers Liam qui parlait avec Alrik et Vera. Pourtant, ses gestes ralentirent. Elle lança un bref coup d’œil vers Elias, ses sourcils se fronçant légèrement. Elias, lui, eut un bref sursaut de lucidité : ce premier jour devait déjà être éprouvant pour elle, et il venait sans doute d’aggraver son malaise. Qui apprécierait d’être observé pendant de longues minutes par un homme taciturne, figé comme un fou furieux, sans même cligner des yeux ?
Alice remarqua la scène et l’attitude étrange d’Elias. Il y avait entre eux ce lien tissé depuis l’enfance — une affection silencieuse, faite d’instinct et de loyauté. Elle connaissait par cœur ces signes, cette tension dans ses épaules, ce regard trop fixe. Avec la douceur qui la caractérisait, elle s’approcha de lui, sans le brusquer, sa voix presque un murmure bienveillant, comme pour le ramener à la surface.
— Tu veux en parler ? demanda-t-elle.
Il secoua la tête, presque imperceptiblement, mais ses yeux ne quittaient pas Camille. Sa main effleura brièvement le bras d’Alice, un geste discret mais plein de reconnaissance muette pour sa présence apaisante.
Ron revint à ce moment-là, après avoir remis un dossier à Harry. Il tapa amicalement sur l’épaule d’Elias, avec cette familiarité désinvolte qu’ils partageaient depuis les années de terrain. Ils avaient travaillé ensemble sur plus d’une mission, souvent dans des situations désespérées, et malgré leurs différences de caractère, une amitié solide s’était forgée. Ron, avec son humour et sa franchise, avait souvent été l’un des rares à faire sourire Elias quand tout semblait perdu. Entre eux, la camaraderie se mêlait à une forme de respect tacite — celle de deux hommes marqués par la guerre mais toujours debout.
— Tu fais flipper tout le monde, vieux. On dirait un fantôme de famille. Tu respires encore, ou… ?
Elias cligna des yeux, comme s’il sortait d’une transe. Sa respiration se fit plus lourde un instant, le cœur battant trop vite, comme si un vertige venait de se dissiper brutalement. Il inspira profondément, cherchant à reprendre contenance, ses doigts se refermant sur le rebord de la table la plus proche. Un léger tremblement trahit sa tension, qu’il dissimula aussitôt derrière un froncement de sourcils et une posture plus droite.
— Hein ? Oh. Oui. Pardon. J’étais…
Il s’interrompit. Camille s’était légèrement rapprochée — polie, mais visiblement tendue.
Ron lui adressa un sourire chaleureux.
— Camille, je ne sais pas si on te l’a présenté, voici mon cousin, Elias Prewett. L’un des meilleurs Aurors du Ministère. Et sans doute le plus insupportable quand il s’y met.
Elias se redressa un peu, ravalant son trouble. Il tendit la main — puis hésita et la laissa retomber. Sa voix, grave et légèrement rauque, brisa enfin le silence.
— Enchanté. Je suis désolé si je vous ai… fixée. C’était idiot. Vous m’avez rappelé quelqu’un. Je ne voulais pas paraître… intrusif.
Camille hocha la tête prudemment, incertaine. Son regard glissa une seconde vers Elias, troublé, avant de se détourner rapidement.
— Ce n’est rien. Il y a beaucoup de nouveaux visages ici. J’essaie encore de m’y faire.
Elias ouvrit la bouche, prêt à ajouter quelque chose, puis se ravisa. Sa main glissa nerveusement dans sa nuque — un tic inconscient — révélant une longue cicatrice blanche courant de son oreille à sa clavicule. Ancienne, irrégulière, le genre qu’on gagne sur un champ de bataille, pas lors d’un duel d’entraînement.
— Vous venez de Salem, n’est-ce pas ? finit-il par dire maladroitement.
— Pas vraiment. J’y ai fait mes études, oui, mais j’ai grandi au Canada, répondit-elle doucement. Puis j’ai vécu à New York.
— Vous avez l’accent… parfois. Pas toujours. C’est… intéressant.
Ron éclata de rire.
— Par Merlin, t’es rouillé, mon vieux ! C’est ta nouvelle technique de conversation? “Bonjour, vous avez un accent intéressant” ? Tu veux pas lui parler de la météo magique pendant qu’on y est ?
— C’est pas ce que je voulais dire, protesta Elias, légèrement gêné. Je…
— Il est comme ça avec tout le monde, t’en fais pas, intervint Alice. Enfin… sauf avec moi. Il a juré à mon père d’essayer d’être un minimum sociable en public.
Elias esquissa un sourire discret.
— C’était un serment fait sous alcool et sous le choc, précisa-t-il.
Harry s’était rapproché, les bras croisés derrière le dos. Son ton calme mais ferme coupa court à la scène.
— Je crois qu’on en a assez fait pour aujourd’hui. Prenez le temps de revoir les dossiers en profondeur, et reposez-vous. Je crains que cette enquête ne soit un marathon et non une course. On aura besoin de vos esprits clairs demain.
Il se tourna vers Camille.
— Demain, vous serez au laboratoire avec Liam, Vera et Alrik — ils partent à Sainte-Mangouste maintenant. Vous ferez ensemble un point sur l’état des patients.
Puis il désigna Elias d’un signe de tête.
— Elias sera avec vous. Il a reçu de nouvelles informations de terrain concernant une victime non identifiée à Nottingham. On pense qu’elle a été exposée à une variante inédite de la potion.
— Je transmettrai ce que j’ai d’ici ce soir, répondit Elias d’une voix plus basse. Il faudra agir vite.
Camille acquiesça.
— Merci, monsieur Prewett.
Un léger sourire, à peine perceptible, effleura ses lèvres. De l’intérieur, il sentit pourtant cette tension se fissurer un instant — un infime relâchement, comme si un souffle d’air tiède passait dans une pièce trop longtemps close. Ce sourire n’était pas vraiment pour elle, ni même pour lui : c’était un réflexe de reconnaissance confuse, une façon de dire sans mots qu’il s’excusait d’avoir troublé quelqu’un qui, sans le savoir, venait de faire remonter un fantôme du passé. Sous le calme apparent, son cœur cognait encore fort, et il se força à respirer plus lentement pour ne pas laisser paraître le tumulte qui grondait derrière ses yeux.
— Elias, corrigea-t-il. Juste Elias.
Puis il recula d’un pas, comme s’il craignait de rester là une seconde de trop.
Harry échangea un regard avec Ron, puis avec Alice. Il affichait un air d'incompréhension mais le connaissant, il allait trouver des réponses à ses questions.
Chapter 5: Premières suspicions
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Le bureau des Aurors baignait dans une lumière grise quand Ron rattrapa Elias, un dossier sous le bras et l’air à la fois curieux et inquiet. Il le mena un peu à l’écart, dans un coin isolé du couloir, pour une discussion plus privée, loin des oreilles qui traînaient.
— Bon, vieux, tu vas me dire ce qu’il se passe ? lança-t-il. Depuis la réunion, t’as cette tête de type qui vient de croiser un Détraqueur dans le couloir. Et puis, t’as regardé la nouvelle comme si tu venais de voir un fantôme.
Elias ne répondit pas tout de suite. Il serra la mâchoire, ses doigts pianotant distraitement sur le dossier qu’il tenait. Une hésitation le traversa : devait-il révéler la vérité à son cousin ? Était-ce seulement une bonne idée, avec tout ce que cela risquait de rouvrir ?
— Ce n’est rien, Ron. Juste une impression.
— Une impression ? T’es sérieux ? J'ai perçu ton trouble et même Harry l'a remarqué. Qu’est-ce qu’elle t’a fait, cette fille ?
Elias esquissa un sourire bref, presque ironique. — Rien de particulier, si ce n’est qu’elle semble... différente. Intelligente, méthodique, polie, et plutôt courageuse d’après ce que j’ai vu. Et puis, ajouta-t-il avec un soupir mi-sérieux mi-amusé, elle a ce regard franc qui ferait presque croire qu’il reste encore des gens honnêtes au ministère.
Ron leva un sourcil, un sourire en coin. — Ah, donc tu la trouves brillante, consciencieuse et moralement irréprochable ? Tu veux que je t’apporte un parchemin pour écrire sa recommandation aussi ?
Elias soupira, son regard se perdant dans le vide.
— Non, Ron. La verité c'est qu'elle m’a rappelé quelqu’un... Et plus je la regarde, plus je me demande si ce que je vois est une simple ressemblance ou quelque chose de bien plus profond.
Ron fronça les sourcils, mais cette fois, il ne put s’empêcher d’insister, son ton à la fois maladroit et sincère.
— Dis-moi au moins de qui il s’agit, Elias. Si c’est quelqu’un d’important pour toi, je veux comprendre et t’aider.
Elias détourna le regard, sa mâchoire se contractant. Le silence pesa quelques secondes avant qu’il ne souffle simplement :
— Emily, murmura-t-il, à peine audible.
Ron resta interdit une seconde, le souffle coupé. Son visage perdit un peu de sa couleur, et il leva les yeux vers Elias sans un mot, avant de souffler d’une voix basse : — Emily… et tu penses qu'elles sont liées d'une manière ou d'une autre?
Elias prit une inspiration lente avant de répondre, sa voix rauque à peine plus forte qu’un souffle : — C’est idiot, souffla-t-il avec une pointe d’amertume. Ma première réflexion a été de penser qu’il pourrait s’agir du bébé d’Emily porté disparu.
Ron eut un bref sursaut, la bouche entrouverte.
— Ton bébé ?
Elias haussa légèrement les épaules, un sourire sans joie traversant ses lèvres.
— Ou peut-être la fille d’Alexander. Ou une parente éloignée. Ou simplement une coïncidence… je n’en sais rien. Mais cette ressemblance, Ron… elle m’a frappé en plein cœur.
Ron acquiesça. Il posa brièvement une main sur l’épaule de son cousin, un geste muet de soutien, puis ajouta d’une voix plus ferme :
— Dans ce cas, nous devons en avoir le cœur net.
Il posa brièvement une main sur l’épaule de son cousin, un geste muet de soutien, puis ils marchèrent côte à côte jusqu’au bureau d’Harry.
Quand ils arrivèrent, Harry releva immédiatement la tête de ses notes, son regard passant de Ron à Elias avec une acuité familière. Il avait remarqué le comportement étrange d’Elias lors de la réunion et, sentant que quelque chose couvait, il leur offrit toute son attention. Elias posa alors calmement la demande.
— J’aimerais consulter le dossier de Camille Dufresne. Simple vérification.
Harry l’observa un moment, avant de hocher lentement la tête. Un mouvement de baguette fit apparaître le dossier sur la table. Les feuillets flottaient entre eux, parfaitement ordonnés : formation à Salem, dossiers excellents, antécédents familiaux inconnus, affectation provisoire au département de la recherche magique. Rien de suspect, rien de notable. Et pourtant, quelque chose clochait.
— Trop parfait, murmura Elias. C’est presque trop propre.
Harry croisa les bras. — Tu cherches un problème qui n’existe peut-être pas.
— Ou un qu’on a trop bien caché, répondit Elias d’un ton neutre.
Ron esquissa un léger sourire, plus complice que moqueur, et tapota l’avant-bras de son cousin. — Viens, on en reparlera plus tard, murmura-t-il. Harry n’aime pas attendre, et j’aimerais éviter qu’il nous fasse un de ses discours sur la ponctualité des Aurors.
Ils rejoignirent le département de la Recherche magique, où Camille, Alice et Liam discutaient autour d’une table encombrée de fioles et de parchemins. L’odeur âcre des potions se mêlait à celle du thé chaud. Elias resta un instant en retrait, observant.
Elias observa la scène d’un œil attentif. Le calme feutré du département de la recherche contrastait violemment avec l’agitation intérieure qu’il sentait monter en lui. La vapeur du thé emplissait l’air d’une odeur apaisante, presque domestique, mais il ne parvenait pas à s’en détacher. Son regard glissa vers Camille, concentrée, penchée sur les rapports comme si le monde extérieur n’existait plus.
Il écouta sa voix posée, claire, lorsqu’elle évoqua les potions, leur nature expérimentale, leur danger. Chaque mot résonnait avec une précision chirurgicale, et Elias sentit un frisson lui parcourir la nuque — ce ton calme, cette rigueur, cette intelligence prudente. Tout, jusqu’à sa manière d’articuler, lui rappelait Emily.
Son esprit vacilla un instant entre présent et souvenir : Emily, debout dans une salle de briefing semblable, un parchemin à la main, la même lueur dans les yeux lorsqu’elle expliquait une théorie. La même façon de froncer les sourcils lorsqu’une idée germait. Elias sentit sa gorge se serrer, son cœur battre plus fort sous la chemise. Il détourna les yeux, se forçant à respirer lentement.
Pourtant, chaque geste de Camille réveillait quelque chose en lui. L’écho d’un passé qu’il croyait éteint, une brûlure qu’il n’avait jamais complètement apaisée. Il se força à se concentrer sur les mots, sur le dossier, sur les faits. Mais son regard revenait toujours vers elle, malgré lui.
Quand elle mentionna la manipulation de l’esprit, il sentit sa main se crisper sur le bord de la table. Il connaissait trop bien les effets de ces pratiques. Le souvenir d’un interrogatoire magique, des cris, du sang, lui traversa l’esprit avant qu’il ne le repousse brutalement. Il ferma les yeux une seconde, les rouvrit avec une froide maîtrise. Rien ne devait paraître. Rien.
Il nota machinalement quelques mots, se raccrochant à l’analyse. Camille parlait avec assurance, Liam posait des questions, Alice notait. L’équilibre du groupe semblait naturel, presque familier. Et lui, dans ce décor, se sentait comme une ombre.
Lorsqu’une enveloppe apparut soudain sur la table, il vit le léger sursaut de Camille. Son regard changea, passant de la concentration à un trouble profond. Elias sentit une tension immédiate dans son propre ventre, une alerte instinctive : quelque chose dans cette lettre l’atteignait personnellement. Il ne savait pas quoi, ni pourquoi, mais il le sentit — comme un champ magique résonnant. Un instinct protecteur monta en lui, irrépressible : il ne comprenait pas encore d’où venait cette impulsion, mais il savait qu’il ne laisserait rien ni personne la mettre en danger. Elle était manifestement essentielle à l’enquête, déjà en train de faire avancer des pistes que d’autres n’avaient pas vues, et malgré ses doutes sur son identité, il ressentait confusément qu’il devait veiller sur elle. Il observa sans un mot, prêt à intervenir si nécessaire, mais conscient que, cette fois, ce n’était pas à lui d’agir.
Il resta immobile, observant la scène avec une distance maîtrisée. Le silence s’installa, ponctué seulement par le froissement du papier et le sifflement discret du thé. Elias voyait Camille lutter pour garder contenance, sentait la tension dans sa respiration. Il reconnut dans ce calme forcé le même mécanisme qu’il avait appris lui-même : contenir, dissimuler, continuer malgré le tumulte intérieur.
Alice posa doucement une main sur l’épaule de Camille, et Elias sentit son cœur se serrer. Ce simple geste déclencha chez lui une vague d’émotion contradictoire : compassion, inquiétude, et cette étrange certitude qu’il devait la protéger. Il aurait voulu lui dire qu’il comprenait, qu’il voyait la lutte qu’elle menait pour ne pas flancher.
Mais Camille reprit contenance avant même qu’il ne songe à parler. Elle s’éclaircit la voix, recentra la discussion sur les potions, et Elias la regarda reprendre le contrôle comme une professionnelle aguerrie. Il resta silencieux, notant chaque mot, fasciné malgré lui par cette force tranquille.
Lorsqu’elle développa son hypothèse sur les ingrédients instables, il la suivit attentivement. Ses raisonnements étaient justes, précis, d’une rigueur rare. Elias, à mesure qu’elle parlait, sentit ses soupçons se mêler d’un respect sincère : cette jeune femme, quel que soit son passé, était indispensable à l’équipe. Et plus elle avançait dans ses explications, plus il voyait en elle une alliée, pas une énigme à déchiffrer.
Le reste du groupe écoutait religieusement. Ron hocha parfois la tête, impressionné ; Alice prenait des notes frénétiques ; Liam observait Camille avec un mélange d’admiration et de concentration. Elias, lui, observait tout, attentif à la dynamique. Quand Camille termina, il se rendit compte qu’elle venait d’offrir à leur enquête une direction claire, solide.
Il se pencha légèrement vers Ron et murmura :
— Elle est brillante. Et dangereusement précieuse pour cette mission.
Ron esquissa un bref sourire complice avant de proposer une pause déjeuner. Elias n’y vit pas d’objection. Il avait besoin de recul, de temps pour digérer ce qu’il venait de comprendre : Camille Dufresne n’était pas qu’un mystère. Elle était peut-être la clé — et c'était le moment parfait pour commencer à enquêter discrètement sur elle, sous couvert d’un simple déjeuner d’équipe.
Chapter 6: L'instinct
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Elias avançait avec la précision tranquille d’un Auror aguerri à la sortie de l’entrée moldue du Ministère. Son allure semblait détendue, mais son esprit, lui, ne l’était pas. Chaque ombre, chaque passant, chaque bruit dans la ruelle éveillait sa vigilance. Des années sur le terrain lui avaient appris que le danger ne se signalait jamais : il rampait, silencieux et patient. Ron marchait quelques pas devant lui, scrutant la rue avec cette décontraction feinte propre aux Aurors lorsqu’ils prétendaient être à l’aise. Ensemble, ils formaient le cadre invisible du petit groupe.
Elias gardait Camille dans son champ de vision. Toujours. Sa manière de se tenir — alerte mais hésitante — trahissait sa nouveauté à Londres. Elle se déplaçait avec une grâce discrète, les yeux attirés partout, absorbant un monde qu’elle n’avait sûrement jusqu’alors connu que par les livres. Cette curiosité, presque révérencieuse, éveillait en lui quelque chose d’indéfinissable. Il ajusta sa foulée, juste assez pour la garder dans son angle de vue, comme par hasard.
Lorsqu’ils atteignirent la ruelle étroite, Elias croisa brièvement son regard. Elle soutint ses yeux avec la contenance de quelqu’un qui n’a pas besoin de protection, mais qui l’accepte par prudence. Quand elle déclara pouvoir gérer seule le transplanage, il acquiesça, mais sa main se crispa malgré lui sur sa baguette. Les réflexes avaient la vie dure. Il attendit une seconde de plus qu’il ne l’aurait dû après sa disparition, puis transplana à son tour dans un claquement sec.
Il atterrit près de l’entrée du Chaudron Baveur, les yeux déjà en mouvement avant même de respirer. Son regard trouva immédiatement Camille. Pas d’hésitation. Pas d’émotion inutile. Simple vérification : vivante, stable, indemne. Ce n’est qu’alors qu’il sentit la tension de ses épaules céder, à peine.
À l’intérieur, il laissa Ron guider le petit groupe jusqu’au mur de brique et au rythme familier de la paroi s’ouvrant sur le Chemin de Traverse. Même après tant d’années, Elias ne se lassait pas de ce son. Mais aujourd’hui, ce n’était pas la magie qui retenait son attention — c’était l’expression de Camille quand le passage s’ouvrit. Sa réaction fut infime, mais il la vit : l’émerveillement adoucissant ses traits, la curiosité élargissant son regard. Comme une enfant découvrant le monde.
Il nota la scène mentalement, avec méthode. Chaque détail. Il n’était pas là seulement en tant qu’escorte. Pas cette fois. Il avait un autre objectif, plus discret : l’observer. Apprendre ses gestes, ses silences, ses hésitations. Le MACUSA avait été étonnamment avare d’informations sur elle, et Elias détestait les zones d’ombre. Surtout quand elles prenaient la forme d’un mystère… et d’un charme tranquille.
Tandis qu’ils avançaient dans la lumière dorée de la rue, il se laissa légèrement distancer, observant son reflet dans les vitrines. La façon dont elle s’attardait devant les plumes dansantes, dont sa main effleurait presque le verre sans jamais le toucher. La magie la fascinait, oui — mais elle la respectait. Et cela, plus que tout, l’intriguait.
Lorsqu’ils atteignirent l’allée dissimulée menant à La Fleur de Feu, il laissa Ron passer le premier. À l’intérieur, la chaleur des lampes et l’odeur d’épices adoucirent les bords de sa vigilance, sans la dissoudre. Elias s’installa en face de Camille, à l’angle parfait pour l’observer sans en donner l’air.
Il la regarda parler avec une attention légère, presque joviale, comme s’il s’amusait à la découvrir. Il savait poser les questions sans en avoir l’air, avec cette aisance d’Auror qui transforme une conversation en enquête déguisée. Il ponctuait ses observations d’un sourire, d’un bref hochement de tête, ou d’un commentaire anodin qui semblait innocent — mais chaque mot était pesé. Sous couvert de sympathie, il guidait la discussion, sondait sans brusquer, notait les inflexions de sa voix, les hésitations qu’elle masquait mal. Les mouvements de ses mains, la précision de ses mots lorsqu’elle évoquait ses hivers d’enfance, son premier acte de magie, tout l’intéressait sincèrement. Il n’y avait dans sa voix aucune exagération. Rien que la vérité. Et cela, aussi, était révélateur.
Il laissa passer un court silence avant de reprendre, feignant la légèreté. Il s’intéressa à la lettre d’admission qu’elle avait reçue de Salem, posant des questions d’un ton amical, presque curieux : comment l’avait-elle reçue ? Avait-elle été surprise d’y être admise ? Sous ses airs détendus, il notait chaque réponse. Quand le nom de Mathieu revint pour la seconde fois depuis l’arrivée de Camille, il tiqua intérieurement, sans trahir son trouble. Il savait désormais que Mathieu Leclair enseignait à l’Académie de Salem, mais il trouvait étrange qu’il revienne si souvent dans la bouche d’une jeune femme qui ressemblait tant à Emily. Mathieu n’aurait pas dû être celui qui lui annonçait la vérité sur sa nature magique. Aux dernières nouvelles, il vivait avec Alexander dans un refuge pour animaux au Montana — bien trop loin pour qu’une visite dans l’Estrie entre dans le cadre de son travail, à moins d’un portoloin exceptionnel. Les autres enseignants résidaient pour la plupart sur la côte Est, ce qui rendait le transplanage bien plus plausible. À moins que, songea Elias, Alexander, le petit frère d'Emily, et Mathieu, son compagnon, soient retournés à Boston pour réhabiliter le domaine familial… Il n’en savait rien. Il n’avait plus eu de nouvelles depuis la naissance des jumeaux. Il avait dû choisir d’arrêter de chercher, de cesser d’enquêter, faute de pistes solides et au risque d'être plus présent dans les restes fumants du passé plutôt que dans la vie de ses enfants.
Son regard s’assombrit à peine, avant qu’il ne rebondisse sur un autre sujet — l’école, la formation, les traditions de Salem. Il l’encouragea à parler de ses années d’étude, guidant la conversation jusqu’à l’évocation des cercles.
— Et toi, Camille, dans quel cercle étais-tu ? demanda-t-il d’un ton faussement distrait, les doigts posés contre son verre.
Emily appartenait au cercle du Nœud — une magie plus secrète, complexe, liée aux connexions invisibles entre les êtres et les choses. Elias s’était attendu à ce que Camille partage ce même ancrage, cette même empreinte subtile. Mais non. Le Flux. Une magie mouvante, fluide, apaisante. Cela le troubla plus qu’il ne voulait l’admettre.
Son cœur se serra un instant, souvenir fugace d’une époque lointaine, d’un rire et d’une promesse qu’il croyait oubliés. Emily lui en avait tant parlé de Salem, de cette école bâtie sur les cendres des sorcières de 1692, et de la lignée qu’elle revendiquait — une ancêtre brûlée vive pour avoir refusé de renier sa magie. Cette filiation avait toujours fasciné Elias, et maintenant, face à Camille, cette histoire semblait ressurgir sous une forme inattendue. Il écoutait la justification de la jeune femme avec un intérêt réel, presque personnel.
Au dessert, Elias en savait déjà beaucoup : elle était prudente sans être méfiante, brillante sans se mettre en avant, curieuse mais toujours mesurée. Mais plus encore, il percevait les traces d’une enfance façonnée par le manque — la solitude, les silences, la débrouillardise apprise trop tôt. Ses gestes trahissaient une discipline née de la nécessité plutôt que de la confiance ; ses mots, une pudeur émotionnelle forgée par les années à se protéger seule.
Sous sa retenue polie, il distinguait une sensibilité presque fébrile, une douceur à la fois farouche et contenue, comme une flamme qu’on a appris à dissimuler pour survivre. Elias se dit qu’elle avait dû grandir en observant plus qu’en parlant, en analysant les autres pour trouver sa place sans jamais trop occuper l’espace. C’était une gentillesse rare, non pas celle apprise dans la sécurité, mais celle née de la douleur. Et quelque chose en elle demeurait… inachevé.
Quand ils se levèrent pour partir, il attendit qu’elle passe devant. Par politesse, oui, mais aussi par stratégie. Observer comment une personne se déplace quand elle croit la scène terminée en dit plus long que bien des interrogatoires.
Oui. Cette mission venait de lui offrir une variable inattendue : Camille Dufresne. Et Elias Prewett avait bien l’intention de la comprendre jusqu’au bout — quoi qu’il lui en coûte.
Chapter 7: Les silences d'un auror
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Elias ne prit pas la direction de Sainte-Mangouste malgré ce qu'il avait annoncé à l'équipe en les quittant. En sortant de l’ascenseur, il bifurqua vers l’aile des Aurors, ses pas résonnant faiblement sur le marbre du couloir. Il n’avait pas besoin d’y réfléchir : son corps connaissait le chemin jusqu’au bureau d’Harry comme un vieux réflexe, gravé par les années.
Le bureau de Potter était éclairé d’une lumière chaude, tamisée, qui contrastait avec la froideur administrative du reste du Ministère. Des piles de dossiers s’étalaient sur son bureau, entrecoupées de tasses de thé à moitié pleines et de parchemins griffonnés. Harry leva la tête dès qu’il entra, un demi-sourire au coin des lèvres.
— Je me doutais que tu passerais, dit-il simplement. Assieds-toi.
Elias s’exécuta sans un mot, son manteau de cuir craquant légèrement lorsqu’il s’installa.
— Alors ? demanda Harry. Qu’as-tu retenu de l'étude du dossier faite par l'équipe ce matin ?
Elias inspira lentement, cherchant ses mots.
— Ils ont avancé. Les effets des potions deviennent de plus en plus clairs. Camille a fait une observation qui semble juste : ces mélanges sont expérimentaux, visiblement calibrés pour manipuler l’esprit avant de devenir instables. Ils pensent que c’est un prototype de contrôle mental qui a mal tourné.
Harry hocha la tête, son expression se durcissant.
— Et tu penses qu’ils ont raison ?
— Oui, répondit Elias sans hésiter. Elle a une logique impeccable. Elle observe avant de conclure. C’est rare, même ici.
— Et elle t’intrigue.
Le ton était neutre, mais Elias sentit la pointe de clairvoyance derrière la phrase. Il soutint le regard de son supérieur sans détour.
— Tu veux savoir si j’ai commencé à enquêter sur elle, c’est ça ?
Harry esquissa un sourire en coin.
— Je n’ai pas besoin de le demander. Je sais très bien que rien ne t’en empêcherait.
Elias ne nia pas. Il se contenta d’un mince mouvement de tête.
— Disons que je m’informe.
— Et ?
— Rien de concret, encore. Juste… des détails qui ne collent pas. Une impression de déjà-vu. Son dossier du MACUSA est propre, trop propre. Pas une seule note de formation ou de comportement atypique, alors qu’elle a dirigé des recherches sur la lycanthropie à vingt-deux ans. C’est un profil brillant, mais sans aspérités.
Harry l’observa un instant, pensif.
— Et tu penses qu’elle ment ?
— Non, répondit Elias après un silence. Pas consciemment. Mais il y a quelque chose. Une pièce manquante.
Harry hocha lentement la tête, l’air de peser chaque mot.
— Tu veux creuser.
Elias eut un bref sourire, sans humour.
— Tu me connais.
— Trop bien, oui.
Un silence s’installa, ponctué seulement par le tic-tac discret d’une horloge enchantée. Puis Harry reprit, plus doux :
— Fais attention, Elias. Je sais que tu fonctionnes à l’instinct, mais cette affaire… et cette jeune femme… ne réveille pas de vieux fantômes, d’accord ?
Elias baissa brièvement les yeux vers ses gants, les doigts crispés contre le cuir.
— C’est déjà trop tard pour ça.
Harry soupira, se passant une main sur le visage avant de se lever pour attraper un dossier.
— Tu devrais prendre quelques jours. Tu le dis toi-même chaque année, et chaque année, j’en viens à te forcer à partir.
Cette fois, Elias releva les yeux, un éclat ironique au fond du regard.
— Pas besoin de me forcer cette fois. Je comptais justement en prendre, même si partir en pleine enquête me laisse un nœud à l’estomac.
Il savait qu’il n’était pas homme à s’éloigner d’un dossier non résolu, mais il tenta de masquer son hésitation derrière une pointe de dérision.
— Volontairement ? répéta Harry, mi-sceptique, mi-amusé.
— Volontairement, confirma Elias.
Harry arqua un sourcil, mais son ton n’avait rien d’accusateur.
— Des vacances, donc ? Ne t’en fais pas pour l’enquête, Ron et moi assurerons la transmission avec les chercheurs le temps de ton absence. Ron gardera un œil sur Camille, et de toute façon, ils commencent les tests demain. Ces choses peuvent prendre des semaines avant de produire des effets. Tu peux aisément t’accorder une semaine, Elias… et je crois que tu en as besoin. Ne crois pas que je n’aie pas remarqué ton niveau d’épuisement. Les flashbacks sont revenus, n’est-ce pas ?
La première partie des paroles d’Harry l'avait apaisé un instant — savoir que tout continuerait sans lui, que Ron veillerait sur Camille, le rassurait. Il avait confiance en son cousin Ron. Mais à la mention des flashbacks, il se referma aussitôt, les mâchoires serrées.
— Appelle ça comme tu veux, répondit-il, d’une voix plus sèche qu’il ne l’aurait voulu.
Harry croisa les bras, son expression oscillant entre l’ami de longue date inquiet, et le supérieur hiérarchique.
— Elias, tu sais que je te parle en ami, mais aussi comme ton responsable : tu ne peux pas continuer à ignorer ce que ces souvenirs te font. Tu es un atout trop précieux pour que je te laisse t’épuiser ainsi. Prends ces jours, et promets-moi de ne pas replonger dans le travail mais de te concentrer sur toi. A ton retour, je voudrais que tu ailles consulter un psychomage à Sainte-Mangouste. Prends le temps d'y penser.
Elias inspira profondément, son regard se détournant vers la fenêtre. Ses épaules se raidirent légèrement, et un muscle tressaillit dans sa mâchoire. Les paroles d’Harry touchaient juste — trop juste. Il sentit une vague d’irritation mêlée à de la honte remonter en lui, une brûlure familière qu’il s’efforça d’étouffer. Il haïssait qu’on évoque sa faiblesse, qu’on mette des mots sur ce qu’il préférait taire. Ses doigts effleurèrent machinalement la cicatrice à son poignet, vestige d’une ancienne mission, avant qu’il ne se redresse pour reprendre contenance.
Il se leva, rajusta sa veste, et conclut d’un ton calme :
— Je ne retravaillerai pas sur l'enquête pendant mes jours de repos. Mais avant cela, il me faut deux jours pour m’organiser au bureau et obtenir un portoloin. Je ne serai pas officiellement en vacances avant. Mais je te promets une chose : je saurai bientôt qui elle est vraiment. Pour le psychomage, j'y réfléchirai. En attendant, il semblerait que je vais aller passer quelques jours en Amérique.
Harry resta un instant silencieux, pensif, avant de lever les yeux vers Elias.
— Comment vas-tu expliquer tout ça à Selene et aux jumeaux ? demanda-t-il finalement, d’une voix plus douce. Tu sais qu’ils ne comprendront pas si tu disparais, même pendant un temps.
Elias marqua une pause, le regard un peu vide, puis esquissa un sourire las.
— J’improviserai, répondit-il simplement, avant de tourner les talons.
Harry ne répondit rien de plus. Il se contenta de le regarder s’éloigner. Son ombre glissait sur le sol poli du bureau.
Et dans le silence revenu, une seule pensée s’imposa à Elias : il n’était plus question d’une simple enquête. Quelque chose, dans le regard de Camille Dufresne, venait de rallumer une quête qu’il croyait éteinte depuis longtemps.
De retour à son bureau, Elias se plongea dans la paperasse monumentale qui l’attendait, décidé à se mettre à jour avant son départ. Les heures défilèrent, avalées par les rapports à signer, les formulaires à transmettre et les notes d’enquête à relire. Lorsqu’il quitta enfin le Ministère, la nuit était tombée depuis longtemps.
Chez lui, l’accueil familier du foyer lui parut étrangement lourd. Selene l’attendait, un livre à la main, les jumeaux déjà dans leurs chambres. Elias répondit à son sourire, sans parvenir à le soutenir bien longtemps. Ce soir-là, tandis qu’il observait le feu danser dans l’âtre, une pensée le serra à la gorge : si Camille était bien sa fille, elle n'était jamais vraiment rentrée à la maison. Elle avait grandi sans personne de stable dans sa vie, sans personne pour se soucier vraiment d’elle. Et, si elle était bien son enfant, c’était de sa faute.
Les souvenirs le frappèrent comme une lame. Après sa délivrance, il avait passé deux jours à Sainte-Mangouste, à peine vivant. Son corps n’était plus qu’une carcasse marquée par les tortures, son esprit un champ de ruines. Dès que son entourage avait détourné le regard, il s’était enfui, incapable de supporter le silence des couloirs et la pitié des soignants. Il venait de perdre Hugo, son frère de cœur, celui qui avait partagé chaque mission, chaque rire, chaque cicatrice. Cette perte l’avait vidé de toute ancre, et la douleur se mêlait à la stupeur glaciale d’un monde amputé de sa moitié.
C’est alors qu’il apprit qu’Emily, repartie aux États-Unis avant sa capture qui avait duré plusieurs mois, avait tenté de le contacter pour lui annoncer sa grossesse. Le choc l’avait foudroyé. Pendant un instant, il n’avait plus su combien de temps il avait été retenu — des semaines, des mois ? — et l’idée qu’elle ait vécu cette attente seule, enceinte, persuadée qu’il l’avait abandonnée, lui broyait le cœur. Emily avait dû affronter sa grossesse sans soutien, sans promesse, sans lui.
Il s’était juré de la rejoindre, coûte que coûte, convaincu qu’il n’était pas trop tard pour réparer. Mais quand il était enfin arrivé au manoir Night, tout n’était plus que ruines et cendres. Le domaine avait été ravagé, la magie brûlée jusque dans la pierre, et l’odeur du sang et de la suie emplissait encore l’air. Seul Alexander avait survécu, et il était lui-même entre la vie et la mort. En voyant les armoiries détruites et les corps d’Emily, de sa soeur aînée Olivia, ainsi que de sa mère Elena et de son père Dorian parmi les décombres, Elias avait senti son monde s’effondrer pour de bon : il avait perdu à la fois son amour, son avenir, et l’enfant qu’il n’avait jamais tenu dans ses bras, car aucune trace du bébé Night.
Cette dévastation portait la marque d’une seule personne : la femme d’un Mangemort qu’ils avaient arrêtée avec Hugo et Emily quelques mois plus tôt. À l’époque, elle avait juré n’avoir rien su des affaires de son mari, feignant la détresse et la naïveté. En réalité, elle s’était révélée bien pire que lui. C’était elle qui avait organisé la capture d’Elias, rassemblant autour d’elle les partisans les plus cruels de la magie noire, et il l’avait compris au moment où ses hommes l’avaient enchaîné.
Cette même femme, animée d’une haine féroce, avait ensuite ordonné l’attaque du manoir Night. Le carnage qu’Elias découvrit en arrivant n’était que le résultat de sa vengeance méthodique. Heureusement, elle fut arrêtée peu après et jetée à Azkaban, où elle mourut à son tour un an plus tard.
Elias avait tout donné pour retrouver son enfant perdu, à défaut d'avoir pu sauver la femme qu'il aimait. Il refusait de croire qu’elle était morte, car oui, les aurors américains lui apprirent qu'il s'agissait d'une petite fille. Il avait cherché, fouillé, interrogé, usé jusqu’à la corde chaque piste possible. Il avait cependant à un moment dû se résoudre à rentrer en Angleterre pour quelques temps car Alice et sa mère avaient besoin de lui et il avait promis à Hugo d'être là pour elles si jamais il lui arrivait quelque chose.
C’est là qu’il avait recroisé Selene, une ancienne camarade de Poudlard, trois ans plus jeune que lui. Elle avait tendu la main, d’abord en amie, puis en soutien. Il s’était laissé porter. Elle était tombée enceinte deux ans après les morts d’Hugo et d’Emily. Il l’estimait, la respectait même, mais ne l’aimait pas. Pourtant, il avait choisi la voie la plus juste : l’épouser, offrir une famille à ses enfants, tout en continuant à traquer l’ombre de son passé dès qu’une piste ou une idée même vague ou complètement alambiquée resurgissaient.
Mais lorsque les jumeaux étaient nés, il avait dû renoncer. Cela lui avait brisé le cœur : sa fille aurait eu trois ans. Les ressources du MACUSA s’étaient taries, les pistes s’étaient épuisées. On avait conclu que le bébé Night était mort. Ce jour-là, quelque chose s’était éteint en lui.
L’enquête sur l’assassinat des Night et la disparition du bébé d’Emily avait fait les choux gras de la presse américaine pendant des mois. Toute l’Amérique magique en parlait : la chute d’une famille aussi respectée que les Night avait bouleversé l’opinion publique. Dorian Night, juge à la Cour suprême américaine, incarnait l’intégrité et la justice ; sa femme, Elena, était une chercheuse renommée en magie élémentaire ; Emily, une Auror décorée, admirée pour son courage ; et Olivia, qui devait se marier quelques semaines plus tard. Leur nom évoquait une lignée ancienne, noble et droite, dont les valeurs avaient marqué la société magique américaine. Les journaux avaient titré sur la tragédie, les théoriciens du complot s’étaient déchaînés, et les autorités avaient été forcées de livrer des rapports quotidiens. Mais malgré toute la lumière braquée sur l’affaire, la vérité était demeurée obscure : le bébé n’avait jamais été retrouvé.
A mesure qu’il observait ses enfants grandir, il s’était efforcé de leur donner ce qu’il n’avait pas su offrir à sa fille disparue : une présence constante, un père attentif, toujours là, dans les bons comme les mauvais jours. Il s’était promis de les protéger coûte que coûte, de ne jamais faillir encore une fois. En les élevant aux côtés de Selene, il avait développé pour elle une affection sincère, d’abord discrète, puis profonde. Ce n’était pas la passion dévorante qu’il avait connue avec Emily, mais un amour doux, apaisant, qu’il n’aurait jamais cru pouvoir ressentir à nouveau. Elle, de son côté, avait su voir la douleur qu’il portait encore et l’avait doucement convaincu de consulter un psychomage, pour son propre bien et pour celui de leurs enfants. Il avait fini par accepter, comprenant qu’il leur devait au moins cela : un père plus présent, plus apaisé, et un homme qui apprenait enfin à recoller les morceaux.
Et maintenant, cette idée l’étouffait : si son abandon pour sauver ce qu’il lui restait avait condamné son propre enfant à grandir seule, sans amour ni protection, alors il n’était pas seulement un homme meurtri — il était un père défaillant.
Une boule d’angoisse remonta dans sa gorge. Il ferma les yeux, inspira lentement et tenta de se raisonner. Il devait fonctionner par étapes, ne pas se laisser submerger ni s’autoriser de faux espoirs. Camille n’avait peut-être rien à voir avec tout cela. Il s’en remettrait à l’enquête, à la rigueur de son propre travail. C’est seulement en suivant les faits qu’il saurait s’ils étaient liés… ou s’il se fourvoyait complètement.
Ce soir-là, après avoir tenté de chasser ces pensées, il rejoignit Selene dans le salon. Elle leva les yeux de son livre, souriante, mais son expression changea lorsqu’il lui annonça que dans deux jours, il devait repartir en mission quelques jours.
— Encore ? soupira-t-elle. Elias, tu viens à peine de rentrer…
— Je sais, répondit-il d’une voix douce. C’est une enquête importante, mais je te promets que ce n’est que pour quelques jours. Ensuite, j’aurai droit à plusieurs jours de congé. Je veux les passer avec toi, avec eux.
Mais, tandis qu’il prononçait ces mots, une pointe de culpabilité le traversa. C’était bel et bien une enquête, mais aussi une affaire profondément personnelle. Il détestait lui mentir — surtout à elle. Il savait que s’il lui disait qu’il partait en Amérique, Selene penserait aussitôt à Emily, à la famille Night, à cet enfant disparu. Et alors, elle s’inquiéterait pour lui, ravivant toutes les peurs qu’elle avait mises des années à apaiser. Alors, il se tut, préférant porter seul le poids de cette vérité, au moins jusqu’à ce qu’il soit sûr de ce qu’il allait y trouver.
Elle resta silencieuse un moment, le jaugeant du regard, avant de hocher la tête, résignée. Elias posa une main sur la sienne, et un mince sourire traversa son visage fatigué.
— Cette fois, je te le jure, dit-il simplement. Quand je reviendrai, je ne serai plus seulement un Auror en mission. Je serai là — pour de bon.
Et, pour la première fois depuis longtemps, il sentit qu’il le pensait vraiment. Une certitude viscérale, née de ses tripes, lui soufflait qu’il suivait la bonne voie — que cette fois, il devait écouter son instinct, celui qui ne l’avait jamais trompé.
Chapter 8: L'écho de la déflagration
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Elias se réveilla tôt, comme à son habitude. La maison baignait dans une lumière pâle, et le parfum du café préparé par Selene emplissait l’air d’une douceur familière. Il descendit les marches en silence, s’arrêtant un instant sur le seuil du salon.
Selene lisait déjà, ses lunettes posées sur le bout de son nez, une mèche échappée de son chignon. Devant elle, deux tasses fumaient sur la table basse. Les rires étouffés des jumeaux montaient de la cuisine. À dix-neuf ans, ils étaient tout sauf des enfants, mais leur complicité bruyante avait quelque chose de rassurant. Ils étaient en train de se chamailler pour la dernière part de tarte laissée la veille.
Elias resta un instant à les observer, un sourire discret étirant ses lèvres. Ces moments simples, presque ordinaires, lui rappelaient pourquoi il s’accrochait — pourquoi il se battait encore, malgré tout.
— Tu comptes rester planté là longtemps ? lança Selene sans lever les yeux de son livre.
Il eut un léger rire. — Juste assez pour profiter de la vue.
Elle referma son ouvrage et leva vers lui un regard à la fois tendre et amusé.
— Tu as l’air plus calme ce matin.
— Je le suis, répondit-il. Enfin… je crois.
Ils partagèrent un petit-déjeuner paisible. Les jumeaux, entre deux bouchées, parlaient de leurs projets : Henry de la coordination des tournois de Quidditch et la régulation des paris illégaux, et Ariane des séances de dédicaces et des découvertes de vieux grimoires fascinants. Elias écoutait en silence, notant chaque détail avec cette fierté tranquille qu’il n’avouait jamais. Quand ils quittèrent la table, Selene posa une main sur son bras.
— Tu as encore beaucoup de travail ?
— Un peu, admit-il. Mais après aujourd’hui, tout sera prêt. Je pourrai souffler un peu et me concentrer sur la mission.
Elle lui sourit doucement.
— Promets-moi juste d’être prudent.
— Toujours.
Il l’embrassa avant de partir. La matinée s’annonçait ordinaire — du moins, en apparence. Une fois arrivé au Ministère, Elias se laissa happer par la mécanique rassurante de la paperasse : des rapports à valider, des notes à transmettre, des dossiers à classer. Peu à peu, la routine étouffa le tumulte de ses pensées. Lorsqu’il signa le dernier document, il eut la satisfaction rare d’un homme en ordre avant une tempête.
C’est alors qu’on frappa à sa porte.
— Entrez.
La haute silhouette d’Alrik apparut, le teint pâle, les yeux sombres de gravité.
— Elias… on a un problème. Une des victimes a rechuté. Celle de la salle trois.
Elias redressa la tête, son stylo suspendu.
— Après trois semaines de stabilisation ?
— Oui. Et sans raison apparente. Les symptômes sont revenus d’un coup — agitation, désorientation, et la même instabilité magique qu’au départ. On a dû renforcer les sortilèges de contention.
Elias inspira profondément.
— Rejoignez le département de la Recherche, il nous faut avancer donc adapter la stratégie. Dites leur que j'arrive, je dois passer à Sainte-Mangouste avant.
Il suivit le chemin vers la sortie, son pas rapide trahissant sa tension. Dans sa tête, les mots de Camille résonnaient encore — son intuition sur une instabilité volontaire du sérum expérimental. Et si elle avait eu raison ?
Lorsqu’il arriva en transplanant à Sainte-Mangouste, il sentit ce frisson qu’il connaissait trop bien : l’avant-goût du désastre. La victime, maintenue par des sorts invisibles, tremblait de tout son corps, sa magie crépitant comme une flamme prête à jaillir hors de tout contrôle. Elias observa en silence, puis posa une main sur l’épaule du médicomage qui l'avait accompagné.
— Gardez-le sous surveillance. Je veux les derniers relevés dans l’heure.
Il quitta la pièce d’un pas vif et transplana au Ministère. En approchant du département de Recherche, une étrange tension vibrait dans l’air. Des voix s’élevaient derrière la porte du laboratoire de potions quand il s'en approcha — des éclats de conversation, une agitation palpable. Elias accéléra.
Puis, sans prévenir, tout explosa.
Un souffle d’une puissance terrifiante fit trembler le sol. L’explosion le projeta contre un mur, le souffle coupé. Une lumière blanche et noire envahit le couloir, suivie d’un fracas assourdissant. L’odeur métallique de la magie brûlée emplit l’air.
— Par Merlin…
Elias se redressa aussitôt et fonça vers la source de l’explosion. Le laboratoire n’était plus qu’un champ de ruines : fioles brisées, étagères effondrées, fumée noire. Les alarmes magiques hurlaient. Il se fraya un chemin parmi les débris, baguette haute.
Et son cœur se serra.
Camille gisait au sol, le bras tordu sous un angle impossible, du sang coulant de sa tempe. La voir ainsi, brisée, lui coupa littéralement le souffle. Pendant une fraction de seconde, la scène se superposa à une autre – les décombres du manoir Night, le corps sans vie d’Emily qu’il avait autrefois retrouvé, la même immobilité tragique, la même lumière crue sur la peau pâle. Un goût de fer envahit sa bouche, la panique montant dans sa gorge. Il eut l’impression d’être à nouveau cet homme effondré, cherchant désespérément un souffle de vie là où il n’y en avait plus. À quelques mètres, Liam était également étendu, immobile, près du chaudron pulvérisé.
Elias se précipita vers eux. — Medicus Protego ! cria-t-il. Une bulle de protection translucide se forma autour de Camille et de Liam, chassant la fumée et les éclats de verre. Il s’agenouilla, cherchant le souffle de la jeune femme. Faible. Trop faible. Puis, la gorge nouée, il se tourna vers Liam. Son cœur se glaça en découvrant la mare de sang autour de son torse. Il vérifia d’une main tremblante : un souffle, ténu, mais bien là. Sans perdre une seconde, il fit apparaître un Patronus argenté en forme de loup et le projeta à Sainte-Mangouste, annonçant deux blessés graves mais en vie au Ministère — l’un présentant une fracture ouverte du bras gauche et un traumatisme crânien, l’autre une plaie thoracique profonde et une hémorragie massive. Des silhouettes surgirent dans le couloir : les chercheurs accoururent pour aider, suivis des Aurors, baguettes prêtes, l’air terrifié.
— Reste avec moi, murmura-t-il, la voix serrée. Il s’accroupit à nouveau près d’elle, glissant une main tremblante contre sa joue pour la forcer doucement à tourner le visage vers lui. Ses doigts frôlèrent sa peau maculée de sang, cherchant un contact, une ancre.
— Tiens bon, Camille, souffla-t-il, la gorge nouée, comme une prière désespérée qu’il ne pouvait s’empêcher de répéter.
Son regard restait fixé sur elle, sa main toujours posée contre son front brûlant.
Et au milieu du chaos, une seule pensée s’imposa, brutale, implacable :
Si elle meurt, je n’aurai jamais eu le temps de lui dire qu’elle est peut-être ma fille.
Il se fit alors une promesse silencieuse, ancrée au plus profond de lui : il ferait tout pour qu’elle s’en sorte. Il resterait à son chevet, jour et nuit, jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux, jusqu’à ce qu’elle respire sans douleur. Et dès qu’elle serait rétablie, il partirait en Amérique, coûte que coûte, pour obtenir les réponses qu’ils méritaient tous les deux.
Chapter 9: Le battement d'un cœur fragile
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Le hurlement des alarmes magiques résonnait encore dans les couloirs, mêlé à l’odeur âcre de la fumée et du sang. Elias restait agenouillé au milieu du chaos, sa baguette tremblant entre ses doigts. Il entendait déjà, au loin, les pas précipités des secours qui approchaient, mais dans son esprit, tout semblait figé, suspendu à ce souffle fragile qu’il venait à peine de percevoir chez Camille.
Il avait envoyé son Patronus. Sainte-Mangouste avait été prévenue. Autour de lui, le vacarme s’était transformé en un chaos assourdissant : les cris des chercheurs affolés, les ordres des Aurors qui tentaient d’établir un périmètre, les sorts de confinement qui claquaient dans l’air. Pourtant, tout cela semblait lointain, étouffé, comme si le monde entier s’était mis à résonner sous l’eau. Elias ne percevait plus que le battement de son propre cœur, trop rapide, cognant contre ses côtes. Chaque seconde qui passait lui paraissait une éternité. Il aurait voulu faire plus, réparer l’irréparable, effacer cette vision de désastre — Camille allongée dans son propre sang, Liam immobile à quelques mètres. Et dans sa tête, une voix hurlait : pas encore, pas cette fois.
Les premiers médicomages arrivèrent enfin, escortés de deux Aurors. Elias se redressa à peine, encore à genoux près de Camille, le regard vide. L’un des soignants tenta de le repousser doucement pour accéder à la jeune femme, mais il refusa d’abord de bouger.
— Je reste là, souffla-t-il. Vous avez besoin d’aide ?
— Monsieur Prewett, laissez-nous faire, répondit une voix douce mais ferme. Nous allons les transférer à Sainte-Mangouste immédiatement.
Il hocha la tête, incapable de prononcer un mot. Son regard suivit les gestes précis des médicomages, qui stabilisaient Camille sur une civière magique. Son bras pendait encore dans un angle effrayant, et son visage, d’une pâleur presque translucide, lui serra la gorge. Il posa une main contre son front, une dernière fois, avant qu’ils ne l’emmènent. Sa peau était brûlante, mais elle respirait encore.
— Tiens bon, murmura-t-il.
Quand les civières flottantes disparurent dans le couloir, Elias resta immobile, seul au milieu des décombres. Le silence retomba, lourd et étouffant, seulement brisé par le crépitement des potions renversées et les gémissements lointains des sortilèges de sécurité. Ses pensées s’entrechoquaient — et si elle ne survivait pas ? Il revoyait chaque geste, chaque regard, se demandant s’il aurait pu pressentir le danger, prévenir l’explosion, éviter ce désastre. Son esprit tournait en boucle, incapable de se taire, de s’arrêter. Le monde autour de lui se dissolvait dans le bruit de ses propres remords. Une main se posa sur son épaule. C’était Harry.
— Elias… viens. Ils s’occupent d’eux. Tu as fait ce qu’il fallait.
Il se releva lentement, l’impression d’être vidé de toute énergie. Son regard balaya la salle — les murs noircis, les éclats de verre fondus, les traces de magie corrompue qui flottaient encore dans l’air comme des ombres. Il sentit son estomac se tordre.
— Qu’est-ce qu’on a raté, Harry ? murmura-t-il d’une voix rauque. Comment une simple manipulation de potion a pu tourner à ça ?
— On va le découvrir. Mais d’abord, tu devrais aller à Sainte-Mangouste. J'ai le sentiment que tant que tu ne la verras pas éveillée, tu ne seras pas capable de te concentrer donc autant que tu sois à son chevet en attendant.
Elias hocha faiblement la tête, incapable d’articuler davantage. Lorsqu’il transplana dans le hall de l’hôpital, l’air semblait plus froid, plus coupant. On le guida sans un mot vers l’aile des soins intensifs. Chaque pas résonnait dans sa poitrine comme un tambour d’angoisse.
Camille fut installée dans une chambre protégée par des enchantements médicaux puissants. Liam, dans la salle voisine, était encore en train d'être traité. Elias s’assit dans le couloir, les mains jointes entre ses genoux. Il resta là des heures, sans bouger, incapable de détacher son regard de la porte close.
Quand le médicomage en charge sortit enfin, son visage était grave.
— Elle est en vie, annonça-t-il. Mais elle a perdu beaucoup de sang, et la fracture est sévère. Nous avons stabilisé son flux magique, mais elle doit rester inconsciente encore quelques heures pour éviter un contrecoup.
Elias ferma les yeux. Une tension invisible se relâcha dans sa poitrine. Il inspira profondément, mais sa gorge se serra aussitôt. Un poids immense lui tomba des épaules — un soulagement mêlé à la peur pure.
— Merci, murmura-t-il. Merci infiniment.
Il resta un long moment assis dans la pénombre du couloir. À travers la vitre, il distinguait à peine le contour de Camille, immobile, reliée à plusieurs artefacts médicaux. Chaque battement du moniteur magique correspondait à un battement de son propre cœur. Mais très vite, il comprit qu’il ne pouvait pas rester dehors. L’idée d’être séparé d’elle, ne serait-ce que par cette paroi de verre, lui était insupportable. Il se leva, poussé par une impulsion irrépressible, et entra dans la chambre. La lumière tamisée baignait le visage de Camille d’une clarté fragile. Il s’assit à son chevet, prit doucement sa main, et sentit sous ses doigts le pouls irrégulier mais bien réel de la jeune femme. Il resta ainsi, silencieux, veillant sur elle, incapable de s’en détacher.
Ses pensées dérivèrent, inévitablement. À Emily. À la dernière fois qu’il avait vu un corps allongé ainsi, inerte, dans les décombres du manoir. À ce cri qu’il n’avait jamais pu pousser. Cette fois, il se le jura, il ne fuirait pas. Il ne laisserait plus le destin lui voler une autre vie qu’il aurait pu protéger.
Harry le rejoignit plus tard, un café chaud entre les mains. Il s’assit en silence à côté de lui. Ils restèrent ainsi quelques minutes, sans parler. Puis Harry brisa doucement le silence.
— Tu penses toujours qu’elle est ta fille ?
Elias ne répondit pas tout de suite. Il observa la silhouette de Camille à travers la vitre, son profil apaisé dans l'inconscience.
— Je crois que je le sens, répondit-il enfin. Ou peut-être que je l'espère simplement...
Harry hocha lentement la tête. Il baissa un instant les yeux, peiné de voir Elias dans un tel état, si brisé par la peur et le doute. Aucun mot ne pouvait vraiment répondre à cela.
Les heures s’écoulèrent, lentes, suspendues. Elias resta jusqu’à la tombée de la nuit, veillant sans faillir. Harry finit par le quitter, comprenant qu’aucun argument ne le ferait bouger. Peu après, Alice arriva à son tour, le visage marqué par l’inquiétude. Elle posa une main sur son épaule et resta quelques instants en silence, partageant simplement sa veille.
Elias finit par sortir un parchemin de sa poche de manteau. Sa plume tremblait légèrement lorsqu’il écrivit un mot rapide à Selene et aux enfants, expliquant qu’il devait rester à Sainte-Mangouste à cause d'une complication dans l'enquête en cours. Rien de plus. Il ne voulait pas les inquiéter davantage.
Il soupira, replia le parchemin et l’attacha à un hibou messager avant de revenir s’asseoir près de Camille. Il se promit de ne pas partir tant qu’elle n’aurait pas ouvert les yeux. Et lorsqu’elle le ferait, il tiendrait sa promesse : il retournerait en Amérique, fouillerait chaque trace, chaque souvenir, chaque mensonge, jusqu’à connaître la vérité.
Car désormais, ce n’était plus seulement une enquête. C’était une rédemption.
Chapter 10: Les murmures de l'inconscience
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Plus de quinze heures s'étaient écoulées depuis l’explosion, et Camille ne s’était toujours pas réveillée. Les médicomages parlaient d’un coma magique, une forme de protection inconsciente du corps et de l’esprit après un choc extrême. Elias connaissait le concept, mais le vivre, le voir de ses propres yeux, c’était autre chose. Son visage portait encore les traces du drame : des ecchymoses violacées s’étendaient sur sa tempe et le long de sa joue, rappel cruel du choc qu’elle avait subi. Son bras gauche, immobilisé dans des bandages enchantés, reposait sur un oreiller, maintenu par un sortilège de stabilisation. Le souffle de Camille, à peine audible, était la seule chose qui semblait encore la relier au monde des vivants. À chaque inspiration fragile, Elias sentait sa propre poitrine se détendre un peu — puis se contracter à nouveau quand elle expirait.
Il restait à son chevet aussi souvent qu’il le pouvait. Alice, fidèle à elle-même, avait fini par le forcer à s’accorder des pauses. Ils avaient donc trouvé un compromis : ils se relayaient. Quand Elias quittait la chambre pour boire un café amer à la cafétéria ou pour écrire quelques rapports d’avancement à envoyer au Ministère, Alice prenait sa place, veillant sur Camille comme sur une sœur. Et parfois, elle allait aussi dans la chambre voisine, celle de Liam, pour s’assurer qu’il allait mieux. Lui aussi restait inconscient, mais ses constantes s’amélioraient lentement.
Dans la chambre baignée d’une lueur dorée par les sorts de soin, le silence n’était interrompu que par le léger bourdonnement des runes médicinales et les murmures de Camille. Car, depuis quelques heures, elle parlait dans son inconscience. Des mots épars, prononcés en français, échappaient de ses lèvres. Elias, qui avait appris des rudiments de la langue par nécessité durant une mission en France, comprenait assez pour saisir le sens général. Parfois, elle appelait quelqu’un – « maman », ou « Liam », d’une voix tremblante. D’autres fois, elle murmurait des bribes de phrases étranges, comme si elle revivait une scène : des éclats de voix, des prières, des mots de réconfort. Chaque son arrachait à Elias un frisson. Il ne pouvait s’empêcher de tendre l’oreille, espérant y trouver une clé, un souvenir, un fragment de vérité.
A un moment, alors qu’il griffonnait des notes dans un carnet posé sur ses genoux, la porte s’ouvrit doucement et un homme passa la tête par l'entrebâillement de cette dernière sans pour autant entrer. Elias leva la tête, surpris de voir apparaître un visage familier. L’homme, grand, les cheveux grisonnants mais l’allure encore droite, portait un manteau sombre. Son regard fatigué se posa d’abord sur Camille, puis sur Elias.
— « Je me doutais que je te trouverais ici, » dit-il d’une voix grave.
Elias se leva aussitôt, pour aller serrer la main de son vieil ami.
— « Tobias. Je ne m’attendais pas à te voir si tôt, » répondit Elias en se plaçant instinctivement entre lui et le lit, posture protectrice, le regard oscillant entre son vieil ami et la silhouette immobile de Camille. « Je suppose que tu viens aux nouvelles. »
— « J’ai appris ce qui s’est passé… Liam est mon fils, tu le sais déjà, » répondit Tobias en hochant lentement la tête, son regard sondant celui d’Elias avec cette acuité tranquille qu’il avait toujours eue quand ils étaient tous deux élèves de Gryffondor. Il observa longuement son ancien camarade, cherchant à lire au-delà des mots ainsi qu'à comprendre ce qui se jouait dans ses silences. « Je voulais te remercier. On m’a dit que sans ton intervention, il ne serait peut-être plus là. »
Elias secoua la tête.
— « J’ai fait ce que n’importe qui aurait fait à ma place.»
Tobias lui lança un regard empli d’une gratitude muette, mais aussi d’une profonde lassitude. Il tourna la tête dans la direction du lit, observa un instant Camille, puis soupira.
— « Comment va-t-elle? »
Elias, distrait un instant par le flot de pensées qui l’assaillait, revint brusquement à la réalité. Son regard se voila d’une inquiétude profonde qu’il ne parvenait plus à masquer. Ses doigts se crispèrent autour du dossier de la chaise qui se trouvait à côté de lui pour contenir la tension qui le rongeait.
— « Son… son flux magique a été violemment déséquilibré par l’explosion. Les médicomages… ils ne savent pas quand... quand elle se réveillera. »
Un silence s’installa. Leurs souvenirs communs semblaient flotter entre eux, comme une époque lointaine où tout était plus simple. Tobias fronça légèrement les sourcils en observant la crispation du visage d’Elias, l’inquiétude évidente dans ses yeux.
— « Tu as l’air à bout, » dit-il doucement, presque avec reproche. « Tu ne peux pas la veiller jour et nuit sans te briser toi-même. »
Elias resta silencieux, la mâchoire serrée, incapable de promettre quoi que ce soit. Tobias soupira et posa finalement une main sur son épaule, geste à la fois ferme et bienveillant.
— « Je te connais, Elias. Si tu t’impliques autant, c’est que cette affaire te touche plus que tu ne veux bien l’admettre. Mais veille à ne pas te perdre là-dedans. »
Elias esquissa un sourire fatigué.
— « Camille a quitté les États-Unis pour nous aider à résoudre une enquête dont je suis en partie responsable, » dit-il avec gravité. « Elle s’est isolée pour se consacrer à ce travail et ne connaît encore personne ici, à part ses collègues les plus proches. Alors non, il est hors de question de la laisser seule. Tu me connais, Tobias : je ne pourrais pas. »
Tobias eut un bref rire sans joie, mais dans son regard brillait une forme d’estime profonde. Homme de droiture et de loyauté, il savait reconnaître chez Elias cette même rigueur morale qu’il respectait tant. Il lui donna une tape amicale dans le dos, un geste empreint de fraternité sincère.
— « Prends soin de toi, mon vieux. Et d’elle aussi. Je reviendrai voir Liam dans quelques heures. »
Quand il quitta la pièce, Elias resta un moment immobile, les yeux perdus sur le visage endormi de Camille. Dans son sommeil, elle murmura faiblement un prénom – « Nate ». Le son, fragile et presque inaudible, serra le cœur d’Elias. Peut-être celui d’un souvenir, ou d’un fantôme du passé. Il se pencha légèrement vers elle, effleurant du bout des doigts le dos de sa main.
— « Continue de te battre, » souffla-t-il dans un murmure. « Tu n’es pas seule. Pas cette fois. »
Mais à mesure que les minutes passaient, les émotions qu’il retenait depuis des heures s’accumulèrent, prêtes à exploser. Son souffle se fit court. Il se passa une main sur le visage, le cœur battant douloureusement dans sa poitrine. Il se revit, des années plus tôt, face aux décombres du manoir Night, tenant dans ses bras le corps inanimé qu’il avait cru pouvoir sauver. Cette même impuissance, cette même douleur l’écrasait à présent.
— « Pas encore, » murmura-t-il d’une voix brisée, comme une supplique adressée à l’univers. « Je ne peux pas la perdre, pas elle aussi… »
Il serra la main de Camille un peu plus fort, ses doigts tremblants. Des larmes qu’il ne pensait plus capables de tomber brûlèrent ses yeux. Il ne savait même plus pourquoi il lui parlait ainsi — peut-être pour se convaincre que tout n’était pas déjà fini.
Un bourdonnement lointain monta dans ses oreilles : les pas précipités des soignants, les appels de patients dans les chambres voisines. Le monde continuait de tourner alors que le sien s’effritait encore un peu.
— « Tu dois te réveiller, Camille… tu dois, » souffla-t-il, la voix éraillée. « Sinon, je ne saurai plus quoi faire. »
Et tandis qu’il restait là, à mi-chemin entre prière et désespoir, il sentit une légère pression — à peine perceptible — dans sa paume. Peut-être un réflexe. Ou peut-être un signe.
Elias ferma les yeux et laissa échapper un sanglot étranglé, incapable de savoir si c’était la fatigue, la peur, ou l’espoir qui le déchirait le plus.
Il resta ainsi longtemps, incapable de s’arracher à ce silence, les yeux fixés sur le visage de Camille. Dehors, la pluie s’était mise à tomber, tambourinant doucement contre les vitres enchantées de Sainte Mangouste. Le bruit de l’eau avait quelque chose d’hypnotique, presque apaisant, mais il sentait sa poitrine se contracter à chaque nouvelle minute d’attente.
Quand Alice revint, elle trouva Elias immobile, les traits tirés, la main toujours serrée sur celle de la jeune femme. Il lui fallut de longues secondes pour oser poser une main sur son épaule.
— « Elias… il faut que tu manges un peu. »
Il ne répondit pas, se contentant d’un bref hochement de tête.
— « Tu ne peux pas la sauver, mais elle va se réveiller » ajouta-t-elle, la voix plus douce.
Il finit par tourner la tête vers elle, les yeux rougis, la voix rauque :
— « Si je m’en vais, si je m’endors… et qu’elle se réveille sans personne, comment pourrais-je me le pardonner ? »
Alice soupira, incapable de trouver une réponse et démunie face à son désarroi. Alors, elle se contenta de tirer une chaise, s’assit à côté de lui, et garda le silence. Ensemble, ils veillèrent.
Au-dehors, la tempête redoublait, et à l’intérieur, Elias priait sans mots que le matin ramène un miracle.
Chapter 11: Les vérités partielles
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Selene n’avait pas dormi de la nuit. Quand Elias rentra au petit matin, les traits tirés, les cernes marquant son visage et la mine défaite, elle l’attendait déjà dans la cuisine, une tasse de thé froide entre les mains. La lumière de l’aube filtrait à travers les rideaux, dessinant sur son visage un mélange d’inquiétude et d’amertume. Elle avait cette expression qu’il redoutait tant : celle qui disait qu’elle avait passé des heures à s’inquiéter, à imaginer le pire.
— Tu m’as envoyé un mot, dit-elle d’une voix douce mais tremblante. « Explosion », « deux blessés graves »… seulement ça... Et toi, tu restes à Sainte-Mangouste toute la nuit sans donner de nouvelles. Elias, explique-moi. Qu’est-ce qui se passe ? Depuis quelques jours, je ne te reconnais plus, et maintenant ça?
Il posa sa veste trempée sur le dossier d’une chaise, ses gestes lents, maladroits, trahissant une hésitation qu’il ne savait pas nommer. Ses doigts tremblaient légèrement lorsqu’il passa une main fatiguée sur son visage, comme pour effacer la nuit entière et la culpabilité qui lui collait à la peau. Il évita le regard de Selene, conscient que son silence depuis plusieurs jours pesait déjà trop lourd, avant de répondre.
— Il y a eu un incident au département de la Recherche magique. Une explosion dans un des laboratoires de potions. Deux chercheurs ont été gravement blessés, j’ai dû rester sur place.
Selene fronça les sourcils.
— Mais pourquoi toi ? Tu n’es pas médicomage. Tu travailles au département des Aurors. Qu’est-ce que tu faisais là-bas ?
Elias hésita un instant. Il sentit le poids du mensonge se glisser dans sa gorge.
— J’étais de garde pour superviser la sécurité du site. Ce sont mes collaborateurs sur l’enquête en cours, nous tentions d’aider les chercheurs à faire progresser l’investigation. Et quand c’est arrivé… j’ai simplement fait ce qu’il fallait.
— Tu t’es encore mis au milieu, souffla-t-elle, secouée. Et tu as encore disparu. Tu recommences, Elias… comme avant. Sa voix se brisa légèrement sur le mot « avant », comme si le souvenir qu’il évoquait lui serrait encore la gorge.
Il ferma les yeux à cette phrase. Elle savait. Pas les détails, pas le nom, mais elle savait ce qu’elle évoquait. Ces mois d’obsession, à chercher des réponses sur la mort de sa première compagne et sur la disparition de leur bébé. Les nuits d’absence. Les silences. Les promesses de « dernière mission » jamais tenues.
Selene s’approcha, les yeux brillants d’inquiétude.
— Tu deviens distant. Tu rentres tard. Tu es ailleurs, comme si quelque chose te hantait à nouveau. Dis-moi que je me trompe. Dis-moi que tu ne replonges pas dans tout ça.
Elias la regarda longuement, la gorge serrée. Il sentit la peine le traverser de la voir ainsi, épuisée, inquiète, blessée par ses silences. Pourtant, il ne pouvait pas lâcher l’affaire : quelque chose en lui refusait d’abandonner. Et il savait qu’il ne pouvait pas lui en parler — elle ne comprendrait pas, pas plus qu’à l’époque, malgré la grande gentillesse et la patience dont elle avait fait preuve.
— Ce n’est pas ce que tu crois. Je ne fuis pas. Je fais ce qu’il faut. Deux vies sont en jeu, et je dois rester présent tant qu’on ne comprend pas ce qui s’est passé.
Selene inspira lentement, puis détourna les yeux.
— Je t’ai déjà vu choisir les morts au lieu des vivants, murmura-t-elle. Ne refais pas ça. Pas encore.
Il tendit la main, la posa doucement sur son bras.
— Je te le promets. Je ne referai pas les mêmes erreurs. Mais je dois y retourner. Pas pour fuir, pour protéger.
Elle hocha la tête, résignée, la voix à peine audible.
— Alors fais attention à toi.
Quelques heures plus tard, Elias, après avoir pris une douche et fait une courte sieste, franchissait de nouveau les portes de Sainte-Mangouste. L’air du couloir était saturé d’effluves d’onguents et de magie. Ses traits étaient tirés, ses yeux cernés par la fatigue et la culpabilité qui lui nouaient encore l’estomac. Chaque pas résonnait comme un rappel de son impuissance. La gorge serrée, il sentit la peur et la lassitude s’entremêler : il voulait croire que Camille s’en sortirait, mais une partie de lui redoutait de revivre le passé, si tant est qu'elle eut vraiment été son enfant perdu. Dans la chambre de Camille, deux médicomages échangeaient à voix basse près du lit, les runes de diagnostic projetant des reflets bleus sur les murs.
— Son état est stable, dit la première, concentrée. Les fonctions vitales sont bonnes, mais son flux magique reste en tension. Si on force le réveil, il y a un risque de rupture. Pour l’instant, elle se maintient d’elle-même. Les potions de stabilisation appliquées sur son bras ont commencé à agir, même si la réaction musculaire reste douloureuse par moments. Le sort de régénération osseuse fonctionne bien, mais la zone du crâne où elle a été heurtée demeure sensible : il faudra encore quelques jours avant que les ecchymoses s’atténuent et que la douleur disparaisse complètement.
— Et le coma ? demanda Elias d’une voix basse. Il se sentit à la fois soulagé par les nouvelles encourageantes et rongé d’une inquiétude tenace. Le fait qu’elle ne se soit toujours pas réveillée après tout ce temps lui serrait la poitrine, comme si chaque minute passée à la voir immobile creusait un peu plus le gouffre de sa peur.
— C’est une forme d’autodéfense. Elle s’est repliée sur elle-même pour se protéger. C’est bon signe, en vérité. Cela veut dire qu’elle résiste.
Elias hocha lentement la tête, les yeux rivés sur les ecchymoses qui marquaient encore son visage et sur son bras bandé, maintenu par des charmes stabilisateurs. Les médicomages échangèrent un dernier regard entendu avant de quitter la pièce, laissant Elias seul face au silence bourdonnant et à la tension qui emplissait l’air. Le bruit de leurs pas s’éloigna peu à peu dans le couloir, remplacé par le battement régulier des runes au-dessus du lit.
La porte s’ouvrit, laissant entrer Harry, Ron, et Henry. Leurs visages graves suffisaient à indiquer qu’ils n’apportaient ni bonnes ni mauvaises nouvelles, mais un fragile entre-deux.
Henry s’approcha le premier, l’air soucieux.
— Comment va-t-elle ? demanda-t-il en regardant Camille, toujours immobile. On nous a dit que son état s’était stabilisé, mais qu’elle ne s’était pas encore réveillée. Et… est-ce que quelqu’un est venu lui rendre visite depuis hier ?
Elias hocha la tête, fatigué mais attentif, avant de lui répondre d’une voix basse, encore rauque d’inquiétude.
— Non, personne n’est venu pour le moment, expliqua-t-il doucement. Depuis hier, seuls Alice et moi avons veillé à son chevet. On alterne nos présences, pour que l’un de nous puisse prendre une pause pendant que l’autre reste ici. Les médicomages disent qu’elle est stable, que les sorts et potions font effet… mais elle dort encore profondément. Son corps réagit bien, pourtant. C’est comme si sa magie refusait encore de lâcher prise.
Ron poussa un soupir de soulagement, visible sur son visage, et Elias perçut le même relâchement discret chez Harry et Henry. Leurs traits, tendus jusque-là, s’adoucirent légèrement.
— Son bras est bien remis, alors ? demanda Ron. Et ces ecchymoses… c’est normal qu’elles soient encore aussi marquées ?
Elias hocha la tête.
— Oui, répondit-il calmement. Le processus de régénération est en cours. Les marques sur son visage s’atténueront d’ici quelques jours. Les potions ont bien fait effet selon les médicomages qui l'ont examinée tout à l'heure. R
on, toujours un peu maladroit, reprit après un instant de silence :
— C’est pas un peu bizarre, quand même… qu’aucun proche ne se soit manifesté? Personne pour prendre de ses nouvelles ?
Henry fronça les sourcils et échangea un regard avec Harry.
— En effet, dit-il lentement. C’est étrange. Je vais vérifier le dossier transmis par le MACUSA, voir s’il y a un contact d’urgence mentionné. On trouvera bien quelqu’un à prévenir. Je ne suis pas sûr que cela ait déjà été fait vu son arrivée très récente.
Elias hocha lentement la tête, songeur. Le silence qui suivit leur échange pesait lourd, chacun digérant l’idée qu’aucun proche ne s'était manifesté. Un pincement le saisit soudain : il aurait dû y penser, aurait dû prévenir quelqu’un, un être cher. Et l’image de Camille lui revint, le premier jour — la lettre qu’elle avait reçue, prétendument d’une ancienne amie. Il revoyait son visage, cet air étrange, troublé, qu’elle avait arboré en la repliant soigneusement, presque comme si elle contenait plus qu’elle ne voulait bien le dire. Il se surprit à repenser à ses liens passés, aux personnes qu’elle avait pu côtoyer aux États-Unis. Était-elle vraiment seule ? Ou y avait-il là-bas quelqu’un qui attendait encore des nouvelles d’elle ? Cette pensée lui serra la poitrine, ramenant à la surface cette question lancinante qu’il n’osait plus formuler : et si elle était sa fille ?
L’air de la chambre vibrait encore d’une tension muette. Harry, resté en retrait, échangea un regard entendu avec Ron avant de reprendre la parole, recentrant la discussion sur le cœur de l’enquête.
— On a fini par comprendre, dit Harry en s’approchant. L’ingrédient inconnu qu'ils testaient… il réagit violemment à la larme de Silphium, c'est ça qui a causé une telle explosion. C'est ingrédient mystère est beaucoup plus instable et sombre que nous aurions pu le prévoir. Même avec toutes les protections mises en place, la déflagration magique était inévitable.
— Ce n’était pas une erreur de manipulation ? demanda Elias.
— Non, répondit Harry, le ton bas. Cet ingrédient est d’une nature très sombre et inconnue. Définitivement de la magie noire. Ce qu’on a détecté, ce n’est pas une corruption récente, mais une essence magique… ancienne. Il pourrait venir d’une région isolée, ou d’un lieu où la magie noire est encore enracinée.
Ron ajouta doucement :
— En un sens, c’est une piste. On va pouvoir tracer l’origine de la substance. Comprendre d’où elle vient, et pourquoi elle est si instable.
Henry, le visage fatigué, intervint à son tour.
— Liam est toujours inconscient, mais ses constantes s’améliorent. Les médicomages pensent qu’il pourrait se réveiller très bientôt.
Elias sentit un léger soulagement l’envahir à ces mots. Ses doigts se crispèrent sur le dossier d’une chaise, un mélange d’émotion et de tension parcourant tout son corps. Il n’avait pas beaucoup pensé à Liam depuis l’explosion, trop accaparé par la peur de perdre Camille, mais maintenant qu’il savait le jeune homme hors de danger, une gratitude sincère monta en lui. Il était heureux pour Tobias, profondément même, et pourtant cette nouvelle soulignait douloureusement la situation de Camille. Elle, toujours immobile, silencieuse, suspendue entre deux mondes. Il ferma brièvement les yeux, chassant les images de chaos et de flammes qui refaisaient surface, puis laissa échapper un souffle tremblant, priant intérieurement pour qu’elle tienne bon, elle aussi.
Les heures s’étirèrent. La lumière du jour déclinait lentement derrière les vitres enchantées de l’aile des soins intensifs, projetant sur les murs de la chambre une teinte dorée et irréelle. Elias n’avait pas bougé. Il n’entendait plus les bruits des couloirs ni les pas des infirmiers. Son monde se réduisait au souffle régulier de Camille, aux clignotements lents des runes bleutées et au martèlement calme de son propre cœur.
Harry et les autres avaient quitté l’hôpital depuis un moment déjà.
À un moment, Elias se leva, contourna le lit et effleura la couverture près de la main de la jeune femme.
Il s’assit de nouveau, les coudes sur les genoux, les mains jointes. Il parla à voix basse, presque pour lui-même :
— Tiens bon, Camille. Tu n’as pas fait tout ce chemin pour t’arrêter là. Pas maintenant. Et je te le promets… je découvrirai d’où tu viens, toute la vérité sur ton histoire, sur tes origines. Et quand tu te réveilleras, on bouclera cette enquête ensemble. Je t’en donnerai les moyens, quoi qu’il m’en coûte.
Un battement de cils. Ou peut-être un simple jeu de lumière. Il voulut y croire. Et dans ce faible espoir, il trouva la force de rester. Encore un peu.
Chapter 12: Le souffle revenu
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Les couloirs de Sainte-Mangouste étaient encore enveloppés d’une lueur grise quand la nouvelle se répandit : Liam Clearwater venait de se réveiller.
Elias n’avait pas couru depuis des années, mais il traversa le couloir d’un pas précipité, le cœur battant. Dans la chambre voisine, la lumière des runes illuminait un visage pâle, marqué, mais conscient. Liam était éveillé, les yeux clairs malgré la fatigue, fixant le plafond comme s’il redécouvrait le monde. Deux médicomages s’affairaient près de lui, échangeant des observations à voix basse.
— Il répond aux stimulations, annonça l’un d’eux. La régénération a bien fonctionné. Il va s’en sortir.
Elias sentit un immense soulagement le traverser, presque douloureux. Ses épaules se relâchèrent enfin. Après des heures de tension, la certitude que Liam était hors de danger fit tomber une part du poids qu’il portait. Alice, postée à côté du lit, souriait à travers ses larmes, serrant doucement la main du jeune homme.
— Vous avez eu de la chance, dit-elle avec émotion. Une sacrée chance, tous les deux.
Liam esquissa un sourire faible, son regard cherchant aussitôt Elias. Lorsqu’il le vit, une étincelle d’inquiétude éclaira son visage fatigué, et sa voix, à peine audible, trembla légèrement :
— Camille… elle va bien ?
Elias s’approcha, posant une main sur la rambarde du lit.
— Je viens de quitter sa chambre. Elle se bat encore, répondit-il doucement. Son état est stable, et elle reçoit les meilleurs soins possibles. Tu n’as pas à t’en faire. Repose-toi maintenant. Elle sera heureuse de te savoir en forme quand elle se réveillera.
Liam hocha faiblement la tête, un souffle de soulagement traversant son visage. Mais son regard, encore chargé d’angoisse, revint vers la porte comme s’il voulait se lever pour aller voir Camille lui-même. Son torse se souleva à peine qu’une autre silhouette apparut dans l’encadrement : Tobias Clearwater, son père, dont le regard sévère lui intima aussitôt de rester couché. Liam obéit à contrecœur, crispant les poings sur le drap. Un pli d’agacement barra son front ; il détourna les yeux, bougon, visiblement contrarié d’être immobilisé. Le silence lourd qui suivit trahissait plus que de simples douleurs physiques : il y avait dans ce regard échangé une vieille tension, une incompréhension familière entre père et fils. Les médicomages ajustèrent alors les sorts de maintien, puis laissèrent Alice, Tobias et Elias seuls un instant.
— Il va s’en sortir, murmura Alice, émue. C’est un miracle.
Elle serra brièvement la main d’Elias, puis ajouta doucement :
— Je vais aller rejoindre Camille, avec un peu de chance, elle ne tardera pas à se réveiller également.
Liam, encore faible, l’entendit et tendit un bras tremblant vers sa table de chevet pour attraper une petite missive cachetée.
— S'il-te-plaît, donne-lui ça… pour moi, souffla-t-il.
Alice hocha la tête avec un sourire attendri et prit le pli.
À ce moment-là, la porte s’ouvrit sur une silhouette menue et vive : Mary Clearwater, la mère de Liam venait d’arriver, essoufflée, les yeux brillants d’émotion. C’était une petite femme à la beauté douce et au port altier, dont les gestes trahissaient une noblesse naturelle mêlée à une chaleur débordante. Ses boucles châtain mêlées d'argenté s’échappaient d’un chignon imparfait, et ses joues rougies par l’émotion semblaient rayonner. À la vue d’Elias, elle laissa échapper un cri joyeux, et sans retenue, lui sauta au cou, toute de reconnaissance et de tendresse mêlées.
— Merlin soit loué ! Merci, merci d’avoir sauvé mon fils !
Elias, surpris et un peu gêné, lui rendit une étreinte maladroite, encore bouleversé. Tobias, à l’arrière, esquissa un sourire discret devant la scène.
— Viens, dit-il finalement à Elias d’une voix calme. Tu as besoin d’une pause.
Avant de quitter la chambre, Elias jeta un dernier regard vers Liam, encore pâle, puis vers la porte close menant au couloir où se trouvait la chambre de Camille. Son cœur se serra, mais il finit par soupirer et se détourner. Il avait demandé un nouvel examen pour elle – les médicomages devaient évaluer son flux magique avec précision, ce qu'ils n'avaient pas encore osé faire. Il s’était dit que pendant ce temps, il pourrait aller voir Liam et souffler quelques minutes. Ce n’était pas fuir, se répétait-il, juste… laisser la place aux soins. Une manière rationnelle de reprendre contenance, même si, au fond, il n’avait aucune envie de quitter son chevet. De l’autre côté du couloir, la mère de Liam s’affairait déjà auprès de lui : elle l’emmaillotait dans sa couette, tapotait ses oreillers, lissait ses cheveux avec des gestes pleins d’amour et de sollicitude, incapable de rester immobile tant la joie la débordait. Elias observa la scène avec une tendresse retenue avant de détourner le regard, conscient qu’il devait leur laisser un moment de répit.
Il finit par accepter l'offre d'un café, et tous deux s’éloignèrent pour aller en chercher un à la cafétéria de l'hôpital, l’un par amitié sincère, l’autre parce qu’il n’avait plus la force d’admettre qu’il en avait besoin.
Autour d’une tasse de café brûlant, le silence pesa d’abord entre Tobias et Elias. Les deux hommes s’observaient à la dérobée, chacun tentant de percer les pensées de l’autre. Tobias, fidèle à sa droiture, cherchait à comprendre ce qui liait autant Elias à Camille ; il connaissait son sens du devoir, mais y percevait autre chose, une forme d’attachement qui dépassait la simple loyauté professionnelle. Ce qui le troublait surtout, c’était de voir combien son propre fils semblait, lui aussi, étrangement concerné par cette jeune femme qu’il connaissait à peine. Elle n’était arrivée au Royaume-Uni que depuis quelques jours, et pourtant, il y avait dans le regard de Liam une inquiétude constante, presque fébrile, chaque fois qu’il était question d’elle. Tobias n’en voulait pas à son fils pour cette sensibilité qu’il ne comprenait pas, mais elle le désarçonnait. Il ne comprenait pas franchement Liam, ni cette manière si vive qu’il avait d’exprimer ce qu’il ressentait. Entre eux, les désaccords restaient feutrés, mais constants : Liam trouvait son père trop strict, trop droit, voire coincé, tandis que Tobias voyait en son fils une impulsivité qu’il ne savait ni canaliser ni rejoindre. Il aurait voulu pouvoir la partager, pouvoir exprimer autrement cette peur de le perdre, sans la dissimuler derrière la rigueur et les ordres donnés d’une voix trop sèche. Mais c’était ainsi qu’il aimait : maladroitement, en silence, avec la pudeur des hommes qui ont appris à contenir tout ce qui déborde. Elias, quant à lui, notait la fatigue et la retenue dans les traits de Tobias, et se demandait comment un homme si fier en était venu à tendre une main aussi maladroite à son propre fils. Il avait remarqué, au chevet de Liam, la rigidité du père et la colère silencieuse du fils. Peut-être n’était-ce que peur et maladresse mêlées.
Elias remua son café avant de lever les yeux vers Tobias.
— Je t’ai vu, tout à l’heure, avec Liam, dit-il doucement, un peu gêné, comme si la question lui échappait malgré lui. Il y avait… une tension dans la pièce. Est-ce que tout va bien entre vous deux ?
Tobias eut un rire bref, sans joie.
— Liam est tout ce que je n’étais pas à son âge. Il ressent fort, parle trop vite. Je l’admire pour ça, parfois. Mais je ne sais pas toujours comment le comprendre. Il croit que je suis trop strict, trop rigide, et peut-être qu’il a raison.
Tobias soupira, la voix un peu éraillée.
— Tu sais, je tiens à lui et à son frère plus que tout. Mais il pense que je ne vois que ses fautes, que je préfère son frère, qui rentre plus dans le moule. Plus tôt dans la journée, j’ai dû jeter un sort à son lit pour qu’il ne se lève pas et ne réouvre pas ses blessures, alors qu’il voulait filer voir Camille contre l’avis des médicomages. Il me regarde comme si j’étais son geôlier, alors que j’essaie juste de le protéger. Et je sens bien qu’il m’en veut, qu’il me croit indifférent, alors que je ne sais simplement plus comment faire. J'ai l'impression de ne jamais trouver les mots justes...
Elias hocha lentement la tête.
— Et pourtant, on voyait bien que tu étais inquiet pour lui, reprit Elias, hésitant un peu avant de poursuivre. Ton frère James... il était un peu comme ça aussi, non ? Je me souviens de lui à Poudlard — quelques années plus âgé que nous, déjà ce genre de Gryffondor qu’on admirait de loin. Toujours à défendre les autres, à foncer tête baissée, sans jamais douter. Il avait cette lumière dans les yeux, celle qu’on reconnaît chez ceux qui ne reculent pas quand il faut agir. C’est un souvenir qui ne s’efface pas facilement.
Tobias se figea, surpris.
— Oui... mais James est mort le même soir que notre père, tué par des Mangemorts. C’était une nuit que je ne pourrai jamais oublier, murmura Tobias, la voix brisée par le souvenir.
Il baissa un instant les yeux, les doigts serrés sur sa tasse.
— Liam... il a ce même éclat dans le regard, cette fougue que James avait. Et parfois, quand je le vois comme ça, j’ai peur. Peur de le perdre à son tour. Pas seulement à cause de cette explosion. Peur qu’il vive trop fort, trop vite, sans filet, et que moi, avec mes règles et mes lignes droites, je ne sois pas capable de le retenir. C’est une angoisse qui ne me quitte jamais.
Un silence s’installa. Elias observa un instant la tasse de Tobias avant de reprendre :
— C’est drôle, dit Elias après un moment, la voix adoucie par une réelle compassion. Tu parles comme un père qui fait de son mieux avec ce qu’il a, même si ça sort parfois de travers.
Il marqua une pause, le regard dans sa tasse, pensif.
— Je comprends, tu sais. Moi aussi, j’ai cru qu’aimer, c’était garder le contrôle, éviter que tout s’écroule. J’ai voulu protéger les miens, quitte à me fermer, à tout verrouiller. Pendant la guerre, c’était la seule façon de tenir debout. Et aujourd’hui encore, je me demande si ce n’est pas ce réflexe-là qui m’a le plus abîmé. Alors, Tobias, je te comprends, sincèrement.
Tobias eut un sourire amer.
— Peut-être, admit Tobias après un long silence, la voix plus basse. Liam a toujours cru être un échec pour moi depuis qu’il est entré à Serpentard. Dans notre famille, la tradition voulait qu’on soit à Gryffondor, comme moi, comme mon père et mon frère avant moi, et comme son frère jumeau. Et quand il a été réparti ailleurs, j’ai voulu bien faire, mais les mots justes ne sont jamais venus. J’aurais dû le rassurer, lui dire que ça ne changeait rien. Au lieu de ça, j’ai laissé un silence qui a tout abîmé.
Il esquissa un sourire amer.
— J’essaie pourtant, tu sais. J’essaie d’être là, de comprendre, de réparer. Mais parfois j’ai l’impression que plus je tends la main, plus il s’éloigne. Il parle à sa mère, il se confie à elle, et c’est normal — Merlin, comment ne pas préférer Mary ? Elle est douce, patiente, tout ce que je ne suis pas. Je l’aime pour ça, je l’ai toujours aimée pour ça. Mais le voir se détourner de moi… le sentir me regarder avec cette amertume, comme si je ne faisais jamais assez bien… ça me brise un peu le cœur.
Il soupira, les doigts crispés sur sa tasse.
— Je sais que je suis rigide, trop carré pour lui. Que pour un esprit libre comme Liam, je dois ressembler à un mur. Mais ce mur-là, je le construisais pour les protéger.
Elias ne répondit pas tout de suite. Ses pensées dérivèrent malgré lui vers Camille, encore inerte à quelques couloirs de là. En écoutant Tobias, il comprenait mieux ce tiraillement silencieux entre la peur et l’amour, cette façon qu’ont certains pères de tout vouloir protéger sans savoir comment. Et dans cette maladresse, dans cette douleur contenue, il retrouva un écho de ce qu’il ressentait lui-même pour Camille.
— Tu t’impliques beaucoup pour elle, remarqua finalement Tobias avec une sincère curiosité après un court silence, observant le visage d’Elias avec attention. Il avait perçu son regard se perdre un instant ailleurs, vers cette autre chambre, vers cette autre inquiétude. Il choisit pourtant de ne pas le brusquer, préférant ramener la conversation sur un terrain qu’il comprenait — celui des liens et de la protection.
Elias se raidit, cherchant ses mots.
— C’est mon rôle… et elle fait partie de mon équipe. J’ai une dette envers eux. Mais… je suppose que c’est plus que ça. Je me reconnais un peu en elle. Ce besoin de comprendre, coûte que coûte. Et surtout, cette manière qu’elle a de se donner tout entière à ce qu’elle fait. Il y a chez elle une droiture, une lumière, quelque chose d’authentique. Elle n’a pas peur de se salir les mains pour aider, de se perdre un peu pour sauver quelqu’un d’autre. Quand je la vois, je sens dans mes tripes que c’est quelqu’un de profondément bon. Pas parfait, non, mais vrai. Et ça… c’est rare.
Tobias le regarda longuement, son expression mêlant réflexion et étonnement.
— Vous ne la connaissez que depuis deux jours, finit-il par dire avec une légère incrédulité. Avant tout cela, elle était une parfaite étrangère, et pourtant… elle a conquis mon fils, Alice et toi, Elias, toi qui es sans doute l’homme le plus méfiant que je connaisse, et à raison.
Il marqua une pause, les sourcils froncés, avant d’ajouter d’un ton plus doux, presque amusé :
— Je ne comprends pas...
Leurs regards se croisèrent encore une fois, lourds de respect et d’une inquiétude silencieuse que chacun taisait pour l’autre. Elias finit par esquisser un sourire, un peu las, mais sincère.
— Tu n’as pas tort de t’en étonner, répondit Elias après un long silence.
Il chercha ses mots, puis ajouta d’une voix plus grave, un peu voilée :
— Peut-être qu’elle m’a rappelé que malgré tout ce qu’on a perdu, il reste des gens prêts à se battre pour les autres sans calcul, sans peur. Elle le fait naturellement, presque sans s’en rendre compte. Et pour quelqu’un comme moi, qui a appris à se méfier de tout… c’est déroutant. Mais ça redonne espoir, d’une façon que je ne saurais pas expliquer.
Son ton était empreint d’une admiration contenue, mais sincère — celle d’un homme qui avait vu trop de ténèbres pour ne pas reconnaître la lumière quand elle se présente.
Tobias resta pensif un moment, puis souffla, la voix basse :
— Elias, ce que tu décris… ça me dépasse un peu, mais je le comprends aussi. Tu parles d’elle comme d’une lumière, et Merlin sait qu’on en a besoin. Peut-être que j’ai été trop occupé à craindre que le monde brise mon fils pour oublier qu’il existe encore des gens capables de le réparer.
Il esquissa un sourire las, les yeux fatigués mais sincères.
— Si elle est vraiment comme tu le dis, alors je suis heureux qu’elle soit sur ton chemin… et sur celui de Liam. Il a besoin de ce genre d’âme, de quelqu’un qui lui rappelle qu’on peut être fort sans être dur.
Quand ils eurent terminé leur café, la conversation dériva vers des sujets plus légers — les vieilles années à Poudlard, l'équipe de Quidditch de Gryffondor qui leur avait permis de faire connaissance malgré leurs quelques années d'écart, des souvenirs partagés, quelques silences complices où la fatigue des jours précédents se relâchait enfin. Le temps s’étira doucement, et quand ils se séparèrent, un respect mutuel s’était installé, fait d’une compréhension silencieuse entre deux hommes usés mais sincères.
Elias reprit le chemin de la chambre, la tête encore pleine des paroles échangées. Tobias resta un instant à le regarder s’éloigner, songeur, avant de retourner auprès de sa famille.
Quand Elias remonta le couloir, le parfum âcre des potions lui revint, mêlé à l’écho régulier des pas des médicomages. Il ne se doutait pas qu’en son absence, la vie venait justement de reprendre son cours.
Alors qu’il approchait de la chambre de Camille, Elias croisa Alice dans le couloir. Elle semblait tout à la fois essoufflée et bouleversée, les joues rosies, les yeux brillants d’une émotion qu’elle ne parvenait pas encore à exprimer.
— Alice ? demanda-t-il, inquiet, sentant une angoisse sourde lui nouer la poitrine. Qu’est-ce qui se passe ?
Elle secoua la tête, un sourire incrédule aux lèvres.
— Elias… elle est réveillée. Camille s’est réveillée. Je… je vais chercher un médicomage pour la faire examiner à nouveau, mais elle a ouvert les yeux, elle parle.
Le souffle d’Elias se coupa. Son cœur rata un battement, puis repartit à toute allure. Il hocha simplement la tête, incapable de prononcer un mot, et se précipita vers la chambre, le café encore chaud lui échappant presque des doigts.
Quelques secondes plus tard, Elias, le visage encore marqué par les veilles et la fatigue, entra d’un pas rapide dans la chambre de Camille, son café à moitié oublié dans la main. Son regard se posa sur Camille, éveillée, et tout en lui sembla vaciller.
— Camille…
Sa voix, rauque, se brisa presque sur son nom. Il s’approcha, encore hésitant, comme s’il craignait qu’elle disparaisse s’il faisait un faux mouvement. Ses doigts tremblaient, ses lèvres aussi. Il s’arrêta à quelques pas du lit, incapable de parler, submergé par l’émotion.
Chapter 13: Les battements retrouvés
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Elias était devant la porte, le souffle court, la tasse encore tiède entre ses doigts tremblants. Un battement, deux, puis il posa la main sur le chambranle et ouvrit doucement. Le couloir, qu’il venait de parcourir à grands pas, lui parut soudain trop silencieux. Il fit un pas à l’intérieur, le visage tiré, les yeux marqués par des heures d’insomnie. Son regard balaya la pièce, hésitant, avant de se figer.
Camille était réveillée. Allongée contre les oreillers, sa peau d’ordinaire mate avait perdu sa chaleur habituelle, tirant vers une pâleur presque irréelle sous la lumière filtrée par la fenêtre. Ses longs cheveux ondulés, ébouriffés et défaits, retombaient en mèches sombres sur ses épaules et encadraient un visage marqué d’ecchymoses. Un bandage clair entourait son bras et un autre son crâne, où affleurait la trace d’une blessure soignée. Son regard vert d’eau, fixe et troublé, oscillait entre la fatigue et la lucidité, comme si elle revenait à elle depuis un monde lointain. Et pourtant, dans cette immobilité, Elias perçut ce signe infime et vital : une étincelle de conscience, un retour à la vie.
Pendant un instant, il resta figé, comme s’il craignait qu’un geste trop vif suffise à la faire disparaître. Il s’approcha enfin, lentement, les doigts crispés sur la tasse de café qu’il avait oubliée dans sa main. Son regard s’accrocha à celui de Camille avec une intensité muette, presque douloureuse.
— Camille...
Sa voix était rauque, étranglée par l'émotion. Il s’agenouilla près du lit, posa une main sur le drap sans oser la toucher. Les mots vinrent difficilement. Camille le regardait, encore sonnée, elle semblait surprise par l'inquiétude si palpable d'Elias.
— Tu as été inconsciente plus de vingt-quatre heures. Alice et moi… on s’est relayés. Je voulais être là quand tu te réveillerais. Et quand j’ai compris que t’étais consciente… j’ai eu besoin de voir par moi-même. Je m’étais absenté juste un instant pour aller chercher du café.
Il marqua une pause, sa respiration tremblante.
— Tu étais si pâle, immobile… On aurait dit que tu flottais hors du temps. Alice disait que tu murmurais parfois son nom — celui de Liam — même inconsciente. Et parfois, tu parlais aussi en français. On ne comprenait pas tout… mais c’était doux. Comme un souvenir.
Quand le médicomage entra, Elias recula de quelques pas, lui laissant l’espace. Il suivit les gestes du praticien avec une tension silencieuse, notant chaque expression, chaque fluctuation du flux magique autour du corps de Camille. Quand le médicomage Thorne confirma que la jeune femme était en bonne voie de guérison, un poids quitta enfin sa poitrine.
Il écouta Camille parler, observer, plaisanter presque sur son immobilité forcée, et il sentit la vie revenir dans la pièce. Elle respirait, elle parlait. Elle était là. Une chaleur inattendue afflua dans ses membres, dissipant le froid paralysant qu’il n’avait même pas perçu jusque-là. Ce simple échange, ces mots banals mais pleins de vie, suffisaient à lui rendre la sensation du monde réel.
Mais quand elle demanda si elle pourrait retravailler d’ici une semaine, Elias sentit une pointe d’inquiétude renaître. Elle ne tenait pas en place – et il la comprenait.
— Doucement, Camille, murmura-t-il en écho. Tu m’as fichu une sacrée peur. J’ai vu beaucoup de choses dans ma vie, mais te voir inconsciente comme ça… ça m’a retourné.
Elle leva vers lui un regard fatigué, mais où brillait déjà une lueur de curiosité scientifique mêlée d’une pointe de perplexité. Son front se plissa légèrement, ses yeux le détaillèrent, comme si elle trouvait étrange l’intensité de son implication, cette émotion presque personnelle qu’elle devinait derrière ses mots. Elias s’en rendit compte à son tour : il lut dans son regard la question muette qu’elle n’osait pas formuler. Une gêne sourde le traversa. Il se surprit à s’en vouloir, à reconnaître ce trouble qu’il ne contrôlait pas. Depuis quand projetait-il ainsi, inconsciemment, sur elle des émotions qui ne lui appartenaient pas ? Était-ce la fatigue, la peur, ou ce vide laissé par sa propre fille disparue ? Il inspira lentement, essayant de reprendre pied. Peut-être, songea-t-il, qu’il devrait consulter un psychomage, avant que cette confusion entre instinct protecteur et illusion ne le rattrape tout à fait.
— Si tu te sens assez bien – et seulement si tu le veux – j’aimerais te poser quelques questions. Ce que tu as vu avant l’explosion, ce que tu as ressenti… tout peut nous aider, dit-il sans vraiment réfléchir.
En réalité, Harry, Ron et Henry avaient déjà recomposé les grandes lignes de l’affaire : Camille n’avait pas besoin de répéter tout cela. Mais il avait parlé avant même d’en prendre conscience, comme pour reprendre pied, pour retrouver une contenance. Une fois les mots sortis, il en regretta presque la spontanéité.
Elle répondit avec cette précision instinctive qui le fascinait : le flux contracté, la lumière, la larme. Il écouta, attentif, enregistrant mentalement chaque détail. Là où d’autres n’auraient vu qu’un récit confus, lui y entendait déjà une piste, une direction.
— C’est crucial, ce que tu viens de dire, souffla-t-il. On va pouvoir recouper. Henry, Vera, Alrik… ils vont vouloir t’embrasser pour ça.
Puis, plus bas :
— Mais promets-moi une chose. Pas d’expériences seules. Pas de recherches sans autorisation. Repose-toi. Guéris. Le reste attendra.
Elle acquiesça, bien qu’une part d’elle semble résister. Elias le vit dans son regard. La même obstination qu’il avait eue autrefois.
— Je comprends, dit-elle doucement. Mais je veux rester utile. Même à distance.
— Promis, répondit-il. Tu n’es pas seule. L'équipe tient bon. Tu as le droit de respirer, Camille. Et le devoir de guérir.
Quand elle le remercia, ses mots eurent sur lui un effet inattendu. Il se sentit maladroit, presque découvert.
— Je sais ce que c’est que d’avoir besoin d’être entouré, finit-il par dire. Et puis, tu n’es pas n’importe qui. Pas après ce que tu as fait pour Liam.
Il n’ajouta rien de plus. Ce n’était ni le moment ni le lieu. Mais en la regardant, il sut qu’il venait de franchir une ligne invisible – celle qui sépare la simple sollicitude de quelque chose de plus intime, plus troublant.
Quand Alice revint, soulagé, Elias se redressa. Il observa un instant les deux femmes – leurs sourires fatigués, leurs regards complices – puis attrapa sa tasse vide.
— Je vais vous laisser un peu, dit-il en reculant vers la porte. Je dois passer au Bureau des Aurors pour prévenir Harry. Les collègues seront ravis d’apprendre que tu es sortie d’affaire.
Mais alors qu’il refermait doucement la porte, il s’attarda un instant sur le chambranle, comme s’il voulait graver cette image – celle de Camille, vivante, parlant, respirant – dans sa mémoire. Elias sentait encore le poids de l’émotion sur sa poitrine. Il traversa le couloir, salua distraitement les médicomages, et transplana directement au Ministère de la Magie. Dans l’atrium animé, il retrouva Harry et Ron, qui levèrent la tête en le voyant approcher. Il les informa de l’état de Camille – sa conscience retrouvée, sa faiblesse, mais aussi ce qu'elle lui avait rapporté sur l'explosion. Le soulagement fut immédiat sur leurs visages, et Ron lâcha un sifflement en secouant la tête.
— Sacrée fille, murmura-t-il. On a eu peur qu’elle ne s’en sorte pas.
Elias acquiesça simplement avant de se rendre au département de la Recherche magique. Henry Wilcox l’accueillit dans son bureau, l’air fatigué mais soulagé de le voir. Elias lui demanda s’il avait réussi à joindre le contact d’urgence de Camille, si quelqu’un allait venir la voir. Henry hocha la tête : il avait enfin reçu une réponse du MACUSA. Le contact d’urgence de Camille n’était autre que sa meilleure amie, une certaine Lola, qui avait répondu présente dès qu’elle avait appris la nouvelle. Par cheminette, elle avait promis de prendre le premier portoloin pour rester auprès d’elle. L’annonce fit retomber une partie de la tension d’Elias ; il sentit l’inquiétude se détendre dans sa poitrine, remplacée par un soulagement discret mais sincère. Il demanda tout de même à Henry de le prévenir dès l’arrivée de la jeune femme, puis prit congé.
Il termina la paperasse en suspens au Bureau des Aurors, rangeant les dossiers et signant les rapports qu’il avait laissés ouverts avant l’explosion. Lorsqu’il remit la dernière plume à sa place, il réalisa qu’il entamait enfin son congé.
Ce soir-là, il rentra chez lui. Selenel’attendait, les bras croisés, entre soulagement et inquiétude. Les jumeaux, Henry et Ariane, vinrent se coller à lui, réclamant son attention avec la spontanéité de ceux qui sentent qu’un danger a frôlé la maison. Elias les serra fort, retrouvant dans cette étreinte la chaleur qu’il avait perdue ces dernières heures.
Plus tard, alors qu’il observait ses enfants dormir, il dressa mentalement la liste des étapes à suivre dès le lendemain : mobiliser ses contacts au MACUSA parmi les Aurors pour retirer le dossier d’enquête sur la disparition du « bébé Night », comme l’avaient appelé les journaux américains à l’époque ; se rendre à l’orphelinat où Camille avait grandi pour consulter son dossier et recueillir les témoignages de ceux qui l’avaient connue ; visiter l’Académie de Salem afin d’examiner son dossier scolaire et parler à ses anciens professeurs ; passer ensuite par l’hôpital où elle avait effectué deux années d’internat en médicomagie pour obtenir davantage d’informations. Et si, au terme de tout cela, les indices confirmaient encore son intuition, il lui faudrait alors rassembler tout son courage pour affronter Alexander Night et son compagnon Mathieu, même si cela faisait vingt-deux ans qu’il ne les avait pas revus, depuis ce jour où il avait découvert la mort d'Emily et la disparition de leur fille âgée de moins de deux mois.
Le matin venu, après un dernier café partagé avec Selene, il prit la décision de partir pour les États-Unis, le cœur encore lourd mais déterminé à savoir, enfin, qui était réellement Camille Dufresne.
Chapter 14: Retrouver les traces
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Le lendemain matin, Elias se leva avant l’aube, le cœur encore serré par la culpabilité de ces deux jours d’absence. Il se sentait honteux, aussi, de donner si peu à ceux qu’il aimait. Personne ne lui en voulait, ni Selene ni les enfants, il le savait, mais cette indulgence silencieuse pesait plus lourd que le moindre reproche. L’odeur du café chaud emplissait la cuisine, mêlée au parfum de pain grillé et de confiture de fraises. Selene, encore en robe de chambre, leva les yeux vers lui avec un sourire fatigué, mais apaisé.
Il se pencha pour déposer un baiser sur son front, un geste tendre qu’il négligeait trop souvent ces derniers temps, comme pour se faire pardonner sans un mot. Les jumeaux, Henry et Ariane, entrèrent, leurs cheveux ébouriffés, riant, à moitié ensommeillés, et il les accueillit d’une accolade maladroite mais sincère. Il voulait que chacun d’eux sente qu’il leur appartenait encore un peu, avant de repartir, et qu’ils comprennent qu’ils étaient sa véritable raison de tenir.
Elias prit le temps de savourer ce moment de calme domestique. Il savait qu’il lui faudrait partir dans la journée, pour plusieurs jours. Et plus il y pensait, plus son esprit s’embuait de questions. Est-ce qu’ils iraient bien sans lui, même si Henry et Ariane avaient dix-neuf ans ? Est-ce qu’ils comprendraient son absence, ou penseraient-ils qu’il choisissait encore son travail ? Il se sentit coupable de partir si loin, de quitter l’Europe pour la première fois depuis dix-neuf ans. Mais la vérité, c’est qu’il ne pouvait pas rester. Il ne pouvait pas tourner le dos à ce qu’il devait faire, même si chaque fibre de son être lui disait de rester là, à cette table, avec eux.
— Je vais devoir m’absenter quelques jours, annonça-t-il simplement en posant sa tasse, mais sa voix avait perdu de sa stabilité. Une enquête à suivre. Rien de dangereux… enfin, rien de plus dangereux que d’habitude. Mais je dois aller sur place. Et je préférerais… vraiment préférerais… ne pas avoir à vous laisser encore. J’aimerais pouvoir rester ici, avec vous. Juste… soyez prudents, d’accord ?
Selene le regarda longuement, sans poser de question. Elle savait lire entre les lignes. Elle hocha lentement la tête.
— Tout va bien se passer. Promets-nous juste de revenir entier, dit-elle doucement.
Il lui sourit, une main sur la sienne.
— Promis. Et dès que je reviens, on prend quelques jours rien qu’à nous. Tous ensemble. Sans ministère, sans paperasse.
Les enfants applaudirent à l’idée, leurs visages soudain illuminés. Henry fit mine de compter déjà les jours, tandis qu’Ariane esquissait un sourire complice à leur mère. Elias rit doucement, heureux de ce petit éclat de joie au milieu de la tension qui le traversait. Il observa un instant ce tableau : Selene adossée au plan de travail, la lumière du matin caressant son visage, les jumeaux encore en pyjama qui se chamaillaient doucement pour une tartine. Cette image, si ordinaire et si précieuse, le frappa d’une tendresse poignante. Il voulait s’en souvenir, la graver dans sa mémoire pour l’emmener avec lui là-bas, de l’autre côté de l’océan. Il voulait emporter cette chaleur avec lui, pour qu’elle le protège du froid du voyage et du poids des souvenirs qu’il s’apprêtait à réveiller.
Avant de partir, il fit un détour par Sainte-Mangouste. Il voulait s’assurer que Camille n’était pas seule. Le couloir menant à sa chambre était calme. Mais à quelques mètres de la porte, il aperçut une jeune femme rousse qui attendait, nerveuse, les mains jointes, mordillant sa lèvre inférieure. Elias fit aussitôt le lien avec le prénom mentionné par Henry la veille : Lola, le contact d’urgence de Camille. Pourtant, en la voyant ainsi—raide, les épaules tremblantes, le regard rivé à la porte sans oser s’en approcher—il sentit un doute l’effleurer. Henry avait confirmé que Lola avait été prévenue, oui… mais quelque chose, dans l’expression de cette jeune femme, dans sa manière de scruter les ombres du couloir, éveilla en lui une inquiétude confuse. Était‑ce vraiment Lola ? Et si oui… pourquoi semblait‑elle si terrifiée ? Cette nervosité presque fébrile, trop intense pour un simple choc, ne lui échappa pas, et il sentit un léger poids se former dans sa poitrine, un instinct de méfiance aussi discret que tenace.
À ce moment-là, un grand homme métis au regard perçant sortit de la chambre de Camille. Sa carrure imposante tranchait avec l’atmosphère feutrée de l’hôpital. Sa posture droite, son regard vif et presque inquisiteur donnaient l’impression d’un homme habitué à tout observer, à tout contrôler. Il échangea quelques mots rapides avec la jeune femme rousse, sa voix basse mais ferme, un ton de protecteur inquiet. Elias, immobile, les observa de loin. Il ne connaissait pas cet homme, mais en voyant la manière dont il s’adressait à la jeune femme, il comprit qu’il devait être un proche de Camille — peut-être un ami très cher, ou son compagnon. Quelqu’un qui, comme lui, refusait de faire confiance au premier venu.
Par précaution, et mû par cette méfiance instinctive qui lui collait à la peau depuis la guerre, Elias effleura discrètement la surface de leurs pensées grâce à un sort de légilimancie léger, plus proche d’une simple intuition magique que d’une intrusion véritable. Juste assez pour percevoir l’émotion dominante du moment. Pas d’hostilité. Pas de menace cachée. Rien qu’une inquiétude fébrile chez la jeune femme… et une vigilance farouche chez l’homme, teintée d’une urgence protectrice. Cela suffit à apaiser légèrement Elias : ils étaient bien là pour Camille.
Quand l’homme leva enfin les yeux vers lui, leurs regards se croisèrent un bref instant. Pas de signe de tête, pas de mot, seulement cette méfiance instinctive et silencieuse qui liait deux hommes aux instincts aiguisés. Elias soutint le regard, circonspect, puis, comprenant qu’il n’était plus nécessaire de rester, se détourna lentement et quitta l’hôpital, se rappelant la promesse faite par Ron.
Quelques minutes plus tard, il tenait entre ses doigts un portoloin international émis en urgence – un ancien médaillon de cuivre gravé de runes, pulsant doucement d’une lumière bleutée. L’objet vibrait sous ses doigts, prêt à activer le sort de transport. Les portoloins étaient la spécialité du Département des Transports magiques du Ministère : ils reliaient les continents comme des veines enchantées, permettant un passage instantané, quoique brutal, d’un point du globe à un autre.
Sa réputation d’Auror vétéran et ses relations lui avaient ouvert les portes sans attendre, mais il sentit tout de même un pincement au cœur au moment de l'activation de l’objet.
Le monde se déroba sous ses pieds. Le sol tourna, les couleurs se mêlèrent, et son souffle fut arraché à sa poitrine. Lorsqu’il reprit pied, c’était dans la salle d’arrivée du MACUSA — une vaste rotonde de marbre incrustée d’étoiles d’or, où des employés vérifiaient les identités et les autorisations d’entrée. Un agent l’arrêta, demanda ses papiers, reconnut aussitôt son nom et lui rendit son insigne d’Auror britannique avec respect.
Elias passa les grandes portes enchantées et entra dans le hall principal du MACUSA. Dix-neuf ans qu’il n’avait pas vu ce lieu, et pourtant tout lui semblait étrangement familier : les faisceaux de lumière flottant dans l’air, les ascenseurs à tubes de verre qui s’élevaient comme des geysers de magie, les sorciers pressés dans leurs longues robes bleu nuit. La magie américaine vibrait différemment, plus vive, plus spectaculaire — comme si chaque sort était conçu pour éblouir autant que pour agir. Il sentit son cœur battre plus fort. Dix-neuf ans qu’il n’avait pas franchi l’océan. Dix-neuf ans qu’il n’avait pas affronté ses souvenirs.
Là, il se rendit directement au service des Aurors, où l’attendait son ancien contact, Hishiro Kimura. L’homme avait vieilli, certes — ses cheveux noirs étaient striés d’argent, ses épaules un peu plus lourdes — mais son regard sombre, vif et perçant, demeurait le même. Il avait ce calme propre à ceux qui ont vu trop de batailles pour se laisser impressionner par la suivante. Lorsqu’Elias entra, Hishiro leva les yeux de ses parchemins, et un sourire presque imperceptible étira ses lèvres.
— Elias Prewett… ça fait une éternité, dit-il d’une voix rauque.
Ils échangèrent une poignée de main ferme, un regard chargé de souvenirs. Elias se revit vingt ans plus tôt, aux côtés d’Emily, sur le terrain, tandis qu’Hishiro coordonnait leurs interventions contre des Mangemorts en fuite. Le souvenir d’une nuit d’hiver lui revint, le sang sur la neige, les ordres d’Hishiro hurlés par-dessus le vacarme. Et un autre souvenir, plus doux : Emily, riant d’une remarque de l’Auror américain, les traits encore lumineux malgré la fatigue.
— Je me souviens d’elle aussi, souffla Hishiro, comme s’il avait lu dans ses pensées. Emily était… brillante. Courageuse. J’aurais voulu qu’on puisse la sauver... ou à défaut, lui rendre justice...
Le silence s’installa, lourd, respectueux. Puis Elias reprit, sa voix plus basse :
— J’ai besoin de consulter un dossier. Celui de la disparition du bébé Night. L’enquête que tu avais dirigée.
Hishiro fronça légèrement les sourcils.
— Ce dossier est classé depuis longtemps, Elias. Tu sais ce que tu me demandes ?
— Je le sais. Mais j’ai besoin d’une copie. Officieuse.
Hishiro le dévisagea longuement, avant de soupirer.
— Tu n’as jamais su lâcher, hein ?
Elias leva les yeux vers lui, un éclat de douleur dans le regard, la mâchoire serrée.
— Comment veux-tu lâcher, Hishiro ? Quand il s’agit de la perte de ton propre enfant ? Quand tout ce qu’il te reste, ce sont des rapports, des hypothèses et des souvenirs de la femme que tu as un jour aimée?
Sa voix trembla légèrement avant qu’il ne détourne les yeux, cherchant à ravaler l’émotion qui le gagnait.
Hishiro tressaillit, pris de court par la sincérité brute de ces mots. Son expression se radoucit aussitôt.
— Pardonne-moi, Elias, dit-il d’une voix plus basse. C’était maladroit… je n’aurais pas dû.
Il détourna un instant les yeux, comme honteux d’avoir rouvert une plaie qu’il savait encore vive. Il finit par ouvrir un tiroir en vérifiant que personne ne les observait, et il en sortit un dossier jauni au sceau craquelé qu'il dupliqua d'un coup de baguette en vérifiant à nouveau que personne ne les observait.
— Je ne t’ai rien donné, dit-il simplement en lui tendant le document.
Elias le prit avec un mélange de gratitude et de gravité.
Avant qu’il ne parte, Hishiro demanda :
— Et pourquoi ce regain d'intérêt soudain ?
Elias hésita.
— Disons que… certaines coïncidences méritent d’être vérifiées.
L’Auror américain plissa les yeux mais ne répondit rien. Elias glissa le dossier sous son bras, le remercia d’un signe de tête. Leurs regards se croisèrent encore une fois — une compréhension muette entre deux hommes marqués par la même perte.
Chapter 15: Les échos du passé
Notes:
Merci pour votre patience. Ce chapitre marque un tournant majeur dans l’histoire — révélations, émotions fortes et réponses tant attendues. J’espère qu’il saura vous captiver autant qu’il m’a émue en l’écrivant. Bonne lecture.
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Il s’installa ensuite dans un petit parc moldu qui se trouvait juste à côté : City Hall Park, à l’ombre d’un arbre. Le bruit des enfants jouant, des oiseaux, contrastait avec le poids du dossier posé sur ses genoux. Il l’ouvrit, méthodiquement, et lut après avoir pris une grande inspiration.
Sujet : NIGHT, Emily
Née : 4 juin 1976 (Boston, MA)
Parents : Dorian Night (né le 18 février 1950 à Hartford, Connecticut — juge à la Cours Magique d'Amérique et juriste spécialiste des droits magiques, Académie de Salem, Cercle du Nœud ; mort) et Elena Night, née Whitefeather (née le 2 septembre 1952 à Teslin, Territoire du Yukon — théoricienne en magie élémentaire, Ilvermorny, maison Thunderbird ; morte).
Fratrie : Olivia Night (née le 12 mai 1975 à Boston, MA — Académie de Salem, Cercle du Nœud ; employée au Département du Secret Magique au MACUSA, fiancée ; morte) ; Alexander Night (né le 3 novembre 1985 à Boston, MA — Académie de Salem, Cercle du Flux ; vivant).
Décès : 28 décembre 2002 (assassinat au domicile familial)
Âge au moment du décès : 26 ans
Statut : Auror – MACUSA, Bureau des Opérations Extérieures
Etudes : Académie de Salem (Cercle du Nœud)
Spécialités : Défense avancée, traqueurs, protocoles d’interception transcontinentale
Supérieurs référents : Directrice A. Montoya, Commandant J. Reyes
Évaluations professionnelles (extraits) :
– “Agent dotée d’un instinct tactique exceptionnel. Priorise toujours la protection des civils.” – Cmdt Reyes
– “Capacité rare à établir un contact rapide avec les témoins. Empathie élevée, sans perte d’efficacité opérationnelle.” – D. Montoya
– “Résilience mentale remarquable. Profil adapté aux missions longues et sensibles.” – Département Psychomagie
Notes comportementales :
– Audacieuse, intuitive, fiable en situation critique.
– Forte propension à la collaboration interservices.
– Leadership émergent lors des missions nocturnes.
Statut personnel :
– Relation déclarée : aucune.
– Congé maternité enregistré en juin 2002, débuté à cinq mois de grossesse.
– Accouchement enregistré le 3 octobre 2002, à l'Hôpital Magique du Massachusetts.
– Reprise du travail : aucune réintégration constatée après le congé ; le dossier mentionne une prolongation exceptionnelle pour raisons médicales, suivie d’une mutation interne temporaire non détaillée.
– Père non identifié (dossier scellé).
– Nouveau-né : de sexe féminin.
En lisant ces lignes, Elias sentit la douleur familière remonter – une brûlure dans la poitrine, vive et ancienne. Même après toutes ces années, rien n’avait faibli.
Accrochée au dossier, une photo d’Emily avec son équipe d’aurors attira soudain son attention. Une photo animée, prise des années plus tôt, où elle se tenait au centre du groupe.
Emily y apparaissait telle qu’elle avait été à vingt-cinq ans : une jeune femme d’une beauté vive, presque indocile. Sa peau dorée par ses origines amérindiennes captait la lumière avec une chaleur particulière. Ses longs cheveux noirs – épais – étaient soulevés par une brise invisible, révélant parfois une mèche rebelle aux reflets bruns qui retombait devant son front. Ses yeux en amande, d’un brun profond piqué d’ambre, semblaient rire avant même que ses lèvres ne s’étirent. Son visage, tout en courbes douces, présentait des pommettes hautes, un nez fin, et un pli de malice permanent au coin de sa bouche, celui qu’Elias avait un jour décrit comme « la promesse d’un sourire avant qu’il n’arrive ».
Sur la photo, elle portait son uniforme d’auror comme si c’était une seconde peau : cape sombre ajustée, posture souple mais alerte, prête à bondir si nécessaire. Autour d’elle, ses collègues riaient, se chamaillaient, certains lançaient des regards complices à l'appareil. Emily, elle, levait brièvement les yeux comme si elle l’avait vu, lui, comme si elle devinait qu’un jour il regarderait encore cette image jusqu’à en avoir le cœur serré.
La voir bouger, respirer, sourire… après vingt-deux ans d’absence… le frappa comme un sortilège en pleine poitrine. Ses entrailles se tordirent. L’air quitta un instant ses poumons. Le monde autour de lui sembla vaciller.
Un souvenir s’imposa à lui, si net qu’il en oublia le bruissement du parc. Leur première rencontre. C’était au Ministère britannique, un matin de janvier 2001. Il l’avait aperçue dans le grand hall, un dossier sous le bras, en train de discuter vivement avec un Auror anglais à propos d’une procédure d’extradition. Elle parlait vite, passionnée, les mains animées par la conviction, son accent américain tranchant avec la solennité du lieu. Il s’était approché, intrigué par cette jeune femme qui tenait tête sans trembler à un supérieur. Quand elle s’était tournée vers lui, leurs regards s’étaient croisés — un instant bref, mais suffisant. Il s’était présenté, un peu raide, et elle avait répondu avec ce demi-sourire ironique qui serait plus tard sa signature. "Vous êtes britannique, non ?" avait-elle lancé. "Ça se voit à la manière dont vous dites bonjour, comme si vous vous excusiez de déranger l’air."
Il s’était surpris à rire, sincèrement, chose rare pour lui à l’époque. Leur collaboration avait commencé ce jour-là. Une enquête commune sur le trafic d'artéfacs de magie noire entre l’Europe et l’Amérique. Il se souvenait de leurs désaccords passionnés, de ses remarques acérées, de la façon dont elle penchait la tête quand elle réfléchissait, mordillant le bout de sa plume. Elle l’avait déconcerté autant qu’elle l’avait fasciné. Peu à peu, entre deux missions et des nuits de veille passées à éplucher des rapports, leurs échanges s’étaient teintés d’une complicité inattendue. Ils partageaient le même humour sec, la même rigueur, et cette incapacité à tolérer l’injustice. C’est lors d’une mission à Dublin qu’ils avaient cessé de se voiler la face : un soir de pluie, dans une auberge, il l’avait vue trempée jusqu’aux os, riant malgré la fatigue. Il s’était approché pour lui tendre sa veste et leurs doigts s’étaient frôlés — un geste minuscule, mais qui avait tout changé.
Leur histoire avait duré un peu plus d’un an. Un an d’équilibre fragile entre le devoir et la passion, entre la retenue d’un homme taciturne trop conscient des conséquences et l’élan d’une femme libre qui refusait de taire ce qu’elle ressentait. Ils s’étaient aimés intensément, avec cette urgence propre aux êtres qui savent que leur temps ensemble est compté. Elias se souvenait encore du son de son rire, de son parfum de lavande et de poudre, de la chaleur de sa main dans la sienne quand ils quittaient le terrain d’enquête à l’aube. Ce fut une histoire brève, mais assez forte pour brûler toute une vie.
Ils étaient tombés follement amoureux, l’un de l’autre comme on ne l’est qu’une fois. Pour Elias, Emily avait été son premier amour — celui qui forge et qui marque à jamais. Ils avaient tout partagé, jusqu’aux silences, jusqu’aux nuits blanches où le monde entier semblait suspendu entre deux respirations. Quand leur mission commune avait pris fin, Emily avait dû retourner en Amérique. Il se souvenait du poids dans sa voix quand elle lui avait annoncé la nouvelle. Elle avait les larmes aux yeux, mais le sourire d’une femme qui y croyait encore. Ils s’étaient promis de se retrouver, de ne pas laisser la distance éteindre ce qu’ils avaient bâti. Elias devait la rejoindre quelques semaines plus tard — d’abord pour des vacances qui lui auraient permis de rencontrer sa famille, puis pour s’installer définitivement à ses côtés. Il avait même acheté une bague de fiançailles, dissimulée dans un écrin de velours bleu.
Une passion qu’on ne rencontre qu’une seule fois. Et il savait, en relisant ces pages, qu’aucune autre lumière, aucune autre main, aucun autre rire ne pourrait jamais effacer celle qu’elle avait laissée en lui.
Un tremblement discret parcourut ses doigts tandis qu’il fermait brièvement les yeux. La douleur, qu’il avait si longtemps tenue à distance pour pouvoir fonctionner, remonta d’un seul coup, vive, brûlante, insupportable. Sa gorge se serra, et il inspira profondément pour reprendre contenance. Ses épaules s’affaissèrent, trahissant l’épuisement d’un homme qui s’interdisait depuis trop longtemps de ressentir. Pendant un instant, il voulut refermer le dossier, le jeter au loin, effacer les images et les voix qu’il venait d’éveiller. Mais il se força à rouvrir les pages, conscient qu’il n’avait plus le droit de fuir.
Il reprit donc sa lecture, plus lentement cette fois. Les pages suivantes du dossier détaillaient la vie d’Emily : élevée dans le Massachussets, dans un environnement mêlant tradition amérindienne et éducation américaine. Elle avait étudié à l’Académie de Salem, où ses professeurs décrivaient une élève brillante, intuitive et audacieuse avec une appétence particulière pour la Défense, l'Étude des forces du Mal et la culture non-magique. Son dossier au MACUSA indiquait qu’elle avait été recrutée à vingt ans comme stagiaire au Bureau des Aurors, puis titularisée à vingt-trois après avoir résolu sa première enquête en solo. Ses supérieurs la décrivaient comme « déterminée, empathique, dotée d’une intelligence tactique rare et d’un instinct hors norme. » Ses collègues, eux, parlaient d’une femme « lumineuse, loyale, prête à tout pour protéger les siens. »
À mesure qu’Elias parcourait les pages, l’encre semblait raviver des images qu’il croyait perdues : Emily penchée sur une carte enchantée, sourcils froncés ; Emily en plein duel d’entraînement, un rire franc échappant malgré l’intensité ; Emily prenant la défense d’un stagiaire injustement réprimandé. Le dossier évoquait aussi — en termes feutrés, presque pudiques — une jeune femme dont l’humanité transparaissait partout : ses rapports rédigés avec un soin rare, ses interventions auprès de populations vulnérables, son refus catégorique de laisser quiconque derrière.
Un passage nouveau retint son attention : un extrait d’entretien annuel datant de décembre 2000, signé de sa directrice. « L'agent Night démontre une capacité exceptionnelle à établir un lien avec des témoins traumatisés. Son empathie est un atout majeur, bien qu’elle doive apprendre à préserver ses forces. Profil recommandé pour missions intercontinentales sensibles. » Plus loin : « Montre une compréhension intuitive des dynamiques d’équipe, sert souvent de médiatrice dans les conflits. Très forte résilience. »
Elias sentit sa gorge se nouer davantage. Chaque ligne, chaque annotation administrative, chaque mot impersonnel confirmait ce qu’il savait déjà : Emily avait été tout cela, et infiniment plus encore. Elle avait été une force de vie, un mélange incandescent de conviction, de douceur et de courage. Une femme dont l’éclat ne pouvait pas être réduit à quelques pages de dossier.
Et pourtant, c’était désormais tout ce qu’il lui restait.
Prenant une respiration profonde, Elias tourna ensuite les pages consacrées au dossier d’Olivia. Il y trouva les annotations précises sur son parcours au Département du Secret Magique, les témoignages élogieux de ses supérieurs, son engagement sans faille. La photo animée jointe au dossier montrait Olivia replaçant machinalement une mèche derrière son oreille avant d’adresser un sourire vif à l'appareil, un geste qui réveilla en lui un écho affreusement familier : celui de la complicité entre les deux sœurs, si semblables dans leur manière d’habiter la lumière.
Cette fois, cependant, il prit le temps d’observer Olivia plus attentivement — comme si, à travers elle, il cherchait à comprendre ce qui la liait si profondément à Emily. Sur l’image, Olivia avait les cheveux mi‑longs, châtains, ondulés naturellement ; une mèche retombait toujours de la même façon devant son front avant qu’elle ne la repousse d’un geste impatient. Ses yeux gris — d’un gris perçant, presque métallique — brillaient d’une vivacité rare. Ils contrastaient avec la douceur de ses traits : un visage ovale, des pommettes fines, un sourire franc mais réservé, le genre de sourire qui mêle intelligence et ironie contenue. Elle portait une robe de travail impeccable, bleu nuit, légèrement cintrée, qui lui donnait une allure à la fois professionnelle et élégante.
Un insert supplémentaire avait été accroché au dossier : plusieurs articles de presse issus de journaux magiques américains. Elias les parcourut, sentant son cœur se serrer à chaque ligne. « Le mariage de l’année : Olivia Night et Gareth Wycliffe, héritier d’une des plus anciennes familles du Massachusetts, unissent leur destin. » Un autre titre : « Le couple Wycliffe–Night : une alliance prometteuse entre tradition et modernité. » Une photo animée montrait Olivia et Gareth sortant d’une ambassade magique, main dans la main : Gareth, grand, mince, les cheveux blonds foncés savamment coiffés, les yeux d’un bleu glacial; Olivia, radieuse, se tournant vers lui avec une tendresse évidente. Ils semblaient partager un rire avant que la photo ne boucle.
Elias sentit quelque chose se fissurer en lui en lisant les commentaires. Les préparatifs mentionnés — la liste des invités, la date déjà arrêtée du 8 août 2003, la robe commandée chez une couturière de renom — représentaient un avenir entier, vibrant, balayé en une nuit. En lisant, son souffle se fit plus court, son estomac se noua, et la sensation douloureuse d’un monde massacré trop tôt envahit sa poitrine.
Un frisson remonta le long de sa nuque, presque douloureux. Ses doigts se crispèrent contre le papier, et son souffle se coupa brièvement tandis qu'une vague de souvenirs l’engloutissait sans prévenir. Il revit Olivia, cette fois non plus seulement à travers la photo, mais dans la mémoire vivante d’une soirée londonienne de 2001 sur le Chemin de Traverse, où elle avait rendu visite à sa sœur. C'était la seul Night qu'il avait rencontrée à l'époque à part Emily.
Elias porta une main à son visage, s’y appuya un instant comme pour retenir le flot d’émotions qui menaçait de le submerger. Il ferma les yeux, inspira longuement, puis rouvrit les pages avec la lenteur d’un homme qui se force à avancer malgré la douleur.
Sous la description administrative, un rapport d’évaluation : Employée exemplaire, reconnue pour sa précision et sa diplomatie dans les affaires sensibles. Recommandée pour un poste de supervision avant la fin de l’année.
Elias sentit son ventre se nouer. Il la revoyait telle qu’il l’avait connue : la voix vive, la répartie acérée, ce mélange d’ambition et de bonté qui faisait d’elle une femme respectée et redoutée à la fois. Il eut un léger sourire, triste, devant le souvenir de cette jeune femme qu’il avait vue taquiner Emily, leur complicité éclatant dans un rire bref avant qu’elles ne reprennent aussitôt leur sérieux. La vie, à l’époque, semblait encore pleine de promesses. Aujourd’hui, il ne restait que ces lignes d’encre et une photo figée — des traces froides d’un monde disparu.
Dorian Night, leur père, apparaissait ensuite : Américain de vieille souche, juriste spécialisé dans la défense des droits magiques, l’un des premiers à plaider pour la reconnaissance des populations hybrides. Il avait été choisi pour le poste de juge à la Cour Magique d'Amérique. Cheveux blonds, regard gris acier, posture droite — l’image d’un homme ferme mais dont l'expression sur le visage trahissait la bonté. Quelques articles de presse joints au dossier retraçaient ses prises de position publiques, souvent citées dans La Revue américaine de la Loi Magique, où il défendait avec passion les droits des communautés marginalisées. On y voyait aussi une photo animée de lui, plus jeune, recevant une récompense pour une victoire juridique historique, l’air grave mais satisfait.
À côté de lui, Elena, sa femme : une femme amérindienne au port digne et au sourire chaleureux, spécialiste de magie élémentaire, théoricienne respectée pour ses travaux sur les correspondances entre les quatre forces naturelles. Son visage ovale, sa chevelure noire épaisse et ses yeux sombres empreints de sérénité contrastaient magnifiquement avec la blondeur de son mari. Plusieurs coupures de journaux accompagnaient son dossier : notamment un portrait dans L’Encyclopédie des Forces Primordiales, où elle posait devant un schéma mouvant de flux élémentaires. Une autre image magique — extraite d’un reportage pour Le spécialiste — la montrait en plein exposé, ses mains traçant dans l’air des formes lumineuses représentant la dynamique des quatre éléments.
Enfin, une double-page retraçait l’héritage des Night : une lignée sorcière ancienne, de sang pur, déjà présente sur le territoire américain durant les premières vagues de chasse aux sorcières. On y mentionnait les ancêtres de Dorian, parmi lesquels une sorcière réputée pour avoir protégé plusieurs familles magiques contre les purges coloniales. Les Night étaient décrits comme "une lignée de juristes, de protecteurs et de combattants silencieux" — une famille respectée pour sa droiture et son service public magique.
Elias observa longuement leurs portraits côte à côte — deux mondes unis par l’amour et la magie, deux lignées fondues dans un équilibre qu’il avait admiré chez eux quand Emily lui en avait parlé. Les dossiers, il les connaissait par cœur, pour les avoir lus et relus, mais chaque relecture ravivait la même douleur. Et cette fois, un autre souvenir le perça : Gareth Wycliffe, ce jeune homme noble à la prestance parfaite, qu’Elias avait rencontré brièvement lors de la visite d’Olivia à Londres. Emily les avait présentés, fière, taquine. Olivia avait ri, Gareth l’avait regardée comme si elle était la seule lumière dans la pièce, et Elias, déjà familiarisé avec ce genre de regard, avait su immédiatement qu’ils s’aimaient depuis longtemps.
Une seconde image remonta, encore plus vive : le jour où les corps des Night furent découverts. La convocation urgente au MACUSA. Le couloir saturé d’Aurors. Et au milieu d’eux, Gareth — brisé. Il hurlait, une détresse animale, sauvage, arrachée du fond de la poitrine. Deux Aurors tentaient de le maîtriser tandis qu’il se débattait, la voix brisée en sanglots, répétant le prénom d’Olivia comme une prière qu’on aurait piétinée. Ses genoux avaient flanché à plusieurs reprises ; il avait fini par s’effondrer sur le sol de marbre, secoué de spasmes, incapable d’accepter que la femme qu’il devait épouser avait été tuée.
Elias, lui, se souvenait avoir été tout l’inverse. Figé. Froid comme la pierre. Il avait senti son corps se vider de son sang, ses poumons se contracter jusqu’à refuser l’air, une douleur physique — réelle, tranchante — lui déchirer la cage thoracique. Pas un cri, pas une larme. Juste cette impression d’être frappé par un sort qui arrête le temps. Il n’avait plus entendu les voix autour de lui, seulement un bourdonnement assourdissant, comme si le monde s’était éloigné pour éviter de le voir se briser. Là où Gareth s’effondrait en morceaux visibles, Elias se fracturait en silence, chaque fragment de lui-même retombant dans un gouffre intérieur.
Deux hommes, deux réactions opposées — mais la même perte, la même violence, la même nostalgie terrible d’un temps où tout semblait encore possible.
Les pages suivantes détaillaient l’horreur — et, pour la première fois depuis longtemps, Elias sut qu’il n’avait plus affaire à de simples souvenirs, mais à la reconstitution précise d’un crime ancien. Le dossier présentait les faits sous forme brute, froide, telle une autopsie administrée à une tragédie familiale.
28 décembre 2002 – 23h37 : Déclenchement d’un incendie majeur par sort explosif de haute intensité. Une annotation en marge précisait : « Signature magique atypique. L’onde de choc correspond à un amalgame entre Confringo et une variante non répertoriée de Fulgur Obscurus. Investigation en cours. »
Auteurs identifiés : trois Mangemorts poursuivis par les services britanniques, fichés au Département des Aurors. Leurs motivations étaient encore débattues : vengeance personnelle, ordre reçu d’une cellule clandestine, ou tentative de récupérer un artefact. Un rapport complémentaire notait : « Cible principale supposée : Emily Night (Auror). Attaque soudaine, pas de tentative de négociation. Opportunité ciblée. »
État des lieux – constats médicomagiques :
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Brûlures magiques étendues (origines multiples, dont maléfices de feu noir)
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Fractures multiples (probablement dues à l’explosion initiale puis à l’effondrement partiel de la structure)
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Malédictions irréversibles, dont Lacero Maxima et Silentis Cruciatus, retrouvées résiduelles dans les flux ambiants.
Un tableau annexe, rédigé par l’équipe d’intervention américaine, listait les victimes avec une précision clinique :
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Dorian Night : décès instantané, souffle projeté contre un mur en pierre enchantée, fracture mortelle du crâne.
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Elena Night : traces d’affrontement magique prolongé ; décès par malédiction de rupture interne ayant causé une hémorragie généralisée.
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Olivia Night : retrouvée près de la bibliothèque, aurait succombé à une combinaison de sortilèges perforants et une malédiction de feu noir.
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Emily Night : corps retrouvée dans le couloir central ; traces d’un affrontement acharné. Présence de brûlures profondes, multiples impacts de sortilèges, et blessures défensives sur les avant‑bras. Des traces au sol — marques de sang et traînées irrégulières — suggérant qu’elle a tenté de ramper vers une pièce adjacente avant de succomber, probablement pour atteindre le berceau où se trouvait son enfant.
Puis venait la seule lueur encore vivante parmi les ruines :
Alexander Night – survivant : trouvé inconscient à l’entrée du domaine, victime d’un sort de découpe au torse et au bras, ainsi que d’un sort noir violent ayant brisé sa jambe droite. Le rapport précisait : « Perdait beaucoup de sang, présentait une confusion sévère. Aura fortement perturbée. A réussi à ramper jusqu’à la sortie avant de perdre connaissance. »
Un passage encadré en rouge concernait l’elfe de la maison, Merrin :
— « L’elfe, malgré des blessures majeures (rupture du flux central, exposition prolongée au feu maudit), a manifesté une résistance exceptionnelle. Décès survenu deux jours plus tard après des périodes d'inconscience malgré soins intensifs. »
Plus bas, une transcription du dernier témoignage de Merrin, écriture tremblée :
« Camille… Bracelet argent… maison brûlait… maîtresse Emily crié…pas pu… mais la petite... vivante… »
L’encre s’éteignait à la fin, remplacée par la mention : « L’elfe n’a pu poursuivre. Dernières paroles incohérentes. »
Le rapport suivant évoquait une gourmette — un petit bijou en argent marqué « Camille – 03/10/02 » — mais précisait qu’aucune trace matérielle n’en avait été retrouvée après l’attaque, tout comme pour le nourrisson. Seule demeurait la première description officielle du bébé, consignée par l’elfe Merrin avant sa mort : « peau claire, yeux vert d'eau, mèches noires aux reflets cuivrés»
Enfin, les notes internes des Aurors s’enchaînaient :
— « Piste 1 : trafic d’enfants — aucune correspondance dans les réseaux connus. »
— « Piste 2 : kidnapping ciblé — absence de revendication. »
— « Piste 3 : adoption moldue accidentelle — recherches infructueuses dans les registres. »
— « Statut final : ENFANT PORTÉ DISPARU — PROBABILITÉ DE SURVIE FAIBLE MAIS NON NULLE. » (Annotation manuscrite de Kimura.)
Venaient ensuite des coupures de journaux américains :
— ‘TRAGÉDIE AU MANOIR NIGHT !’
— ‘UNE DES PLUS ANCIENNES FAMILLES MAGIQUES ANÉANTIE’
— ‘MYSTÈRE AUTOUR DU NOURRISSON DISPARU — LE PAYS RETIENT SON SOUFFLE.’
Chaque ligne, chaque photo des ruines fumantes, chaque titre sensationnaliste pesait sur la poitrine d’Elias comme un nouveau coup — jusqu’à ce que la douleur devienne insupportable. Sa vision se brouilla, ses mâchoires se crispèrent, et avant même qu’il ne s’en rende compte, des larmes silencieuses glissèrent le long de ses joues. Pas des sanglots — pas ce déferlement bruyant observé chez Gareth — mais quelque chose de plus étouffé, de plus ancien, de plus ravageur. Une douleur contenue pendant vingt‑deux ans qui, soudain, trouvait une fissure pour remonter. Il se sentit submergé par la culpabilité : de n’avoir pas été là pour Emily, de n’avoir pas protégé son bébé, de ne pas savoir si sa fille avait survécu… ou, encore, si elle avait survécu seule, sans amour, sans famille, sans personne pour la serrer contre son cœur. L’idée le brisa un peu plus, l’écrasa de l’intérieur, et il porta une main tremblante à ses yeux, comme pour empêcher le monde de le voir céder sous le poids de ce chagrin ancien qui revenait le hanter.
Il referma lentement le dossier, les doigts tremblants — puis l’air se déroba brusquement. Sa respiration se coupa, sèche, brutale, comme si une main invisible venait de serrer sa gorge. Une vague de panique monta, fulgurante : sa vision se rétrécit, ses poumons refusèrent de se remplir, et il plia légèrement en avant, une main crispée contre son sternum. Il tenta d’inspirer, mais seul un souffle haché franchit ses lèvres. Pendant quelques secondes interminables, il crut s’effondrer là, au milieu du parc, terrassé par vingt-deux ans de chagrin contenu.
Ce ne fut qu’en forçant son regard à se fixer sur quelque chose — n’importe quoi — qu’il parvint à revenir. Et ce quelque chose fut le visage de Camille, tel qu’il l’avait vue à Sainte-Mangouste : pâle, meurtrie, mais vivante. Vivante. Et avec ces yeux vert d’eau qui l’avaient transpercé jusqu’à l’âme. La même nuance que dans la description faite par Merrin. La même.
Il inspira enfin, douloureusement. Une fois. Deux fois. Assez pour que la panique reflue, laissant derrière elle un tremblement résiduel dans ses doigts. Les étapes. Oui. Les étapes. Il les connaissait. Il y avait longuement réfléchi et les avaient retournées dans tous les sens. Il les avait ensuite répétées mentalement durant toute la nuit comme pour se rassurer.
D’abord Salem, pour vérifier les informations personnelles et scolaires de Camille. Puis l’orphelinat de l’Estrie dont il trouverait le nom dans le dossier scolaire, pour retrouver le dossier de l’enfant déposée sur un perron en plein hiver. Et si ces deux étapes confirmaient ce qu’il redoutait d’espérer… alors il lui faudrait affronter la dernière. Alexander. Son ancien beau-frère. La dernière personne vivante qui avait tenu ce bébé dans ses bras. Le dernier membre vivant de la famille immédiate d'Emily.
Sa gorge se serra à nouveau, mais cette fois il parvint à respirer au travers. Il ralluma un peu de volonté, un peu de force — juste assez pour se lever du banc. Le dossier serré contre lui, il posa un regard long sur la lumière du parc, comme pour y puiser un courage qu’il ne trouvait plus en lui.
La prochaine étape était claire. Et que cela le détruise ou non importait peu : il irait jusqu’au bout.
Chapter 16: Au seuil des vérités enfouies
Chapter Text
Elias quitta le parc d’un pas lent, presque trop mesuré, comme si son corps peinait encore à suivre ce que son esprit venait d’encaisser. Le dossier Night pesait dans sa sacoche avec une gravité presque physique. Il avait beau l’avoir consulté des dizaines de fois par le passé, le relire ici, à New York, à quelques kilomètres du MACUSA, après avoir fait la connaissance de Camille n’avait plus rien d’une relecture professionnelle.
Sa respiration était encore instable. L’angoisse, sourde, avait laissé derrière elle une fatigue lourde, poisseuse. Pourtant, quelque chose s’était cristallisé dans ce chaos intérieur : une détermination farouche, calme, presque glaciale. Elias ne se laisserait plus paralyser par la peur de se tromper. Il avancerait, non pour forcer une vérité qu’il désirait trop fort, mais pour vérifier, comprendre, affronter ce qui devait l’être.
Il le devait à Emily.
Et il le devait à cet enfant — vivant ou mort — qu'il n'avait jamais rencontré mais qu’il avait porté en lui pendant des années, façonné en pensée pour ne pas sombrer.
Camille n’était pas une certitude. Mais elle était un trouble.
Ce n’était pas seulement cette ressemblance diffuse, dérangeante. Ce n’était pas uniquement les traits : la peau plus mate que la moyenne américaine, héritage évident d’une lignée amérindienne ; la finesse du visage ; cette façon bien particulière de fixer quelque chose quand elle réfléchissait, comme si le monde autour cessait momentanément d’exister. C’était plus insidieux que cela.
C’était sa manière d’être au monde.
Sa posture face à la connaissance, à la magie. Cette intelligence qui n’avait rien de démonstratif, mais qui se révélait dans les détails, dans l’intuition juste, dans la capacité à écouter avant d’agir. Son rapport au soin. À la réparation. À l’autre.
Elle ressemblait dangereusement à l’enfant qu’il avait imaginée mille fois.
À cette petite fille sans visage précis, mais dotée d’un esprit vif, d’une empathie exigeante, d’une maturité trop précoce. L’enfant qu’il avait fait grandir en pensée pour survivre aux nuits de recherches infructueuses, aux impasses administratives, aux silences du MACUSA, aux dossiers refermés faute de preuves. À l’idée insoutenable que son enfant ait pu mourir sans sépulture — ou pire : vivre sans amour, sans racines.
Il n’avait aucune preuve.
Seulement cette intuition obstinée, dangereuse, qu’il avait appris à respecter autant qu’à craindre.
Elias inspira profondément avant de refermer sa sacoche. Ce n’était plus une enquête comme une autre. C’était une dette morale. Une promesse silencieuse : avancer sans projeter, sans s’aveugler, sans trahir qui que ce soit.
Pas à pas.
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Pour rejoindre le Massachusetts, Elias n’eut d’autre choix que de passer par les Transports Magiques new-yorkais. N’ayant jamais mis les pieds à Salem, le transplanage était exclu. Il se retrouva donc à emprunter un taxi sorcier — une expérience aussi déroutante que bruyante.
L’engin avait une allure extérieure banale, presque moldue, mais son intérieur défiait toute logique spatiale. Trop vaste, saturé d’artefacts protecteurs, d’amulettes suspendues, de glyphes gravés à même les vitres. Le tableau de bord était couvert de talismans usés, d’un chapelet de runes peintes à la main, et d’une statuette vaudou attachée par un fil de cuivre, oscillant à chaque virage. La radio crachotait une musique étrange mêlant jazz ancien, blues râpeux et incantations rythmées en arrière-plan, comme si quelqu’un récitait à mi-voix un sort de protection synchronisé avec la cadence.
Le conducteur était à l’image du véhicule : haut en couleur. Un sorcier d’un certain âge, chapeau cabossé incliné sur une tignasse poivre et sel, lunettes teintées même à l’ombre, sourire trop large pour être entièrement rassurant. Il avait appelé le taxi via un médaillon d’obsidienne gravé du sceau des Transports Magiques new-yorkais, et l’homme avait surgi quelques secondes plus tard, pneus crissant sur l’asphalte comme s’il avait fendu le réel.
— Première fois à Salem ? avait lancé le conducteur sans préambule, l’œil pétillant dans le rétroviseur.
Elias avait simplement acquiescé, se demandant comment l'homme avait deviné.
— Ça se voit. Les Européens ont toujours cette tête-là… comme s’ils allaient entrer dans une cathédrale vivante. Vous inquiétez pas, elle mord pas. Pas trop.
Elias observa le paysage défiler, partagé entre une forme de familiarité et une impression profonde d’étrangeté. Ici, la magie américaine ne se dissimulait jamais vraiment : elle affleurait à la surface du monde, visible à qui savait regarder, soigneusement ignorée par les Moldus sans qu’aucun voile strict ne la masque. Les États-Unis protégeaient le secret par saturation plutôt que par dissimulation — trop d’absurde, trop d’excès pour que cela paraisse réel.
Le taxi filait à une vitesse ahurissante, tantôt roulant sur l’asphalte, tantôt s’en détachant brutalement pour survoler un carrefour ou longer un axe aérien invisible, réservé aux véhicules enchantés. Le vent hurlait contre les portières, contenu par un sort de pression qui faisait vibrer l’habitacle comme une bête vivante sous contrôle.
À chaque feu tricolore, un charme de stabilisation vibrait sous la carrosserie, réajustant la réalité pour les regards non-magiques. À chaque pont franchi, une ancienne protection murmurait sous les roues — ou sous le châssis, quand le véhicule décollait sans prévenir. Tout était excessif, rapide, instinctif, presque sauvage. Une magie qui n’était pas policée comme en Grande-Bretagne, mais assumée, audacieuse, profondément vivante.
Lorsqu’il aperçut enfin l’Académie de Salem, une douleur inattendue lui serra la poitrine.
C’était ici.
Ici qu’Emily avait étudié.
Ici qu’elle avait découvert sa magie, forgé son caractère, choisi son cercle.
Et ici qu’un enfant potentiel — le sien — avait peut-être grandi sans lui.
Le campus se déployait comme une clairière ancienne, dense, saturée d’une magie tellurique. Il était enchâssé dans une architecture particulière — ni européenne, ni vraiment moderne : de vastes bâtiments de pierre claire mêlant granit du Massachusetts et bois sombre, aux lignes à la fois sobres et solennelles, rappelant les anciennes universités coloniales moldue tout en s’en détachant subtilement. Des colonnades épaisses soutenaient des toits pentus couverts d’ardoises anciennes, et les façades étaient gravées de motifs géométriques inspirés à la fois des traditions amérindiennes et des premiers symboles magiques des colonies.
Les arbres semblaient trop vieux pour être de simples arbres. D’immenses érables et des chênes noueux s’enracinaient au cœur même des cours intérieures, comme si les bâtiments avaient été construits autour d’eux et non l’inverse. Le sol vibrait doucement sous ses pas, parcouru de symboles gravés directement dans la pierre, intégrés au paysage comme une langue oubliée. Certaines dalles semblaient plus anciennes encore que l’Académie elle-même — des pierres levées partiellement enfouies, vestiges d’anciens cercles rituels précoloniaux.
L’énergie des cercles y était omniprésente, structurée différemment de celle de Poudlard : plus brute, plus organique, moins canalisée par l’architecture que fondue en elle. Ici, la magie ne domptait pas la nature — elle cohabitait avec elle, l’épousait, s’y pliait parfois. Elias sentit confusément que ce lieu n’avait jamais été entièrement domestiqué. Il avait été négocié, lentement, sur plusieurs siècles.
Elias s’arrêta un instant, observant les étudiants passer. Camille avait arpenté ces chemins pendant sept ans. Cette pensée lui arracha un pincement au cœur qu’il n’avait pas anticipé.
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Alors qu’Elias franchissait le dernier seuil menant au cœur administratif de l’Académie, les lourdes portes de bois gravées de runes anciennes s’ouvrirent d’elles-mêmes devant lui, dans un souffle feutré de magie ancienne. Il eut à peine le temps de ralentir qu’une femme se tenait déjà là, seule, au centre du hall. Il sut aussitôt que c’était la directrice : l’aura d’autorité calme qu’elle dégageait, le médaillon de fonction — ancien sceau de Salem — porté sans ostentation à sa ceinture, et surtout les portraits animés des anciens directeurs qui, alignés le long des murs, s’étaient tus à son approche et inclinaient imperceptiblement leurs cadres vers elle. Elle se tenait là comme si elle avait su — ou pressenti — qu’il viendrait aujourd’hui.
— Auror Prewett, dit-elle en inclinant légèrement la tête. Salem vous attendait.
Cette entrée, trop précise pour être fortuite, lui arracha une brève tension dans l’échine. Il se força pourtant à afficher le masque professionnel qui l’avait tant servi au fil des années.
— Merci de me recevoir, répondit-il calmement. Je mène actuellement pour le Ministère de la Magie britannique une enquête administrative concernant plusieurs anciens membres du MACUSA, dans le cadre d’une coopération internationale. On m’a indiqué que certaines archives de Salem pourraient m’être utiles concernant l'un d'eux.
Il mentait. Partiellement. Suffisamment pour rester dans les clous.
Elle marqua un silence imperceptible, comme si le mensonge poli qu’Elias venait d’énoncer avait heurté une intuition ancienne. Puis, sans le relever ouvertement, elle adopta une courtoisie maîtrisée — ni approbation ni refus. Cette femme d’une cinquantaine d’années, au port droit sans rigidité, était vêtue d’une robe sombre aux lignes sobres, coupée dans une étoffe épaisse brodée de motifs anciens presque effacés par le temps. Ses cheveux poivre et sel étaient relevés en un chignon bas, strict mais élégant, et quelques mèches rebelles encadraient un visage marqué par l’intelligence plus que par l’âge. Son regard, d’un brun profond presque noir, demeurait attentif, pénétrant, habitué à jauger sans jamais se livrer entièrement. Chaque geste était mesuré, précis, comme si elle incarnait à elle seule l’équilibre délicat entre tradition et vigilance.
Elle le fixa longuement, comme pour mesurer ce qu’il était prêt à entendre.
— Je vais être parfaitement claire, Auror Prewett, dit-elle enfin d’une voix calme mais inflexible. L’Académie de Salem coopère avec les autorités quand cela est nécessaire. Mais il existe des lignes que nous ne franchissons pas.
Elias inclina légèrement la tête, silencieux.
— Nous protégeons nos élèves et nos anciens élèves. Vivants ou non, poursuivit-elle. Leur intégrité, leur sécurité, leur parcours. L’Académie a été fondée dans le sillage des procès de Salem, comme un sanctuaire — un havre pensé par ses fondatrices pour offrir enfin aux sorcières et sorciers un lieu où ne plus être traqués, jugés ou sacrifiés. Cette promesse est inscrite dans l’ADN même de Salem. Toute information transmise le sera donc uniquement à condition expresse de ne causer aucun tort aux personnes sur lesquelles vous enquêtez, ni direct ni indirect.
— Je comprends, répondit Elias sans hésiter.
— Ce n’est pas qu’une question légale, insista-t-elle. C’est une question éthique. Salem a été fondée sur une promesse : ne plus exposer celles et ceux qui nous ont été confiés à la violence du monde, à la curiosité malsaine ou aux règlements de comptes déguisés en enquêtes.
Elle marqua une pause, son regard toujours solidement ancré dans le sien.
— Certaines vérités resteront protégées. Non par goût du secret, mais par devoir. Par respect. Nous avons vu trop de destins brisés pour accepter d’en briser d’autres au nom de la transparence.
Elias inspira lentement.
— Je ne suis pas ici pour mettre en danger qui que ce soit. En réalité, parmi tous les noms que je dois vérifier, Camille Dufresne est la seule à avoir étudié à Salem, ajouta-t-il avec un calme étudié. Les autres ont été formés ailleurs… il me faudra sans doute aussi faire un détour par Ilvermorny ensuite, dit-il avec un sourire presque badin, comme s’il s’agissait d’un simple contretemps logistique.
— Je le crois, admit-elle après un instant. Mais la croyance ne suffit pas. Alors je vous le dis clairement : nous coopérerons, oui. Dans un cadre strict. Administratif. Neutre.
Elle conclut d’un ton sans appel :
— Camille Dufresne a été protégée par Salem. Volontairement.
Elias hocha la tête, acceptant ces limites sans les discuter. Il comprenait. Et, malgré la frustration sourde qui l’habitait, il respectait profondément cette position — précisément parce qu’il percevait, derrière ces mots, autre chose qu’un simple rappel de règlement : la trace évidente d’un souvenir réel. Elle ne parlait pas d’un nom inscrit dans un registre. Elle parlait de Camille comme on parle d’une présence que l’on a connue, observée, protégée. Et cette certitude silencieuse troubla Elias plus encore que les restrictions imposées.
La directrice ne commenta rien immédiatement. Elle feuilleta d’abord les documents autorisés avec lenteur, prenant le temps de parcourir chaque page, de relire certaines annotations manuscrites, d’en tapoter d’autres du bout des doigts comme si elles faisaient écho à un souvenir précis. Ce n’est qu’une fois les feuilles soigneusement rassemblées, replacées dans le bon ordre, qu’elle releva enfin les yeux vers Elias. Les documents autorisés confirmaient cependant plusieurs éléments frappants :
— Camille Dufresne a été admise à Salem selon les règles propres à l’Académie, expliqua la directrice en croisant les mains devant elle. Deux voies sont possibles : l’ancrage géographique ou l’héritage magique ancien.
Elle marqua une pause, attentive à la réaction d’Elias.
— Dans son cas précis, l’admission fait référence à une lignée indirectement liée à la chasse aux sorcières de 1692.
— Indirectement ? releva Elias, la voix basse.
— Oui. Pas une filiation revendiquée, ni documentée dans une généalogie classique, reprit-elle calmement. Plutôt… un écho magique persistant. Salem ne fonctionne pas sur la seule logique des noms ou des archives familiales déclarées.
Elle se redressa légèrement.
— Nous travaillons avec des résonances de flux. Certaines sont très anciennes, parfois antérieures même à l’établissement des lignées telles que le monde magique les consigne aujourd’hui.
— Et la lignée exacte de Camille ? demanda-t-il.
La directrice soutint son regard sans ciller.
— Elle n’a jamais été explicitée.
— Son intégration a été… remarquable, malgré un traumatisme initial sévère, dit la directrice en consultant un feuillet jauni du dossier.
Elle releva les yeux vers Elias, comme pour jauger sa réaction avant de poursuivre.
— Des troubles d’adaptation ont été observés lors de son arrivée à l’Académie, indiqua la directrice d’un ton neutre. Une période initiale marquée par de l’hypervigilance, une grande réserve émotionnelle et une difficulté à s’inscrire immédiatement dans un cadre institutionnel classique. Un incident mineur est consigné durant la première semaine : Camille est intervenue pour faire cesser une situation de harcèlement impliquant des élèves plus âgés. L’intervention, bien que jugée disproportionnée dans la forme, a été reconnue comme motivée par un sens aigu de justice et de protection d’autrui. La direction a opté pour une sanction symbolique, sans suite disciplinaire. Les annotations ultérieures du dossier soulignent surtout un fort instinct de protection, une responsabilité assumée face à ses actes et l’absence totale de récidive ou de comportement agressif.
Quelque chose se resserra violemment en lui — un mélange d’effroi diffus, de fierté qu’il se refusa aussitôt à nommer, et d’une colère sourde dirigée moins contre l’enfant que contre ce qui l’avait contrainte à agir ainsi. L’image s’imposa malgré lui : une fillette trop jeune, isolée, confrontée à une injustice brutale et choisissant l’action la plus directe, la plus efficace, faute d’alternative. Pas un geste gratuit. Pas de cruauté. Une réponse de survie. Son estomac se noua.
Il demeura silencieux, la mâchoire crispée, mais cette fois ce ne fut pas uniquement par retenue. Ce qui le troublait davantage encore, c’était ce que le dossier ne disait pas. Quelques lignes, sèches, presque anodines. Un incident classé. Une sanction symbolique. Rien de plus.
Trop peu. Beaucoup trop peu.
— Les rapports soulignent aussi autre chose. Une résilience hors norme. Une capacité rare à observer longuement avant de s’adapter. Et une progression fulgurante dès lors qu’un cadre clair et sécurisant a été mis en place autour d’elle. Ses capacités en potions et en magie curative se sont révélées précoces et rares.
— Elle ne s’est pas contentée du strict minimum, poursuivit la directrice en relevant à peine les yeux de son dossier. Elle a pris toutes les options possibles.
— Toutes les options ? répéta Elias, surpris malgré lui.
— Toutes, confirma-t-elle simplement. Et au-delà de ça, elle s’est portée volontaire à l’infirmerie dès que cela lui a été autorisé. Officieusement au début. Puis de façon plus encadrée.
Elle marqua une brève pause avant d’ajouter, d’un ton plus nuancé :
— Elle aidait aussi les élèves en difficulté. Sans badge, sans reconnaissance. Du soutien scolaire, de l’écoute, parfois simplement une présence. Rien de consigné officiellement, mais suffisamment récurrent pour être signalé par le personnel.
Le regard d’Elias s’assombrit légèrement.
— Elle n’a jamais cherché à être remarquée, répondit-elle. C’était même tout l’inverse : Camille faisait tout pour passer sous les radars, comme si attirer l’attention avait toujours été synonyme de danger pour elle. Elle cherchait seulement à être utile.
La directrice évoqua aussi — avec retenue — une anxiété persistante.
Des mots qui résonnèrent douloureusement en Elias.
Lorsqu’il exprima clairement le souhait de rencontrer l’ancienne cheffe de cercle de Camille afin d’obtenir des précisions sur ses capacités magiques — en précisant qu’il respecterait les limites imposées — la directrice hésita une fraction de seconde avant d’acquiescer. Elle finit par le rediriger vers Amara Sinclair. Elle précisa toutefois qu’Amara n’était pas seulement une ancienne cheffe de cercle, mais l’une des figures les plus singulières et redoutées de Salem : brillante, abrasive, réputée pour son éthique inflexible autant que pour ses méthodes peu orthodoxes. « Elle protège ses anciens élèves comme une louve », ajouta-t-elle avec une pointe d’amusement mêlée de prudence. « Et elle n’accorde sa confiance à personne sans raison. »
La directrice invita alors Elias à la suivre. Ils traversèrent plusieurs couloirs aux murs épais, ponctués de fresques anciennes représentant les fondatrices de Salem et les cercles magiques originels. Aucun élève ne croisait leur route à cette heure-là, et le silence n’était troublé que par le murmure discret de la magie circulant dans les pierres. Arrivés devant une porte gravée de symboles plus récents, la directrice s’arrêta.
— Amara Sinclair, annonça-t-elle en ouvrant sans frapper. Un Auror britannique, M. Prewett, souhaite s’entretenir avec vous dans le cadre d’une coopération administrative.
Son regard se posa brièvement sur Elias, comme pour rappeler les limites déjà posées, puis elle s’éclipsa sans un mot de plus, les laissant face à face.
Amara s’installa face à lui sans préambule, tirant une chaise qu’elle retourna pour s’y asseoir à califourchon, bras croisés sur le dossier. Elle n’avait rien de spectaculaire au premier regard : une silhouette fine, presque austère, des vêtements simples aux teintes neutres, comme choisis pour ne jamais attirer l’attention. Ses cheveux sombres, striés de mèches argentées, étaient relevés sans soin apparent, et aucun bijou ne venait rompre cette sobriété volontaire. Pourtant, dès qu’elle leva les yeux vers lui, Elias comprit. Son regard sombre, d’une acuité implacable, ne se contentait pas de voir : il jaugeait, disséquait, anticipait. Une intelligence vive et inquiète transparaissait dans la moindre de ses expressions, dans cette façon de se tenir en retrait tout en occupant l’espace. Elle l’examina sans chercher à adoucir sa présence, avec cette assurance tranquille de ceux qui n’ont rien à prouver et encore moins à concéder.
— Avant d’aller plus loin, Auror, reprit-elle sans agressivité mais avec une vigilance immédiate, j’ai besoin de comprendre le cadre précis de votre démarche. Le type d’enquête. Les personnes concernées. Les raisons de votre présence ici. Elle marqua une pause brève, puis ajouta, le regard soudain plus fermé lorsque le nom surgit enfin : Camille Dufresne. Je vais poser les choses clairement. À partir de là, je ne répondrai pas à tout.
Elias inclina légèrement la tête, l’invitant à poursuivre.
— Il y a des choses qui ne m’appartiennent pas, continua-t-elle. La vie intime de Camille, ses blessures, ses peurs… ce n’est pas à moi de les livrer. Elle n’est pas un dossier, ni un puzzle à démonter pièce par pièce pour satisfaire une enquête.
Elle marqua un silence, puis ajouta d’un ton plus posé, presque grave :
— Ce que je peux faire, en revanche, c’est vous parler de l’élève que j’ai connue. Pas de ce qu’elle cache. De ce qu’elle montre quand elle travaille, quand elle apprend, quand elle aide. Le reste lui appartient.
Elle marqua une pause, le regard fixé quelque part au‑delà d’Elias, comme si elle évaluait non pas ce qu’elle allait dire, mais ce qu’elle acceptait de taire.
— Professionnellement, dit‑elle enfin, Camille Dufresne était… brillante. Intuitive. Dangereusement acharnée dans son travail, parfois jusqu’à l’excès. Pas une intelligence tapageuse, vous voyez. Rien de démonstratif. Mais une efficacité redoutable.
Elle croisa les bras, réfléchissant.
— À son arrivée, elle était fragile émotionnellement. Méfiante. Sur ses gardes en permanence. Hypervigilante. Elle avait tendance à se replier dès qu’elle sentait le moindre danger.
Amara leva les yeux vers Elias, son regard acéré.
— Et pourtant… au fil des années, elle a développé un instinct de survie impressionnant. Une capacité rare à rester debout malgré l’adversité.
Elle eut un bref souffle, presque imperceptible.
— Elle observe avant d’agir, poursuivit‑elle. Elle encaisse beaucoup. Trop, parfois. Mais elle n’abandonne jamais.
Une nuance de fierté passa dans sa voix, qu’elle ne chercha pas à dissimuler.
— Vous parlez d’elle avec une certaine… fierté, observa Elias doucement, presque malgré lui.
Amara inclina très légèrement la tête.
— Oui. Parce qu’elle a tenu. Parce qu’elle n’a jamais cessé d’avancer, même quand tout aurait justifié qu’elle cède. Ce n’est pas donné à tout le monde.
Un silence s’installa, plus dense.
Elias hésita, puis se lança, la voix plus basse, moins assurée.
— Et… était-elle heureuse ici ? Quand elle est arrivée. Était-elle… traumatisée ?
La question arrêta Amara net. Elle resta silencieuse un long moment, le regard fixé quelque part devant elle, comme si elle pesait chaque mot.
— Le bonheur est un mot compliqué pour des enfants qui ont grandi des les circonstances où elle a grandi, finit-elle par répondre. Mais elle a trouvé ici… un sol qui ne s’effondrait pas sous ses pieds.
Elle releva alors les yeux vers Elias, le scruta avec une intensité nouvelle.
— Il y a autre chose, ajouta-t-elle plus lentement. Camille a les mêmes yeux que vous. Exactement les mêmes. Ce n’est pas si courant.
Elias ne répondit pas.
Un battement affolé résonnait dans ses tempes. Pendant une seconde suspendue, il chercha une réponse qui ne trahirait ni son trouble ni ce qui venait de s'effondrer en lui. Toutes les options lui semblèrent dangereuses. Dire la vérité. Mentir encore. Se taire. Chacune avait le goût amer d'un pas de trop.
Amara inclina légèrement la tête, attentive à ce silence qui, chez lui, n'était pas vide mais chargé d'une tension palpable.
— Alors ? reprit-elle doucement, mais sans rien lâcher. Quelle est exactement l'implication de Camille Dufresne dans votre enquête, Auror Prewett ?
Elias ouvrit la bouche, puis la referma. Il n'eut pas le temps de décider.
Un grondement sourd fendit l'air. Une détonation étouffée, suivie d'une bouffée de fumée colorée — violette et dorée — jaillit d'un couloir adjacent, accompagnée d'un fracas métallique et de voix alarmées.
Amara se redressa d'un bond.
— Restez ici, lança-t-elle déjà en mouvement. Ne bougez pas et ne touchez à rien.
Elle disparut dans le couloir en quelques enjambées après une rapide hésitation, laissant Elias seul avec ses pensées, son cœur battant trop fort et cette phrase — les mêmes yeux que vous — qui résonnait encore comme un coup de tonnerre.
Avec une précision froide, Elias agit presque avant de penser : un coup d’œil vers le couloir, un autre vers la porte qu’Amara avait laissée entrebâillée, puis il leva discrètement sa baguette.
— Accio dossier Dufresne… murmura‑t‑il.
Un bruissement léger répondit aussitôt. Dans un meuble fermé à moitié, un tiroir s’entrouvrit comme sous l’effet d’une respiration, et un épais dossier jaillit entre deux classeurs avant de traverser la pièce pour atterrir dans sa main. Elias sentit son cœur battre contre ses côtes : trop vite, trop fort. Il vérifia en un éclair la couverture — Camille Dufresne — puis son regard se braqua de nouveau vers l’entrée, prêt à être surpris.
Personne.
Alors, seulement alors, il pointa sa baguette sur le dossier.
— Geminio.
Un double parfait apparut dans sa main gauche, aussi solide, aussi lourd, aussi rempli de secrets que l’original. Sans perdre une seconde, Elias replaça le dossier authentique dans le tiroir grâce à un petit geste circulaire — Repono — refermant ensuite le meuble d’un léger claquement étouffé.
Le double, lui, fut réduit d’un mouvement sec — Reducio — jusqu’à devenir un mince rectangle compact, à peine plus grand qu’un carnet de poche. Il le glissa aussitôt dans une poche intérieure de sa cape.
Son souffle, qu’il retenait sans s’en rendre compte, revint d’un seul coup.
Il n’en était pas fier.
Mais il n’avait plus le luxe d’hésiter : s’il voulait comprendre, vraiment comprendre, et peut‑être sauver ce qu’il restait à sauver… il devait aller au bout.
La vérité l’attendait encore.
Elias se rassit exactement à la place où Amara l’avait laissé, le dos raide, les mains posées bien à plat sur ses notes comme pour s’ancrer dans quelque chose de tangible. Il força son souffle à redevenir régulier, même si sa gorge restait encore légèrement serrée par la décharge d’adrénaline. Chaque seconde semblait s’étirer interminablement.
Pour donner le change — ou simplement pour éviter de penser — il consulta ses notes. Ou fit semblant. Ses yeux glissaient sur les lignes sans les lire, son esprit encore suspendu entre la panique et une étrange certitude qui refusait de se dissiper. Les mêmes yeux que vous. Amara l’avait dit comme une évidence, comme un constat qu’elle lui laissait le soin d’affronter.
Des pas précipités résonnèrent soudain dans le couloir. Amara revint, essoufflée, une odeur de fumée colorée encore accrochée à ses vêtements et une expression mêlant irritation et lassitude sur le visage.
— Les élèves du cercle des flux ont tenté une expérimentation vaudoue non autorisée, grommela‑t‑elle en refermant la porte derrière elle. Rien de grave, mais suffisamment dangereux pour que je doive intervenir.
Elle se réinstalla face à lui et tenta de reprendre le fil de leur discussion, mais Elias l’interrompit presque aussitôt pour la remercier du temps qu’elle lui avait accordé et des informations qu’elle avait bien voulu partager. Il évita soigneusement de répondre à ses questions sur son lien avec Camille. Amara le fixa un instant, comme si elle percevait le non‑dit derrière son retrait, mais elle n’insista pas.
Elle l’accompagna ensuite vers la sortie. Et juste avant qu’ils ne se séparent, Amara — jusque‑là maîtresse de ses mots, de sa réserve et de ses frontières — posa une main légère sur l’avant‑bras d’Elias.
— Une chose encore, dit‑elle doucement. Quoi que vous cherchiez… ne la blessez pas. Certaines âmes ne survivent pas à une deuxième perte.
Puis, sans attendre sa réponse, elle s’éloigna.
Elias resta immobile quelques secondes, frappé par la simplicité dévastatrice de ces mots. Et plus que jamais, il comprit que la vérité qu’il poursuivait pourrait bien tout bouleverser — pour lui comme pour elle.
Elias glissa discrètement la main dans la poche intérieure de sa cape. Le dossier, réduit par sortilège, était toujours là : un mince rectangle aux contours nets, dont la seule présence semblait peser contre ses côtes. Il sentit un frisson nerveux courir le long de son bras. Tant qu’il l’avait avec lui, tant qu’il pouvait encore l’ouvrir… la vérité n’était plus un mirage mais une destination.
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Il inspira profondément, puis disparut dans un claquement sec pour réapparaître à quelques pas des pavés animés de la Rue d’Argentum. Comme toujours, cette artère sorcière américaine vibrait d'une énergie étrange : un mélange de raffinement et de chaos, de boutiques d’apothicaires aux enseignes dansantes, de librairies vivantes et d’échoppes de magie urbaine où les sorts semblaient étinceler dans l’air libre.
Il marcha un moment, observant les façades mouvantes, les bribes de conversations en anglais, espagnol, créole et langues magiques entremêlées. Il lui fallait un lieu où s’asseoir. Un lieu isolé. Un lieu où personne ne poserait de questions s’il sortait un dossier scolaire volé aussi épais et vieux.
Son regard finit par se poser sur un café coincé entre un atelier d’enchantements et une boutique de potions hybrides : The Crooked Spoon. L’enseigne représentait une cuillère qui se tordait d’elle‑même en un sourire métallique. L’intérieur, faiblement éclairé, dégageait une atmosphère feutrée : tables bancales mais charmantes, vapeur d’infusions colorées, murs tapissés de cartes mouvantes du monde sorcier.
Parfait.
Elias poussa la porte. Une clochette émit un tintement qui résonna comme un écho ancien. Il choisit une table au fond, dos au mur, face à la salle — vieil instinct d’Auror. Puis, seulement alors, il ressortit le dossier minuscule, le posa devant lui et murmura :
— Engorgio.
Le dossier reprit sa taille réelle dans un souffle lourd.
Il posa sa main dessus.
Tout était là.
Et il était temps d’affronter ce qu’il contenait.

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