Chapter Text
Il y a trois choses dont Toji est absolument certain :
1. Le blanc est une couleur de cheveux hideuse.
Et non, il ne parle pas du type de blanc qu’on trouve sur des vieux cons et des caniches. Il parle du type de blanc qu’on voit sur des bâtards arrogants aux six yeux globuleux et à la prétention infinie, leurs mèches flocons de neige bruissant doucement avec la brise alors que des pâtés de rouges éclaboussent le sol fracturé, tombant depuis la poitrine de Toji en une imitation tordue de l’art abstrait.
C’est le plus vieux souvenir de Toji depuis qu’il en a perdu la plupart, et il est fracturé ; tout ce dont il se souvient, c’est d’un ciel bleu cristal se cachant derrière des nuages orageux dans les yeux mortels du garçon, ses membres pliés et désarticulés comme ceux d’une poupée cassée, un sourire aérien sur ses lèvres, comme s’il se moquait de lui. Les instincts de Toji sont tous en alerte et il les ignore, tandis que le rouge envahit sa vision et que le noir avale son cœur – et après, tout est vide. Cet homme ponctue la fin et le début de sa vie, déchirant son existence en deux moitiés de quelque chose qui n’était pas complet dès le départ. Ce qui l’amène à son prochain fait :
2. Toji ne devrait plus être en vie.
Il aurait dû mourir ce jour-là ; et il est à peu près certain qu’une partie de lui y est morte de toute façon. Mais il a quand même rouvert les yeux, et il avait mal au dos à force de rester allongé sur une surface de métal froid, et la première vue à l’avoir accueilli était celle d’une femme aux longs cheveux couleur lin lui demandant, « C’est quoi, ton type de fille ? » Il l’a dévisagée de haut en bas avec un sourire sardonique et répondu, « Pas toi, » même si c’était un peu un mensonge. A côté d’elle était une femme en blouse de labo blanc décoloré avec des cernes si profonds qu’on aurait pu y enterrer un corps.
Il n’avait pas pris très longtemps avant de remarquer les points de suture bizarres sur ses côtes et autour de son biceps, et son bras gauche avait l'air étrange de ne pas avoir été originellement le sien. Après lui avoir fait cligné la mort hors de son regard, la blonde s’était présentée comme Yuki et l’avait appelé Toji – et quand il lui avait demandé si c’était vraiment son nom, ses yeux étaient devenus gros comme des soucoupes et l’examination avait commencée. Si Toji ne pense pas qu’il aurait dans d’autre circonstances eut des problèmes avec l’idée de se faire testé et touché par deux belles femmes au même moment, là, ça lui rappelait un peu trop un spécimen sous microscope – comme s’il était plus mort que vivant, quelque chose de brisé, dépecé.
La docteure n’avait pas pris longtemps non plus avant de conclure qu’il avait quelque chose ressemblant à 'une amnésie sévère provoquée par un choc’. Yuki avait ouvert sa bouche, probablement pour lui raconter l’histoire de sa vie, mais la docteure lui avait immédiatement collé une main sur le visage, expliquant qu’il était mieux que des souvenirs ‘comme ça’ reviennent naturellement – et Toji n’aimait vraiment pas ce que ça impliquait. Ça lui donnait un peu envie de laisser ses souvenirs enterrés, oubliés dans les gouffres de son cerveau, où ils étaient à leur place. Il pouvait garder ses bagages, ou juste brûler toute la valise à la place.
Yuki expliquait qu’une fois, avant que tout ça n’arrive, il l’avait rejetée et refusé de la laisser l’étudier. Il n’avait pas vraiment compris pourquoi elle voulait l'étudier en premier lieu, mais il n’avait rien de mieux à faire, alors il avait accepté. En outre, il se disait qu’il lui était redevant pour lui avoir sauvé la vie. Elle lui dit de garder profil bas et d’utiliser un faux nom ; il s’était décidé sur « Toshiro » parce que c’était facile à retenir et ne semblait pas moins vrai que son nom véritable. Il n’y avait pas grand-chose qui lui semblait vrai à l’époque, en fait. Excepté pour cette dernière pièce d'information à propos de lui-même :
3. Toji n’est pas une bonne personne.
Il y a le fait que tout ce qu’il touche ait l’air sali après qu’il y ait déposé ses mains, accouplé au fait qu’il possède le sens moral d’un crocodile et l’instinct de survie d’un chat de gouttière, prêt à faire les poubelles et à lécher des arêtes de poisson juste pour survivre. Il parcours chacun des sept pêchés capitaux de façon journalière ; la paresse l’enchaîne au sommeil chaque matin comme un poids autour de ses chevilles, la faim de nourriture et d’argent étant la seule chose pouvant l’en tirer. Il se réveille dans le lit de quelqu’un d’autre plus souvent que dans le sien, son haleine puant la bière et du rouge à lèvres étalé sur sa poitrine. Une fierté tordue remue dans ses entrailles et il ne sait pas d’où elle vient, seulement qu’elle démange et suinte de sang les points de suture sur son corps, pulsant s d’une jalousie infondée et d’une colère sans origine.
Il se demande s’il est juste né comme ça, ou si quelque chose perdu dans le labyrinthe de ses souvenirs l’a fait le devenir, et il n’est pas sûr de vouloir trouver la réponse. Quelque chose d’étrange lui dit qu’on ne se réveille pas simplement blasé comme ça. Ce n’est pas qu’il déteste le monde ; il en est juste complètement désintéressé.
Ça fait presque un an et demi depuis lors. Il y a des jours où il attrape presque un aperçu de la personne qu’il était dans le miroir , et ça ne manque jamais de le faire détourner le regard. Yuki s’arrête chez lui de temps en temps pour voir si un souvenir a refait surface, mais ça n’arrive jamais. D’ autres choses, au-delà de ses trois commandements auto-imposés – comme une enfance, une occupation, même un nom de famille – lui échappent toujours.
C’est juste un pressentiment, mais il croit qu’il avait peut-être une famille. Ça découle du sentiment de vide dans son cœur qui n’a rien à voir avec cette fois où le gamin aux cheveux blancs lui a gravé un trou dans le côté gauche de la poitrine.
Enfin, où qu’ils soient, ils ne sont plus là depuis longtemps. Si jamais sa famille est morte ou perdue à jamais, il préférerait mourir lui-même plutôt que s’en souvenir. La vie est beaucoup plus facile s’il reste juste seul.
Se re-familiariser avec le royaume des fléaux est rapide ; il s’agit plus d’ une formation de dernière minute rendue nécessaire par la vue de choses allant des serpents à huit têtes aux discussions avec des araignées lors de son jogging matinal. Avant qu’il appelle Yuki et qu’elle le renseigne sur les bases de l’exorcisme, il avait fait flippé une foule entière en ayant une conversation avec un mauvais esprit très humanoïde à son arrêt de bus un matin – ouais, c’était hilarant. C’aurait été embarrassant s’il avait une once de honte.
Ça lui prend juste un peu plus de temps d'apprendre qu’il est différent des autres habitants du côté sombre du monde de l’exorcisme, et de tout les autres citoyens en général. De l'énergie occulte coule dans leurs veines sous la forme de minuscules ruisseaux ou de torrents en crues, mais Toji lui-même n’en a pas du tout.
Éventuellement, il atterrit à la lie de la société. Il a eu un succès pitoyable en essayant de travailler dans des « jobs normaux » : il s’est fait virer après trois jours en travaillant dans un entrepôt (s’est endormi dans une des boîtes et a presque été expédié en Argentine), n’a pas atteint une semaine en tant que concierge (a observé les toilettes du bureau après une soirée et démissionn é ), et n’a même pas tenu une seule nuit en tant que serveur (a versé de la vodka sur la tête d’un bambin – ne posez pas de questions). A présent, il est ce qu’on pourrait appeler… un travailleur indépendant. Les gens le paient pour faire de la merde, et ils l’aiment bien parce qu’il ne pose pas de question. Il n’a tué personne pour l’instant, mais il s’en croit capable : maintenant, et dans la vie dont il ne peut se souvenir.
C’est comme ça qu’il entend le premier murmure de la personne qu’il était : par ses instincts combatifs. C’est dans l’énergie de la lutte qu’il se sent le plus proche de déverrouiller ces souvenirs enterrés profondément dans sa moelle épinière – à chaque fois qu’il assène un coup de grâce, la clé a presque l’air à sa portée. Donc il continue à se battre ; pas nécessairement parce qu’il souhaite s’en rappeler, mais ça semble être la seule chose pour laquelle il soit un minimum doué.
Le jour fatidique commence comme tous les autres. Toji bat son propre record de « pire café au monde » avant de quitter les confins du trou à rat qu’est son appartement. C’est pas comme si les jobs louches qu’il prend ne paient pas assez pour vivre quelque part de mieux, mais ses habitudes en terme de dépenses laissent à désirer. Il n’arriverait pas à garder son argent s’il était glué à ses poches. Il est amateur de paris gagnants. Que peut-il dire de plus ? Non pas qu’il ait déjà gagné un pari. Peut-être qu’il n’est juste pas le genre de Madame Chance, parce qu’il ne l’a pas encore ramenée chez lui une seule fois.
Sa première – et ce qui finit par être sa seule – étape est un magasin d’armes, bien caché dans une miteuse ruelle banalisée, dans le pire quartier de la ville. Son dernier combat a défoncé son épée préférée, grâce à un enfoiré hautain qui a dû trouver ça drôle de casser la lame lorsque Toji l’a enfoncé entre ses côtes. Connard .
L’air vif du ciel de milieu de matin commence juste à peser de par le brouillard du trafic, souillant le vent avec la feinte odeur d’asphalte et de gazoline. Au lieu d’une cloche, des couteaux brisés résonnent ensemble alors qu’il pousse l’épaisse porte de bois, et la tension nouée dans ses épaules s’efface dès que l’entrée se referme en grinçant. C’est si tordu qu’il soit plus à l’aise ici que n'importe où d'autre que ça en devient hilarant.
Le propriétaire le salue avec un grognement sans lever les yeux de son journal. Toji parcourt les rayons tranquillement, ses yeux scintillant avec l’argent poli et l’or réfléchi, jusqu’à ce que la cloche faite maison sonne à nouveau, et tout temps au-delà de la porte s’arrête.
Entre une petite fille. Elle est habillée de ce qui semble être une sorte d’uniforme de servante, un haut kimono de coton épais tissé de fil ivoire et une jupe cobalt plissée, trop longue pour ses chevilles courtes. Des cheveux raides au possible couleur forêt de sapins époussettent ses épaules en un carré grossier, et une frange juste un peu trop longue effleure un éventail sombre de cils rares.
Quelque chose d’indéfini passe à travers les veines de Toji comme un coup d’éclair sur l’herbe sèche. Chacun de ses cinq sens surdéveloppés s’enflamment au même moment. Quelque chose à propos de sa présence brûle plus que tous les brasiers des neufs cercles de l’enfer, malgré son énergie occulte qui brille à peine plus que le bout d’une bougie.
A vrai dire, la seule personne qu’il ait jamais rencontré avec moins d’énergie occulte est lui-même. C’est comme voir sa propre réflexion dans un miroir de foire qui ferait un tiers de sa taille.
Son sang bat son crâne, et il commence à se sentir étourdi. Tout d’un coup et tout en même temps, le premier souvenir de sa vie avant son combat avec le Sixième Œil le percute à toute vitesse comme un camion renversé.
De légères gouttes de pluie tombent doucement sur la fenêtre à simple vitrage, laissant de longues traces d’ombre sur le sol de l’hôpital, coupant la lumière tamisée filtrée par les volets en rayures floues. Près du coin de la pièce, un moniteur cardiaque bipe dans un rythme lent et régulier, le staccato jouant presque en accord avec les bruits de la tempête.
Dans le lit à côté de lui, une femme inspire et expire en respirations tremblantes et longues, récupérant prudemment après seize heures harassantes de travail qui semblaient plus avoir duré un siècle.
De doux gazouillis emplissent la pièce comme de la musique, et Toji tient le nouveau-né aussi près que possible de sa poitrine. Il n’arrive pas à se détourner de la petite vie enveloppée dans une couverture pourrie dans ses bras, l'entièreté de son être étant complètement captivé avec un complet émerveillement. L’enfant enroule une petite main autour de son doigt, et toute sa vie ne peut rivaliser avec ce moment.
« Toji, tu rêves encore, rit la femme, sa voix douce comme du sucre brut et du miel fondu. Tu m’as entendue ? Comment est-ce qu’on appelle notre bébé ?
Toji inspire profondément, et le bébé lui sourit. Il n’existe qu’un seul nom digne d’un enfant aussi parfait que ça.
- M-- »
« Hé, gamine, dit Toji. Merde, sa voix est sortie beaucoup plus tremblante que ce qu’il souhaitait. C’est toi, non ?
La fille le fixe d’un regard noir derrière une paire de lunettes rouges trop grandes pour son petit visage. Elle le regarde comme s’il était complètement malade, ce qui n’est pas entièrement faux.
- Hein ? T’es qui, toi ? »
Au lieu de répondre, il demande, « Tu t’appelles comment ?
La fille grimace.
- Maki.
- Maki, » répète-t-il, et c’est comme si une pièce manquante de son âme retombait en place. Les archives de sa vie avant qu’il ne combatte le gamin au Sixième Œil sont un long rouleau, impossiblement blanc, fait de rien – mais dessus avec des lettres pâles est inscrit le nom d’un enfant, un enfant avec un nom délicat qui effleurait les cieux, tissant des lettres à partir d’une prière ; un nom qui commençait par un M, et qui finissait en i, aussi.
« Maki, dit-il encore. Je crois que t’es ma fille. »
Maki cligne des yeux, et le vendeur lui adresse un regard bizarre. Okay, peut-être que sortir quelque chose comme ça n’était pas brillant, mais Toji n’est pas exactement une personne brillante. Il replie ses bras sur sa poitrine et change de jambe, ne serait-ce que pour garder son calme. La dernière chose dont il a besoin est qu’elle s’enfuie avant qu’ils aient une chance de parler.
Une fois qu'elle a assimilé ses mots, Maki grimace avec un dégoût si profond que Toji en serait fier s’il ne lui était pas adressé. Yep, c’est définitivement son gosse. « Ha ? J’ai déjà un père bon à rien , donc non merci. »
Putain, aïe. C’aurait entamé sa fierté si son dégoût de soi-même ne l’avait pas déjà fait pour elle. « Bon à rien ? répète-il tranquillement. Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- Tu traîne tout seul dans un magasin d’armes avec des vêtements troués à dix heures du matin. C’était pas difficile à comprendre. »
Seigneur, le
langage
de cette fille. Elle ne peut pas avoir plus de six ans. Toji doit combattre le sourire qui menace de prendre contrôle de son visage. Il lève ses mains
en une simulation de reddition. « J’ai plus d’arguments, répond-il en haussant les épaules. Mais qu’est-ce qu’une petite fille comme
toi
fait à traîner seule dans un magasin d’armes à dix heures du matin ?
Maki serre les poings.
- Je suis pas une petite fille !
- T’es pratiquement un fœtus. »
Mais Maki ne daigne pas mordre à l’hameçon. A la place, elle croise les bras et change de jambe – jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle vient de prendre exactement la même pose que lui, et elle se redresse alors pour finir aussi droite qu'une planche. « J’suis occupée, donc tu peux aller être bizarre autre part ?
- Nan, être bizarre ici ça me va parfaitement, répond-il avec une vague de la main, et en plus, je suis occupé aussi. »
Maki lève le nez et souffle, mettant beaucoup trop d’efforts à prétendre de l’ignorer pour paraître naturelle. Il devait la fixer trop intensément, parce que le vendeur se racle la gorge bruyamment, levant un sourcil au-dessus du bout de son journal, et lui envoie un regard désapprobateur. Toji n’arrive pas à s’empêcher de rire, et Maki n’arrive pas à s’empêcher de tressailler quand elle le voit.
E lle lui tourne le dos pour faire face à une étagère sur laquelle sont alignés des couteaux de combat, et reste là à les observer pour un laps de temps ridiculement long. L e tic-tac de la vieille horloge pourrait aussi bien être l e tambour d’une fanfare, vu comment le silence écho à travers la pièce. Une poche de course en papier est jetée sur son épaule, et à en juger par les gouttes qui s’en écoulent depuis le coin, elle a de la nourriture chaude dedans qui refroidit et de la nourriture froide dedans qui réchauffe.
Merde, ça va prendre une éternité. C’est presque difficile à regarder. Toji doit intervenir.
« Pour qui t’achètes-ça ? Lui-demande Toji, même si quelque chose lui dit qu’il connaît déjà la réponse.
- Pour qui tu crois ? Mord-elle en retour, regardant par-dessus son épaule avec ses sourcils froncés. C’est pour moi, tiens.
C’est comme regarder dans un putain de miroir.
- Pourquoi ? T’as des gens à poignarder ?
- Ouais, répond-elle, étrangement déterminée. Plein de gens. »
Toji se retient tant de sourire que ses joues commencent à lui faire mal.
- Tu devrais prendre celui-là, alors, suggère-t-il, lui montrant un couteau fait de carbone noir avec une lame dessinant un arc léger. La poignée a une prise en main parfaite qui l’empêche de glisser même si ta main est couverte de sang. Si tu tournes le côté tranchant vers toi, ce truc peut contrer des coups d’armes qui font cinq fois sa taille. En plus, le matériau est exactement ce que tu cherches, vu qu’il s’émoussera pas même si tu dois poignarder plusieurs personnes dos à dos. »
Il n’arrive pas à dire si son expression faciale est teintée d’un terrible jugement ou d’une fascination morbide, mais c’est probablement un mix sain des deux. « Euh, » dit-elle intelligemment, levant le couteau de son étagère sans détourner son regard, « Merci.
- T’inquiète. » répond Toji. Maki place le couteau sur le comptoir, récupérant sa bourse alors qu’elle se prépare à payer et – merde, est-ce qu’elle a plus d’argent sur elle que lui ? Ce serait hilarant si ça n’était pas si pathétique. Putain de courses de chevaux. Tout est de leur faute.
Maki enfouit l’arme dans une poche profonde de sa jupe, comme si elle planifiait de le cacher à qui que ce soit chez qui elle rentre. Sans un autre regard dans sa direction, elle incline la tête courtoisement en merci au vendeur, pivote sur ses talons et pousse la porte.
Donc Toji la suit plus en autopilote que consciemment. Si ses instincts ont raison, et qu’il y a une sorte de connexion entre eux deux – si cette fille est vraiment sa fille – alors il n’y a pas moyen qu’il la laisse lui filer entre les doigts, pour plus de raisons qu’il ne peut possiblement en compter. Quelque chose d’urgent et désespéré passe à travers son corps, et il se racle la gorge.
« Attends ! Tu vas où ? »
Maki se tourne brusquement et le regarde mal, ses yeux chaudement dorés froids comme un lac au beau milieu de l’hiver. « J’appelle les flics ? »
Wow, ça se passe très mal. Toji aimerait être surpris, mais ce serait presque plus surprenant si quelque chose allait en sa faveur pour une fois. Et si c’est pas triste…
Toji essaye de trouver quelque chose à dire, mais il a l’impression d’essayer d’attraper des nuages. « Tu sais comment utiliser ce truc ?
- Oui, répond-elle, mais le mensonge est si évident que son nez pourrait autant grandir comme celui de Pinnochio. Bingo. Les enfants sont si faciles à déchiffrer.
Toji rassemble son courage.
- Je pourrais t’apprendre. »
Maki jette ses mains sur ses hanches, faisant s’écouler encore plus d’eau du sac de course maintenant complètement trempé sur les pavés de la place. « Et pourquoi est-ce que je devrais croire que tu sais comment l’utiliser ?
- Quoi, mes conseils avisés étaient pas assez pour toi ? Rit-il. Bah, c’est comme ce que t’as dit, non ? Je traînais tout seul dans un magasin d’armes avec des vêtements troués à dix heures du matin. T’as dit que tu savais ce que ça voulait dire – il arque un sourcil moqueur – à moins que ça soit du flan.
Maki plisse ses yeux jusqu’à ce qu’il n’en reste que de sombres fentes.
- C’est quoi le piège ? Dit-elle sèchement. Pourquoi est-ce que tu proposes ? »
Toji avale sa salive. Il ne se sent pas prêt à le répéter. Il est assez clair qu’elle ne le croit pas, et il ne va pas la pousser plus. Il est chanceux qu’elle se soit même retournée pour l’écouter à l’instant.
« Tu sais, commence-t-il à dire à la place, surchauffant les quelques maigres neurones qu’il lui reste, parce que je suis un gars super sympa. »
Ouais, Maki n’a pas l’air convaincue.
« Tu crois vraiment que je vais juste accepter des leçons de combat dangereuses de la part de n’importe quelle personne bizarre ? »
Toji fronce les sourcils. Il y a une tâche sombre sur son t-shirt qui est soit du café soit du sang – les deux sont probables ; ils ont tous les deux tendances à être une partie intégrante de sa morning routine. Il la cache de sa main sans aucune grâce. « Je ne suis pas une personne bizarre.
- T’es la définition d’une personne bizarre !
Attends, il peut faire quelque chose avec ça.
- Tu lis beaucoup de dictionnaires ?
Maki lève les yeux au ciel.
- Faut que je rentre voir ma famille, alors laisse moi tranquille.
Ça fait surprenamment mal.
- Ta famille ?
- Ouais, ma famille, crache-t-elle, sa voix teintée d’une tristesse amère que Toji n’arrive pas tout à fait à replacer. Et puis, tout bas, elle rajoute : Débiles, chacun d’entre eux. Encore pire que toi.
- Tu me connais même pas !
D’une manière ou d’une autre, cette phrase lui vaut un rictus.
- Ouais, exactement. »
Elle se retourne pour partir. Merde, il est en train de la perdre. Il lui reste un dernier tour dans son sac.
« Laisse-moi le prouver, appelle Toji, essaye de m’attaquer avec ce couteau.
Sans surprise, cette phrase pique son intérêt.
- Okay, répond-elle rapidement, mais c’est pas ma faute si tu meurs. »
Il faut adorer cette confiance en soi sans limite – même si elle n’a aucune base pour l’instant.C’est son portrait craché.
Maki inspire d’un coup et pose son sac de courses sur les pavés derrière elle. Elle frappe ses orteils contre l’asphalte et se jette en avant comme une flèche, retirant le couteau des plis volants de sa jupe dans un même mouvement rapide. Ses jambes balayent le sol, sa tête et son corps tous deux orientés directement vers sa cible. Ses épaules se reculent et ses genoux absorbent l’impact de son sprint, accumulant de l’énergie comme un élastique qu’on étire.
C’est étrangement troublant de voir à quel point ses mouvements ressemblent aux siens. Il n’y a plus aucun doute dans esprit, à présent.
Cette fille est son enfant. Elle est exactement comme lui quand il avait son âge.
Attends, quand j’avais son âge?!
Avant que le souvenir ne lui revienne, le couteau arrive vers lui en sifflant – quand est-ce que Maki a sauté ?! –et sa prise de main se serre comme si elle était prête à lui enfoncer dans la poitrine. Toji n’hésitera pas à admettre qu’il est impressionné ; mais sa technique laisse à désirer, et son jeu de jambe est au mieux maladroit. Toji plonge vers elle, arrachant sans effort le couteau de sa poigne entre deux fractions de seconde.
Elle se redresse rapidement et c’est tout à son honneur ; mais pas assez. Ses yeux s’écarquillent dans la panique lorsqu’il fait mine de diriger la lame vers sa poitrine, pour finir par la redresser au dernier moment et par l’attraper avec ses dents – d’accord, il frime peut-être un peu – et la frappe d’une pichenette entre les yeux à la place.
« T’as vu ? » Il reprend la lame de sa bouche et la fait doucement tourner entre ses phalanges, puis lèche la goutte de sang qu’il récupère en la balançant sur le bout de son doigt – okay, il frime beaucoup. Si la moue indignée sur son visage sert d’indication, son sourire diabolique doit s’étirer d’une oreille à l’autre. « Je te l’avais dit. »
Maki pousse un soupir d’agacement et fait exprès de lever les yeux au ciel à travers toute la place, mais Toji arrive à voir qu’elle est impressionnée à contre-coeur.
Victoire.
Leurs yeux ne sont pas de la même couleur, mais ils ont le même regard. Il sait que Maki doit le remarquer aussi, vu comment elle scrute son visage comme si elle essayait d’y déchiffrer un code. Sa tête est illisible ; elle lui tend sa main sans un mot pour récupérer son couteau, et Toji lui rend. Elle le glisse dans sa poche et reprend son sac de courses, regard brûlant toujours à travers celui de Toji.
« Tu t’appelles comment ?
Il devrait lui donner son faux nom ; Toshiro dance au fond de sa gorge, mais meurt bien avant d’avoir pu atteindre sa langue.
- Toji.
- Toji, répète-t-elle, comme si elle essayait de la garder pour plus tard. Bye, j’imagine.
- Il y a un vieux bâtiment à quelques maisons d’ici. Un gros truc gris, imposant, tu peux pas le rater. Moche au possible, mais il a des bons sols et des miroirs plein pieds qui sont parfait pour l’entraînement au combat. » Il déglutit, et sa gorge lui semble complètement asséchée. « Dans trois jours. Qu’est-ce que t’en dit ? »
Maki ne se retourne pas ; la poitrine de Toji plonge. Puis elle s’arrête, extrêmement brièvement, et répond, « Neuf heures.
- Onze heures.
- Dix. »
Elle continue de marcher, après ça, et Toji regarde sa silhouette se rapetisser encore et encore vers l’horizon jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans l’après-midi. Seulement là s’autorise-t-il à expirer, et ses épaules s’affaissent, épuisée.
Et mince, il a oublié de s’acheter une épée.
Eh, peu importe. Il peut toujours revenir plus tard. Toji sautille jusqu’à un banc proche et s’écroule dessus, se prélassant langoureusement alors que des rayons de lumière noient sa poitrine avec une chaleur douce qui, il en est sûr, ne provient pas juste du soleil.
Il ferme les yeux, se perd dans l’orchestre du trafic tout autour de lui, et ne peut s’empêcher de penser que sa vie vient de changer pour toujours.
Notes:
Note de MissingN000:
"mon enfant va bien" ton enfant écrit une fanfic found family père-fille
mdr très sérieusement sinon, merci d'avoir lu ! j'espère que vous resterez à l'écoute pour plus, parce qu'il y a pas mal de choses en stock pour... à peu près tout le monde dans le manga. pardon pour la ref mathématique dans le titre. c'est l'angle de mesure de dix heures. est-ce que le faux nom de toji est une référence à gintama ? bien sûr que oui.
les commentaires et kudos refont toujours ma journée ! merci encore !
Chapter Text
Toji n’a pas l’habitude d’avoir raison. Et bizarrement, il s’y est habitué.
C’était presque plus facile comme ça, de vivre sans aucune attente. Juste un type sans nom et sans but, un tableau effacé par une vague tentative de nettoyage qui l’avait à la place laissé criblé de traces et d’éraflures, dans un ensemble tâché de couleurs délavées. Ça lui allait, d’exécuter un carnage insignifiant avec une mécanicité plus appropriée pour une marionnette au bout d’un fil que pour un être humain.
Mais le fait que son intuition à propos de sa famille était vraie ? Ça, ça l’effraie.
Même si cette dite famille ne veut rien avoir à faire avec lui. Toji ne peut même pas lui en vouloir. Quel genre de gosse voudrait d’un parent qui a disparu puis oublié qu’il existait ?
Parce que, putain. Est-ce qu’il a même envie d’avoir un enfant dans sa vie ? Il n’a aucune idée de comment se rendre heureux lui-même, sans compter un enfant. Ça va sans dire que Toji serait un parent merdique, et à chaque fois qu’il repense à la façon dont Maki l’a fixé, ce rappel sonne dans son esprit comme une alarme incendie, l’avertissant qu’il n’est rien d’autre qu’un amalgame bordélique de red flags.
Ce n’est pas juste pour elle, mais il n’arrive pas à s’en empêcher. Il n’a jamais prétendu être une bonne personne, de toute façon. Il ne peut pas se forcer à regretter son offre, mais il a tellement de doutes qu’ils font buguer son monde et emmaillotent son cerveau dans une couverture en coton.
Mais merde. Il a fait une promesse. Il lui a donné sa parole, et même si sa parole n’a aucune putain de valeur, il sera damné s’il n’essaye même pas de la tenir.
Donc il va jusqu’au vieux bâtiment gris trois jours plus tard, parce qu’il a dit qu’il serait là.
Pour la première fois depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Toji n’est pas juste pas en retard – il est en avance. Il a presque une heure d’avance, et-
--Maki est déjà là, parce que bien sûr qu’elle est déjà là.
Elle est recroquevillée devant la porte principale avec ses genoux collés contre sa poitrine, ses yeux vides et absents comme si son regard passait à travers les pavés au lieu de s'y arrêter. Une très faible teinte violette est allongée en demi-lune sous ses yeux, leur donnant l’aspect qu’ils pourraient avoir si elle n’avait presque pas dormi la nuit précédente. C’est à peine perceptible, mais Toji n’est rien si ce n’est observateur.
Ça aide aussi qu’il ait vu exactement le même regard sur son propre visage quand il a regardé dans le miroir ce matin.
Peut-être qu’elle était stressée? Nan, probablement pas. Même après une seule conversation, Toji est à peu près sûr que cette émotion n’est pas dans sa gamme limitée.
Lui-même se sent stressé, par contre, non pas qu’il l’admettrait. Ça monte en lui sous la forme d’un frisson qui n’a rien à voir avec le vent matinal mordant qui lui attaque les joues, le genre de frisson qui l’empêche de se réchauffer malgré le nombre de couvertures pathétiquement fines qu’il s’est empilé dessus la nuit dernière. Ça fait monter au garde-à-vous chaque poil de son corps et étends ses sens dans des millions et aucune direction, et il est malheureusement parfaitement conscient que ses actions aujourd’hui pourraient avoir des conséquences drastiques et irréversibles. S’il n’arrive pas à être à la hauteur de ses prétentions hautaines et de ses manœuvres tape-à-l’œil de l’autre jour au magasin d’armes, elle pourrait se barrer sans jamais se retourner. Et ce serait tout.
Il ne peut pas foirer cette rencontre, pas encore, pas comme ce qu’il fait avec tout le reste. Il l’a déjà perdue une fois. Toji arrive à peine à se supporter tel qu’il est, et il n’est pas sûr qu’il en serait toujours capable s’il refaisait la même erreur cette fois-ci.
Même si Maki ne bouge pas, il arrive à voir qu’elle l’a remarqué. Elle ne fait pas l’effort de lever la tête jusqu’à ce qu’il arrive à ses pieds, et quand elle le regarde enfin, c’est avec un sourire en coin beaucoup plus doux que ce à quoi il s’attendait, et ça lui coupe le souffle juste assez longtemps pour qu’elle commence à parler en première.
« T’es en avance, » dit-elle platement, mais avec une note amusée dans la voix qui lui donne à nouveau l’air d’elle-même.
Toji agite une main maladroitement. « Ouais, ouais, m’en parle pas. » Il n’y a pas moyen qu’elle ne le nargue pas plus tard. « Qu’est-ce que tu fous à attendre dehors dans le froid ? T’as besoin d’une invitation de la part du roi des rats pour le bal qu’il organise dans son palais abandonné ?
- Je vérifiais juste que j’étais au bon endroit, » répond-elle, ayant presque l'air d'être sur la défensive.
Okay, donc peut-être qu’elle est stressée. Mais elle a l’air à peu près aussi prête à l’admettre que lui. De toute façon, c’est probablement pour des raisons complètement différentes des siennes.
Bon, ce qui est sûr, c’est qu’il ne sait pas réconforter du stress, mais il sait en revanche comment le diffuser. Alors qu’elle ne se lève toujours pas, Toji monte jusqu’à la porte de façon théâtrale et l’ouvre en s’inclinant. « Après vous, princesse, » la raille-t-il. Ça la fait réagir. Elle défile devant lui et essaye de lui écraser le pied, mais il l’écarte à la dernière seconde avec un sourire espiègle.
Toji balance d’un coup de pied une brique solitaire qui tombe du plafond lorsqu’il claque la porte derrière eux. Il y a une grappe de fléaux de bas rang se débattant dans le coin de la pièce, rebondissant de bas un haut comme un ressort sur un escalier. Les yeux de Maki vont et viennent, comme si elle faisait tout pour ne pas regarder quelque chose – hein ? Toji leur lance une pierre et ils s’enfuient comme des souris, courant dans une ribambelle de directions différentes et Maki s’exclame, d’un son beaucoup trop bruyant et sincère pour qu’elle ne puisse refréner sa réaction, et sa mâchoire tombe au sol. « Attends, tu pouvais les voir ?
Les sourcils de Toji montent directement au plafond, sans prendre compte les lois physiques et biologiques.
- Tu pouvais les voir ?!
Immédiatement, les mains de Maki volent vers ses lunettes. Elle serre leurs branches rouges dans ses petites mains avec une force de géant, comme si elle s’attendait à ce qu’il les arrache de son visage dans les deux secondes qui suivent. C’est quoi ce bordel ?
- Mes- mes lunettes m’aident, » explique-t-elle. Elle plisse ses yeux comme une panthère, mais Toji ne manque pas le flash de panique qui y passe. « Attends, t’es un exorciste ?
- Pffft. Toji arrive à peine à honorer cette question d’une réponse. Est-ce que j’ai l’air d’un exorciste, gamine ?
- Je sais pas, répond-elle. Son visage n’a pas changé d’expression. Je connais des exorcistes avec un comportement pire que le tien.
- Putain, encore ça ? Tu me connais même pas.
Elle lui donne la même réponse que la dernière fois.
- Ouais, exactement. »
Hm, ça ne se passe pas si bien que ça. Non pas que Toji soit un énorme fan des exorcistes, lui non plus. Il n’a eu à travailler qu’avec quelques uns – et à défoncer quelques autres – pendant cette dernière année et demi, mais ils l’ont rendu si décérébré après avoir interagi avec eux pendant plus de cinq minutes qu’il avait presque voulu oublier sa propre existence. Encore une fois.
Et tout ça, c’est avant de prendre en compte le morveux aux cheveux blancs. Toji ne sait pratiquement rien de lui, mais il est à peu près sûr qu’il le hait.
Au moins, Yuki est tolérable.
« Nan, j’suis pas exorciste, » clarifie Toji. « Pourquoi, tu t’entraînes pour en devenir une ou un truc du genre ? »
- Oui, » répond-elle, avec une résolution assez forte pour pousser des montagnes et entamer de l’acier. « Je suis en train.
- Ah, » est tout ce qu’il arrive à sortir. Mince, là, tout de suite, il aimerait vraiment bien que Yuki lui en ait appris plus sur le monde de la sorcellerie.
« C’est ça, ta famille ? Un tas d’exorcistes surdoués ? C’est quoi, ton–» c’est quoi le mot, déjà ? « -euh, ton sort inhérent ? »
- Mon sort inné, » corrige-t-elle en esquissant un minuscule sourire. Oh, allez, c’était presque ça. « Et je- » Ses yeux tombent au sol, et ses lèvres se pressent ensembles si fort qu’elles commencent à trembler. « Je n’en ai pas. »
Clignant des yeux, « Hein ? T’en as pas ? »
Maki se renfrogne. « Ouais, j’en ai pas. T’as un problème avec ça ? » Elle croise les bras sur sa poitrine, le regard toujours glué par terre. « Donc si tu vas essayer de m’apprendre à canaliser mon énergie occulte, ça va pas marcher. J’en ai presque pas, de toute façon.
- Presque pas ? » Toji sourit. « J’en ai pas du tout. »
Maki re-tourne la tête vers lui si brusquement que ses propres cheveux la fouettent dans le visage, son expression faciale traversée par quelque chose qui ressemble presque à de l’espoir. Bah merde, peut-être que ça se passe bien, après tout. « T’en- t’en as pas ? » bégaie-t-elle. « Pas du tout ? Et tu peux quand même-
- Quand même quoi, défoncer la gueule d’exorcistes tellement vite qu'ils deviennent encore plus stupides qu'ils ne l'étaient déjà ? Yep. »
Pendant un court moment, il pourrait jurer que ses yeux brillent d’admiration, de la même façon qu’un enfant regarderait un super-héros. La voix de Toji se coince dans sa gorge, qu’il se racle bruyamment et il lui frotte les cheveux vu qu’il sait que ça va l’énerver – parce que, disons qu’il n’arrive pas vraiment à gérer la façon dont elle le regarde, là. Comme s’il pouvait vraiment être quelque chose, être quelqu’un. Il n’a pas assez confiance en lui pour être capable de traiter cette information, surtout si ça vient de- eh bien.
Son propre enfant.
Putain, c’est un peu triste.
Heureusement, la distraction de Toji marche, et Maki essaie, indignée, de démêler ses cheveux alors que Toji marche jusqu’au centre de la pièce, étirant les muscles de son dos. Le miroir s’est à nouveau taché, depuis qu’il l’a plus ou moins essuyé la dernière fois qu’il est venu s’entraîner ici. Ce qui était- il y a un moment, il croit. Il n’est pas exactement brillant en terme d’horloge interne. Ou en terme de savoir quel jour on est.
Jeudi, peut-être ? Bref.
Maki le suit à la trace. Elle retire le couteau qu’il lui a recommandé de la poche de sa jupe – oh, hey, elle l’a vraiment gardé – et lui présente comme une offrande. « J’ai amené ça, » annonce-t-elle.
« Oh, pour moi ? Comme c’est joli, » taquine-t-il. « Mais va le mettre dans un coin, parce qu’on va pas toucher à ce truc aujourd’hui. »
Maki a l’air complètement furieuse. « Quoi ?! Je croyais que t’avais dit que t’allais m’apprendre comment l’utiliser !
- Je vais le faire, confirme Toji. Mais t’as un sacré paquet de jeux de jambes à faire avant que tu sois prête à ramasser ce truc à nouveau. Une maison construite sur des fondations faibles est condamnée à s’écrouler au premier tremblement de terre, tu sais ? »
Maki lève les yeux au ciel, mais écoute tout de même, lâchant le couteau avec un clinquement étouffé. « Cette analogie était stupide, déclare-t-elle blasée.
- C’est toi qui est stupide, » s’entend-il lancer avant qu’il arrive à s’en empêcher. Putain de merde, il a cinq ans.
Mais Maki se fend d’un éclat de rire, et sans rater la mesure, réponds : « Je sais que toi oui, mais moi ? »
Toji ricane en réponse. Mince, ils se ressemblent beaucoup trop. C’est... tant mieux, il suppose, mais Maki est littéralement un enfant, donc qu’est-ce que ça dit à propos de son niveau de maturité ? Eh, peu importe. Il n’a jamais prétendu être un adulte fonctionnel de toute façon.
« Écoute, » commence Toji. « Tu ne manies pas un couteau, ou une épée, ou n’importe quoi d’ailleurs, avec tes bras. Tu le manie avec tes jambes et avec tes poignets. »
Maki répond par une grimace. « Quoi ?
- Hé, laisse-moi expliquer avant de me regarder comme ça. Le bas de ton corps est beaucoup plus fort que le haut. T’as dû réaliser à quel point les coups de pieds étaient plus puissants que les coups de poings, non ? Imagine ça comme ça. T’essaierais pas de voir clairement avec la mauvaise paire de lunettes, donc pourquoi est-ce que t’essaierais de diriger une attaque avec la partie la plus faible de ton corps ? Tout est une histoire d’élan. Tu peux mettre beaucoup plus de force dans un coup de poing si tout ton poids est derrière, et tu peux pivoter sur tes chevilles beaucoup plus rapidement que tourner l’entièreté de ton torse. » Il tend ses bras. « Et tes poignets te permettent plus de précision dans tes mouvements, pour un délai de réaction moins important qu’essayer de bouger ton coude pour contrer un coup qui arrivera avant même que t’ait bougé ton épaule pour y faire face. » Toji frappe son biceps pour insister. « Après, ça ne veut pas dire que tu peux oublier tes entraînements des bras. T’as toujours besoin d’avoir la puissance nécessaire pour des droites solides ou pour attraper une arme qui arrive sur ton visage, même si une bonne technique peut t’y amener au bout d’un moment. »
Pour démontrer, Toji se penche en souplesse pour arriver à une position de combat, dessinant une ligne du bout des doigts de ses épaules, ses hanches, ses genoux, jusqu’à ses chevilles. « Tu dois toujours être en train de penser à ton centre de gravité, » continue-t-il. « C’est de là d’où vient le cœur de ta force et de ta stabilité. Ça ne veut pas nécessairement dire que tu dois essayer de rester droite tout le temps, mais plutôt que ta ligne d’action est équilibrée entre les mouvements du haut et du bas de ton corps d’une telle manière que si tu devais t’arrêter dans n’importe quelle des positions que tu prends dans un combat, tu serais capable de rester en place toute la journée sans tomber. »
Maki fronce les sourcils, mais Toji arrive à voir qu’elle est toute ouïe. « Ça… fait sens, » dit-elle lentement, presque comme surprise que quelque chose qu’il ait dit soit sensé.
« Ouais, bien sûr que ça fait sens. Se battre est beaucoup plus basé sur la pensée que ce qu’on pourrait croire. Après, c’est de la pratique, et ensuite, finalement, toutes ces pensées et toute cette pratique deviennent instinctives. » Elle lui cligne des yeux et hoche la tête, et il ne peut s’empêcher de sourire en coin, satisfait. J’ai réussi. Hé, peut-être qu’il a vraiment une chance à tout ce truc de père-et-conseils. « Allez. Montre-moi ta position de combat. »
Donc Maki se met en position. Il suppose que ce n’est pas complètement nul, pour un œil non-averti ; mais pour lui, c’est… un peu un désastre. Déjà, ses coudes sont verrouillés – est-ce qu’elle essaye de se faire casser les bras comme des cure-dents ? Ensuite, ses chevilles sont toutes deux orientées dans la même direction, ce qui est juste – non. Aucune marge de mouvement et aucune stabilité. Ses épaules sont aussi rigides que du béton alors que ses genoux sont aussi tordus que de la gelée, et son cou est tellement raide qu’elle ressemble à un épouvantail.
Il a le sentiment qu’un style tendre ne lui plairait pas, ce qui est tant mieux pour lui, parce qu’il n’a aucune idée de comment faire ça. Ça sera donc l’amour vache. Il peut faire avec sans problème.
Du coup, il tend son bras d’un mouvement souple et lui fait perdre son équilibre d’un seul doigt. Elle s’écroule comme un château de cartes. « Tu vois ? T’es tombée. »
Maki fronce les sourcils et se remet sur pied, époussetant de sa jupe les moutons et autres substances douteuses venant du sol. « Qu’est-ce que je faisais mal ? » souffle-t-elle – non pas comme si elle essayait de se défendre mais plutôt d’apprendre.
Et c’est ça qui le tue. Elle veut apprendre, mais on ne dirait pas que qui que ce soit ait pris le temps de lui enseigner. Tout ce qu’elle sait, elle a probablement dû se l’apprendre à elle-même, a probablement dû se baser sur des conseils donnés à d’autres. Est-ce que c’est pour ça qu’elle avait l’air si amère à propos de la famille avec qui elle a grandit lors de leur première conversation ? Parce qu’ils n’ont pas pris la peine d’octroyer du temps à une gamine sans énergie occulte, ou peut-être qu’ils pensaient qu’elle n’avait aucune valeur sans sort inné, ou qu’ils lui ont dit qu’il lui était impossible d’être forte sans sorcellerie ?
Quel genre de connards mettraient quelqu’un à l’écart pour quelque chose comme ça ?
Donc il fait de son mieux pour réparer leurs erreurs. Il la fait reprendre sa posture, et lui indique doucement chaque endroit où l’améliorer d’un ton qu’il espère encourageant sans être infantilisant. Il se met de nouveau en position et essaye d’enseigner par l’exemple, essaye du mieux qu’il peut de lui expliquer ce qui est devenu pour lui une seconde nature, et même s’il trébuche sur ses mots, elle limite ses commentaires sarcastiques au minimum.
Il ne va pas gagner de prix du professeur de l’année, mais il n’est pas… complètement nul. Peut-être est-ce parce qu’ils se ressemblent tellement qu’elle parle déjà sa langue étrange. En fait, ça se passe plutôt bien – mais étant donné que Toji est ce qu’il est, il faut qu’il ouvre sa grande bouche et fasse tout foirer.
Avant qu’il puisse s’en empêcher, il demande, sorti de nul part, « Hey, tu te souviens de moi ? »
« Euh, de quand on s’est rencontré il y a trois jours ? » dit-elle sans détourner les yeux de son reflet désarticulé dans les fractales du miroir craquelé. « A ton avis ?
- Non, espèce de peste. Je parle de – tu sais. » Toji déglutit difficilement. « De quand t’étais plus jeune.
- Pourquoi je m’en souviendrais ? » répond-elle, mais il y a quelque chose de presque triste dans la façon dont elle le dit. Il suppose qu’elle ne se souviendrait pas de lui s’il était parti de sa vie lorsqu’elle était bébé, mais cette réponse pique tout de même d’une manière qu’il ne peut exprimer. « Tu n’as même pas raison sur ce que tu penses que je suis, donc je ne crois pas que tu te souviennes de moi, non plus. »
‘Tain, elle n’arrive même pas à le dire ? Ça, ça pique vraiment. Ce n’est pas comme s’il s’attendait à ce que l’enfant qu’il avait laissé derrière lui lui saute dans les bras, mais tout de même. « Si, je – je m’en souviens, » dit-il, hésitant, comme si c’était une question – et il invoque le souvenir, le seul qu’il ait. Il pense à la pluie sur la fenêtre, aux sons ambiants de l’hôpital. Il pense à comment il avait serré son précieux bébé dans ses bras, à comment cet enfant était la bénédiction la plus divine que le Ciel, dans toute son immortelle gloire, pouvait possiblement tisser. Alors, il répète avec conviction, « Je m’en souviens. »
Maki ne répond pas, mais elle scrute son visage comme si elle cherchait quelque chose que Toji n’est pas sûr qu’elle puisse trouver. « Juste… continuons là où on s’était arrêtés. »
Toji soupire, mais obéis à sa requête. Elle comprends comment se mettre en position surprenamment vite, alors ils passent à quelques bases : la bonne posture pour avoir des coups de pieds et poings puissants, comment déplacer son centre de gravité tout en gardant des mouvements fluides, comment utiliser son langage corporel pour mener son adversaire en feintant exactement là où on les veut pour la prochaine attaque.
C’est beaucoup plus d’informations que ce qu’elle peut assimiler en une journée, mais elle est enthousiaste, et Toji sait qu’elle peut gérer un peu de devoirs. Elle se concentre sur ses mots comme si elle croyait vraiment que chacun d’entre eux est important, ce qui est aussi terrifiant qu’incroyable ; parce que merde, sa fille est vraiment en train de l’écouter, mais d’un autre côté il sort ses paroles de son cul la moitié du temps.
Finalement, elle l’use et le convainc de se battre brièvement contre elle, juste afin qu’elle puisse mettre en pratique ce qu’elle a apprit contre une vraie personne et non son reflet. Il la laisse mener, la laisse observer comment il réagit à chacune de ses attaques. Ses mouvements deviennent progressivement plus précis, plus confiants. Il peut presque voir les rouages tourner derrière ses yeux alors qu’ils combattent, analysant jusqu’au plus petits des mouvements musculaires afin qu’aucune action ne soit inutile, et chaque mouvement est intentionnel. Elle est capable d’imiter certaines de ses actions qu’il ne lui avait même pas expliqué et de se les approprier.
Il n’y a qu’une seule manière de le dire. Elle est incroyable. Sa poitrine se gonfle de fierté, parce que merde, elle est exactement comme lui, et pour la première fois, il ne se déteste pas vraiment.
Il essaye de lui donner des conseils ici et là, quand elle à l’air d’avoir besoin d’un coup de pouce pour aller dans la bonne direction, au-delà du niveau physique. Il essaie de se souvenir de quelques trucs qu’il ait dit tout à l’heure, de quand il lui avait dit que chaque ligne d’action avait besoin d’une stabilité absolue, alors il crie « Stop ! » quand elle est sur le point de le frapper – et elle se fige.
Maki est si près du but ; elle a presque une pose parfaite, mais Toji ne manque pas de remarquer que sa hanche est à peine désalignée de sa cheville à cause de la façon dont elle plie les genoux, donc avant qu’elle le réalise et puisse se corriger, il la fait basculer.
Elle se remet sur pieds, passablement énervée ; non pas envers lui, mais plutôt elle-même. « Encore, demande-t-elle, et Toji sourit comme un coyote.
- Okay, petiote. »
Lorsque Maki finit par s’épuiser, le soleil est couché depuis longtemps, mais la faible lumière du crépuscule n’a pas encore tout à fait succombé au noir de velours de la nuit. Toji lui propose de la raccompagner chez elle, mais elle insiste pour rentrer seule. Ils se mettent d’accord pour s’entraîner ensemble à nouveau dans trois jours, et c’est une victoire plus glorieuse que toutes celles qu’il ait déjà remporté, alors qu'il n’arrive même pas à se souvenir de la plupart d’entre elles. Il se traîne jusqu’à son appartement et s’écroule la tête la première contre son canapé, sans même enlever ses chaussures.
Il est courbaturé, horriblement courbaturé, mais pas le genre de courbatures qui tire sur ses muscles – celles-ci se couchent dans ses os, creusent dans sa moelle, coulent dans son sang. C’est un bon genre de courbatures, en revanche, un genre qu’il reconnaît parce que ce type de douleur est toujours très intense juste avant qu’il ne devienne bien plus fort.
Une chose est sûre : ouais, il veut un enfant dans sa vie. Cet enfant, spécifiquement. Il n’a aucune putain d’idée de comment être père, mais ce sentiment est assez fort pour éclipser chacune de ses trois anciennes certitudes une douzaine de fois.
Okay. Donc s’il va faire tout ce truc de “père”, il s’imagine qu’il doit apprendre quelques bases avant de revoir Maki. Il se rend dans un cybercafé pour se documenter un peu – ouais, il n’a pas d’ordinateur, et alors ? Ces trucs sont pour les enfants. Il est à peu près sûr que la vieille dame à côté le fixe d’un regard noir lorsqu’il tape « comment être un parent » dans la barre de recherche, mais tant pis. Il appuie sur “entrer” et- putain de merde, plus d’un milliard de résultats ? Ouais, il ne va pas lire ça. Il clique sur quelques uns des articles, mais ils sont remplis de platitudes vides du genre « ne coupez pas les ailes de votre enfant » et « surprenez vos enfants en train d’être sage. » Ça veut dire quoi exactement, ce bordel ?
« Choisissez vos batailles », disait un des articles. Euh, tous ? Il est littéralement en train de lui apprendre à se battre.
Il s’en doutait, internet ne sert à rien ; mais il ne sait pas où aller ensuite. La seule personne avec qui il interagisse de façon semi-régulière est Yuki, et il est probable qu’elle soit aussi perdue que lui. Putain. Il va juste devoir faire ça comme il fait tout le reste : avec zéro contexte, et par la peau des dents.
… mais ça ne marche pas très bien non plus, parce qu’avant qu’il s’en rende compte, deux jours se sont écoulés et il retrouve Maki demain, sans plus d’information sur comment être père que la dernière fois. Il a un job aujourd’hui, et il doute que tabasser des contrebandiers de bas étage dans un entrepôt dégueulasse lui offre une quelconque illumination. Il y réfléchit entre un coup de poing cordial et celui d’après, alors que des côtes se brisent comme de la porcelaine contre ses phalanges et que des membres se cassent comme du verre contre ses genoux. Une balle frémit dans sa main lorsqu’il l’intercepte en plein air, et la demi-seconde de choc qui s’étale sur le visage de son assaillant est juste assez longue pour que Toji ait une idée complètement stupide.
Ouais, il va devoir noter celle-là dans la liste des dix pires décisions qu’il ait prises. Il a l’impression de se surpasser constamment avec ce truc.
Il fait exploser le béton qui se pulvérise en paillettes noires, asphyxiant leur air de poussière d’asphalte. Il récupère d’un coup sec le pistolet des mains du trafiquant et écrase le barillet comme si ça n’était rien de plus que du papier, à mains nues. Il saisit une poignée de la chemise crasseuse de l’homme et le tire par le col, assez près pour voir le blanc de ses yeux se pixeliser en petit fils rouges de sang.
« Hey, » dit Toji tranquillement. « T’as des enfants ? »
L’homme expire d’un souffle saccadé, haletant alors que ses mains meurtries et affaiblies se débattent contre la poigne de fer de Toji. Toji lève théâtralement les yeux au ciel, espérant que l’exagération lui donne l’air de s’ennuyer autant qu’il le ressente. Au bout d’un moment, le trafiquant se rend et arrête de se débattre – un mec malin – et sa poigne se relâche sur l’avant-bras de Toji avant que ses mains ne tombent mollement à ses côtés.
« Oui. Une, » croasse l’homme. « Une fille. Elle a treize ans. »
Toji marque une pause. « Oh, hey, j’ai une fille aussi. Elle a six ans, par contre. » Il plisse les yeux, réfléchissant. « Je crois.
- Tu crois ?
- Hé, fais gaffe. Tu crois être en position pour me juger, là ? » Toji secoue l’homme sans trop y mettre du cœur, obtenant un pathétique gémissement à moitié étouffé qui se transforme en grognement. « En tout cas, c’est parfait, parce que j’ai une question pour toi. T’as une idée de quoi faire pour nouer des liens avec ton gosse ? »
La mâchoire de l’homme se décroche autant que ce que permet son crâne – c’est-à-dire pas beaucoup. Une fine ligne de salive teintée de rose pâle à cause du sang dans sa bouche coule. « Tu vas me tuer ? »
Nope, mais il n’a pas besoin de savoir ça pour l’instant. « Ça dépend. Tu veux répondre à ma question ou pas ?
- Tu peux vraiment pas demander à quelqu’un d’autre ?!
- Arrête de me provoquer ! »
L’homme bégaie alors que son cerveau privé d’oxygène se plie en quatre pour former une réponse. « Je- je sais pas, juste- » Il se débat à nouveau, mais Toji lui lance un regard noir, et il s'arrête relativement rapidement. « Pose-lui des questions sur ses hobbys, ce qu’elle aime faire ? Intéresse-toi à ce qui la rend heureuse, pour montrer que t’en à quelque chose à faire ? »
Toji cligne des yeux. « C’est plutôt pas mal comme conseil, en fait, » répond-il avant de lui adresser un sourire de sucre – montrant ses dents – qui n’atteint pas vraiment ses yeux. « Merci. » Il l’assomme d’un coup.
Il lâche la forme évanouie qui s’effondre en un tas à ses pieds. Il commence à s’échapper du vieil entrepôt pour célébrer une mission réussie avec une bière – jusqu’à ce que la voix d’un contrebandier contre lequel Toji s’était battu plus tôt, qui semble avoir impoliment décidé de reprendre conscience, l’arrête en chemin.
« Tu finis pas le travail ? » se moque l’homme avec un rire humide qui rappelle à Toji qu’il a arraché au moins quatre des dents de ce mec.
« Nan, » répond Toji alors qu’il sautille vers lui, avant d’écraser son visage avec le talon de sa botte aux semelles ferrées. « Il a un gosse qui l’attend à la maison. »
Le conseil vient peut-être d’une source plus que douteuse, mais Toji essaye de l’appliquer lorsqu’il voit Maki le matin suivant. Lors de leur pause pour boire entre l’entraînement aux coups de pieds et leur premier affrontement de la journée, Toji demande « Hé, Maki. C’est quoi tes hobbys ?
- Hobbys ? » répète Maki avec une grimace perplexe. Allez, c’était pas si bizarre comme question. « Me battre. Faire mes preuves. Et devenir plus forte. »
Toji ne peut s’empêcher de sourire. Putain, elle est trop mignonne. En revanche, il ose espérer que ses activités extrascolaires ne soient pas du tout les mêmes que les siennes, qui se résument à parier et – bon. Il ne peut pas vraiment en parler en bonne compagnie. « Non, sérieusement. T’as pas des activités d’enfant ? Tu sais, des trucs normaux pour une enfant de six ans ?
- J’ai pas six ans, » interrompt-elle en se redressant pour avoir l’air plus grande qu’elle ne l’est. Mignon. « J’ai sept ans dimanche prochain.
- Incroyable mais vrai, petiote, ça veut dire que t’as toujours six ans. » Et puis le poids de ses mots lui tombe sur la poitrine comme une enclume. L’anniversaire de sa fille. Peu surprenant qu’il ne se soit pas souvenu de la date exacte, mais ça lui donne quand même le sentiment de s’être noyé dans du slime. « ‘Tain, ton anniversaire, hein ? Tu vas le fêter ?
- Bien sûr que non, dit-elle sèchement. Ce genre de trucs n’a pas de sens. » Mais sa voix est bien trop amère pour avoir l’air sincère.
En fronçant les sourcils, il répond : « Eh beh, c’est un peu triste. Chaque gamin devrait pouvoir profiter de son anniversaire.
- Pas avec ma famille, non.
La phrase le frappe comme une gifle, et il arrive à peine à cligner des yeux face à la colère brûlante qui s’empare de sa vision. Putain de merde, qu’est-ce qu’ils font à cette fille ? « Hm, » est tout ce qu’il arrive à dire, parce qu’il est à peu près sûr que toute tentative de discussion la ferait sortir en trombe, et il ne peut pas laisser cela se produire ; surtout pas maintenant, maintenant qu’il sait ça. « Dimanche prochain. Donc… dans quatre jours ? »
Maki lui lance un regard de travers. « J’ai dit dimanche prochain, donc c’est dans huit jours, débile. Tu penses qu’on est quel jour, là ? »
Merde. Toji se triture les sourcils. « Euh… Mercredi ? »
Maki se contente de souffler du nez en réponse. Ah, quel que soit le jour, c’était clairement la mauvaise réponse. Eh, c’est pas grave. Son opinion de lui ne peut probablement pas descendre plus bas. « Bref, tu vas répondre à ma question de toute à l’heure, ou je dois te faire chier avec ça encore longtemps ?
- Tu me fais toujours chier.
- Ouais, je te retourne le compliment. »
Maki détourne les yeux vers le sol. « Ma famille veut que je sois polie et bien élevée, et que je m’entraîne à faire des trucs raffinés comme des danses traditionnelles et de la calligraphie, crache-t-elle. Mais je déteste ça. Moi, ce que j’aime, c’est les mauvais films d’action et jouer dans la boue. Et grimper aux arbres. » Son visage se décompose de plus en plus, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un vide, flou et atroce. « Enfin… Je crois que j’aime grimper aux arbres. Je peux jamais le faire pendant très longtemps. Mon cousin aime bien frapper les branches jusqu’à ce que mes parents s’en rendent compte et me crient dessus. »
Il arrive presque à le voir : sa petite fille coincée dans un arbre avec un monstre sans visage frappant l’écorce alors qu’il ricane comme une hyène, et Toji peut à peine ravaler la bile âcre qui griffe son œsophage. D’aussi loin qu’il puisse se souvenir, c’est la première fois qu’il ressent une véritable et authentique rage, et la seule chose à laquelle il puisse la comparer est la sensation de l’explosion d’un bout de son torse par le garçon aux cheveux blancs. Comment est-ce que ces démons osent s’appeler ses parents ? Et qui que soit ce putain de cousin, Toji va le tuer, et il ne pense honnêtement pas se faire d’illusions là-dessus.
Cependant, elle n’a jamais autant parlé de sa vie avec lui, et il ne peut pas risquer qu’elle ne lui fasse pas assez confiance pour recommencer. « C’est des hobbys sympas, » répond Toji, même si sa voix est légèrement rauque lorsqu’il la retrouve enfin. « J’aime bien ce genre de trucs aussi. »
Mais il sait que simplement montrer son approbation ne suffira pas, et il n’a pas besoin d’articles sur l’éducation ou – merde, un contrebandier, sérieusement ? - pour lui dire ça. Donc quatre jours plus tard, sous une aube peinte aux pastels alors que le soleil se réveille de son sommeil paisible, Toji vide ses poches dans un supermarché pour acheter les fournitures de la journée ; et il atteint l’immeuble avec deux heures complètes d’avance, uniquement afin de la narguer lorsqu’elle arrive avec seulement une heure et demie de plus.
Elle semble sentir immédiatement que quelque chose n’est pas comme d’habitude, parce que ses traits minuscules sont déformés par un regard noir bien avant qu’elle n’atteigne la porte. « C’est quoi ton problème ? » sort-elle d’un coup. Parfait, super subtil. « Pourquoi t’es là aussi tôt ? Et pourquoi t’es pas à l’intérieur ? Elle montre du doigt l’objet dans ses bras. Et c’est quoi ça ?
- T’es curieuse aujourd’hui, non ? » rit-il. Il tend une main pour ébouriffer ses cheveux, mais elle esquive avant qu’il puisse la toucher. ‘Tain, depuis quand ses réflexes sont-ils aussi aiguisés ? « C’est pas une assez bonne raison de t’embêter ? »
Ce n’est qu’un semi-mensonge, mais Maki voit à travers la partie mensongère. Elle pointe à nouveau du doigt ce qu’il tient dans ses bras. « Punaise, c’est un panier de pique-nique ?
- Non, s’esclaffe Toji. Peut-être que c’était ce que disait l’étiquette quand il l’a acheté, mais on s’en fout. C’était juste la méthode la plus pratique pour transporter de la bouffe, gamine. On va en excursion.
- En excursion ? répète-t-elle, ayant maintenant l’air plus estomaquée qu’ennuyée. Où ça ?
- Ait patience, petiote. Tu verras. »
Et voilà une autre chose qu’ils ont en commun : pas une seule putain d’once de patience. « On va où ? » l’harcèle-t-elle en marchant dans ses pas. Il accélère ses enjambées jusqu’à ce que ses petites jambes ne puissent presque plus le suivre – presque. Ça l’amuse plutôt, jusqu’à ce qu’elle tende la main et tire sur une jambe de son pantalon pour le ralentir, et le cœur de Toji est près d’exploser là, maintenant.
Okay, merde. Mode-papa engagé. Toji lâche le – la valise à nourriture – et la soulève sur ses épaules malgré ses protestations. Dès qu’elle est à peu près installée, elle lui donne des coups de pieds insistants sur la poitrine. « Hé, lâche-moi ! » ordonne-t-elle, mais son cœur n’y est pas. Ses doigts agrippent son sweat un peu plus fortement qu’elle en a probablement besoin pour rester perchée, mais Toji est trop joyeux pour s’en soucier.
« Nan, c’est mort. T’es beaucoup trop lente. » Il tapote l’un de ses genoux et elle frappe sa main, donc il attrape son pied et elle jappe. Il ramasse le – il jure que ce n’est pas un panier de pique-nique – et recommence à marcher. « On y est presque, donc calme-toi. »
Quand ils arrivent enfin au parc le plus proche, Toji la dépose devant le vieux chêne qui gît en son sein. Il est si grand qu’il ne peut être décrit que comme majestueux, le genre de feuillages éternels qui font comprendre à Toji pourquoi on compare les anciens à de vieux sages. Ses feuilles effleurent le ciel depuis une tesselation de branches, hachurant entre elles dans un labyrinthe de bois humide et de chlorophylle. « Pas de combat aujourd’hui, lui dit Toji doucement. Aujourd’hui, on grimpe aux arbres.
- On grimpe aux arbres ? Répète Maki. Son expression est impossible à lire, et Toji n’essaye pas de la déchiffrer. Il y a quelque chose dedans qui est à la fois douloureux et plein d’espoir, et ses entrailles se tordent comme une serviette qu’on essore.
-Ouais, on grimpe aux arbres. C’est un nouveau genre d’entraînement. Tu sais, la force, la dextérité et d’autres trucs du genre. Ne questionne pas ton sensei.
- Pitié, ne dis plus jamais ça. »
Toji n’a pas de répartie prévue pour cette phrase, alors il plonge la main dans son panier de pique-nique qui n’en est pas un et lui lance une pomme sur la tête en réponse. Elle la lui renvoie, mais il l’attrape en plein air grâce à ses réflexes plus rapide que l’éclair, en profitant pour mordre dedans.
« Merci, petiote. »
Elle souffle et se retourne, cependant pas assez vite pour cacher le sourire réticent qui tire sur ses lèvres.
Il n’a pas besoin de lui dire une deuxième fois. Maki fixe le chêne pendant une demi-seconde de plus avant de s’élancer, ses yeux planifiant déjà le chemin idéal pour arriver au sommet. Elle sautille sur la branche la plus basse avec le printemps dans ses pas, mais Toji peut voir qu’elle essaye de réprimer son excitation. Il y a peu qui puisse le rendre triste, mais ça, ça lui fout un petit coup au cœur.
Toji la suit peu après. Il examine la plante d’un regard bien moins enthousiaste que celui de Maki, mais il préférerait mourir que de manquer l’occasion d’établir son premier souvenir heureux avec sa fille. Il essaye de suivre ses pas, observant prudemment chaque branche avant de pousser l’écorce écaillée. Lorsqu’il finit par regarder au-dessus de lui, les yeux de Maki pétillent de malice.
« T’es un peu nul. »
Toji s’étouffe, offensé. « Hé, je fais de mon mieux !
- Ton mieux, c’est totalement nul, » répond-elle en esquissant un sourire en coin.
Mon Dieu, cette gosse va lui donner des cheveux blancs. Son apparence est une des seules choses qu’il ait pour lui. Il n’est vraiment pas assez humble pour le nier.
Elle le fixe toujours comme si elle pouvait éclater de rire à tout moment, et Toji gonfle les poumons d’une façon qui n’est pas tout à fait agacée. C’est bon, elle l’aura cherché. Il peut frimer un peu. Pour pouvoir vraiment la narguer, il ferme les yeux, se balance sur la branche la plus proche pour prendre de l’élan et saute vers le haut, atteignant son perchoir en moins d’une fraction de seconde. Il ne rate pas son atterrissage, dix sur dix, et s’assure de finir en une révérence particulièrement arrogante après avoir grimpé sur un mètre de plus pour être au-dessus d’elle.
« Hé ! C’est pas juste ! » crie-t-elle, mais – est-ce que c’est un sourire ? Elle se remet sur pied et fronce les sourcils en regardant la branche sur laquelle il se tient, renvoie les bras en arrière, et saute.
… et se manque de peu. Il peut à peine voir la milliseconde de panique qui passe sur son visage avant qu’elle tombe de l’arbre.
Donc Toji plonge après elle, sans hésiter un instant. Il ne pense qu’à la peur sur son visage, un fragment de vulnérabilité, et il a à peine le temps de se rendre compte d’à quel point il ne veut plus jamais revoir ça avant qu’elle soit dans ses bras. Il échange leurs positions et atterrit dos en premier au sol en un bruit sourd.
« Aïe, petiote, » halète Toji. Il est à présent reconnaissant que ce que Yuki avait appelé – c’était quoi ce terme, déjà ? Promesse innée ? - le rende trop endurant pour être véritablement blessé. « Fais gaffe. Je suis pas aussi jeune que j’en ai l’air.
- T’as pas l’air si jeune que ça, » répond-elle, sa voix hésitante. Mince, aïe. Ce coup là le frappe directement dans son complexe d’apparence. « T’as quel âge, de toute façon ? »
Hum. Toji réfléchit pendant un moment avant de répondre. « J’sais pas.
- Tu ne sais pas ?! Répète-t-elle. Je t’ai déjà dit que t’es vraiment bizarre ? »
Toji souffle du nez ; « Ouais, une fois ou deux. »
Maki commence à gigoter, donc Toji la relâche, et il lui tend la main pour les relever tout deux – et surprenamment, elle la prend. « Je ne me serais pas fais mal, souffle-t-elle d’une petite voix. Si tu ne m’avais pas attrapée. »
Tranquillement, Toji fait craquer son dos, qui fait le même bruit qu’un bambin qui éclate du papier bulle. Merde, ça n’annonce rien de bon. Il hausse les épaules. « Probablement.
- Donc pourquoi tu l’as fait quand même ? »
Toji tapote son menton en réfléchissant. Il ne sait pas vraiment ce qui l'a poussé à le faire, seulement du fait que son corps ne lui aurait pas permis de faire autre chose. « J’sais pas, » répète-t-il.
Elle soupire. « Trop bizarre. » Mais son ton est plus hésitant que mordant, non pas sarcastique mais confus.
Toji expire par le nez, aussi. Je serais toujours là pour te rattraper est trop gnian-gnian, et elle ne pourrait pas comprendre quelque chose comme ça.
Donc il dit à la place : « T’inquiète, petiote. Je vais t’apprendre à ne plus jamais tomber. »
Surprise, le souffle de Maki s’arrête. « On peut- on peut remonter ?
- T’es sûre ?
- Évidemment ! Répond Maki. Pourquoi j’abandonnerais juste parce que j’ai raté quelque chose du premier coup ? »
Mon Dieu, il est tellement fier d’elle. Elle zigzague à nouveau vers l’arbre et grimpe immédiatement sur une branche plus haute que celle avec laquelle elle avait commencé la dernière fois, et Toji la suit à la trace. Elle grimpe avec enthousiasme et détermination, et Toji pourrait presque jurer qu’elle… s’amuse.
Cependant, il doit se poser la question de l’intérêt dans tout ça ; il a des échardes dans les mains et au moins quatre insectes différents sont passés sous son T-shirt, des feuilles lui piquent les joues et il est à peu près sûr d’avoir de la terre sur sa- bon. Mais Maki grimpe comme un petit singe, et il n’hésite pas à le lui crier ; elle lui répond alors : « Et tu ressembles à un paresseux ! »
Ah, donc ça va se passer comme ça. « Hé, descends, petite merde ! » Alors il grimpe après elle tandis qu’elle glousse en continuant son ascension. Et ce rire – c’est un vrai rire, il n’est ni sarcastique ni sournois, il résonne d’honnêteté et d’innocence. Lorsqu’ils arrivent finalement au sommet, les yeux de Maki s’écarquillent en découvrant la vue plongeante sur toute la ville.
Son visage est teinté d’un émerveillement enfantin, et pour la première fois depuis qu’il l’a trouvée au magasin d’armes, elle a vraiment l’air d’être un gosse, juste un gosse, pas un enfant soldat qui doit faire ses preuves. Elle a toujours en elle cette détermination de paraître plus vieille qu’elle ne l’est ; probablement parce que ça lui est nécessaire. Mais désormais, les murailles du château s’effondrent devant lui comme si elles étaient faites de lait et de cookies, alors qu’elle balance ses pieds sans y penser tout en regardant le soleil toucher les feuilles, projetant des ombres vertes et transparentes sur ses paumes quand elle les retourne.
… Okay, Toji peut voir l’intérêt dans tout ça.
Maki a une trace de terre sur le visage. L’essuyer pourrait l’énerver, donc il l’étale à la place. Elle arrache de l’écorce humide de la branche pour faire la même chose, mais ne peut pas atteindre ses joues avec ses petits bras depuis son assise, donc elle l’essuie sur son pull à la place. Ils rient tout deux, puis se retournent vers l’horizon.
Toji perd la notion du temps là-haut. Ça pourrait faire des heures, mais il n’arrive pas à en avoir quelque chose à faire. C’est beaucoup trop parfait. « Tu veux toujours rien faire pour ton anniversaire ? » Dit-il finalement d’une voix douce.
Secouant la tête : « Non, répond Maki. Le mieux ce serait de sortir de la maison, vu que de toute façon personne ne s’en souviendra. »
Une bouffée d’espoir gonfle dans sa poitrine si soudainement qu’il s’étouffe presque dessus. « Pourquoi on s’entraînerait pas ensemble ? Suggère-t-il. Je te changerais les idées.
Maki hoche lentement de la tête.
- Okay. »
Ils restent assis en silence pour le reste du temps qu’ils passent dans l’arbre, observant l’aube couleur cerise amener les nuages de montagnes lointaines comme une couche de glaçage. Des rayons de lumière se déploient du soleil tandis qu’il reprend sa place légitime dans le ciel, illuminant les toits avec une lumière chaleureuse filtrée par les feuilles de l’arbre en tâches de soleil.
« Wow, souffle Maki, ses yeux dorés brillant avec la lumière. C’est pas génial ?
- Si, murmure Toji, mais la vue n’est pas ce qui le fait sourire en retour. Il lui lance un regard en coin. Super génial. »
Quelques jours plus tard, c’est enfin son anniversaire. Toji pensait au départ qu’il pourrait honorer sa requête et totalement l’ignorer, mais il n’y arrive pas et change d’avis environ cinq minutes après. Il rassemble ce dont il a besoin avec son maigre amas de liquide restant, puis il squatte dans le vieux bâtiment pour une nuit entière et tente de s’endormir dans un coin. Il y arrive, mais à peine. Dormir sur du béton ? Zéro sur vingt.
Il espère seulement que ça vaudra le coup.
Quand elle arrive à leur session d’entraînement, Toji est assis au milieu du sol avec une part de gâteau au chocolat, une télé à roulette qu’il a trouvé dans une décharge et une pile des films d’actions les plus débiles qu’il ait pu trouver au seul magasin qui loue encore des DVDs – Toji est à peu près sûr que c’est une couverture pour quelque chose d’autre, mais bon. Il fallait qu’il se débrouille avec ce qu’il pouvait trouver. Et s’offrir.
Et Maki se paralyse, comme si elle venait de regarder Méduse et s’était tournée en pierre.
« Merde, jure Toji. Désolé, je sais que c’est un peu pathétique, mais- »
Maki le coupe avant qu’il puisse finir. Merde, est-ce qu’elle tremble ? « Non, c’est- » Il n’arrive même pas à décrire l’expression de son visage. Heureuse ? Terrifiée ? « Ça va.
- Euh, okay, répond Toji. Joyeux anniversaire, petiote. »
Ils partagent le gâteau en silence en regardant quelques films, et une fois qu’ils s’arrêtent pour recommencer leur entraînement, Maki ne lui fait pas de remarque de la journée.
Notes:
Note de MissingN000:
moi à chaque fois que je commence une fic à plusieurs chapitres : okay CETTE fois j’aurais des chapitres plus courts
le compteur de mots de google docs : 7238 mots
moi : J’emmerde ma viepour citer toji : eh, peu importe. j’ai jamais vraiment écrit du fluff avant donc j’espère que c’était pas trop mal !! préparez-vous, parce que les deux prochains chapitres sont assez angsty et émotionnels. aussi, désolé.e si les conseils de combat de toji n’étaient pas géniaux ; je me base sur des souvenirs de classes de karaté de CE2, qui étaient y’a euh… seize ans ? merde, je suis vieux
j’ai pas toujours le temps de répondre aux commentaires, mais sachez que je les lis et chérit chacun d’entre eux ! les commentaires et kudos refont toujours ma journée. merci d’avoir lu !Note du traducteur :
Désolé d'avoir pris environ deux siècles, déjà. A partir de ce chapitre je compte les sortir entre tous les un mois et toutes les deux semaines (ça dépend aussi de la longueur du chapitre), mais en terme de travail et de temps, j'ai passé un début d'année scolaire un peu cauchemardesque à cause des inscriptions à la fac :'). Sinon, si jamais vous avez des conseils, des remarques ou tout simplement un avis hésitez pas à me le dire en commentaire!
Chapter 3: vérités, mensonges, et souvenirs
Notes:
Note de MissingN000 :
il y a deux choses sur lesquelles j’ai reçu pas mal de commentaires, donc j’aimerais clarifier !
un : si vous êtes curieux par rapport au rôle de mai dans cette fanfic, relisez les tags et la note d’auteur du premier chapitre ! elle ne fait pas partie de cette histoire.
deux : je sais que ça peut être assez triste de savoir que megumi est le véritable enfant de toji, mais souvenez-vous qu’à ce stade, megumi vient d’être pris en charge par une figure parentale qui se soucie beaucoup, beaucoup de lui !! et on sait tous qui c’est :))
uh, vous vous souvenez de quand j’ai dit que ce chapitre allait être ansgty ? désolé.e en avance. les changements de PdV sont représentés par une longue ligne de séparation. bonne lecture !
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Quelques semaines s’écoulent après l’anniversaire de Maki, et il s’installe alors un étrange sentiment de normalité. Ils ont un emploi du temps maintenant, se retrouvent au vieux bâtiment gris tous les quatre jours. Leurs échanges deviennent plus fluides, plus équitables ; elle ne lui lance plus autant de piques, du moins plus celle qu’il ne peut lui renvoyer. Il fait toujours des jobs de merde, et sa fille le laisse toujours après chaque session d’entraînement pour une fausse famille qui n'en a rien à foutre d’elle, mais parfois il se sent presque ce qu’on pourrait qualifier… d’heureux.
Le sentiment lui est étranger, mais certainement pas malvenu. Cependant, Toji a la prémonition étrange qu’admettre qu’une part de lui est heureuse la fera disparaître, et il rumine son inquiétude pour trois bons jours avant de finalement décider de faire quelque chose pour s’en sortir.
Toji a des questions difficiles, et il n’y a qu’une personne qui puisse lui donner des réponses. Il sort son téléphone à clapet si antique que ça en devient drôle, qui lui a été donné par quelqu’un à qui il regrette un peu d’avoir donné son numéro, étant donné qu’elle lui envoie des vidéos de chats à cinq heures du matin au moins une fois par semaine. Il compose son numéro et mets l’appel en haut-parleur.
« Oh ? Tu m’appelles vraiment en premier ? Yuki rit. Faudrait noter la date.
- Ah, on est quel jour, déjà ? Toji lui dit en guise de bonjour, et se gratte la tête. Le 17 septembre ?
- Toji, on est en février.
Presque.
- Peu importe. Tu veux aller boire une bière demain ou un truc du genre ? J’ai une question importante à te poser.
- Pourquoi pas, » répond Yuki, et à un certain point entre la troisième et la quatrième fois où il lui a tenu les cheveux alors qu’elle vomissait dans une poubelle après une nuit de beuverie, ils ont dû passer de chercheuse-et-objet-d’étude à amis, parce que ce n’est qu’après avoir accepté qu’elle demande « C’est grave ?
- Trop compliqué à expliquer par téléphone. »
Enfin, il a plutôt la flemme d’essayer. « Ce vieux bar avec la musique rétro vers chez toi, à vingt heures. A demain ?
Même à l’autre bout du fil, Toji peut entendre le sourire dans sa voix.
- Ça marche. » Puis elle raccroche.
Le soir d’après, Toji monte sur le train qui le mène au quartier de Yuki. Son appartement est assez loin du sien ; peu surprenamment, cette distance n’est pas aidée par la différence de salaire entre une exorciste de classe S et… il ne sait pas exactement comment définir son travail. Il s’est légèrement égaré en chemin, et a presque une heure de retard – pour sa défense, il était à deux doigts d’obtenir un pactole au pachinko aujourd’hui ! - mais elle doit y être habituée, parce qu’on dirait qu’elle vient également d’arriver. C’est tout elle de tenir déjà compte de son manque abyssal de ponctualité. Elle apprend vite.
Dès qu’il s’approche du bar, Yuki lui lance un sourire paresseux accompagné d’un signe de la main. « Hey, beau gosse.
- Ça va, beauté ? »
Ils font beaucoup ça, ce genre de semi-flirt que Toji ne saurait déclarer sincère ou non. Il aime passer du temps avec Yuki. Elle est chaleureuse à sa façon téméraire et ne fait pas de conneries, ce qui est dépaysant vu qu’il se sent parfois comme s’il ne faisait que ça.
Faisant semblant de réfléchir, Yuki le fixe.
« Laisse-moi deviner. Courses hippiques, aujourd’hui ?
- Oh, si près du but. Pachinko.
- Okay, laisse-moi deviner à nouveau. L’addition est pour moi, non ?
Toji se glisse sur le tabouret de bar à côté d’elle et tapote ses poches désormais vides.
- Tu marques un point. »
Yuki se marre et fait signe au barman. Quand ils sont ensemble, il la laisse généralement commander pour lui. Elle maîtrise mieux les trucs chics, et puis bon – l’alcool reste de l’alcool, pas vrai ?
« Donc quoi de neuf pour toi ? » Demande-t-elle alors que le barman pose deux verres et une bouteille devant elle. Elle soulève la bouteille et leur verse à chacun un verre sans même y jeter un regard.
Et bien, il a maintenant un enfant et sa vie a désormais un sens, mais il y reviendra dans une minute. « Quoi de neuf pour toi ? Renvoie-t-il.
- Je viens de rentrer de Genève, lui dit-elle, et bon, Toji ne sait même pas où c’est. Au Canada, peut-être ? J’y ait rencontré quelques personnes qui avaient des idées intéressantes sur l’origine de l’énergie occulte, mais pas de quoi s’extasier non plus. Au moins, le chocolat était bon. Elle plaque soudainement une tablette de chocolat sur le comptoir. C’est pour toi, mon beau.
Hé hé. Toji ne peut refouler son sourire moqueur.
- Tu m’as ramené un souvenir, hein ? Tu pouvais pas t’empêcher de penser à moi quand t’étais à l’étranger ?
Elle le frappe au biceps.
- Aucune chance, connard. J’en avais en trop, » dit-elle, mais le ton de sa voix est malicieux et Toji réplique avec un coup de poing à l’épaule. Ils se mettent tout deux à rire, et avalent une très longue gorgée de leurs verres respectifs, parfaitement synchros.
« Hé. On s’était déjà vu comme ça avant- » Toji esquisse un mouvement circulaire vague autour de la soupe alphabétique qu’est désormais son cerveau. « Tu sais.
- Nan, répond Yuki. Je te l’ai déjà dit, tu me recalais tout le temps.
- Et bah, je ratais quelque chose.
- Oh, arrête, le beau parleur. Tu vas me faire rougir. »
Hum, Toji ne plaisantait pas vraiment, mais il rit tout de même. « Hé, Yuki, commence-t-il, et il n’y a vraiment pas de façon délicate de formuler cette question, si ? Tu savais que j’ai un gosse ?
Yuki fronce les sourcils.
- J’en ai entendu parler, mais le Clan Zen'in garde bien ses secrets, surtout avec quelqu’un comme moi. Enfin, j’ai quand même trouvé le moyen d’obtenir quelques infos. Yuki lui fait un clin d’œil. J’en ait déduit que ton enfant est peut-être en vie quelque part, mais pas grand-chose de plus. Pourquoi ?
- Disons que je crois l’avoir trouvée, déclare Toji, puis- Attends, le Clan quoi ?
Yuki pâlit.
- Oh, merde.
S’il y a une chose qu’il a appris à propos d’elle, c’est qu’elle à l’alcool honnête. En revanche, ce soir, elle n’a pas bu tant que- attends, c’est de la tequila ? Okay, j’ai rien dit.
- Tu veux bien retourner un peu en arrière ? » Rit-il.
Soupirant : « Le Clan Zen'in, c’est – là d’où tu viens, explique-t-elle, et putain, Toji ne croit pas qu'il est prêt pour cette conversation. C’est un des trois grand clans d’exorcistes, avec à leur compte une influence, un pouvoir et des ressources incroyables.
- Ooh, des ressources ? Glousse Toji. La chance. J’imagine que je devrais retourner chez moi pour amener quelques unes de ses ressources au casino.
- Tout doux, mon beau. T’étais pas exactement populaire, là-bas, répond-elle, l’air de ne vraiment pas savoir si elle devrait lui dire tout ça, mais continuant tout de même. Tu te souviens du fait que tout le monde a de l’énergie occulte à part toi ? Ouais, c’étaient pas des grands fans, surtout quand tu t’es avéré être plus puissant que leurs meilleurs exorcistes après qu’ils t’aient mis à l’écart.
Toji rit dans son verre.
- Pourquoi est-ce que je ne suis pas surpris ?
Cependant, Yuki répond par une moue.
- C’est pour ça que je t’ait dit de faire profil bas, Toji. Pas mal de gens voudraient que tu redevienne mort s’ils savaient que t’es toujours vivant, et le Clan Zen'in n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il y en a beaucoup d’autres, notamment… l’homme qui t’as fait ça en premier lieu. Elle se masse les tempes, mais Toji pourrait parier que son mal de tête est pire que celui de Yuki, là. En fait, je voulais commencer à travailler avec lui juste avant que je te sauve, mais j’ai dû rester à distance pour cette dernière année et demi. J’aime penser que je peux être dure à cerner - » et Toji en doute fortement « - mais ces yeux pourraient me lire comme un livre d’image.
- Attends une seconde, dit Toji, levant une main comme pour arrêter le fil de leurs pensées. Il n’y a vraiment pas assez d’alcool dans son sang pour cette discussion. Tu le connais ?
- Pas bien, soupire Yuki, mais oui. »
Toji manque de rire. C’est une information sans intérêt pour quelqu’un qui n’a aucun contexte sur le monde qui l’entoure, mais il ne peut s’empêcher de demander, « C’est quoi, son nom ?
- Son nom ? Répète Yuki. Souverain de la Sphère de l’Espace Infini, héritier d’un des Trois Clans, détenteur à la fois des techniques du Pouvoir de l’Infini et du Sixième Œil, exorciste de Classe Spéciale Satoru Gojo. »
Il a l’impression qu’entendre ces mots devrait pouvoir réveiller en lui une profonde haine emprisonnée en son sein, mais leur seul effet est que les points de sutures sur son bras et ses côtes le grattent plus que d’habitude. Toji soupire, et siffle entre ses dents. « Putain, c’est long.
- Hah ! Yuki sort un rire. J’imagine. Honnêtement, dans une autre vie, je suis prête à parier que vous vous seriez super bien entendus.
- Avec un bâtard arrogant comme ça ? Toji ricane. Pas moyen. »
Elle sourit et fait tourner son verre contre le comptoir, les glaçons presque fondus résonnant contre les bords. Après une autre minute de silence, elle reprend la parole. « Donc… Tu penses avoir trouvé ta fille ?
- Ouais, lui dit-elle. Elle s’appelle Maki, c’est un putain d’ange.
Yuki rit doucement et agite un doigt.
- J’ai toujours su que t’étais un tendre.
- Hé, fais gaffe.
- T’essaie même pas de le nier !
- Y’a rien à nier ! Lui répond Toji en riant. Elle me ressemble beaucoup. Pratiquement aucune énergie occulte, en comparaison avec mon rien du tout. T’en penses quoi ?
- Maintenant que tu le dis, j’ai bien entendu parler d’un enfant dans le Clan Zen'in qui t’étais similaire. Elle se tapote le menton en réfléchissant. C’est pas… complètement impossible. »
C’est peu pour confirmer quelque chose dont Toji était déjà sûr, mais ça reste réconfortant, en quelque sorte.
- Ouais, évidemment que c’est pas impossible, répond Toji. J’l’ai su la seconde où je l’ai vue. On s’est entraînés ensemble ces dernières semaines, mais pour l’instant c’est à peu près tout. » Enfin, sauf si on compte l’escalade sur arbres et le truc pour son anniv’, mais il avait réussi à lui faire faire ça sous prétexte de leurs entraînements, de toute façon. « Je pense pas qu’elle me déteste, mais elle a pas l’air de me croire non plus.
- Et bien, on lui a probablement dit quelque chose d’autre toute sa vie. Elle changera d’avis, » dit Yuki, et Toji espère vraiment, vraiment qu’elle ait raison.
Il bouge sur son siège et vide son verre. Il résonne contre le granite en un bruit sourd. « Hé, Yuki. Juste une question, dit-il, se rendant compte qu’il ne veut pas connaître la réponse alors que les mots quittent ses lèvres. Tu sais quoi que ce soit sur la mère de Maki ? »
Le sourire tombe du visage de Yuki, et elle ramène son regard aux verres alignés sur les étagères du bar, avalant avec difficulté.
Le silence annonce les mots qu’elle n’arrive clairement pas à prononcer. Toji le brise en premier.
« Elle est morte, non ? »
Yuki déglutit. « Ouais. »
Pendant un moment, Toji attends que ces mots le frappent à la manière d’une horrible épiphanie, mais le trou dans sa poitrine demeure exactement comme avant. A la place, un sourire amer s’étale sur ses lèvres, et il se force à sortir un rire qui sonne aussi vide qu’il se sent. « Pourquoi est-ce que je savais que t’allais dire ça ? Dit-il, la voix tremblante. Pourquoi est-ce que je savais déjà que t’allais me dire que ma femme est morte ? La cruauté de l’univers est si putain de prévisible ?
Yuki relève les yeux, son expression lourde de sympathie.
- Toji, je suis vraiment désolée.
- Désolée ? Pourquoi ? Croasse-t-il. Y’a même pas de quoi être désolé.
Dubitative, Yuki fronce les sourcils, inquiète.
- Ça va ?
- Hein ? Bien sûr que ça va. Pourquoi ça n’irait pas ? Au loin, il peut entendre le ton hystérique de sa voix qui lacère l’air comme une lame de rasoir, son rire vide résonnant comme une cloche d’église à un enterrement. Mélancolique. Endeuillé. Je sais rien à propos d’elle. Je peux même pas me souvenir d’à quoi elle ressemblait. Je me souviens pas de son prénom, ou de son anniversaire, ou de la robe qu’elle portait le jour où on s’est mariés, donc pourquoi ça irait pas ? » Il enroule sa main autour de son verre et serre jusqu’à ce qu’il craque, le verre coupant ses doigts alors qu’il se sent saigner. « Après tout, qu’est-ce qu’un homme qui n’a rien peut-il même perdre ?
- Toji , tu- tu ne sais pas rien sur elle, chuchote Yuki. Écoute-toi parler. T’as dit que c’était ta femme, non ? Je ne t’ai jamais dit que vous étiez mariés.
Son souffle s’arrête.
- Je- merde, jure-t-il, frottant ses mains sur ses traits fatigués. Il enfonce ses ongles dans sa cuisse afin de se ramener de force à la réalité. Pardon, Yuki. Deux secondes.
- Putain, pourquoi tu t’excuses ? Dit-elle doucement. Prends ton temps, Toji. Je suis là. »
Toji n’est pas sûr de mériter cette gentillesse, mais il n’a plus assez de force pour protester. Il attends que le rugissement de son cerveau se calme pour devenir le bruit blanc de grésillement télévisé qui noie généralement ses pensées. Il n’a pas cinq sens augmentés pour rien, donc il essaye de les utiliser pour s’ancrer dans le présent. Il s’accorde aux sons ambiants de conversations entre les clients du bar. Sa langue a le goût lourd de l’alcool et l’air est souillé par le parfum du sang. Quelque chose dans la cuisine derrière le bar a l’air d’être sur le point de brûler, à l’odeur. Il a une main posée sur son visage transpirant et l’autre sur son jean usé, et lorsqu’il ouvre les yeux et fait disparaître le flou de son regard, il découvre que Yuki a ouvert la tablette de chocolat et l’a poussée en face de lui.
C’est plutôt gentil, en fait. Il réussit à sourire, en voyant ça.
« Tu veux que je te ramène chez toi ? Offre-t-elle.
C’est pas lui qui est complètement bourré après un seul verre.
- Ça devrait pas être l’inverse ?
- On est assez loin de chez toi, note-t-elle. Tu veux squatter mon canapé ? »
Ça serait pas la première fois. « Ouais, ouais, d’accord. »
Yuki laisse sa moto au bar – elle ira la chercher demain, elle le jure – et ils prennent un taxi pour rentrer chez elle. En arrivant, Yuki lui donne une vague de la main alcoolisée et un ‘bonne nuit’ bafouillant puis trébuche jusqu’à sa chambre et ferme la porte derrière elle. Toji s’effondre sur le canapé du salon.
Il laisse tomber un bras sur son visage et laisse ses pensées flottantes le noyer, attraper ses chevilles et l’entraîner à contre-courant. Dans les profondeurs frigides de l’eau il ouvre les yeux, et sans surprise se retrouve à l’hôpital.
Toji, tu rêves encore, dit la femme. Comment est-ce qu’on appelle notre bébé ?
Sa voix n’a pas de visage mais qu’un sentiment. Il l’aimait, il le sait. Il se demande s’il a pleuré sur sa tombe, ou s’il ne pouvait pas supporter d’aller à son enterrement en premier lieu. Ça ne l’étonnerait pas de sa part. Il a toujours été lâche. Dans le noir il essaye de se représenter son apparence, maudissant son putain de cerveau et souhaitant pouvoir en extraire les souvenirs avec ses ongles.C’est une sensation étrange, de se voir raconté sa propre vie comme s’il n’en faisait pas partie, comme un parent récitant une histoire à un enfant qui ne sais pas encore lire. C’est un sentiment distant, détaché, alors qu’il comble sa propre vie par une imagination limitée.
Toji, tu rêves encore.
Il veut se souvenir d’elle, mais il y a une toute petite partie de lui-même qu’il déteste au plus haut point espérant qu’il ne s’en souviendra jamais. Le Clan Zen'in n’est que la partie émergée de l’iceberg, avait dit Yuki. Merde, qui est-ce qu’il était dans sa vie passée exactement pour faire en sorte qu’autant de gens le déteste ? Pendant combien de temps aurait-il la chance de profiter des souvenirs heureux avant que des sombres vérités ne se déversent dans sa conscience comme de l’encre renversé et souille tout de noir ?
Toji titube jusqu’à la salle de bain pour arroser son visage d’eau glaciale, mais commet l’erreur de regarder dans le miroir.
Son reflet lui lance un regard noir, du rouge étalé sur son visage et un sourire de maniaque sur les lèvres, frappant son poing contre l’autre côté du miroir jusqu’à ce que Toji jure l’entendre craquer. Tu sais déjà qui tu es, lui chuchote-t-il avec un sourire sanglant. Tu n’as pas besoin de souvenirs pour le savoir, pas vrai ?
Merde, peut-être qu’il est plus bourré que ce qu’il pensait. Il traîne des pieds à nouveau jusqu’au canapé et se laisse tomber.
Toji, tu rêves encore.
Ouais, il rêve, pas vrai ? Il se demande ce qu'elle penserait de lui si elle le voyait maintenant. Rien qu'un homme qui vit pour faire du mal aux autres, qui a eu l'audacité de se faire tuer et de laisser leur fille derrière-lui. Peut-être que Yuki n'aurait pas dû le sauver. Il sait qu'il mérite une gifle au visage, s'il pensait qu'il irait au même endroit qu'elle lorsqu'il cassera enfin sa pipe.
Toji, tu rêves encore.
Comment est-ce qu'on appelle notre bébé ?
« Maki, répond-il au noir. On l'appelle Maki. »
Deux jours plus tard, il retrouve à nouveau Maki. Toji sait qu'il est étrangement silencieux, et si Maki le remarque, elle ne fait pas de commentaires ; surprenant, étant donné qu'elle rate rarement une occasion de se foutre de sa gueule. Il en apprécie chaque seconde, et il commence à penser qu'elle aussi.
Putain, comment est-ce qu'il est censé lui annoncer un truc pareil ? « Hé, gamine. Je sais qu'on s'est rencontrés y'a genre un mois et que tu crois même pas que je suis ton vrai père, mais je voulais juste te dire que ta mère est morte. » Comment est-ce qu'il pourrait lui imposer ce fardeau ?
Il aurait aimé savoir si Maki lui ressemble.
À la place, il met de côté l'épée de bois dont il se sert pour l'entraînement d'aujourd'hui, et elle se fracasse sur le béton en un bruit de craquement réverbéré. Maki tourne la tête pour lui faire face.
« Hé, Maki, commence-t-il, et il adore le fait qu'il ait besoin de demander. T'as des armes sur toi, là ?
Maki plisse les yeux, suspicieuse.
- Il se pourrait que j'ai un couteau caché dans ma jupe.
Merde, il ferait n'importe quoi pour elle.
- Parfait. Hé, évite de me poignarder pour ce que je m'apprête à faire.
- Hein ? De quoi tu-- »
Elle se coupe immédiatement lorsque Toji s’accroupit devant elle, pose une main sur son dos et l’autre derrière sa petite tête, et l’entraîne dans un câlin.
Maki s’immobilise. Elle s’immobilise, mais ne le repousse pas, donc Toji l’amène plus près de lui. C’est une étreinte si chargée d’émotion qu’elle en devient douloureuse, coupant à travers la perte et le désespoir et ouvrant les rideaux derrière son cœur vidé. Elle remplit le creux constant dans sa poitrine d’une chaleur si brillante qu’elle déborde, se diffusant dans les nœuds de ses veines comme un feu de forêt. Il la tient comme ça un moment, dans un silence sans solitude, doux et apaisant comme un Blue Champagne.
Il pourrait rester toute sa vie dans ce moment, mais Maki se met à trembler, donc Toji la relâche.
« Merci, » dit-il en se relevant. Il ébouriffe ses cheveux, et elle ne tente même pas de l’arrêter.
« Pour… Pour quoi? Bégaie-t-elle.
- Pour ne pas m’avoir poignardé, répond Toji, bien qu’ils sachent tout deux qu’il ne parlait pas de ça. Allez, maintenant. On retourne s’entraîner. »
Depuis qu’elle a croisé Toji au magasin d’armes, la vie de Maki est devenue vraiment super étrange.
Déjà, il est patient avec elle, même s’il sait à peine le montrer. Ses paroles d’encouragements sont au mieux maladroites ; mais elles sont là, elles lui sont adressées, et elle n’a jamais rien entendu de pareil de n’importe qui d’autre dans sa vie. Il n’est pas très brillant et n’essaye pas vraiment de le cacher. Mais il y a d’autres choses pour lesquelles il essaye, vraiment très fort. Chocolat, c’est son goût de gâteau préféré, et elle se demande comment est-ce qu’il pouvait savoir sans même qu’elle le lui dise.
Elle pourrait presque dire qu’il est… attentif, de sa propre façon bourrue, et ça la fait questionner tout ce qu’elle a toujours connu. Elle a été appelée par toutes les insultes du dictionnaire plus quelques unes.
Mais Toji l’appelle sa fille. Maki commence à penser qu’il y croit vraiment, mais elle ne peut pas dire que c’est mutuel.
Tout de même, elle n’est pas assez idiote pour écarter la possibilité qu’il soit un Zen'in. C’est vrai qu’ils se ressemblent énormément, et elle a l’impression que plus jeune, il aurait ressemblé à son cousin Naoya ; enfin, du moins, avant que son cousin Naoya entre dans l’adolescence et décide de devenir émo, de se décolorer les cheveux et de commencer à mettre de l’eyeliner.
Quel abruti.
Elle n’a pas l’autorisation d’entrer dans les archives de la famille Zenin, et la seule fois où elle a essayé elle l’a senti passer pour les quatre jours d’après. Elle n’a qu’une seule source qui pourrait écouter ses questions, et dans le meilleur des cas, c’est pas gagné. Elle se dirige vers la salle d’entraînement principale dans l’aile gauche du domaine Zenin.
« Père, » dit-elle, et il lève les yeux vers elle comme si le mot même le dégoûtait, et la seule chose que Maki puisse penser est que c’est tout ce que Toji a toujours voulu entendre. Naoya s’est niché dans un coin de la pièce en vêtements d’entraînement, l’air blasé par le monde entier. Il n’esquisse aucun mouvement pour la saluer lorsqu’elle se glisse dans la pièce, et honnêtement, il est possible qu’il ne la remarque même pas.
« Qu’est-ce que tu veux, fille ? » crache son père, comme si lui accorder rien qu’une seconde de son temps était bien plus que ce qu’elle mérite.
Maki y est habituée. Elle se racle la gorge, ne serait-ce que pour montrer à quel point cela ne l’affecte pas. « Je me demandais simplement si quelqu’un d’autre du Clan était né comme moi ? Demande-t-elle. Sans énergie occulte ? »
Ça, ça attire l’attention de Naoya. Il tourne la tête si soudainement qu’il la frappe presque contre la paroi de papier blanc sur laquelle il s’appuie, ses sourcils disparaissant sous ses cheveux mal teints.
Son père lui fait signe de se taire avant qu’il ait une chance d’ouvrir la bouche.
« Bien sûr que non, s’énerve Ogi, bien trop rapidement. Toi seule est le fléau le plus honteux que ce clan ait jamais eu à porter. »
Naoya ricane. Ogi le frappe à nouveau.
Hm. Maki croise les bras sur sa poitrine. Elle n’a peut-être que sept ans, mais elle en a assez vu pour quelqu’un de dix fois son âge. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’il ment.
« Vraiment ? Dit-elle, incrédule. Donc il n’y avait personne d’autre ? Personne d’autre né avec moins d’énergie occulte en échange d’une force physique augmentée ? »
L’expression d’Ogi est indéchiffrable, mais elle voit bien qu’il essaye également de lire sur son visage.
« Non, » répète-t-il, d’un grondement si grave qu’il devrait être impossible d’obtenir ce bruit d’une gorge humaine. « Personne. »
Une tension flotte lourdement dans l’air, comme si toute la gravité du domaine avait été rassemblée dans cette pièce comme de l’eau dans une gouttière. Elle ne sait pas qui d’eux craquera en premier : elle, ou son père. Ils ont déjà joué à ce jeu, de nombreuses fois. Les victoires de son père étaient courantes, au début, mais la balance commence lentement à pencher dans l'autre sens. Juste un peu plus. Un des deux finira par casser.
Mais au final, c’est Naoya.
Il ricane et se penche en avant, une lueur malicieuse dans les yeux, et instantanément, Maki regrette d’être jamais venue ici en premier lieu.
« Oh? Donc tu vas te contenter de lui mentir ? Se moque Naoya, comme si l’entièreté de cette conversation n’avait lieu que pour le divertir. Comme toujours, vous, les vieux lâches, vous avez trop peur pour parler de vos erreurs avec Toji.
Maki jure pouvoir sentir son cœur littéralement s’arrêter.
- Toji ? Couine-t-elle.
- Ouais, Toji, répète-t-il, énonçant chaque syllabe afin que son père tressaille à chaque lettre. Laisse pas cet imbécile sénile te tromper. C’était l’homme le plus fort qui soit jamais né dans ce Clan. Sans me prendre en compte, bien sûr. Ses lèvres se retroussent en un rictus sournois, tordu, hideux. Il avait même pas une once d’énergie occulte, mais ils sont trop froussards pour admettre qu’il aurait pu tous les massacrer. Dommage qu’il ait senti le besoin de se barrer et de se faire buter.
- Buter ? Répète Maki, en arrivant à monter dans un octave encore plus haut que le précédent.
- Buté, Répète-t-il en faisant claquer sa langue contre l’air, comme un fouet. Tu vois le Sixième Œil du Clan Gojo qui fait jacasser tout le monde ? Ils se sont battus, il a perdu. Naoya siffle et secoue la tête. Quel dommage. C’était pas censé se passer comme ça.
- Tais-toi ! Ordonne son père, mais Naoya se contente de ricaner à nouveau.
- Vous, là, vous vouliez même pas le laisser s’approcher de moi, parce que vous aviez peur que je découvre la vérité. Mais c’était beaucoup trop facile de glisser entre vos doigts. J’ai même réussi à le faire s’entraîner avec moi une fois ou deux, même s’il s’est plaint tout du long. Il fait un geste dédaigneux de la main. Je pense qu’il était simplement pas fait pour gérer des enfants – pas que ça m’importait. C’aurait été un père horrible. Je pense toujours que c’est dégueulasse qu’il se soit barré et ait eu un bébé avec une primate.
A ce stade, Maki arrive à peine à parler.
- Il a eu un bébé ?
- Soi-disant, répond Naoya, et son expression devient amère. Mais on n’est pas sûrs. S’il existe, personne ne sait où est-ce que le gosse est. Il pousse son père du bout du pied. Si Maki essayait un truc pareil, elle perdrait sa jambe. Si les vieux cons n’avaient pas refusé de garder trace de lui quand il a quitté le Clan, ça, ça serait pas arrivé.
Le visage d’Ogi se durcit, comme s’il savait quelque chose que tout deux ignoraient.
- Un oubli regrettable, grogne-t-il. Mais Toji Zen'in était une honte pour la famille et une tâche pour le Clan. Combien de fois dois-je te dire d’abandonner cette obsession, jeune homme ?
Naoya écarte sa remarque par un haussement désinvolte des épaules.
- Obsession c’est fort, comme mot. Je dirais plutôt intérêt marqué. Contrairement à toi et à mon père, je n’ai pas l’intention d’ignorer la véritable puissance une fois à la tête du Clan.
- Continue à te comporter ainsi et tu ne deviendras jamais rien de tel, fulmine son père, mais Naoya se contente de lui adresser un sourire diabolique. Ils savent tout deux qu’il ne peut pas empêcher cela d’arriver, et ils ont beau essayer de lui cacher les évènements politiques du Clan, Maki le sait aussi.
- Bien sûr, se moque Naoya, qui tourne ensuite son regard visqueux vers Maki. D’ailleurs, ne va pas penser que t’es comme lui. Tu n’es qu’une mauvaise imitation concoctée par un homme passé d’âge. Ogi a maintenant l’air d’être près à l’assassiner, et Maki aimerait bien qu’il saute le pas. Donc ne t’emballe pas.
- Comme si j’écoutais ce que tu dis, de toute façon, » rétorque Maki, et Naoya lève les yeux au ciel, désinvolte. Ogi le fixe toujours d’un regard noir, et Maki est trop blasée par leurs attitudes pour attendre qu’il arrête. Elle pivote sur ses talons et sort de la pièce – puis s’arrête juste avant de passer la porte.
« Père, dit-elle doucement. Je suis votre fille, n’est-ce pas ? »
Elle n’a pas besoin de se retourner pour savoir qu’il est furieux. Elle ne veut même pas essayer d’imaginer l’expression faciale de Naoya.
« Quoi ? Expire son père. Bien sûr que tu es ma fille. J’ai regardé les médecins te sortir du ventre ouvert de ta mère, et elle n’a pas quitté ce domaine depuis qu’elle est devenue ma femme. Est-ce que tu as la moindre idée de ce que j’ai perdu par ta faute ? Si je n’avais pas eu une héritière aussi inutile, ce serait moi le chef du Clan au lieu de mon frère. Ogi se penche en avant, et la pression dans la pièce tombe comme un caillou jusqu’au fond d’un lac. Tu es mon plus grand regret, petite fille misérable. Il n’y a pas d’enfant au monde qui ait moins de potentiel que toi. »
Maki laisse s’échapper un profond soupir. La première fois qu’il avait dit quelque chose comme ça alors qu’elle était assez vieille pour le comprendre, elle avait pleuré toutes les larmes de son corps ; la deuxième, elle en était devenue malade. Toutes les fois d’après l’avait abîmée comme une rivière creusant son lit sur une montagne, jusqu’à ce qu’elle soit si fatiguée de l’entendre qu’elle ne ressente plus rien du tout.
« C’est ce que je me disais. »
Peu après, Maki traîne des pieds hors de la pièce, ses yeux déconnectés du monde qui l’entoure. Elle est à peu près à la moitié du hall qui mène à sa chambre lorsqu’elle entend des bruits de pas la suivant, et avant qu’elle puisse réagir, Naoya se tient juste derrière elle.
Grâce à Toji, Maki est rapide – mais Naoya reste plus rapide qu’elle. Il attrape le tissu de son col de derrière et la tire pour qu’elle lui fasse face.
« Pourquoi tu poserais ce genre de question ? » crache-t-il, ses pupilles devenant aussi fines que des épingles alors que du venin s’écoule de sa bouche.
Maki gigote sous sa poigne, en vain. « Arrête ! J’étais juste curieuse ! »
Naoya n’a pas du tout l’air de la croire. Il penche la tête et observe son expression, de la même façon qu’un lion regarderait une gazelle. « Qu’est-ce que tu sais sur lui que tu ne me dis pas ? »
Il est même pas mort, débile ! Cependant, elle ne lui dirait jamais ça, même si sa vie en dépendait. «Ri… Rien ! Je ne sais que ce mon père vient de me dire ! » bégaie-t-elle, et elle hait que sa voix tremble comme ça, mais il l’a étouffée dans de la terre trop souvent pour qu’elle reste stable.
Le visage de Naoya se tort jusqu’à en devenir monstrueux. « Tu ne seras jamais Toji-sama, » crache-t-il, et wow, qui n’a pas d’obsession, déjà ? Puis, avant qu’elle puisse l’en empêcher, il jette sa main vers elle, arrache ses lunettes de son visage, et les jette par terre.
Il les écrase sous son pied en un craquement qui lui donne la nausée, et son cœur se brise avec.
« N’oublie jamais que ta place est dans une poubelle. »
Il s’en va, et ses ricanements résonnent à travers les couloirs boisés du domaine même après que Maki soit partie en courant dans sa chambre, ait claqué la porte et ait couvert ses oreilles.
Après un temps incroyablement long, elle inspire enfin d’un souffle tremblant.
« Tu te trompes, imbécile de Naoya, murmure-t-elle au sol. Toji n’aurait pas fait un père horrible. »
Elle ramène ses genoux vers sa poitrine, et empêche ses larmes de tomber par pure volonté.
« Il n’aurait pas fait un père horrible du tout. »
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Toji et Maki ont enfin arrêté leur compétition pour voir qui des deux arriverait le plus tôt à leurs sessions d’entraînement, et ils finissent généralement par se retrouver à la porte à dix heures pile. Cependant, Toji se sentait étrangement agité aujourd’hui, donc il s’est promené jusqu’au bâtiment un peu plus tôt que d’habitude. Il est environ 9h15, donc il s’installe sur le muret de béton granulé et ferme les yeux en l’attendant.
Maki arrive avec un peu d’avance aussi. 9H45. Pourquoi n’est-il pas surpris ?
Il se met debout, ses os craquant comme du popcorn – merde, il a vraiment besoin de s’étirer. Il fait un signe paresseux de la main pour accueillir Maki, jusqu’à ce que quelque chose attire son attention.
Son visage est nu. Ses lunettes rouge caractéristiques qu’elle garde collées à son nez ne sont pas là.
« Hé, Maki, l’appelle-t-il. Qu’est-ce qui est arrivé à tes lunettes ?
- Quelqu’un- Maki se coupe. Elles se sont cassées.
Toji est peut-être bête, mais il n’est pas stupide. Il peut finir en phrase quand il le faut. Il lui demanderait qui les a cassé, s’il pensait obtenir une réponde. Elle n’arrive même pas à le regarder.
- T’inquiète, gamine. Je t’achèterais une nouvelle paire.
- Elles étaient spéciales, marmonne Maki, et merde, c’est vrai. Comment est-ce qu’elle est censée voir les fléaux, maintenant ?
- Je sais, dit doucement Toji. Je me débrouillerais.
Ils entrent dans le bâtiment, mais Maki regarde toujours dans le vide, ses yeux troublés et voilés comme si elle regardait quelque chose qu’il ne pouvait voir.
-T’es pas obligé, répond Maki. Le ton de sa voix semble presque coupable.
- Je sais que je suis pas obligé. Toji ébouriffe tendrement ses cheveux. Mais j’ai envie de le faire. »
Malheureusement, à ces mots, son visage se décompose encore plus. Elle change immédiatement de sujet – vers quelque chose que Toji peut encore moins gérer que la discussion qu’ils sont en train d’avoir. Elle s’assoit par terre et croise les jambes, alors Toji se laisse tomber à côté d’elle.
« Pourquoi est-ce que tu parles jamais de ton passé ? Murmure-t-elle.
Merde. Il savait qu’ils auraient cette conversation au bout d’un moment, et depuis lors il l’anticipe jusqu’à l’os. Il sait qu’il devrait inventer quelque chose, mais les mots ne viennent pas. Il ne peut pas lui mentir.
- Parce que je ne m’en souviens pas, chuchote-t-il enfin. J’ai participé à un énorme combat et j’ai perdu, et pas bien. Un gosse a fait un trou dans mon flanc et m’a effacé la mémoire avec. J’ai eu de la chance que quelqu’un me ramasse et me sauve, mais de toute évidence, pas assez rapidement pour me sauver entièrement. Il pousse un long soupir. Combattre contre ce mec est un de mes seuls souvenirs lucides.
- Est-ce qu’il s’appelait le Sixième Œil ? Demande Maki.
Comment l’avait appelé Yuki, déjà ? Souverain de la Sphère du Trou Noir ? Héritier d’un des Quatre Clans ? Détenteur de l’infini- putain de- on s’en fout.
- Quelque chose du genre.
Maki cligne des yeux.
- Il était fort ?
Malheureusement. Toji soupire à nouveau.
- Très fort.
Maki fronce les sourcils.
- Mon cousin flippant pense que t’aurais pas dû perdre.
- Ouais, bah ton cousin a tort, s’esclaffe Toji. Honnêtement ? Je l’avais cherché. Je pense que j’étais censé mourir. »
Ses yeux rivés au sol, Maki les détourne à ces mots. Un silence tendu s’installe, qui tire l’air, comme la tension à la surface d’un verre d’eau qui va déborder. Toji pense pendant une seconde qu’elle va abandonner le sujet, mais avant qu’il puisse se relever et retourner à leur entraînement, Maki attrape l’une de ses jambe de pantalon d’un de ses petits poings.
« Non, dit-elle, si doucement qu’il aurait pu le manquer avait-il expiré une seconde plus tôt. Tu l’étais pas. »
La poitrine de Toji est frappée d’un choc violent, lui arrachant le souffle des poumons d’un seul coup. Ce qui reste de son cerveau court-circuite, ses synapses grillant les unes après les autres. Il essaye de reprendre son souffle, mais il s’écoule bien cinq minutes avant qu’il y arrive.
« Maki ? S’étouffe-t-il.
- Tu penses toujours que je suis ta fille ?
Est-ce qu’elle a vraiment besoin de le formuler comme ça ? Ça le tuerait s’il n’était pas déjà mort à l’intérieur.
- Ouais, soupire Toji. Je le pense.
- Est-ce que ça te dérange ? Demande Maki, se tournant enfin vers lui. Est-ce que t’es déçu que ce soit moi ? Parce que je peux rien faire de spécial ?
- Quoi ? D’où ça sort, ça ? Bégaie Toji, et il ne savait pas jusqu’ici qu’avoir le cœur brisé pouvait être quelque chose de physique. Bien sûr que ça ne me dérange pas. Je sais pas comment un mec bon à rien comme moi pourrait mériter une gosse aussi déterminée, forte et résiliente que toi. Il pose un bras sur ses épaules. Je suis pas déçu du tout, et n’ose jamais dire que tu n’as rien de spécial. Maki, je suis fier de t’appeler ma fille. Il n’y a pas d’enfant au monde avec plus de potentiel que toi. »
Encore une seconde, et le visage de Maki se- il se froisse, comme si la seule chose qui tenait cette expression au menton d’acier pendant tout ce temps était un amas de cure-dents et d’élastiques, et que Toji venait d’en couper un fil essentiel.
« Je dois y aller, pleure Maki, des larmes roulant sur ses joues en petites cascades alors qu’elle se lève. Bye.
Toji se relève.
- Maki ? Hé, attends !
Elle part en courant, et Toji se retrouve tout seul, à se demander ce qu’il a mal fait.
Notes:
Note de MissingN000:
désolé.e pour l’angst, mais je vous JURE que les choses vont s’arranger ! je peux pas promettre que toutes les updates soient aussi rapide, mais mon cerveau est entré en hyperdrive et il fallait absolument que je finisse ce chapitre. merci de l’avoir lu ! les commentaires et les kudos refont toujours ma journée !
Chapter Text
Maki ne vient pas, la prochaine fois qu’ils sont censés se voir.
Ou la fois d’après. Ou la fois d’encore après.
Toji le sait, parce qu’il l’attend toute la journée – et ça veut dire
toute
la journée. Il refuse des jobs sur ces jours-là même s’il a vraiment besoin d’argent, parce que si d’une façon ou d’une autre, elle change d’avis et décide d’arriver à dix heures du soir au lieu de dix heures du matin,
merde
, il sera là. Il ne semble être capable que de continuer à venir, c'est pathétique.
Il essaie d’analyser ce qu’il aurait pu mal faire, mais il ne sait même pas où commencer à chercher. Peut-être qu’il a merdé tellement de fois qu’elle a simplement décidé qu’elle en avait enfin marre. Toji ne peut pas vraiment lui en vouloir, mais il a toujours l’impression que sa force vitale a été aspirée à travers sa cage thoracique.
Il est peut-être capable de voir les fléaux en utilisant ses sens sur-développés, mais sentir l’énergie occulte d’une autre personne d’aussi loin lui est impossible. Il ne pourrait pas la trouver s’il en avait envie. Et
putain
, il en a envie.
Il tourne autour de ses doigts sans y prêter attention le petit objet fait de lentilles et de plastique rouge. Ça lui a pris une plombe de choisir une nouvelle paire qui ressemblait un tant soit peu aux anciennes lunettes de Maki ; celles-ci sont un peu plus rose-rouge que les autres, avec une monture carré qui ne couvre pas la partie supérieure. Elles pourraient être un peu grande pour elle maintenant, mais elles lui iront lorsqu’elle sera plus vieille. Tout du moins, c’est ce que le vendeur a dit.
Il n’est pas certain de comment exactement Yuki les a imprégnées du pouvoir de voir les fléaux, et il ne lui a pas demandé. Tout ce qu’elle a dit, c’est qu’il lui devait désormais un service – comme s’il n’était pas déjà éternellement endetté envers elle pour lui avoir sauvé la vie – mais elle a fini par encaisser le service en question pour qu’il porte ses sacs de vêtements lors d’une journée shopping, et il a dû l’écouter se plaindre vaguement d’un groupe d’exorcistes proches qui apparemment , n’étaient pas d’accord avec ses méthodes ingénieuses d’élimination des fléaux. Toji avait souri et acquiescé et fait semblant de comprendre ce qu’elle disait, parce qu’il a ciré les pompes d’assez de femmes pour savoir ce qu’elles veulent entendre, mais Yuki l’avait percé à jour et lui avait tapé la tête. Il savait qu'ils s'entendaient aussi bien pour une raison. Toutes leurs plaisanteries sont sincères.
Toji soupire en regardant de nouveau l’heure. Ce n’est qu’alors qu’il se rappelle avoir cassé sa montre contre le visage d’un connard sans nom une semaine auparavant, donc il sort son téléphone à la place. 9H58. Il se déteste pour la vague d’espoir qui monte toujours en lui lorsque l’horloge n’a pas encore atteint les dix heures.
Il se laisse tomber par terre et s’étale en étoile de mer. Peut-être que le plafond a les réponses à ses questions.
Il reste allongé-là pour ce qui semble être des heures, mais n’est probablement que quelques minutes. Il est prêt à se résigner à un autre jour passé à se noyer dans ses propres pensées stupides, jusqu’à ce que la vielle porte émette son léger craquement quelque part derrière lui.
Toji se relève d’un bond et se retourne pour y faire face. Maki se tient devant la porte, hésitante, n’osant pas le regarder dans les yeux.
« Maki ! dit-il, n’ayant pas de meilleure salutation.
- Euh… salut, » murmure-t-elle, entrant doucement dans la pièce. Elle s’arrête un mètre ou deux devant lui avant de se retourner pour faire face au miroir, se mettant en une position de combat qui a l’air aussi tendue qu’elle.
Toji se passe les mains sur le visage. Après avoir autant ruminé, on penserait qu’il trouverait bien quelque chose à lui dire si elle venait vraiment. Mais non. Pas un mot ne lui vient à l’esprit, et son cerveau est aussi blanc qu’un tableau, effacé avant qu’il ait eu le temps de regarder ce qui était dessus.
« Hé, euh… commence-t-il intelligemment. Désolé. »
Prudemment, Maki regarde ses yeux dans le miroir. « Pour quoi ?
Putain, il est tellement stupide.
- Je sais pas vraiment.
- T'inquiète, souffle-t-elle, après quelques secondes de silence qui s’étirent beaucoup trop. T’as rien fait de mal. »
Toji ne sait pas s’il la croit, mais n’insiste pas. Une distance étrange s’est installée entre eux, qui va plus loin que le physique, et il a l’impression qu’ils ont fait un pas en arrière. Mais au moins, elle est là . Une partie de son énergie lui revient simplement en étant à ses côtés, et il pense vaguement que la phrase ‘loin des yeux, près du cœur’ est complètement conne, parce qu’il aurait préféré qu’elle ne parte pas en premier lieu.
Ils commencent à se battre sans rien dire, mais ils ont atteint un stade où ils n’avaient plus besoin de mots il y a longtemps. Leur temps passé ensemble est un peu plus long que d’habitude, et Toji se demande si elle essaye de compenser, si elle s’est entraîné lorsqu’ils étaient séparés. On dirait que oui. Il se sent un peu fier, en voyant ça.
Une fois fatiguée, alors qu’elle se prépare à partir, Toji farfouille dans son sac avant qu’elle s’élance vers la porte.
« Oh, j’ai failli oublier, » dit-il, et non, pour une fois dans sa vie il n’a pas vraiment oublié, mais la dernière chose dont il ait envie à ce moment-là est de l’accabler. « Euh, tiens. Je t’ai acheté des nouvelles lunettes. Elles devraient pouvoir faire la même merde que les anciennes. » Il déglutit difficilement. « Désolé si elles ressemblent pas exactement aux autres. Je-
- Ça me dérange pas, interrompt Maki, son visage traversé de quelque chose que Toji ne peut nommer. De la tristesse ? De l’espoir ? Elles... elles sont parfaites .
- T’inquiète, gamine, répond-il en lui ébouriffant les cheveux, ce qu’elle le laisse faire. Je t’avait dit que je me débrouillerais, non ? »
En hochant lentement de la tête, Maki cligne des yeux pour dégager l’humidité qui s’y accumule avec ses larmes qui ne s’écoulent pas. Merde, est-ce qu’il s’est encore foiré ?
« Hum, commence-t-elle, peu sûre d’elle. Désolée de ne pas être venue les dernières fois. Est-ce que tu peux... »
Elle se coupe, l’air étrangement timide. C’est quoi ce bordel ?
« Je peux quoi ?
- Tu peux t’agenouiller ? Demande-t-elle, le regardant enfin dans les yeux pour la première fois de la journée.
- Euh… d’accord. Toji obéit, se mettant à genoux. Il va se faire frapper par une fillette de sept ans, là, non ?
Il est loin d’avoir raison. Elle inspire profondément, ferme fort les paupières, et jette ses bras autour de lui.
« Merci, » murmure-t-elle.
Toji peut sentir son cerveau s'enfuir de la pièce, avec sa capacité à parler, et putain bon débarras. « Ce… c’est juste des lunettes, arrive-t-il à sortir. C’est pas grand-chose. »
Maki se contente de serrer son petit poing autour de lui, en réponse. « Pas juste pour les lunettes. »
Oh, mon Dieu. Toji ne va pas s’en sortir.
Au lieu de répondre, il la hisse dans ses bras, en équilibre dans le creux d’un de ses coudes. Elle pousse un petit cri de joie qui fait chavirer le cœur de Toji.
« Allez, petiote, rit-il. Tu veux aller prendre une glace ? »
Même du coin de l’œil, il peut voir l’énorme sourire qui s’étale sur son visage comme un lever de soleil, et elle acquiesce passionnément. « Devine mon parfum préféré ! »
Toji se frotte le menton du bras qui ne tient pas son gosse. « Hmm. Alors, c’est chocolat pour les gâteaux… Mais j’imagine que c’est pas la même chose pour les glaces. Je parie que c’est un truc bizarre, genre pistache ou beurre de cacahuète.
- Pas question ! Glousse-t-elle. C’est matcha !
- Hé, j’avais pas tort. Ça reste un peu étrange.
- Non, ça l’est pas ! Proteste-t-elle en riant. C’est quoi ton parfum préféré ? »
Rhum. « Euh… Vanille. »
Elle plisse les yeux en se concentrant, un sourire tirant toujours sur les coins de ses lèvres. « Tu mens, » dit-elle malicieusement.
Pff . Toji souffle du nez. « Comment t’as su ? »
Elle tourne sa tête vers lui avec un sourire qui ferait honte au soleil, à la lune et aux étoiles. « Je savais, c’est tout. » Sur ces mots, ils se dirigent vers leur après-midi.
Les choses reviennent à la normale, après ça, ou plutôt, mieux qu’à la normale – s’ils avaient reculé d’un pas, ils viennent de faire un gigantesque bond en avant. Elle vient chez lui quelques fois pour qu’ils puissent avancer dans la pile de films d’actions qu’il lui a pris pour son anniversaire, et ils s’amusent pas mal à analyser les positions de combat horribles des acteurs. Parfois, il met sur pause et fait comme un professeur à moitié décent et lui demande de lui dire ce qu’ils font mal et comment régler les problèmes, et d’autres fois il met sur pause pour qu’ils puissent les pointer du doigt et se foutre de leur gueule.
Avant qu’il s’en rende compte, six mois se sont écoulés. Maki et lui font souvent quelque chose de sympa après leur entraînement, comme aller au parc ou faire des jeux de sociétés avec les pièces manquantes qu’ils trouvent dans des allées. Ils inventent leurs propres règles, et il aimerait pouvoir dire qu’il la laisse gagner, mais la plupart du temps elle le décime sans aucune aide. Toji n’a jamais aimé perdre, mais ça , il le fait avec un sourire étincelant.
Un jour, après l’entraînement, ils se retrouvent chez lui et font un festin des restes de la veille. Une faible sonnerie émane de sa poche, et elle sort – un
téléphone
?!
« Comment ça se fait que je découvre maintenant que t’as un téléphone ?! Interjette-t-il.
Maki lève les yeux.
- Parce que je l’éteins toujours quand on s’entraîne ! »
Sérieusement ? Toji se frappe le front.
- ‘Tain, les gosses en ont de plus en plus tôt ces jours-ci. Il le frappe du doigt. C’est quoi , ce truc ? Il y a même pas de boutons.
- C’est un smartphone, débile, glousse-t-elle. C’est assez nouveau, mais t’en as jamais vu avant ?
- Si, totalement, ment-il éhontément. T’es encore une gamine, pourquoi t’as un téléphone en premier lieu ?
Le visage de Maki se renferme légèrement.
- C’est pour que ma famille puisse m’ordonner des trucs quand je fais les courses.
Putain, il n’aurait pas dû demander. L’estomac de Toji se retourne.
- Hé, donne-moi ton numéro, dit-il. »
Elle s’arrête de parler un moment. « Bon, okay. » Elle lui donne l’appareil pour qu’il puisse ajouter son numéro à sa liste de contact, et Toji prie pour qu’il arrive à comprendre comment ce truc marche avant qu’il se ridiculise encore plus que d’habitude. Il sort le sien de sa poche et lui jette sans regarder. Où sont les putain de touches sur ce- oh, là. Bordel, c’est ridicule.
Maki éclate de rire une seconde après. Toji relève un sourcil à travers la frange de cheveux noir sur son front.
- Ton téléphone est vraiment nul ! Ricane-t-elle.
Ouais, pourquoi son téléphone est-il
aussi
nul ? Yuki aurait pu en acheter un mieux. Il se fait un rappel mental de la voir pour se plaindre, plus tard. « Hé, fais gaffe. Il fait ce qu’il a besoin de faire, tu sais. »
Maki secoue la tête et rit de nouveau. « Okay, j’ai fini.
- Ouais, moi aussi, répond Toji, et Dieu merci, il a peine eu le temps de mettre son numéro dans ses contacts. Victoire, il maîtrise finalement la technologie. Appelle-moi si t’as besoin de moi, ou quelque chose comme ça.
- C’est ça, ouais, ricane-t-elle.
- Non, je suis sincère, insiste-t-il. Je promets que je décrocherais. »
Maki lui sourit, puis regarde l’heure sur son écran. Ses yeux s’écarquillent, comme ceux d’une chouette. « Oh, merde. Faut que j’y aille. »
La mâchoire de Toji se décroche si vite qu’il jure l’entendre abîmer le faux parquet. « Bordel de merde, tu viens de jurer ?! Il couvre sa bouche de sa main. Mes mauvaises habitudes déteignent sur toi ?
- Ouais, j’imagine. Je peux pas m’en empêcher ! Ils roulent sur la langue, rit-elle, et il s’apprête à être très fier de lui, parce que ouais, c'est déjà devenu une influence désastreuse sur elle, mais elle rajoute, « Ça vaut vraiment tous les coups de fouets. »
Ses mots lui coupe dedans comme un couteau de glace, aussi aiguisé qu’un rasoir et mortellement froid. Un effroyable fragment d’un souvenir où il est étendu sur un sol fissuré avec ses tripes à l’air surgit dans sa conscience, seulement parce que c’est exactement comme ça qu’il se sent.
« Viens vivre avec moi, » lâche-t-il, avant qu’il ait la chance d’y penser deux fois.
Maki cligne des yeux. « Hein ?
-N’y retourne pas, demande-t-il, et putain de merde, il n’a jamais élevé la voix devant Maki avant et maintenant il a l’impression qu’il va se mettre à hurler. Ces putains de minables n’ont pas le droit de se considérer comme ta famille. T’as pas à retourner là-bas. Tu peux juste rester ici avec moi.
Maki grimace.
- Te retourne pas, mais je crois qu’un rat vient de courir sous ton frigo.
- Je peux déménager , dit-il d’une voix tremblante, et bordel, il essaye de ne pas laisser sentir son désespoir dans sa voix, mais ça ne marche pas très bien. « Lance une fléchette sur une carte les yeux fermés, je m’en fous. Là où tu veux, on peut y aller . »
Maki déglutit avec peine, et commence à tripoter le bord de sa jupe jusqu’à ce qu’elle se délite en un amas de fils. « Je pense pas pouvoir, dit-elle éventuellement, l’air d’être véritablement blessée par ses propres mots. Il peut voir dans ses yeux que ce n’est pas la réponse qu’elle aimerait lui donner, mais elle doit avoir l’impression de ne pas avoir le choix. Je suis désolée. »
Et à la fin de la journée, elle rentre quand même chez eux. Toji a toujours su qu’il était un parent de merde, mais il n’en a jamais été aussi certain.
Sa fille est victime de maltraitance physique et mentale par les personne qu’elle considère comme étant sa famille, et il ne peut rien faire du tout. Il ne s’est jamais aussi impuissant, et même son combat contre le morveux aux cheveux blancs fait pâle figure, en comparaison. Être l’homme le plus fort du monde ne sert absolument à rien s’il ne peut pas protéger la seule chose qui lui importe.
Il se fait deux bouteilles de whisky, appelle Yuki et hurle à propos de ses sentiments pendant une bonne demi-heure, puis elle lui envoie toutes les vidéos de chats qu’elle ait vu de sa vie, et il finit par s’écrouler à quatre heures du matin.
Maki rentre péniblement chez elle, se sentant abattue après sa conversation avec Toji. Elle s’était rendu compte qu’il était déçu, vu la façon dont son visage avait grimacé comme si on l’avait frappé avec une tonne de briques. Elle avait presque voulu lui dire que sa réponse lui avait fait autant de mal à dire que lui à entendre, mais elle était à peu près sûre que ça les aurait juste fait se sentir plus mal tous les deux.
Elle se sent assez piégée comme ça. Elle n’est pas sûre que s’enfuir du Clan Zen’in soit même possible. Elle a toujours voulu devenir plus forte, prouver sa valeur, et devenir cheffe du Clan ; mais personne n’a jamais dit que pour ce faire il fallait qu’elle vive avec eux. Peut-être que si elle était plus vielle, elle aurait une chance. Mais c’est une enfant, une fille, et elle n’a pas de sort inné ; chacune de ses choses séparément est un défaut fatal au sein de la famille Zen’in, et Maki coche toutes les cases. Trois traits et elle est éliminée d’un seul coup.
Elle s’arrête à un magasin de vêtements, chez un épicier et un boucher pour rassembler la liste de choses que son père l’a chargée de récupérer. Elle tire jusqu’à la maison trois sacs de marchandise, se demandant à chaque pas comment son père a-t-il pu penser qu’une enfant de sept ans pouvait porter tout ça – il s’est probablement dit qu’elle ne pouvait pas, et c’est pourquoi il lui a dit de le faire en premier lieu – mais son deuxième passe-temps favori est de donner tort aux Zen’ins.
Mince. Maki soupire. Son premier passe-temps favori, c’est probablement de déprimer sur un canapé, là. Elle essaye de ne pas y penser et n’y arrive pas très bien.
Maki enlève ses lunettes et les glisse dans la poche de sa jupe, comme elle le fait toujours lorsqu’elle arrive au domaine familial. Naoya ne s’est jamais rendu compte qu’elle a eu une autre paire, et c’est très bien comme ça.
« Tu es en retard, crache son père lorsqu’elle rentre dans le bâtiment. Génial, elle a déjà foiré quelque chose. Où tu étais, aujourd’hui ? Pourquoi est-ce que tu disparaît aussi souvent ces jours-ci ?
Elle n’est pas surprise que cela lui ait pris autant de temps pour s’en rendre compte.
- C’est important ? Je croyais que vous seriez heureux si j’étais hors de votre vue autant que possible.
Ogi s’esclaffe, mais par chance n’insiste pas. C’est presque drôle, à quel point il se fiche d’elle.
- Qu’importe. As-tu ramené ce que je t’avais demandé ?
- Oui, répond Maki, lui tendant le sac de courses et de fournitures. Elle se délecte de la surprise sur son visage comme d’une oasis dans un désert. Mais qui mange de la viande de buffle ?
Son père la regarde comme si elle était plus bas que terre pour avoir osé poser une telle question.
- C’est un élément crucial d’un repas traditionnel de cette famille, annonce-t-il menaçant. Un festin est organisé ce soir. Demain est un jour important.
Vraiment ? Maki n’a pas reçu l’info, mais ça n’est pas très surprenant non plus. Elle s’apprête à ouvrir la bouche pour demander, jusqu’à ce que quelqu’un d’autre réponde à sa question avant qu’elle parte de sa langue.
- T’es pas au courant ? Nargue Naoya, titubant de derrière l’encadrement de la porte comme un danseur bourré. Maki se demande combien de force serait nécessaire pour lui faire perdre l’équilibre. Je pars en mission solo demain, pour exorciser un fléau de classe 1 afin d’assurer ma promotion d’exorciste de classe 1.
Maki lève un sourcil et croise les bras.
- Donc ils promeuvent n’importe qui classe 1 ces jours-ci, alors.
Peu surprenamment, Naoya claque sa langue, irrité. Son père lève une main pour le calmer et se tourne vers Maki.
- Silence, fille insolente. Fais preuve de respect envers ton cousin.
Maki lui tire la langue. Naoya lui fait un doigt.
- C’est dans un lycée privé, pas très loin d’ici, continue Naoya, parce que Maki est convaincue qu’il est amoureux du son de sa propre voix. Le truc a juste mangé une poignée de gamins, et le principal est venu nous voir en pleurant. » Il lève les yeux au ciel, pour la mise en scène. Quel primate pathétique. Même si j’imagine que toi, tu le comprends.
- Tu perds ton temps, mon garçon, annonce la voix de Naobito depuis l’intérieur de la pièce. Il s’approche de la porte et rejoint son fils en regardant Maki de haut. Celle-ci n’apprendra jamais . »
Quelque chose de douloureux et de désespéré passe à travers elle comme une inondation express, noyant ses poumons jusqu’à ce qu’elle puisse à peine respirer. Elle serre les poings, déterminée, et se mord la langue jusqu’au sang. « Je veux venir ! Déclare-t-elle. Je suis plus forte qu’avant ! Laissez-moi une chance ! »
Une seconde s’écoule avant que ses mots ne soient compris par les trois hommes qui l’entourent. Quand c’est enfin le cas, leurs visages se tordent chacun dans leurs propres marques personnelles de dérision, et ils éclatent d’une chorale de rire.
« Une
chance
?! Naobito hurle de rire, ce dernier secouant sa cage thoracique. Tu pourras même pas
voir
le putain de fléau ! »
Les lunettes cachées dans la jupe de Maki ont soudainement l’air plus lourdes. Si, je pourrais, fulmine-t-elle intérieurement. Sauf qu’elle ne peut pas risquer qu’elles soient à nouveau cassées. C’était assez dur à voir la première fois. Elle n’est pas sûre qu’elle pourrait se remettre de la deuxième.
« Maintenant que j’y pense, il y a bien un moyen pour toi de te rendre utile, ricane Naoya. Je parie que tu ferais un appât génial. Pendant qu’il est occupé à te gober, j’aurais à peine à me salir les mains.
- Ouais, t’auras besoin de toute l’aide du monde, s’énerve Maki, Naoya se contentant de continuer à ricaner.
- Réponds-moi autant que tu veux, mais je sais que t’es juste jalouse. »
Le pire, c'est qu’il a raison. Elle préférerait mourir que de l’admettre, mais elle est vraiment jalouse. Si elle était née avec une technique maudite, alors peut-être qu’elle pourrait…
Maki cligne des yeux, et son sentiment de désespoir se dissipe dès que la réalisation la frappe.
Son vieux réflexe s’efface alors que de nouvelles émotions s’installent dans sa poitrine. Elle ne sait pas quand est-ce qu'elle a arrêté de souhaiter que les choses soient différentes, mais même si elle ne peut pas se souvenir du moment où le changement s’est opéré, elle sait au moins pourquoi .
Parce que si elle avait une technique maudite, ça voudrait dire qu’elle ne serait pas comme Toji .
Il pourrait tous les réduire en miettes, comme des mouchoirs dans une scie sauteuse. C’est réconfortant, d’une façon tordue. Alors elle essaye de penser à ce qu’il ferait, si c’était lui qui se tenait là à sa place ; cette confiance en soi nonchalante qui le grandit, la façon dont il se tient, si stable qu’il pourrait piétiner la poitrine de tous les maux du monde et ils se contorsionneraient et frapperaient et hurleraient de sous ses semelles de métal et il ne clignerait même pas des yeux. Elle pense à des mouvements fluides comme le vent qui siffle entre une chaîne de montagne mais aussi inébranlables que les pics en-dessous, avec des coups de poings comme des tirs d’artillerie et des coups de pieds comme des boulets de canon. Il n’a rien à voir avec les héros qu’elle rencontre dans des mangas, sa langue trop aiguisée et son humour trop cru, mais Maki n’a jamais aimé ces personnages, de toute façon. Elle s’est toujours vue encourager les vigilantes, qui faisaient ce que les héros et les méchants ne pouvaient pas.
Alors elle change de position, essaye d’émuler la sienne. Elle contracte sa mâchoire, de la même façon que lui lorsqu’il s’apprête à rire, et plisse les yeux avec le même courage qu’il avait eu lorsqu’il lui avait sauté après pour la rattraper après être tombée de cet arbre.
Les vieux sont trop occupés à rire pour ne serait-ce que la regarder.
Le seul qui la remarque, c'est Naoya.
Son œil tressaille, et il s’arrête de rire sur le coup. Sans un mot, il tourne sur ses talons et rentre dans la pièce principale, son père et le sien le suivant peu après.
Maki n’a pas besoin de demander pour savoir qu’elle n’est pas invitée à sa fête débile – pas qu’elle voudrait y aller. Son père le laisse parfois boire à ce genre d’évènements, et Naoya ne tient pas l’alcool. Ça le rend pathétique et débraillé, et même l’estomac de fer de Maki ne peut gérer tant de malaise. Elle se retourne d’un coup et vole jusqu’à sa chambre.
Et elle ne s’embête pas à dormir. Juste avant quatre heures du matin, alors qu’elle sait que tout le monde dort, elle sort de sa chambre sur la pointe des pieds et navigue dans le labyrinthe de couloirs en bois qui mènent à la lourde porte d’acajou des archives de la famille Zen’in. Elle ouvre la porte dans un craquement étouffé et se glisse à l’intérieur.
Le dossier attend toujours sur la table la plus proche de l’entrée, devant d’immenses rangées de bibliothèques remplies de vieux rouleaux qui sentent l’encre ancien et la terre retournée. Elle se hisse sur les coussins du banc en bois et commence à lire.
On en sait peu sur le fléau que Naoya est censé combattre. À cause de sa létalité, son niveau de puissance est classé comme ‘ probablement ’ classe une, donc en gros c’est juste une supposition. Il y a aussi une description inutile d’une ‘ effrayante chose grande et grise ’ fournie par le principal. Cependant, le dossier a l’adresse du lycée, et c’est tout ce qui compte.
Si elle parvient à battre ce fléau avant Naoya, ce n’est pas qu’elle qu’ils seront forcés de reconnaître. Ils devront reconnaître
Toji
, aussi. Dire qu’elle en a assez de leur traitement méprisant serait l’euphémisme du siècle. Elle va prouver sa valeur. Il le
faut
. Elle l’arrachera à mains nues de leur gorge s’il le faut, rien qu’avec son cran et ses ongles.
Elle laisse le dossier dans sa position originelle et se dirige vers le placard à armes. Elle choisit une lance qui brille au bout quand la lumière tamisée de la pièce se reflète sur le métal, et ne se retourne pas. Le premier bus a beaucoup trop d’arrêts, mais il peut tout de même l’y emmener en un peu moins d’une heure.
Ça ira.
Elle gère.
Toji se réveille beaucoup trop tôt sans aucune bonne raison.
Le vieux réveil digital avec ses chiffres rouges et carrés qui se transforment en pixels affiche juste après cinq heures, ce qui est ridicule vu qu’il est allé se coucher une heure avant. Son souffle a toujours le goût amer de l’alcool et il a l’impression que sa tête s’est faite rouler dessus par un tracteur. Ses draps lui gratte la peau là où son t-shirt est remonté dans son dos, et il grogne au milieu du vide de sa chambre, cherchant à l’aveugle son téléphone en train de charger sur sa table de nuit. Peut-être que regarder une de ces vidéos de chatons que Yuki lui a envoyé, qu’il n’admettrait jamais bien aimer, le bercera assez pour se rendormir.
Il jette un coup d’œil à moitié ouvert à son téléphone puis cligne des yeux pour faire une mise au point, et quand il arrive enfin à voir la notification sur son écran, son cœur s’arrête de battre. Sa gueule de bois se dissipe d’un coup, avec toutes ses autres sensations corporelles.
Il a un appel manqué de Maki. Un seul, pas de message vocal. Il date d’il y a à peine cinq minutes.
Appelle-moi si t’as besoin de moi,
qu’il avait dit, et il avait promis de décrocher. Putain, il sert vraiment à rien. Il ouvre son téléphone et regarde frénétiquement ses SMS.
Il n’a qu’un seul message de sa part, envoyé deux minutes après l’appel. Une adresse. À l’autre bout de la ville.
Malgré le chemin qu’ils ont parcouru, Toji sait que Maki ne l’appellerait jamais à moins qu’elle ait vraiment besoin de lui. Elle est trop têtue pour quoi que ce soit d’autre. Toji manque de craqueler son écran à cause de la force avec laquelle il appuie sur le bouton rappel.
Ça sonne dix fois avant de le rediriger vers sa messagerie. Il n’essaye pas une deuxième fois, après ça.
Il a un job, aujourd’hui, mais rien à foutre. Sa fille a besoin de lui. Rien dans l’univers ne pourrait importer plus que ça.
Il ne sait pas de
quoi
elle a besoin, en revanche, donc il faut qu’il soit préparé à tout. Il attrape le sac qu’il utilise pour ses missions et y jette pas mal de malbouffe parce que c’est tout ce qu’il a dans ses placards, une vielle bouteille d’eau et le kit de premier secours que Yuki lui avait acheté pour lui faire une blague. Il y jette également des armes au hasard et le passe par-dessus son épaule sans le fermer.
Il aimerait vraiment avoir un moyen plus pratique de transporter des fournitures que ça.
Toji mets ses bottes sans s’embêter à faire ses lacets et enfile un t-shirt noir à manches longues par-dessus son vieux, blanc. Il se serait pas dérangé par n’importe quelle température, mais Maki pourrait en avoir besoin. Il ne boucle pas la ceinture de son pantalon de combat parce qu’il ne le fait pas la moitié du temps, de base.
Il est au cinquième étage, et l’escalier est étroit et trop alambiqué. L’ascenseur va à la vitesse d’un enfant qui remonte un seau d'eau d'un puits. Les deux sont inutiles. Les deux sont trop lents.
Donc Toji fait ce que toute personne normale ferait, et saute de sa putain de fenêtre.
Il atterrit sur le béton de l’allée derrière son immeuble avec un craquement retentissant, les pavés éclatant sous ses pieds comme du plastique. Il s’élance dans la rue, près à rouler jusqu’à l’endroit où elle se trouve, avant que son cerveau débile ne se rende compte qu’il n’a pas de putain de voiture.
Ça va sans dire que les transports en communs sont hors de considération. Même un taxi ne serait pas assez rapide pour le satisfaire. Toji sait qu’il va vite, mais courir à l’autre bout de la ville ne serait jamais aussi efficace qu’y rouler.
Il n’a pas le temps pour ça. Il retire un pistolet de son sac, le pointe entre les yeux d’un motard quand il s’arrête au feu rouge à côté de lui, lui ordonne «
Descends
, » et le conducteur obéit.
Toji est à peu près sûr qu’il brise toutes les lois de conduites qui ont jamais été écrites alors qu’il roule dans le labyrinthe que forme les rues. Il a de la chance que l’adresse soit proche de celle d’un de ses anciens jobs, ce qui lui permet de savoir que c’est dans une partie de la ville très chic, où le centre rencontre la banlieue. Il ne peut même pas s’imaginer ce qu’elle est allée foutre là.
C’est une école pour gosses de riches,
se rappelle-t-il alors qu’il trace vers les portails de fer qui se tiennent majestueusement entre des piliers de marbre des deux côtés de l’entrée du campus, au bout de son trajet dans l’illégalité.
Et c’est là qu’il le voit.
Toji a déjà croisé des fléaux, mais aucun n’était comparable à celui-ci. Il est mercenaire. Il ne fait pas d’exorcismes. Il s’est battu contre des exorcistes auparavant, mais il n’a jamais combattu les monstres contre lesquels eux-même se battent.
Parce que se battre contre des exorcistes, c’est
différent
; même dans toute leur gloire arcanique, ils restent humains, des bêtes domptées faites de chair et de sang et d’os, avec des mouvements qu’il peut lire comme les répliques d’une pièce de théâtre et des points faibles qu’il peut cibler comme un sniper de génie. Toji ne peut pas l’expliquer ; c’est comme s’il était fait pour ça. Les affronter d’égal à égal est plus naturel pour lui que les battements de son propre cœur.
Mais ça, cette
chose
– ça ne peut être décrit que comme une
chose
. Même sans prendre en compte sa taille, il saurait que c’est une classe spéciale. De la vase nocive aux teintes héliotropes coule des rangées de crocs qui bordent sa gueule ouverte. Des queues sans fin se tordent dans sa bouche dans le sens d’un Ouroboros, comme si elle était si avide de carnage qu’elle ne pouvait pas résister à l’envie de se dévorer soi-même. Un squelette à découvert s’agrippe à sa peau de cendre comme un fossile à moitié déterré, sa cage thoracique à vif et pourrissante. Un nombre incalculable de membres frappent le sol en fissures radiales et s’attaquent aux murs de béton du bâtiment principal de l’école, les pulvérisant en éclats et particules de poussières.
Malgré tout, certaines parties sembleraient presque humaines – ses yeux, même s’ils sont beaucoup trop, sont injectés de sang et confus comme ceux de quelqu’un torturé, qui souffre. Ses griffes ressemblent plus à des ongles rongés par un enfant obsessionnel, en lambeaux sur les cuticules et déchiquetés aux bouts. Sa langue n’a pas l’air d’être capable se supporter ses propres dents, et pend du côté de sa bouche, déchirée. Dans l’ensemble, c’est une abomination , un être qui hante les cauchemars des cauchemars. Et dans une de ses mains…
…
Se trouve Maki.
Ah .
C’est à ce moment-là que le déclic se produit ; quelque chose change en lui. Des instincts qui n’ont rien à voir avec ceux sur lesquels il se repose quand il combat des bon-à-riens et des exorcistes s’activent comme si on avait appuyé sur un interrupteur à sens unique, instantané mais irréversible, simple mais fiable. C’est ton enfant, chuchote une voix, de quelque part au loin, ou peut-être au fond de lui. C’est ton enfant qu’il est en train de tenir.
Toji inspire profondément, et le sentiment le submerge.
« Repose ma fille ! »
Et Toji tape du pied sur les pavés avec la force d’un tremblement de terre, une toile de fissures spiralant à partir de l’épicentre de l’impact. Il se jette à travers le campus comme un coup de tonnerre, chargeant vers le fléau aussi vite que possible. Le fléau doit avoir un moyen de sentir venir le danger, parce qu’il tourne sa tête moche vers lui et rugit, avec tant de puissance que le bruit possède une présence physique. Il lâche Maki comme un jouet délaissé et Toji se jette en avant pour l’attraper, mais l’un des bras défigurés du fléau l’envoie voler en arrière avant qu’il puisse l’atteindre.
Toji s’écrase contre la barrière de fer qui encercle le campus et la moitié de son souffle quitte son corps – ça n’est qu’un réflexe conditionné dans sa poitrine qui l’empêche de finir à bout de souffle. Des briques tombent et le métal se tord sous sa force lorsqu’il l’utilise pour sauter à nouveau vers le monstre, et il réalise alors qu’il va peut-être avoir besoin de réfléchir deux secondes, pour une fois.
Tu ne peux pas exorciser de fléau sans énergie occulte. Il ne pourrait pas expliquer comment il sait ça, il le sait, c’est tout. Dans l’entièreté de son arsenal d’armes, il a très exactement un seul objet maudit. Un glaive, au mieux classe deux. Yuki le lui a donné. S’il y a une urgence, avait-elle dit. L’utilise jamais contre quoi que ce soit à moins que ce soit absolument nécessaire.
Il a de la chance de l’avoir amené. Si Maki avait amené un objet maudit avec elle, ça fait longtemps qu’il n'y est plus, très probablement mangé. Une coupure sur sa langue est trop propre pour avoir était faite par ses dents de scie, suintant le liquide putride qui lui sert de sang.
Immobile, Maki gît dans les débris à côté du fléau. Sa petite lumière vacille, à la manière d’une bougie prête à s’éteindre. Toji a toujours été quelqu’un qui prend des risques, mais désormais les enjeux sont trop importants. Il a vécu toute sa vie en passant d’une erreur à l’autre. Là, il ne peut pas se permettre d’en faire une seule.
Le fléau se tord dans tous les sens en une cacophonie de cris atroces, comme si le simple fait d’exister lui faisait horriblement mal. En une fraction de seconde Toji se tient à nouveau devant lui, brandissant son arme, et il l’abat de toute ses forces pour couper le membre le plus proche de la bête.
La lame atteint sa cible. Ça n’a absolument aucun effet.
Toji a à peine la chance d’encaisser le choc avant que ce qui pourrait être une queue lui percute la poitrine à pleine vitesse et l’envoie valdinguer. Cette fois-ci, par contre, il s’y attends, et se redresse en plein air, enfonçant ses talons contre l’un des piliers de pierre du portail qui s’effondre au moment où il s’en élance. Il passe l’épée dans son dos en se creusant les méninges.
Il n’est pas sûr de si le pouvoir occulte de l’épée n’était simplement pas assez puissant pour entamer la peau d’une classe spéciale, ou si il a fait quelque chose de mal qui l’en a empêché. Cet exosquelette ne ressemble à rien qu’il ait jamais pu imaginer. Le recul du coup a fait trembler sa moelle, des vibrations résonnant à travers l’enchevêtrement de ses os jusqu’à ce qu’il ait l’impression qu’ils explosent. S’il était quelqu’un d’autre, il serait sûrement mort du seul fait du recul.
Le fléau se concentre à nouveau sur Maki comme un requin qui sentirait du sang sous son nez. Bon, réfléchir devra attendre.
« Hé, le thon ! Hurle Toji. Par ici ! »
Il arrive à peine à le distraire, ou, tout du moins, pas assez bien. Pas quand il a assez de mains pour attraper ses images rémanentes et assez d'yeux pour surveiller chacune de ses cellules. Cependant, il a capturé son attention, ne serait-ce que pour une seconde, et il va en faire le meilleur putain d’usage possible.
Toji s’élance et attrape sa queue de ses mains, et il couine comme un cochon sur une planche de boucherie. Il enfonce ses talons dans le sol, recule les épaules et plie les genoux, comme il l’a toujours appris à Maki.
Il n’en a rien à foutre du nombre de tonnes que fait cette chose. Il le soulève, et le jette .
Il percute une fenêtre qui se brise sur le coup, des éclats de verre traversant l’aube comme une pluie de météorites. Il essaie désespérément de se rattraper en enfonçant ses griffes dans la façade du bâtiment principal alors que des débris s’effondrent sur son visage hideux, de la poussière tombant dans ses yeux. Toji le prend à nouveau par surprise et essaye de lui couper le dos d’une poigne de fer, mais des douzaines de paires d’yeux se fixent sur lui dès qu’il entre en contact, puis il se retourne pour essayer de l’écraser sous son poids gigantesque.
C’est loin de fonctionner. Toji jaillit d’en-dessous de lui et le laisse tomber en un hurlement agonisé. Il se redresse sur sa multitude de pieds et frappe le sol comme un taureau dans une corrida.
Le putain de monstre a des pouvoirs, évidemment, parce que l’univers le déteste.
Il ne sait pas lequel de ses sens le remarque en premier ; le grondement tangible du sol tandis que des débris se soulèvent apparemment tout seuls, l’odeur de poussière fraîchement moulue encombrant ses narines, ou peut-être l’horrible bruit sourd de la pierre contre la pierre.
Toji se retourne, et le regrette immédiatement.
Derrière-lui se tient une armée immortelle avançant comme une horde de zombies, un défilé de mort-vivants pour des créatures qui n’ont jamais été vivantes en premier lieu. Son sort inné a, d’une façon ou d’une autre, inspiré de la vie aux décombres, et des golems sans visages marchent mécaniquement vers lui en un pêle-mêle de matériaux, un bras de verre là, une tête de fer ici. Toji rit presque.
Pour quelqu’un qui se repose uniquement sur le combat physique et qui essaye de minimiser tous les dommages collatéraux, c’est vraiment le pire scénario possible. Il faut qu’il contienne le combat, et qu’il le contienne ici , et c’est sans prendre en compte le monstre terrifiant qui les a créés.
Toji sourit, faisant craquer son dos. J’imagine qu’il est temps de s’y mettre.
Les cadavres de béton déambulent vers lui de toute les directions. Il enfonce son épée dans le sol, comme une ancre, et se balance autour de la poignée, frappant de ses bottes leurs corps sans vie et en éliminant la moitié d’un mouvement fluide. Il pulvérise les gravats en grêle, polluant l’air de nuages gris.
Le reste continue vers lui comme des fourmis ayant hâte de se faire marcher dessus. Toji a toujours été un mec bien, donc il se dépêche de les aider. Il percute de ses poings des rochers et enfonce ses genoux dans du fer forgé. Il récupère l’épée de là où elle fend la terre et la lance à travers trois des créatures d’un coup, qui se désintègrent lorsqu’il retire l’épée de leurs poitrines sans souffle.
Il se jette sur sa prochaine fournée de victimes, mais le fléau attrape sa cheville d’un de ses membres et le jette dans la piscine olympique de l’école, le plongeant profondément dans l’eau glaciale.
Toji sent ton corps vaciller un moment avant de s’élancer du sol de la piscine jusqu’au bord. Ses cheveux dégoulinent de chlore et il enlève son pull trempé, ne laissant que le vieux t-shirt blanc dans lequel il a dormi.
Il se redirige vers le fléau et ses troupes, cassant le sol derrière lui comme de la glace.
Une créature hybride faite principalement de béton avec un panneau de circulation en guise de tête galope vers lui, mais c’est exactement ce dont Toji a besoin. Il arrache sa colonne vertébrale et la fait mouliner autour de lui pour détruire la prochaine vague de cavalerie, et le métal se plaint et se tord dans sa poigne.
C’est un panneau stop. Ha.
Le fléau n’a pas beaucoup bougé, ce qui veut dire qu’il se pourrait qu’il ait besoin d’être proche pour contrôler ses soldats. Il tourne la tête vers le portail du campus, et le métal de la grille se contorsionne pour former un régiment de poupées de fer, qui se jettent vers lui à la vitesse du son.
La vitesse du son est rapide. La vitesse de la lumière l’est plus encore.
Toji saute à la perche avec le panneau pour atterrir sur un tuyau d’évacuation qui crache un liquide vaseux non-identifié sur ses agresseurs en-dessous au moment où ses pieds le touche. Dans la mêlée, il récupère son épée et s’élance vers la déferlante devant lui et lance sa plus grande attaque.
Il doit avoir l’air complètement malade, maniant à la fois une épée maudite et un panneau stop, mais Toji s’en réjouit presque. Il tire un dernier coup de panneau stop avant que le poteau ne se casse, et il le laisse tomber au sol à côté de lui.
Il n’a jamais fait ça auparavant. Ça n’est pas un souvenir, il le sent dans son âme. Il n’a jamais été dans un combat où il devait protéger plus que lui-même.
Et il n’arrive pas à savoir si ça le rend meilleur ou pire combattant. Il se prend des coups qu’il n’aurait pas dû prendre, évite des attaques qu’il aurait dû parer. Il fait beaucoup plus attention à Maki qu’au fléau et son armée ou qu’à lui-même. Des coupures et des bleus entachent son corps comme des éclaboussures de peintures, et le rouge de ses blessures mixé à l’eau de la piscine décore son t-shirt blanc de tâches écarlates délavées.
Mais l’augmentation pure et simple de sa force . Il passe la moité de son temps à couper des bouts de corps à l’épée et l’autre à arracher des membres à mains nues. Il ne peut même pas sentir ses muscles ; ils se dilatent et se contractent sans qu'il leur demande, alors que l’asphalte se transforme en poussière rien qu’à la force de l’air poussé par ses coups de pieds. Ça n’est pas du talent. C’est de l’entraînement. C’est de la détermination, mise à nue jusqu’aux os.
Ce ne sont pas les instincts d’un mercenaire ayant la mission de tuer. Ce sont les instincts d’un père essayant de protéger son enfant.
Il se demande comment elle a été poussée aussi loin, pourquoi elle avait l’impression de devoir partir en mission suicide pour simplement prouver qu’elle mérite de vivre. Toji n’a aucune idée de comment lui dire que c’est déjà le cas. Mais d’abord il faut qu’il en ait la chance .
Il réduit le dernier des guerriers du fléau en ruines. Avec son armée improvisée décimée, le fléau se tord contre les détritus, trébuchant sur ses propres membres alors qu’il essaie de se mettre hors de portée.
« Viens là ! » Tonne Toji, maculant son propre visage de sang comme des peintures de guerre et en léchant le reste de ses doigts massacrés. « Je vais te montrer ce que c’est vraiment, un monstre ! »
La bête hurle d’une plainte des enfers, et Toji renverse la tête et rit.
C’est là qu’il le réalise. Si la plus grande partie de son armure est extérieure, l’intérieur doit être là où il est le plus vulnérable. Il n’est pas sûr que l’intérieur de son estomac compte comme un point faible, mais il se contentera de ce qu’il a.
Le fléau plonge une dernière fois pour Maki. C’est la fin.
Toji prend sa décision avant qu’elle devienne ne serait-ce qu'une pensée cohérente. Alors qu’il s’apprête à l’avaler, Toji la pousse sur le côté, s’élance vers la mâchoire béante du monstre, et se laisse être dévoré à sa place.
Le monde devient noir tandis qu’il est consommé par les entrailles visqueuses du fléau. Il n’est pas très bon stratégiste, mais ça fait partie du plan. Ce n’était pas une mauvaise idée pour le fléau d’avoir un exosquelette impénétrable, mais il avait raison en pensant que ses tripes seraient complètement vulnérables. Il est prêt à parier que ce con n’imaginait pas que quiconque serait assez fou pour être avalé vivant, mais Toji se sentirait presque insulté si quelqu’un le décrivait comme sain d’esprit. Il coupe la chair tendre de ses organes, et sent son corps commencer à s’effondrer.
Ses cris horribles sont encore pires de l’intérieur. Les vibrations pulsent à travers ses veines jusqu’à ce qu’il ait l’impression que son sang bout. De l’acide lui brûle les yeux, et sa langue a un goût de poudre à canon alors que de la fumée commence à remplir la cavité au cœur du fléau. La détermination le traverse d’un grand coup de tonnerre, et avec une dernière violente fente de l’épée de Toji, le fléau sort un dernier hurlement à glacer le sang, puis se dissipe dans l’air du matin.
Il est parti. Le fléau a été exorcisé.
Toji cligne rapidement des yeux tandis que le soleil l’aveugle, mais il n’a pas le temps de souffler. Il n’y a plus qu’une seule chose auquel il pense.
Maki
.
Son corps gît sur les pavés ruinés, du sang séché sous elle comme en une offrande sacrificielle. Toji court rapidement vers elle et la hisse dans ses bras.
« Maki ? » croasse-t-il. De l’eau de ses cheveux coule sur ses joues, et elle ne montre aucun signe qu’elle le sent. « Maki, je suis là. Tu m’entends ? »
Pendant un long et terrifiant moment, Maki ne réponds pas. Le désespoir s’accroche à ce qui reste de son âme sans valeur, priant aux dieux auxquels il ne croit pas que s’il vous plaît, je vous en supplie, laissez-la vivre. Enfin, ses yeux s’ouvrent difficilement, ses paupières lourdes alors qu’elle les ferment pour chasser les débris.
« Toji ? Souffle-t-elle.
- Maki ! Il laisse tomber son front contre le sien, le soulagement le traversant tel un tsunami. Maki. Oh, putain . T’es en vie.
- Toji ! S’étouffe-t-elle, observant frénétiquement sa figure meurtrie et ensanglantée, avant qu’elle ne commence à pleurer. Toji, je suis tellement désolée !
- Désolée ? Hésite-t-il. Pour quoi faire ?
Maki ne réponds pas. Pour une fois, elle n’essaye pas de faire la fière et se laisse simplement pleurer, ses pleurs arrivant sous la forme de petits hoquets humides. Elle s’accroche à sa chemise avec son petit poing, répétant encore et encore pardon, pardon, et Toji lui dit que ça va aller tout autant de fois. Ça prend un peu de temps avant qu’il réalise qu’il pleure aussi, ses larmes tombant en cascades salées qui coupent des traces nettes dans la crasse de son visage.
« Tu t’es blessé à cause de moi, pleurniche-t-elle.
Toji ne sent même pas les lacérations de son corps. Il aurait pu perdre des membres et s’en foutrait toujours.
- C’est pas grave, lui dit-il. C’est pas très profond. Je serais comme neuf avant que tu t’en rendes compte.
Sceptique, Maki fronce les sourcils, inquiète, et renifle. « T’es en colère contre moi ?
- En colère ? Répète Toji. Il essuie les cheveux collés à son visage rendu poisseux par le sang, la sueur et les larmes. Bien sûr que non, je ne suis pas en colère.
Maki tremble.
- Pourquoi ?
- Pourquoi ? » Hésite Toji.
Parce que tu vaux tout pour moi.
Avant ce jour décisif au magasin d’armes, il vivait sa vie comme un drone. Il n’avait aucun idée de quoi que ce soit qui s’approche de sens , et il évitait toute pensée fuyante de son pensée comme la peste. Il se souvient d’à quel point il avait été idiot en pensant qu’il ne voulait jamais se souvenir de sa famille. Maki est ce qui donne du sens à sa vie misérable, et il ne va jamais la laisser filer à nouveau entre ses doigts.
Parce que je ferais tout pour toi.
Il a entendu un vieux proverbe une fois qui disait
‘un héros te donnerait le monde tandis qu’un méchant le ruinerait pour toi’,
mais il croit qu’être parent, c'est la volonté de faire les deux. Il aurait pu mourir sans que Yuki ne soit là pour le sauver et ça n’aurait véritablement eu aucune importance, tant que Maki avait survécu.
Parce que tu es ma fille.
Maki mérite un bien meilleur père que lui, il le sait. Mais il ne peut s’empêcher de désirer que ce soit lui qui la protège, que ce soit lui qui reste à ses côtés, jusqu’à ce qu’elle soit assez vieille pour le devancer et qu’il puisse la regarder grandir pour le reste de sa vie.
Et s’il y a une chose qu’il a appris depuis qu’il a rencontré Maki, c’est qu’il y a une différence entre ne pas vouloir mourir, et vouloir vivre.
Il n’y a qu’une seule façon de le dire. Toji prend une grande inspiration.
« Parce que je t’aime. »
Le souffle de Maki s’arrête. Sa poigne sur sa chemise se resserre.
« Vraiment ? Ses yeux luisent d’un mélange déchirant entre choc et espoir, et plus de larmes coulent en petits ruisseaux sur son visage. Pe… Personne n’a jamais... »
Elle se coupe, et Toji en est presque reconnaissant. Si jamais elle avait fini sa phrase, lui avait déclaré que personne ne lui avait dit l’aimer auparavant, ç’aurait été fini. Toji ne pourrait jamais se pardonner de la laisser derrière-lui.
« Viens avec moi, » souffle Toji, serrant de plus belle ses épaules. Il s’en fiche s’il a l’air de la supplier. C’est le cas. « Je t’en prie. »
Après quelques longues secondes, Maki acquiesce contre lui, et c’est la chose la plus merveilleuse qu’il ait senti de toute sa vie. Elle se blottit contre sa poitrine et il entend son souffle ralentir jusqu’à atteindre un rythme stable, ses petites paumes se pressant contre son cœur battant.
Ça prend un moment, mais elle finit par se calmer ; et, éventuellement, s’endort dans ses bras. Alors Toji la hisse, franchit ce qu’il reste du portail de fer, et la ramène à la maison.
‘ Rapport : archives du Clan Zen’in, dossier n°20163. Objet : Fléau situé au Lycée Privé Nishimiya. Mise à jour des informations, addendum 3.
Le fléau a été retrouvé, déjà exorcisé, à 9h16 du matin. Les résidus examinés ont déterminé que la précédente assignation à la classe 1 était erronée. Le rapport médico-légal a conclu que le fléau était indéniablement une classe spéciale. Les seuls résidus d’énergie maudite additionnels appartenaient à Maki Zen’in. Cependant, il y avait deux séries d’empreintes de pieds distinctes, l’une appartenant à Maki Zen’in et l’autre à un individu non-identifié, très probablement un homme. Aucune information supplémentaire à propos de cette personne mystérieuse ne fût obtenue. Différentes théories parlent des effets d’un sort inné inconnu de la classe spéciale, ou d’un exorciste ayant la capacité de masquer la signature de leur énergie maudite. Aucun développement ultérieur n’est prévu.
Dossier clos.’
Naoya serre le rapport jusqu’à ce que ses mains en tremblent, le papier se froissant au point de ne plus être reconnaissable sous ses doigts fumants.
« C’est impossible, dit-il à son mur. C’est impossible. Toji Zen’in est mort. »
Ça n’est même pas venu à l’esprit des chefs du Clan lors de leur débriefing, mais Naoya ne trouve aucune autre explication. Il n’est pas possible que Maki ait pu exorciser seule une classe spéciale, et il n’y a qu’une personne dans l’histoire du monde qui aurait pu l’aider sans laisser de trace. Naoya ne croit pas aux fantômes, et les fantômes ne laissent pas d’empreintes de semelles. Maki était beaucoup trop suspecte récemment, et désormais il sait enfin pourquoi. En parler à son père serait complètement sans intérêt. Ça , il va le garder pour lui.
Il laisse tomber à ses pieds le bout de papier mutilé, piétinant honteusement ses mots stupides alors qu’il pousse la porte.
Si tu es là, Toji Zen’in…
… Je me permettrais tout pour te retrouver.
Notes:
Note de MissingN000 :
hey, merci d’avoir lu ! en terme de puissance, je dirais que ce fléau était autour du niveau de dagon ; ce qui sous des circonstances normales dans le canon, toji n’aurait pas trop de mal avec, mais c’est avec une parfaite connaissance des fléaux et de comment les combattre, des outils maudits puissants et pas d’enfant à protéger. ça va sans dire que naoya serait 100 % mort. une opportunité ratée **
sans mentir, je me suis complètement fait.e chialer en écrivant cette dernière scène entre toji et maki. merci encore ! les commentaires et kudos refont toujours ma journée !
Note du traducteur :
Désolé pour le délai, je suis tombé malade, puis la scène de combat ne voulait pas être traduite, puis mes profs ont été vicieux, etc... J'essayerais de sortir le reste à l'heure !
Chapter 5: un foyer est un lieu et une personne
Notes:
yo ! une note rapide avant de commencer : vu que tout ce qui a été retrouvé sur le lieu du combat était les résidus de l’énergie de maki, un peu de son sang, et pas de corps, le clan zen’in croit bien qu’elle est morte, ayant connu le même sort que les autres enfants qui ont finis comme des proies du fléau. évidemment, naoya sait/se doute fortement que ce n’est pas le cas, mais il va pas leur dire ça, mdr. bref, vu qu’internet est ce que c’est, je ressens le besoin de préciser que l’obsession pour toji de naoya n’est absolument pas romantique. c’est purement à cause de sa puissance, et du fait que naoya aurait aimer interagir plus avec lui et (comme dans le canon!) voulait devenir assez fort pour se tenir à ses côtés.
bonne lecture !
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Surprenamment, Maki préfère rester au Japon.
Et pas juste au Japon. À Tokyo, même. Toji était un peu inquiet, mais Yuki lui a assuré qu’elle les garderait tous les deux hors des radars du Clan Zen’in ; après tout, elle avait bien fait la même chose pour lui pendant ces deux dernières années. Toji ne pouvait pas vraiment protester contre ça, et il n’allait pas empêcher Maki d’avoir ce qu’elle voulait. Surtout après tout ce qu’elle avait traversé.
Ils cherchent ensemble un logement le jour d’après l’incident avec la classe spéciale, et Maki tombe amoureuse du premier appartement qu’ils visitent. C’est la deuxième-suite-à-partir-du-coin au troisième étage d’un immeuble de taille moyenne. De larges fenêtres s’étalent en laissant entrer une lumière naturelle sur le parquet poli, reflétant le carrelage en marbre foncé de la cuisine jusqu’à ce que sa surface ait presque l’air liquide. Ce qu’ils vendaient comme une troisième chambre a été convertie en bureau par les locataires précédents, mais Toji est certain que Maki et lui vont la réutiliser pour s’entraîner. Il peut le voir dans ses yeux, la façon dont elle dessine déjà une empreinte mentale d’où elle installera les miroirs et le placard à armes, peut-être un punching-bag ou deux, tant qu’on y est.
C’est juste à gauche de la frontière entre les préfectures de Tokyo et Saitama, assez près du fleuve Ara. C’est pas vraiment la ville et pas vraiment la périphérie, assez animé pour que le quartier soit vivant mais assez silencieux pour s’y sentir en sécurité. Il y a un marché pittoresque à quelques portes de là, ainsi que quelques cafés et autres petites boutiques. Un arrêt de bus se trouve au bout de leur pâté de maison et une gare est juste un peu plus loin. Les routes sont propres et bien entretenues, parfaites pour faire du vélo. Un pont coupe la rivière à à peine un-demi kilomètre de distance.
Bien que l’endroit lui-même soit sympa, Toji est sûr que sa fille a été convaincue par la vue. La silhouette complexe de l’horizon métropolitain Tokyoïte est gravée à l’extrême limite de leur champ de vision, juste avant que le paysage urbain plonge sous la courbe terrestre. Ils font la visite en début de soirée, alors que le soleil a commencé à fondre dans la rivière et que sa lumière s’infiltre dans les vagues douces, teintant l’eau cobalt d’un mélange or-émeraude magnifique. Des feuillages denses décorent les rives des trottoirs en une palette de verts vibrants et des couleurs de la vie. La faune sauvage dans sa version urbaine, d’un couple de canards mandarins, un train d’écureuils à quelques cygnes, semblent avoir élu domicile dans la région environnante. Les yeux de Maki observent, émerveillés et captivés, alors que les deux oiseaux blancs majestueux passent devant leur fenêtre, et Toji sait qu’il l’a perdue.
Il n’y a pas moyen qu’il puisse se le payer, mais Maki lui lance un seul regard suppliant et c’en est fini pour lui. Il signe le bail avant que l’agent immobilier puisse finir son discours de vente. Il se débrouillera. Il y arrive toujours.
Son œil tressaille en signant. C’est bizarre pour lui d’utiliser à nouveau son faux nom, et son nom de substitution est encore pire. Ils ne peuvent pas prendre Zen’in ; pas quand le Clan les pensent tout deux morts. Pour l’instant, ils utilisent celui de Yuki. C’aurait été impossible de passer la vérification des antécédents pour où que ce soit de décent sans aucun lien à une vraie personne non-fictionnelle.
C’est du faire-semblant, mais un mec qui prend le nom de famille de sa femme ? Ça serait quelque chose.
Déménager prend un grand maximum d’environ quinze minutes. Maki ne pouvait pas retourner au domaine familial Zen’in pour prendre ses affaires – pas qu’elle en avait même envie. Toji avait à peu près deux valises de trucs qu’il voulait garder, dont une remplie d’armes. L’agent immobilier lance un regard aux formes étrangement irrégulières à peine cachées par le mince tissu noir, mais a finalement l’air d’avoir décidé de ne pas y prêter attention. Il a l’air d’en avoir plus à faire de conclure sa vente qu’aux personnes à qui il loue.
Heureusement, l’appartement est déjà presque totalement meublé. Toji remercie quiconque est là-haut pour ça, étant donné que ses poches saignent déjà leur argent. Son compte en banque a besoin d’un voyage aux urgences, et tout de suite. On dirait que son portefeuille ne va pas s’en sortir.
Une fois l’agent parti, Toji et Maki s’écroulent sur le canapé ivoire, parfaitement synchronisés, des coussins étonnamment mous arrêtant leur chute.
« Bienvenue à la maison, gamine, soupire Toji en souriant.
- Ouais, répond doucement Maki. La maison. »
Ils déterrent l’un des films que Toji lui a acheté pour son anniversaire – Maki a insisté pour qu’il les garde, merci à elle – et il rentre dans le lecteur de DVD. Ils tiennent une demi-heure avant que Maki s’endorme sur son épaule. Il l’enveloppe dans la couverture jetable qui venait avec le canapé et la borde dans son nouveau lit, ajoutant mentalement ‘couvertures et coussins’ à sa liste de chose à acheter déjà effroyablement longue.
Il se glisse dans sa propre chambre peu après et bascule sur son matelas ; celui-ci ne couine pas comme son ancien, et l’odeur musquée d’alcool est partie. Ses anciens oreillers n’ont pas atteint la liste ‘à garder’, alors fait une boule de son sweat préféré et enfonce sa tête dedans à la place.
Il n’est pas sûr de quand il s’endort, mais ça ne dure pas longtemps. Vers minuit, alors que les rangées de lampadaires se sont éteintes et qu’un silence de plomb est tombé sur le quartier, un bruissement dans l’embrasure de la porte arrache le sommeil des yeux de Toji. Il cligne des paupières, sa vision toujours floue, et il s’apprête à se redresser – jusqu’à ce que quelque chose se blottisse au pied de son lit.
Est-ce que c’est… ?
Toji entend le bruissement d’une couverture tandis que Maki se borde par terre. Son corps est complètement paralysé alors qu’il se creuse la tête en se demandant quoi faire. Il sait toujours à peine comment être parent, mais il en sait assez pour réaliser que si Maki le voulait réveillé pour une raison ou une autre, alors elle l’aurait probablement réveillé.
…probablement.
Qu’est-ce qu’elle fout-là ? Certes, c’est un endroit sympa, mais le sol doit pas être si confortable que ça. Toji est peut-être un peu stupide, mais même lui n’est pas assez con pour ne pas savoir que la seule raison pour laquelle elle viendrait ici est qu’elle souhaite rester près de lui.
Une partie de lui-même que reconnaître retourne son estomac lui murmure que, si ça se trouve, Maki est là parce qu’elle n’est enfin plus seule.
Tout de même, se lever serait un risque qu’il ne peut se permettre. Il ne va pas lui faire peur moins de douze heures après leur arrivée.
Puis Maki renifle, et tout tombe à l’eau.
Toji se redresse lentement pour éviter de la surprendre ; mais il fait noir, et au moment où elle voit une ombre ondulant depuis le coin de la pièce, ses yeux s’éclaircissent comme ceux d’une biche prise dans les phares d’un camion.
« Toji ! Dit-elle. Elle a l’air ébranlée, ou peut-être gênée. Je t’ai réveillé ? »
Toji lui répond d’un sourire endormi. « Nan, t’inquiète. » Il la hisse depuis le sol et tire la couverture sur ses épaules, et ses sourcils se froncent d’inquiétude. Il se rend vers le canapé et les assois tous les deux, remettant en marche le vieux film mais baissant le son au niveau le plus bas pour servir de bruit de fond.
Puis Maki se blottit à côté de lui, et il ne peut empêcher un sourire de s’étaler sur son visage en voyant ça. Ça lui va parfaitement, d’être un oreiller jusqu’à ce qu’il ait l’occasion d’en acheter des vrais.
Il se réveille bien avant Maki. Il est toujours horriblement tôt, mais Toji le sait grâce aux oiseaux délicats qui gazouillent sous le soleil levant, pas à cause du bruit du trafic matinal et des nuages de pollution s’infiltrant dans sa chambre par sa fenêtre réparée au scotch. Ouais, il va lui falloir du temps pour s’habituer à ce nouvel appart’, mais il a presque hâte.
Il se dirige vers le marché pour visiter l’endroit. Tout le monde y a l’air soigné et vif malgré le fait qu’il est – il jette un coup d’œil à l’horloge murale. Putain, sept heures et demi ?! Toji a conscience du fait qu’il doit faire tâche, avec ses cheveux en bataille et son vieux t-shirt qui est bien trop serré pour lui. Tout de même, quelques femmes essayant très fort de faire semblant qu’elles ne sont pas en train de le mater, et ça fait sourire Toji. Ha. Il se débrouille toujours.
Il achète quelques ingrédients – du lait, des œufs, des céréales – il doit bien nourrir son gosse avec quelque chose, même s’il sait à peine cuisiner. Peu importe, il improvisera. Ça peut pas être si dur que ça, de toute façon, si ?
…faux. Les anciens locataires ont laissé quelques ustensiles derrière eux, donc Toji les sort pour faire des œufs à Maki. Quelques minutes plus tard, ils sont réduits en une substance noire calcinée qui devrait probablement être exorcisée. Génial, le petit-déjeuner commence bien.
Toji pense qu’il doit y avoir une catégorie très restreinte d’êtres humains qui peuvent vaincre une classe spéciale mais ne peuvent pas cuire un œuf, et il en fait définitivement partie. Pour une quelconque raison inexplicable, il a l’étrange impression qu’il n’y a qu’un seul autre homme dans cette catégorie avec lui, mais il ne saurait pas dire qui.
Bordel, il prie juste pour que ça ne déclenche pas l’alarme incendie. Au moins, cet appart’ en a vraiment une. Toji est à peu près sûr que le détecteur de fumée de son ancien appart’ n’était qu’une feuille de papier scotchée au plafond.
Maki entre dans la cuisine en traînant des pieds, frottant ses yeux pour en chasser le sommeil. « Qu’est-ce qui est en train de cramer ici ?
- Euh, commence Toji. Il jette un œil à la substance désintégrée qui est probablement désormais collée pour l’éternité au fond de la poêle. Des œufs ? »
Maki rit et secoue la tête. « Pourquoi t’es comme ça ? »
Toji aboie d’un rire court. Petite furie. « Bonjour à toi aussi, rit-il. Désolé si t’as mal dormi. Je vais acheter des draps et d’autres trucs pour l’appart’ aujourd’hui. »
En guise de réponse, Maki cligne des yeux. « Je peux venir ? »
C’est presque douloureux qu’elle ait le sentiment d’avoir besoin de demander. Il lui ébouriffe les cheveux, et elle n’a l’air qu’un peu agacée. « Bien sûr. Ça sera marrant, je te jure. »
...il se pourrait qu’il ait aussi besoin d’un peu d’aide. L’étiquette de la couverture proclamait ‘1000 fils au pouce’, et ouais, Toji n’a aucune idée de ce que ça veut dire. Il doit y avoir plus de 1000 fils, non ? C’est une couverture, entière.
La cause de ce talent est déchirante, mais Maki est incroyablement douée pour faire les courses. Après avoir pris le bus pour une grande surface proche, Maki se faufile entre les rayons comme une fille ayant une mission, cochant des achats de sa liste de courses un par un. Bientôt, leur caddie déborde de produits de première nécessité, des oreillers aux couvertures en passant par les couverts. Maki ne regarde même pas les prix ; probablement par la force de l’habitude, avec les piles d’argent du Clan Zen’in. Toji n’a pas la force de lui dire de ralentir. Son compte en banque est déjà si loin dans le rouge qu’on dirait qu’il l’a massacré. Avec toutes leurs dépenses du jour, la comparaison n’est pas si éloignée de la réalité.
Tout de même, c’est à peu près (à peu près) facile à ignorer lorsqu’il voit à quel point elle s’amuse. Ils n’ont jamais passé une journée entière ensemble jusqu’à présent.
« Qu’est-ce que tu fais de tes journées, d’habitude ? Demande-t-elle, comme si elle lisait dans ses pensées. Flippant.
- Oh, tu sais, bégaie Toji, et merde, il peut vraiment rien lui dire là-dessus. Des trucs. De, euh, variété productive. Ouais. »
Maki est habituée à ce que certaines de ses réponses soient bizarrement vagues et inarticulée, alors elle rebondit comme d’habitude. « D’accord. »
Maki dort bien dans son propre lit cette nuit-là, et putain tant mieux. Pas que Toji était dérangé par l’idée de faire un câlin à sa fille sur le canapé, mais désormais il faut qu’il gagne de l’argent, et il ne peut plus s’offrir le luxe de prendre des jobs de jour. Il rentre à leur appartement vers environ 6 heures du matin ayant l’air et l’impression d’être la faucheuse, et il a à peine le temps de se doucher et de s’habiller avant que Maki se lève à nouveau.
Quelques jours relativement tranquilles s’écoulent – ce qui est sympa, vu comment leur vies jusqu’à présent ont été malheureusement mouvementées. Ils passent du temps à jouer à quelques uns de leurs vieux jeux et à explorer le quartier, et Toji la surprend à jeter des coups d’œil vers quelques gosses de son âge qui courent dans un parc proche. Il lui suggère qu’elle devrait aller jouer avec eux, mais elle secoue sa tête presque violemment, et la conversation est finie. Peut-être qu’elle est timide ou quelque chose comme ça ? Il ne pense pas qu’elle ait jamais eu l’occasion de se faire des amis normaux. Ou des amis tout court.
Putain. Sérieusement, le Clan Zen’in peut aller se faire foutre.
Il s’en fout si le fléau est celui à l’avoir exécuté ; pour lui, c’est eux qui l’ont poussée à l’article de la mort. Qu’est-ce qu’elle est censée faire si jamais elle a à nouveau des ennuis et que Toji ne peut pas la trouver à temps pour l’aider ? L’objet maudit qu’elle avait amené était clairement inutile, et même son épée de classe 2 a eu besoin d’un véritable exploit en terme de folie pour être efficace. Il lui faut de nouvelles armes, bien sûr, mais ses besoins à lui sont secondaires. Maki a besoin d’une arme qui, si le pire devait arriver, sera assez puissante pour faire la plupart du travail pour elle.
Alors quand Maki s’endort enfin cette nuit-là, Toji prend le train de nuit pour son ancien quartier. Il se glisse dans le vieux magasin d’armes, le même dans lequel ils s’étaient enfin retrouvés, et jette un œil à la marchandise.
C’est toujours à peu près la même chose. Rien qu’une sélection standard d’épées et de poignards, avec quelques arbalètes ou lances ou autres types d’armes quelque peu non-conventionnelle de temps en temps. N’importe quel type d’arme à feu est hors de question, parce que les balles peuvent manquer. Toji commence à vraiment sécher quand il lui attire l’œil.
L’arme était là à chaque fois qu’il est venu ici, mais il n’y a jamais prêté attention, principalement parce qu’elle est verrouillée dans un coffret fixé juste au-dessus de là où le vendeur est assis, ce qui veut dire qu’elle doit être si horriblement chère qu’elle en devient presque une décoration.
C’est un katana, mais un katana comme aucun autre. La lame est presque entièrement transparente, visible uniquement grâce à la façon dont elle coupe la lumière essayant de la frapper, la découpant en un kaléidoscope de couleurs autour de ses contours sous forme de prismes brisés. Une poignée d’un profond rouge rubis émerge de derrière une enveloppe d’un cordon blanc comme neige, tissé de fils d’argents qui scintillent en fonction de la direction dans laquelle il regarde. La garde et le collet de la lame sont d’un platine sombre, gravés de designs serpentins qui glissent sur la lame comme si prêts à frapper. Le fourreau qui l’accompagne est fait d’ivoire pure, gravé d’une sorte de léviathan aux brillants yeux écarlates.
C’est magnifique. C’est parfait. Maki doit l’avoir.
Toji s’approche du vendeur et la pointe d’un doigt paresseux. « Combien ?
Le vendeur rit.
- Plus que ce que tu peux te permettre.
- Ferme ta gueule. Combien ?
- Comment je te dis combien si je ferme ma gueule ?
Connard. Toji lui envoie un regard noir.
- Hé, me fais pas chier. Tu vas le regretter, dit-il, à moitié convaincu. Réponds à ma putain de question.
Le mec lui lance un regard présomptueux.
- Cinquante millions de yens.
Et puis merde.
- Donne-moi une semaine, déclare Toji. Mets ce truc en attente pour moi.
Comme si c’était nécessaire.
- Tout pour mon meilleur client, lance le vendeur, sarcastique, mais Toji le rebute d’un signe de la main.
- Tu verras. »
Toji fait pas mal de choses dont il n’est pas fier, la semaine d’après. Il savait déjà qu’il allait en enfer auparavant, mais désormais il est en absolument certain. Toutes les nuits, il attends que Maki s’endorme vite avant de sortir en cachette de leur appartement pour faire un travail qu’il ne regrette pas une seconde. Il rentre toujours juste avant l’aube, alors que le soleil n’est même pas encore une pensée du ciel, rien qu’une idée faible et brumeuse bordée sous la métropole de Tokyo. La salle de bain s’embrume de buée tandis que sa douche brûlante coule rose quand il lave le sang et les tripes.
Il lui faut vraiment un putain de nouvel emploi.
À la fin du septième jour, Toji se rend à nouveau au magasin d’armes. Il abat la pile massive d’argent sur le comptoir en un bruit assourdissant, appréciant la façon dont les yeux du vendeur sortent de ses orbites et dont son visage pâlit comme un os. Toji se hisse sur le comptoir, casse la vitrine du katana à mains nues, arrache l’arme de son espace de rangement et la met au fourreau, puis part du magasin sans prononcer une seule parole.
Toji la balance sur sa table de chevet et la regarde une fois qu’il rentre chez eux. Ça n’est pas correct de dire que ce n’est qu’un sabre – mais sans énergie maudite, ça n’est techniquement qu’un sabre normal, si ce putain de truc ridicule peut même être qualifié comme ça. Il est certain qu’il doit y avoir un moyen spécial pour qu’une arme se transforme d’amas sans vie de matériaux en une qui suinte l’énergie maudite, mais il n’a aucune idée duquel. Il connaît bien, en revanche, quelqu’un qui doit avoir la réponse.
Yuki est à sa porte à peu près deux heures plus tard. Ils vivent bien plus près l’un de l’autre désormais, en fait, mais ça lui a pris pas mal de temps de répondre à son message. Elle porte une courte robe de soirée noire qui épouse sa silhouette comme une deuxième peau et il y a des paillettes dans ses cheveux qui scintillent quand les lumières chaudes de sa porte d’entrée rebondissent dessus, et avec ses talons-aiguilles rouges cerise, elle est encore plus grande que lui.
Toji déglutit, ses yeux dérivant pour examiner chaque pli du tissu de sa robe ne l’aidant pas. Concentre-toi.
« Sympa, l’appart’, dit-elle en s’appuyant langoureusement sur la balustrade du couloir extérieur. Maki l’aime bien ?
- Ouais, c’est une obsession, répond-il. Je l’ai surprise en train d’observer pendant des heures des canards qui vivent à côté. Je crois qu’elle aime bien regarder les petits bateaux qui flottent sur la rivière aussi. »
Même dans le noir, la vue est impressionnante. Yuki jette ses cheveux par-dessus son épaule pour jeter un coup d’oeil rapide avant de se retourner vers lui. « C’est adorable, rit-elle. Donc tu m’as dit que t’avais quelque chose que tu voulais que je vois ?
- Euh… Ouais. » Il passe une main à l’intérieur et prend le sabre de la table de l’entrée et lui tend.
La mâchoire de Yuki se décroche. « Hé, hé, expire-t-elle. Bordel, comment t’as fait pour te payer ce truc ? »
En levant un sourcil, « Ne pose pas de questions quand tu ne veux pas connaître la réponse. »
Yuki se contente de rire et de secouer la tête, lui répondant d’un coup de pied au tibia avec une de ses chaussures chics. « C’est censé être pour Maki ?
Toji soupire.
- Merde, je suis un père horrible, non ?
- Oh, définitivement, rit Yuki. Elle va adorer. C’est parfait.
- Tu penses ? Répond-il.
Yuki acquiesce.
- J’imagine que tu m’as demandé de venir parce que tu veux savoir si tu peux en faire une arme occulte, non ? Devine-t-elle, et mince, elle est vraiment trop intelligente. Toji n’a jamais été le couteau le plus aiguisé du tiroir, mais il a l’impression d’être de la dînette plastique en comparaison. Honnêtement, c’est la base parfaite pour. Une des meilleures que j’ai vues, peut-être toujours. Je peux définitivement faire quelque chose de spécial avec ça.
Bon, c’est prometteur.
- Comment ?
Yuki secoue la main en rejet.
- T’inquiète.
- Je m’inquiétais pas, mais du coup là ça commence.
- Hé, fais moi confiance, rit-elle. On est amis, pas vrai ? »
Pfft. Toji souffle du nez. « Bien sûr, chérie. »
Ça fait rire Yuki, et ils discutent encore un peu avant qu’elle s’en aille. Toji se couche en se sentant un peu moins mal à propos de lui-même et s’endort avant même que sa tête n’atteigne son oreiller.
Toji passe les quelques jours suivants à détruire le vieux bureau avec Maki et à le transformer en salle d’entraînement. Ils se rendent à un magasin de bricolage local pour acheter des carreaux miroirs qu’ils collent pour couvrir l’entièreté du mur de derrière, et un magasin de sports à un quartier d’ici a des tapis parfaits. Toji offre de lui acheter un punching bag, et elle remarque qu’elle pourrait juste l’utiliser lui comme cible à la place, et ça les fait tous les deux rire. La caissière les regarde bizarrement, mais tant pis. Toji y est plus ou moins habitué à ce stade.
Il s’écoule pratiquement une semaine avant que Yuki le contacte enfin à nouveau. Elle passe en fin d’après-midi, alors que Maki s’est un peu fatiguée à force de courir après la famille de canards qui vit près de la rivière. Elle avait vraiment fait de son mieux pour faire un câlin aux petits canetons, alors Toji en avait très délicatement pris un pour qu’elle puisse le tenir. La photo qu’il a pris de cet évènement avec l’appareil photo merdique de son téléphone est désormais son fond d’écran.
Yuki a l’air… étrangement fatiguée. Ses cheveux dorés éclatants sont un peu plus ternes que d’habitude, et son fond de teint semble faire des heures supplémentaires pour couvrir les cernes sous ses yeux. Il la rejoint dans son entrée et s’appuie sur son encadrement de porte.
« Hey, beauté. T’as mal dormi ou quoi ?
- Oh, ta gueule, chéri. Vu ta tête, ça fait un an que tu ne dors plus. »
Ça les fait tout deux rire. Ils échangent encore quelques chamailleries avant que Yuki ne baille. « T’es encore sortie tard ? Lui demande-t-il.
Elle lui lance un regard moitié sourire moitié moue.
- Nope, pas cette fois. Elle ouvre son sac et lui tend le katana, soigneusement rangé dans son fourreau. J’t’avais dit de me faire confiance. »
Toji tend la main pour le recevoir, et dès que le bout de ses doigts s’enroule autour de la poignée, de l’énergie maudite inonde ses veines comme une mousson d’été, secouant son corps en crépitements électriques comme si sa peau était un paratonnerre. C’est indéniable. C’est une arme de classe spéciale.
Woah. Toji souffle à travers ses dents. « Merde, » est tout ce qu’il arrive à dire. Génial, super intelligent.
Yuki rit, le souffle coupé. « T’as vu ? Acquiesce-t-elle. Le résultat est parfait, je trouve. Ce putain de truc m’a pris beaucoup plus d’efforts que ce que je pensais.
- Quoi, t’y a mis ta propre énergie ou quoi ? Blague-t-il.
Sauf que Yuki se contente de le fixer, blasée. Oh. Oh, wow. Wow, elle l’a vraiment fait.
- C’est… Toji déglutit. Wow, merci. T’as vraiment fait tout ça juste pour mon gosse ?
Les traits de Yuki s’adoucissent en un sourire chaleureux, ses yeux se plissant aux coins alors qu’elle le frappe d’une pichenette amicale à l’épaule.
- Je l’ai pas fait que pour ton gosse. »
Quoi ? Toji a toujours été talentueux pour parler aux femmes, mais il s’aperçoit que sa langue est nouée, ses mots trébuchant les uns sur les autres comme des bouffons sur une corde raide. « Euh- hum. Ah, okay. Cool. Cool, c’était cool de ta part. Ben, merci.
Yuki penche la tête en arrière et ricane.
- Wow, mon cœur vient de s’arrêter. Tu sais vraiment comment leur parler, le tombeur. »
Ouais, Toji ne peut pas rebondir là-dessus. « Hé, ferme la. Tu m’as pris par surprise, c’est tout. »
Il se baffe intérieurement. Yuki n’essaye même pas de se retenir de rire à nouveau.
« Toji ? La voix de Maki l’appelle depuis l’intérieur, et tous les deux se paralysent instantanément. Il y a quelqu’un dehors ? »
Les yeux de Yuki s’écarquillent et elle le regarde avec appréhension. Yoji lui lance un sourire penaud. « Tu veux rencontrer mon gosse ? »
Son visage rougit et elle acquiesce avec ferveur. Toji s’écarte et la pousse à franchir l’entrée.
Maki cligne des yeux en la voyant. « T’es qui ? » Demande-t-elle sans détour.
« Hey, tout aussi ravie de te rencontrer, Yuki gazouille avec un signe de la main amical. Yuki Tsukumo, exorciste de classe spéciale, à ton service. »
Le déclic prend un moment, mais quand il arrive, les yeux de Maki brillent d’un émerveillement qu’elle n’essaye même pas de réprimer ; elle fixe Yuki comme si elle avait rencontré la petite souris, comme si elle avait découvert que quelque chose dont elle n’avait entendu parler que dans des contes de fées toute sa vie était réel et se tenait devant elle. Elle avance d’un pas hésitant, alors Yuki s’agenouille pour la rejoindre.
« Tu es exorciste de classe spéciale ? Répète Maki, incrédule. Même si t’es une femme ? »
Inquiète, Yuki lance un coup d’œil à Toji par-dessus son épaule. ‘Tain, il aurait dû la prévenir que Maki peut dire des trucs dérangeants comme ça sans aucun contexte. « Il y a un problème avec ça ? Yuki dit timidement.
- Les femmes de ma famille ne sont pas autorisées à être des exorcistes, explique Maki. Mon cousin a déclaré qu’une femme qui ne pourrait pas marcher trois pas derrière un homme devrait être poignardée dans le dos et en mourir.
Yuki fronce les sourcils.
- Ouais, bah il va jamais s’envoyer en l’air, genre, de toute sa vie.
- S’envoyer en l’air ?
- Yuki ! Aboie Toji. »
Yuki éclate de rire et le rassure d’un signe de la main. « Ton cousin ne sait pas de quoi il parle, continue-t-elle, ignorant son précédent commentaire. Dieu merci, Toji n’est absolument pas près à avoir cette discussion là avec Maki, pour l’instant. Bien sûr que les femmes peuvent être exorcistes ! La seule différence entre les hommes et les femmes c’est les trucs superficiels et extérieurs. À l’intérieur, les âmes de tous sont pareilles, et c’est à toi de décider ce que tu veux en faire, peu importe ton genre. La seule personne qui décide de tes limites, c’est toi. Si quelqu’un d’autre ose essayer de t’imposer ses propres chaînes, contente-toi de le frapper en pleine figure et de briser ses chaînes à la place. »
Maki a l’air complètement stupéfaite. C’est incroyablement mignon.
Puis Yuki ébouriffe ses cheveux comme Toji le fait toujours, et Maki n’essaye même pas de l’en empêcher. Hé, pas juste.
« D’accord, dit enfin Maki. Hum... comment tu connais Toji ? »
Yuki rit alors qu’elle se relève, puis elle frappe Toji dans le dos, un peu plus fort que ce dont elle a probablement besoin, et il lâche un ‘oof !’ étouffé. « Il t’en a jamais parlé ? C’est moi qui ait soigné ce mec après qu’il se soit fait mal y’a un bail ! »
Si les yeux de Maki scintillaient avant, ils se sont désormais transformés en une putain de galaxie. « Oh, » murmure Maki, puis encore plus bas, elle ajoute, « Merci de l’avoir sauvé. »
Yuki et lui échangent un regard, et elle plaque sa main sur son cœur. Toji se racle la gorge pour éviter d’avoir la voix rauque. Ça ne marche pas si bien que ça.
Yuki ouvre la bouche pour continuer avant que quelque chose ne sonne dans sa poche. Elle jette un coup d’œil à son portable et ses lèvres se tordent en une grimace. « Mer- euh, mince, il faut que j’y aille, » annonce-t-elle. C’est presque drôle qu’elle se soit auto-censurée avant que le juron soit fini. Si elle avait conscience de toute la merde qu’il sort quotidiennement.
La voix de Maki se coince dans sa gorge. « Euh… Est-ce que tu peux revenir un de ces jours ? »
Les yeux pleins d’espoir, Yuki lance un regard à Toji comme pour lui demander la permission, et Toji hausse les épaules. « Bien sûr qu’elle peut.
- Cool, dit Maki. À plus tard.
- À plus, Maki, » dit Yuki chaleureusement. Elle la salue de sa main une dernière fois et Toji la raccompagne, fermant doucement la porte derrière eux. Yuki se retourne.
« Oh mon Dieu, elle est trop mignonne. »
La bouche de Toji s’étire en un sourire fier. « T’as vu ? »
En souriant, Yuki agite un doigt. « Tu sais, je parie qu’elle a besoin d’un modèle de force féminin.
- Ouais, probablement, » Toji acquiesce, puis taquine : « T’en connais un ? »
Joueuse, Yuki le frappe au bras. « Connard.
- Sale folle.
‘Tain, quand est-ce que leurs visages se sont-ils autant rapprochés ? Toji détourne sa tête avant que ses joues ne chauffent comme celles d’une adolescente troublée. Il se racle la gorge beaucoup plus fort que probablement nécessaire.
Enfin, Yuki a peut-être raison. Maki a vécu toute sa vie en se voyant dire qu’elle n’était pas digne de devenir exorciste à cause de son énergie maudite limitée et à cause de son genre. Toji peut couvrir un des deux, mais il se pourrait qu’il ait besoin d’aide avec l’autre.
« Bon, elle a l’air de bien t’aimer, lui dit-il, comme si ça n’était pas la chose la plus évidente sur Terre. D’ailleurs, le katana. Tu vas lui donner un nom ou un truc du genre ?
Yuki penche la tête.
- Un nom ?
- Ouais, un nom. Toutes les armes comme ça n’ont pas de noms spéciaux ? Tu sais, des trucs bizarres et mystiques qui n’ont pratiquement pas de sens ? »
Elle répond d’un rictus. « Peut-être. Tu penses que c’est quoi, toi, son nom ? »
En réfléchissant, Toji se frotte le menton. Avec cette lame particulièrement claire et ce teint charbonneux parsemé de tâches rouges, ça doit être quelque chose de vraiment mystérieux. « Euh… fantôme quelque chose. Couteau fantôme. Arme… fantôme ? Protecteur fantomatique !
- Toji, ça c’est le nom du film qu’on a regardé au ciné après s’être bourrés la gueule à trois heures du mat’ y’a six mois.
Vraiment ? Wow, il ne s’en souvient absolument pas. « Euh, je sais. J’essayais juste de voir si tu t’en souvenais.
Elle se contente de rire et secoue la tête.
- Désolée, beau gosse. Tu vas devoir trouver tout seul, cette fois. »
Ouais, Protecteur fantomatique, c’est un peu nul.
Il trouvera mieux plus tard.
Yuki rentre après ça et Toji retourne à l’intérieur. Quand il pose enfin les yeux sur Maki, elle tient Protecteur fantomatique (?) dans ses mains, l’observant avec un mélange de curiosité et vénération. « Hé, c’est quoi ça ? Demande-t-elle.
- Euh… un cadeau, répond-il. Maki le dégaine et ses yeux sortent de ses orbites.
- C’est une arme de classe spéciale, déclare-t-elle . Ça n’est même pas une question.
- Yep. Il marche vers elle. Tu l’aimes bien ? »
Maki acquiesce sans détourner les yeux de sa lame claire comme du cristal, regardant admirative alors qu’elle découpe l’air lui-même en petits morceaux. « Oui, souffle-t-elle enfin. Merci, Toji. »
Rien que pour ça, toutes les atrocités qu’il a commis pour pouvoir acheter ce putain de truc valaient largement la peine. « Ouais, pas de problème. » Il ramasse le fourreau et range l’arme dedans. « Garde le dans ta chambre, okay ?
- Okay. » Elle le lui prend des mains et se dirige vers sa chambre. Toji se verse un verre de vin pour se remettre de sa journée, et Maki ré-émerge quelques secondes après qu’il l’entende déposer le sabre sur sa table de nuit. « Hum… Yuki est plutôt cool.
- Ouais, j’imagine, répond-il en souriant.
Innocemment, Maki cligne des yeux.
- C’est ta petite amie ?
Toji s’étouffe en buvant.
- N-non, bégaie-t-il. Euh, non. Non, pas du tout.
- Ah, d’accord, répond Maki, ayant alors l’air un peu déçue en entendant ces mots. Toji jette un dernier coup d’œil à son verre, puis décide de commencer à boire directement à la bouteille.
Quelques jours plus tard, Toji lave le linge pour la première fois. Il refuse de laisser Maki l’aider avec ça – même s’il aurait vraiment, vraiment dû la laisser, parce que le sol de la laverie de leur immeuble finit inondée par un mélange désolé d’eau et de bulles de savons qui lui monte aux chevilles. Il rentre à leur appartement quelque peu vaincu, mais au moins leurs vêtements sont secs.
Maki n’a vraiment pas grand-chose. Toji les mets dans sa chambre et croise les bras sur sa poitrine. « T’as vraiment besoin de nouveaux vêtements, » annonce-t-il.
Elle fronce les sourcils. « Ouais, j’imagine. Je devrais probablement aller faire du shopping.
Ouais, Toji n’a aucune idée de comment faire ça.
- Je peux essayer de t’emmener.
En guise de réponse, Maki l’observe des pieds à la tête et grimace.
- Euh, ou pas.
- Hé ! C’est quoi le problème avec mon style ? »
Maki se fend d’un rictus. « Quel style ?
Toji ouvre la bouche et serre sa poitrine d’un mouvement théâtral, comme s’il avait été transpercé d’une flèche. Démoli par son propre gosse.
- Ta mère ne t’y as jamais emmené ? Demande-t-il, et il déteste devoir appeler cette femme inconnue sa mère, mais la seule alternative serait de lui dire qu’elle n’en a plus. Maki secoue la tête.
- Non. Ma mère n’était pas autorisée à quitter le domaine. Elle m’a dit que le seul moyen de la rendre fière était d’être obéissante et de rester à ma place. »
À présent, Toji a vraiment l’impression que son cœur a été percé. Il souffle d’un long soupir et sort son téléphone, composant un numéro qu’il devrait vraiment avoir dans ses favoris à ce stade.
« Yuki, commence-t-il, et merde, il y aura des conséquences. Tu peux emmener ma fille faire du shopping ?
Yuki crie si fort à l’autre bout du fil qu’il est à peu près sûr qu’un de ses tympans se brise.
Quand Maki rentre chez eux après leur virée shopping, elle a au moins six sacs sur les bras et un énorme sourire collé sur son visage. Toji s’étend sur le dossier du canapé. « C’était bien avec Yuki ?
Timidement, Maki détourne le regard, mais acquiesce ardemment.
- Ouais, murmure-t-elle. C’était super bien. »
Toji se laisse tomber sur les coussins du canapé et pousse un soupir si lourd qu’il se dégonfle comme un ballon percé.
Il se pourrait qu’il soit très légèrement foutu.
Sa vie est incommensurablement meilleure depuis qu’ils ont emménagé ensemble, mais Toji est plus fauché qu’il ne l’a jamais été de toute la vie dont il peut se souvenir. Entre le nouvel appart’, acheter des produits nécessaires au quotidien, le katana atrocement cher, et la virée shopping récente de Maki, son compte en banque est constamment proche de vaciller dans le rouge – et pour une fois, ça n’est pas à cause de ses mauvaises habitudes de jeu. Il ne peut plus se permettre de refuser des jobs qu’on lui propose durant la journée, et jusqu’à ce qu’il trouve une nouvelle occupation, c’est sa seule chance.
Toji se souvient de comment Maki avait regardé avec regret les enfants qui jouaient au parc ce jour-là, et il s’en rend alors compte comme il aurait dû s’en rendre compte dès qu’il l’a vue faire.
« Hey, suggère-t-il, aussi tranquillement que possible. Il sait déjà que sa requête va la faire complètement paniquer quoi qu’il arrive. T’as déjà pensé à aller à l’école ?
Il avait cent pour cent raison. Maki se paralyse et le fixe d’une expression terrifiée.
- A l’école ? Couine-t-elle.
- Ouais, l’école. T’en as déjà entendu parler ?
- Euh… commence-t-elle, puis elle se coupe, ses yeux tombant au sol. Bien sûr que j’en ai entendu parler. Mais je n’y suis jamais vraiment allée.
Peu surprenant, mais toujours quelque peu tragique.
- Ouais, c’est ce que je me suis dit. Je pense que tu pourrais t’y amuser, par contre. Tu peux faire connaissance avec d’autres enfants du quartier. Qui sait ? Tu pourrais même finir par te faire quelques amis.
Maki le regarde dans les yeux à nouveau, son regard presque mouillé. Oh, merde. Il a dû frapper là où ça fait mal.
- Des amis ? » Répète-t-elle.
Putain de merde. Elle doit y aller, maintenant. « Des amis. » Il lui tape sur la tête sans lui ébouriffer les cheveux. Ils sont plus long maintenant, ses pointes époussetant le milieu de ses biceps et sa frange s’écartant sur les côtés. « Allez, tu peux tenter, au moins. »
Après un moment stupidement long, Maki finit par acquiescer. Toji se permet un soupir de soulagement, et l’inscrit à l’école primaire publique du coin le lendemain.
*******
Maki n’arrive pas à croire qu’elle a laissé Toji la convaincre.
Elle a enduré des années de désespoir et a presque été consommée par les mâchoires béantes d’un esprit maudit de classe S, mais ils font presque pâle figure en comparaison à la terreur qu’elle ressent dès que son pied foule le campus de l’école primaire locale. Des enfants gambadent sans aucun souci, glissant sur les toboggans et se pendant aux cages à grimper sans aucune technique. Ne savent-ils pas qu’ils en devraient jamais verrouiller leurs coudes comme ça ?
Apparemment pas. Un des enfants tombe des barres et se casse complètement la gueule. Maki arrive à peine à cacher son rire. Okay, elle se sent un peu mieux maintenant.
Le premier jour de classe est assez insipide. Les enseignements du Clan Zen’in étaient stricts et minutieux, et Maki a déjà appris ces leçons il y a au moins un an. Ses nerfs se calment progressivement, jusqu’à ce que – la sonnerie de la récréation redoutée sonne enfin.
Ne sachant pas quoi faire, Maki se dirige vers le bac à sable au coin de l’aire de jeu et commence à fouiller le sable mouillé. Peut-être qu’elle aura l’air moins gênée si elle se concentre sur une activité solitaire pour ne pas attirer l’attention sur le fait que personne n’a idée de qui elle est.
Sur le côté, ses camarades de classe sont amassés autour d’un autre élève. Apparemment, elle ne doit pas être le seul enfant qui vient de commencer ici ; des voix éparpillées lui demande s’il est nouveau, et il répond qu’il a déménagé en ville depuis la campagne. Maki lève les yeux ; c’est un enfant dans un sweat jaune. Pas grand-chose de spécial à propos de lui, de ce qu’elle peut voir.
Mais il a déjà l’air populaire. Encore d’autre enfants le bombardent de questions et il y répond avec un sourire amical – jusqu’à ce que du coin des yeux, son regard rencontre celui de Maki. Il semble remarque qu’elle est toute seule, et pour une raison inexplicable, il abandonne l’entièreté du groupe d’enfants demandant à devenir son ami simplement pour lui dire bonjour.
Bizarre.
« Salut ! Rayonne-t-il, ses yeux scintillant. Moi, c’est Yuji Itadori ! Tu t’appelles comment ?
Maki fronce les sourcils. Il ressemble à une punaise de patate.
- Va t’en.
*****
Notes:
yuki : je suis une exorciste de classe s vip qui ne pourrait jamais s’attacher. une famille n’a pas de place dans mon futur
maki : hey
yuki : je suis désormais mère‘tain je l’adore tellement. vous saviez qu’elle fait 1m88 ?
si vous avez toujours pas trouvé le nom du katana, réfléchissez-y je crois en vous
merci beaucoup d’avoir lu ! les commentaires et kudos refont toujours ma journée !
Chapter Text
« Salut Va T’en ! Enchanté ! Gazouille Yuji dans son extrême naïveté. Ton château de sable est beau. Est-ce que je peux t’aider à le construire ? »
Maki cligne des yeux. Sérieusement ? « Non.
- Cool ! » Yuji s’accroupit à côté d’elle. Elle ne sait pas comment il a fait, mais ses chaussures sont déjà pleines de sable, et ça fait à peu près six secondes qu’il est là. Il y a une autre pelle à environ cinquante centimètres de lui, mais il n’y jette même pas un coup d’œil et décide à la place de labourer directement le sable à mains nues.
En lui lançant un regard noir, elle répète : « Tu m’as pas entendue ? J’ai dit non. »
Mais Yuji n’a plus l’air de l’écouter. À la place, il forme des petites boules informes de sable mouillé, étrangement concentré.
Ugh. Maki soupire. S’il y a bien une chose qu’ont les hommes, c’est de l’audace.
« Tu viens d’emménager ici aussi ? » Demande Yuji après une minute ou deux, un œil rivé au sable et l’autre s’en écartant pour la regarder. Maki ne pensait pas jusqu’ici que c’était biologiquement possible, et elle aurait préféré passer le reste de sa vie dans l’ignorance.
En fait, ça fait quelques semaines que Toji et elle se sont installés, mais elle n’a pas vraiment envie de développer. « Ouais.
- Génial ! Moi aussi ! S’exclame-t-il, ses yeux s’illuminant sensiblement. On vivait à Sendai, mon grand-père et moi, mais les médecins ont dit qu’il pouvait avoir un meilleur traitement hospitalier ici. Mes anciens amis et ma maison me manquent un peu, mais ça me va si ça veut dire qu’il ira mieux. »
Okay, donc ça n'est pas une personne horrible, mais à part Toji, Maki a l’impression que la barre est très basse pour elle. « C’est sympa, répond-elle, par manque de meilleure répartie.
Heureusement, Yuji a l’air d’être habitué à tenir des conversations à sens quasiment unique.
- Yep ! C’est vraiment joli ici ! J’aime bien la rivière et tout les arbres. J’ai vu un gros poisson sauter dans l’eau l’autre jour. Il était aussi gros qu’un chien ! Ou un cheval ! Ou même un éléphant ! »
Maki tord un sourcil. Il y a tellement de sable dans ses chaussures à présent qu’il pourrait probablement construire deux châteaux de sable rien qu’avec ce qu’elles contiennent. « C’est sympa, » dit-elle à nouveau.
Il enfonce un bâton dans son château de sable. La moitié s’effondre. Il n’a pas l’air de remarquer. « Tu habites aussi près de la rivière ? »
Maki acquiesce. « Juste à côté, » dit-elle, et ensuite, parce qu’à part l’invasion de son espace vital il n’a pas l’air si méchant que ça, elle ajoute : « Il y a une famille de canards qui vit à l’autre bout de la rue. Ils sont plutôt mignons.
- Woah ! Trop bien ! J’adore les canards. Tous les animaux, en fait. Et les insectes ! Est-ce que t’aimes les insectes ?
Les insectes ? Maki marque une pause.
- Je les… déteste pas ?
- Cool ! J’ai trouvé un insecte vraiment bizarre l’autre jour. Il faisait la taille de ma main et il était couvert de points noirs et blancs ! Et il avait quatre ailes ! J’ai essayé de le montrer à mon grand-père, mais il l’a pas aimé, alors il m’a dit de le remettre dehors. »
Il n’y a pas moyen que le grand-père de ce gamin ressemble aux monstres avec qui elle a grandi, mais cette anecdote est assez similaire à son père l’engueulant parce qu’elle grimpe aux arbres pour tordre ses entrailles de familiarité un instant. « C’est nul, répond-elle.
- C’est pas grave ! Dit-il, et ça à l’air assez sincère pour dissiper l’inquiétude de Maki. Je suis sûr que j’en trouverais un autre. Hé, peut-être qu’un jour on pourrait...
- Itadori-kun ! L’appelle un gamin qui s’approche d’eux. Il jette un coup d’œil à Maki. Et, euh… ?
Elle utilise toujours le nom de famille de Yuki pour l’école, mais ne se sentirait pas bien si appelée comme ça à voix haute. « Maki. »
Le garçon leur sourit. « Maki-chan et Itadori-kun ! Vous voulez jouer au loup avec nous ? »
C’est probablement totalement normal, mais être vraiment invitée à participer à quelque chose lui fait toujours mal, quelque part dans sa poitrine. « D’accord, » accepte-t-elle, en même temps que Yuji saute et dit « Ouais !
- Okay ! Suivez-moi, on est à côté du terrain !
Maki se relève rapidement et fait attention à enjamber le château de sable pour éviter de l’écraser. Yuji n’est pas aussi attentionné avec le sien, mais il s’arrête en revanche à la dernière seconde avant de marcher accidentellement sur le sien. Bizarre.
Ils suivent leur camarade de classe vers le groupe d’enfants concentrés au bout du terrain le plus proche. Maki déglutit. Elle connaît le concept du loup, mais le plus proche qu’elle ait jamais été d’y jouer, c’était Naoya qui la poursuivait autour du domaine avec sa vitesse fulgurante. Pas exactement amusant. Enfin, au moins, pas pour elle .
« Qui veut être loup en premier ? »
C’est celui qui chasse, non ? Ça l’énerve d’avoir vraiment appris quelque chose de son connard de cousin. « Je peux le faire, offre-t-elle.
- Génial, merci ! Répond une fille. Maki devrait vraiment apprendre leurs noms au bout d’un moment. Okay, trois, deux, un… Allez-y ! »
Les enfants s’enfuient en un feu d’artifice de directions différentes, traversant la cour aussi vite que leurs petites jambes rondouillardes puissent les porter. Maki sait déjà qu’elle pourrait dépasser n’importe lequel de ses camarades de classe dans son sommeil avec les jambes liées, mais elle ne va pas faire en sorte qu’ils la détestent dès le début. Elle a l’intention d’attendre au moins quelques secondes avant de commencer à les poursuivre, jusqu’à ce que quelque chose d’autre attire son attention.
Ou plutôt, quelqu’un.
Yuji ?!
Il s’élance comme une fusée, si vite que Maki jure voir des étincelles littéralement s’enflammer derrière ses talons. Des morceaux d’herbe se déracinent sous la force de ses pas, des brins écrasés et des caillots de terre coulent derrière lui en rafale comme une traînée de feu. Il atteint la frontière entre le bord du champ souillé et les éclats de bois de la cour de récréation en moins de trois secondes, et ça actionne un interrupteur en Maki qui ne peut être décrit que comme un instinct.
Elle ne peut s’en empêcher. Elle suit.
Maki court vers lui, les cris joyeux des autres enfants se dissipant autour d’elle alors que son champ de vision de rétrécit à un point précis. La force du vent soulevé par sa course dépasse de loin en vitesse la douce brise matinale qui souffle autour d’elle, repoussant ses cheveux si bien que sa frange mise de côté frotte contre les branches de ses lunettes. Elle ne ralentit qu’à peine en atteignant l’aire de jeu, sa foulée s’adaptant automatiquement au nouveau terrain tandis que Yuji grimpe sur l’un des toboggans. Il tourne sa tête d’un coup, surpris, et quelque chose passe dans ses yeux.
Quelque chose comme de la camaraderie.
Il n’a pas l’air énervé que quelqu’un soit sur ses talons. À la place, il semble complètement emballé.
Il éclate d’un rire exubérant en sautant pour attraper les barres de la cage à grimper, tordant son corps vers le haut en tournant autour avec une charge de force pour atterrir au-dessus des échelons en un bruit sourd et métallique. Maki attrape le pilier coloré et se balance autour, ignorant la légère brûlure due à la friction tandis qu’elle accumule de l’élan pour se hisser à côté de lui. Elle se jette sur les barreaux et fait semblant de ne pas remarquer la façon dont un d’entre eux se déforme un peu sous la pression inversée. Yuji s’élance vers la plateforme jaune et noire et se prépare à nouveau à décoller – mais pas tout à fait assez vite pour échapper aux doigts de Maki effleurant le bout de son coude. Yuji se retourne d’un coup.
« Wow ! Personne n’a jamais réussi à m’attraper avant ! S’exclame-t-il, et un sourire béat se dessine sur son visage comme les premiers rayons de soleil après un hiver long et solitaire. « C’est moi le loup maintenant, du coup t’as intérêt à courir ! »
Alors elle court. C’est presque marrant que son entraînement avec Toji lui serve maintenant, alors qu’elle fait un salto arrière du haut d’un toboggan et gratifie Yuji d’un sourire radieux qui n’est que légèrement fou depuis sa position suspendue dans l’air pendant une fraction de seconde. De la poussière de bois s’accumule sous ses orteils lorsqu’elle frappe le sol, et elle est à peine assez rapide pour tourner sur ses chevilles avant que Yuji ne soit juste derrière elle.
Il a à peu près autant de grâce qu’un bébé tigre coincé dans une chaussette mais ses mouvements sont fluides, continus. Le manque total d’ordre est une technique en soi. Pas particulièrement fiable, mais ce garçon arrive à l’exploiter. Il finit par la rattraper vers le milieu du champ, et elle n’avait même pas remarqué qu’elle riait jusqu’à ce que sa main heurte son dos et qu’elle ricoche contre les gloussements secouant sa poitrine.
Maki se sent presque honteuse à l’idée que tous deux ignorent plus ou moins tous leurs camarades de classe pour se courir après… presque. Elle se sentirait plus mal si elle ne pouvait pas entendre les autres enfants les encourageant depuis les bancs, partagés de façon égale entre celui ou celle qu’ils veulent voir gagner. La cloche finit par sonner, alors Maki et Yuji se laissent tomber dans l’herbe l’un à côté de l’autre pour reprendre leur souffle.
« Wow ! Dit Yuji entre deux bouffées d’air. C’était super marrant ! T’es trop cool ! »
Euh, quoi ? Maki a le souffle coupé. « Tu penses que je suis… cool ?
- Bien sûr que je pense que t’es cool ! Dit Yuji en se remettant sur pieds, son énergie déjà restaurée. T’étais comme… vrrmc! Et fshh ! Et fwouah ! J’ai jamais vu un truc pareil !
Son énergie est revenue aussi vite que celle de Yuji, mais désormais elle a le souffle coupé pour une raison complètement différente. Cool ? Sa famille l’a toujours vue comme une tâche de boue étalée à travers leur maison, un moucheron irritant qu’ils souhaitaient écraser au mur. Ils n’ont jamais hésité pour le lui dire, essayant de briser sa volonté, attendant le jour où elle s’effondrerait comme de l’aluminium. La seule personne qui les ait jamais contredit, c’était Toji.
Il ne faut pas attendre longtemps avant que les autres enfants les entourent, répétant des sentiments similaires à celui de Yuji. « T’étais comme Spider-man ! » lui dit un garçon, et Maki ne sait pas vraiment qui c’est, mais il la regarde comme si c’était une sorte de super-héroïne. « Est-ce que vous êtes de la même famille ? » demande une autre fille.
Yuji et Maki se regardent et secouent la tête, mais ils se sourissent. Un des maîtres leur beuglent de revenir en classe, alors ils se dépêchent de rentrer dans le bâtiment. Yuji tape sur l’épaule de Maki.
« On devrait s’asseoir à côté ! Suggère-t-il. T’es en quelle classe ?
- CE1, répond Maki.
- Je suis en CP ! Réplique Yuji. L’école est assez petite pour que leurs classes soient dispensés ensembles, avec une augmentation légère de la difficulté entre ses leçons et les siennes.
- D’accord, » accepte Maki. Ils rentrent tous deux dans leur salle de classe et s’installent dans les bureaux près du fond de la classe.
C’est une bonne chose que Maki connaisse déjà ces leçons, parce qu’elle arrive à peine à se concentrer pour le restant de la journée. Cool. Elle. Elle se demande si Toji saura qui est Spider-man. Elle gribouille une petite araignée dans le coin de sa feuille, des spirales au stylo noir s’étendant en une toile sinueuse. Elle s’apprête à commencer à essayer de répondre au problème quand Yuji se penche vers elle et pointe du doigt l’arachnide encrée.
« Tu devrais en dessiner deux, dit-il. Maki lève la tête.
- Pourquoi ?
- Pour qu’elle soit pas seule ! Répond-il. Euh… Pardon de t’avoir embêté dans le sable avant, d’ailleurs. Mais t’étais toute seule, alors je voulais de tenir compagnie. »
Maki essaye de formuler une réponse, mais les mots lui échappent complètement. « Merci, finit-elle par répondre, sa voix à peine plus haut qu’un murmure. C’était sympa de ta part.
- De rien ! Gazouille-t-il. On devrait s’inviter un jour !
- S’inviter ? Répète-t-elle.
- Ouais ! S’inviter ! On peut se voir et faire des trucs marrants ensemble ! Tu sais, comme sauter dans de la boue et grimper aux arbres !
À ces mots, le souffle de Maki se coince dans sa gorge. T’aimes bien… grimper aux arbres ?
- Ouais ! J’adore ! S’exclame Yuji. Il y avait un arbre super grand près de ma maison là où je vivais avant. Il était aussi grand qu’une maison ! Ou une montagne ! Et il y avait des centaines – non, des milliers – de branches, c’était comme un grand labyrinthe dans le ciel ! À chaque fois que je grimpais, il y avait une autre aventure ! Il se penche sur son bureau. T’aimes bien les aventures aussi ?
- Euh… Bégaie Maki. Probablement ?
- Génial ! Répond Yuji. On va partir en aventure ensemble !
- Ensemble ? » Souffle Maki.
Yuji acquiesce. « Ensemble. »
La journée s’achève quelques heures plus tard et ils se séparent, se mettant d’accord pour demander à leurs gardiens respectifs quand ils pourraient jouer ensemble. Maki sait que Toji ne râlera pas, mais elle ne veut pas mettre la pression à Yuji. Elle navigue dans le labyrinthe que forme les rues d’un pas tranquille, laissant errer son regard sur les magasins artisanaux et les divers cafés dans un arc-en-ciel de couleurs pastels mal assorties. Elle sautille d’un pas alerte sur l’escalier menant à leur appartement, à Toji et elle, et ouvre la porte. Toji a oublié de fermer à clé, ce qui est peu surprenant.
Quand elle montre le bout de son nez, il se prélasse langoureusement sur le canapé comme un chat de gouttière en buvant une longue gorgée de sa bière, mais dès qu’il l’aperçoit, il bafouille et se lève d’un bond. « Salut, petiote, » l’accueille-t-il, d’un ton trop tendu pour passer pour décontracté. Il y a une légère tâche rose sur sa joue qui a l’air d’être du sang essuyé, mais Maki ne s’y attarde pas. « C’était comment, ton premier jour d’école ?
- Bien, » répond-elle, puis elle ajoute avec un rictus, « T’avais raison. Je me suis faite un ami. »
Toji laisse s’échapper un petit couinement embarrassant qu’il essaye et échoue à transformer en toux. « O… Oh, s’étouffe-t-il. C’est parfait. Il est comment ?
- Je t’en parlerai plus tard, » promet-elle. C’était une bonne journée, mais ça l’a fatigué comme aucune de ses sessions de ses sessions d’entraînement avec Toji ne l’a jamais fait. Peut-être que son énergie sociale a besoin de s’améliorer ? « Je vais me reposer dans ma chambre.
- Okay, okay. Bah, d’accord. Je serais là. Tranquille. Alors viens quand tu veux, ça te va ? Tout va bien. »
Son inquiétude est presque aussi touchante qu’hilarante. « Okay, on se voit plus tard. » Puis elle sort de la pièce.
Quelques moments plus tard, elle l’entend parler avec enthousiasme avec quelqu’un au téléphone, et elle ne peut empêcher un sourire de s’étaler sur son visage quand elle se laisse tomber sur son lit.
Le restant de la semaine se déroule sans problèmes. Maki n’avait pas réalisé que la popularité en primaire est basée sur celui qui peut courir le plus vite et sauter le plus haut, donc Yuji et elle sont les rois et reines incontestés de la cour de récréation ; Yuji décide rapidement de porter un seau en guise de couronne, et Maki manie une pelle plastique en tant que sceptre. Tout de même, grâce à Toji, elle a une meilleure maîtrise de sa force surhumaine que lui – elle l’a vu essayé de jouer à la bascule avec un autre CP une fois, et il a accidentellement lancé le gosse au ciel. Maki a tellement ri qu’elle pense s’être rompu un vaisseau sanguin.
Jeudi arrive et Yuji lui dit qu’il a la permission de venir chez elle pour jouer le jour suivant. Maki passe sa soirée entière à nettoyer avec l’aide de Toji, malgré le fait qu’il soit toujours un peu nul pour ce genre de trucs. Il ne faisait probablement pas attention, mais il a fini par mettre la Javel au frigo et le lait dans le placard à balais. Ça, c’aurait été un petit-déjeuner intéressant. Une partie d’elle se demande s’il aurait même remarqué la différence dans ses céréales. Elle essaye de l’imaginer et étouffe un rire.
Lorsque la sonnerie retentit le vendredi après-midi, Yuji sort son sac à dos des casiers et court pour retourner aux côtés de Maki en un éclair, sautillant sur place comme un bébé kangourou. « J’ai trop hâte ! Dit-il avec un grand sourire. Il lui manque une petite dent sur le côté gauche de sa bouche. C’est la première fois qu’on m’invite depuis que j’ai déménagé ici ! Et toi ? »
C’est la première fois qu’on m’invite tout court, manque-t-elle de dire. A la place, elle répond : « Ouais, moi aussi. »
Ils rentrent tout deux à la vitesse moyenne d’un adulte faisant du jogging – bien qu’ils s’arrêtent souvent pour que Yuji s’attarde et commente sur les paysages, prenant audiblement en note les petites fleurs qui sortent des fissures des trottoirs, les pâtisseries alléchantes dans les fenêtres des boulangeries, et même la fresque en graffiti d’un lapin sur le mur d’une vieille maison. « Les lapins, c’est mon animal préféré ! » Dit-il, bien qu’il ait dit ça à propos de la plupart des animaux dont ils ont parlé jusque-là.
Quand ils arrivent à l’appartement de Maki pour mettre leurs sacs à l’intérieur, Toji est appuyé contre le plan de travail, fixant le vide. Maki est assez proche de lui pour être habitué à sa silhouette – la nonchalance même – et si ce n’était pour tout leur temps passé ensemble, il se pourrait qu’elle ne remarque pas la raideur de ses épaules, la tension dans son dos. Il a échangé son habituelle bouteille de bière pour du jus de pomme, et quand il prend une gorgée, il grimace et regarde son verre de la même manière que s’il l’avait insulté, comme s’il n’en avait jamais bu avant. Ça ne la surprendrait pas que ce soit le cas.
« Salut, les enfants, les accueille-t-il, se tournant vers eux. Ravi de te rencontrer, Itadori-kun. Je suis Toji, le père de Maki. »
Maki ne l’a jamais entendu utiliser un honorifique auparavant, littéralement jamais. Sortant de sa bouche, cela sonne presque bizarre. Il doit vraiment être nerveux pour elle. Yuji marche vers lui et secoue la main, excité.
« Merci de m’accueillir ! Ravi de vous rencontrer aussi, Tsukumo-san !
- Woah, okay. » Toji se tend. « J… Juste Toji, ça me va, finit-il par sortir, l’air étrangement troublé. C’est quoi ce bordel ?
- Okay, Toji-san !
- Juste Toji.
- Hé, j’ai dit juste… Toji se coupe en soupirant. Peu importe. T’es le premier ami de ma fille, appelle-moi comme tu veux. »
Maki rougit, gênée. Pourquoi est-ce qu’il admettrait quelque chose du genre à voix haute ?! « Toji ! » Se plaint-elle.
Il semble se rendre compte de son manque total de tact quelques instants plus tard. « Mer… euh, oups. Désolé. »
Au moins, il a essayé de modérer son langage autour de Yuji. Maki a assez de retenue pour ne pas jurer en classe, mais Yuji a la capacité d’attention d’une noisette.
Heureusement, il ne semble pas le remarquer. « Maki n’est pas mon amie, » dit-il, et Toji a l’air près à se battre avec un enfant de six ans, avant qu’il rajoute, « C’est ma meilleure amie ! »
L’œil de Toji tressaille, et Maki peut voir que ses joues se forcent à retenir un sourire. « Cool, bégaie-t-il, l’air de penser que c’est le meilleur jour de sa vie depuis qu’il l’a trouvée. Vous voulez quelque chose à boire ou à manger ? On a des snacks et d’autres mer… trucs au frigo.
- Ça va pour l’instant, mais merci de proposer ! Dit poliment Yuji, posant son sac sur le sol dans l’entrée. Tu veux faire quoi aujourd’hui, Maki-chan ?
Elle décide de s’inspirer de Toji.
- Juste Maki, c’est bien.
- D’accord ! Alors juste Yuji ça me va aussi ! » Répond-il.
Bon. Maki ne sait pas vraiment ce qu’on est censé faire après avoir invité quelqu’un, à part jouer. « Tu veux faire quoi, toi ? Demande-t-elle à la place.
- Hmm… on pourrait jouer à côté de la rivière ? Suggère Yuji.
Maki acquiesce.
- Ça pourrait être bien.
- Génial ! Il se tourne vers Toji. On a le droit de faire ça ? »
Toji a l’air de quelqu’un qui les laisserait tuer quelqu’un et aiderait à cacher le corps. « Ouais, bien sûr. Hurlez si vous avez besoin de quelque chose, je reste pas très loin. »
Ils lui font un signe de la main et se dirigent vers la rive. Elle n’est pas loin, seulement à quelques minutes et même moins quand ils font la course pour y aller. Maki gagne d’un cheveux.
« C’est trop joli ici ! » Yuji sautille sur l’herbe humide dans l’ombre d’un arbre buissonnant. Il se laisse tomber dans la boue sans hésiter, de la terre tâchant son uniforme blanc et bleu marine. Il n’a pas son sweat fétiche aujourd’hui vu qu’il fait beau et chaud. « Regarde ce bateau là-bas ! J’ai toujours voulu aller sur un bateau. T’es déjà allée sur un bateau ? »
Elle se rend alors compte qu’elle n’avait jamais vu une rivière en personne avant d’emménager ici. C’est un peu triste. « Non, moi non plus. »
Yuji ne semble pas découragé. Au contraire, son expression s’illumine. « Peut-être qu’on pourrait y aller ensemble un jour ! »
En haussant les épaules : « J’imagine que ce serait possible. J’ai entendu dire qu’ils louent des canoës un peu plus loin sur l’Arakawa. Je parie que Toji nous y emmèneraient si on lui demandait.
- Yay ! Yuji jette en l’air de l’herbe dans sa joie. D’ailleurs, pourquoi t’appelle ton père par son prénom ? »
‘Parce que c’est pas mon vrai père,’ tournoie au fond de sa gorge, mais les mots meurent avant d’atteindre sa langue. Parce que même si ce n’est pas son père, elle aimerait qu’il le soit, de toutes les fibres de son petit être – donc est-ce qu’on ne peut pas lui laisser ça ? Est-ce qu’elle peut l’avoir ? « J’sais pas, marmonne-t-elle. J’imagine que c’est juste comme ça que je l’appelle.
- C’est logique ! Dit Yuji, même si sa réponse n’en était pas vraiment une.
- Comment t’appelles tes parents ? Demande Maki.
- Mon papa et ma maman, ils sont tous les deux aux paradis ! Répond Yuji, avec un sourire différent de ceux qu’il lui a montré auparavant. Mais c’est pas grave ! Je vis avec mon pépé et il s’occupe de moi. Il dit que le paradis est un endroit vraiment bien, alors je devrais pas m’inquiéter, parce qu’ils sont tous les deux très heureux là-haut. »
Sa réponse frappe Maki comme un saut de béton. Sa culpabilité lui ronge le cœur pour toutes les fois où elle a souhaité le même sort à son vrai père, si elle pensait qu’il irait au même endroit que les parents de Yuji quand il mordrait enfin la poussière. « Oh, je suis désolée, dit-elle d’une petite voix.
- C’est pas grave. Je me souviens pas vraiment d’eux, mais ils me manquent quand même un peu. Mais mon pépé est gentil avec moi ! Il est souvent à l’hôpital par contre, alors j’ai appris à préparer mon propre dîner. Et je peux faire la lessive tout seul maintenant ! »
Comment est-ce qu’il peut annoncer tout ça en souriant ? C’est choquant de voir à quel point ils sont aussi indépendants l’un que l’autre, tout deux de manière déchirante. Ils sont plus similaires que ce qu’elle pensait, mais elle n’arrive pas à décider si c’est une bonne ou une mauvaise chose. « Moi aussi, dit-elle. Toji est pas très fort pour le ménage ou la lessive, donc j’essaye de lui apprendre. Il s’améliore. Euh, lentement. » Elle raconte à Yuji l’amalgame javel-lait et Yuji éclate d’un fou rire que Maki ne peut s’empêcher d’imiter. Quand leur rire s’arrête, Yuji porte son attention sur les hautes herbes dans lesquelles ils sont assis.
« T’as déjà fait des poupées en herbes avant ? » Lui demande-t-il.
C’est un peu déprimant de voir le nombre de ses questions auxquelles elle répond ‘non’, mais Yuji n’a pas l’air de la juger du tout. « Comment on en fait ? »
« On a qu’à en faire ensemble ! Dit-il, arrachant une poignée d’herbe et laissant tomber les brins sur ses genoux. Il les assemble avec une habileté surprenante et commence à enrouler un roseau plus long sur les articulations. Les poupées d’herbes sont parfaites pour jouer à la poupée. Tu peux les faire en qui tu veux et inventer des histoires avec tes copains ! »
Maki observe timidement son exemple et fait de son mieux pour le suivre. Son premier essai est un peu bâclé, mais pas complètement un échec. Elle a entendu Toji marmonner ‘tant pis, ça fera l’affaire’ tellement de fois maintenant que ça fait partie de son propre vocabulaire. « Quel genre d’histoire t’inventes, d’habitude ?
- J’aime bien les histoires de super-héros ! Répond Yuji. Tu peux faire des scènes de combats super géniales et des méchants qui font peur et des gens qui sauvent tout le monde !
Vraiment ? Maki s’illumine. J’adore les histoires de super-héros aussi ! Approuve-t-elle. Elle finit d’attacher les articulations de sa poupée quelques minutes après Yuji. J’aime bien quand le héros que personne ne s’attend à voir gagner arrive et sauve tout le monde. »
Ouais, peut-être qu’elle se projette un peu, là. Si Yuji le remarque, il ne commente pas. « T’as un super-héros préféré ? »
Maki marque une pause. Elle a vu beaucoup de films, mais ne prête jamais attention aux titres ou noms des personnages. Il y a ce Spider-man auquel quelqu’un a dit qu’elle ressemblait, mais elle a oublié de faire des recherches dessus. « Je sais pas, » dit-elle doucement, puis elle ajoute un instant plus tard : « Toji est plutôt cool, quand même. »
Yuji lui sourit gentiment. « Tu dois vraiment admirer ton père, hein ? »
Pour confirmer, Maki acquiesce. « Ouais, murmure-t-elle, souriant pour elle-même. Je l’admire.
- C’est génial ! Yuji achève une autre poupée et la pose à côté de la première. On devrait faire une histoire ensemble ! J’aime bien donner des pouvoirs sympas à mes personnages. Comme pouvoir voler ou cracher du feu ! Ou avoir le pouvoir de parler aux animaux et de disparaître dans l’ombre !
- Comme les Dix Ombres ? » Dit-elle instinctivement, puis elle ferme la mâchoire d’un coup en un craquement peu confortable, se mordant la langue jusqu’à sentir un goût de fer.
Yuji penche la tête, inquisiteur. « Hein ?
- Euh… rien, se rattrape-t-elle. Ouais, ça à l’air marrant. C’est bien aussi quand les héros n’ont pas de pouvoirs spéciaux, quand même.
- Je suis d’accord, répond Yuji, passant heureusement à autre chose que son lapsus. Mais c’est toujours marrant de penser à des trucs comme ça. Ça serait super excitant si les pouvoirs magiques étaient vrais, non ? »
Ils le sont, se dit-elle. Mais pas comme tu le penses.
Et elle n’a encore jamais rencontré d’exorciste qui ne serait-ce que se rapproche d’un héros.
Elle espère que Yuji ne découvre jamais rien de tout ça. Elle ne souhaiterait jamais qu’il soit entraîné dans ce monde-là. D’une manière ou d’une autre, après tout ce qu’il a vécu, Yuji a la personnalité d’un soleil, perçant des nuages orageux comme un rayon d’espoir. Même si Toji ne peut se souvenir de la vie qu’il menait au sein du Clan Zen’in, ses séquelles gâtent toujours sa vision des choses longtemps après que sa mémoire l’ait abandonné, le laissant blasé et sardonique. Et quant à Maki ?
Parfois, Maki se sent comme ces nuages orageux que Yuji doit surmonter pour briller.
« Ouais, marmonne-t-elle. J’imagine. »
Yuji lève la tête, légèrement inquiet, et c’est plutôt mignon que sa réaction automatique soit d’essayer de la réconforter. « C’est pour ça qu’on joue à faire semblant ! » Dit-il en lui donnant l’une de ses poupées. D’une façon ou d’une autre, il en a déjà fait quatre, ce qui est honnêtement impressionnant. « La tienne peut être ton père, et tu peut aussi avoir une des miennes !
- Merci, » dit Maki en acceptant la poupée. Son humeur s’améliore rien qu’en voyant à quel point Yuji en avait envie. « Allez ! »
Ils finissent par inventer une histoire d’un groupe de super-héros hétéroclites qui s’unissent avec des pouvoirs mal assortis pour se battre contre un gros groupe de méchants qui ont essayé de les mettre à l’écart. L’antagoniste principal est un vieux maléfique qui peut mettre le feu à ses armes – ouais, pas compliqué de deviner qui l’a inspirée pour celui-là, mais Yuji ne s’en rend pas compte et Maki préfère ça comme ça. C’est plus satisfaisant qu’humainement exprimable de voir sa poupée Toji écraser le visage d’Ogi dans la boue. Il se pourrait qu’elle soit un peu trop enthousiaste, mais Yuji fait preuve de la même énergie qu’elle et ils créent de nouvelles poupées selon leurs besoins, ajoutant ainsi plus de personnages à leur récit épique.
Quand le crépuscule descend pour recouvrir l’Arakawa, Yuji l’informe à contrecœur qu’il a promis à son grand-père de rentrer pour le dîner, alors ils décident de mettre en pause leur histoire et de continuer plus tard. Le cœur de Maki se gonfle lorsqu’il prolonge l’invitation et lui explique à quel point il s’est amusé en jouant avec elle, et ils se mettent d’accord pour essayer de se voir à nouveau dans quelques jours. Elle lui dit adieu et l’observe sautiller sur le trottoir vers chez lui, le regardant jusqu’à ce que sa silhouette disparaisse dans la pénombre.
Maki rentre joyeusement dans sa chambre et mets ses poupées dans le tiroir de son bureau. Elle s’arrête juste avant de le fermer, y plonge une main, puis met la poupée Toji sur sa table de nuit à la place.
Yuji et elle passent beaucoup de temps ensemble après ça. Il passe souvent chez elle après l’école pour continuer leur histoire et jouer près de la rivière, gambadant dans la boue de la rive et se poursuivant en grimpant aux arbres comme des lémuriens. Ils se fatiguent souvent ainsi, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de souffle et que leurs estomacs grondent ; la première fois que Yuji reste dîner, Maki se débrouille pour trouver les ingrédients pour faire des tempuras de légume et Yuji demande, ravi, si elle peut lui apprendre à en faire aussi. Elle accepte avec joie et Toji leur propose de les emmener à l’épicerie ensemble, ce que Maki pense est en partie parce qu’il l’aime et en partie parce qu’il n’arrive toujours pas à cuisiner autre chose que des ramens pour lui-même. Hé, apprendre à cuisiner est un combat sans fin.
Ça n’est pas jusqu’à la troisième fois que Maki visite l’appartement de Yuji que son grand-père est vraiment là au lieu d’à l’hôpital. Il n’est pas méchant, mais il n’est pas vraiment chaleureux, non plus. Il regarde Yuji comme s’il voyait quelqu’un d’autre en son petit-fils, et Maki ne sait pas si Yuji l’a remarqué. Cependant, Wasuke a l’air de l’aimer, même s’il n’est pas doué pour le montrer, et il adresse à Maki un grognement en guise de remerciement pour être l’ami de Yuji.
Tout de même, ils sont chez elle ou près de chez elle bien plus souvent que chez lui. Yuji lui apprend à faire des couronnes de fleurs et Maki lui montre comment cuisiner des plats traditionnels – à la grande joie de Toji, qui est officiellement goûteur.
Yuki passe, un soir, après que Yuji et Maki aient fini un plat de nouilles sobas froides.
« Oh, hey, les salue-t-elle en passant la porte, comme si elle était tombée sur eux par hasard et non pas parce que Toji lui envoyait furieusement des messages depuis sa cachette à peine dissimulée pendant qu’ils cuisinaient, parce qu’il est complètement nul et que c’est sa seule amie. Petite amie ? Maki ne sait toujours pas. « Tu dois être Yuji ! Toji m’a beaucoup parlé de toi. Moi, c’est Yuki Tsukumo ! »
Les yeux de Yuji s’écarquillent. « Tsukumo ? Répète-t-il. Ravi de vous rencontrer, maman de Maki ! »
Oh, mince. La mâchoire de Yuki se décroche. Le souffle de Maki se coupe. Toji trébuche sur – de l’air, ou quelque chose du genre. Il manque de s’écraser contre le mur. Opportunité manquée, c’aurait été plutôt drôle. « Euh, » commence à dire Yuki, éloquente comme toujours. Ses yeux croisent ceux de Toji avec une expression frénétique, mais il se contente de hausser les épaules comme pour dire, ‘tu te débrouille sur ce coup-là, madame.’ Yuki se racle la gorge. « On peut dire ça ?
- Cool ! Gazouille naïvement Yuji. Je me demandais quand je pourrais vous dire bonjour !
Yuki cligne des yeux telle une chouette.
- Désolée, je… Je suis souvent en voyage d’affaires ? Répond-elle, d’un ton plus inquisiteur qu’affirmatif.
- Woah, vous voyagez ? Répond Yuji, les yeux brillants. Où ça ?
- Le monde entier, en fait, » répond-elle, une partie de sa tension se dégageant de ses épaules. Elle s’accroupit pour le regarder dans les yeux, une lueur malicieuse dans son regard. « T’as l’air d’être un aventurier, je me trompe ? Elle lui tape la poitrine. Ça demande beaucoup de cœur, d’être un aventurier. Mais t’as l’air d’avoir ce qu’il faut. Je le vois toujours, quand je rencontre quelqu’un. C’est quoi, ton… » elle s’arrête, comme si elle ré-écrivait sa prochaine phrase. « C’est quoi, les trucs que tu veux faire de ta vie ?
- Je veux aider les gens ! Dit Yuji avec enthousiasme. Je sais pas encore comment, mais je sais que je veux faire quelque chose comme ça. Peut-être que je pourrais être pompier ou maître-nageur ! Ou ambulancier ! »
Yuki rit et lui ébouriffe les cheveux. « Yep, j’avais raison, dit-elle doucement. T’as l’étoffe de la grandeur. Le pourquoi vient avant, le comment peut venir après. T’es pas obligé de tout savoir maintenant – essaye pas de grandir trop vite, parce qu’il y a beaucoup de choses que tu ne peux apprendre qu’en tant qu’enfant. Mais si t’as confiance en qui tu es et que tu t’en tiens à tes convictions, ton cœur peut te mener partout. » Elle se relève tranquillement, comme si elle ne venait pas de lâcher une tonne métrique de sagesse sur la poitrine de Yuji qui ne se doutait de rien. « Hé, il y a un truc qui sent bon. »
Il faut attendre un moment avant que Yuji ne revienne à la réalité, mais il le fait avec un élan supplémentaire dans chacun de ses pas. « Ouais ! Maki et moi, on a fait des sobas. On va t’en donner ! » Il attrape la main de Maki et la traîne jusqu’au plan de travail pour mettre le repas dans un plat. Une fois tout deux derrière le plan de travail, il murmure, excité : « Wow ! Ta maman est totalement géniale ! »
Prudemment, Maki jette un coup d’œil à Yuki. Toji et elle sourient en se chuchotant l’un à l’autre avec un regard que Maki ne peut pas vraiment nommer, outre le fait qu’il lui fait chaud au cœur. « Ouais, » dit-elle, le souffle coupé. Autant faire semblant, non ? « J’imagine qu’elle l’est. »
Après manger, tandis que Maki et Yuji nettoient, Yuki retire un sac de toile clair et le dépose sur les genoux de Toji. Il fait un léger bruit métallique étouffé par une sorte de papier de soie ; ça a l’air lourd. Il jette un œil et hausse un sourcil. « C’est quoi ce bordel ? » chuchote-t-il dans sa barbe. Maki doit faire un effort pour l’entendre avec le son de l’eau coulant pour la vaisselle.
« Je l’ai gardée pour toi après que Gojo t’ait pété la gueule, murmure-t-elle avec un sourire affectueux. Ça m’a pris un moment pour la réparer. De rien, d’ailleurs. »
Maki cligne des yeux. Gojo ?
Toji a l’air à la fois inquiet et déconcerté. « ‘Tain, comment je fais pour m’en servir ? » Répond-il.
Encore une fois, Maki jette à Yuki un regard en coin. Elle lui sourit toujours doucement. « Je suis sûre que tu trouveras le moment venu. »
Yuki passe chez eux plus souvent, après ça. D’une manière ou d’une autre, ils finissent par développer une tradition hebdomadaire où les quatre d’entre eux font à manger et festoient ensemble dehors, près de la rivière, Yuki partageant théâtralement des contes incroyables de ses voyages. Yuji s’accroche à chacun de ses mots comme s’il suffoquerait sans, comme si son souffle complétait sa carte du monde encore vierge de tâches de couleurs vives. Maki et lui veillent souvent tard après cela, ajoutant à ses histoires avec leurs propres imaginations.
C’est une autre chose qu’elle apprend auprès de Yuji : comment rêver.
A part leur force monstrueuse, ils n’ont vraiment rien en commun – là où Maki est calme et posée, Yuji ressemble à un haricot sauteur dans un micro-ondes. Maki majore tout ses tests et Yuji se met à pleurer lorsque le maître le fait aller au tableau pour résoudre ‘3 + 4’. Maki essaie de lever les doigts pour lui donner la réponse, mais il se contente de faire un dessin d'elle sur le tableau. Et pas un très bon dessin.
Cependant, ça ne les empêche pas de passer chaque seconde où ils le peuvent ensemble. Inséparables est le mot qu’elle entend quelques maîtres utiliser, et Maki adore ça. Si l’un des deux est introuvable, il devient monnaie courant dans l’école de simplement demander à l’autre. Yuji n’est pas très bon en lecture, pour l’instant, mais il a plein de livres, alors elle lui lit souvent à voix haute tandis qu’il les met en scène avec leurs poupées d’herbe, en dessinant des images dans la vase avec de petites branches.
Quand l’hiver arrive enfin, la neige couvre leur ville de cristaux délicats, et l’air prend un aspect tranchant, comme des aiguilles de pin et du lin blanc. Chaque inspiration a un goût frais alors que le froid picote la langue de Maki, rougissant son nez et le bout de ses oreilles. Yuji est comme un ventilateur au milieu de l’été, son corps a constamment la température d’un fourneau à charbon. Il ne porte ses vêtements d’hiver que si Maki le harcèle. C’est une amitié symbiotique.
« T’as déjà fait une bataille de boules de neige ? » Lui demande Yuji un jour après l’école, alors qu’ils se reposent à l’intérieur autour de deux tasses de chocolat chaud. Celle de Yuji est composée de tellement plus de guimauve que de chocolat que c’en est comique.
Maki secoue la tête. « Non, jamais, répond-elle. Mais le nom est assez explicite. »
Yuji s’anime. « Ouais, mais savoir ce que c’est et vraiment faire quelque chose, c’est deux trucs complètement différents ! Dit-il, enfournant dans sa bouche un marshmallow à moitié fondu. Il l’étale sur l’entièreté du côté droit de son visage. « On devrait faire une bataille de neige ! »
En haussant un sourcil : « Là, tout de suite ?
- Tout de suite ! »
Il n’a pas besoin de le dire deux fois. Ils reposent leurs tasses d’un coup en une synchro parfaite et se précipitent dehors, faisant la course jusqu’au lit de la rivière. Là où elle vit, l’Arakawa n’est pas complètement gelée, mais assez froide pour que des plaques de glace mélangés à de la matière végétale flétrie flottent dans les vagues telles des bouées. Maki regarde Yuji déraper sur la glace et s’accroupir au sol, arrachant en un mouvement fluide une poignée de neige fondue et la compactant avec ses mains. Avant que Maki ne puisse l’imiter, il la jette sur elle à pleine puissance jusqu’à ce qu’elle se cogne à sa veste en une explosion poudreuse.
Maki rit lorsque la glace se colle à ses cheveux. « Oh, tu vas voir ! »
Avec les deux engagés dans un combat enneigé, le calme lit de la rivière se transforme rapidement en champ de bataille hivernal. Leur force égale leur permet de ne pas se retenir – Maki lance avec une force qui pourrait abattre un éléphant et Yuji lui rend la pareille avec des lancers qui pourraient faire tomber un camion. Éventuellement, Yuji arrache une branche à un arbre mort et l’utilise comme batte de baseball pour décimer ses boules de neige, alors Maki pulvérise un rocher proche pour s’en faire un bouclier. Une fois tous les deux épuisés, ils se laissent tomber l’un à côté de l’autre dans la neige, désormais tâchés d’une multitude de brindilles et cailloux.
« Laisse-moi te montrer comment faire un ange des neiges, » souffle-t-il, puis commence à battre sans grâce des mains et des pieds jusqu’à ce que son contour flou marque la glace brisée. Maki le suit et se rend compte que son manque total de technique est en fait la bonne façon de procéder.
« Pourquoi est-ce qu’on ferait pas un bonhomme de neige ? » Dit Maki alors qu’ils admirent leur travail. Yuji lui répond en amassant autant de neige que ses petits bras peuvent en porter jusqu’à ce qu’ils essayent à nouveau de se surpasser l’un l’autre, formant des boules de neiges qui pèsent plus que les deux d’entre eux combinés. Leur taille devient un plus gros problème que la force de leurs bras, alors Maki se tient sur les épaules de Yuji pour hisser les différentes parties du bonhomme ensemble. Maki ramasse des cailloux pour former des yeux et une bouche et Yuji y colle un bâton pour le nez. Ils le regardent, satisfaits, pendant un moment avant que Yuji ne se retourne pour prendre un autre bâton afin de l’utiliser pour dessiner une cicatrice sur le côté droit de la bouche du bonhomme de neige.
« Voilà, c’est parfait ! Déclare-t-il fièrement. Maintenant on dirait ton papa ! »
Ça les fait tout les deux rire, et ils rigolent de plus belle quand ils rentrent et que Toji les regarde bizarrement en disant : « Hé, qu’est-ce qu’il y a de drôle ? »
Toji ne pensait pas qu’il en aurait un jour quelque chose à foutre d’un gosse qui ne soit pas le sien, mais il faut admettre que Yuji est sacrément adorable.
De un, il est à peu près sûr que le mec est composé d’énergie pure, vu comment il rebondit toujours sur les murs à la manière d’un flipper. Les seuls moments où il ne sourit pas, c’est quand il se goinfre, et même alors il continue à parler pendant tout ses repas entre deux bouchées de riz. Le gamin a un cœur en or qui brille si fort qu’il scintille à travers ses yeux, éclairant chaque pièce qu’il traverse comme un rayon de soleil. Il pense le plus grand bien de Maki, et Maki pense le plus grand bien de lui. Toji ne l’a jamais vue faire son âge plus que quand elle est avec lui, et il sait que Yuji est la raison pour laquelle elle a fini par s’ouvrir plus aux autres et à explorer ce que cela signifie d’avoir une enfance normale.
Donc sans vouloir exagérer, Toji tuerait littéralement pour ce gosse.
Cela dit, il fait passer Toji pour un génie international. Il est rentré avant Maki, un jour, alors que Toji était toujours trempé de sang de ses travaux du jour, et si le gosse était n’importe qui d’autre sur Terre, il ne s’en serait jamais tiré en disant que c’était du ketchup. Ça n’avait certainement pas l’odeur du ketchup. Il avait fait des burgers ce soir-là au cas où Yuji l’aurait dénoncé. Heureusement, Yuji n’est pas une balance. Toji apprécie cette qualité.
Yuji est plus souvent chez Maki et lui après les cours qu’autre part, et il dort chez eux au moins une fois presque tous les week-ends. Son grand-père est un mec bien – un vieil homme un peu grincheux sur les bords, mais ses intentions sont principalement bonnes. Les instincts de Toji lui disent qu’il cache quelque chose, mais il ne va pas forcer. Wasuke est assez sympa pour participer aux courses que Toji fait pour les gosses, et les quelques fois où Maki va dormir chez Yuji, il fait toujours attention à appeler Toji pour lui dire qu’elle va bien.
Yuki est là plus souvent, ce qui est – bien. Elle est de bonne compagnie, d’accord ? Personne ne peut lui en vouloir de l’apprécier. Son travail est toujours merdique et il est fauché de façon presque permanente, mais pour la première fois, il peut dire honnêtement qu’il est… heureux. Quand les enfants sortent de l’école pour les vacances de Noël, un combo des quatre d’entre eux est pratiquement toujours à la maison, ce qui veut dire que Toji ne se sent à peu près jamais seul. Donc ouais, il en a fait du chemin depuis qu’il s’est réveillé nu et à moitié mort sur une table d’opération.
Et puis, parce que la vie de Toji ne peut jamais être bonne pendant trop longtemps, quelque chose arrive et fracasse sa sérénité comme une boule de démolition, seulement deux semaines avant Noël. C’est presque une nuit sans lune, alors que tout les loups de la montagne sont partis se cacher, n’ayant rien sur quoi hurler. Il n’y a aucun avertissement – rien que la porte d’entrée de chez Maki et lui arrachée à ses gonds d’un coup, résonnant d’abord contre l’escalier de métal puis contre le sol couvert de neige en dessous.
« Yo, » annonce une voix aérienne de derrière lui, et l’estomac de Toji tombe à travers le fond de ses pieds. « Ça fait un bail.
Toji fait volte-face. Des yeux bleu glace transpercent son âme de derrière un éventail de cils blancs et des lunettes de soleil noires.
- Sérieusement ? »
Notes:
MissingN000 : hey, j’espère que vous avez aimé ce chapitre ! désolé.e, je sais que c’était 99 % de fluff avec une explosion à la fin. comme vous vous en doutez, j’adore les intro de persos à la fin de chapitres. attendez vous-en à beaucoup, beaucoup d’autres.
merci encore d’avoir lu ! les commentaires et kudos refont toujours ma journée !
***
Traducteur : Vous voyez cet audio qui fait ‘she’s an icon, she’s a legend and she is the moment’ ? C’est moi à chaque fois que je vois Gojo :’).
J’aimerais juste dire que je n’ai absolument aucune idée de comment un gosse de sept ans parle. Donc si ça sonne bizarre, c’est pour ça. C’est plus facile avec Maki parce qu’elle est déjà censée parler comme une adulte à cause des Zen’in et de Toji…
Chapter 7: la danse des lions
Notes:
la confrontation qu’on attendait tous.
bonne lecture !
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
« Sérieusement, dit le garçon avec une pointe de folie dans la voix, se frottant contre la tension dans l’air comme la face plane d’un couteau. T’as l’air tout neuf. J’imagine que je t’ai pas tué assez fort. »
L’effroi lui tiraille l’estomac et régurgite de l’acide dans ses tripes qui ronge ses entrailles. « Oh ? T’essayais de me tuer ? Nargue-t-il. J’avais l’impression qu’un chiot me frappait la poitrine de ses petites pattes.
- Ha ! » Le gamin aboie d’un rire court et s’appuie tranquillement contre l’encadrement désormais vide de la porte. « Enfin, tu connais le dicton. Si tu ne réussis pas du premier coup, essaye encore et encore.
- J’ai une meilleure idée, riposte Toji. Si je peint les murs avec tes intestins, t’en dit quoi ? Ça fait longtemps que je veux redécorer. »
Le morveux s’enflamme, lui adressant un sourire composé de beaucoup de dents et d’aucune joie. « Alors c’est comme ça que tu veux la jouer ? »
Putain, vraiment pas. « J’voudrais pas qu’il en soit autrement, répond Toji à la place. Comment tu m’as trouvé ?
- En fait, t’as croisé une de mes potes, commence à raconter le gamin. Jolie fille, pas qu’elle soit mon genre. De longs cheveux argentés, peut-être ça te dis quelque chose. Elle est plutôt forte, alors quand elle m’a dit que quelqu’un lui avait complètement défoncé la gueule, il fallait que je m’y intéresse, tu vois ? Elle m’a dit que c’était un homme sans aucune énergie occulte et avec une cicatrice sur le côté droit de sa bouche, et je me suis dit... » Son visage se tord en une expression maniaque, ses pupilles dilatées derrière ses lunettes sombres. « … ‘Hé ! Je connais ce mec !’ »
Merde, Toji aurait dû faire plus attention. Il savait qu’accepter des missions contre des exorcistes le foutrait dans la merde un de ces jours, il n’avait simplement pas le luxe de refuser. Il se souvient un peu de ce combat – la technique de la dame avait quelque chose à voir avec les corbeaux, il croit. Rien d’extraordinaire non plus. « Ah ouais, ça, dit-il lentement. C’était pas un combat super intéressant. »
Le garçon se contente de rire à nouveau. « Honnêtement, ça m’a surpris d’apprendre que t’étais en vie et en pleine forme. Dis, quelqu'un t'aurait pas aidé ? »
Il ne veut vraiment pas attirer des ennuis à Yuki, mais on dirait que le gamin est déjà au courant. « Bordel, de quoi tu parles ? J’avais juste besoin de deux-trois pansements.
- Pff. Bien essayé ! Rit le morveux. Mais si c’est pour mentir, essaye au moins de faire en sorte que ce soit crédible. » Il change de jambe, et les chaleureuses lumières jaunes de l’appartement de Toji traversent ses lunettes comme un coup de tonnerre. « Peut-être que j’irai parler à ta copine plus tard. »
La gorge de Toji s’assèche. « Tu la laisses en dehors de ça.
- Aww, comme c’est mignon ! » Se moque-t-il, portant une main à sa poitrine, comme s’il avait un cœur dans la cavité vide en-dessous de sa cage thoracique. « Dommage, pourtant. C’est pas comme si t’allais être là pour m’arrêter. »
Toji plisse les yeux. « Pourquoi on continuerait pas cette discussion dehors ?
- Marrant. C’est ce que je me disais. »
Le gosse saute sur la balustrade et fait un salto arrière avec une torsion inutile pour descendre de la plateforme, parce qu’évidemment, c’est un putain de frimeur. Toji le suit, mais pas avant de rentrer à l’intérieur rapidement pour prendre l’arme que Yuki lui a donné – et de retirer le katana classe spéciale qu’il a donné à Maki du placard.
Pardon, Maki.
Il se demande si le morveux sait qu’elle existe. ‘Tain, il a tellement de chance qu’elle soit chez Yuji ce soir pour une soirée pyjama. Toji fixe le gamin sur la neige en contrebas ; il se souvient de son nom, désormais.
Satoru Gojo.
Quel connard.
Toji s’élance depuis le métal et atterrit au sol quelques mètres devant lui. C’est presque poétique, avec Gojo tout en noir ; Toji, tout en blanc. Ses manches longues font peu pour arrêter le froid, mais la plupart des frissons sont la conséquence de quelque chose qui n’a rien à voir. Il a à peine eu le temps d’enfiler ses bottes de combat avant de quitter son appartement. Ses lacets pendent défaits sur la neige humide.
Gojo ne prête pas attention au sac dans les mains de Toji – ses yeux se portent plutôt vers le katana en bandoulière dans son dos.
« C’est quoi ? Demande-t-il. »
Bordel, Toji n’en a aucune putain d’idée. « La dernière chose que tu verras jamais, voilà ce que c’est, dit-il à la place. À part moi, évidemment. »
L’œil de Gojo tressaille. « Tu vois, tout allait bien avant que tu te ramènes, gronde-t-il, abandonnant un instant son air amusé. T’es la raison pour laquelle tout a commencé à s’effondrer avec lui. J’espère que t’es content de toi, du coup. Au moins, j’ai retiré une bonne chose de ce bordel. » Il marque une pause, comme s’il réfléchissait. « Enfin, deux. »
Toji ne peut même pas se souvenir de ce qu’il a fait pour ruiner la vie de ce gosse, mais il n’arrive pas à se forcer à le regretter ne serait-ce qu’une seconde. « Ouais, putain, je suis ravi, » répond-il.
Gojo soupire, son rictus revenant à son visage. « Sans parler du fait que t’as corrompu mon autre pote. Fallait vraiment que tu la fasses t’arranger le coup aussi, hein ? C’est mon ancienne camarade de classe. » Il secoue la tête avec un rire amer. « J’aurais pas pensé qu’elle me ferait ça. »
Il ne peut pas être en train de parler de Yuki. La différence d’âge est trop grande pour qu’ils aient été camarades de classe, et elle a dit à Toji qu’elle gardait ses distances par rapport à lui. Il doit parler de cette docteure à l’air fatigué ; Toji ne connaît même pas son prénom. « Ah, c’est vrai, elle, ricane-t-il. Elle avait les mains baladeuses, tu sais. »
Gojo se fend d’un simple rire rude. « T’es vraiment déterminé à me faire perdre tout les gens que j'aime, non ? »
Toji n’a aucune putain d’idée de ce dont il parle et il ne veut pas savoir. Tout ce qu’il sait c’est qu’une rancœur bouillonnante lui brûle la poitrine si fort qu’il a l’impression de pouvoir cracher des boules de feu, et il ne peut simplement pas s’arrêter. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Tu le mérites. »
L’expression de Gojo vacille. « Ils ne sont plus tiens, déclare-t-il, et il y a quelque chose de presque désespéré dans sa voix. Je vais pas te laisser me les prendre. »
‘Tain, de qui est-ce qu’il parle ? Tant pis, aucune importance. « Je ferais ce que je veux. »
Gojo fait craquer son dos et s’étire tel un chat prêt à bondir. « Désolé, mais je vais devoir te renvoyer en enfer.
- Ouais, sans moi. Qu’est-ce que tu dirais de prendre ma place ? Dit Toji, prenant une position de combat. Dit bonjour au diable pour moi.
- Le diable ?! Gojo ricane, tremblant d’anticipation de manière visible. Je le regarde déjà dans les yeux. »
Toji serre les dents. Il peut presque goûter à l’énergie débridée qui coule désormais dans ses veines. « Assez parlé. »
Gojo arrache les lunettes de soleil de son visage et les jette sans regarder dans la neige. « Dansons, le vieux. »
Toji sourit. « Vaut mieux être deux pour valser. »
Au même moment où Toji s’élance depuis la neige vers sa cible, Gojo lève la main en un geste simple et murmure doucement quelque chose, puis un épais voile sombre s’écoule sur le ciel nocturne comme une bouteille d’encre renversée sur l’atmosphère. Il s’infiltre au milieu de la nuit sous forme de grosses gouttes suintantes, sifflant contre les températures glaciales en un lourd brouillard. Le rideau redonne aux étoiles scintillant faiblement leur éclat d’origine, et Toji a le net sentiment d’être pris au piège dans la gueule du loup. Il renvoie une main dans son dos pour dégainer le katana, mais Gojo ne lui en laisse pas la chance.
Il y a une explosion, un mouvement flou, puis une marée de pourpre phosphorescent matraque sa poitrine et le projette en arrière. La vitesse du coup l’envoie dans un arbre environnant qui se fissure à l’impact, des milliers de petites bouts de bois s’éparpillant sous lui et se collant au dos de son t-shirt par de petits trous. Toji est de retour sur pied en un millième de seconde, pourtant même cette vitesse surnaturelle suffit à peine à éviter une autre vague mortelle d’énergie que Gojo envoie dans sa direction, ses cheveux blancs s’envolant en arrière pour exposer son front alors que l’éther vacille.
Sort inversé, Rouge. Ce n’est pas tant son esprit qui l’en informe que ses muscles, la sensation brûlée dans ses fibres comme une marque au fer rouge. Une force répulsive, inversant l’énergie dans l’air et la retournant jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus supporter sa propre pression. Un peu plus loin, Gojo est pendu, suspendu dans l’air comme une marionnette coupant ses propres fils, une expression creuse et détachée glissée sur ses traits doux. Il commence à former un autre signe de main, mais désormais c’est au tour de Toji de l’arrêter dans son élan. Il plonge une main dans le sac que Yuki lui a donné et saisit l’arme de son poing, des maillons de fer froids s’enfonçant dans sa paume.
C’est une chaîne. Toji jette le bout crochu hors du sac et l’observe naviguer dans le paysage, s’allongeant mystérieusement au-delà de sa taille originelle alors que l’extrémité du métal s’envole loin de lui.
Ah. Pratique.
Il ne peut pas viser Gojo lui-même, il va trop vite – à la place, il l’accroche à la gouttière de son immeuble et se balance comme un trapéziste, laissant l’élan de sa force surnaturelle le porter vers l’exorciste dans le ciel. Le matériau fragile du tuyau de vidange se déforme sous son poids, alors, juste avant qu’il le laisse tomber, Toji décroche la chaîne en une explosion de force verticale pour se projeter contre son adversaire. Il arrive à voir la lueur de trépidation sur le visage de Gojo du coin de l’oeil tandis qu’il lui enfonce ses talons dans les côtes, faisant tomber le gamin de sa place légitime parmi les nuages.
Au départ, on aurait dit qu’il l’avait touché. Gojo se retourne et se redresse pour rester dans les airs et Toji replonge vers la neige, écrasant les flocons délicats sous ses pieds jusqu’à ce qu’ils se compactent en blocs de glace solide. Cependant, les vêtements de Gojo ne sont pas froissés, et il ne semble pas souffrir non plus ; à la place, ses lèvres sont tordues en un rictus arrogant alors qu’il toise Toji avec un rire dérisoire.
« Ah, oui, t’as jamais eu une chance de vraiment voir ça, hein ? Dit-il le souffle coupé, ses yeux céruléens plus froids que l’hiver glaciale autour d’eux. C’est ça la véritable différence entre nous deux : l’Infini. Honnêtement, c’est dommage que notre match de départage se finisse comme ça avant que tu puisse même me toucher. »
Match de départage ? Toji ne savait pas qu’il y en avait eu un autre. Gojo l’utilisait probablement comme une insulte, mais c’est presque un réconfort de savoir qu’une version de lui a été capable de vaincre ce gosse. Ça l’imbue d’une surcharge de confiance qui démarre à la base de son cœur et se propage dans toutes les cellules de son corps, juste assez longuement pour qu’il souffle et se débarrasse de la façon dont le gamin le regarde comme une fourmi devant un dragon en secouant la tête.
« On verra ça ! »
Toji attrape à nouveau la chaîne et la fait tourner autour de lui-même en une cage aveuglante tandis que Gojo se recule pour le frapper d’une nouvelle vague de Rouge. Gojo lance la charge d’énergie au même moment où Toji frappe la neige en un nuage poudreux pour l’éviter, et la fraction de seconde que Gojo prend pour se remettre de l’utilisation de sa technique est bien plus qu’assez pour que Toji jette la chaîne autour de l’Infini entourant le coude de l’exorciste comme un lasso et se projette en l’air, des échos d’étoiles traînant derrière lui dans son sillage féroce.
La pression inverse de l’Infini rejetant son intrusion fait basculer Toji entre les pointes de lumière qui trouent le ciel de velours. Le morveux le regarde avec un mélange de confusion et de fascination alors que Toji jette son bras derrière sa tête, un rictus sauvage et canin prenant possession de son visage et déchirant la cicatrice sur ses lèvres. Lorsque Gojo change de direction pour éviter l’impact, Toji enroule à nouveau la chaîne autour de lui et le ramène en tirant à la terre marquée à ses côtés, tout deux se heurtant à la glace dans un broyant froid amer.
Toji tire sur la chaîne pour attirer le gosse et le frapper à la poitrine mais l’Infini l’arrête à nouveau. Sa frustration temporaire laisse à Gojo l’occasion de se dégager de la chaîne et de le frapper aux côtes en un coup de pied circulaire fortifié par une énergie maudite puissante et enragée, et Toji sent deux de ses côtes se fracturer contre sa force brute. Il se cogne contre la rive et des cailloux givrés s’écroulent sous son poids comme des cadavres gelés. Toji se relève maladroitement et reprend sa position avec une détermination sans faille.
Gojo le fixe, à moitié agacé et à moité amusé. Du magma fondu tourbillonne dans la poitrine de Toji comme un volcan prêt à entrer en éruption et à noyer une cité, et tout ce auquel il puisse penser alors qu’il s’élance à nouveau vers l’exorciste est Maki.
Il ne va pas laisser Gojo l’abandonner sans père, pas une nouvelle fois. Cette fois-ci, il ne se bat pour se sauver lui-même.
Il se bat pour sauver sa fille.
Toji comprend, à présent. Ces histoires incroyables de mères banales soulevant un camion pour sauver leur bambin piégé en-dessous, ces contes d’un frère adolescent plongeant sans hésiter dans des rapides mortels pour secourir sa sœur en train de se noyer. Des exploits qui devraient être impossibles, sont impossibles. Sauf que quand c’est la famille qui est en jeu, rien d’aussi insignifiant que les limites humaines n’a la moindre putain de chance. Alors Toji se lève, dégaine dans son dos, et tire sur ce sentiment de tout son pouvoir, comme il le ferait s’il n’avait plus rien mais avait besoin de plus quand même.
Il sort le katana de son fourreau d’ivoire et jette ce dernier dans la neige derrière lui. Gojo regarde la lame comme si toute cette situation l’amusait et ne s’embête même pas à l’éviter, se contentant de sourire à Toji alors qu’il se prépare à frapper.
« Sérieusement, encore ? Je t’ai déjà dit que t’arriveras jamais à passer à... »
Toji abat la lame, et l’Infini se brise en une multitude de pièces. Gojo ne peut que regarder avec horreur abjecte Toji lui couper net le bras gauche, du sang jaillissant du joint amputé en jets nauséabonds.
« Quoi ? Souffle-t-il, et Toji ne saurait dire si la douleur insoutenable qu’il devrait ressentir n’est pas couverte par le choc dû à la perte de son membre en premier lieu. Son bras heurte le sol en un bruit sourd écœurant et avant que Gojo ne puisse réagir, Toji le ramasse et le jette dans l’Arakawa, ce qui distrait Gojo pendant juste assez longtemps pour que Toji empale brutalement le katana dans sa poitrine.
Le coup manque son cœur de peu, alors Toji l’enfonce un peu plus loin et le râpe contre sa cage thoracique en une friction terrible de lame contre os. Gojo hoquette et tousse un flot de sang par sa bouche béante, trempant son cou et sa mâchoire d’un écarlate visqueux. Il lacère sa main restante, se mutilant confusément en une tentative désespérée d’arracher la lame de sa poitrine, mais Toji reste implacable. Des caillots rouges gouttent de la lame cristalline, la gloire de la mort en cascades révoltantes.
Lorsque Toji l’arrache finalement de son corps, il ne laisse pas au morveux une chance de souffler. Il tranche sa poitrine et les artères des clavicules de Gojo crachent de fins jets de sang tandis que Toji piétine sa cheville, la cassant d’un craquement sec. Toji enfonce une botte renforcée de fer directement dans son sternum et chasse le souffle de ses poumons mutilés, le faisant tomber sur la neige en une masse informe, souillant la neige d’un blanc pur avec la couleur de la violence.
Honnêtement, l’ironie est poétique ; entendre la toux humide de Gojo sur la glace alors qu’il lui manque le même membre que celui qu’il a volé à Toji lors de leur combat, sa poitrine presque autant massacrée et arrachée que celle de Toji alors.
Il se demande à quel point il ressemblait à l’époque à Gojo aujourd’hui. Leurs positions sont inversées, Toji se tenant au-dessus de son corps écroulé.
Toji imagine qu’il a quelques instants à couler, alors il décide d’inspecter le katana. Comment exactement est-ce qu’il a pu couper l’Infini ? Il sait qu’il a senti une poussée de quelque chose d’arcanique, comme si la lame elle-même répondait directement à la force de ses convictions. Mais qu’est-ce qu’il désirait ? Il voulait gagner, évidemment, mais ce qu’il voulait par dessus tout c’était la capacité à protéger sa fille ; d’assurer sa sécurité, d’être son gardien, d’avoir assez de force pour qu’aucune entité ne puisse possiblement lui faire du mal, et tout d’un coup Toji comprend.
Une lame forgée pour tuer est une chose. Mais rien ne pourrait être plus puissant qu’un sabre fait pour protéger.
Gojo se tord toujours sur le sol, des mèches blanc pur trempée de cramoisi vibrant. Toji sautille vers lui et élève le katana au-dessus de sa tête, prêt à l’abattre sur lui. Il a bien l’air de ressentir la douleur à présent, et il y a des larmes coulant sur ses joues, dont Toji ne pense pas qu’il se rende compte. Au dernier moment Gojo lève une main et un éclair de lumière néon jette Toji par terre, les genoux de Gojo fléchissant faiblement alors qu’il se hisse debout.
Il tousse, à mi-chemin entre un crachotement et un rire, quelques gouttes de rouge tâchant la surface à ses pieds.
« T’es monstrueux ! Ricane Gojo avec un grand sourire, et Toji ne sait pas s’il est vraiment excité par le défi ou s’il est juste en train de délirer à cause de la douleur. Mais tu vas pas te débarrasser de moi aussi facilement !
- Heureux de l’apprendre, dit Toji avec un sourire tout aussi démesuré alors qu’il nettoie la lame avec son t-shirt blanc, souillant ses vêtements avec le sale sang du morveux. « Parce que je viens de commencer ! »
La cheville de Gojo se remet en place et il inspire profondément, sa respiration se calmant alors qu’il avale de plus en plus d’air, et Toji ne peut que penser qu’il est en train d’effectuer un diagnostic express sur lui-même. Gojo s’élance à nouveau d’un salto aérien qui le ramène à la sécurité des cieux.
De retour dans l’air, le gosse lève la main qui lui reste. « Sort Originel, Puissance Maximale : Bleu ! »
Derrière-lui tourbillonne une orbe de cobalt luminescent, chalutant les nuages en spirales brumeuses qui se compressent en une tempête. Bientôt, l’air lui-même est piégé dans le vortex implacable avec l’attraction inéluctable d’un trou noir, l’hiver même tiré impitoyablement dans son horizon des évènements. Gojo flotte, pile au centre de l’œil du cyclone, de violents zéphyrs fouettant ses cheveux blancs qui brillent plus fortement que la neige sous eux, ses mèches collées à ses tempes par la glace, le sang, les larmes, peut-être tout à la fois. Bientôt, la force gravitationnelle devient si forte qu’elle attire la condensation des lourds nuages, et de la grêle tombe comme un tapis de balles qui inonde les décombres découlant de leur combat.
C’est à ce moment-là que Toji décide que le gamin est officiellement inhumain. Aucun être vivant, respirant, ne pourrait jamais créer une tempête de neige.
Même alors que la neige sous ses pieds se transforme en gadoue de par la force de la technique de Gojo, ceux-ci restent fermement ancrés au sol. De la glace tombe comme des dagues, alors Toji évite chaque volée grâce à ses réflexes d’agilité. Toji essaye de le mener loin des résidences, parce qu’il a une vieille voisine qui fait des tartes aux pommes que Maki et Yuji adorent tous les deux – mais Gojo est l’incarnation de la destruction aveugle. Il projette des rafales d’énergie maudite sans faire attention à son entourage, rasant arbres et rochers près de la rive pour en faire de la cendre pulvérisée. Une fenêtre se brise, une fenêtre qui appartient à un adolescent à peine plus jeune que Gojo lui-même.
Il se demande à quel point le gamin est même mentalement présent, là, tout de suite, alors qu’il bascule dans l’air avec sa main s’enfonçant dans son épaule vide et en sang, comme s’il vérifiait qu’il n’y avait vraiment plus rien à cet endroit. Ses yeux sont ternes et vitrés ; il n’y a aucune expression sur son visage alors que son sang s’écoule de l’espace situé sous son cœur sur ses vêtements en lambeaux.
Ses cils blancs battent faiblement tandis qu’un autre crépitement de Rouge s’écrase sur l’estomac de Toji, puis il revient à la réalité.
« Hé ! Tu te souviens de ça ?! Crie Gojo, tendant la main devant lui tandis que l’hystérie revient sur son visage. « Équation Imaginaire : Violet !
- Putain ! Toji se tourne sur ses chevilles pour l’éviter mais le déluge d’énergie est trop rapide pour qu’il s’en sorte complètement. Le sort arrache un bout de son dos – pas assez pour être fatale, mais assez pour inonder son t-shirt de sang, une chaleur douloureuse brûlant ses terminaisons nerveuses comme un haut-fourneau. Gojo se prépare à répéter le sort, alors Toji court vers le centre du paysage.
Ah, non, certainement pas ! Il s’élance vers la chaîne qu’il avait laissée de côté et l’enroule autour de la cheville du morveux, le tirant hors de l’atmosphère et le frappant contre le pont qui traverse la rivière. Il s’effondre sur lui et l’enterre sous les débris, des vagues glacées l’avalant alors que le béton fissure les plaques de glace disjointes qui recouvrent la surface de l’eau. Gojo n’est submergé que quelques secondes avant de sortir des débris, utilisant la chaîne contre Toji alors qu’il les ramène ensemble.
« La Chaîne de Mille Lieues, hein ? Halète Gojo, de l’eau à moitié givrée collant ses cheveux à son visage. Je pensais que j’avais cassé ce truc. »
Toji le rejette sur l’autre rive, laissant la chaîne de côté à nouveau et se pointant du doigt. « Ouais, tu pensais que t’avais cassé ce truc aussi, ricane-t-il. Tu m’as pas l’air d’avoir des antécédents si géniaux que ça ! »
Gojo s’élance vers lui et essaye de le frapper à bout portant avec un autre Violet, visant cette fois-ci pile entre les yeux. Toji plie le dos et fend la chair tendre de la hanche droite du garçon avec son katana, entaillant une ligne effroyable jusqu’au genou. Le gamin ne peut s’empêcher de pousser un cri de douleur et a à peine la force de l’éloigner d’un coup de pied avant de heurter le sol. Toji peut pratiquement sentir le goût de la victoire sur sa langue jusqu’à ce que ses entrailles se tordent de quelque chose qui ressemble à un pressentiment.
Ce malaise…
C’est juste l’idée d’un sentiment, rien qu’il ne puisse nommer. Il s’insinue en lui depuis les gouffres scellés de son cerveau et inspire le doute à ses muscles, se pressant contre les sombres souvenirs enfermés en lui comme on appuie sur un hématome. Le sang tiède sur son dos chatouille sa peau comme pour l’avertir, lui rappeler – quoi, Toji ne saurait pas dire.
Non… tout va bien.
Toji est en train de gagner, non ? Non ? Gojo l’a dévasté la dernière fois, mais pas aujourd’hui. La puissance de sa volonté maintenant comparé à alors n’est pas mesurable par un ordre de grandeur mais par une échelle cosmique. Toji a toujours été surhumain, mais humain n’est plus suffisant. Il imagine qu’il est une sorte d’entité. Si Gojo est le dieu des cieux, peut-être que Toji est le roi de l’enfer. Ils s’annulent, s’enchaînent l’un et l’autre à ce monde laid et mortel par leur antipathie respective.
Puis Gojo se remet sur pieds et forme un seul signe de sa main restante, et Toji ne peut s’empêcher de penser que l’histoire est sur le point de se répéter.
« Extension du territoire : Sphère de l’Espace Infini. »
Et tout d’un coup, tout devient blanc. Le paysage tombe dans le silence autour de lui alors qu’il glisse dans le néant, d’abord par une lumière aveuglante puis en un kaléidoscope céleste de couleurs imaginaires. Son corps entier s’engourdit tandis qu’il est tiré dans un vaste désert cosmique, dans l’étendue vide de l’au-delà. Il ne saurait dire s’il est au bout du monde ou au centre de l’univers – tout ce qu’il sait est que ceci est le début de la fin. C’est un lieu de destins inachevés et de destinées écrites à moitié, rempli des mots des morts et de ceux à naître, sonnant comme toutes les voix qu’il a encore à entendre.
Des dieux anciens lui murmurent une sagesse ancienne qui s’arrête juste avant l’épiphanie, parlant d’heureuses tragédies et d’horreurs magnifiques ; cela forme un puzzle presque complet de tesselles intriquées en une harmonie naturelle, contenant autant de morceaux que de grains de sable sur un littoral, un seul d’entre eux manquant. Il déborde son cerveau de contradictions jusqu’à ce qu’il tourne sur lui-même à la vitesse de la lumière tout en étant complètement immobile, embrasé de la chaleur d’un soleil au zéro absolu. C’est un lieu sacré et profane, et Toji se tient face à face avec l’œil vide de l’éternité, qui transperce son âme jusqu’à son passé, présent et futur.
Toji ne peut bouger que les pupilles de ses yeux, alors il les lève tandis que le morveux expire d’un souffle tremblant devant lui.
« Tu vois, je devrais vraiment te remercier, soupire Gojo, satisfait. C’est grâce à toi que j’ai appris le Sort Inversé la dernière fois, et nous y voilà à nouveau. J’ai fait ça une seule fois auparavant, et c’était vraiment nul. Je dirais que c’est bien mieux là, pas toi ? » Le gamin lève les yeux vers lui avec un sourire faussement tendre et pose doucement sa main sur le cœur de Toji. « Pour exprimer ma gratitude, je m’assurerais de t’offrir un véritable enterrement cette fois-ci. »
Si Toji pouvait bouger, il se frapperait. Putain, mais qu’est-ce que j’ai fait ? Plus il reste là, plus il sent la folie faire fondre sa conscience, le drainant de sa force vitale. Il peut sentir ses souvenirs piégés secouer les barreaux de leurs cages comme des otages sur un vaisseau en plein naufrage, le suppliant de les libérer, désespérés de ne pas se noyer à ses côtés.
Quelque chose le tiraille désormais. Toji sait ce que l’on ressent quand on meurt, et c’est ça. Il laisse ses cils sombres se fermer, son corps devenant rapidement froid. Des images lui viennent à l’esprit pour ses derniers instants, et il jure pouvoir presque sentir une petite main attraper une de ses jambes de pantalon, assise à côté de lui sur le sol d’un vieil entrepôt.
« Mon cousin flippant pense que t’aurais pas dû perdre, est en train de dire Maki, et Toji observe d’une manière distante et détachée alors qu’il se regarde faire une vague de sa main.
- Ouais, bah ton cousin a tort, répond son image. Honnêtement ? Je l’avais cherché. Je pense que j’étais censé mourir.
Maki est silencieuse pendant un moment avant de secouer la tête, de le rapprocher d’elle.
- Non, contre-t-elle. Tu l’étais pas. »
Il essaye de l’attraper mais elle glisse à travers ses doigts, seulement pour qu’il retrouve sa forme de nourrisson bercée par ses bras sous les lumières ternes de l’hôpital. Elle renifle doucement contre sa poitrine alors il serre la couverture autour d’elle, peu sûr de pouvoir exprimer à quel point il l’adore, qu’à partir de ce moment elle est l’entièreté de son monde, que peu importe ce qui arriverait, il ferait tout pour la protéger.
Une petite main se montre depuis l’intérieur de la couverture et se ferme autour de son doigt, et instantanément Toji sait qu’il n’y a rien au monde qu’il ne sacrifierait pour ça.
« Toji, tu rêves encore. »
Lorsque Toji s’est rendu compte pour la première fois qu’il avait une fille, il était terrifié. A présent, il l’aime tellement qu’il peut à peine respirer.
« Comment est-ce qu’on appelle notre bébé ? »
Toji ouvre les yeux, ses paupières lourdes alors qu’il croise le regard de Gojo. Il inspire profondément.
« Maki. »
Et comme s’il écrasait du granite ou cassait un os, quelque chose se fissure, éclatant les chaînes que l’exorciste a posé sur son corps. Il surgit du puits sans fond de l’infini, s’élance vers les confins nuageux de l’univers, et traverse en les brisant les murs de la Sphère de l’Espace Infini et se retrouve sur la neige à l’extérieur.
Il faut un autre instant avant que Gojo fasse effondrer son territoire et le suive, mais il fait avec un mélange tordu de frustration, confusion et peur imprimé sur son visage. Étendre son territoire a dû vider son énergie parce que ses blessures pleurent à nouveau du sang, et il halète comme un chien piégé dans une voiture chauffée. Toji se maudit intérieurement quand il n’a pas la force d’arrêter le morveux de repêcher son bras dans la rivière et de le rattacher en un bruit atroce, tournant le membre amputé comme une poupée cassée et réparée par un enfant négligent.
« Connard, expire Gojo avec un air dérangé, remuant les doigts avec un soulagement non dissimulé. J'aurais définitivement une cicatrice.
Toji déchire le haut de son t-shirt pour révéler les points de suture autour de sa propre épaule, des fils effilochés se croisant au-dessus de la blessure guérie.
- Parfait, on aura la même ! »
Gojo se jette à nouveau sur lui et le sol se fissure sous lui en un gouffre glacé alors qu’il attrape le t-shirt de Toji et les traîne tout deux à la rivière. Le gamin le plonge dans l’Arakawa en une dernière tentative désespérée de le noyer, et même dans l’eau boueuse il peut voir le regard fou de Gojo alors qu’il frappe Toji contre les pierres mousseuses du lit de la rivière. Le sang bat contre son crâne et le froid mordant, mais la température glaciale le réveille assez pour qu’il dégage le gamin de lui et sorte de l’eau, Toji s’élançant à sa suite pour le projeter dans la neige qui s’élève autour d’eux en une furie de paillettes glacées.
Ils continuent à se frapper, mais il n’y a presque plus de but ou de sens. Ils sont tout deux bien en-dessous de leur zénith, leurs souffles aberrants et courts, alors qu’ils rassemblent de l’énergie qu’aucun d’entre eux ne possède plus, faisant bouger des muscles qui ne devraient plus en être capable simplement parce qu’ils refusent de perdre l’un à l’autre, pas à nouveau. L’odeur du carnage se répand dans l’air. Le paysage hivernal ressemble à un champ de bataille sanctifié, et il n’y a pas une seule chose dans la ligne de mire de Toji qui ne soit pas cassée – Gojo et lui inclus.
Ça n’est même plus une question de l’un ou l’autre. Aucun des deux ne va s’en sortir en vie. Toji ne sait pas comment, mais ils sont à égalité ; trop à égalité. Si l’un deux meurt, il emportera l’autre avec lui. Ils vont s’entre-tuer ici et maintenant si l’un d’eux n’abandonne pas, et il serait prêt à parier tout ce qu’il possède sur le fait que Gojo préférerait mourir que de le laisser gagner. Toji grogne de frustration alors qu’un ressentiment similaire se développe en lui, jusqu’à ce qu’il entende sa propre voix, de la dernière fois qu’ils s’étaient battus résonner dans ses oreilles.
« Je pensais avoir abandonné une fierté aussi insignifiante. »
Toji cligne des yeux. Il a raison ; pourquoi est-ce que son affirmation de soi importerait ? Comment pourrait-il laisser sa fille sans père pour quelque chose d’aussi insignifiant que satisfaire sa fierté née de rancœur ? D’être fier ni de lui-même ni des autres – il a bien choisi cette voie, non ?
Cette fois-ci, il ne déviera pas de son vrai visage. Il ne peut se souvenir de ce qu’étaient ses dernières paroles originelles, mais il sait qu’il n’en choisira pas de nouvelles avant un long, long moment.
Peut-être que ça allait toujours se finir comme ça. Gojo est toujours en train d’essayer de lui faire franchir le pont arc-en-ciel et le portail doré de la rivière Styx avec ses ongles, et Toji brandit son épée comme la faux de la faucheuse quand l’heure de quelqu’un est venue. C’est une série exaspérante de coups manqués à presque rien et l’écart se resserre un tout petit peu plus à chaque fois. C’est une tragédie astrale, où le paradis et l’enfer entrent en collision, les piégeant tout deux au purgatoire, rien que tous les deux, pour l’éternité.
Toji ne peut pas se permettre l’éternité. Maki se réveillera, le matin venu. Elle se réveillera, et elle rentrera à la maison.
Et Toji est sa maison.
Il est temps d’en finir.
« Assez ! Tonne-t-il, agrippant le tissu du col ruiné du gamin en une poigne de fer. « Je vais pas te laisser me tuer à nouveau et me faire laisser mon gosse derrière moi ! »
Gojo s’arrête. Une lueur d’incompréhension brille sur son visage, mais elle passe aussi vite qu’elle est arrivée. « T’inquiète, dit-il d’un petit rire condescendant. Je me débrouillerais. »
Toji s’enflamme. « Bordel, tu vas pas faire ça, non ! Tu penses vraiment que ma dernière action serait de confier la sécurité de mon enfant à toi ?! »
Et à ces mots, l’expression de folie de Gojo s’effondre complètement ; il arrête complètement de lutter, d’un seul coup.
A cet instant, il n’a pas l’air d’être un exorciste de classe spéciale, d'être celui qui a creusé un trou dans le flanc de Toji et a mis fin à sa vie, d'être l’être le plus puissant existant sur Terre, peut-être de tout les temps. Il n’a pas l’air d'un demi-dieu vivant, d’un archange en chair et en os, d’un être divin perché dans sa tour d’ivoire regardant la terre de haut.
Il a l’air d’être sur le point de pleurer.
« … Hein ? Dit-il d’une petite voix. Qu’est-ce que tu viens de dire ?
Toji le pousse en arrière.
- Si un jour t’as des enfants, tu comprendras.
Gojo grimace.
- J’ai des enfants ! » Sort-il, bien qu’il ait l’air de le regretter dès qu’il l’ait dit. Il continue tout de même : « Je réduirais le monde à néant pour eux. Alors je comprends.
- Vraiment ? S’esclaffe Toji. Et ça t’irait de les laisser derrière toi ? T’as dû t’en rendre compte, Sixième Œil. C’était un aller simple. T’allais pas t’en sortir vivant.
- Je… je m’en serais sorti, bégaie-t-il en réponse, n’ayant même pas l’air de s’être convaincu lui-même, sans parler de Toji.
C’est ça, ouais.
- Okay, amuse-toi bien à te mentir à toi-même, j’imagine. Je peux t’arracher le cœur pendant que tu réfléchis, t’en dis quoi ? »
Surprenamment, le morveux recule à ces mots, même si Toji n’est pas sûr qu’il se rende compte de l’avoir fait. Il redresse inutilement son col ruiné, un geste futile en une faible tentative de reprendre pied. Il se racle la gorge, essuyant une fine traînée de sang congelé de sa bouche du dos de la main. « Donc… On a tout les deux des enfants qu’on veut pas abandonner.
Toji déglutit.
- J’imagine. »
Il y a un silence gênant qui s’étire pendant au moins trente secondes, chacun d’eux oscillant sur leurs pieds alors que leurs corps commencent tout deux lentement à enregistrer les blessures graves qui les recouvrent de la tête aux pieds. Toji ne sait pas quand ou même si il sera jamais capable de s’allonger à nouveau sur le dos, et ses propres points de sutures lui font terriblement mal ne serait-ce qu’en regardant la couture maladroite entre le torse de Gojo et son bras rattaché, recouverte de glace et suintant la boue et la crasse.
« Donc t’as eu un autre enfant, » dit finalement Gojo.
Toji lève un sourcil jusqu’à sa frange emmêlée. « Comment ça un autre ? J’en ai qu’un. »
Gojo plisse les yeux. « Hein ?
Wow, sérieux ?
- Ouais, et ça m’a pris des putains de plombes pour retrouver mon gosse après qu’on se soit battus. Merci d’avoir effacé ma mémoire quand t’as foutu un trou dans mes côtes, d’ailleurs. Depuis, c’est une sacré galère pour recoller les morceaux.
La mâchoire de Gojo se décroche.
- Attends, est-ce que tu te souviens même de moi ?!
- Bah, vaguement, répond Toji, et c’est honnêtement un euphémisme mais il ne veut pas offrir la satisfaction de la vérité à Gojo. Te mets pas dans tous tes états, il y a pas grand-chose dont je me souvienne. T’as une idée d’à quel point ça craignait de même pas savoir que j’avais une fille ?
- Tu penses que t’as… » Gojo lève une main, comme pour ralentir leur conversation qui pour une raison ou pour une autre, semble le frapper comme un train à la dérive. « … Une fille ?!
- Euh, oui ? Hésite Toji. Ça veut dire quoi, ce regard ?
Gojo secoue la tête.
- Elle s’appelle comment ?
- Maki, répond lentement Toji.
- Maki ? Répète Gojo. Ton enfant… c’est Maki Zen’in ?
- C’est ce que je viens de dire, débile, râle Toji. Pourquoi ? »
Gojo expire avec quelque chose qui ressemble bizarrement à du soulagement, la tension s’estompant de ses épaules blessées. « R… rien. C’est juste que mon fils est… » Gojo se coupe d’un rire au souffle coupé. « Tu sais quoi ? T’inquiète. »
Toji penche la tête. « Oh ? Donc t’as un fils ?
- Ouais, un garçon et une fille, en fait, » dit Gojo, quelque chose d’indéfinissable dans son expression faciale.
Toji souffle du nez. « T’as engrossé une pauvre dame, alors ? J’imagine que t’as l’air du genre briseur de cœur.
- Nan. » Gojo s’esclaffe seul, comme s’il riait à une blague dont il était le seul à connaître la chute. « Ils sont adoptés. »
Hm, intéressant. Pour Toji, il n’avait vraiment pas l’air du genre de personne qui ferait un truc comme ça. Et puis, le gamin a quoi, dix-neuf ans ? ‘Tain, les gosses ces jours-ci et leurs… gosses, apparemment.
Plus de silence s’ensuit. Toji expire d’un souffle irrégulier ; Gojo croise les bras, ou plutôt, essaye. Celui qui est rattaché a toujours l’air à peine actif et se contente de tomber mollement sur le côté. « Sinon, t’as fait quoi depuis la dernière fois qu’on s’est croisés ? » Demande le gamin, comme s’ils étaient des vieux amis rattrapant tranquillement le temps perdu au lieu d’ennemis jurés qui essayaient de s’entre-tuer il y a même pas cinq minutes.
Il n’y a pas une seule cellule de son corps qui ait envie d’avoir une véritable conversation avec ce connard, alors Toji se contente d’hausser les épaules. « Tu sais, comme d’habitude.
- Comme d’habitude ? Répète Gojo avec un rictus irritant. Bordel, Toji a tellement envie de lui mettre une droite dans sa gueule de con. Comment tu saurais même ce que ‘comme d’habitude’ est si t’es amnésique ?
Toji lui lance un regard noir.
- Hé, respecte tes aînés.
Gojo réplique d’un sourire tordu.
- Mais je te respecte pas. »
Toji résiste à peine à l’envie de passer ses mains sur son visage d’épuisement, retenu seulement pas l’épuisement littéral de son corps qui lui pèse. « Ouais, je te renvoie la balle. »
Gojo marque une pause pour un instant. « Donc tu te souviens vraiment de rien avant qu’on se soient battus ?
Toji pousse un soupir. S’ils ne prévoient plus de s’entre-tuer, pourquoi est-ce que ce crétin le fait toujours chier ?
- Pas vraiment, non.
Le gamin s’anime.
- Tu fais quoi comme travail ?
Toji fronce les sourcils.
- T’inquiète pas pour ça. »
A sa décharge, il n’a pas l’air de s’en inquiéter. Ou plutôt, Toji peut pratiquement voir une ampoule s’allumer dans sa petite tête vide, et il se rend compte que Gojo vient d’avoir une idée vraiment merdique.
« Travaille avec moi. »
Toji s’attendait à beaucoup de choses, mais certainement pas à ça. « Putain- quoi ?!
- Ouais, travaille avec moi ! S’exclame Gojo avec enthousiasme, sautillant sur ses talons comme un diable en boîte cassé. Depuis que mon ancien partenaire est parti, les anciens me disent que j’ai besoin de quelqu’un pour me contrôler, mais tous les autres sont faibles et inutiles. Personne d’autre ne peut même me toucher, » dit-il avec un sourire de maniaque, beaucoup trop joyeux lorsqu’il ajoute : « Tu m’as coupé le bras. »
Toji attaque d’une pichenette son biceps ensanglanté.
- Et je le referais, si tu me lâche pas.
Cependant, Gojo se contente d’envoyer sa tête en arrière et de rire.
- Allez ! Ça sera marrant !
- Bordel, t’as perdu la tête ?! »
Le gamin regarde dans la vide, considérant la question un instant avant de se retourner vers Toji. « Ouais. »
Bon, au moins il en est conscient. « Désolé gamin, mais tu vas devoir trouver quelqu’un d’autre. Il y a pas moyen que je passe volontairement mes journées avec un tel arrogant, insupportable, exaspérant…
- Peu importe combien tu te fais en ce moment, je parie que les anciens te paieront cent fois plus.
- Signé. »
Notes:
MissingN000 :
yaaay ! merci au développement de toji entre les combats 2 et 3 avec gojo ! je savais que tu pouvais dépasser ton orgueil et revenir à ton vrai visage, espèce de salaud. tu l’as fait.
sinon, vu que je voulais pas le dire direct et avoir l’air gnan-gnan, oui, le nom du katana c’est le nom de la fanfic :’) il est un peu comme nuage flottant dans le sens que sa force dépend de la personne qui le manie ; ici, il répond directement à la force de la conviction de l’utilisateur et à la raison pour laquelle il se bat. en tout, aucune raison concevable ne pourrait être plus puissante que le désir de toji de protéger maki, ce qui veut bien sûr dire qu’il surpasse littéralement quoi que ce soit d’autre :’))) désolé.e gojo, tu n’es rien contre le pouvoir d’une found family ! dans laquelle tu vas maintenant être entraîné sans en avoir le choix. le pauvre gosse a aucune idée de ce dans quoi il s’embarque. les tsukumos ne laissent pas d’âmes brisées mal-aimées
qui sait si gojo aurait vu megumi et tsumiki comme ses enfants à ce stade. putain. Je m’en fous mec la vie est dure et j’ai besoin de ça. edit/note additionnelle : oui gojo sait que megumi est l’enfant véritable de toji, non il ne pense pas que c’est vraiment maki.
merci d’avoir lu ! les commentaires et kudos refont toujours ma journée !
Chapter 8: la magie de noël
Notes:
MissingN000 :
yuki peut utiliser le rct j’ai décidé
je pensais auparavant que toji était plus grand que yuki, mais après avoir analysé le manga pendant plus longtemps et un commentaire d’un lecteur, je souscris désormais à l’idée que toji est un short king. donc peut-être qu’il mesure environ 1m80 ? l’idée de cette différence de taille entre eux me fait rire
bonne lecture !
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Au bout du compte, ça n’est pas le pire résultat imaginable de leur combat.
Le plus important, c’est que Toji est en vie et Maki a toujours un père. Peut-être qu’il aurait pu faire sans Gojo vivant, mais bon, il a des gosses, non ? En plus, ils sont adoptés, ce qui veut dire que leur vrai papa est déjà six pieds sous terre, et Toji ne voudrait vraiment pas être celui qui doit payer les séances de psy si ça se produisait à nouveau. Toji n’a pas encore vraiment commencé à réfléchir à son offre de travailler avec lui, mais si le gamin n’a serait-ce qu’à moitié raison sur la quantité de fric qu’il se ferait, c’est beaucoup trop beau pour refuser.
Et puis, Toji mentirait s’il disait qu’il n’a pas désespérément besoin d’un nouveau job. Il n’en peut plus de sortir en douce la nuit, de changer de sujet dès que Maki lui pose des questions sur son travail, de jeter de la javel dans sa douche pour faire partir les tâches de sang sur la porcelaine blanc pur. C’est pas exactement ce qu’il avait en tête pour remplacer, mais il ne peut pas se permettre d’être difficile. Au moins comme ça, il a l’occasion d’utiliser son meilleur – et probablement son seul – atout de façon plus organisée et sécurisée. Vraiment, c’est sans doute la meilleure alternative.
… cela dit, Toji a un mal de chien à ravaler ses regrets quand il observe Gojo se balader dans son appartement comme s’il avait acheté l’immeuble, étalant de la boue, du sang et de la neige sur son parquet en bois dur (véritable!) avec ses empreintes vaseuses dégueulasses.
« Hé, je me souviens pas de t’avoir dit d’entrer, souffle Toji alors que le gamin laisse traîner ses yeux ridiculement bleus sur les murs de sa résidence. T’as intérêt à réparer ma porte avant que ma fille rentre de chez son pote.
Gojo cligne des yeux comme s’il était débile.
- Hein ? Je fais ça comment ?
- J’sais pas, utilise tes putains de sorts ou quelque chose du genre.
- Alors, c’est pas comme ça que ça marche.
Bordel, c’est quoi le but alors ?
- Bah débrouille-toi, connard. Je vais pas lui expliquer pourquoi on dirait qu’un film de zombie apocalyptique merdique a été tourné dans l’entrée. »
Gojo se contente de hausser les épaules. « On dirait que c’est ton problème.
- Oh, je vais te montrer ce que c’est, ‘ ton’ problème, grogne Toji. J’ai des voisins, tu sais. Dis-moi comment je suis censé expliquer tous les trucs magiques bizarres qu’ils viennent de voir ? »
Gojo agite une main dédaigneusement. « Calme-toi, ils n'ont rien vu. C’est à ça que le rideau sert ! Je ferai en sorte que mes gens passent et nettoient avant le lever du soleil. » Il croise faiblement les bras. « Donc prends un calmant, mec. »
Les seuls médicaments que Toji souhaite prendre, là, c’est des anti-douleurs. « Et c’est qui, ‘ tes gens’ , exactement ? »
Le gamin tapote son menton quelques fois avant de répondre. « Disons que si tu vois un mec déprimant avec une raie au milieu et des lunettes, laisse-le tranquille. T’inquiète. Il est super habitué à nettoyer derrière-moi ! »
Toji ressent soudainement un sentiment profond de camaraderie avec cet inconnu sans nom. « Peu importe. » Au moins, il n’aura pas à trouver une excuse bancale pour expliquer pourquoi la neige est désormais plus rouge que blanche. Peut-être que Yuji le croirait s’il racontait qu’un camion de ketchup a explosé, mais ce serait à peu près la seule personne sur Terre.
Gojo continue à vaciller autour de l’appartement comme un jouet à remontoir branlant, s’arrêtant toutes les minutes pour cacher à quel point il boite. Il jette un regard curieux par l’encadrement de la porte de Maki. « C’est la chambre de ton enfant ?
- Passe un pied dedans, et ce sera la dernière chose que tu feras jamais, dit-il en serrant la mâchoire.
- Ooh, j’ai peur, énonce-t-il, l’écoutant tout de même. Toji se demande quel pourcentage de sa bravade n’est qu’une façade. Eh, mieux vaut ne pas s’aventurer dans la psychologie du gosse. Ça à l’air d’être une pente glissante de laquelle il ne se relèverait pas.
Le gamin s’en va et la fatigue semble prendre le dessus un instant, parce qu’il trébuche dans une empreinte particulièrement humide et manque de tomber sur le cul. Ha. Bien fait.
Cependant, autant aimerait-il voir le gamin manger le sol, autant il préférerait ne pas devoir faire disparaître de son salon une tâche de boue et de sang en forme de corps. Il se dirige vers Gojo et attrape son t-shirt déchiré, se réjouissant ouvertement de la demi-seconde de panique qui passe sur son visage. Il le traîne dans la cuisine comme une poupée de chiffon et le laisse tomber sur un des tabourets de bar. Le gosse grimace de façon similaire à cette fois où Maki et Yuji avaient essayé de faire prendre une douche à un chat errant.
« Nouveau challenge. Reste assis sans bouger pendant genre, cinq secondes, » demande Toji d’un soupir exaspéré. Le gamin commence à tripoter un bouton mal cousu de sa manchette presque immédiatement, et Toji souffle du nez. « Wow, je crois que t’es arrivé à trois. Je pariais plutôt sur deux secondes, honnêtement. Tu sais quoi, je te donnerais un trophée de participation. »
Gojo lui tire la langue. Sympa, très mature. « Hé, donne-moi de l’eau. J’ai besoin de reconstituer mes fluides.
‘ Tain, quelle phrase atroce.
- Tes fluides , grogne Toji. C’est trop tard pour le noyer ? Toji a envie de le noyer. Il attrape tout de même un verre dans ses tiroirs et le remplit d’eau du robinet, le déposant sèchement devant lui en l’éclaboussant un peu.
- Vos désirs sont rois, ô cher client. Toji lui répond d’un sourire qui montre ses dents quand le gamin lui lance un regard agacé. Il avale l’eau surprenamment vite, grimaçant quand une partie coule sur son cou.
Honnêtement, Toji ne peut pas nier qu’il se sent aussi assez sale. Le sang sur sa poitrine a commencé à sécher et son dos doit avoir l’air d’un bol de bolognaise. Il se dépêche de passer dans sa salle de bain pour récupérer du savon et du shampoing puis retourne dans la cuisine pour se laver dans l’évier. Pas question qu’il laisse le gamin seul chez lui alors qu’il prend une douche. Il dirait bien qu’il ne lui fait absolument pas confiance mais ce serait un euphémisme.
Gojo regarde le savon avec nostalgie. Ce serait un peu triste si Toji en avait quelque chose à foutre de lui.
Le gamin se tortille, et Toji lève les yeux au ciel.
- Ramène-toi si tu comptes me fixer avec tes grands yeux, débile. C’est pas comme si j’avais envie que tes organes dégoulinent sur l’entièreté de mon appart’ non plus. »
Le gosse s’anime, comme s'il ne s'y attendait pas. Après un autre instant, il se dirige vers l’évier tandis que Toji lui laisse la place pour sécher ses cheveux à l’aide d’un de ses torchons. Génial, une autre chose à ajouter à la liste d’objets qu’il devra remplacer après cette soirée.
Quand même. Regardez-le, tout courtois et attentif avec le gosse qui l’a presque assassiné deux fois. Sérieux, il mérite une médaille. Toji ramasse le savon et l’abat sur le plan de travail près de lui.
… et bien sûr Gojo fait en sorte qu’il le regrette immédiatement. « Argh, pourquoi t’utilises un shampoing 5 en 1 ? C’est criminel pour les follicules !
- Putain, c’est quoi une follicule ?! »
Gojo grogne en commençant à faire mousser le shampoing et grimace alors qu’il inspecte ses cheveux plein de savon. « Sérieusement ! Comment est-ce que tu vis comme ça ?
Connard. Toji croise les bras.
- Je vis comment ?
Gojo prend la bouteille et la jette pratiquement au visage de Toji, pointant un doigt savonneux vers l’étiquette comme si cela répondait à sa question.
- Comme ça ! » Il la repose violemment derrière-lui et recommence à se rincer ses cheveux de vieux jusqu’à ce que l’eau soit claire. Il secoue la tête pour remuer ses mèches comme un chien après son bain, envoyant de petites gouttes d’eau sur l’entièreté de la cuisine. Merde, Toji a vraiment envie d’étrangler ce bâtard jusqu’à ce que son arrogance quitte son corps.
« T’as un sèche-cheveux ? A-t-il l’audace de demander.
Est-ce qu’il se fout de sa gueule ?
- Non mais tu peux aller grimper dans le sèche-linge dans la buanderie, t’en dis quoi ? Je te mettrai le cycle coton en route. »
Gojo le regarde platement, très clairement peu impressionné alors que Toji rit de sa propre blague. Si le gamin ne peut pas apprécier le sens de l’humour clairement supérieur de Toji, c’est de sa faute.
Il attrape un autre torchon et sèche ses cheveux autant que possible – c’est à dire pas beaucoup. « J’arrive pas à croire que je suis coincé avec toi.
Déjà ?! Toji se hérisse.
- Hé, c’était ton idée ! Et ça fait même pas quinze minutes ! »
Et puis, c’est pas comme si quoi que ce soit était officiel pour l’instant – Toji craint déjà le meeting avec les anciens, qui qu’ils soient. Cela dit, il a l’impression que dire non à Gojo n’est pas vraiment quelque chose que les gens font.
Enfin bon. Il faudra qu’il se venge par rapport au gosse un de ces jours. Préférablement quand ils ne sont pas tous les deux en train de lentement perdre leur sang dans sa cuisine.
Ce qui est d’ailleurs en train de devenir inquiétant, et très vite. La tête de Toji a définitivement commencé à tourner à cause de l’anémie, et le gamin n’a pas vraiment l’air d’aller beaucoup mieux.
« Donne-moi ton tel pour que j’appelle mon amie docteure et qu’elle vienne ici, » dit Gojo, comme lisant dans ses pensées. ‘Tain, quel mec glauque. « Elle dort pratiquement jamais, donc elle devrait pouvoir arriver dans la prochaine demi-heure environ. Donc genre, essaye de pas t’effondrer et mourir avant ou quoi.
- Je devrais te dire ça à toi, répond Toji. Le gosse a vraiment l’air d’avoir été passé au mixeur. Pourquoi t’utilises pas ton propre téléphone ? »
Gojo le sort de sa poche avec une grimace et le balance entre ses doigts comme une pendule. « Tu l’as grillé quand tu m’as jeté dans une rivière à moitié gelée, imbécile. Prends tes responsabilités. »
Toji souffle du nez et lève les yeux au ciel. Eh, c’est juste. Il retourne rapidement dans sa chambre pour récupérer son téléphone sur sa table de chevet – merde, il a oublié de le charger. Peu importe, huit pour cent devrait faire l’affaire. Avant qu’il lui passe l’appareil, il envoie un bref texto à Yuki qui résume le combat et son issue. Quelques secondes plus tard, elle lui renvoie un keysmash qui ne peut pas avoir quoi que ce soit de bon.
Il n’est pas sûr d’à quel point il fait confiance à l’amie docteure du gamin, alors il demande à Yuki de passer pour qu’elle puisse le soigner à la place. Tu sais, parce qu’elle s’était bien débrouillée la dernière fois. Aucune autre raison, vraiment.
Avant de retourner dans la cuisine, il replace le katana dans le placard de Maki après l’avoir rincé de ce qu’il restait du sang de Gojo. Il a toujours une feinte odeur de cuivre, mais il espère (espère, espère ) qu’elle s’en ira avant qu’elle ait jamais à l’utiliser.
Il jette son téléphone à l’exorciste quand il réapparaît dans sa ligne de mire et Gojo l’attrape d’un mouvement fluide en plein air. Il commence à taper furieusement sur l’écran en étouffant un rire. « Ton tel est vraiment merdique.
- C’est toi qui est merdique, » lui répond Toji. Il se fout d’avoir cinq ans. « Je t’achète pas de nouveau téléphone, d’ailleurs. Tout est toujours de ta faute.
Le visage de Gojo se tord.
- C’est ma faute si tu m’as jeté dans une rivière ?!
- Oh oui, absolument. » Il saute sur le plan de travail et laisse sa tête reposée contre les armoires, ses paupières se fermant. Son souffle ralentit et il reste silencieux quelques minutes ; il peut sentir son rythme cardiaque passer de grands coups à un léger tapotement et son corps se relâche alors que la tension s’efface de ses épaules. Il s’écoule un instant avant que Gojo ne prenne à nouveau la parole.
« Hé, le vieux. T’es en train de mourir, là ? Ça n’est pas vraiment de l’inquiétude, dans sa voix, mais Toji n’arrive pas à trouver de meilleur mot non plus.
- Ha. T’aimerais bien, » ronchonne-t-il. Il y a un courant d’air froid qui entre par le trou là où sa porte devrait être et Toji doit réprimer un frisson. Il tapote le marbre des ongles alors qu’ils attendent tous deux silencieusement l’arrivée de leurs médecins respectifs.
Yuki est là la première, battant l’amie docteure de Gojo. Toji ne peut s’empêcher d’en être bizarrement fier. Elle s’engouffre à l’intérieur avec sa porte posée tranquillement sous un de ses bras et un rictus sur son visage. « Hé, beau gosse. T’as perdu quelque chose. »
Ha. Toji lui lance un sourire. « Merci, mon cœur. Je me demandais où elle était passée, » dit-il. Les yeux de Gojo s’écarquillent alors qu’il les regarde l’un puis l’autre, puis ses lèvres s’étirent en un sourire moqueur et entendu que Toji n’a vraiment pas envie d’analyser.
« Satoru Gojo ! Ça fait assez longtemps, » le salue Yuki avec une petite vague de la main tout en installant des instruments médicaux sur le plan de travail à côté de Toji. « J’ai jamais pu te demander ça avant. » Elle repousse ses cheveux dorés parfaits derrière son épaule et bouge suggestivement ses hanches, prenant une pose qui fait détourner les yeux à Toji avant qu’il ne se ridiculise pour le restant de sa vie. « C’est quoi, ton type de fille ?
Il lui faut une seconde avant de comprendre, mais une fois la chose faite, Gojo grimace.
- De fille ? Pff, non merci. Désolé, mais je joue pas dans cette catégorie. »
Les sourcils de Toji montent haut sur son front. Oh . L’amour, c’est l’amour, il imagine.
Après un moment, Yuki laisse s’échapper un rire décomplexé. « C’est une bonne réponse ! J’approuve. »
Gojo remue les doigts de sa main, comme pour dire qu’il se fout bien de son approbation. Yuki se lave les mains à l’eau chaude et commence à inspecter les blessures de Toji. Une faible lueur d’inquiétude se noue dans ses sourcils, mais quand elle le regarde dans les yeux son expression est une feuille blanche. Elle les regarde l’un puis l’autre à nouveau tandis qu’elle commence à sortir ses instruments de leurs sachets. « J’ai toujours su que vous vous entendriez bien. Je te l’avais pas dit ? Je parie que vous serez les meilleurs amis du monde en un rien de temps. »
Gojo et Toji échangent un regard accompagné d’une grimace et se retournent vers Yuki. « Il me supporte pas, » disent-ils en une synchro parfaite et – putain de merde. Yuki jette la tête en arrière et éclate de rire.
Peu après, l’amie docteure de Gojo arrive – Shoko , l’appelle-t-il. Ils commencent immédiatement à se parler en chuchotant. Toji pourrait les écouter en douce grâce à ses sens sur-développés s’il le voulait vraiment, mais son attention est rapidement requise autre part quand Yuki commence à essuyer le sang de son dos avec un produit chimique infernal qui pique comme un million d’aiguilles en fusion.
« Bordel , Yuki. T’aurais pu prévenir, » siffle-t-il. Yuki le tape sur l’épaule. « Oh, c’est bon, grand gaillard. C’est pas ça qui va te tuer. » Il y a une trace de quelque chose d’autre dans son ton que Toji doit serrer les dents pour ignorer, puis il sent son énergie maudite se déverser sur son corps comme des vagues d’eau fraîche à marée basse. La douleur commence à refluer de ses muscles alors qu’une sensation de calme afflue dans ses veines, douce comme du coton et fraîche comme un printemps montagnard. Mince, il avait oublié à quel point c’est agréable.
« Il t’as vraiment défoncé, hein ? » dit-elle avec un petit rire, le bout de ses doigts caressant sa peau tandis qu’elle traite ses blessures avec sa douce énergie maudite. Toji préserve son dernier neurone de combustion par la seule force de sa volonté.
« Hé, pour ma défense, je suis pas celui qui a perdu un membre cette fois-ci. »
Yuki se contente de rire et de secouer la tête. « Pas faux. Mais sérieusement, la façon dont tu me regardes me rappelle beaucoup trop il y a deux ans quand je t’ai ramassé par terre. Y’a beaucoup de choses qui ont changé, tu sais ? Avant de m’en rendre compte, j’avais déjà plus jamais envie de te voir à nouveau comme ça. » Elle finit de réaliser son sort, et quelque chose dans sa voix est beaucoup trop affectueux pour que Toji s’en remette. « Toji, » dit-elle doucement, rencontrant ses yeux d’un regard étrangement chaleureux. « Je suis vraiment heureuse que tu ailles bien. »
A peine parvient-il à surmonter l’agitation dans sa poitrine : « Yuki, je…
- Vous parlez de quoi, les tourtereaux ? » Le coupe Gojo.
Toji manque de rougir en entendant simplement ce nouveau surnom, et y parvient définitivement quand Yuki se contente de lui faire signe de se taire sans le nier. Il se racle la gorge en essayant de se recomposer et se tourne pour lancer un regard noir au sale gosse indiscret par dessus son épaule. « On planifie ton meurtre.
Gojo claque des doigts puis le pointe avec. Bordel, quoi encore ?
- Ooh, essaye le poison. J’avale tellement de bonbons, je parie que je remarquerai même pas.
Quoi ? Toji fronce les sourcils.
- C’est quoi ton problème ?
- Tu veux vraiment poser cette question ? Moi qui pensais que t’allais vouloir dormir après tout ça, lui répond Shoko à sa place. ‘Tain, Toji l’apprécie déjà. Gojo ouvre la bouche et met une main sur sa poitrine, feignant l’homme trahi.
- Shoko ! Pleurniche-t-il. Espèce de traîtresse ! »
Shoko rit. « Comme si t’avais quoi que ce soit contre les traîtres.
A présent le gosse a vraiment l’air de s’être fait baffé.
- Ah, allez, sérieusement ? C’est trop tôt ! »
Yuki rit aussi, comme si elle était aussi dans le coup. Toji se sent un peu exclu, mais tant pis. L’amnésie vous habitue vite à ça. Les deux paires se parlent chacun de leurs côtés pendant un peu de temps avant que Shoko ne tire le bras de Gojo pour le remettre sur pied et ne commence à le mener en dehors de l’appartement, enfin .
Gojo jette un œil par-dessus son épaule avant de passer par la porte à peine réparée. « Hé, je te contacterai bientôt pour qu’on discute des détails. C’est quoi ton numéro ?
Il se fout de sa gueule ? Toji lève un sourcil.
- Euh, je vais pas te donner mon numéro.
- Je passerais chez toi, alors.
- Non, t’en dis quoi ?
- Tu peux pas m’éviter, je sais où t’habites. »
Toji soupire, passant ses mains sur son visage. « Tu sais, t’es un putain de taré.
Gojo se contente de rire soudainement.
- Comme tu veux. A plus. »
Toji soupire à nouveau et s’appuie sur les armoires de sa cuisine, et avec une résignation qui à le goût de l’abandon lui répond : « Ouais, à bientôt, j’imagine. »
Shoko et Gojo partent tous les deux de l’appartement après ça, pour aller Dieu sait où. Toji n’en a honnêtement vraiment rien à foutre. Yuki reste pour un peu plus longtemps alors que Toji lui parle du combat de façon plus détaillée, et malgré le fait qu’il ne soit pas du tout aussi bon conteur qu’elle, elle écoute attentivement chacun de ses mots. Elle lui dit au revoir un peu après 4 heures du mat’, et dès qu’elle est partie, Toji s’évanouit sur le plan de travail.
Heureusement, le collègue de Gojo se débrouille pas trop mal pour nettoyer les alentours, et Maki ne se rend compte de rien quand Toji va la chercher chez Yuji – bien qu’elle commente sur le fait qu’il ait l’air plus fatigué que d’habitude. Il est chanceux qu’elle ne lui demande pas plus de détails ; elle ne les demande jamais, parce que c’est un putain d’ange. Dès qu’il ne sera plus pauvre, il la gâtera si fort.
Il faut attendre une semaine avant que Gojo passe enfin. Par chance, c’est au milieu de la matinée, pendant que Maki est toujours à l’école. Depuis leur combat, Toji se prélasse en ne foutant absolument rien, parce qu’honnêtement, il a mérité une putain de pause. Hé, frôler la mort vous fait ça. Quand la batterie du téléphone jetable qu’il utilise pour ses jobs s’épuise, il ne s’embête pas à le remettre à charger.
« Yo, gazouille Gojo quand Toji ouvre la porte, le visage grimaçant. Je t’ai manqué ? »
Toji souffle du nez. « A peu près autant qu’une vipère peut manquer à quelqu’un, j’imagine, » lui réplique-t-il. Le gosse a une nouvelle paire de lunettes de soleil à présent, identique aux précédentes. Toji s’écarte pour le laisser entrer, vu qu’apparemment ils se passent déjà d’invitations.
« Donc j’en ai parlé aux anciens, commence-t-il. Toji est presque reconnaissant que le gamin évite de commencer par des banalités. Je pense que je peux les faire céder sans problème, mais ils veulent te rencontrer avant qu’on commence à travailler ensemble. »
Ouais, et il y a un autre truc que Toji appréhende toujours. « Et ça veut dire quoi , exactement, ‘travailler ensemble’ ?
Gojo lui fait un signe de la main qui était probablement censé avoir l’air nonchalant, mais qui a juste l’air maladroit à la place.
- Tu vois, des trucs du genre aller en missions dangereuses ensemble, voyager pour enquêter sur des incidents liés à des fléaux qui ont tué des gens et pourchasser les coupables comme un duo de flics géniaux, combattre les mauvais esprits et les maîtres des fléaux les plus coriaces sans distinction, qui tueraient littéralement n’importe qui d’autre que nous, et s’entraîner ensemble pour qu’on s’habitue au style de combat de l’autre ! »
Bordel, ça à l’air d’être l’enfer sur Terre. Pense à l’argent, pense à l’argent, pense à l’argent. « Amusant, dit Toji platement. Regarde, je peux à peine contenir ma hâte. Donne-moi le contrat pour que je le signe avec mes larmes de joie.
Surprenamment, ça fait rire Gojo, d’un rire qui à l’air étrangement sincère.
- T’inquiète, ça ira ! Allez, j’ai mon chauffeur devant prêt à nous y emmener. »
Ooh, un chauffeur privé ? Ça, c’est quelque chose auquel Toji pourrait s’habituer. Il suit Gojo dans l’escalier jusqu’à une voiture noire qui a l’air de coûter au moins la moitié du prix du katana de Maki. Un homme sort du siège conducteur pour lui ouvrir la porte en s’inclinant poliment. Une raie au milieu et des lunettes, note Toji. Ça doit être les ‘gens’ que Gojo a mentionné plus tôt.
L’homme a l’air… un peu terrifié par lui, mais Toji suppose qu’il le comprend. Il n’est pas vraiment sûr de pourquoi, mais il décide de blâmer Gojo et pense à autre chose.
« Aw, Ijichi ! T’as pas besoin d’avoir l’air aussi apeuré ! Chantonne Gojo. Il te tuera pas ! Probablement. Enfin, je veux dire, il pourrait totalement, s’il en avait envie. Et qui sait si je serais assez rapide pour l’arrêter ? Mais relax, tout va bien. Encore une fois, probablement . »
Toji expire lentement. Merde, est-ce que sa vie va ressembler à ça à partir de maintenant ? « Je vais pas te tuer, » dit-il à l’homme, blasé.
Ijichi se relève en sursaut. « Merci ! » s’exclame-t-il. Toji se sentirait presque mal pour lui. Il se glisse dans le siège arrière opposé à celui de Gojo et ferme les yeux.
« On devrait jouer à un jeu de voiture, dit Gojo à peine cinq minutes plus tard.
- Non. Je dors.
- Tu dors clairement pas !
- Si, je dors, je suis endormi, là. Sors de mon rêve avant qu’il se transforme en cauchemar.
- Ha ! » Il entend Gojo rire puis se tourner à côté de lui. « Okay, comme tu veux, rabat-joie. Je te réveille quand on arrive. »
Toji se blottit encore plus dans son siège de cuir moelleux et essaye de retrouver une position confortable. Il est reconnaissant quand le silence dure quinze minutes de plus, et prêt à somnoler lorsque Gojo ouvre à nouveau la bouche.
« D’ailleurs, c’est quoi ta relation avec Yuki ? »
Toji ouvre un œil pour lui lancer un regard noir. Ouais, c’est quoi sa relation avec Yuki ? Incapable de trouver une bonne réponse, Toji ne peut qu’hausser les épaules.
« Après, ça peut pas faire de mal de se lier d’amitié avec les classes S, ricane Gojo en remuant stupidement des sourcils, ce qui rend Toji légitimement fier de ne pas frapper ce gosse.
- J’ai aucune intention d’être ami avec toi.
- Pff. C’est réciproque, le vieux. »
Toji lève les yeux au ciel. « En parlant de classes S, il y en a d’autres à part vous deux ? »
En réponse, le visage de Gojo se tord, et son attitude malicieuse se délite lentement jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un néant distant et froid. « Ouais, murmure-t-il. Un.
- Oh ? Et c’est quoi, son truc ? »
Gojo remonte ses lunettes sur son nez pour cacher la majeure partie de ses yeux alors qu’il se retourne pour regarder par la fenêtre, étrangement mélancolique. Sa voix est inhabituellement triste lorsqu’il répond enfin : « C’est un imbécile complet. »
Ils passent le reste du trajet en silence, ce qui est probablement pour le mieux. Ijichi les conduit hors de la ville sur des routes venteuses enfoncées dans la montagne jusqu’à ce qu’ils atteignent un temple impressionnant construit avec une architecture traditionnelle, tout en bois usé par le temps et tuiles d’artisanat, avec une pagode majestueuse qui s’enfonce dans les nuages en s’élevant vers les cieux.
Ijichi les pousse vers une pièce mal éclairée, illuminée seulement par des bougies, et la lourde porte se ferme derrière eux avec un son qui paraît étrangement solennel.
Le meeting avec les anciens se passe plutôt bien, d’après les standards certes assez bas de Toji. Ils le regardent comme un chien regarderait une puce et se plaignent à Gojo pendant une bonne heure, mais au final, aucun d’eux ne le remet vraiment en question. Distraitement, Toji se demande s’ils ont ne serait-ce que la volonté d’essayer ; Gojo et lui pourraient chacun massacrer sans effort chaque personne dans cette pièce seuls, sans compter ce qu’ils pourraient faire ensemble . Toji aime bien l’idée, d’une certaine façon ; l’idée que personne ne leur arrive vraiment à la cheville.
Les vieux demandent à ce qu’il garde un profil aussi bas que possible, ce que Toji peut comprendre. Honnêtement, il préfère ça comme ça ; le moins d’exorcistes il croise, le mieux il se porte. Il est déjà coincé avec le pire d’entre eux. En rencontrer quelques-uns sera inévitable, mais il s’en occupera à ce moment-là.
Quand ils finissent enfin par parler chiffres et font glisser vers Toji une feuille de papier avec un nombre inscrit dessus tel des espions de film d’action, la mâchoire de Toji ne peut s’empêcher de se décrocher et de sortir un juron, au grand dam des vieux connards conservateurs rassemblés autour de lui. Gojo éclate d’un rire victorieux alors que Toji signe sur la ligne indiquée si vite qu’il manque de déchirer le papier.
Ils lui donnent une copie atrocement lourde de tous les papiers qu’il a signé, avec des avertissements répétés de confidentialité et bla bla bla. Toji les jettera la semaine prochaine avec le reste de leur déchets combustibles. Lorsqu’il se dirige vers la sortie, Gojo l’accompagne pour discuter des derniers détails de leur première mission conjointe, qu’ils lui ont déclaré ne pas être avant la fin des vacances de Noël, Dieu merci. Ça lui laisse au moins deux semaines pour se détendre avant que tout ne vire inévitablement pour le pire.
Ijichi le mène aux escaliers du temple puis le ramène en ville, et dès qu’il rentre à la maison, il achète à Maki tous les repas de fast food qu’elle a jamais demandés.
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La fin d’année n’a jamais été une période qui laisse à Maki des bons souvenirs.
Elle a toujours été chargée de corvées de fêtes desquelles elle ne pouvait extraire la joie. Elle se rappelle d’être poussée dans une pièce pour emballer les cadeaux de tous ses cousins avec des instructions strictes sur lequel appartenait à qui, et elle regardait la liste avec envie tout en souhaitant de tout son cœur que son nom soit sur un seul d’entre eux, même si ce n’était qu’une carte, mais ça n’arrivait jamais. C’était à elle de faire le gâteau de Noël et la vaisselle après le repas, puis d’enlever les couronnes le 26 et de les remplacer par des shimekazaris pour préparer les festivités du Nouvel An.
Le ménage complet de fin d’année reposait toujours sur ses petites épaules. Elle a lu que le Jour de l’An était censé être sans stress et colère, tandis que tout devait être immaculé et qu’aucun travail ne devait être effectué – pas pour elle. C’était à elle de nettoyer après sa famille élargie alors qu’ils célébraient le nouveau départ ; sa tâche était de leur verser du saké et de jeter leurs ordures, ce qui, apparemment, comprenait elle-même. Maki n’était jamais invitée lorsque le reste de sa famille allait pour la première fois de l’année au temple. On lui avait toujours dit qu’il ne lui servait à rien de prier pour obtenir quelque chose, étant donné que les dieux lui avait tourné le dos il y a longtemps.
Quand elle a demandé à son père quel vœu il avait fait au sanctuaire une année, il lui a lancé un regard hautain aussi froid qu’une éclaboussure d’azote liquide et lui a répondu qu’il avait souhaité qu’elle ne soit jamais née.
Tout ça pour dire que lorsque Yuji lui demande « Vous, toi et ton papa et ta maman, vous fêtez les fêtes comment, d’habitude ? » en rentrant après avoir joué dans la neige, quelques jours avant Noël, Maki ne peut que le regarder en un silence stupéfait.
Elle n’avait même pas rencontré Toji à cette période l’année dernière. Ils ne se sont pas croisés jusqu’à à peine deux semaines avant son septième anniversaire. Elle connaît Yuki depuis à peu près quatre mois, au mieux. Elle arrête de marcher avant de pouvoir atteindre l’escalier en métal froid, désormais couvert d’une fine couche gelée de flocons délicats qui se collent à ses mèches de cheveux couleur sapin comme des cristaux de sucre et s’incrustent en pointillé de tâches humides sur le doux tissu de son manteau d’hiver.
Yuji l’observe toujours patiemment, attendant une réponse, ses yeux brillant d’honnêteté et d’innocence. Il ne la jugera pas, peu importe ce qu’elle dit, elle le sait ; son cœur est trop gros pour ça, si gros que Maki ne comprend toujours pas comment il ne peut y avoir dedans de place pour quoi que ce soit de haineux. Peut-être qu’il est plein à craquer de tant d’amour et de compassion que ça déborde, rayonnant de chaleur à travers sa poitrine et réchauffant les vies de toute personne autour de lui, comme un feu de camp.
Maki hait à quel point la haine noircit son cœur. Parfois, elle regarde Yuji et pense : je veux être forte comme ça.
Je veux être assez forte pour être gentille.
« Euh, » commence-t-elle d’une petite voix. Yuji se rapproche un peu. « Juste des trucs normaux, j’imagine.
- Trop bien ! lui sourit-il en réponse. Mon grand-père et moi, on reste assez calme d’habitude parce qu’il est souvent fatigué. L’année dernière, il était à l’hôpital pendant les vacances, alors j’ai passé les fêtes là-bas avec lui ! Je crois qu’il était pas super content, par contre. Mais il y avait un sapin de Noël super beau à l’hôpital que moi et les autres enfants ont pu décorer ! C’était vraiment marrant ! T’as déjà eu un sapin ? »
Gênée, Maki secoue lentement la tête alors qu’ils montent les escaliers pour arriver à son appartement. « Non. »
Yuji saute sur place comme un petit lapin. « Wow, vraiment ? On devrait en acheter un alors ! Tu penses que ton papa nous laisserait en mettre un chez vous ? Je crois que ma maison est trop petite. »
Bon, Maki est à peu près sûre que Toji planterait une forêt entière dans leur cuisine s’ils lui demandaient. « Probablement. » Elle ouvre la porte et surprend Toji en train de raccrocher d’un coup de fil. « Salut, Toji. Tu pourrais nous aider à…
- Oui. »
Maki cligne des yeux : « Mais j’ai pas même pas encore fini de poser la question ! »
Toji soupire et lui fait signe de continuer à parler. Maki étouffe un rire. « Tu peux nous aider à acheter un sapin de Noël ? »
Toji esquisse un sourire en coin. « Tu vois, qu’est-ce que je te disais ? Bien sûr que je peux. » Il remet son téléphone dans sa poche. « Vous voulez aller où ? Je crois que j’en ai vu une tonne à vendre à deux ou trois kilomètres.
- Oh, dit Yuji en réfléchissant. Comment est-ce qu’on le ramène à la maison ? Mon grand-père n'a pas de…
- Je le porterais, » le coupe Toji.
Si Yuji était n’importe qui d’autre sur Terre, une déclaration comme celle-là déclencherait des signaux d’alarmes criants qui le feraient fuir le plus loin possible. Cependant, Maki est convaincue que Yuji ne comprend pas entièrement à quel point leur force est surhumaine, parce qu’il réfléchit à cette réponse pendant un quart de seconde avant de passer immédiatement à autre chose. « Merci, Toji-ji ! Je peux apporter des décorations que j’ai chez moi. T’aimes quoi comme décorations, Maki ? »
Prise par surprise, Maki ne dit rien. Le Clan Zen’In ne s’est jamais embêté à avoir un sapin de Noël – ils pensaient probablement que ça n’était pas assez ‘ traditionnel ’ ou quelque chose du genre. Ou peut-être qu’ils avaient juste une rancune tenace contre tout ce qui était joie et amusement. Elle se souvient en revanche d’une vitrine de magasin resplendissante qui lui avait attiré l’œil l’année dernière – le sapin était couvert de fils infinis d’argent scintillant, emmêlés entre les aiguilles et se superposant sur les branches, et le visage de Maki se fend d’un sourire radieux.
« Des guirlandes, répond-elle. Des tonnes et des tonnes de guirlande. »
Toji attrape son manteau d’hiver et ils sortent tous trois après ça. Il y a un air appréhensif et lointain dans les yeux de Toji lorsqu’il regarde Yuji, comme s’il voulait lui dire quelque chose sans pouvoir ; distraitement, Maki se demande de quoi parlait son coup de fil. La neige s’est arrêtée pour le moment – à la place l’air est frais et le vent s’est arrêté, tandis que de légères traces de pas laissées là par des passant font leur marque temporaire sur la couverture blanc pur sous leurs pieds. Il leur faut un peu moins d’une demi-heure pour atteindre l’endroit, principalement parce qu’ils se baladaient à la vitesse d’un escargot, ce qui est étonnant pour chacun d’eux individuellement, sans parler d’en tant que groupe.
« Regardez tous ces sapins ! s'exclame Yuji. Ils sont tous super beaux ! Comment est-ce qu’on va choisir ? »
Maki observe les rangées de conifères, souriante alors qu’une brise soudaine siffle sur l’endroit et amène avec elle la douce odeur de pin et de broussailles. « On devrait en prendre un avec beaucoup de branches, suggère-t-elle. Comme ça, on aura plein de place pour accrocher des décorations.
Et les yeux de Yuji s’illuminent en réponse.
- C’est génial comme idée ! T’es super intelligente, Maki ! »
Et bien, disons que quelqu’un doit préserver la réserve effroyablement pauvre de neurones entre les trois d’entre eux. « Cherchons-en un ! »
Ils se débattent tous deux dans les couches de neige compactées par les clients précédents, cherchant partout le sapin parfait. Finalement, c’est Yuji qui le trouve ; Maki et lui en tombent amoureux instantanément puis le hissent ensemble dans l’air. Toji ne bronche pas alors qu’ils portent ensemble le sapin gigantesque jusqu’au vendeur dont les yeux sortent de son crâne alors que les deux petits enfants se baladent sans problème avec le conifère sur leurs épaules. Toji prend le relais dès qu’ils ont payé, et ils rentrent chez Maki en moitié moins de temps qu’à l’aller.
Une fois le sapin installé dans un coin du salon, Yuji prend du recul pour l’admirer avant de se tourner vers Maki. « Il est parfait ! Je vais rentrer chez moi pour aller chercher mes décorations. Je pense que mon grand-père va m’aider à les chercher.
Toji se racle la gorge.
- Euh… d’ailleurs. » Ses sourcils se froncent et il se gratte la nuque, mal à l’aise. Le cœur de Maki s’affaisse ; elle a un très mauvais pressentiment. « J’étais au téléphone avec ton grand-père, tout à l’heure. Il est… Bon, il est à nouveau à l’hôpital. »
Ça n’est pas sa tristesse qui touche Maki. C’est la façon dont toute trace de l’expression faciale de Yuji s’estompe en laissant ses traits d’ordinaire souriants vides et anesthésiés, jusqu’à ce que tout ce qu’il en reste soit le manque total d’émotion qu’il ne porte que quand endormi. « Oh.
- Yuji… » dit Toji, parce quand Maki a commencé à l’appeler par son prénom il avait insisté pour que Toji fasse la même chose, « Je sais que tu veux sans doute être avec lui comme l’année dernière, mais il a pas mal insisté sur le fait qu’il ne voulait pas que tu fasses ça. Il a dit qu’il voulait que tu passes les fêtes avec nous. » Toji marque une pause lorsque le souffle de Yuji se coupe. « T’es pas obligé, évidemment. Mais si tu veux… t’es toujours le bienvenu ici, d’accord ?
Yuji rit et jette ses bras autour de Toji, dont les yeux s’écarquillent comme ceux d’une chouette en réaction à cette marque d’affection soudaine. Il tapote Yuji sur le dos, légèrement perdu, puis le hisse sur ses épaules. « Okay petiot, allons chercher ces décorations. » Il incite Maki à les suivre, et ils se dirigent tous trois vers l’appartement de Yuji.
Une fois les possessions de Yuji fouillées et les décorations trouvées, les deux enfants se mettent au travail avec une détermination à toute épreuve. Toji s’assied sur le canapé et leur donne des conseils inutiles sur ce qu’il pense qui rendra le mieux, et Maki éclate de rire en faisant remarquer qu’il est ‘évident qu’il dit de la merde’. Yuji, béni soit-il, prend tout au premier degré et acquiesce avec enthousiasme, écoutant attentivement ses astuces de décoration bâclées qui font du sapin un fouillis bordélique d’ornements mal espacés et de guirlandes emmêlées. Lorsqu’ils ont enfin quasiment terminé, il ne reste qu’à accrocher l’étoile au-dessus du sapin. Il y a juste un petit problème.
… Aucun des trois n’est assez grand pour l’atteindre.
Elle est à peu près sûre que Toji pourrait simplement sauter et l’accrocher, mais il est probable qu’il arrache la branche, et il a l’air de le savoir. Tandis qu’ils débattent de qui devrait monter sur les épaules de Toji pour l’accrocher méticuleusement, la porte s’ouvre.
Honnêtement, c’est assez drôle qu’elle ne s’embête même plus à toquer.
« Hey, les fêtards ! J’ai ramené… » Yuki marque une pause, son sourire s’élargissant joyeusement alors que ses yeux se posent sur le sapin plus ou moins désastreux en face d’elle. « Wow, il est beau !
- T’arrive au bon moment, » dit Toji avec un sourire en coin. Il se rapproche d’elle pour la saluer, prenant une de ses mains dans sa propre paume calleuse et plaçant délicatement l’étoile entre ses doigts. « On a besoin d’un peu d’aide. »
Le visage de Yuki s’illumine de roses, des pétales s'éparpillent sur ses joues. « Euh, okay. D’accord. » Elle pose le sac écarlate qu’elle tient et s’approche prudemment du sapin, puis se met sur la pointe des pieds alors qu’elle installe soigneusement l’étoile. Toji l’observe affectueusement alors qu’elle se retourne pour les regarder, fière d’elle, leur montrant un sourire à assez de watts pour faire marcher une petite usine. « Voilà, c’est parfait !
- Merci ! » répond Yuji en fixant l’étoile scintillante, fasciné, sa lumière se reflétant dans ses iris noisettes. Il jette un coup d’œil par-dessus son épaule à Yuki. « Vous serez là pour Noël et le Nouvel An, pas vrai ? Je parie que votre famille adorerait ça si vous étiez là !
Le souffle de Yuki se coupe.
- Ma… » Elle tourne la tête pour regarder Toji ; il l’observe avec une pointe silencieuse d’émotion que Maki ne peut pas vraiment nommer. Il attend un instant puis acquiesce légèrement. Les yeux de Yuki s’adoucissent alors qu’elle se retourne vers Yuji. « Ouais, j’y serais. Je manquerais d’y être pour rien au monde. »
Elle retourne ensuite dans l’entrée et récupère le sac qu’elle portait, puis le glisse sous le sapin avec un sourire. « L’ouvrez pas encore, okay ? Attendez le grand jour. »
Noël arrive enfin trois jours plus tard. Maki et Yuji passent leur journée à faire un poulet rôti et un gâteau de Noël ; Maki surprend Yuji en train de manger de la pâte dans le bol à la fourchette, alors elle le prend temporairement et va leur chercher une cuillère chacun. Elle a entendu dire que les œufs crus étaient dangereux, mais tant pis. Ça sera un problème pour la Maki de demain. Yuki arrive quelques heures avant le dîner et tient compagnie à Toji alors qu’il les regarde cuisiner avec une bouche qui bave et des yeux affamés.
Après avoir fini leur festin, ils se rassemblent tous les quatre autour du sapin. Les cadeaux en-dessous se sont multipliés – la poitrine de Maki s’agite chaleureusement lorsque non pas un, deux, mais trois d’entre eux portent son nom avec des écritures variées ; une belle calligraphie au pinceau (Yuki), une solide tentative d’écrire de vrais kanjis (Toji) et une étiquette faite main avec quelques traits manquants (Yuji). Elle s’accroupit pour les regarder, ravie, pendant un moment avant de pivoter vers les trois autres.
« Ouvrons-les ! » Déclare-t-elle.
Toji croise les bras. « Ah ? Tu veux pas attendre demain matin ? »
Peut-être qu’elle est trop excitée, mais elle a attendu toute sa vie pour ce moment. Maki secoue la tête.
Toji rit doucement.
« Bon, d’accord. Ce soir, alors. »
Yuji lui donne un coup d’épaule, excité. « Ouvre le mien en premier ! »
Maki acquiesce. « D’accord. » Elle attrape le cadeau – l’emballage est déséquilibré, un peu bordélique, du scotch recouvrant les plis non intentionnels et les bords irréguliers du papier bonhomme de neige. Il y a un gros smiley dessiné sur la carte à côté de son nom qui s’étale sur l’entièreté du cadeau, mais lorsque Maki le déballe, le sourire de Yuji est plus large encore.
C’est un tableau. Le niveau de Yuji en peinture s’est déjà amélioré – c’est presque impressionnant, surtout pour un enfant de six ans. Des tâches d’acrylique teintent la toile en une scène sursaturée représentant eux-deux se poursuivant dans la cour de récré, rappelant la première fois qu’ils avaient joué au loup ensemble et s’étaient attachés à l’autre comme de la glu. Maki essaye de l’imaginer penché sur la toile, ses sourcils froncés par l’effort et sa langue sortant entre ses dents comme toujours lorsqu’il se concentre vraiment . Il gigote à ses côtés d’anticipation, ses pieds se balançant d’avant en arrière contre les coussins du canapé.
« Tu aimes bien ? Demande-t-il, enthousiaste. J’ai choisi ce souvenir parce que c’est un de mes préférés ! Il est spécial pour moi, parce que c’était quand j’ai rencontré ma meilleure amie !
Maki doit déglutir afin de chasser la boule dans sa gorge.
- Je… je l’adore, murmure-t-elle. Merci, Yuji. Il est parfait. » Elle se dirige à nouveau vers le canapé pour lui faire un bref câlin, puis lui tend son cadeau du dessous de l’arbre. « C’est ton tour ! »
Le sourire de Yuji s’éclaircit alors qu’il déballe son cadeau avec hâte, jetant sur le côté un peu au hasard le papier déchiré comme la tempête de neige qui fait rage dehors. Maki rit, parce que c’est tellement lui. « Wow ! S’exclame-t-il lorsque le cadeau est libéré de son emballage. C’est un livre de recettes avec toutes nos préférées ? Tu as fait ça juste pour moi ? »
Ça a pris une éternité ; hé, c’est ce qui arrive lorsqu’on écrit tout méticuleusement à la main. « Ouais. Il y en a quelques nouvelles, aussi, mais je pensais que ce serait mieux si on pouvait les essayer ensemble. » Elle déglutit à nouveau. « Ça te va ?
Instantanément, Yuji se jette sur ses pieds et dans ses bras en un câlin étouffant.
- Bien sûr ! C’est le meilleur cadeau du monde, Maki !
Yuji s’éloigne alors que Yuki récupère son cadeau du dessous de l’arbre. « Okay crevette, à moi. » Elle plonge une main dans le sac qu’elle a amené et en donne un à chacun d’entre eux, Toji, Yuji et Maki. « Allez-y, ouvrez les. »
Ils ouvrent tous trois leurs boîtes à l’unisson. Lorsque Maki en retire le papier journal froissé, elle découvre une magnifique écharpe verte – qui est parfaitement assortie à ses cheveux, jusqu’aux nuances forêts et sous-tons tourmalines les plus subtils. Lorsqu’elle lève la tête, Yuji et Toji ont les mêmes, celle de Yuji un rose corail et celle de Toji un noir d’encre, toutes de coton épais et de douceur douillette, confortables comme quand on regarde une tempête blotti à l’intérieur à côté d’une cheminée chaleureuse.
« Je les ai faites moi-même, vous savez. Talent peu connu, rit-elle. Hé, je dois bien trouver quelque chose à faire pendant ces long-courriers horriblement longs. »
Maki la met autour de son cou et enfonce son visage dans ses fils pour cacher son sourire. Toji jette la sienne sur ses épaules avec un rictus sournois. « Oh, quelle coïncidence, » dit-il malicieusement. Il attrape un cadeau adorné du nom de Yuki et le déballe rapidement. C’est une écharpe similaire, d’un or pastel comme son blond charmant ; avec ça, les quatre d’entre eux sont un ensemble. « On dirait qu’on s’est pris la même chose.
La mâchoire de Yuki se décroche.
- Toji ?! Crie-t-elle, son visage rougissant d’un ton écarlate éblouissant. « Comment t’as... »
D’un seul mouvement, Toji sourit à nouveau et l’enroule autour de son cou, tirant sur un des bouts pour l’attirer plus près jusqu’à ce qu’elle soit à quelques centimètres de sa poitrine. « Chérie, t’es vraiment pas aussi subtile que tu penses l’être. »
Yuki a l’air – plus ou moins sans voix. Après quelques secondes pour s’en remettre elle embrasse Toji sur la joue, ce qui les laisse tout deux légèrement troublés, puis Toji se retourne vers les enfants.
« Okay, petiote. C’est l’heure d’ouvrir ton cadeau, dit-il à Maki. Enfin, j’imagine que c’est un peu pour Yuji, aussi.
Maki ramasse son cadeau et enlève précautionneusement le papier argenté. A l’intérieur se trouve une simple échelle de corde. Maki penche la tête.
- C’est quoi ?
Toji se pousse loin du canapé sur lequel il s'appuie et lui fait signe de le suivre.
- Viens, je vais te montrer. Par ici. »
Maki et Yuji le suivent hors de l’appartement dans la neige jusqu’à atteindre un parc à proximité. Un chemin à travers la glace a été dégagé ; il serpente le long des bancs plastiques et aires de jeu gelées, à travers les brins d’herbes couverts de glace qui sont désormais plus or que vert, entre les rangées de petits sapins poussant en brisant les plaques de verglas qui couvrent le sol. Certains des arbres sont plus grands que d’autres, note Maki. Et dans le plus grand d’entre eux…
… se trouve une cabane.
Elle est soigneusement construite de panels de bois lisses, teintés d’un acajou riche et profond qui tranche complètement contre le paysage blanc en dépassant du rideau de branches. Aux fenêtres ouvertes sont tendues des cordes qui montent plus haut encore dans l’arbre, parfaites pour grimper et se balancer entre les branches. A son plafond pend une lanterne qui brille comme un phare, l’attirant plus près comme un bateau à une rive.
« Tu sais, c’était surprenamment dur de convaincre l’association de quartier de me laisser construire ce truc, murmure Toji.
Maki se retourne, son souffle coupé.
- C’est toi qui l’as construite ?
Toji lui ébouriffe les cheveux.
- Ouais, petiote. C’est moi. »
Rapidement, Maki cligne des yeux pour en chasser ses larmes. Au lieu de répondre, elle met sa main dans sa poche pour en sortir son cadeau. « Je veux te donner ton cadeau maintenant. » Elle lui tend en levant le bras. Il l’attrape délicatement depuis sa paume et en défait le ruban, puis sort la petite poupée glissée à l’intérieur. « C’est quelque chose que j’avais fait avec Yuji, explique-t-elle. On aime bien jouer aux super-héros avec des poupées en herbe de temps en temps et euh… c’est la première que j’ai faite. » Ses yeux se fixent sur la neige. « C’est censé être toi.
Elle entend Toji déglutir.
- T’as fait une poupée super-héro de… moi ?
- Ouais, chuchote-t-elle, et parce que s’il y a un seul moment de l’année où elle a le droit d’être gnangnan, c’est maintenant, ajoute : C’est parce que t’es mon héro.
Toji couvre son visage d’une de ses mains et se racle la gorge.
- Merci, s’étouffe-t-il. C’est… C'est super gentil. » Il lui jette un œil à travers ses doigts d’un regard mouillé. « Je t’aime, petiote. »
C’est vrai, et ça se voit. Pas seulement dans la manière dont il le dit ; elle le sait de par tout ce qu’il fait pour elle. De par la façon dont il l’a serrée dans ses bras, la première fois, et quand il lui a tendu ses nouvelles lunettes après que les anciennes aient été écrasées, stressé. De par la façon dont il la tenait après avoir exorcisé ce fléau classe S, de par le sang qui couvrait son corps alors qu’il la regardait avec quelque chose que Maki n’avait jamais vu auparavant mais reconnu instantanément comme l’amour paternel. De par le fait qu’ils ont emménagé dans l’appartement qu’elle voulait, de par le sabre magnifique qu’il lui a donné pour la protéger. De par son visage qui s’est illuminé comme si éclairé de l’intérieur lorsqu’elle s’est fait son premier ami, de par le sapin de Noël qu’il a porté jusqu’à la maison sur ses épaules pour la rendre heureuse.
Ils sont liés par le sang, au moins de manière éloignée, par le sang mauvais des Zen’in qui les ont tous deux écartés, qui leur ont tous deux accordé autant de valeur que les fléaux qu’ils tuent pour gagner leur vie. Toji l’aime comme s’il avait quelque chose à prouver, l’aime comme s’il était déterminé à la convaincre qu’elle mérite d’être aimée.
Ogi l’a confirmé, sa mère l’a confirmé, son cousin l’a confirmé. Maki n’est pas la fille de Toji.
Mais, honnêtement ? Elle n’a pas l’impression de ne pas être sa fille.
Maki le regarde, et pour la première fois pense – est-ce que c’est vraiment important s’il n’est pas son père biologique ?
Il l’a vraiment sauvée. Son regard est désormais rempli de hâte, une nervosité à peine masquée comme celle qu’il portait lorsqu’il lui avait apporté cette vieille télé et une tranche de gâteau pour son anniversaire ; elle se demande si Toji l’aimait déjà à ce stade, même s’il ne s’en rendait pas encore compte.
Maki se demande à quel moment elle a commencé à ressentir la même chose. Elle pourrait essayer de le situer, mais ça n’importe pas, là, tout de suite. Ce qui importe, c’est ceci. Maki inspire profondément.
« Je t’aime aussi, Toji. »
Puis Toji lui sourit, lentement au départ, comme un lever de soleil, puis complètement, brillamment et chaleureusement. Il la porte dans ses bras et la fait tourner d’un joyeux éclat de rire sans entraves, et elle blottit sa tête dans son cou lorsque ses larmes commencent à couler.
Les festivités du Nouvel An commencent avant qu’elle s’en rende compte. Toji et Yuki sont ceux qui nettoient l’appartement de fond en comble, tandis que Maki et Yuji jouent comme les enfants insouciants que Maki a toujours souhaité être. Le premier Janvier, ils se lèvent dès l’aube pour observer le lever de soleil, puis se déplacent tous les quatre au sanctuaire local pour faire sonner la cloche et leur vœux ; on a toujours dit à Maki qu’il faut garder le secret de la nature du vœu, mais dès que Yuji se retourne vers elle, il annonce, « J’ai fait le vœu qu’on soit meilleurs amis pour toujours ! »
Maki lui sourit, rayonnante, et dit la vérité lorsqu’elle répond : « Moi aussi ! ».
Le soir suivant, ils vont au festival du Nouvel An du quartier, portant tous leurs écharpes respectives. Les deux enfants sont parés de yukatas que Toji leur a acheté, tissés d’épaisses couches de tissu paré de designs cousu-mains avec du fil de soie ; ils ont l’air outrageusement chers, vu leur ressemblance aux robes traditionnels ornées portées par les héritiers du Clan Zen’in. Maki remercie Toji encore et encore pour les avoir achetés, parce qu’elle sait que même lorsqu’il n’avait pas d’argent il faisait toujours de son mieux pour la gâter.
Le yukata de Toji est d’un noir discret ; Yuki porte un magnifique kimono bleu profond avec de majestueuses grues orientales brodées des pieds à la tête et un obi en soie tissé de fils écarlates, ses cheveux à moitié attachés avec un ornement papillon époustouflant entre ses boucles. Elle ressemble à une impératrice, pense distraitement Maki.
« T’es… super belle, dit doucement Toji. Maki rit. Yuki lui tape malicieusement la poitrine et murmure :
- T’es pas trop mal non plus. »
Toji et Yuki se regardent bizarrement, mais peu importe. Maki veut explorer. Ils se baladent le long des stands du festival tandis que Yuji et Maki mâchent leurs takoyakis pas chers, essayant de décider à quel jeu jouer en premier. L’esprit de compétition de Maki s’active lorsqu’ils décident enfin de jouer au lancer d’anneaux. Ils ont trois essais pour gagner le prix de leur choix ; il ne leur en faut qu’un chacun. Le propriétaire du stand a l’air un peu inquiet lorsqu’il leur tend tout deux les jouets qu’ils ont gagnés. Maki et Yuji échangent un regard – leur compétition ne fait que commencer.
« On essaye la pêche aux poissons rouges après ! » Déclare Yuji.
Ouais, ça finit à peu près de la même manière. Yuji ramasse environ la moitié des poissons d’un seul coup et Maki l’autre. Le gérant du stand insiste pour qu’ils ne les gardent pas tous, au grand dam des enfants. Dommage, Maki essayait déjà d’imaginer un moyen de tous les faire rentrer dans sa baignoire.
Ils se décident sur du tir à l’arc pour désigner un vainqueur, mais ça ne les aide pas non plus. Maki frappe le centre de la cible du premier coup et Yuji éclate sa flèche en deux avec la sienne. Le premier prix est un nounours géant qui doit coûter au moins vingt mille yens, et la mâchoire du gérant se décroche lorsqu’ils le gagnent sans aucun effort. ‘Tain, c’est vraiment si surprenant que ça ? Maki aurait presque l’impression que le jeu est truqué ou un truc du genre. Le reste des gérants de stands de jeux ont l’air inquiets de faire face au même sort, et elle jure entendre un homme dire « Est-ce que quelqu’un pourrait arrêter ces enfants ?! »
Lorsque c’est presque l’heure du feu d’artifice, Yuki leur tend à tous deux de la monnaie pour acheter des pommes d’amour. Les enfants se dirigent vers le stand et comptent payer, mais la femme derrière le comptoir lui adresse un sourire chaleureux et lui donne la deuxième. « Tiens, dit-elle. Une gratuite pour toi et ton frère ! »
Maki s’étouffe, mais Yuji ne cligne même pas des yeux. Au lieu de ça, il l’attrape de la poigne de la vendeuse avec un rapide « merci ! » et court rejoindre les adultes, et Maki ne peut réprimer son sourire une fois à nouveau à ses côtés.
Enfin, ils marchent jusqu’au vaste champ pour regarder le feu d’artifice. Maki et Yuji s’appuient contre le nounours si énorme que c’en est comique en observant le ciel vide, retenant leur souffle. Derrière eux, Toji réajuste l’écharpe de Yuki avant de subtilement mettre un bras autour de ses épaules – c’est gentil de sa part, mais elle n’avait pas l’air d’avoir si froid que ça ? Bon. Yuki repose sa tête sur son épaule avec un soupir satisfait, et Maki est bizarrement gênée alors elle se retourne vers la nuit.
Et d’un coup le ciel s’embrase de couleurs, des traînées de feu creusant des canaux d’incandescence à travers le noir en un éclat de gloire. Maki regarde, fascinée, alors que les braises brûlent les cieux, aux côtés du père qui n’est pas son père, de la mère qui n’est pas sa mère, du frère qui n’est pas son frère. Alors qu’elle regarde des étoiles exploser dans le ciel, Maki pense distraitement que les liens du sang que son clan lui a toujours dit essentiels sont en fait complètement n’importe quoi ; ces gens-là ne sont pas sa famille, décide-t-elle. Elle est avec sa famille en ce moment même. Lorsque Yuji lui tape l’épaule, surexcité, et pointe du doigt un feu d’artifice en forme de smiley qui illumine les nuages, Maki ne peut s’empêcher d’éclater de rire.
Peut-être que le sang n’a même pas d’importance du tout.
Notes:
MissingN000 :
on salue toji qui se languit de façon très proactive
il est juste en train de collectionner les gosses à ce stade c’est juste que son dernier a aussi essayé de le tuer. il a aussi plus ou moins volé son vrai fils
merci beaucoup d’avoir lu ! Les commentaires et kudos refont toujours ma journée !Note de traducteur :
Alors. Oui, ça fait genre cinq mois, mais pour ma défense dans ma vie irl il s’est passé environ huit-cent trucs (genre j’ai passé mon bac, j’ai eu des problèmes de santé pendant un mois, j’suis parti en vacances, j’ai été accepté à la fac à paris et il a fallu que je cherche un appart (j’ai toujours pas trouvé d’ailleurs ma vie est une blague mdr)). Donc voilà. Cela dit j’ai désormais une beta ce qui est très très cool, et je ferai de mon mieux pour sortir les prochains de manière plus régulière. Ma vie devrait se calmer à partir de fin septembre donc c’est déjà ça.
Chapter Text
La fin de la période des fêtes arrive sans que Toji s’en rende compte, et les nouveaux départs se transforment en un début janvier. Maki et Yuji retournent à l’école peu après et Toji se retrouve à nouveau seul pendant la journée ; c’est étrange, la vitesse à laquelle il s’était habitué à une maison agitée. Il admettrait sans hésiter que le son des enfants se poursuivant autour de la maison avec un nouvel insecte qu’a trouvé Yuji sous un rocher ou quelque chose du genre lui manque, Yuki et lui riant depuis le canapé et pariant sur lequel des deux gosses trébucherait en premier.
Toji ne se sent pas mal d’avoir parfois parié contre Maki. Certains de ses insectes étaient terrifiants. En tout cas, ce mois signifie deux choses différentes :
D’une, le huitième anniversaire de Maki arrive bientôt.
Toji a brièvement considéré faire une fête surprise, mais il a le sentiment qu’elle détesterait ça. Trop surprenant, et ça ne l’étonnerait pas qu’elle lui mette une droite accidentellement ; ce qui serait plutôt drôle, mais probablement pas assez pour que ça vaille le coup. En plus, la fête de ses sept ans était un peu pathétique – ils se connaissaient à peine, alors. Il va mieux faire cette année, il en est certain.
Elle n’est pas vraiment matérialiste, mais ça ne va pas empêcher Toji de lui acheter un nombre vraiment ridicule de cadeaux. Hé, il faut qu’il compense pour tous les anniversaires qu’il a raté, et tous les anniversaires qu’elle a passés négligée par le Clan Zen’in. ‘Tain de connards d’exorcistes. Et en parlant de connards d’exorcistes…
De deux, pour finir par les mauvaises nouvelles, sa première mission avec Gojo approche.
Malheureusement, ce dernier événement sera avant le premier. Très honnêtement, Toji se demande si la palanquée de fric qu’il va recevoir sera assez alléchante pour supporter ses conneries. Il va le faire, évidemment, mais bien plus pour Maki que pour lui-même. Cette mission à elle-seule couvre environ un cinquième du prix du katana de Maki ; apparemment, c’est la récompense potentielle si la mission est un succès, en plus de la base de salaire exorbitante que Toji touche déjà pour surveiller le morveux.
Gojo obtient son numéro de téléphone, d’une façon ou d’une autre. Yuki jure qu’elle ne lui a pas donné, et Toji la croit. C’est probablement juste quelque chose auquel il va falloir s’habituer – le fait que le gamin a ses méthodes. Et en fait, c’est peut-être mieux pour la santé mentale de Toji, de ne pas savoir quelles sont exactement ces méthodes.
Le gamin lui envoie les détails de la mission en une série de messages entrecoupés d’une quantité vraiment non nécessaire d’emoticons. Apparemment, un bus de touristes étrangers a mystérieusement disparu dans un tunnel délabré sur un flanc de montagne à Hokkaido. Dernièrement, il y a eu une ribambelle de légendes urbaines concernant l’esprit vengeur d’un homme qui avait supposément péri en randonnée après avoir été envoyé là par défi.
Ils ont été chargés d’enquêter dans le coin sous la lourde couverture de la nuit, afin d’éviter d’attirer l’attention des passants. Plusieurs familles des touristes se sont rassemblées pour créer une cagnotte de récompense à quiconque leur rendrait leurs proches sains et saufs. Cette information tord les entrailles de Toji d’un mélange de malaise et de détermination.
Toji appelle Yuki la veille de son départ. Elle décroche après quelques sonneries.
« Salut, mon beau. Toujours sympa de voir ton nom s’afficher sur mon écran, » lui dit-elle. Toji se mord légèrement la lèvre. « Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
- Ouais, devine quoi. Je dois aller travailler de nuit avec Gojo, soupire-t-il, et son exaspération doit s’entendre dans sa voix même au téléphone parce que Yuki répond,
- Oh putain, bonne chance. Essaye de pas l’assassiner ? Peut-être que tu peux te contenter d’une mutilation.
Toji rit.
- J’essaierais. Enfin bref, j’ai un service à te demander. Ça t’embêterais de surveiller Maki pour moi pendant que je suis pas là ?
Elle marque une pause.
- Moi ?
- Ouais, évidemment, toi. »
La ligne est silencieuse quelques instants avant que Yuki ne commence à rire. « Bon, j’imagine que je suis la seule personne que tu connais.
- Franchement... Même si je connaissais toute la population japonaise, je te choisirais toi. »
Ouais, cette phrase est suivie d’un long silence à l’autre bout de la ligne. Merde, il l’a dit à voix haute ? Toji se dépêche d’ajouter : « Elle est assez indépendante, donc t’auras probablement pas grand-chose à faire. En plus, elle t’aime vraiment bien.
Yuki rit.
- T’es sûr que c’est la seule ?
Toji pose son téléphone sur le plan de travail pour quelques secondes. Putain, il est vraiment mal barré. Il inspire profondément avant de reprendre en main le téléphone. « Dans tes rêves, chérie. »
Peu après, Yuki donne son accord et ils discutent encore un peu avant qu’elle doive raccrocher. Le lendemain arrive bien trop rapidement, et Toji se surprend à redouter son départ une fois l’heure venue.
« Ça sera juste un voyage d'affaires vite fait, petiote, dit-il à Maki en l’embrassant sur le front, passant ses cheveux derrière son oreille. Yuki sera vite là pour te tenir compagnie, d’accord ? Tu vas beaucoup me manquer.
- Tu vas me manquer aussi, dit-elle timidement. Mince, elle est vraiment adorable.
- Hé, je serai de retour avant que tu remarques que je suis parti, la rassure-t-il. Je t’emmènerais faire de la luge avec Yuji ou quelque chose comme ça quand je rentrerais, okay ?
Il lui fait un câlin et la sent acquiescer contre sa poitrine.
- Okay. »
Toji lui ébouriffe les cheveux encore une fois, pour faire bonne mesure. « Bye, mon cœur. On se reverra dans environ 24 heures. » Et il part.
Tout de même, il y a quelque chose d’étrangement dérangeant à propos du fait de laisser son gosse derrière-lui. Il ne peut pas l’expliquer ; c’est une sensation qui passe sur son corps comme une armée d’insectes, qui se creuse sous sa peau, le remplissant du désir inexplicable d’enfoncer ses ongles dans ses couches extérieures et d’en déchirer la surface en jolis petits rubans macabres. Il entend l’écho d’une voix sombre à l’arrière de ses pensées, fuitant à travers la forteresse scellée de son esprit qui lui dit : ce n’est pas la première fois . Toji l’enferme à double-tour presque immédiatement et continue sur son chemin.
Au cas où, Toji emmène la petite poupée d’herbe qu’elle lui a donné pour Noël en souvenir, un petit trésor pour lui rappeler que sa fille chérie l’attend à la maison. Ça pourrait être son porte-bonheur, ou quelque chose du genre. Si cette mission avec Gojo ressemble à leur dernière interaction, il en aura besoin.
Pour le voyage, Toji choisit un pull gris clair et un vieux jean pour maximiser son confort, et c’est vers 20 heures qu’il rejoint Gojo à l’aéroport. Toji s’est dit qu’il ne serait pas dur à repérer vu sa taille et couleur de cheveux, mais le débile ressort pour une raison complètement différente cette fois-ci.
Gojo est affublé d’une chemise hawaïenne ouverte sur un t-shirt à manches longues, accouplée à un short cargo kaki et des tongs roses. Les putains de lunettes de soleil qu’il porte à l’intérieur achèvent le tout. C’est… un désastre complet. Toji a honnêtement honte d’être vu avec lui, ce qui veut dire beaucoup de la part de quelqu’un qui ne connaît pas la honte.
Alors Toji sort la grimace la plus dégoûtée qu’il puisse faire quand il s’approche de Gojo. « Hé, t’es gay et t’as aucun sens de la mode ? Tu foutais quoi dans le placard pendant tout ce temps ?
Gojo a au moins l’air offensé.
- Ça s’appelle avoir du style, fais des recherches !
- Si c’est pour tomber sur ça , je préfère autant pas, ricane Toji. Il va pas faire des températures négatives à Hokkaido ? Pourquoi t’as mis une chemise hawaïenne ?
- A ton avis ? c’est pour ça que j’ai des manches longues, explique-t-il blasé, comme si c’était une excuse pour agresser les yeux de voyageurs innocents. En plus, tu peux parler. T’as dormi là-dedans ? »
Fronçant les sourcils : « A vrai dire, ouais. »
Gojo lève les yeux au ciel. « Argh. Marche derrière-moi, je vais faire genre que je te connais pas.
Toji se hérisse comme un chat battu.
- Putain, pas moyen ! Marche derrière-moi, toi , si c’est pour être aussi insistant !
- Je suis pas insistant ! Insiste Gojo. Enfin, allons-y avant de manquer notre vol. Je parie dix balles que tu seras ‘sélectionné au hasard’ pour un contrôle de sécurité avancé d’un agent.
Oh, sérieusement .
- J’ai pas l’air si suspect que ça.
- Donc t’admets avoir l’air un peu suspect. »
Toji resserre sa poigne sur son sac de voyage. « Au moins je porte pas un de mes t-shirts avec du sang dessus. Un d’eux est tâché avec le tien, d’ailleurs. Achète-m’en un autre, le gosse de riche. »
Comme prévu, Gojo ignore ce dernier commentaire. Connard, il va pas s’en sortir comme ça. « Ouais, rappelle-moi le pourcentage de ta garde-robe qui est tâché de sang ?
… Toji n’a vraiment pas envie de répondre à cette question. La moitié peut-être ?
- Pff, c’est pratiquement rien. En attendant, toi t’as l’air d’avoir massacré la mode et de porter sa peau comme trophée.
- Ha ! Donc tu vois enfin à quel point mon sens du style est une victoire !
- Débile, c’est pas ce que je voulais… » Putain, c’est inutile. « Tu sais quoi ? On va jouer au roi du silence. Allez, impressionne moi avec ton talent pour fermer ta gueule.
- J’ai rien à prouver à toi, le vieux, s’énerve Gojo. Okay. Si tu veux. Le premier à parler est un raté. »
Honnêtement ? Ils sont tous deux déjà des ratés, et têtus, pour ne pas arranger les choses. Tout de même, c’est sympa de pouvoir se diriger vers les quais d’embarquement en silence. Gojo est celui qui se fait ‘sélectionner au hasard’ par les agents, et Toji ne peut s’empêcher de ricaner pendant dix minutes. Hé, un rire ne compte pas pour leur jeu. Gojo se contente de faire des bruits paniqués pour répondre à l’agent de sécurité, avec qui Toji partage un bref instant de camaraderie en observant les gesticulations du gosse.
Ils embarquent peu après. Ils sont seuls dans leur rangée, dieu merci, mais il y a une petite vieille de l’autre côté de l’allée qui finira inévitablement spectatrice de leurs disputes enfantines. Toji fait note dans sa tête d’acheter un truc à boire pour elle ou quelque chose du genre. Avec la carte bancaire de Gojo, évidemment.
Le gosse lui fout un coup de coude environ dix minutes après leur départ. « Hé, Toji, regarde. Ce nuage là a la forme d’un oiseau. »
Toji hausse un sourcil. Il annonce presque au morveux qu’il vient de perdre leur jeu débile avant de se rendre compte qu’il n’en a en fait pas grand-chose à foutre. Ouais, il arrive à voir la forme ; les ailes sont un peu tordues, cela dit. Mais ce n’est pas ça qui le fait se tordre dans son siège.
Il est à peu près sûr que c’est la première fois que Gojo l’a appelé par son nom, et ça sonne un peu étrange sortant de sa bouche. « Tu viens de m’appeler ‘Toji’ ? Dit-il de manière redondante.
Gojo lui jette un œil au-dessus de son épaule depuis le hublot contre lequel son visage est écrasé, désormais embué par son souffle.
- Hein ? Ah, ouais. Tu peux m’appeler par mon prénom, si tu veux. Vu que je t’appellerais par le tien.
- Ouais, plutôt crever. Depuis quand est-ce qu’on est si proche ?
Suspicieux, Gojo plisse les yeux.
- Et c’est quoi, ton nom de famille ? »
Est-ce que c’est vraiment Zen’in ? Pour une raison ou pour une autre, ça ne sonne pas bien. Ugh, c’est gênant. Il a envie de dire Tsukumo, mais putain, il ne peut juste pas s’y forcer. « Okay. Toji ça sera. Je vais pas faire la même chose pour toi, par contre. »
Gojo se contente de recommencer à regarder par le hublot, comme s’il s’en foutait tellement qu’il n’avait même pas besoin de répondre. Hé, peut-être que ce vol a une chance d’être plus ou moins calme. Gojo lui donne tort quelques minutes plus tard lorsqu’il lui tapote l’épaule. « Regarde, ce nuage ressemble à quelqu’un dont le flanc gauche a été arraché. » Ses lèvres se tordent en un rictus satisfait. « Un peu comme toi après notre deuxième combat.
Toji refuse de mordre à l’hameçon, ce coup-ci.
- Pourquoi est-ce qu’on s’était battus, même ?
- Parce que t’as essayé de me tuer.
Toji lève les yeux au ciel.
- Et pourquoi j’essayais de te tuer ?
- Parce que t’es un sale con. » Il frappe Toji d’une pichenette. « Et ça a pas changé. »
Débile. Toji balance ses pieds sur le dos du siège devant lui, tant pis pour le confort du passager de devant. « Vas-y, continue de me provoquer. Tu veux savoir si je suis prêt à te jeter de la sortie de secours de l’avion ?
- Je peux voler, répond Gojo avec un gigantesque sourire stupide.
- Ah, oui, c’est vrai. Ça doit être tout cet air chaud dans ton crâne.
- Ouais. Et tu coules comme une pierre vu à quel point t’es lourd. »
La petite vieille de l’autre côté de l’allée les regarde en fronçant les sourcils. Pas que Toji en ait quelque chose à faire, mais la nuit s’annonce déjà longue. Après quelques nouvelles minutes silencieuses, Toji change de sujet. « Donc, euh… Parle moi de tes gosses. »
Il peut presque sentir Gojo ériger des barrières mentales, complètement différentes de l’Infini qui l’entoure déjà. Il plisse ses yeux bleus glaces en stalactites aussi tranchantes que des rasoirs. « Pourquoi ? »
Toji souffle, frustré. Pourquoi ce sujet est-il aussi sensible avec lui ? « ‘Tain, je fais juste la conversation. Merde, la plupart des parents adorent se vanter de leurs gosses. J’imagine que c’était stupide de ma part de penser que tu serais comme la plupart des parents, cela dit. »
Gojo l’observe prudemment pendant un autre instant, cherchant de son Sixième Œil quelque chose que Toji n’est pas sûr de posséder. Toji ne sait pas s’il le trouve ; mais une partie de sa tension se dissipe de ses épaules, et il se laisse retomber dans son dossier. « Non, j’aime bien parler d’eux aussi, commence-t-il. Ma fille est tellement gentille. Sérieux, je suis à moitié convaincu que c’est littéralement un ange. Je crois pas qu’elle soit même capable de méchanceté. »
Le garçon laisse s’échapper un petit rire. « Mon fils ne pourrait pas être plus différent, par contre. Je peux pas me souvenir de la dernière fois où on a eu une conversation lors de laquelle il me répondait pas sèchement au moins une fois. Et il arrête pas de se bagarrer à l’école ! Il gagne tout le temps, en plus, c’est hilarant. J’ai déjà été convoqué à genre trente-cinq rendez-vous parent-prof. » Il rit affectueusement. « C’est tellement une menace. Je suis super fier de lui.
Toji souffle du nez.
- Ha. On dirait moi.
- Non ! Aboie Gojo, beaucoup trop rapidement. L’entièreté de son corps se jette contre sa ceinture si fort qu’il manque d’être coupé en deux. « Je veux dire, euh, non. Il est pas comme toi du tout. En fait, je parie qu’il te détesterais. »
Sérieusement ? Toji grimace. « Wow, merci. Je parie que Maki te détesterais aussi.
- Parfait.
- Génial. »
Putain, cette conversation est tellement gênante. Toji ne l’infligerait pas à son pire ennemi.
Il y a trois sièges dans la rangée ; Gojo est à côté de la fenêtre, et Toji est à côté de l’allée. Le siège du milieu entre eux s’étire sur des kilomètres, un profond gouffre infranchissable qu’aucun ne peut traverser.
Gojo le traverse cinq secondes plus tard. Surprenamment, le gamin essaye à nouveau de faire la conversation après ça. « Du coup, comment elle est, Maki ? Demande Gojo d’un ton étrangement sincère.
Bon, Toji imagine qu’il peut répondre à cette question, parce que merde , c’est à son tour de se vanter de son gosse. « Une vraie tornade. Elle a de l’énergie à revendre, et encore plus de cœur. J’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait plus de détermination, d’esprit ou de résilience qu’elle. Elle savait pas vraiment comment être une enfant quand je l’ai trouvée à cause de la manière dont elle était traitée dans ce putain de Clan Zen’in, mais elle a un pote qui l’aide à sortir de sa bulle. » Toji s’enfonce dans son dossier. « Elle s’est rendue compte qu’elle adore les petits animaux, surtout la famille de canards qui vivait à côté de la rivière près de chez nous. Ils se sont envolés pour l’hiver, par contre, et je crois qu’elle était plutôt déçue. »
Gojo est étrangement silencieux après cette tirade. Il recommence à regarder par le hublot, ses yeux détachés du monde derrière ses lunettes couleur encre. « Elle a l’air assez mignonne.
- Ouais, c’est la gosse la plus mignonne qui ait jamais existé, répond-il, et il sait qu’il est désormais en train d’un peu trop parler d’elle, mais tant pis. C’est son anniversaire, bientôt, d’ailleurs. Ça fait quelques jours que j’organise une fête.
Le gamin s’anime.
- Je peux venir ?
- Non.
- Hé ! T’y as même pas réfléchi !
- Pourquoi j’aurais besoin de réfléchir ? Lui réplique Toji. Sérieusement, par contre, elle est parfaite. ‘Tain, je ferais n’importe quoi pour elle.
- On dirait que tu l’aimes vraiment énormément, hein ? Gojo dit d’une petite voix. Ses yeux sont fixés partout sauf sur Toji.
- Évidemment. » Il fait une pichenette à Gojo sur sa tempe. Gojo se retourne pour lui faire face, ses lèvres baissées. « Je veux dire, tu comprends ça, non ? Je parie que t’aimes tes gosses aussi. »
Les yeux de Gojo s’écarquillent comme ceux d’une chouette, comme si personne ne lui avait jamais demandé ça avant. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose qui s’éteint avant d’arriver à sa langue, retourne la tête vers la fenêtre, puis acquiesce si imperceptiblement que Toji est sûr que personne d’autre ne l’aurait vu.
Alors Toji change de sujet. « Bref. T’élèves tes gosses avec un autre papa ? »
Les yeux de Gojo tombent au tapis tâché du sol de l’avion. « Il est… plus là.
Aïe.
- Je suis désolé, j’imagine, répond Toji en grimaçant.
Le gamin lui lance un regard noir.
- Tu devrais l’être, » dit-il d’un ton mordant.
Toji n’a pas vraiment de contexte pour cet épisode agressif soudain, mais quelque chose dans la façon dont Gojo le regarde est vraiment en train de l’énerver. « Ouais, c’est ça, blâme-moi. Je parie que c’est plus facile que de te blâmer toi-même. »
Et merde, ça , ça a dû toucher une corde sensible. L’expression de Gojo se tord en quelque chose de presque identique à celle qu’il portait lorsque Toji lui a coupé le bras. « Tu sais, t’es vraiment un sale con ! »
Toji bat de sa main. C’est quoi l’expression déjà ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité, ou quelque chose du genre. « Sinon on se parle pas pour le reste du vol, t’en dis quoi ?
- Tu m’as ôté les mots de la bouche, » marmonne Gojo, et ils se taisent pour de bon après ça.
Heureusement, Gojo met son uniforme usuel lorsqu’ils atterrissent. Toji est à moitié convaincu qu’il portait la tenue hawaïenne pour l’énerver. Ils se dépêchent de sortir de l’aéroport pour voir qu’une voiture les attend déjà, ce à quoi Toji aurait vraiment dû s’attendre. Le conducteur refuse catégoriquement de le regarder. Toji se sent moins insulté qu’il ne devrait probablement l’être.
La voiture passe dans les rues enneigées d’Hokkaido, des vents blancs poudreuse tourbillonnant au-delà des fenêtres sombres du véhicule. Les feuilles sont tombées à ce stade de l’année et à la place les branches sont drapées de rideaux de neige, de fines couches de glace s’accrochant à la matière végétale en décomposition. Des lumières jaunes provenant d’espaces intérieurs douillets clignotent comme des lucioles, se dissipant lentement alors qu’ils s’enfoncent dans les montagnes.
Les routes sont nues et froides, et la voiture s’arrête éventuellement au trou du cul du monde. Gojo sautille hors de la voiture après avoir poussé Toji du coude. A contre-cœur, Toji le suit. Il regrette de ne pas s’être habillé plus chaudement, à présent. Non pas que le froid ait un quelconque effet sur son corps renforcé, mais il aurait pu faire sans le givre contre la chaleur de ses paumes.
« Du coup on cherche quoi, exactement ? Demande Toji alors qu’ils déambulent tous deux dans un bosquet, s’éloignant du chemin à peine pavé.
- Le seul témoin qu’on ait a déclaré que le fléau est à peu près humanoïde, si un humain faisait la taille d’un camion-poubelle. Pas d’yeux, une grosse bouche sur sa poitrine avec quelques langues. Huit jambes comme une araignée et ça se déplace pareil. Charmant, pas vrai ?
- Ouais, je me pâmerais d’admiration, dit Toji d’une voix traînante. Tu penses vraiment que les touristes sont encore vivants ?
Gojo hausse les épaules.
- Qui sait ? Ça vaut au moins le coup d’essayer.
Complètement d’accord, Toji acquiesce.
- Ouais, la récompense est vraiment quelque chose.
- Enfin – pas juste pour ça, murmure Gojo. Ce serait sympa de pouvoir les sauver.
Toji penche la tête.
- Les sauver ? Je pensais pas que t’en avais quelque chose à foutre. »
Gojo tend sa paume, quelques flocons s’accrochant aux bouts de ses doigts fins. « Je m’en foutait avant, marmonne-t-il. Tu savais pas ? On peut seulement sauver les gens qui veulent l’être. »
Ah. Toji cligne des yeux pour se débarrasser de la glace qui gèle ses cils. « Je vois. »
Ils marchent tous les deux dans la neige pendant un petit moment, grimpant prudemment sur l’ardoise déchiquetée se détachant du flanc de la falaise et sur les brindilles cassées et la roche pulvérisée. Ça glisse, alors Toji fait attention. Derrière-lui, le gosse a l’air de marcher sur l’air ; Toji se retient de le faire tomber juste pour le fun.
« Oh, je voulais te poser la question tout à l’heure, commence éventuellement Gojo. Si tu ne te souviens de rien sur ta vie avant notre combat, comment t’es arrivé à la conclusion que Maki est ta fille ?
- Je me souviens de rien, juste… de presque rien, commence Toji. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, je me suis souvenu que j’avais un gosse avec un super joli nom qui commençait par un M et finissait en i, alors je me suis dit, ça pourrait être qui d’autre ? Elle n'avait presque aucune énergie maudite et bougeait comme moi – c’était un peu comme regarder dans un miroir, et je l’ai juste su immédiatement. » Toji écarte une pomme de pin qui tombe du haut du chemin. « Comment t’as fini avec tes gosses ?
Gojo a un peu… l’air d’avoir la nausée, pour une raison ou pour une autre. Putain, quel mec bizarre.
- Euh… un hasard de circonstances.
Dès qu’il se rend compte qu’il n’obtiendra rien d’autre, Toji souffle d’exaspération.
- ‘Tain, quelle histoire fascinante. On t’a déjà dit que t’es super éloquent ? »
Gojo se contente de rire. « Au moins la moitié des mots qui sortent de ma bouche ne sont pas des jurons.
- Hé, je vais pas m’excuser pour ça. Tu peux dire ce que tu veux à propos de mon langage, mais je parie que tu peux pas trouver un seul mot avec plus de versatilité ou d’émotivité que ‘putain’.
Gojo y réfléchit quelques instants avant de répondre.
- Bon, okay. Tu marques un point.
- Hé, arrête d’être d’accord avec moi. C’est flippant.
- Putain, qu’est-ce que tu veux de moi alors ?! Réplique Gojo en riant, accentuant son juron. Toji doit se mordre la langue pour s’empêcher de rire également.
- J’aurais pas pensé que ces chefs de clans propres sur eux te laisse parler comme ça, » dénote Toji. Son estomac se tord en pensant au fait que Maki se soit pris des coups de fouet pour avoir dit la même chose.
Gojo semble remarquer son malaise soudain et compense en redoublant d’énergie. « Disons qu’ils sont plus laxistes quand tu vas aussi devenir chef de clan, explique-t-il.
- Hein ? Tu vas faire ça quand tu seras grand ?
- Je suis déjà grand, le vieux, répond le gosse. Je sais pas, peut-être. J’en ai pas vraiment envie. Dernièrement je réfléchissais à être… » il se coupe. « T’inquiète. Mais après, mon meilleur ami d’enfance était aussi un futur chef de clan. C’était plus ou moins la seule personne que ma famille me laissait voir, donc on restait tout le temps ensemble. » L’expression de Gojo devient amère. « C’est devenu un parfait connard, par contre.
- Ça craint.
- Ouais, ça craint vraiment, dit-il, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose qu’il aurait préféré oublier, puis se ressaisit. Il te connaissait, d’ailleurs. Je parie qu’il péterait un câble s’il savait que t’es toujours en vie. Encore pire maintenant qu’on est partenaires.
- On est pas partenaires.
- Ah ? On est quoi, alors ?
- Je suis ton baby-sitter.
- Pff, c’est plutôt mon rôle, ça, » dit Gojo, et honnêtement ? Vraiment pas. « Bref, il t’admirait énormément. Chacun ses goûts, après… Il parlait beaucoup de toi.
- Flippant, répond Toji, n’écoutant qu’à moitié.
- Ouais, un peu. Il était comme ça tout le temps, cela dit.
- Un mec bien, quoi, rit Toji.
- Aww, il était pas si horrible quand on était enfants, » continue Gojo. Il parle dans le vide à présent, probablement parce qu’il est du genre à faire quoi que ce soit pour remplir les blancs. Il ne pense probablement pas que Toji l’écoute ; et, bon, il a à peu près raison. « Mais quelque chose a changé, un jour, et on a arrêté de se voir après ça. Il a dû se dire qu’il voulait plus être ami avec moi, j’imagine. »
Toji hausse un sourcil ; là , il est toute ouïe. Hé, qui lui jettera la pierre ? Cette histoire vient de devenir relativement intéressante. « Il s’est passé quoi ?
Gojo marque une pause pendant juste assez longtemps pour que sa phrase suivante ne soit pas convaincante.
- Je sais pas.
Putain, Toji arrive pas à croire qu’il s’apprête à dire ce qu’il va dire.
- Tu veux en parler ?
Comme il s’y attendait, Gojo éclate d’un rire sec.
- Quoi, t’es mon psy maintenant ?
- Je viens littéralement de te dire que je suis ton baby-sitter. Tes parents t’ont jamais appris à écouter les gens ?
Ouais, Gojo ignore totalement cette dernière remarque. Des problèmes avec papa ?
- Qu’importe ! Je suis habitué.
- Quoi ? Aux gens qui partent ? Dit Toji sarcastiquement.
Le gamin lui adresse un sourire aussi éclatant qu’une ampoule 1000 watts et tout aussi artificiel.
- Yep !
C’est quoi ce bordel ?
- Déprimant. »
Gojo secoue sa main dédaigneusement. « C’est pas très grave. Juste un effet secondaire sympa d’être le plus fort. »
Quelque chose dans cette phrase le fait tiquer. Toji donne un coup de pied à un caillou du bord métallique de sa botte aux semelles de fer, ses yeux observant le parcours de la pierre alors qu’elle rebondit sur un arbre proche. « Et alors ?
Le gamin se contente de lui lancer un regard noir.
- Comment ça, ‘et alors’ ?
- Oh, sérieusement, gamin. Le plus fort ? Bravo. Tu le dis comme si ça te condamnait à la solitude. »
Le changement est instantané. Gojo recule presque instinctivement, comme s’il venait de se rendre compte qu’il se tenait bien trop près d’une pile de braises. « Putain, mais de quoi tu parles ? » Dit-il lentement.
Ses sourcils se fronçant, Toji répond : « Je veux dire, ta puissance est évidemment pas l’entièreté de ton être, pas vrai ? Les gens te traitent vraiment comme si c’était le cas ?
- Euh, se défend Gojo, s’arrêtant ensuite de parler.
- ‘Tain, sérieusement ? » Les exorcistes sont vraiment des connards, et pas de la manière intelligente dont Toji peut l’être. Cette idée le dérange pas mal, d’une façon qu’il ne peut pas vraiment exprimer. « Oublie la puissance presque divine pendant un instant. En-dehors de ça, t’es qu’un gosse. »
Et c’est la partie dont il faut se souvenir, non ? Imaginer le gamin ou lui-même comme quelque chose de surhumain est ce qui les a foutu dans la merde, la première fois. C’était horriblement évident lors de leur combat le plus récent ; la façon dont tout deux avaient été aveuglés par l’autre, leur connexion terrestre au monde mortel déchirée par leur désir de s’en arracher, la façon dont rien n ‘existait en dehors de ce combat, à leurs yeux. Se placer eux-mêmes sur un différent plan d’existence que les autres est un train de pensée dangereux – c’est ce même sentiment imprudent de supériorité et d’hubris qui les a presque mené à s’entre-tuer, par trois fois.
Et puis, bon. Toji est capable de parier leurs deux bras gauches rattachés que tout comme Maki, Gojo n’a pas eu quoi que ce soit qui ressemblait à une enfance normale, même s’il était idéalisé comme dieu au lieu de condamné comme une ordure suppliant d’être incinérée. Si ces gens traitent Gojo comme si son pouvoir était la seule chose qui lui donne de la valeur en tant qu’être humain, alors ils traitaient Maki comme une moins que rien parce qu’ils pensaient qu’elle n’en avait pas.
Gojo le fixe toujours avec stupéfaction comme un méchant d’un vieux dessin animé qui vient de se faire frapper sur le dessus du crâne avec une batte de baseball. « Quoi ? Dit-il d’une petite voix.
- Je veux dire, t’es juste un mec comme un autre, pas vrai ? Je pense pas qu’être né avec un sixième œil et une énergie infinie signifie que t’as moins de sentiments que n’importe qui d’autre. Sérieusement, tu devrais voir ta tête, là. T’as l’air complètement paniqué, rit Toji. Je crois pas avoir déjà vu une photo d’un dieu qui ressemble à un gosse pris la main dans le sac. »
Le gosse est désormais silencieux comme une tombe, et honnêtement Toji n’arrive pas à savoir s’il respire toujours. Cette fois-ci, c’est à son tour de combler les blancs, ne serait-ce que pour s’entendre parler. « Okay, t’as un pouvoir spécial ou un truc du genre, mais je vois pas dans quelle mesure c’est différent de quelqu’un qui chante super bien, ou qui fait des tableaux magnifiques, ou qui raconte des histoires incroyables. Donc tu peux voler, c’est ça ? Content pour toi. Je parie que le meilleur pote de ma gamine de six ans pourrait te défoncer les yeux fermés dans un concours de pâtisserie. »
Distraitement, il repense à ce matin où il avait eu le sentiment étrange qu’il n’y avait qu’un seul autre homme dans la catégorie ‘peut exorciser des fléaux de rang S mais pas cuisiner un petit-déjeuner décent’, et d’un coup, il sait exactement qui c’est. « Dis-moi un truc. Tu peux faire cuire un œuf ?
- Non, finit par souffler Gojo, sa voix à peine plus forte qu’un murmure. Je peux pas.
Toji sourit. Il triomphe, une fois de plus.
- Tu vois, je t’ai dit quoi ? T’es juste un mec normal, et aucun mec normal ne devrait être forcé à rester sur un piédestal tout seul. Même pour quelqu’un d’aussi chiant que toi, je trouve ça un peu trop triste. » Il frappe Gojo d’une pichenette au front, pile entre les yeux, chaleureux d’une façon qu’il a peur de qualifier d’affectueuse. « T’es humain, gamin. Rien de mal avec ça. »
Hé, il s’est vraiment amélioré à tout ce truc de conseils-parentaux. Merde, est-ce que ce sentiment est vraiment dirigé vers Gojo ? Il doit sérieusement être en train de s’attendrir, mais il savait déjà qu’il était perdu dès qu’il a entraperçu ne serait-ce qu’une petite ressemblance avec sa fille dans ce gosse. Toji se frotte la nuque, surpris de n’être pas plus surpris par lui-même. « Oh, et aussi. »
Bon, vous connaissez l’idée. Quitte à y aller, autant que ce soit à fond.
Gojo le regarde patiemment. Toji pousse un profond soupir. « Je vais nulle part.
La mâchoire de Gojo se décroche un petit peu. Il faut attendre une bonne minute ou deux avant qu’il finisse par sortir :
- Hein ?
Eh beh. Toji croise ses bras sur sa poitrine.
- Bah, c’est ce que tu m’as dit, non ? On est coincés ensemble désormais. T’es une épine dans le pied, et je suis vraiment pas assez payé pour le faire, mais j’imagine que c’est mon devoir de faire attention à toi. »
Ce n’est que quelques mots, mais Gojo le regarde comme s’il venait de lui expliquer le sens de la vie. Toji ne sait pas vraiment comment gérer ce regard, alors il détourne le sien et observe le paysage qui se tient devant eux à la place. Un flash de peau mouchetée attire son attention et Toji pointe du doigt sa direction. « Hé, je crois que c’est notre cible.
Gojo reste la tête dans les nuages pendant quelques secondes avant de se ressaisir.
- Ouais. Ouais ! Allons-y ! »
Ils se précipitent après le fléau, qui se tortille instantanément sur la neige compacte après leur intrusion soudaine. Un rugissement terrifiant s’arrache de ses poumons, des postillons volants depuis ses quatre langues alors qu’il se retourne pour leur faire face. Il rampe de ses huit pattes flippantes jusqu’à une cave du flanc de la montagne, une cavité béante dans la roche qui a l’air d’avoir été fraîchement creusée.
« A l’aide ! » entend crier Toji, et il pivote vers la voix désespérée. Le bus des touristes est abîmé et tâché de salive acide mais ses passagers sont blottis à l’intérieur, s’étreignant les uns les autres de peur pour leur vie alors que le fléau s’approche d’eux. « Sauvez-nous ! » Implore un enfant.
Toji s’immobilise. Sauvez-nous. Qu’avait-dit Gojo tout à l’heure ? On peut seulement sauver les gens qui veulent l’être.
Bon. Ces gens veulent être sauvés. Un sentiment familier le frappe à la poitrine, une décharge déterminée d’émotions qu’il avait ressenti en combattant la classe spéciale pour sauver Maki, et d’un coup tout devient facile. Chacune des personnes ici présentes est la famille de quelqu’un.
Toji sprinte vers le fléau et attrape l’une de ses chevilles, lui adressant un sourire qui découvre ses dents. « Enchanté, beauté. Ça te dit d’aller boire un verre ? »
Il jette la bête vers le mur du fond où l’attend Gojo. « Toji ! Utilise ton épée pour le tuer ! Crie le gosse.
- Mon épée ?! Aboie Toji en retour. C’est pas la mienne, c’est celle de ma fille ! Je l’ai même pas amenée !
- Quoi ?! S’énerve Gojo. Pourquoi est-ce que t’es aussi… » Il est coupé par le fléau qui détache la moitié de ses membres, ses bras se tendant pour essayer de se refermer autour du cou de Gojo. Ca marche à peu près aussi bien qu’on pourrait s’y attendre ; ils implosent en rentrant en contact avec l’Infini et Gojo ordonne son énergie maudite en une brillante sphère écarlate, prêt à le frapper d’une explosion violente de Sort Inversé : Rouge.
Les deux autres membres détachés du fléau sont projetés vers le bus. Merde, il vise les roues.
Enfin, Toji peut s’en charger. Il charge vers le bus, glisse en dessous, et le hisse au-dessus de sa tête.
Les passagers hurlent en réaction au mouvement, mais grâce à lui l’attaque du fléau manque de peu. Toji ressent l’énergie résiduelle d’une des attaques de Gojo ; Bleu, détecte-t-il, même s’il ne se bat pas contre lui. Il repose lentement le bus et retourne au combat alors que le fléau régénère de plus en plus de membres et essaye de les attraper.
Okay. Toji peut en quelque sorte, peut-être, possiblement, d’une façon ou d’une autre, un petit peu comprendre pourquoi ils devraient être partenaires. Gojo disait qu’ils devraient s’entraîner ensemble pour s’habituer au style de combat de l’autre, mais honnêtement Toji ne pense pas que ce soit nécessaire. Peut-être que trois combats à mort, même si Toji ne peut se souvenir que de l’un deux, les a habitué aux mouvements de l’autre d’une façon instinctive – ils n’ont pas besoin de communiquer par les mots, et n’ont pas besoin de se regarder pour savoir exactement ce que fait l’autre. Le combat est terminé en moins d’une minute, le sang violet du fléau pulvérisé sur les parois de la cave lorsque Gojo le frappe d’un coup de grâce de Rouge.
Après quelques instants de silence tendu, les touristes crient de joie, des larmes de soulagement et de gratitude tâchant leurs visages relâchés. « Merci ! Disent-ils, encore et encore. Vous nous avez sauvés ! »
Ouais, Toji pourrait s’habituer à tout ça.
Toji arrive chez lui le lendemain, étreignant Maki fermement lorsqu’elle l’accueille à la maison. Il ressent une étrange fierté à l’idée de véritablement rentrer pour voir son enfant qui l’attend, mais son cerveau est court-circuité lorsque Yuki l’embrasse sur la joue en sortant. A en juger par les paquets de pop-corn et les canettes de soda éparpillées, elles se sont fait une nuit blanche à regarder des films ; les yeux de Maki sont cerclés de violet, comme si elle n’avait presque pas dormi. Maki lui raconte comment Yuki et elle sont restées debout tard à discuter entre films, et le cœur de Toji se serre dans sa poitrine.
Il faut attendre encore quelque jours avant qu’il revoie Gojo. Il passe au beau milieu de la journée sans prévenir, ce à quoi, Toji suppose, il va falloir s’habituer. Au moins, Maki est à l’école et n’a donc pas à croiser ce clown.
« Yo ! Le salue le gosse avec un signe de main paresseux. Un sac de toile est passé sur son épaule et se balance alors qu’il s’incruste dans l’entrée. ‘Tain, il faudrait vraiment que Toji s’achète un verrou à triple-tour ou quelque chose du genre. Pas que ça aiderait, mais ça ferait passer un certain message. « Tu te reposes, le vieux ? Je comprends, l’activité physique doit être épuisante pour les gens de ton âge.
Toji fronce les sourcils.
- Hé, j’ai que… il referme la mâchoire. Hé, tu sais quel âge j’ai ?
- T’as trente-quatre ans, » répond le gosse étonnamment rapidement. Toji se demande quelles choses il sait sur lui qu’il ne lui dit pas. Il demanderait plus de détails, s’il n’était pas aussi lâche. Il se rappelle toujours de Yuki lâchant accidentellement qu’énormément de personnes le voulaient mort. « D’ailleurs, t’as oublié ton propre anniversaire y’a pas longtemps. C’est marrant, non ?
- Pas vraiment, râle Toji. C’était quand ?
- Le 31 décembre. »
Ah, okay. Toji le note quelque part dans le bordel de notes mentales rapidement gribouillées dans sa tête. Enfin, s’il avait su que c’était son anniversaire, il ne pense pas qu’il l’aurait passé différemment. « Bon anniversaire à moi-même en retard, j’imagine.
- Ouais,ouais, c’est ça. » Gojo pose son sac sur le plan de travail. « Bref, je t’ai amené des cadeaux ! Pas pour ton anniversaire, par contre. Ceux-là ont spécifiquement été achetés parce que t’es stupide.
Toji se masse les tempes. Il peut sentir une migraine arriver très vite.
- Wow, merci.
- De rien ! Je suis pas sûr des choses dont tu te souviens à propos du monde des exorcistes, alors je t’ai amené quelques livres pour que tu rattrapes. J’ai plus besoin que tu me freines en permanence, du coup. »
C’est pas pour ça qu’ils sont partenaires, de base ? Pour empêcher cet idiot de faire n’importe quoi ? Il jette un œil aux livres que Gojo a balancé sur le plan de travail. Ugh, sérieusement ? Toji ne peut pas se souvenir de la dernière fois qu’il a ouvert un vrai livre, s’il l’a même déjà fait.
« Tu veux que je fasses quoi avec cette merde ?
- Euh, la lire ? » Son visage se fend d’un rictus irritant. « Tu sais lire, pas vrai ?
- Bien sûr que je sais lire, connard ! S’énerve Toji. On a discuté par textos !
- En soi, t’as jamais répondu à aucun de mes messages, donc j’avais pas vraiment moyen d’être sûr.
- Compte pas sur moi pour que je commence à répondre, marmonne Toji. Continue à faire de la merde et je te bloque.
- Ouais alors j’ai, genre, six téléphones différents. » Le gamin récupère un dernier objet de son sac. « Euh, en parlant de ça. J’ai aussi amené… tiens. » Il pose un cadeau parfaitement emballé sur le comptoir. « Donne-le à ta fille pour son anniversaire ou quelque chose comme ça. » Il a l’air de se sentir un peu coupable d’une manière que Toji ne peut pas vraiment expliquer et oublie quelques instants plus tard. « L’ouvre pas, hein, par contre. C’est pas pour toi.
- Ouais, bien sûr, » dit Toji, puis l’ouvre dès que Gojo repart de chez lui. Hé, il va pas juste donner un cadeau à sa fille de la part du gars qui a failli l’assassiner sans rien vérifier d’abord. Toji se sent un peu coupable de ne pas savoir quand les anniversaires des enfants de Gojo sont, mais peu importe. C’est pas comme s’ils s’attendaient à recevoir un cadeau de sa part, pas vrai ? Il ouvre l’emballage, le papier cadeau à motif de gâteaux se froissant alors qu’il l’écarte pour révéler ce qu’il y a à l’intérieur.
C’est un petit canard en peluche. Toji se rappelle vaguement d’avoir mentionné à Gojo que Maki avait été triste lorsque la famille de canards s’était envolée pour l’hiver ; il est surpris que Gojo s’en soit souvenu, parce que cela veut non seulement dire qu’il l’a écouté , mais également que cela l’intéressait. L’image mentale de Gojo errant, perdu, dans un magasin de jouets essayant de choisir quelque chose est dangereusement mignonne, et Toji se surprend à rire malgré lui.
Okay, donc peut-être que Gojo n’est pas la pire personne de l’univers après tout.
Gojo se sent comme la pire personne de l’univers, là.
Il fait tourner distraitement le sac de toile autour de son poignet en descendant les escaliers de fer qui descendent de l’appartement de Toji. Tout ça serait beaucoup plus facile si Toji était quelqu’un d’horrible, mais non. Gojo a déjà entendu dire qu’une réinitialisation en usine est souvent le meilleur moyen de réparer quelque chose qui ne marche pas ; comme lorsqu’on éteint un appareil pour le rallumer, parfois le problème se règle de lui-même.
C’est étrange. Certains des effets résiduels de la vie de maltraitance et tragédie de Toji sont toujours là, mais peut-être que ne pas s’en souvenir directement l’a rendu moins cynique et vide qu’il l’était lorsqu’ils se sont rencontrés ; de plus, avoir un enfant semble l’avoir adouci. Du coup, il se demande pourquoi Toji a abandonné Megumi et Tsumiki pour commencer.
Enfin. Pas que ça ait dérangé Gojo. Les rejets d’un homme sont le trésor d’un autre, ou un truc du genre.
Putain, il est tellement gnangnan à cause d’eux.
Il traverse Tokyo en retournant vers son immeuble. Il frappe le bouton de l’ascenseur qui mène à son appartement un peu plus fort que nécessaire, parce qu’il a la flemme de prendre la peine de s’entraîner à la téléportation à faible distance. Il se débrouille pas trop mal pour l’instant, mais ça le fatigue beaucoup. Les portes s’ouvrent avec un petit ding et il erre nonchalamment dans le salon, enterrant ses doutes si profond dans son esprit qu’ils se fossilisent.
« Hé, les enfants ! Je suis rentré !
- Bienvenue à la maison ! Gazouille Tsumiki, se dirigeant vers lui avec un sourire chaleureux. Depuis le canapé, Megumi lui adresse une vague de la main peu enthousiaste sans détourner son regard de l’épisode de Pokémon qui passe à la télé.
- Megumi ! Je sais que je t’ai manqué ! Allez, dis bonjour, dis bonjour ! Chantonne Gojo.
- Bonjour, répond Megumi, blasé, du ton le plus plat qu’il ait jamais entendu sortir de la bouche d’un être humain. Gojo rit.
- Ah, encore Pokémon ? Je t’ai toujours pas convaincu que Digimon est la franchise supérieure ?
Megumi hausse les épaules.
- Bah, t’as l’air satisfait d’avoir tort, mais si tu veux.
- Pff. » Gojo se perche sur l’accoudoir du canapé tel un chat. « Et toi, Tsumiki ? Je t’ai pas encore convaincue de passer du côté sombre ?
- Je trouve qu’ils sont tout aussi amusants l’un que l’autre ! » Dit-elle sincèrement. Le visage de Gojo s’adoucit. C’est impossible de se chamailler avec elle, mais elle est tellement mignonne qu’il n’arrive pas à s’en préoccuper.
« C’était bien, l’école ? » demande Gojo, balançant ses pieds contre les coussins du canapé. Il se rend bien compte du fait qu’aucune personne normale se s’assiérait ainsi sur un canapé, mais tant pis.
Le visage de Tsumiki s’assombrit un peu et elle commence à tripoter les boutons en forme de cœurs de sa chemise. Megumi relève le menton. Ouais, Gojo sait déjà ce que tout ça signifie.
« Mme. Yamanaka veut encore te parler demain, annonce Megumi.
- Ah ? Et pourquoi ça ? Dit Gojo avec un grand sourire, parce qu’il connaît déjà la réponse.
Tsumiki fronce les sourcils.
- Megumi s’est encore battu avec ce garçon, Matoba.
Gojo se retourne pour faire face à son fils.
- Tu l’as défoncé, Megumi ?
- Évidemment, Satoru.
- Génial. Parfait, montre-leur.
- Tu ne devrais pas l’encourager ! Déclare Tsumiki, posant résolument ses mains sur ses petites hanches. C’est pas bien de faire du mal aux gens. »
Elle a l’air si perdue que Gojo se sent un peu triste, mais ça se passe comme ça à chaque fois. Il lui ébouriffe les cheveux chaleureusement. « Je sais. J’irais parler à Mme. Yamanaka et j’arrangerais tout ça, d’accord ? Tout ira bien. » Il se débrouille de mieux en mieux pour flirter avec sa maîtresse afin qu’elle enlève les avertissements de son dossier scolaire. Il tapote Megumi sur l’épaule, qui les hausse instantanément pour le repousser. « Megumi, t’as entendu ta sœur ? C’est pas bien de faire du mal aux gens. » Gojo étouffe un rire. « A moins qu’ils le méritent. Ou si c’est marrant. Mais ces deux situations sont les seules où c’est acceptable.
- Satoru ! » Se plaint Tsumiki. Gojo se contente de rire. Il est aussi capable de réprimander ses enfants que de faire cuire des œufs, mais cette situation est trop amusante pour qu’il en ait quelque chose à faire.
Après un moment, Gojo se redresse. « Vous voulez manger quoi pour le dîner ? » Il s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas dérangés par des plats à emporter tous les soirs tant qu’il les met d’abord dans un plat. Ils l’ont attrapé quelque fois faisant semblant qu’il avait cuisiné en sortant leur dîner du four, mais bon.
« On peut choisir le restaurant d’okonomiyakis en bas de la rue ? Demande Megumi.
- Bien essayé. Non. C’est au tour de Tsumiki de choisir ce soir parce que c’est une petite fille sage.
Megumi gonfle les joues. Mignon.
- Mais je pourrais pas être une petite fille sage, même si j’essayais très fort.
- Et bah, on peut pas gagner partout. » Gojo secoue sa main et regarde sa fille. « Alors ? Il y a quoi sur le menu de ce soir ?
Le visage de Tsumiki s’illumine comme un lever de soleil à l’aube.
- Des ramens ! »
Le repas arrive environ vingt minutes plus tard. Megumi avale ses nouilles à contre cœur tandis que Tsumiki les dévore joyeusement. Gojo les fait tourner autour de ses baguettes, ignorant le fait qu’il joue avec sa nourriture de la même façon que ses gosses. Enfin, que Megumi. Tsumiki a tendance à être plus polie que ça.
Les souvenirs de sa journée tambourinent dans sa tête comme une batterie pendant tout leur repas. Toji l’a regardé comme s’il se demandait ce que Gojo savait qu’il ignorait ; si seulement, pense Gojo. Toji essaierait peut-être de le tuer à nouveau, s’il s’en rendait compte, et ça pourrait être la fin. Ça pourrait vraiment.
« Hé, les enfants, » dit Gojo après manger. La question rampe dans son œsophage et menace de déchirer sa gorge, prête à l’étouffer s’il ne l’énonce pas assez vite. Lorsqu’il retrouve sa voix, elle est rauque et déchirée. « Vous feriez quoi si je retrouvais votre père ? »
Ses enfants se taisent tous deux à ces mots. Tsumiki gigote dans son siège et Megumi casse l’une de ses baguettes, le bois fragile éclatant en échardes. « Pourquoi est-ce que ça serait important ? Dit sèchement Megumi. Je voudrais pas le voir, lui parler. Il nous a abandonné, Tsumiki et moi, laissés pourrir et mourir de faim. Qui voudrait d’un père comme ça ? » Il pose ses baguettes cassées sur la table, son visage bien trop amère et cynique pour un enfant de six ans. « Honnêtement ? Je m’en ficherais qu’il soit mort. »
Gojo jure sentir un couteau se plonger littéralement dans son cœur. « Tu le penses pas.
- Pourquoi est-ce que t’en es aussi sûr ? Réplique Megumi. C’est pas comme si tu le connaissais.
Merde. Gojo ravale l’acide qui remonte dans sa gorge de très peu.
- Est-ce que tu te souviens même de lui ?
- Pas vraiment, répond Megumi. J’ai réprimé les souvenirs. »
Quel genre de petit garçon a à réprimer les souvenirs de son enfance avant même de l’avoir quittée ? La poitrine de Gojo se serre. « Et toi, Tsumiki ?
- Et bien, il est parti avec ma mère, alors je l’ai rencontré qu’une seule fois, commence Tsumiki. C’était la dernière fois que je la voyais. A cause de ça, j’ai fait tout ce que je pouvais pour l’oublier. Pour être honnête, je… Je ne me souviens pas très bien de lui non plus. » Tsumiki renifle. « Tout ce que je sais à présent c’est à quel point c’était un monstre pour m’arracher ma maman. »
Merde, il ne va plus supporter ça longtemps. Gojo laisse s’échapper un soupir tremblant et ouvre la bouche, mais Megumi est plus rapide. « Pourquoi ? Demande-t-il. Tu l’as retrouvé ?
- Non, murmure Gojo, tandis que sa conscience hurle, tambourinant au fond de son esprit. C’était juste hypothétique. »
Megumi l’observe, attentif. Ses cils sombres s’agitent alors qu’il détourne le regard. « Okay.
- Donc… » Commence Gojo tout en se mordant la joue pour empêcher sa lèvre de trembler. « Ça veut dire que même si je l’avais retrouvé, vous voudriez quand même rester avec moi, pas vrai ?
- Bien sûr ! Gazouille Tsumiki. T’es le seul gardien dont on a besoin désormais, Satoru ! »
Putain, mais quel ange. Gojo ne sait pas ce qu’il a fait dans sa vie pour la mériter. « Megumi ? Croasse-t-il. Et toi ? »
Pendant un long moment, aucune réponse n’arrive. C’est un silence du genre assourdissant, du genre à rugir dans la tête de Gojo comme une radio coincée sur le même canal, ses oreilles bourdonnant de bruits parasites. Il sait qu’il n’est qu’un remplaçant désolant pour un parent absent, à peine assez vieux et probablement moins mature que les enfants qu’il est censé élever. Après au moins trente secondes, Gojo se résigne à l’idée que Megumi ne répondra tout simplement pas ; il est pris en quelque sorte par surprise quand, d’une voix à peine plus forte que son souffle, Megumi prononce les mots : « Ouais. Je voudrais aussi rester avec toi, Satoru. »
Et Gojo ne peut pas s’en empêcher. Il les entraîne tous deux dans une étreinte en poussant un soupir de soulagement, qui passe à travers lui avec la force d’un raz-de-marée. Il est foutu, il le sait ; que tout ça s’effondre un jour devant lui est évidemment inévitable, mais putain , il s’accrochera à eux pour aussi longtemps que possible. Tsumiki jette ses bras autour de son cou et enfouit sa tête dans son cou. Megumi ne répond pas à son câlin, comme toujours, mais Gojo ne manque pas de remarquer qu’il se rapproche légèrement ;
« D’accord, murmure Gojo. Je veillerais sur vous pour toujours alors, ça vous va ? »
Gojo ne dort presque pas cette nuit-là. Ça importe peu que ses yeux soient ouverts ou non ; la seule chose qu’il puisse voir, c’est l’expression de Toji lorsqu’il a arrêté leur combat, rugissant qu’il ne laisserait pas son enfant lui être arraché. L’émotion pure dans sa voix était furieuse, désespérée. Pour ce qui était seulement la seconde fois de sa vie, Gojo pensait honnêtement qu’il allait mourir.
Et qu’est-ce qui se serait passé alors ? Tsumiki et Megumi auraient fini tous seuls, encore une fois. Gojo ne peut plus se permettre de se foirer, plus maintenant. Il était autrefois indifférent à l’idée de mourir, mais il ne vivait à ce moment-là que pour lui. C’est presque drôle, à quel point il ne savait pas dans quoi il s’embarquait en recueillant Megumi et Tsumiki depuis la rue et dans sa vie.
Nauséeux, il se retourne sur le ventre, les dures mais réconfortantes paroles de Toji prononcées lors de leur première mission ensemble résonnant dans son esprit comme le vent dans un canyon.
Je vais nulle part. On est coincés ensemble désormais. J’imagine que c’est mon devoir de faire attention à toi.
Merde, il a la nausée.
Au matin, il pousse Megumi et Tsumiki hors de l’appartement pour aller à l’école – le laissant seul avec ses pensées, ce qui est toujours un moment très amusant. Peut-être qu’aller faire chier le vieux le fera se sentir mieux par rapport à tout ce qui est trahison et vol d’enfant ; probablement pas, mais ça vaut le coup d’essayer. Même s’il n’y arrive pas, taper sur les nerfs de Toji promet d’être plus intéressant que de lire des requêtes de missions pour lesquelles il est complètement surqualifié, sans même penser à eux-deux ensemble.
Il est plus fatigué maintenant qu’il ne l’était hier, mais il suppose qu’il va devoir travailler sur sa téléportation à courte-portée à un moment ou à un autre. Hé, peut-être qu’il pourrait se téléporter pile dans la cuisine de Toji s’il y met vraiment du sien.
Il se rate, mais de peu. Il arrive devant sa porte et l’ouvre d’un coup de talon, ignorant le verrou censé l’empêcher d’entrer qu’il n’entend définitivement pas se briser en deux sur impact.
Lorsqu’il se faufile à l’intérieur, Toji est en train de parler. « T’es vraiment nulle.
- Tais-toi ! J’essaie de me concentrer, réplique une petite fille, avant qu’ils s’arrêtent tous deux de dire quoi que ce soit. Ah, merde. Gojo est paralysé dans l’entrée tandis que trois paires d’yeux se fixent sur lui.
- Gojo, » gronde Toji, et c’est à sa manière articulée de prononcer le nom que Gojo sait qu’il est vraiment dans la merde, « Bordel, qu’est-ce que tu fous ici ? »
Comment est-ce qu’il parvient à avoir l’air intimidant malgré les deux petits enfants qui lui mettent du vernis à ongle est vraiment au-delà de la capacité de compréhension humaine. Ce regard, sauvage et dangereux et animal, active en lui un instinct de survie qu’il n’avait jamais pensé avoir ; il frappe la suture cicatrisée sur son épaule gauche d’une agonie telle qu’on dirait qu’elle pisse à nouveau le sang. Au moins Gojo avait raison à propos de ça lors de leur combat ; ça a vraiment laissé une cicatrice affreuse.
« Gojo ? » répète la fille. Ses cheveux sont de la même couleur que les yeux de Toji, donc il y a au moins une petite ressemblance physique, même si elle n’a rien à voir avec la ressemblance de Toji à Megumi ; mais outre ça, leur posture est exactement la même. Le port des épaules tendus indiquant une capacité constante à se battre, leur sang qui bourdonne comme un fil sous tension, à la fois dangereux et électrique – leurs mentons tenus hauts avec une dignité caractéristique, malgré le nombre de fois que Gojo les sait avoir été piétinés.
Ouais, c’est logique qu’il pense toujours que cette fille est la sienne. Gojo a entendu parler d’une jeune fille du Clan Zen’in qui s’est faite assassinée relativement récemment, il ne pensait simplement pas que ce serait elle . Il suppose que c’est pratique, qu’ils soient tous les deux morts. Officiellement, du moins.
Maki pose le vernis à côté d’elle, ses ongles trempés de rouge. La couleur sanglante est légèrement ironique. « T’es celui qui a blessé Toji.
Ah, merde. La mâchoire de Toji se décroche.
- Comment tu sais ça, toi ?
- J’ai entendu Yuki en parler il y a quelques semaines, gronde-t-elle, son regard toujours en train de creuser un trou dans le squelette de Gojo jusqu’à sa moelle.
Il lève ses mains en l’air pour l’apaiser.
- Bon, hum, disons qu’on s’est un peu disputés la dernière fois… » Bien, certes, pas qu’une fois, mais c’est pas le sujet. « … mais on est amis maintenant ! »
Toji lui jette un regard désapprobateur. Ouais, amis est peut-être une petite exagération. « Euh, collègues ? »
Maki et Toji ont tous les deux l’air de vouloir lui casser la gueule ensemble, ce qu’ils feraient probablement si l’autre enfant n’était pas présent. A en juger par son niveau d’énergie maudite proche de celui d’un civil, Gojo suppose qu’il n’est pas un exorciste – pas que Toji et sa non-fille suivent cette règle, cela dit.
« Bonjour ! Je m’appelle Yuji Itadori ! » Annonce le petit garçon, balançant ses petits pieds d’excitation, complètement inconscient d’une façon ou d’une autre de l’aura meurtrière que dégage les deux autres personnes sur ce canapé. « Maki et moi, on a pas école aujourd’hui, alors on a décidé de faire un jour spa ! Je peux aussi te mettre du vernis ?
- Si tu veux, » accepte Gojo bien trop rapidement. Tout pour faire en sorte que Maki et Toji arrêtent d’essayer de le tuer avec leur regard. Il devrait probablement limiter les dégâts et s’en aller, mais l’idée que Toji reste autant en colère contre lui est particulièrement peu attirante.
C’est facile de faire semblant que Maki ne lui lance pas de regards noirs lorsqu’il s’assoit près de Yuji sur le canapé, mais c’est dur de l’ignorer – et il se rappelle brutalement et soudainement que le sabre capable de briser l’Infini appartient en fait à elle. Il n’a aucun doute qu’elle sait l’utiliser. Il se demande si elle est capable de se rendre compte qu’il est exorciste. Probablement. Elle a grandi auprès de Naoya , elle doit pouvoir reconnaître un adolescent exorciste et con quand elle en voit un.
« Alors tu travailles avec Toji ? Dit Maki. Et tu fais quoi, exactement ? »
Les yeux de Gojo s’écarquillent. Merde, elle est définitivement au courant. Putain, comment est-ce qu’il est censé répondre en face de Yuji et Toji ? Il regarde Toji, paniqué ; le vieux a l’air peu compatissant, mais lui épargne tout de même de chercher une réponse.
« On, euh… on sauve des gens ensemble, explique Toji. Maki s’adoucit légèrement à ces mots, juste assez pour que Gojo ait l’impression de pouvoir à nouveau respirer.
- Woah ! Vous sauvez des gens ? S’exclame Yuji. C’est ce que je veux faire quand je serai grand ! »
Pas comme nous, se dit Gojo alors que le garçon commence à lui mettre maladroitement du vernis. Yuji attrape un marqueur fin avec une expression concentrée, sa langue sortant par un trou entre ses dents.
« Tu veux un dessin ? Demande l’enfant.
- Tu sais faire quoi, comme dessins ?
- Je sais pas en faire.
- Magnifique. Fais de ton mieux, petit mec. »
Yuji s’y met, gribouillant sur ses cuticules. « Je vais faire des fleurs, déclare-t-il. Est-ce que tu as une fleur préférée ? »
Ah. Gojo n’y a très honnêtement jamais réfléchi. Cela dit, il se souvient d’une journée en première où il se baladait avec Suguru dans un jardin, le bout de leurs doigts se touchant grâce à de faux accidents, son seul et unique lui montrant un arbre plus loin, vers l’allée de graviers. « Euh, les plumerias.
- C’est quoi un plumeria ? »
Imagine la fleur la plus gay possible et dessine ça, manque de dire Gojo. Il ne peut empêcher son humeur de s’assombrir légèrement, comme toujours lorsqu’il pense à son presque-ex. Ils sortaient totalement ensemble ! Suguru était juste pas au courant. Au lieu de ça, il se racle la gorge et répond : « Un peu comme une marguerite, mais avec des pétales plus épais et moins nombreux.
- D’accord ! S’exclame-t-il d’un ton enjoué. Ça va être super joli, c’est promis !
- Je te crois, » rit Gojo. Il ne croit évidemment pas du tout cet enfant.
Il est agréablement surpris, cela dit – le gosse n’est en fait pas si mauvais. Gojo va définitivement garder sa manucure aussi longtemps que possible, ne serait-ce que pour énerver Yaga et les anciens.
Maki a l’air de ne pas lui adresser la parole. Gojo suppose qu’il peut comprendre le sentiment.
« Pourquoi tu portes des lunettes de soleil à l’intérieur ? Interroge Yuji.
- Parce que j’ai l’air cool, répond Gojo.
Toji rit ; Gojo fait le choix de l’ignorer. Tant pis pour lui, son sens de la mode est inexistant.
- Trop bien ! Je peux les essayer ? »
Bon, Gojo se dit qu’il peut supporter le mal de tête à venir pendant quelques minutes. En plus, cela pourrait le faire remonter dans l’estime de Maki et Toji ; il ne va pas essayer de réfléchir à pourquoi cela lui importe. « Si tu veux, mais pas pour longtemps. »
Il donne ses lunettes noir d’encre à Yuji et l’observe, amusé, agiter sa main devant son visage, aveuglé. « Woah, je vois rien du tout. Je parie que je me cognerais contre un poteau si je les portais dans la rue. Je veux les mêmes ! »
Gojo n’a jamais apprécié d’enfant autre que les siens auparavant, mais pourquoi est-ce que celui-là est adorable ? Franchement, ça ferait pas de mal à Megumi d’avoir un ami comme ça. Ils s’équilibreraient parfaitement.
Yuji lui rend ses lunettes peu après et se remet à travailler sur le vernis. « Du coup, pourquoi est-ce que vous avez pas école ? Finit par demander Gojo.
- C’est la fête des parents demain, explique Maki. Sympa, elle a arrêté de l’ignorer pour l’instant. Les maîtres doivent préparer les salles de classe et préparer nos dossiers. »
Oh, hé, c’est aussi la fête des parents à l’école de Megumi et Tsumiki demain. Qu’il vienne rendra fou Megumi, ce qui bien sûr est une raison de plus pour y aller. « Ooh, ça a l’air fun. Yuji, tes parents font quoi dans la vie ? »
Yuji sursaute à cette question, étalant accidentellement une ligne noire sur le doigt de Gojo avec le marqueur qu’il utilise. Il ferme sa bouche d’un seul coup et détourne le regard, ayant l’air étrangement abattu.
Toji se lève du canapé et attrape Gojo par le dos de son col de chemise tel un chaton, le traînant à l’opposé de la pièce. Il le laisse tomber et croise les bras sur la poitrine.
« Ils sont morts, connard, » grogne Toji tout bas. Gojo se paralyse. Comment est-ce qu’il aurait pu le savoir ? Ses entrailles se tordent tout de même de culpabilité. « D’habitude ça ne le dérange pas, mais il fallait vraiment que tu demandes aujourd’hui ? Il est déjà déprimé à propos du fait que personne ne sera là pour l’emmener demain. » Toji se frotte les tempes. « On a proposé, moi et Yuki, mais tout le monde sait déjà qu’on est pas ses parents, alors personne sait quoi faire. »
Bon, il va commencer par ignorer le ‘moi et Yuki’ ainsi que le ‘on’ de ‘on est pas ses parents’ pour l’instant. Il aura plein de temps pour se foutre de la gueule de Toji et de son crush extrêmement, stupidement visible pour tous. « Ça craint, un peu.
Toji laisse échapper un grognement pour marquer son accord.
- Ouais, ça craint vraiment. Tu trouves pas qu’il est super mignon ?
Gojo acquiesce.
- Ouais, très mignon. J’espère bien que rien de catastrophiquement tragique et/ou mortel ne lui arrivera dans les cinq à dix prochaines années.
- Putain mais c’est quoi ton problème ? » S’interroge Toji en fronçant les sourcils.
Gojo hausse les épaules. Par où commencer pour répondre à cette question ? Tout ce qu’il sait, c’est que sa réponse résulterait en une thérapie par électrochocs. « Hé, on sait jamais avec ce genre de trucs. »
Le vieux pose sa main sur sa taille. « Hé, gamin. Soit utile pour une fois dans ta vie et emmène le à la fête des parents demain.
Gojo grimace.
- Je peux pas ! C’est la fête des parents à l’école de mes enfants aussi !
- On t’a déjà dit que tu sers vraiment à rien ? Répond Toji en levant les yeux au ciel.
- A vrai dire, non, jamais, rit Gojo.
Toji le regarde platement.
- Tu sers vraiment à rien. »
Pff. Gojo n’arrive pas à savoir si le fait que Toji soit une des seules personnes à le traiter comme un être humain est terrifiant ou incroyable, mais pour l’instant c’est simplement marrant. « Attends, je connais quelqu’un qui pourrait peut-être nous aider. »
Il s’éloigne et sort son portable, cherchant son contact même s’il connaît son numéro par cœur. Il appuie sur le bouton d’appel et porte l’objet à son oreille. De façon très caractéristique, l’intéressé répond après seulement une sonnerie.
« Gojo, je t’ai dit d’arrêter de m’appeler, dit une voix rauque à l’autre bout du fil.
- C’est impoli de me saluer comme ça !
- Je m’en fous. Au revoir.
- Attends ! Je t’ai même pas dit pourquoi je t’appelais !
- Je ne suis pas intéressé.
Gojo déglutit.
- Hé, raccroche pas de suite. Je vais pas te demander de revenir, juré.
- Ah ? Dit la voix, intriguée. Alors pourquoi tu m’appelles ?
- C’est juste que… »
Gojo laisse ses yeux voguer jusqu’à Yuji. Il est en train de regarder le sol, tout enthousiasme juvénile dissipé de ses iris brillants et remplacé par quelque chose qui ressemble trop à de la résignation pour que Gojo le supporte. Un enfant gentil comme Yuji ne mérite pas d’être seul, pas maintenant. Il le convaincra d’aider, il le faut. En plus, il a l’étrange pressentiment que ça ne sera pas très dur.
« J’ai besoin que tu me rendes un service, Nanamin . »
Notes:
Notes de MissingN000 :
j’invente un agenda de gojo et naoya en tant qu’amis d’enfance distants parce que non seulement il y a potentiel angst absolument écrasant, je trouve ça aussi vraiment super drôle sans aucune raison
juste un avertissement à partir d’ici plus ou moins tous les chapitres vont être aussi long que celui-là, surtout au fur et à mesure que de nouveau personnages sont ajoutés. j’espère que vous considérez ça comme une bonne chose
gojo a enfin rencontré un gosse possédant autant de neurones que lui (zéro). déso pas déso pour la toute petite ref itafushi en coup de vent c’est juste fondamentalement à cause de qui je suis en tant que personne
qui est prêt pour rencontrer nanamin ado au prochain chapitre ? pas moi et je suis littéralement l’auteur.ice
merci beaucoup d’avoir lu ! les commentaires et kudos refont toujours ma journée !
Chapter 10: une vie qui ait un but
Notes:
Notes de MissingN000 :
je trouve ça super mignon que les téléréalités de cuisine soient le truc préféré à regarder de yuji, et que nanami aime cuisiner. père et fils, c’est canon
désolé ce chapitre est super long mais ça aurait dérangé le rythme si je l’avais coupé en deux
bonne lecture !
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Nanami se masse ses tempes douloureuses en longs mouvements circulaires, les premières marques d’une migraine menaçant déjà de résonner dans son crâne. Ça fait très exactement cinq mois, trois semaines, et quatre jours depuis la dernière fois qu’il a adressé la parole à Satoru Gojo, et il aurait pu s'écouler dix fois ce laps de temps avant de lui parler à nouveau que ç'aurait tout de même été trop court.
« Excuse-moi, » commence-t-il, d’hors et déjà exténué. Il n’est pas certain d’envers qui être déçu : Gojo, ou lui-même, étant donné que Gojo est encore capable de le surprendre ? « Tu veux que je fasse semblant d’être le père d’un enfant ?
- Oh, allez ! Supplie Gojo à l’autre bout de la ligne. Nanami peut presque entendre le rictus qu’il doit porter à son ton de voix. « Ça sera pas si dur ! »
Nanami soupire. « Au cas où tu l’aurais oublié, j’ai dix-huit ans. Comment est-ce que tu t’attends à ce que je me fasse passer pour le père d’un enfant de… » Il marque une pause. « Il a quel âge ?
- Yuji ! T’as quel âge ?
- Six ans ! réplique une petite voix derrière celle de Gojo.
- De six ans ? Il souffle du nez, méprisant. T’as perdu la tête.
- Pour le coup, oui, mais je pensais que c’était évident, » dit Gojo, comme si c’était la conclusion la plus naturelle au monde. Ce qui est le cas, suppose Nanami, si on lui a parlé pendant plus de trois secondes. « Mais t’as l’air tellement plus mature que dix-huit grâce au balais géant que t’as coincé dans le cul ! »
Nanami hausse un sourcil. « C’est comme ça que tu demandes à ce qu’on te rende un service ? Il réajuste son téléphone dans sa main. Je suis pas doué avec les enfants, Gojo.
- T’inquiète, celui-là est facile à gérer. Je suis à peu près sûr que tu pourrais lui donner une feuille morte et il s’amuserait pendant des heures.
- Il est idiot ? Demande-t-il en fronçant les sourcils.
- Un peu, mais d’une manière mignonne, répond Gojo amusé.
Nanami secoue la tête. « Je suis pas convaincu, » répond-il, abaissant la voix. Sa pause-déj est finie depuis longtemps – il ne souhaite vraiment pas que cette conversation parvienne aux oreilles de son boss. Son collège du bureau d’à-côté lui jette un regard étrange ; pourquoi est-ce que les gens ne peuvent pas s’occuper de leurs affaires ? Ça ne lui pose pas de problèmes, à lui.
« Nanamin, je t’en supplie ! T’as pas envie d’être un DILF ?
- C’est quoi encore, un DILF ?
- Ca veut dire Dad I’d Like to…
- Finit cette phrase devant ma fille et je t’étrangle à mort, intervient une voix non identifiée. Nanami ressent immédiatement une connexion profonde avec cette personne anonyme. Le ton exaspéré de cet homme est presque identique au sien, jusqu’aux intonations les plus subtiles.
- Okay, okay, souffle Gojo. Ecoute. Si tu le rencontre, et que tu décides que tu veux pas le faire, alors j'arrêterai de t'appeler pendant un an. »
Les yeux de Nanami s’écarquillent. Ça ne fait pas si longtemps que ça qu’il est dans le monde des affaires, mais il sait reconnaître un accord à bénéfice quand il en voit un. « Un an ? répète-t-il. Je vais t’y tenir, tu t’en rends compte.
- T’es ultra désagréable ! se plaint Gojo. Nanami ne pourrait pas en avoir plus rien à foutre. Je t’enverrais l’adresse par message pour que tu puisses passer après le taff, d’accord ? Je serais avec lui. On pourra rattraper le temps perdu !
Ou pas. Nanami est à peu près sûr que son sommeil est la seule chose qu’il doive rattraper après cette journée de travail.
- On va pas faire ça, dit-il platement, mais je serai là. » Il raccroche sans dire au revoir.
Il s’est rendu compte au fur et à mesure de sa vie qu’il excelle à réprimer ses pensées et émotions, ainsi il ne repense plus à cet appel jusqu’à la fin de sa journée. L’horloge frappe cinq heures tapantes et à cet instant exact Nanami se lève de son siège, arrache sa veste au dossier de sa chaise, et la jette sur une de ses larges épaules. Il jette un œil à l’adresse que Gojo lui a envoyé et planifie la route optimale pour y aller en transports en commun.
Nanami arrive à peu près une demi-heure plus tard. L’immeuble est plutôt beau et situé dans un quartier calme et sécurisé, donc ses habitants sont, avec un peu de chance, des gens raisonnables. C’est rassurant. Nanami s’est aperçu qu’il y a un manque inquiétant de gens raisonnables à la fois dans et hors du monde des exorcistes. Ses doigts fins passent sur la rampe d’acier froid alors qu’il monte les marches, et lorsqu’il toque à la porte, elle est déjà entrouverte. Elle s’ouvre d’un coup sur impact d’un coup léger.
Derrière se trouve un appartement coloré et étendu au parquet en bois de cerisier et à la cuisine en marbre. Des décorations de Noël sont toujours en place malgré le fait qu’on soit le 15 janvier, et quelques boîtes de pizzas sont empilées sur le bord du plan de travail. Gojo est penché sur le canapé, cachant la silhouette de ce qui doit être le petit garçon en question derrière lui. Une petite fille à lunettes lui dessine sur le visage avec ce qui semble être un marqueur indélébile – et il la laisse faire, pour une raison inexplicable. Etrange, il a probablement fallu qu’il lâche l'Infini afin qu'elle le touche.
Mais surtout…
Nanami en a entendu parler et n’a vu que quelques photos floues, mais il reconnaît cet homme au moment où ses yeux se posent sur lui simplement du fait de son aura terrifiante. « C’est le Tueur d’E…
Gojo se lève en un instant, traversant la pièce en quelques millisecondes et plaquant sa main sur la bouche de Nanami avant qu’il ne puisse finir sa phrase. « On va discuter dehors pendant deux secondes, on revient ! » Annonce Gojo aux occupants de la pièce d’une voix essoufflée mais concise, avant de pousser Nanami derrière la porte d’entrée et de la claquer derrière eux.
Une fois dehors, Gojo appuie sa silhouette mince sur la porte en une posture qui est trop tendue pour paraître tranquille. « Hey, Nanamin ! Tu t’es débarrassé de ta coupe de cheveux emo ! Je dois te dire que les cheveux plaqués, ça te va super bien. »
Nanami s’enflamme, resserrant sa cravate simplement pour faire quelque chose de ses mains. Il se surprend en train de souhaiter toujours avoir ses lunettes ; il ne l’admettrait pas, mais les réajuster a toujours été un tic nerveux. « Pourquoi est-ce que le Tueur d’Exorcistes est assis sur ce canapé ?! crache-t-il. Je croyais que tu l’avais tué !
- Oh, fun fact ! Au final, ça a pas marché.
Parler à Gojo est soit un sprint soit un marathon, avec aucun entre-deux. Les deux sont tout aussi désagréables. « Pourquoi est-ce que tu m’as pas prévenu ?
- Bah, si je t’avais dit qu’il serait là, tu serais pas venu ! » dit Gojo, avant que son sourire, presque entièrement superficiel, comme toujours, ne se dissipe. Lorsqu’il se remet à parler, son ton est à mi-chemin entre l'amertume et l'amusement. « En plus, pourquoi t’es inquiet ? C’est pas comme si t’étais encore un exorciste. »
Nanami refuse de mordre à l’appât. Gojo l’a déjà assez culpabilisé lorqu'il a pris la décision de partir. Il l’a bloqué plusieurs fois, mais il continue à se procurer des nouveaux putains de portables. « Pourquoi est-ce qu’il est avec toi ? »
Gojo remet rapidement en place son attitude insouciante en agitant hautainement l’une de ses mains. « ‘Tain, arrête deux secondes avec les pulsions meurtrières, non ? » Un léger sourire découvre le blanc de ses dents. « Sois gentil avec mon nouveau partenaire, Nanamin.
- Ton nouveau quoi ?!
- Ouais, on est du même côté maintenant ! Gojo lui adresse un V de la main qui donne envie à Nanami de lui briser les doigts. « Quand on s’est recroisés, on s’est un peu chamaillés à mort, mais on a fini par se mettre d’accord sur deux trois trucs et nous voilà ! Meilleurs potes !
- J’en doute, » grogne Nanami, et les lèvres de Gojo tombent. Il le savait. « Je trouve très difficile à croire l’idée qu’il accepterait de travailler avec toi après toute cette histoire.
- Bon, le truc, c’est… » Gojo se tapote la mâchoire. « Il est amnésique. »
La mâchoire de Nanami tombe. « Quoi ?
- Ouais ! Il se souvient d’absolument rien qui se soit déroulé avant notre gros combat ! Sois cool pour la première fois de ta vie et lui en parle pas, ça te va ?
Nanami grimace, son estomac se tordant d’appréhension.
- Donc il n’est même pas au courant qu’il était le Tueur d’Exorcistes ? T’es trop naïf, Gojo.
- Mais s’il s’en souvient pas, ça s’est pas vraiment passé, si ?
- Je suis sûr que les familles de ses victimes seraient d’accord avec toi, » contre Nanami.
Ignorant la gravité de ces mots, Gojo tape dans ses mains et essaie de son mieux pour le regarder comme un chien battu. Malheureusement pour lui, Nanami ne se trouve pas être la seule personne au monde sur laquelle cette technique ait jamais marché. « Na ! Na ! Mi ! Me ruine pas tout ! S’il te plaît ? »
Nanami secoue la tête. « J’aurais pensé que tu serais la dernière personne au monde à vouloir bosser avec lui, vu les problèmes qu’il t’a causés.
Gojo se contente de soupirer.
- Je suppose qu’on pourrait dire que… Je lui suis redevable pour un truc. »
Nanami sait pertinemment qu’il ne vaut mieux pas lui demander de s’expliquer. Gojo parlera de tout et de rien simplement pour tourner autour du pot. « Qui est la fille ? demande-t-il. C’était d’ores et déjà impossible de prendre Gojo au sérieux, mais l’entrelacs de lignes noires qu’elle lui a dessiné sur le visage oblitère toute chance passée et future.
- Sa fille. » Les doigts de Gojo se posent sur la poignée de porte. « Ecoute. Je te promets que j’expliquerais plus de choses après, okay ? Mais pour l’instant on va rentrer et rencontrer ton nouveau fils !
- Ça n'est en aucun cas mon nouveau fils.
- Aww, rabat-joie. Fais-moi confiance ! Les enfants te donnent un but dans la vie !
Quelle phrase étrange de la part de Gojo.
- Qu’est-ce que t’en sais ? »
Il trébuche légèrement en entendant ces mots, mais se rattrape avant que Nanami ne puisse l’interroger. Ils se dirigent ensemble vers le canapé.
« Yuji ! Dis bonjour à Nanamin.
- Je ne m’appelle pas comme ça.
- Bonjour Nanamin ! » L’enfant secoue si fort sa main que Nanami a brièvement l’impression de voir tomber son bras. « Je m’appelle Yuji Itadori et mon animal préféré, c’est les tigres ! C’est quoi ton animal préféré ?
Nanami réfléchit.
- Je n'en ai pas.
L’enfant sautille de haut en bas.
- Oh, c’est une bonne réponse ! Tu les aimes tous tellement que tu peux pas choisir, c’est ça ? Ça m’arrive aussi, parfois !
- Non, je… » Nanami se coupe. Il n’est peut-être pas doué avec les enfants, mais il a tout de même un minimum de tact. « On peut dire ça.
- Génial ! » Il se jette en arrière sur le canapé et les coussins rebondissent à son impulsion. « Comment tu connais Toji-ji ? »
Il est à ce moment-là impossible de déchiffrer l’expression du Tueur de Sorcier. Ces yeux émeraudes acérés épluchent Nanami comme voulant lire entre les lignes d’un livre écrit à l’encre invisible. Nanami ouvre la bouche, voulant répondre, avant que Gojo ne lui coupe l’herbe sous le pied.
- C’est mon ami, en fait ! » s’exclame-t-il. Ami n’est pas le mot que Nanami aurait choisi. « Il travaille autre part que moi et Toji, par contre. »
Ça n’a pas l’air de déranger Yuji. « C’est quoi ton travail, Nanamin ?
- Je suis courtier en valeurs mobilières dans une société de portefeuilles. »
Yuji cligne des yeux. « C’est quoi ton travail, Nanamin ? »
Nanami soupire. « Je vends de l’argent.
- Woah, génial ! s’anime Yuji. Je peux acheter de l’argent ? »
Wow. Nanami croise les bras sur sa poitrine. « Peut-être quand tu seras plus grand. » Non pas qu'il devrait vraiment avoir hâte d'atteindre cet âge.
« Je peux en avoir gratuitement, alors ?
- Non.
Yuji boude, ce qui dure deux glorieuses secondes avant qu’il ne pose une autre question. « Nanamin ! On fait une journée spa ! Je peux te mettre du vernis ?
- Non. Pas avec le travail, dit-il en fronçant les sourcils. »
L’enfant s’assagit légèrement. « Oh, d’accord. »
La fille du Tueur d’Exorcistes a recommencé son œuvre sur le visage de Gojo. Une joue est couverte de gribouillis et elle est présentement en train de dessiner le visage mécontent le plus maladroit que Nanami ait jamais vu sur l’autre. Le Tueur de Sorcier a l’air extrêmement satisfait du comportement de son enfant.
Nanami soupire. Yuji a l’air si dévasté qu’il ne peut s’empêcher de céder. Au moins, la supérette ouverte 24h/24 près de son appartement devrait vendre du dissolvant. « Bon, si tu veux.
- Trop bien ! le caractère joyeux de Yuji lui revient immédiatement, si étincelant que Nanami pense presque voir les nuages se dissiper du morne ciel hivernal. Nanami s’assoie lentement à ses côtés sur le canapé, tendant les mains.
L’enfant débouche une bouteille de vernis et soulève le pinceau, le faisant goutter sur ses vêtements. Soit il ne le remarque pas, soit il s’en fout. « Je regardais une émission de cuisine à la télé hier. J’ai appris que le bouillon de ramen est cuisiné en utilisant des champignons comme base ! C’est génial, pas vrai ? J’ai super envie d’essayer !
Nanami repositionne sa main pour que l’enfant puisse appliquer le vernis plus facilement.
- Tu veux essayer d’en faire ou d’en manger ?
- Les deux ! »
Oh, intéressant. Cuisiner est également un des hobbys de Nanami, depuis peu – il s’est aperçu que c’était à la fois relaxant et étrangement satisfaisant, étant donné qu’il a très peu de contrôle sur tous les autres éléments de sa vie. Nanami n’a pas encore vu l’émission dont Yuji parle, bien qu’il l’ait enregistré sur sa télévision. « Ça a l’air… sympa.
Yuji acquiesce, surexcité.
- Ouais ! Moi et Maki, on voulait essayer d’en faire et Toji-ji a accepté d’être notre goûteur ! » Il regarde successivement Nanami et Gojo. « Vous voulez être nos goûteurs aussi ?
- Oui, » répond Gojo littéralement en un instant.
Le Tueur d’Exorciste souffle et lève les yeux au ciel. « Espèce invasive, va, râle-t-il. Si Nanami ne connaissait pas sa réputation, il penserait que l’homme réprime un sourire.
C’est dérangeant. Nanami fronce les sourcils. Il planifie déjà des moyens de se sortie de cette situation. « Je… Il faudra que je regarde mes disponibilités.
- D’accord ! chantonne Yuji. Il sélectionne un autre marqueur et commence à dessiner. « Tu peux me prêter ta cravate, Nanamin ?
- Pourquoi ? dit-il, la détachant. Il la tend à Yuji.
Yuji la déroule pour l’enrouler autour d’un des poignets de Nanami, la nouant d’un énorme nœud papillon avec un sourire étincelant.
- Voilà ! Maintenant c’est parfait ! »
Nanami baisse les yeux. C’est… festif, disons. En regardant de plus près, l’enfant a peint de petits yens sur certains de ses ongles. « Vu que tu vends de l’argent ! explique-t-il.
Il est… légèrement attachant. Nanami n’est pas doué avec les enfants, mais Gojo avait raison lorsqu’il disait que celui-là n’est pas si terrible.
- Merci. C’est joli.
- Pourquoi tu viens voir ton ami, Nanamin ? demande-t-il.
Nanami cligne des yeux. Gojo n’a pas annoncé à Yuji la raison de sa venue ? C’est étrange qu’il lui ait donné la chance de se rétracter sans que l’enfant ait de faux espoirs.
- Je fais que passer, répond-il. Il trébuche sur ses mots mensongers mais son ton est le bon. On avait pensé à faire quelque chose demain.
- C’est la fête des parents à mon école demain, commence Yuji. J’ai trop hâte ! Je pourrais rencontrer la famille de tous mes amis ! Normalement mon grand-père m’y emmènerait, mais il est encore à l’hôpital. Il m’a dit que peut-être, je pourrais dessiner mes parents pour les montrer à mes amis. Tu veux voir mon dessin ?
- Si tu veux, répond Nanami.
- Merci ! » Yuji se lève en sautant et trottine vers son cartable. Il fouille dedans pendant un bout de temps avant d’en tirer un livre avec une feuille de papier pliée entre ses pages. Il revient vers le canapé et déplie le dessin. « Regarde ! J’en suis très fier ! »
Et il peut l’être – le dessin est certainement impressionnant, surtout pour un enfant de son âge. Un crayon de couleur criard décore le papier de spirales tremblantes, des lignes nettes et propres s’effaçant derrière des ombrages plus doux.
Cependant, ce n’est pas ça qui attire l’œil de Nanami.
Il y a deux petites auréoles au-dessus de son père et de sa mère, et des ailes d’ange derrière-eux. La poigne de l’enfant sur la feuille vacille un instant, et Nanami sent que son cœur tombe avec.
Oh.
Donc c’est pour ça qu’il a besoin qu’on l’accompagne.
Nanami n’est pas étranger aux tragédies. Cela vient avec le fait d’être un ex-exorciste. Il a fait sa part de visites aux proches, parce que Yaga lui a toujours dit que les familles devraient être informées de la perte d’un être cher en personne. Au bout d’un moment, il s’y est habitué ; les pleurs, les frères et sœurs s’effondrant par terre, se serrant l’un l’autre alors que leurs épaules tremblent de désespoir. Nanami hait admettre qu’il a appris à le gérer.
Mais cet enfant – ça, il ne sait pas le gérer. La résignation dans ses yeux, l’espoir perdu pour quelque chose qu’il n’a jamais eu.
Nanami réalise bien trop tard que Yuji parle depuis un moment et qu’il n’a rien écouté. Yuji pointe du doigt le dessin de ses parents. « Je me souviens pas très bien d’à quoi ils ressemblaient par contre, donc je l’ai un peu fait…
- Je peux t’emmener demain, coupe-t-il Yuji, se surprenant lui-même. Il n’avait pas réalisé qu’il s’apprêtait à dire cela.
En réponse, le souffle de Yuji se coupe.
- Hein ?
- Si ça te va, ajoute Nanami. Gojo lui adresse un sourire triomphant qui a l’air étrangement sincère, ce qui n’est pas du tout aussi déconcertant que celui du Tueur d’Exorcistes.
- Bien sûr que ça me va ! Yuji rayonne et jette ses bras au cou de Nanami.
Nanami se surprend à sursauter malgré les années d’entraînement passer à l’éviter. Incertain de quoi faire en retour, il tapote le dos de l’enfant.
Bon. Il suppose pouvoir prendre sa journée.
Nanami arrive à l’aube le lendemain pour retrouver Yuji juste devant le portail de son école. Nanami est allé se coucher bien plus tôt que d’habitude la veille, espérant se préparer pour cette journée – mais il se rend compte qu’il n'est pas prêt du tout lorsque l’enfant glisse une de ses mains dans la sienne et le tire vers l’établissement.
« Allez, Nanamin ! J’ai super hâte de te montrer tous les trucs cools que j’ai fait ! »
Nanami cligne des yeux. Tout va bien. Un enfant étrange qu’il doit prétendre élever lui tient la main, mais tout va bien. Vraiment. Il calme son souffle et laisse l’enfant le traîner comme un poisson au bout d’une ligne de pêche.
Une fois le bâtiment atteint, ils sont salués par une petite femme aux longs cheveux noirs attachés en une queue de cheval basse. Yuji a l’air distrait par un papillon passant-là. « Bonjour, M. Itadori ! Enchantée ! Je suis Mme. Suzuki.
- C’est Nanami, » corrige-t-il, puis, parce que s’il y a une seule chose qu’il ait appris du monde des affaires c’est bien comment mentir en impro, rajoute : « Yuji a pris le nom de ma femme.
- Oh ! Est-ce qu’elle viendra nous voir aujourd’hui ? »
Nanami réfléchit un instant. « Elle n’est… plus de ce monde. »
Pourquoi Mme. Suzuki essaie-t-elle de ne pas sourire en disant, « Oh, quel dommage ! Mes condoléances, M. Nanami. » ?
- Merci. » Nanami ignore Yuji qui gigote, tendant ses bras vers le papillon.
Mme. Suzuki lui tend une feuille. « En tout cas, voici une carte de l’école pour que vous et votre fils vous repériez ! » Explique-t-elle. Vous et votre fils. Il va… lui falloir du temps pour s’habituer. « Et… et n’hésitez pas à me demander si vous avez besoin d’aide, d’accord ?
Pourquoi rougit-elle ? Ah, bon.
- Je n’hésiterais pas. » Nanami tapote Yuji sur l’épaule pour retenir son attention. « Yuji, on devrait rentrer.
- Je veux te montrer ma classe en premier ! » déclare Yuji.
Nanami se laisse être traîné jusqu’à sa salle de classe sans rien faire. Yuji le mène à un bureau au fond avec son nom écrit dessus en hiraganas maladroits. Une pile de papiers empilés proprement attends dans un coin – posée par un instituteur, sans doute. Il le connaît depuis moins de vingt-quatre heures, mais Nanami ne pense pas que Yuji soit capable d’être aussi organisé. Yuji farfouille dans ces feuilles et en retire l’une d’entre elles, puis emmène Nanami vers ce qui doit être le coin lecture.
Nanami s’assoit dans un des poufs et ne peut s’empêcher de sursauter lorsque Yuji se love près de lui. « Regarde, Nanamin ! On a fait des fiches de lecture.
Fier de lui, Yuji lui tend la feuille. Nanami l’inspecte de plus près.
- C’est un dessin de grenouille.
- C’était le sujet du livre ! Explique Yuji. Je suis pas encore très bon pour lire. J’y arrive parfois, mais d’autres fois les lettres ont toutes l’air floues. » Il balance de ses petits pieds contre le pouf. « Mais Maki m’aide quand j’ai besoin. Elle est super intelligente !
- Maki ? Répète Nanami.
- Ouais ! La fille de Toji-ji ! Tu l’as vue hier, dit Yuji. C’est ma meilleure amie de tout l’univers !
Nanami a essayé de ne pas penser au Tueur d’Exorciste aujourd’hui. Il l’a croisé brièvement juste avant que la journée ne commence, mais ils sont partis chacun de leur côté.
- Je vois.
- C’est celui-là, le livre, lui montre Yuji en retirant un livre pour enfant de l’étagère. Tu pourrais me le lire, Nanamin ?
- Je… je suppose, répond Nanami, acceptant le volume lorsque l’enfant le lui tend. Il faudra que tu t’exerces éventuellement, cela dit. »
Yuji retourne à ses côtés et s’appuie sur lui. Nanami est obligé de passer un bras autour de lui pour tourner les pages.
Personne n’a besoin de lui dire qu’il ne raconte pas bien les histoires. On lui a répété encore et encore que son ton est trop plat et qu’il manque d’intonations. Mais l’enfant écoute tout de même chacun de ses mots, souriant tel un soleil à chaque fois qu’il tourne une page ou introduit un nouveau personnage. Lorsque Nanami atteint la dernière page, Yuji applaudit avec enthousiasme.
« Wow ! C’était incroyable ! J’adore cette histoire. C’est ma préférée, avec toutes les autres histoires que j’ai lues.
Cet enfant est assourdissant, et ce n’est pas juste sa voix. Tout de son sweat jaune vif enfilé par-dessus de son uniforme à la façon dont son rire illumine une pièce attire l’attention tel le personnage principal d’un manga. Yuji saute sur ses pieds et attrape la pile de feuilles à nouveau puis se laisse tomber sur le pouf auprès de Nanami.
« La maîtresse nous a dit d’écrire à propos de ce qu’on veut faire quand on sera grand en devoir. Je suis pas encore sûr, mais je pense que j’aimerais peut-être être un pompier. En tout cas, je sais que je veux sauver des gens ! » Il se blottit encore plus dans le flanc de Nanami. « Gojo et Toji-ji sauvent des gens ensemble. Je trouve ça super cool ! T’as déjà voulu faire ça aussi, Nanamin ?
Sa question frappe Nanami à la poitrine, entraînant ce qui reste de son cœur au fond de sa cage thoracique. Il avait essayé, alors. Il avait même pensé en être capable. Mais la vie n’est jamais aussi simple. Il ne se souvient que du sang d’Amanai étalé sur l’uniforme de Gojo. Du corps froid d’Haibara sur la table de la morgue.
- Je voulais.
- Je parie que tu serais super fort ! gazouille Yuji, enfonçant encore le clou. Tu m’as déjà sauvé aujourd’hui, pour que j’ai pas à être seul !
Le souffle de Nanami se coupe. Je l’ai sauvé ?
- Je… dirais pas ça.
- C’est vrai ! Insiste Yuji. Oh, et regarde ! » Il retire une nouvelle feuille de son dossier. « Mes notes s’améliorent depuis le début de l’année. Au début, elles étaient pas très bonnes, mais j’ai essayé super fort et maintenant c’est mieux ! »
Comme demandé, Nanami analyse son bulletin. « C’est bien, commence-t-il. Pour moi, s’améliorer est plus impressionnant qu’avoir un talent inné. Je me souviens d’une phrase qui dit, ‘Qui préfèrerais-tu avoir pour installer ton parachute ?’ » Il croise les jambes. « L’idée derrière est : est-ce que tu préfèrerais sauter d’un avion avec un parachute installé par quelqu’un qui l’a bien fait la première fois mais ne s’est jamais exercé par la suite, ou par une personne qui a commencé en n’y connaissant rien, mais qui a amassé assez de connaissance au fil du temps pour maîtriser la tâche ? » Nanami rend le bulletin à l’enfant. « Personnellement, je choisirais la dernière à chaque fois.
Nanami ne comprends pas vraiment pourquoi, mais l’enfant le regarde avec des yeux scintillants, les lumières des LED de la salle de classe se reflétant dans ses iris telles des étoiles.
- Wow, souffle-t-il. T’es super sage, Nanami !
- J’irais pas jusque-là, soupire-t-il.
- Moi si ! Déclare Yuji. Euh… Je suis vraiment content que tu sois venu avec moi aujourd’hui. Merci d’être là.
Nanami déglutit. Quelque chose se mouve dans sa poitrine, à la fois étranger et vieux ami niché au cœur de son être.
- De rien, murmure-t-il. Je suis content d’être venu aussi.
- On va jouer dans le bac à sable ? demande Yuji, immédiatement distrait. Nanami est plutôt reconnaissant, étant donné qu’il a déjà assez de mal à penser à tout le reste.
Il se pose sur le bord du bac à sable une fois dehors, faisant attention à ne pas salir son pantalon de costume. Yuji se laisse tomber en plein milieu du sable mouillé, accompagné par un nuage de poussière. Il commence à fouiller dans le sable de ses doigts avant de tendre une pelle à Nanami.
- Construisons un château de sable, suggère-t-il. Nanami récupère une pile de sable et commence à former des fondations ; en vain, étant donné que Yuji se dépêche de jeter par-dessus un seau de sable. Nanami se retrouve à faire la plupart du travail tandis que Yuji colle des poignées de sable au hasard sur la pile grandissante. Une fois que cette dite pile a atteint une taille douteuse, Yuji regarde autour de lui et choisit un long bâton.
- On devrait l’utiliser comme drapeau !
Est-ce que c’est dangereux ? Nanami inspecte le bâton.
- Tu ne penses pas que c’est un peu trop long ?
- Oh, peut-être, dit Yuji en fronçant les sourcils.
- T’inquiète pas. » Nanami le lui retire gentiment. « Je vais m’en occuper. »
A sa façon. Ça fait presque six mois que Nanami n’a pas utilisé sa Technique du Ratio – c’est au-delà du mot étrange de s’en servir maintenant, dans un bac à sable lors de la journée des parents d’un enfant qu’il a rencontré il y a moins de 24h. Il trouve le point critique du bâton et le casse pour avoir une longueur idéale. « Voilà, Yuji. C’est bon maintenant. »
Yuji l’enfonce dans le château en rigolant. « Merci, Nanamin !
Au même moment, des bruits de pas résonnent derrière lui, alors que Nanami se retourne.
- Yuji ! Tu veux aller jouer ? demande Maki. J’ai trop d’énergie !
- Ouais ! Yuji se remet sur pieds d'un saut. Je reviens, Nanamin ! »
Yuji et Maki s’en vont en courant, et Nanami sent sa mâchoire se décrocher légèrement. Il n’y a pas moyen que des enfants normaux soient aussi rapides. Est-ce que Nanami peut aller aussi vite que ça ? Il se relève et se retrouve pétrifié sur place lorsque le Tueur d’Exorciste s’arrête tranquillement à ses côtés.
« T’es exorciste, » déclare-t-il. Ce n’est pas une question.
« J’étais, réplique Nanami. Plus maintenant.
- On peut pas t’en vouloir, répond l’homme en haussant des épaules. C’est pas un travail propre. Et t’as l’air trop sain d’esprit pour. Gojo est complètement malade, du coup ça lui va bien.
Tu travailles pas avec lui maintenant ? pense Nanami, mais il se retient de le dire.
- Je suppose, acquiesce-t-il. Les exorcistes sont merdiques.
- Ha ! » Rit le Tueur d’Exorciste soudainement. « Tu l’as dit. Alors pourquoi t’es pote avec Gojo ?
- C’est le plus merdique d’entre eux.
- Tu sais, je crois que c’est le début d’une belle amitié.
Nanami n’espère pas. Ça lui a surtout l’air d'une bombe à retardement.
Il gigote sur sa chaise. Pourquoi toutes les mères les regardent comme ça ? Est-ce qu’il a quelque chose sur sa chemise ? Maintenant qu’il y pense, la chemise du Tueur d’Exorciste est trop serrée. Avec le salaire qu’il doit toucher pour qu'il supporte Gojo, on penserait qu’il pourrait s’offrir des vêtements qui lui vont.
- Ce que je comprends pas c’est pourquoi il vous force à être son partenaire en premier lieu, lâche Nanami. Il est pas assez fort pour gérer ses missions tout seul ?
Merde, ça devait être la mauvaise chose à dire. La posture nonchalante du Tueur d’Exorciste disparaît immédiatement, remplacée par quelque chose de tendu et menaçant comme un élastique sur le point de lâcher.
- Hé, me dit pas que tu fais partie de ces gens qui en ont quelque chose à foutre de lui seulement parce qu’il est puissant. Je te foutrais une droite, va voir si j’en ai quelque chose à carrer que les gosses regardent.
Nanami ne peut s’empêcher de reculer d’un pas. C’est humiliant, mais instinctif.
- De quoi vous parlez ?
- J’ai pas besoin de te faire un dessin comme pour lui, si ? »
Nanami se détend. Il n’est pas du tout à nouveau calme, mais il ne souhaite pas que le Tueur d’Exorciste ait l’impression qu’il cherche à initier un combat. « Non, je ne crois pas, » dit-il lentement.
Sauf qu'un goût amer lui remonte dans la gorge. ‘Gojo a pris la mission’, avait déclaré Geto, alors que le corps déchiré d’Haibara était étalé, à moitié mangé, sur la table devant lui. Nanami avait placé une serviette sur ses yeux ; il n’arrivait pas à regarder. Il avait dit à Geto, ‘Pourquoi ne pas simplement le laisser se charger de tout tout seul à partir de maintenant ?’ Nanami se racle la gorge. « C’est juste que si ç’avait été lui qui était allé à une certaine…
- Arrête-toi tout de suite, grogne le Tueur d’Exorciste, levant une main devant lui. Quoi, tu penses que juste parce qu’il est fort, ça veut dire qu’il doit gérer les problèmes de tout le monde tout seul ? Je comprends que la vie est injuste, mais tu pars trop loin. Quelle opinion de merde, de penser que le poids du monde devrait reposer sur ses épaules. Je veux dire, tu l’as vu ? On dirait un putain de lampadaire. A tout porter tout seul il va se casser en deux. » Il croise les bras sur sa poitrine. « Pour moi, c’est juste un mec normal avec une personnalité de merde.
- Je vois, » dit doucement Nanami. Est-ce vraiment le même Tueur d’Exorciste sur lequel il a entendu tant d’histoires d’horreur ? « J’y ai jamais pensé comme ça.
- Ouais, c’est le problème, s’énerve l’homme. Aucun de vous n’y pense jamais comme ça.
Pensivement, Nanami marque une pause de quelques secondes.
- Alors vous l’aidez à porter son fardeau.
Il hausse les épaules.
- J’imagine.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il me paye pour.
Nanami fronce les sourcils. Il ne connaît pas bien cet homme, mais on ne parle simplement pas comme ça d’une personne qu’on est payé à aider.
- C’est vraiment tout ? »
Le Tueur d’Exorciste reste silencieux un long moment. « Euh, ouais, » marmonne-t-il, bien, bien trop tard. « Evidemment. »
Il tape impatiemment son pied par terre. « Yuji a l’air de bien t’aimer pour l’instant, ajoute-t-il éventuellement pour changer de sujet. J’avais l’impression que ça te stressait, hier, au téléphone. Le gamin est bon public, après. » Il rit sous sa barbe. « Apparemment l’un des gosses de Gojo lui donne du fil à retordre. C’est pas hilarant ?
Nanami jure sentir sa mâchoire heurter le sol.
- Gojo a des enfants ?
- Ouais, tu savais pas ? dit-il, adressant un regard étrange à Nanami. Ils sont adoptés, apparemment. Je les ai pas encore rencontré, mais je crois qu’il les aime vraiment, vu comment il en parle.
- Je n’étais pas au courant, » énonce Nanami, toujours sous le choc. Qu’est-ce qu’il a raté depuis la dernière fois qu’ils se sont véritablement parlé ? Tout ce qu’il a fait depuis au moins un an et demi, c’est lui raccrocher au nez.
Ils se tiennent tout deux à regarder les enfants jouer entourés d’un silence quelque peu gênant. Nanami trouve ça très dur de ne pas se demander pourquoi Maki et Yuji possèdent tous les deux une force qui égale ou excède celle de la plupart de ses camarades de classes de l’Ecole d’Exorcisme, alors que leurs âges n'atteignent pas encore plus d'un chiffre.
Un petit groupe de parents pointe Nanami du doigt ainsi que l’homme à côté de lui tout en chuchotant entre eux. « Bonjour, Mr. Tsukumo ! » l’interpelle une femme courageuse. Le Tueur d’Exorciste lui répond d’une vague de la main paresseuse.
Les yeux de Nanami s’écarquillent. « Tsukumo ? répète-t-il. Comme dans Yuki Tsukumo ? Vous êtes son mari ?
- Hein ? Ah, ouais, répond-il, n’écoutant qu’à moitié. Attends – je veux dire- non ! Non, c’est pas ma femme. C’est juste qu’elle m’aide à Maki de temps en temps, c’est pas sa mère ou quoi. On a rien fait ensemble, tu sais, c’est… » Il se racle la gorge. « Pas que je serais contre… mais… »
Nanami doit s’empêcher de ricaner. Il n’a rencontré Yuki qu’une fois, mais si quelqu’un pouvait avoir cet effet sur le tristement connu Tueur d’Exorciste, ce serait bien elle.
Comme si c’était prévu, une magnifique femme blonde s’approche d’eux, un blazer noir étendu sur ses épaules musclées. Le Tueur d’Exorciste trotte jusqu’à elle.
« Salut, belle dame. Bravo pour ton retard calculé, rit-il en passant un bras autour de sa taille et en l’embrassant sur la joue pendant quelques secondes de trop. Le visage de Yuki est rouge homard.
Ah, donc il s’agit d’une de ces situations où ‘ils-sont-marriés-mais-ne-le-savent-pas-encore’, comme Gojo et Geto au lycée. Enfin, en tout cas avant que cela leur pète au visage avec le pétage de plomb génocidaire de Geto.
- Oh, hey ! Nanami, c’est ça ? le salue-t-elle, s’en remettant vite. J’ai pas eu l’occasion de te poser la question quand on s’est vu la première fois. C’est quoi, ton type de fille ?
Ah. Nanami penche la tête. Il n’a pas de préférence pour un genre spécifique, alors comment répondre à cette question ?
- Quelqu’un qui pense qu’une journée de travail s’arrête à 17 heures, peu importe les circonstances.
- Ha ! Elle rit du fond du cœur. J’adore cette réponse. » Elle pousse le Tueur d’Exorciste dont le bras est toujours autour de sa taille. « Allez, beau gosse. On va se balader ! »
Il tousse pour couvrir – quelque chose. Nanami ne sait pas quoi. « Maki est toujours en train de jouer, va la chercher et je vous rejoindrais juste après. » Il se retourne vers Nanami. « Hé, donne-moi ton numéro. Yuji n’a pas de téléphone, donc je pourrais t’envoyer des messages quand il est chez nous la prochaine fois. » Il sort un téléphone à clapet auquel il manque au moins trois touches. « Les gosses sont plutôt bons en cuisine. Tu regretteras pas d’essayer leur ramens. »
A contre-cœur, Nanami accepte. Après que Yuki et lui soient arrivés à détourner Maki du terrain de jeu, Yuji revient à ses côtés. « Est-ce que t’es devenu ami avec Toji-ji ? demande-t-il, enthousiaste.
Nanami soupire de résignation et ne peut s’empêcher de penser que sa vie vient de devenir bien plus complexe.
- Si on veut. »
Deux jours plus tard, Nanami reçoit un message du Tueur d’Exorciste l’informant que les enfants l’ont invité à venir tester leur dernière recette. C’est un dimanche, donc il ne peut pas utiliser son travail comme une excuse, et Dieu sait qu’il préfèrerait mourir que travailler un week-end. Pas même pour faire ses devoirs, quand il était encore au lycée.
Il est à leur résidence très exactement une heure plus tard. Il toque poliment et attends d’être invité à entrer, même s’il se rend compte que la porte n’est pas verrouillée. Il ne va pas entrer sans prévenir. Il n’est pas Gojo.
« Hé, gamin. Merci de passer, » l’accueille le Tueur d’Exorciste en ouvrant soudainement la porte. Un verrou brisé pend à l’opposé des gonds ; Nanami n’a pas besoin de demander pourquoi. « Yuji parle de toi non-stop depuis vendredi. Je parie qu’il sera surexcité de savoir que…
- Nanamin ! appelle une petite voix de l’intérieur, et Yuji court jusqu’à la porte. T’es venu ! »
Il jette affectueusement ses bras autour de la jambe de Nanami, rigolant si fort qu’il peut en sentir la vibration jusque dans ses veines. Le Tueur d’Exorciste lui adresse un sourire en coin, empathisant. « T’inquiète, tu t’habitueras. »
Très honnêtement, Nanami ne pense pas. Il abaisse une main pour doucement détacher l’enfant de là où il s’attache à sa jambe tel un bébé paresseux à sa mère.
« Bonjour à toi aussi, dit Nanami. L’air sent le bouillon et le parfum des épices, se diffusant à travers l’appartement en une rivière de saveurs. Nanami doit déglutir vu que sa bouche salive, comme hier soir lorsqu’il a regardé l’émission spéciale ramens que Yuji avait mentionné. Chose qu'il n'admettra d'ailleurs certainement pas.
C’est peu surprenant, mais Yuji n’est pas un enfant patient. Au moment où Nanami parvient à l’extirper de sa jambe, il attrape sa main pour le tirer vers le plan de travail avec une force inquiétante.
- On a presque fini, Nanamin, lui dit-il. Du jaune d’œuf est étalé sur tout le côté gauche de son visage et des épices nomades teintent ses mains comme des taches de rousseur.
La recette du désastre. Nanami fronce les sourcils. Il va salir toute la cuisine si ça continue. Il humidifie une serviette et s’accroupit devant l’enfant, le nettoyant autant que possible – c’est-à-dire pas beaucoup.
- Qu’est-ce que je vais faire de toi ? soupire-t-il. T’es en train de tout salir.
Nanami se lève et observe le plan de travail, essayant de regrouper les ustensiles et ingrédients éparpillés en des piles semi-organisées. Les mots clés étant semi et essayant.
- Mais on a déjà tout sali ! argumente Yuji.
- Je vois ça.
Il rince une planche à découper couverte d’une fine couche d’oignon.
- J’ai essayé de l’en empêcher, déclare Maki en claquant sa langue. Nanami en doute sérieusement.
- Pff. » Le Tueur d’Exorciste pouffe depuis son canapé, se paressant tel un lion satisfait au soleil. « Alors tu vas faire semblant d’être sage devant le gentil monsieur, hein ? Tu lui a jeté de la farine au visage tout à l’heure. Mens pas, ça te va pas bien.
- Alors apprends-moi à mentir mieux, » rétorque-t-elle en souriant.
Il se relève. « Hé, j’essaye ! » Il se retourne d’un coup vers Nanami. « J’essaye vraiment. C’est ma spécialité.
Nanami ne devrait pas faire de commentaires, mais il ne peut s’en empêcher.
- Je m’assurerais que la médaille de Père de l’année soit envoyée à cette adresse.
- Ha ! Il se laisse retomber. Je savais qu’on s’entendrais bien.
Il appelle ça bien s’entendre ? Avant qu’il puisse répondre, Yuji tire à nouveau sur sa chemise, étalant des restes de nourriture sur ses plis nets.
- On a fait les nouilles tout seuls, déclare-t-il. C’était super marrant ! Regarde, Nanamin. J’ai fait celle-là en forme de serpent.
Nanami hausse un sourcil.
- On dirait n’importe quelle autre nouille.
- Pas si t’utilises ton imagination !
Il est déprimant de constater à quel point Nanami manque en la matière.
- …Je suppose pouvoir le voir.
Ils sont interrompus par la porte claquant contre le mur. « Yo, c’est l’heure du spectacle ! croasse Gojo en guise de bonjour.
Le Tueur d’Exorciste lance un regard aux enfants. « Okay, les gosses, vous l’avez entendu. Heure du lever de rideau. Pas de rappel.
- Mais je viens d’arriver !
- Gojo, dit Nanami. On peut se parler dehors ? »
Nanami ne manque pas de remarquer la façon dont les yeux de Gojo grimacent derrière ses verres obsidienne. « D’accord.
Il suit Gojo à l’extérieur. Une fois dehors, Nanami s’appuie contre la rambarde.
- Ecoute. Si je vais fréquenter le Tueur d’Exorciste, j’ai besoin que tu m’expliques tout.
- C’est Toji, en fait, le corrige Gojo, l’air passablement énervé. C’est plus le Tueur d’Exorciste, juste un père lambda.
C’est un peu étrange, de l’entendre dire ça. Est-ce que Toji n’avait pas utiliser le mot ‘normal’ pour parler de Gojo, aussi ?
- Si tu veux. Mais tu me dois quand même une explication. »
Et donc Gojo explique – qu’ils s’étaient battus et que Toji a perdu ses souvenirs, son ardoise tachée de sang blanchie par les mains de Gojo. Que Yuki l’a soigné, à sa grande surprise. Qu’il s’est baladé sans but jusqu’à se rendre compte que sa fille était maltraitée par le Clan Zen’in et qu’il l’a prise en charge, lui donnant une vie digne de ce nom. Qu’ils se sont affrontés, et que cela s’est terminé par une épiphanie sur leurs points communs, qu’ils ont fini par se comprendre. Qu’il a proposé un meilleur travail à Toji qui lui permet de faire vivre sa famille, que Toji est devenu à contre-cœur un partenaire sur qui Gojo peut se reposer.
Il y a tout de même des trous dans son histoire. Nanami ne peut s’empêcher de passer ses doigts au-travers et de tirer. « Pourquoi j’entends parler de toi qui a adopté ?
L’infini ânonne contre l’air, tendu et abrasif. Nanami jure le sentir le repousser.
- Ouais, à propos de ça… bégaie Gojo. Après que Toji ait poussé Suguru dans sa spirale négative, j’ai… eu une petite crise identitaire. J’ai trouvé deux enfants à la rue et j’ai décidé de m’en occuper. Tu m’as demandé comment je savais que les enfants te donnent un but dans la vie ? » Il déglutit. « Maintenant tu sais.
Nanami plisse les yeux.
- Pourquoi j’ai l’impression que tu me caches quelque chose ?
Les lèvres de Gojo s’étirent en un sourire tendu, un tout petit trop large, qui n’atteint tout de même pas ses yeux.
- Parce que tu ne me fais pas confiance.
Touché.
- Et d’ailleurs, continue Gojo. T’as l’air fatigué, et c’est pas juste physique. Ton âme a l’air épuisée, Nanamin. » Ses yeux s’adoucissent. « On dirait que t’as aussi besoin d’un peu de buts.
Oh, non. Nanami sait exactement où il veut en venir.
- Je n’ai pas de place dans ma vie pour un enfant.
- Tu te sens jamais vide, Nanamin ? » Insiste Gojo. Tous les jours, pense Nanami. « Avoir quelque chose à protéger te ferais du bien.
- Le problème, ce n’est pas mon propre bien, » réplique Nanami. Ça ne ferait pas de bien à Yuji, surtout. Depuis quand Nanami serait-il capable de protéger quoi que ce soit ? Il ne peut que se souvenir de la partie inférieure du corps d’Haibara dévorée par les mâchoires de ce fléau.
Il est mort en hurlant à l’aide. La dernière chose qu’il n’ait jamais vu, c’était Nanami échouant à le sauver.
- Je pense simplement qu’on ne devrait pas me faire confiance avec ça, marmonne Nanami.
En réponse, Gojo fronce les sourcils.
- Nanamin, il a besoin de quelqu’un.
Nanami secoue la tête.
- Il a Toji, non ?
- Ouais, mais Toji a un autre gosse à gérer. »
Nanami ne peut empêcher son rictus. « Et Maki avec ça.
Gojo prend un moment à se rendre compte de ce qu’il vient de dire. Quand il y arrive enfin, il grimace.
- Argh, au secours ! C’est pas mon père !
- Ah oui, c’est vrai. Juste un homme qui veille sur toi professionnellement, te défend quand t’es mécompris, et t’apprends des leçons de vie importantes pour t’aider à devenir une meilleure personne.
Gojo croise les bras et acquiesce, satisfait.
- Ouais, exactement ! Il marque une pause. Attends…
- En tout cas, l’interrompt Nanami, je ne peux pas nier que Yuji est un enfant profondément gentil, et que c’est plaisant de passer du temps avec lui. Mais je…
- Ecoute-toi parler ! le coupe Gojo. Je te demande pas d’être son père, mais ça te tuerait de le voir de temps en temps ? J’sais pas, tu pourrais être surpris. » Gojo déglutit difficilement. « C’est récompensant. »
Nanami n’arrive pas à croire que ces mots sortent de la bouche de Gojo. « Je… » Il passe ses mains sur son visage. Il n’a pas l’impression d’avoir signé pour ça. « D’accord. Je suppose que ça ne me tuera pas.
- Yes ! Acclame Gojo. Maintenant on va rentrer et passer du temps avec ton fils !
- Gojo, tu viens juste de dire que tu me demandais pas d’être son… »
Mais Gojo ne le laisse pas terminer. Il sautille dans l’appartement avec un rire chaleureux, ne laissant à Nanami aucun autre choix que de le suivre.
Nanami surprend Yuji debout sur le plan de travail, tendant ses petites mains pour atteindre un placard installé près du plafond. « Yuji, tu fais quoi, là ?
- Nanami ! Je prends des bols pour le couvert ! gazouille-t-il. Tu peux t’assoir là-bas, on apporte les ramens bientôt !
- C’est pas ce que je voulais dire. » Nanami se place derrière-lui et soulève Yuji du plan de travail jusqu’à la sûreté du sol. « Tu ne devrais pas aller sur le plan de travail. Tu pourrais tomber.
- Je l’ai déjà fait ! insiste Yuji. Je peux le faire !
- Je suis certain que oui, soupire Nanami. Mais je suis adulte et tu as six ans. C’est mon devoir de faire les tâches les plus dangereuses pour toi. »
Nanami se hisse précautionneusement sur le plan de travail et récupère les plats, puis permet à l’enfant de servir le repas.
C’est délicieux, comme il s’y attendait. Toji est sans-honte et se ressert quatre fois. Maki jette une bouteille entière de piment de Cayenne dans le bol de Gojo quand il détourne le regard, et même Nanami ne peut s’empêcher de sourire quand il tousse si fort que le bouillon lui ressort du nez.
Une fois tous rassasiés, Toji les accompagnent à la porte. Nanami peut entendre les enfants rire alors qu’ils se jettent du savon dessus tout en n’essayant qu’à moitié de nettoyer la cuisine.
« Hé, oublie pas de donner mon cadeau à Maki pour son anniversaire mardi, dit Gojo.
Toji soupire, et Nanami pourrait presque qualifier le geste d’affectueux.
- Pourquoi tu lui donnes pas toi-même ?
Le souffle de Gojo se coupe dans sa gorge. Le soleil hivernal coule sous l’horizon, peignant des touches d’aquarelle couleur crépuscule nuances pierres précieuses sur le ciel nocturne ; mais ce n’est rien comparé à l’espoir qui se lève entre les nuages brisés des yeux de l’exorciste.
- … Je peux venir ?
- Tu vas passer ton temps à te plaindre sinon, pas vrai ?
- Jamais de la vie ! Je me plains pas, je me suis pas plains une seule fois de mon existence ! Comment tu pourrais dire un truc pareil ?!
- Tu dis ça, mais t’es en train de te plaindre. Tu viens ou pas ?!
L’expression faciale de Gojo hésite.
- Ça ne dérangerait pas Maki ? »
- Nan, elle sera super contente tant que tu la laisses t’embêter, dit Toji en haussant les épaules.
- Je suis génial pour les fêtes, vous verrez. En plus, ce serait pas une vraie fête sans moi vu que je suis ta personne préférée, acquiesce Gojo.
- Débile, tu rentres pas dans le top 10 et je connais même pas dix personnes. » Il se retourne vers Nanami. « T’es invité aussi, gamin. Je suis sûr que Yuji aimerait te voir, sourit Toji. Je crois qu’il s'est attaché à toi.
Ça, Nanami sait qu’il n’a pas signé pour.
- Je suppose pouvoir être là. »
Deux jours plus tard, c’est l’anniversaire de Maki. Nanami ne sait pas quoi lui offrir, alors il achète une machine à pâte avec une lame pour les ramens. Avec un peu d’espoir, elle s’en servira longtemps. Toji a recyclé l’arbre de Noël (qui est toujours là) et a entassé une montagne de cadeaux pour elle en-dessous, ce qui est – mignon, Nanami doit l’admettre. Gojo est déjà là, plaidant désespérément contre son utilisation en tant que pinata pour Maki. Il est en train de perdre le débat.
Yuji le salue avec enthousiasme à la porte avec un autre câlin, et Nanami doit le prendre dans ses bras pour l’empêcher de trébucher sur son propre pied. Il aide Yuji à couper le gâteau et à servir des parts à tous les invités. Yuki n’a pas plus de honte en elle que son non-mari et vole une part supplémentaire dans son assiette quand elle le croit avoir le dos tourné. Quand Nanami se retourne pour lui lancer un regard noir, elle se contente de rire.
Il ne faut pas longtemps pour que la fête tombe dans le chaos le plus total. Nanami n’aurait vraiment pas dû les croire au-dessus d’une putain de bataille de nourriture. Yuji étale du glaçage en empreintes de mains sur la chemise de Nanami alors qu’il le protège de la fureur pâtissière de Toji et Yuki. Maki attaque Gojo quelque peu violemment avec de la farine, et il lui répond en lui lançant son reste de gâteau dessus. Maki le frappe en plein dans la poitrine avec le sien, et l’Infini n’est même pas là pour l’arrêter.
Il n’y a pas de meilleur moyen pour décrire Gojo laissant littéralement tomber sa garde auprès d’eux. Peut-être que Toji avait raison : il a vraiment l’air d’un gamin lambda.
Nanami est celui qui nettoie pour tout le monde, évidemment. Maki va dans sa chambre pour se rincer. Toji fait la même chose, et émerge quelques minutes plus tard pour donner un de ses vieux T-shirts à Yuki à mettre. Juste un T-shirt, pas de pantalon. Nanami ne commentera pas. Hors de question. Ça lui va comme une robe, mais tout de même.
Ils disent tous au revoir et Toji les raccompagne à la porte, balançant une poignée errante de gâteau à Gojo pour la route. Yuji, en tant qu’exorciste de classe spéciale, rentre chez elle à moto un soir de janvier glacial avec rien d’autre que le T-shirt de Toji. Nanami ne peut s’empêcher de la respecter.
« Où est-ce que t’habites, Yuji ? Je te raccompagne, offre Nanami. Ton grand-père aura fait quelque chose de sain à manger quand tu seras arrivé ?
- Mon grand-père est toujours à l’hôpital, lui dit Yuji. Mais c’est pas grave ! Je peux faire à manger tout seul !
Sérieusement ? Nanami s’arrête dans sa foulée.
- Tu vas être seul chez toi ? dit-il, incrédule. Pourquoi ne pas rester chez Maki ?
- Je dors beaucoup chez Maki en ce moment, murmure timidement Yuji. Je veux pas être un fardeau.
- Ne dis pas ça, soupire Nanami. T’es qu’un enfant. Tu ne devrais pas avoir à te soucier d’être un fardeau ou non. » Il expire lentement par la bouche. « Viens. Je veillerai sur toi ce soir. »
Nanami emmène prudemment Yuji jusqu’au bus puis train. Yuji pourrait probablement s’émerveiller de quoi que ce soit, pense Nanami – il fixe des yeux les égratignures du train comme des constellations, les tâches des fenêtres comme des images d’un livre pour enfant. Ils se dirigent tout deux vers l’immeuble de Nanami sous la couverture de la nuit, et une fois arrivé, Nanami lui donne un vieux sweat dans lequel l’enfant manque de se noyer pour éviter de laisser des traces de givre à l’intérieur de l’appartement.
Bon Dieu, comment est-ce que Nanami s’est retrouvé avec un enfant chez lui ? Yuji glousse en explorant l’habitation modeste de Nanami comme un parc d’attraction, escaladant les chaises et inspectant l’îlot central de la cuisine comme s’il s’attendait à y trouver un trésor.
« Je veux regarder un film, Nanamin ! dit Yuji en apposant sa main sur la télé de Nanami.
- Il est tard, répond Nanami. Tu devrais aller dormir.
- Mais je reste debout à cette heure tout le temps !
- Tu ne devrais pas. Tu es en pleine croissance. » Nanami le prend dans ses bras et le cale dans le creux de son coude. « Je vais te border.
- Le canapé est par là, dit Yuji en le pointant du doigt par-dessus l’épaule de Nanami.
- Par pitié, dis-moi que tu n’es pas sérieux, » rétorque Nanami, et cela lui brise un peu le cœur de savoir qu’il l’est. « J’irais dormir sur le canapé moi-même.
- T’es sûr ?
- Oui, je suis sûr. »
Nanami dépose Yuji sur le lit, tirant les couvertures jusqu’à ses épaules une fois l’enfant installé. Il tapote l’oreiller et tourne sur ses talons pour éteindre la lumière et se diriger vers le salon lorsqu’une petite voix l’arrête.
« Raconte-moi une histoire, Nanamin. »
Nanami n’est pas une personne créative. Mais peut-être peut-il se repentir pour sa platitude en lisant le livre à Yuji le jour d’après leur rencontre, et pour son manque d’imagination lorsqu’il lui a montré le serpent. « Si tu veux, répond Nanami, s’agenouillant près de lui.
Il ne pense pas pouvoir inventer quelque chose sur le coup, cela dit. Heureusement, il sait déjà quoi utiliser comme inspiration. « C’est l’histoire de deux partenaires.
Nanami inspire profondément.
- Il était une fois un homme fort et un homme mauvais. L’homme fort était connu comme le plus fort qui soit, et entouré de gens qui admiraient sa force. Il lui fût donné tout ce qu’il demandait dès sa naissance, et il fût traité comme un roi pendant toute sa vie.
Il secoue lentement la tête.
- De l’autre côté, l’homme mauvais était tout ce que l’homme fort n’était pas. Les gens méprisaient l’homme mauvais, parce que son type de force n’était pas le leur. A cause de ce traitement, l’homme mauvais devint amer, jusqu’à ce qu’il arrête de se soucier de quoi que ce soit. Il fit beaucoup de mauvaises choses simplement pour essayer de survivre. L’homme fort, lui, avait tout de même quelqu’un qu’il pouvait traiter comme un égal : un homme gentil se tenait à ses côtés. L’homme gentil croyait que c’était son devoir d’utiliser son pouvoir, et celui de l’homme fort, pour protéger les autres. Un jour, l’homme fort et l’homme gentil furent envoyés protéger une princesse. Cependant, au même moment, l’homme mauvais fût envoyé pour l’enlever.
Yuji change de position sous ses couvertures, alors Nanami réajuste celle du dessus.
- Un groupe de bandits essaya d’attaquer la princesse, mais l’homme fort et l’homme gentil les battirent tous facilement. La princesse et sa servante furent escortées à un endroit sécurisé, mais il y eut un problème. Un groupe infâme enleva la servante dans une contrée étrangère tandis que l’homme fort et l’homme gentil étaient distraits. La princesse refusa d’abandonner sa servante, alors ils allèrent tous les trois la sauver ensemble. La servante fut sauvée, et les quatre d’entre eux s’amusèrent dans la contrée étrangère jusqu’à ce qu’il soit temps de s’en aller. Ils apportèrent la princesse à un palais, mais l’homme mauvais les y attendait. L’homme mauvais attaqua l’homme fort, qui dit à l’homme gentil d’amener la princesse autre part tandis qu’il leur faisait gagner du temps. Etonnamment, l’homme fort perdit. L’homme mauvais rattrapa l’homme gentil et la princesse devant les murailles du palais, et l’homme gentil perdit aussi. L’homme fort se réveilla, mais il était trop tard, soupire Nanami. La princesse était partie.
Les pupilles de Yuji se dilate. Nanami continue.
- L’homme fort et l’homme mauvais combattirent à nouveau, et cette fois-ci l’homme fort fut victorieux. L’homme mauvais fut évacué, et l’homme fort et l’homme gentil retournèrent chez eux sans rien. » Nanami ne peut s’empêcher de froncer les sourcils en se remémorant ce moment. « Bouleversé de ne pas avoir pu protéger la princesse, le cœur de l’homme gentil devint empoisonné par la sombreur.
Il persévère.
- La force de l’homme fort continua à grandir. Les gens admiraient l’homme fort, mais plus ils l’admiraient, plus il devint seul. L’homme gentil observa la force de l’homme fort grandir tandis que la sienne ne grandissait pas, et la tragédie continua à s’emparer de lui. Le cœur de l’homme gentil devint de plus en plus sombre, jusqu’à ce qu’il soit complètement avalé par la sombreur. L’homme fort aimait l’homme gentil, mais ça n’était pas suffisant. Alors l’homme gentil fuit. » Les yeux de Nanami tombent au sol. « N’ayant plus rien à protéger, l’homme fort devint complètement seul.
- Non ! interrompt Yuji. L’homme fort ne devrait pas être seul !
- Tout semblait perdu, dit Nanami, levant un doigt. Après avoir perdu, l’homme mauvais erra sans but. C’était comme si… à cause de l’homme fort, il ne savait plus qui il était désormais. » Il rit dans sa barbe. « Mais une belle reine apparut et trouva l’homme mauvais, et décida de lui donner une seconde chance. Peu après, l’homme mauvais apprit qu’il avait une fille ; une petite fille courageuse. Après avoir découvert qu’il avait quelque chose à protéger, la vie de l’homme mauvais pris un sens. Ensemble, l’homme mauvais et la petite fille commencèrent à se rétablir. Toujours seul, l’homme fort voulait être avec tout le monde. Un jour, l’homme fort trouva deux enfants perdus et décida de les prendre avec lui, et tout d’un coup, il avait à nouveau quelque chose à protéger, lui aussi. Pour la première fois depuis que l’homme gentil était parti, l’homme fort ressentit un fort sentiment de sens.
Nanami se penche au-dessus de lui.
- Mais peut-être était-ce inévitable : que l’homme fort et l’homme mauvais se battraient à nouveau. Les deux combattirent désespérément, chacun déterminé à protéger ceux qu’il aimait. Et une fois qu’ils découvrirent qu’ils avaient tout les deux quelque chose à protéger, l’homme fort et l’homme mauvais réussirent à s’entendre. Ils réalisèrent qu’ils étaient les deux côtés de la médaille, et décidèrent qu’ils pouvaient s’aider l’un l’autre. L’homme fort fut choqué d’apprendre que l’homme mauvais se fichait de sa force, et pensait que sa force ne voulait pas dire qu’il fallait qu’il soit seul. L’homme mauvais fit tomber son piédestal ; mais au sol il découvrit qu’il pouvait partager sa vie avec les autres. Et soudainement l’homme fort fut entouré de gens : l’homme mauvais, la belle reine, la petite fille courageuse, et les deux enfants perdus. Tous se tenaient sur le même plan. Ainsi, conclut Nanami, à la fois directement et indirectement, grâce aux actions des autres, l’homme fort devint l’homme normal, et l’homme mauvais devint l’homme bon. » Il adresse un sourire à Yuji, rassurant et chaleureux. « Et ils vécurent heureux.
- Wow ! dit Yuji, les yeux brillants. C’était incroyable ! L’homme normal et l’homme bon ont l’air géniaux ! Et la belle reine et la petite fille aussi ! Et les deux enfants perdus ! » Il rabat la couverture sur ses épaules. « Tu penses que l’homme gentil va rentrer chez lui un jour ?
- Je ne sais pas. » Nanami passe une main dans les cheveux en bataille de Yuji. « J’espère.
- J’aimerais tous leur faire un câlin !
- Et peut-être que tu peux, murmure Nanami, en rêve cette nuit. Bonne nuit, Yuji.
- Bonne nuit, Nanamin ! »
Nanami se lève, sort de la pièce, et éteint la lumière.
Dix secondes après leur première interaction, Maki décide que Nanami est une personne incroyable.
Enfin. Enfin. Quelqu’un d’autre disposant de neurones fonctionnels a rejoint leur petit groupe.
Maki aime Toji plus qu’elle n’ait jamais aimé qui que ce soit de toute sa vie, mais elle lui a joué un tour la semaine dernière en mettant du sel dans son café au lieu du sucre, et il n’a même pas remarqué. Elle est fière d’avoir pris le nom de famille de Yuki, mais Maki l’a vue supprimer théâtralement son numéro après avoir découvert qu’il avait mangé les restes qu’elle avait laissé dans leur frigo. Et Yuji est peut-être son meilleur ami voire frère, mais il a été réduit aux larmes l’autre jour quand un camarade de classe lui a demandé de dire l’alphabet à l’envers.
Maki ne sait même pas par où commencer avec Gojo. C’est juste une cause perdue.
Mais Nanami a la tête plantée sur ses épaules, et apparemment assez de mains pour tirer sur la laisse des autres afin de les calmer. Il est le premier exorciste qu’elle rencontre qui ne l’énerve pas d’une façon ou d’une autre – et c’est bien un exorciste, même s’il ne l’admet pas à voix haute. Maki en est sûre.
Bien entendu, le huitième anniversaire de Maki a été un succès retentissant – elle n’arrive pas à se rappeler d’un moment dans sa vie où elle s’est autant et purement amusée que lorsqu’elle a massacré Gojo dans leur concours de lancer de gâteau. Maki ne peut pas décrire la satisfaction ressentie en tâchant ses stupides cheveux boule de neige du rouge vif du glaçage. Il n’avait pas l’air d’en avoir quelque chose à faire, mais bon. Maki apprécie tout de même ses victoires quand elles lui tombent dessus.
Un des cadeaux de Toji se trouve être des tickets pour un parc d’attraction : elle a annoncé il y a quelques semaines au milieu d’une conversation ne jamais être allée à l’un d’entre eux, et elle est prête à parier que lui non plus. Une fois Nanami traîné à contre-cœur dans leur vie, Toji a acheté un ticket de plus pour lui. Il y en avait déjà assez pour que Gojo vienne aussi – étonnant, mais Maki n’y a pas pensé plus que ça. Il vaut mieux ne pas trop réfléchir à ses choses-là.
« Je suis tellement prêt ! crie Yuji en grimpant dans une voiture noire que Gojo a annoncé appartenir à son ‘chauffeur privé’. L’homme dans le siège conducteur a déjà l’air épuisé. Les six personnes s’entassent les unes sur les autres sur la banquette arrière – il y a beaucoup, beaucoup de coudes – jusqu’à ce qu’ils soient tous installés. Yuji est distrait par les boutons des portières, alors Nanami attache sa ceinture pour lui.
- Vous réalisez tous qu’il y a des règles dans un parc d’attraction, leur rappelle Nanami. Pour la sécurité des clients. Vous ne pouvez pas provoquer d’agitation.
- Depuis quand est-ce que n’importe lequel d’entre nous a déjà provoqué de l’agitation ?! » nie Gojo, écartant ses jambes jusqu’à ce que tous les autres aient à se serrer pour lui faire de la place. « J’ai jamais provoqué d’agitation, perso. Je suis discret. Je me fonds dans la foule tel un caméléon. »
Toji frappe Gojo au tibia jusqu’à ce qu’il se remette dans une position convenable. « Tes fringues provoquent déjà l’agitation. Pourquoi est-ce que t’as une autre chemise hawaïenne ? ricane-t-il. Je vais te dénoncer à la fashion police. Yuki, on fait un pari sur le nombre de gosses qu’il va faire chialer ?
- Un millier.
- Vous êtes tous les deux nuls ! »
Maki ricane dans son siège. Nanami s’affale dans le sien, couvrant ses yeux de sa main.
Le reste du trajet se déroule plus ou moins de la même manière. Toji et Gojo commencent une version étrangement violente d’un shiritori, tandis que Maki et Yuji jouent au jeu des baguettes à côté d’eux. Yuki bombarde Nanami de questions en essayant de le faire participer aux vingt questions, auxquelles il répond par oui ou non à chaque fois. En incluant des questions telles que ‘quelle est ta couleur préférée ?’. Sa réponse est ‘non’.
Nanami essaie de conserver un seul groupe cohérent en arrivant, mais cela dure environ huit secondes. Toji et Gojo courent jusqu’aux auto-tamponneuses, et Nanami est forcé à les poursuivre pour s’assurer qu’aucun enfant innocent ne soit blessé par leur compétition. Yuji le suit tel un petit canard. Maki promet d’acheter du pop-corn aux autres alors qu’ils les regardent essayer de se détruire l’un l’autre dans des véhicules coccinelles.
Puis Maki se dirige vers le stand de pop-corn et tend au vendeur un peu de cash que Yuki lui a donné. Elle attend patiemment tandis que l’homme remplit les sacs. Elle s’apprête à gambader jusqu’à un banc en attendant – jusqu’à ce qu’une voix la pétrifie sur place, gelant le courant de sang dans ses veines en glace comme une rivière au beau milieu de l’hiver.
« Eh bien, bonjour, petit fantôme, crache-t-il. C’est pas tous les jours qu’on voit une petite fille morte-vivante.
Maki se retourne lentement. Les bras de son cousin sont croisés sur sa poitrine alors qu’il sourit, amusé comme une hyène. Le mépris s’empare si vite d’elle qu’elle manque de s’étouffer dessus.
- Naoya, expire Maki.
- Tu sais, ton enterrement était vraiment chiant, » continue-t-il, sa voix dégoulinante de miel et méchanceté. L’air autour de lui frétille de par l’acide contenu dans ses mots. « Je crois que ton père voulait juste des cadeaux. Ta mère a chialé des torrents de larme, ce qui était plutôt surprenant.
Maki serre les points jusqu’à en creuser des demi-lunes dans ses paumes avec les ongles, et elle ne sait vraiment pas ce qui la possède lorsqu’elle grogne :
- Ma vraie mère n’était même pas présente.
Un tressaillement d’incompréhension passe sur son visage, mais il se transforme en arrogance avant de faire surface.
- Ces vieux cons étaient tellement désespérés de t’expulser hors de leurs vies qu’ils n’ont même pas considéré la possibilité que t’ait survécu, mais moi, je savais. » Il lui adresse un rictus digne du Chat du Cheshire, à moitié autant étendu mais tout aussi glaçant. « Tout le monde sait que les cafards sont durs à tuer.
Les conversations avec Naoya sont toujours un jeu tordu, et Maki en a marre de perdre.
- Dommage pour toi, du coup, que les vers de terre soient super faciles à écraser.
Il rit, et le piercing sur sa langue brille au soleil.
- Je leur ai pas encore dit que t’étais toujours vivante. Je serai pas super sympa ? » Maki ne pense pas avoir entendu quelque chose de moins sincère de toute son existence. « Même si je dois admettre que je me demande ce que tu fous depuis.
Maki serre la mâchoire.
- Je ne pensais pas que t’en avais quoi que ce soit à faire de ce que je fous.
- Rien, s’énerve-t-il. Sauf si ça implique quelqu’un.
Ah oui, c’est vrai. Il avait chanté les louanges de Toji de la même manière que beaucoup exaltent leurs idoles en une sorte de complexe dévotionnel tordu pour un héros. Elle avait aperçu un faible indice de deuil enterré sous son mépris lorsqu’il lui avait annoncé sa mort.
- Désolée, c’est cliché, mais je vois vraiment pas de quoi tu parles.
Il voit à travers ses mensonges comme à travers du verre attendant d’être brisé.
- On peut faire ça de deux manières : gentiment ou brutalement.
Il doit bluffer. Maki ne pense pas qu’il ferait autant de bruit dans une foule pleine de non-exorcistes. Elle voudrait pouvoir dire qu’il n’est pas assez stupide pour, mais il n’y a vraiment pas grand-chose qu’elle ne peut l’imaginer faire.
- Je…
- Excuse-moi, dit une voix forte, stable et fluide depuis derrière-elle. T’as quelque chose à demander à Maki, jeune homme ?
Yuki pose une main sur l’épaule de Maki, et Maki sent l’exorciste absorber toute sa tension comme de l’eau et une éponge. Elle pose une main sur sa hanche, autoritaire comme la générale d’une armée victorieuse.
- C’est quoi, ton type de femme ?
Lentement, les lèvres de Naoya se retroussent en un sourire malsain.
- J’aime les femmes qui restent à leur place. »
Yuki fait basculer sa tête en arrière et ricane, et Maki n’a jamais entendu une telle noirceur dans sa voix. « Tu sais, c’est la première fois que quelqu’un me donne une réponse sans que je le croie ! Rit-elle. Tu fais le mec, mais en privé, je parie que t’adorerais qu’une vraie femme te marche dessus, pas vrai ? Vilain garçon. » Elle se place devant Maki, formant un mur protecteur impénétrable entre son cousin et elle, et pour la première fois Maki se rend compte d’à quel point elle est incroyablement grande. « Pas que je sois celle qui t’administrera la discipline dont tu as besoin. J’ai déjà un homme qui sait comment prendre soin de moi.
- Yuki Tsukumo, exorciste de classe spéciale, crache-t-il, ses joues rougissant à contre-cœur. J’ai entendu parler de toi.
- Sympa, c’est flatteur ! Cela dit, non réciproque. » Maki en doute, mais la réplique atteint sa cible. Yuki rabat ses cheveux derrière son épaule. « Mais si t’as entendu parler de moi, alors tu sais de quoi je suis capable. Tu fais un pas de plus vers Maki, et je serai très heureuse de te faire une démonstration.
- Quelle générosité, ironise-t-il. Mais je crois pouvoir m’en passer. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi tu la protèges. »
La posture de Yuki se raidit, droite et résolue, et ses mots dissolvent ce qui reste de la panique de Maki comme une brève averse fraîche lorsqu’elle déclare : « C’est mon but. »
Et Naoya n’arrive même pas à cacher son choc et incompréhension à ces mots. Sa mâchoire se décroche, ses sourcils se pincent. « Hein ?!
Yuki envoie un message à quelqu’un dans son dos, puis se retourne vers Maki avec un sourire rassurant.
- Viens, mon cœur ! Gojo attends toujours son pop-corn sucré-salé que tu lui as promis. Je parie qu’il est en train de se plaindre d’une crise d’hypoglycémie ou quelque chose du style.
Naoya cligne des yeux.
- Satoru est là ?
Wow, son prénom ? Maki ne savait même pas qu’il s’appelait comme ça. Puis, tel un génie d’une lampe ou plutôt un esprit maléfique d’une ampoule défoncée, Gojo sautille vers les trois d’entre eux comme invoqué.
- Oh hey, Nao ! Ça fait longtemps ! Salue-t-il. Comment ça va ?
- Satoru, répond-il. Qu’est-ce que tu fous ici ?
- Aw, je t’appelle par ton petit nom mais tu refuses de faire la même chose ? Je suis dévasté ! Réplique Gojo, ignorant complètement le véritable sens de sa question. Je suis juste là pour voir les manèges, c’est pas évident ?
Toute l’attitude insouciante dans laquelle Naoya se complaisait plus tôt s’évapore telle de l’eau près d’un feu de camp.
- Assez parlé. Où est-il ?
Maki déteste à quel point il est évident qu’il ne sert plus à rien de mentir.
- Ah, je vois que tu ne t’es toujours pas débarrassé de ta maladie mentale liée à Toji, rit Gojo. Sauf ton respect, je crois pas qu’il se souvienne de qui t’es.
C’est étrange de voir à quel point Naoya est ému, même temporairement – pendant un instant Maki peut presque le voir enfant, suivant Toji partout comme s’il ne voulait jamais être autre part que dans son ombre.
- Alors c’est vrai ? Murmure-t-il. Toji-sama est vraiment en vie ?
- Bien sûr ! Gazouille Gojo. On est meilleur potes !
- Vous êtes- quoi ? S’étouffe Naoya. Il est comment ?!
- Un connard complet, mais le bon genre de connard, pas comme toi, qui est juste une personne profondément nulle.
Bien que Maki soit d’accord, Naoya grimace.
- Cette place aux côtés de Toji-sama m’appartient.
Gojo agite hautainement sa main.
- Alors, si on interprète cette phrase dans un contexte strictement professionnel, c’est plutôt la mienne, du coup.
- Sérieusement ? s’esclaffe Naoya, quelque chose de presque triste dans sa voix. T’as un talent pour ça, pas vrai ?
Après une longue pause, Gojo pousse un petit rire malaisé.
- Je vois pas du tout de quoi tu parles.
- Tu vas vraiment me forcer à le dire à voix haute ? Ricane Naoya. Fais pas l’idiot, Satoru. Tu sais ce que t’as fait à l’époque. »
Pour la défense de Naoya – que Maki pour être honnête n’a jamais vraiment envie de faire – Gojo a en effet l’air de savoir ce qu’il a fait. Maki pense même voir une trace de remord sur son visage, mais seulement parce que sa position lui permet de jeter un œil à ses yeux de derrière ces lunettes noires. « Mais je suis idiot, décide-t-il de répliquer à la place. Dans tous les cas, c’est peut-être ma place au travail, mais d’une manière bien plus sincère, c’est celle de Maki. » Il agite à nouveau ses mains. « Tu sais, des trucs de famille.
Maki se demande pourquoi il refuse de dire ouvertement qu’elle est supposément la fille de Toji. Est-ce qu’il essaie de la protéger ?
Quelques instants plus tard, Naoya fronce les sourcils.
- Est-ce que tu viens de sortir un truc nauséabond ?
Gojo se fend d’un rictus.
- C’est pas parce que personne dans ta famille ne t’aime que c’est le cas pour tout le monde.
- Ah, maintenant t’as décidé de vraiment enfoncer le clou, c’est ça ? Comme si tu savais pas exactement à cause de qui ça a fini comme ça, crache-t-il. Gojo tressaillit. Au moins mes problèmes parentaux sont pas si graves comparés aux tiens.
Gojo laisse s’échapper un seul éclat de rire, et Maki n’a jamais entendu autant de chagrin dans sa voix d’ordinaire entraînante.
- Ça, c’est un coup bas, Nao. »
C’est quoi ce bordel ? Maki n’arrive honnêtement pas à dire s’ils s’apprêtent à pleurer ou à s’attaquer. Yuki doit avoir la même impression, parce qu’elle fait une pichenette sur l’épaule de Gojo pour le ramener à la réalité et reprend la parole. « Je parie que t’as même pas de billet pour être ici, gamin. Qu’est-ce que tu dis de partir ? Ou on devra appeler la sécurité du parc.
Gojo sourit, à nouveau détendu.
- C’est nous, la sécurité du parc, pour info. » Parce qu’évidemment, ce débile ressent le besoin d’expliquer la réplique.
Naoya est peut-être arrogant, mais il n’est pas stupide. Il sait qu’il ne peut pas se battre contre deux exorcistes de classe spéciale et s’en sortir vivant. Ses yeux se dirigent vers Maki et elle jure pouvoir l’entendre dire dans sa barbe, « Pourquoi toi ? » Mais il se contente de secouer sa tête.
- Cette conversation n’est pas finie, gronde-t-il.
- Bien sûr que non, répond Maki. J’ai toujours à te défoncer la gueule.
Et Naoya s’en va sans se retourner.
Lorsqu’ils rattrapent enfin Nanami, Yuji et Toji, ils portent tout trois des t-shirts avec l’inscription : ‘J’ai survécu à la tour de la mort et tout ce que j’ai eu c’est ce t-shirt’. Nanami a l’air de haïr sa vie. Maki est prête à parier son katana qu’il l’a enfilé contre son gré.
- Hé, pourquoi vous avez l’air secoué ? Dit Toji.
- On te racontera plus tard, répond Yuki. Allez, Maki. On a à peine exploré cet endroit ! On devrait aller s’amuser !
Maki acquiesce, prenant la main de Yuki lorsqu’elle la tend.
- Okay !
La première chose sur leur liste est un carrousel. Maki saute sur un cheval noir lustré adorné de joyaux plastiques brillants, des rênes en polymère et fausses perles traînant jusqu’à la selle de porcelaine. Une musique entraînante résonne pendant tout le tour, et Maki ne peut s’empêcher de glousser quand Toji a l’air un peu malade à côté d’elle.
- Nanamin ! Entend-elle Yuji crier depuis quelque part derrière-elle. Pourquoi est-ce qu’on se rapproche pas de Maki ?
- Yuji, les carrousels ne marchent pas comme ça.
- Pourquoi pas ? Se plaint Yuji. Nanami se contente de passer sa main sur son visage.
Gojo insiste pour aller dans les tasses de thé qui tournent après, ce qui a juste l’air d’être une catastrophe en attente. Toji refuse d’y monter – une sage décision, étonnant de sa part. Peut-être que Toji et Maki partagent désormais leur neurone. Elle reste à ses côtés et observe les quatre autres se donner le tournis. Yuki, Gojo et Yuji crient pendant l’entièreté du manège. Nanami est aussi silencieux qu’un mort.
Après le manège, Yuji est très malade, ce que Maki trouve hilarant. Il grimace, regardant Nanami d’en-dessous.
- Nanamin, je me sens pas bien, dit-il d’une voix tremblante.
- Tu n’aurais pas dû faire le manège, réprimande-t-il. Je t’ai dit que c’était une mauvaise idée.
Yuji tend ses petites mains vers Nanami, ses yeux suppliants.
- Porte moi, Nanamin.
Nanami soupire, mais Maki sait qu’il a cédé. Il secoue sa tête, soulevant Yuji jusqu’à ses bras.
- Plus de manèges aujourd’hui. »
Yuji abandonne et pose sa tête sur l’épaule de Nanami. « Okay. »
Ils arrivent enfin à l’évènement que Maki attendait : les montagnes russes. Dommage que Yuji – et Nanami, par extension – ne puisse pas venir avec elle, mais elle a hâte d’hurler à en perdre la voix avec Toji. Elle court vers la queue avec les trois aventuriers restants, mais le gérant arrête Gojo de la main avant qu’il puisse s’installer dans un siège.
- Monsieur, je suis vraiment désolé, mais vous êtes trop grand pour les montagnes russes.
Gojo se ramollit tel un chat lâché dans une baignoire.
- Sérieux ? C’est pas juste ! S’apitoie-t-il. J’aurais rien, promis !
- Monsieur, c’est un problème de sécurité…
- Je vais rester avec lui, rit Yuki en lui tapotant l’épaule en une vague tentative de réconfort, comme si elle n’était pas également trop grande pour le manège. Toji ricane à en perdre les poumons, s’appuyant sur Nanami à cause de son essoufflement. Même Nanami semble prêt à éclater de rire.
Les montagnes russes sont encore mieux que tout ce que Maki imaginait. Elle serre la main de Toji pendant tout le manège, et ne ferme même pas les yeux quand ils font une boucle complète.
Après qu’ils se soient épuisés, ils s’affaissent dans les sièges de la voiture qui les attendait apparemment là pendant tout ce temps. Yuji reçoit la bonne nouvelle que son grand-père est enfin sorti de l’hôpital, alors Nanami le ramène chez lui une fois arrivés à l’appartement de Maki. Maki, Yuki, Toji et Gojo errent tous à l’intérieur et s’étendent dans des positions variées de repos sur les sièges et le canapé, drainés et fatigués.
- Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé toute à l’heure ? Leur demande Toji.
Yuki lance un regard inquisiteur à Gojo.
- Ouais, il a raison, c’était quoi ça ?
Gojo raconte un vague résumé de la rencontre à Toji sans vraiment donner les informations complémentaires que Yuki lui demande. Une fois fini, l’expression de Toji se fige en grimace colérique.
- C’est quoi ce bordel ? Il a vraiment l’air d’un connard fini.
- Ha ! Il l’est, rit Gojo. J’aimerais que ça soit aussi simple que ça, cela dit.
- C’est lui, l’ami d’enfance dont tu m’as parlé ? Lui demande Toji. T’exagérais pas quand t’as dit que c’était devenu un sale con, alors ?
- Non, » dit Gojo, les yeux rivés au sol. Et bah, Maki apprend tous les jours quelque chose à propose de Gojo qu’elle ne voulait pas savoir. « Non, j’exagérais pas.
- Dommage, dit Toji en haussant les épaules. Peut-être que c’est trop tard pour un mec comme lui. Certaines personnes sont juste des causes perdues.
Mais l’expression de Gojo s’assombrit encore plus.
- Peut-être, murmure-t-il, secouant sa tête. Mais peut-être pas. Je pense que c’est encore possible de sauver quelqu’un qui a fait quelque chose d’horrible, tant que tu peux lui faire avoir envie d’être sauvé.
Maki ne se l’explique pas, mais elle a le sentiment que Gojo ne parle pas seulement de son cousin. A qui se réfère-t-il, en revanche, elle ne peut pas le dire.
- Dans tous les cas, l’interrompt Toji, s’il y a une chance que tu sois confrontée à nouveau à ce mec dans le future, il faut qu’on intensifie tes entraînements. Tu sais ce que je pense ? Je pense que t’es prête à commencer à te battre contre des vrais exorcistes. » Ses lèvres s’étirent un rictus carnassier. « Et je sais exactement qui utiliser comme cible.
Chaque personne dans la pièce se tourne vers le choix évident. Gojo grimace, se pointant lui-même du doigt comme s’il ne savait pas déjà qu’il était fini.
- Moi ?!
Maki ramasse une serviette en papier proche, la plie pour en faire un avion, et le lance directement dans son œil.
Notes:
Notes de MissingN000 :
ah, oui, le fluff adorable sur les found family contrasté de drama et d’angst…. Perfectly balanced, as all things should be. même si je ne me crois pas capable d’écrire du fluff qui ne soit pas déchirant d’une façon ou d’une autre
par contre je me sens un petit peu coupable pour l’entièreté du ‘conte des deux partenaires’. vraiment, je sais pas ce qui m’a pris à ce moment là. je crois que j’ai oublié de prendre mes médocs
on va faire des trucs compliqués avec naoya dans cette fic soyez patients je vous promets que ça va être incroyable. comme un grand huit avec une ceinture défectueuse. enfin, pour lui en tout cas
edit : je sais que c’est dommage que gojo ne puisse pas amener tsumiki et megumi dans certaines de ses aventures à ce stade, mais d’après le dernier chapitre ça devrait être évident qu’il les aime très fort, et c’est pas comme si c’était possible pour eux de venir pour l’instant. soyez patients !
les commentaires et kudos refont toujours ma journée !
scriptophobie on Chapter 1 Sat 12 Aug 2023 05:28PM UTC
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Aster_rion on Chapter 1 Sat 12 Aug 2023 06:57PM UTC
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Pasrille on Chapter 1 Sun 03 Sep 2023 06:21AM UTC
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Aster_rion on Chapter 1 Wed 03 Jan 2024 07:47PM UTC
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Thatgyall (Guest) on Chapter 4 Thu 15 Feb 2024 12:24AM UTC
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Aster_rion on Chapter 4 Thu 15 Feb 2024 07:10AM UTC
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Bananas_5517 on Chapter 6 Sat 16 Nov 2024 12:26AM UTC
Last Edited Sat 16 Nov 2024 12:26AM UTC
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Bananas_5517 on Chapter 8 Wed 06 Nov 2024 04:42PM UTC
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Aster_rion on Chapter 8 Wed 06 Nov 2024 05:05PM UTC
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