Actions

Work Header

Une Anguille Loin du Soleil

Summary:

Le Nautilus continue sa route à travers l'océan Arctique. Nemo les suit, sous la forme monstrueuse qui est désormais la sienne. Mais les eaux nordiques sont inhospitalières aux anguilles électriques, et le Dreadnought est sur leur trace.

Qui se sauve du soleil, aura toujours froid.

Notes:

Hello ~

Voici un peu plus d'anguille-Nemo (ou Neel pour les intimes), pour remercier Jen de m'avoir écrit une adorable suite au premier one shot.

Il suit un des thème de la nuit de l'écriture de juin 2024 du petit sancho : "Etreinte froide"

Bonne lecture !!

(See the end of the work for more notes.)

Chapter 1: Qui se sauve du soleil, aura toujours froid.

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Nemo avait froid. Si froid. De ce froid qui vous tord l’échine et vous glace les os, qui s’infiltre dans chaque nerf et les éteint un à un. S’il avait encore eu des doigts, Nemo doutait qu’il aurait encore pu les sentir. C’était à peine s’il sentait l’eau ruisseler le long de son corps alors qu’il se propulsait fluidement à travers les ténèbres de l’océan. Le Nautilus brillait à ses sens non loin, le guidant aussi sûrement que l’étoile du nord l’eut fait autrefois.

 

C'était cette lumière qui poussait Nemo à avancer. C’était cette lumière qui, malgré le froid qui brûlait sa peau, malgré les instincts qui lui criaient de retourner sur l'île, ou tout du moins sur des climats plus adaptés à son espèce, malgré la torpeur qui menaçait de l’envahir depuis qu’ils avaient touché ces eaux glaciale, lui donnait la force de donner un coup de queue de plus.

 

Les anguilles sont des animaux à sang froid, peu adaptés aux températures basses , avait dit Benoît en lui jetant un regard inquiet quand Nemo avait confirmé d’un hochement de tête de continuer la trajectoire prévue. Quelques heures plus tard, Benoit avait disparu pour toujours dans une structure hors de la portée du corps massif de Nemo. Il aimait à penser que c’était parce qu’il avait trouvé l’Atlantide quelque part dans ces dédales rocheux hantés dont l’équipage terrifié avait fait part, et qu’il était parti en accomplissant son rêve. Peut-être était-ce simplement le fardeau des hommes, que de mourir aussitôt leur but atteint.

 

Mais son but, Nemo ne l’avait pas encore accompli. La Compagnie déployait encore fièrement ses navires à travers le globe, et restait impunie de toutes les injustices qu’elle semait sur son passage. Le désir de vengeance brûlait ardemment dans le cœur de Nemo, lui donnant la chaleur qui lui manquait pour lutter contre la somnolence s’échinant à le paralyser. 

 

Il avait l'impression que s'il s'arrêtait ne serait-ce qu'un instant, sa queue gèlerait et son corps sombrerait vers les fonds insondables de l'océan Arctique. Ou peut-être se transformerait-il en glace et rejoindrait-il les icebergs flottants environnants. A chaque contorsion, il lui semblait entendre sa nageoire dorsale craquer comme une feuille gelée sur laquelle on marche. Casimir semblait croire que son corps monstrueux était immunisé contre les morts naturelles. Nemo, l’esprit embrumé par le froid et le corps engourdi par la glace, n’en était pas si sûr. Tous ses instincts lui criaient que s'arrêter dans ces eaux nordiques si inhospitalières équivalait à mourir.

 

Une mélodie vint lui chatouiller les oreilles. Nemo coulissa le long des vagues, la chassant aussi rapidement que son corps transi le lui permettait. Sa transformation avait quelque peu réduit son ouïe, mais cela ne l'empêchait pas de reconnaître la voix qui portait le chant. C’était Turan qui chantait depuis le pont du Nautilus, pour se distraire ou pour l’encourager, il ne pouvait le dire. Que Turan sorte ainsi signifiait que le sous-marin avait refait surface, ralentissant ses moteurs pour permettre à Nemo de le suivre. C’était loin d’être la première fois qu’ils baissaient leur vitesse pour se calquer à celle de plus en plus lente de Nemo, au fur et à mesure que le froid tétanisait ses muscles. Ces arrêts fréquents inquiétaient Nemo. Il ne savait pas combien de vivres il restait à l’équipage, et il n’avait plus les outils pour le demander.

 

Après ce qui lui sembla être une éternité, Nemo parvint finalement à la hauteur du sous-marin. Turan était effectivement dehors, emmitouflé dans une épaisse cape beige en laine sur laquelle était brodée une anguille. Nemo aurait donné beaucoup pour être encore capable de ressentir le doux cocon de chaleur qu’un tel vêtement apportait dans ses souvenirs. Il frissonna. Ses yeux, incapables de reconnaitre les expressions si subtiles des visages, peinaient à voir les détails de la broderie, mais Turan lui avait assuré que la tache de bleu sur le beige était à son image. Jiacomo le lui avait apparemment tissé à sa demande, et il mettait un point d’honneur à laisser la broderie en évidence chaque fois qu’il montait sur le pont.

 

Les deux hommes étaient devenus proches récemment, ironiquement à cause de la transformation de Nemo. A la disparition de Benoit, alors que Nemo s'écartait de plus en plus du navire, ils s'étaient tous deux mis en tête de traduire les grondements sourds qui s'échappaient de sa gorge monstrueuse en langage. Turan notait toutes les signification possible suivant les réactions de Nemo quand il se prêtait à leur jeux, tandis que Jiacomo les imitait au mieux. Nemo trouvait sommes toute l’aventure assez vaine; lui même était incapable de comprendre les sons sortant de sa bouche. C’était des bruits sans queue ni tête d’un monstre, voila tout.

 

Turan finit par remarquer l’ombre de la tête de Nemo qui s’était dressée au-dessus de lui et sortit une des mains de sa cape pour le saluer tout en continuant à chantonner. Il ne tarda pas à la rétracter avec une grimace, sa voix se décalant un instant d’un octave. Nemo n’était pas le seul à souffrir du froid nordique. L’équipage semblait tout aussi affecté.

 

Il y a quelques jours à peine, quand le Nautilus refaisait surface, au moins un tiers de l’équipage montait sur le pont et le saluait, venant profiter de l’air ouvert et se relaxer. Ce n’était pas une habitude qu’ils avaient autrefois mais Nemo supposait que Boniface était moins pressé, et moins strict. Cette habitude avait toutefois fondu au fur et à mesure que la température chutait, et il était désormais rare qu’une silhouette humaine sorte de l'écoutille pour croiser le regard engourdi de Nemo.

 

Même Humility, qui avait récupéré quelque part un carnet et mettait ces pauses à profit pour dessiner le Nautilus et ses alentours, brillait par son absence. Nemo ne pouvait dire si cela le soulageait ou le chagrinait. Trois jours plus tôt, rendu curieux par les incessants coups de crayons, il s’était penché sur la jeune ingénieure pour observer son travail. Il n’avait eu le temps de voir que quelques traits flous avant que l'eau ruisselante de sa peau ne ruine le carnet. Il apprit plus tard que les traits avaient été le schéma technique d’un réacteur côtoyant la sinueuse silhouette d’une anguille. Nemo s’en voulait d’avoir tenté de regarder en premier lieu et de gâcher du si précieux papier pour rien. Sa vue était désormais trop mauvaise pour distinguer le moindre détail, les formes et couleurs si vivaces autrefois désormais réduites à de vagues points flous. Humility ne lui en avait pas voulu après un initial accès de colère frustrée, et lui avait même offert de lui décrire le reste de ses tracés. Nemo avait simplement replongé dans les eaux sombres, préférant leur froide quiétude à la pitié qui s’était illuminée dans les yeux d’Humility.

 

Mais s’enfoncer dans les profondeurs possédait ses propres dangers. Nemo allait rarement très loin, ressentant douloureusement chaque degré qu’il perdait pour chaque mètre s’éloignant de la surface. Comme la chaleur du Nautilus lui manquait désormais.

 

Souvent, lorsque son corps appelait au sommeil, Nemo s'enroulait lâchement autour du sous-marin, incapable d'échapper à l'angoisse que le Nautilus continue sa route, l'abandonnant dans les eaux sombres et glaciales de l'océan nordique. Il se réveillait toujours au doux ronronnement des moteurs sous ses écailles et à la pulsation rassurante du générateur qui aveuglait son nouveau sens électrique. Plus d'une fois, il avait manqué de faire chavirer le navire en s'appuyant trop sur une de ses extrémités, et s'était réveillé aux cris alarmés de l'équipage avant de se redresser avec difficulté, chaque mouvement lui coûtant plus que le précédent. Mais depuis les premières apparitions d’iceberg Nemo n’osait même plus s’autoriser ce repos si léger, se forçant à suivre lentement le Nautilus à la force de ses muscles plutôt que de se laisser traîner. Aussi tentant que l'appel du sommeil fut, Nemo savait que dans ces eaux glaciales, s’y abandonner serait sans retour.

 

Le seul qui n'avait pas peur du froid brûlant qui les entourait était Blaster. Il arrivait déjà sur le pont, ayant sans doute remarqué l'arrivée de Nemo par un des hublots, et lui adressait de grands gestes en courant. Depuis la révélation de Casimir sur l'identité de Nemo, le jeune garçon avait décidé qu'il était de son devoir de tenir compagnie au capitaine maudit. Tous les jours, quel que soit le temps et la température de l'océan, le garçon sautait du sous-marin pour nager autour du large corps sinueux de Nemo, faisant jeux de ses nageoires et du mouvement ample qui le propulsait en avant. Aucun des efforts de Nemo pour l'en empêcher, ou pour le remonter à bord, n'avait eu de succès. Quels que soient les efforts de Turan et Jiacomo, ses grondements sourd n'avaient de sens pour personne, lui-même inclu, et il n’avait pas l’énergie de repousser Blaster avec la délicatesse nécessaire pour ne pas blesser le garçon dix fois plus petit que sa tête. Pour empirer le tout, maintenant qu'il savait que le monstre était Nemo , Blaster se moquait bien que l’anguille géante montre ses dents.

 

Nemo devait admettre, il appréciait la compagnie. L'océan, immensité froide et vide, était un lieu bien solitaire quand c'était votre seule maison. Sans le ronronnement électrique du sous marin qui semblait à ce corps étrange aussi brillant que le soleil, Nemo se serait sans aucun doute perdu dans l'immensité insondable qui l'entourait. 

 

Blaster pilla net devant le long cou de Nemo, manquant de renverser Turan par dessus bord au passage qui coupa son chant avec un cri étranglé. Aussitôt, il se débarassa de sa cape et de sa chemise malgré le froid glacial, et se jeta à l’eau. Nemo eut un instant de frayeur ou il osait à peine battre de la queue pour se maintenir à flot, de peur d’accidentellement envoyer valser le garçon. Aussi près du Nautilus, la brillance du moteur camouflait son sens qui lui permettait sinon de sentir la petite lueur que contenait tous les êtres vivants.

 

Mais deux mains s’accrochèrent bientôt à sa nageoire dorsale, lui chatouillant l’échine. Pendant un instant, Nemo s’arrêta net de nager et manqua de se cogner la mâchoire sur le Nautilus. Il se contorsionna pour s’éloigner pleinement du sous-marin et retomber dans l’océan à la place, provoquant une gerbe d’eau à sa chute.

 

“Vas-y Nemo !” cria Blaster de là où il s’était perché à la base de son cou.

 

La sensation était étrange, et Nemo n’était pas sûr qu’il apprécia que Blaster le traite comme une vulgaire bête de somme. Cela semblait toutefois rendre le garçon heureux, et lui assurait que le cadet de son équipage restait hors de portée de la noyade. Il lui devait bien ça, après avoir arraché Blaster à son premier équipage en faisant couler le bateau du capitaine Youngblood. Les gloussements d’enfant derrière ses oreilles ricochèrent dans sa mémoire, faisant remonter une scène d’un autre temps. Maya aimait être portée elle aussi, et riait de joie chaque fois qu’il la prenait dans ses bras ou la perchait sur ses épaules. Nemo se propulsa en avant comme pour chasser les douloureux souvenirs, tout en sachant qu’il ne pouvait pas fuir des événements déjà arrivés. Les mains sur sa nageoire dorsale se crispèrent, mais les rires continuèrent, le passé et le présent se superposant en une cacophonie douce-amère.

 

D’ici qu’il revienne à lui, les cris avaient cessé et le Nautilus n’était plus qu’un petit point frémissant dans le lointain. Blaster s’était hissé jusqu’à l’arête légèrement plate de sa tête, y trouvant apparemment un support suffisant à la vitesse de déplacement réduite de Nemo. Ils avaient atteint un champ d’icebergs, et leur blancheur scintillante blessait les pupilles sensibles de Nemo. Il cligna des paupières, légèrement déboussolé. Il ne se souvenait pas avoir parcouru autant de distance. Nemo se sentait si fatigué…

 

La voix de Blaster s’éleva de nouveau, l’ancrant dans la réalité. 

 

“Regarde !”

 

Nemo se força à redresser la tête. Le champs d’iceberg formait un réseau de piliers blancs, qui pour des yeux humains offraient sans aucun doute une vue magnifique. Blaster se releva de son perchoir et utilisa la tête de Nemo comme appui pour sauter sur un des blocs de glace qui les entouraient. Nemo remarqua, inquiet, que la main qui quittait ses écailles était aussi froide que l’eau glacée qui les entourait. Il ferait bien de ramener Blaster rapidement au Nautilus.

 

Au moins le garçon semblait-il se réchauffer en courant et sautant d’un iceberg à l’autre, nullement gêné par la brûlure de la neige sous ses pieds ou de l’air cinglant contre sa peau. Soudain, un cri d’alerte s’échappa de sa gorge. 

 

“Nemo ! Le Dreadnought !”

 

Nemo concentra ses sens là où Blaster pointait. Il pouvait vaguement sentir une cinquantaine d'être vivant s’approcher rapidement de l’emplacement du Nautilus. Il se propulsa en cercle autour du bloc de glace sur lequel se tenait Blaster, espérant désespérément que le garçon sauterait. Il fallait prévenir l’équipage. 

 

Blaster tardait à le rejoindre. Nemo se demandait si le garçon hésitait. Il comprenait. Le Dreadnought contenait son vrai équipage après tout, avec le capitaine Youngblood. Le froid dut toutefois avoir raison du garçon car bientôt Nemo ressentit un poids atterrir sur sa colonne vertébrale, et deux mains glacées se plaquer contre ses écailles. Il se coula aussitôt dans l’eau, luttant contre la torpeur et les vagues pour rejoindre le sous-marin à temps.

 

Leur trajectoire les rapprocha quelque peu du Dreadnought, et bientôt l'éclat d’une longue vue brilla au coin de son œil. Nemo sentit une des mains sur sa dorsale le lâcher pour faire des grands mouvements au bateau au loin, signifiant que Blaster avait également repéré leur observateur. Le garçon semblait simplement s’amuser à faire signe à l’autre équipage toutefois, et ne fis pas un geste pour relâcher l’autre poing tremblant qui s’accrochait douloureusement à la nageoire de Nemo. Il s’arqua, laissant son dos rouler au-dessus de la surface pour prendre de l’élan et disparaître sous la noirceur des flots.

 

Nemo pouvait sentir la prise de Blaster se relâcher. Il donnait de puissants coups de queue dans les ondes, se propulsant violemment en avant à chaque balancement, porté par un soudain vent d’angoisse qui lui donnait l’énergie que le froid lui avait aspirée. Nemo allait trop vite pour que Blaster reste accroché à son dos, il le savait, mais il ne pouvait se permettre de ralentir. Le Nautilus brillait de plus en plus intensément à ses sens, comme un refuge illuminé de toute part. Par contraste, la lumière du garçon s’affaiblissait et il avait cessé de trembler contre ses écailles. Une pointe d’inquiétude accéléra le cœur de Nemo.

 

Les doigts de Blaster glissèrent le long de sa nageoire dorsale et le poids niché au creux de ses vertèbres disparut. Nemo se retourna, aussi vif qu’un serpent, et attrapa le garçon entre ses mâchoires. Par chance, ils étaient encore suffisamment éloignés du Nautilus pour qu’il perçoive avec une bonne précision la forme coulante de Blaster. L’étoffe du pantalon du garçon s’accrocha à ses dents. Une fois sa prise à peu près sûre, et après s'être assuré que Blaster avait eu le temps de reprendre son souffle, Nemo reprit sa course effrénée. 

 

Une minute plus tard, ils arrivèrent au Nautilus. Nemo hissa Blaster sur le pont, n’ouvrant la gueule qu’une fois le cadet de l’équipage à quelques centimètres du métal. Le garçon s’écroula, sans force. Humility accourut bientôt de l'écoutille avec une couverture, habituée à réchauffer l’enfant après ses expéditions glaciales. Le Dreadnought, lui, n’était encore qu’un point invisible à l’horizon, ses passagers à peine perceptibles aux sens de Nemo. Il se mit à encercler le Nautilus avec anxiété. Humility et Blaster étaient les seuls membres de l’équipage sur le pont, et tous deux avaient un intérêt à rejoindre la Compagnie. Même si un des évadés de Kalpanie avait été présent, comment communiquer ce qu’il avait à dire ? 

 

Sa danse ne tarda pas à attirer l'œil aiguisé d’Humility. Elle se tourna vers Blaster.

 

“Que se passe t-il ? Nemo a l’air bouleversé.”

 

“Le- Le Dreadnought— Il arrive—” lâcha Blaster entre deux claquements de dents.

 

Humility se dressa immédiatement, alerte. 

 

"Il faut qu'on parte.” Elle se précipita vers l'écoutille, puis plongea sa tête dans le corridor avant de crier : “Les moteurs, vite !" 

 

Nemo s'arrêta un instant pour humer l'air. Il percevait de nouveau l’équipage du Dreadnought tel une centaine de fourmis mouvantes à la lisière de ses sens. Ils étaient presque à la banquise. S’ils ne prenaient pas la passe du Nord-Est, le Nautilus aurait besoin d’encore un peu de temps avant de trouver un passage sécurisé sous la glace; plus de temps qu’ils n’en avaient à la vitesse d’approche du Dreadnought. Sa queue battut nerveusement les flots. Une longue vue l’avait repéré un peu plus tôt. Peut-être pourrait-il les distraire.

 

Peut-être pourrait-il les détruire.  

 

Un cri l'interrompit alors qu’il faisait volte face, préparé à charger droit sur l’épais navire de la Compagnie avant qu’il ne repère le sous-marin. 

 

"Nemo, non !"

 

Il immergea sa tête et se propulsa à travers les océans glacé, laissant le bruit des remous noyer les vociférations qu’Humility lançait à sa suite. La piqûre du froid lui semblait comme des milliers d’aiguilles le promptant vers sa destination. Nemo était devenu un monstre. Il était temps d’en démontrer à la Compagnie tous les avantages.

 

Il ne tarda pas à arriver à portée de canon du grand bâtiment. La surprise seule sans doute lui permit de s’élancer sur le Dreadnought avant qu’un boulet puisse être lancé. Les balles de fusil fusèrent alors qu’il jaillissait hors de l’eau, ricochant contre sa peau comme elles l'avaient fait sur son prédécesseur hantant l'île. Nemo s’écrasa lourdement sur le pont. Contrairement à ce que Nemo avait cru alors, les balles n’étaient pas inoffensives pour autant.

 

Chaque coup qui ricochait contre ses écailles était comme un coup de poing à briser les os, ou une longue écuisse qu’on lui aurait planté dans la peau. Les balles arrachaient ses écailles, brisait ses vaisseaux sanguins, l'agressaient d’un million d’aiguillons qui, isolés n’aurait pas valu un battement d’oeil, mais ensemble lui faisaient vivre une torture. 

 

Nemo refusait de se laisser intimider par l’attaque, et plutôt que de se glisser hors de portée des fusils, il raffermit sa prise autour du pont, courbant sa queue jusqu’à étrangler la coque. L’épaisse cuirasse avait protégé l’ancienne anguille, il devait croire qu’elle le protégerait lui aussi.

 

Le Dreadnought était massif. Là où le long corps de Nemo arrivait sans peine à boucler trois, voire quatre fois autour du Nautilus, ici c’était à peine s’il arrivait à refermer un seul cercle de sa tête à sa queue. Il contracta ses muscles, poussant ses maigres forces à briser l’acier. Les soldats de la Compagnie fourmillaient autour de lui, attisant ses sens en une masse confuse de feu follets. 


Le métal tint bon, se pliant à peine sous les efforts de Nemo. Une seconde volée de balles frappa sa peau. 

 

Un cri s’échappa de sa gorge et ses muscles se crampèrent sous le coup de la nouvelle vague de douleur, mais Nemo raffermit obstinément sa prise. Un crissement effroyable retentit comme les plaques extérieures de la coque du Dreadnought se plièrent légèrement, mais une fois de plus, l'énorme navire tint bon.

 

Quelqu’un aboya des ordres et les soldats s’activèrent de nouveau. Leur mouvement incessant lui donnait la migraine, perturbant ses sens si habitués à l’unique lumière du Nautilus et les quelques lueurs de son équipage. Bientôt, Nemo sentit des lames s’attaquer à son corps et des pieux s’y enfoncer, laissant son sang s’écouler de plaies béantes sur le pont. Un hurlement lui échappa. Il rentra sa tête sous sa queue tout en collant son ventre au métal gelé, espérant au moins protéger ces parties sensibles. Maintenant qu’il bougeait à peine, le froid paralysant qu’il avait réussi à chasser revenait en force, l’enfonçant lentement mais sûrement dans une lourde torpeur.

 

D’autres ordres fusèrent au-dessus de sa tête. Cette fois, la voix lui semblait familière, sans pour autant être celle du capitaine Youngblood. Nemo n’attrapa pas les mots qui furent aboyés, ses tympans obstrués par le son du sang qui battait à ses oreilles et du crissement du métal froid contre ses écailles écorchées. Des chaînes cliquetèrent.

 

L’esprit perdu dans les brumes, Nemo faillit ne pas remarquer la sensation picotante du Nautilus qui se rapprochait. Un frémissement le parcourut, réveillant une traînée de douleur brûlante sur toute sa longueur. Qu’est ce que son équipage était en train de faire, au lieu de s'éloigner moteurs hurlants aussi loin que possible sous la banquise ? Si la Compagnie les prenait, ils récupéreraient le Nautilus, et tous les efforts de Nemo n'auraient servi à rien.

 

Un sentiment de détresse s’accumula dans son torse. La pression monta, au point où il lui semblait étouffer un peu plus à chaque respiration. Il y eu un cliquettement de métal. Le Dreadnought devait mourir avant que le Nautilus n’arrive à portée de tir. Puis, comme une détente que l’on relâche, la pression explosa.

 

Une série d’arcs électriques s’échappèrent de ses pores pour se déverser dans l'océan et les plaques métalliques de la coque du Dreadnought. Les cris fusèrent autour de lui. Les soldats qui s’étaient agglutinés autour de son corps tombèrent mollement au sol, blessés ou inconscients. Le métal gelé lui semblait soudain un peu plus chaud contre sa peau, réchauffé par le courant électrique qui venait de le traverser. 

 

Nemo cligna des yeux, perplexe. Il était loin de se douter que le corps monstrueux qui l’avait maudit était capable de produire un tel choc électrique. Sa confusion laissa toutefois bientôt place à un abattement léthargique. L’attaque l’avait exténué, et à part un léger réchauffement du métal sur lequel il reposait et le répit d’avoir mis une partie des soldats inconscients, il n’y avait rien gagné. Le Dreadnought se dressait toujours fièrement sur les eaux arctiques.

 

Déjà, le métal du pont reprenait sa température glaciale et une partie des hommes au sol se relevait. Nemo avait si froid. Le dreadnought frôla un iceberg, et la glace racla douloureusement contre sa peau tétanisée. L'odeur sucrée du sang s'élevait dans les airs de par la centaine de coupures qui couvrait ses anneaux. Des voix semblaient l’appeler, mais Nemo était si fatigué qu’il les mit sur le compte de son imagination.

 

Quand ses paupières s'étaient-elles refermées ?

 

Il était censé faire quelque chose. Briser le métal qu’il entourait. Le navire de la Compagnie. Sa peau écorchée raclait douloureusement contre le pont à chaque balancement des vagues. De nouveaux, des ordres furent aboyés autour de lui, leur tambour perçant mêlé à des voix familières qui l’appelaient. Nemo se déploya pour les suivre, mais une douleur fulgurante l'arrêta à la première contorsion. Des chaînes, maintenues par des pieux enfoncés à même la chair, maintenaient son cou et sa queue immobilisé sur le pont. 

 

Des torpilles furent échangées entre les deux vaisseaux. L’une d’entre elles percuta la coque du Dreadnought, qui absorba le choc par un large mouvement de balancier. Chaque battement tirait sur les ancres enfoncées sous sa peau, l’abattant un peu plus sous une pile étouffante de douleur.  Perdu, blessé, Nemo senti une nouvelle décharge électrique croître dans son ventre.

 

“Préparez le canon ! Ne vous occupez pas du Nautilus, ils suivront l’anguille.”

 

La voix retentissant à ses oreilles lui fit entrouvrir une paupière. Un visage familier se tenait sur une des tours du Dreadnought, hors de portée des chocs électriques mais suffisamment proche pour se faire entendre des troupes. Seulement, la silhouette était trop grande, les habits trop rouges pour que la personne corresponde réellement aux souvenirs qui titillaient la mémoire de Nemo.

 

Et pourtant… Cette voix… Il la connaissait…

 

Dans une époque lointaine, la personne à qui elle appartenait avait été la seule chose s’approchant d’une famille.

 

Billy ?

 

Que faisait-il là, garni des habits des officiers de la Compagnie ? Nemo le fixa, persuadé que sa vue trouble et sa mauvaise ouïe lui jouaient des tours dans les brumes de son esprit, mais la forme ne bougea pas, et la voix resta désespérément familière.

 

“En joue.”

 

Les mots froidement déclamés ne faisaient aucun sens en face des souvenirs de Billy qui tournoyaient dans ses pensées. Si le Dreadnought coulait, son ami d'enfance mourrait. Nemo relâcha sa prise et s'enfonça plus profondément sous l'abri humide de sa queue, forçant l’énergie qui montait en lui à se dissiper. 

 

"Tirez."

 

Le coup partit. Le choc propulsa Nemo contre un des mâts, arrachant violemment une partie des pieux. Un craquement d’os retentit. Il y eut un moment de flottement, puis une lame de feu remplaça toute sensation dans sa queue. La vision de Nemo s'éteignit.



Notes:

Ou est Youngblood, me direz vous? Probablement inconscient a cause du premier choc électrique xd
Pitt s’est caché dans sa cabine au moment ou le monstre géant était de sortie

Pendant ce temps, Humility qui voit Nemo ignorer ses appels :

"t'es à moitier aveugle mais t'es pas sourde, imbecile d'anguille"

(seulement en partie vrai vu que les anguilles sont aussi apparement pas les meilleures niveau audition xd)

Ce one shot à été entièrement écrit à partir du concept suivant :

Blaster qui joue au rodeo sur l’anguille
Blaster en mode "Coucou m'sieu !" Avec un GRAND sourire
Imagine la tete de youngblood
"Sir, y a une anguille géante et le gamin de votre équipage dessus"

Et je vous rajoute un petit résumé du chapitre version pokemon :

Neel: 1 PV
Millais lance: pokeball
Tidi tidi tidi
...
Cling!
Vous avez obtenu une anguille électrique géante!

Je ferais possiblement un chap 2 vu que la fin est un peu en cliffhanger :3

Chapter 2: La chaleur après le froid, le jour après la nuit

Summary:

Nemo se réveille prisonnier sur le pont du Dreadnought.

Notes:

Hello ! Voici le chapitre 2 ~

Pour plus de mésaventures d’anguille!Nemo, i.e. Neel 🎶

Bonne lecture !

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Nemo s’éveilla lentement d’un rêve ou il se balançait doucement au rythme des vagues. La sensation du soleil lui brûlant les écailles et d’un tiraillement incessant de douleur dans sa queue le tira pas à pas dans l'inconfort de la réalité. Sa peau le grattait horriblement, trop sèche. Sa respiration se faisait sifflante et sa tête lui tournait, l’oxygène piégé dans ses branchies se consommant à chaque inspiration. 

 

Le souvenir de Billy arborant un air froid alors que le cercle d’un canon pointait vers Nemo hantait son esprit. Il ne comprenait pas pourquoi il était toujours en vie après avoir reçu le boulet de plein fouet. Il ne comprenait pas non plus ce que son ami d’enfance faisait sur le Dreadnought, ni pourquoi il avait ordonné le tir. Billy avait-il vu en Nemo seulement un monstre marin, une menace bestiale cherchant à couler son navire ?

 

Nemo était sûr de toujours être sur le Dreadnought. Il pouvait sentir le raclement du métal froid de chaînes contre sa peau, le picotement électrique d’humains s'affairant autour de sa carcasse sans plus de soucis qu’ils ne l’auraient fait autour d’un amas de corde, la caresse des émulsions de l'océan humidifiant sa peau laissée trop longtemps à la surface. On avait dû manipuler son corps durant son inconscience, car il n'était plus enroulé autour du navire dans une étreinte mortelle, mais replié en boule autour d’un des mâts.

 

Il entrouvrit un œil.

 

La silhouette floue d’un homme ridiculement habillé à la mode des nobles de Londres était penché sur son visage, l’étudiant avec attention. La fascination morbide qui tordait les traits de son visage donnait à Nemo l'inconfortable sensation d’être disséqué vivant. Leurs regards se croisèrent. 

 

“AHHH !”

 

Le noble anglais tomba sur les fesses. Nemo entrouvrit légèrement la bouche, laissant dépasser une rangée de dents acérées. Le cris redoubla d’intensité.

 

Une vague de satisfaction mauvaise s’éleva dans son cœur. Après les premiers instants de surprise, son équipage ne l’avait plus jamais traité comme un monstre effrayant. Nemo savait pourtant l’hideuse apparence que sa chair avait prise. Bien qu’il se sente trop faible pour être une réelle menace pour les habitants du Dreadnought, exténué par le simple acte de dévoiler ses dents, la réaction peureuse du noble lui donnait l’impression que le monde tournait de nouveau selon son orbite. 

 

“Qu’y a t’il?” La voix de Billy résonna à ses oreilles.

 

“L’ang-anguillle-” 

 

Nemo releva la tête, cherchant à utiliser ses sens maladroit pour localiser son ami d’enfance. Il finit par repérer une silhouette vêtue de rouge s'approchant de Pitt.

 

“Elle est vivante ?”

 

Billy sonnait à peine surpris.

 

“Oui ! Elle l’est, parce que vous avez bâclé votre travail ! Je savais qu’un monstre marin de cette taille ne mourrait pas d’un simple boulet de canon.” Pitt gesticulait nerveusement, ayant totalement oublié le museau de Nemo frôlant presque son dos. “Et maintenant, qui sait combien de temps avant qu’elle ne se libère et nous dévore tous !”

 

Si Nemo en avait eu l’énergie, il s’en serait fait une joie. Bien qu’il n'eût aucune envie d’avaler l’homme criard qui se tenait à deux pas de lui. Le noble lui donnerait à coup sur des maux d’estomac. 

 

La répulsion que l’autre lui inspirait ne l’empêcha pas de le prendre par le col comme il avait jadis porté Blaster, puis, luttant contre la torpeur du froid et la lourdeur des chaînes, de l’envoyer valser par-dessus bord d’un coup sec de la tête. Sa queue, brisée par le boulet de canon, remua par instinct pour contrebalancer la torsion de son cou. Ses sens explosèrent en un feu d’artifice de souffrance.

 

Des cris résonnèrent à travers le navire. À ce stade, Nemo était bien incapable de définir si c’était les siens, les vocifération du noble, ou les alarmes des soldats surpris qu’on ait jeté leur passager aristocrate dans l’océan.

 

Le mouvement avait vidé ses dernières réserves et Nemo s’écroula sur le pont, tremblant de douleur et d'épuisement, mais rempli de satisfaction d’avoir démontré qu’il était encore une menace pour la Compagnie. L’encompassante léthargie du froid s'empara aussitôt de lui. Il pouvait sentir le sang couler mollement des piquets encore plantés dans sa chair pour fixer les chaînes, et la piqûre de sa réserve d’oxygène toujours allant s’amenuisant. 

 

“Tout va bien. Elle est immobilisée. Retournez à vos postes.” 

 

La voix du capitaine Youngblood perça à travers la masse de cris confus et la brume emplissant l’esprit de Nemo. Dans un dernier effort, il concentra sa vue sur Billy, et vis une silhouette blonde le rejoindre sur le pont. Billy lui n’avait pas bougé, l’étudiant avec autant d’attention que le noble l’avait fait un peu plus tôt, fouillant son corps monstrueux des yeux comme s’il y cherchait quelque chose de familier, d’humain. Nemo connaissait ce regard. C’était celui que son équipage lui adressait chaque fois qu’ils pensaient qu’il avait le dos tourné.

 

Mais Billy n’avait aucune raison de se douter que l’anguille géante devant lui était son ami d’enfance transformé. Après tout, s’il savait, sûrement ne serait-il pas resté planté là à l’observer tandis que Nemo gémissait de douleur, une expression froide et dure figeant son visage.

 

Nemo laissa ses paupières retomber, se recroquevillant un peu plus dans l’espoir de conserver le peu d’humidité vitale qu’il lui restait. Il ne savait pas combien de temps il survivrait écarté de l’eau qui le maintenait en vie, ni même si la malédiction l’autoriserait à mourir, ou choisirait un des soldats du Dreadnought comme proie. Le froid ne tarda pas à chasser les pulsations douloureuses de sa queue, et il sombra, emporté dans des profondeurs glaciales et sombres qui lui rappelait l'océan.

 


 

 

Il avait froid. Il avait faim. Il avait mal.

 

L’eau à travers ses branchies n’était plus qu’un doux souvenir. Nemo n’était pas sûr de comment il respirait encore, ou même de s’il respirait en premier lieu. Un peu d’eau semblait avoir été déversée sur sa carcasse, et les projections de vagues venaient de temps en temps l’humidifier, mais cela ne remplissait pas les réserves d'oxygène conservées dans ses branchies.  

 

Une lanière de cuir reliée au sol entourait désormais son museau, sans doute pour l'empêcher de jeter un nouveau membre d’équipage par-dessus bord. Nemo ne s’en souciait guère. Il ne rêvait plus que de se glisser de nouveau dans l’océan, mais même d’un acte aussi simple il n’en avait plus la force. Sa queue le brûlait affreusement, maladroitement tordue d’une manière qui appuyait sur la fracture de l’os, et le froid n’était plus tout à fait suffisant pour l’emporter dans une torpeur insensible.

 

“A-t-elle bouger ?” La voix de Youngblood porta jusqu'à lui.

 

“Pas depuis qu’elle a terrifié Pitt,” celle de Billy répondit. 

 

Les deux hommes semblaient perchés sur la tour voisine du mat où Nemo était enroulé, observant le navire et son prisonnier des hauteurs. La brise soufflait d’eux à lui, lui rapportant leur paroles.

 

“Je me demande d'où sort cette créature. Il y avait une intelligence presque humaine dans ses gestes.”

 

“Ne pensez pas trop. C’est un monstre marin que nous devons ramener à Kalpani pour qu’ils l’étudient, voilà tout. Le télégramme de Crawley était clair.”

 

Nemo tendit l’oreille à ces mots. Retourner à Kalpani ? Un grondement sourd monta dans sa gorge, mais il s’efforça de le taire pour écouter la suite.

 

“Je m’étonne de cette décision. Sûrement il aurait été plus simple de couper l’animal en morceaux pour le transporter. Crawley semblait partager cet avis avant que vous ne le convainquiez du contraire. Pourquoi avoir suggéré de le garder en vie ?”

 

Billy avait convaincu Crawley de le garder en vie ? Pourquoi ?

 

Nemo projeta tous ses sens vers les deux hommes, de plus en plus confus.

 

Il y eut un long moment de silence, si long que Nemo crut un instant s’être de nouveau endormi et avoir manqué la réponse de Billy. Son ami d’enfance finit toutefois par répondre.  

 

“Le Nautilus suivra plus facilement un être vivant qu’un cadavre.”

 

Il semblait à Nemo que Billy ne disait pas toute la vérité. Sa réponse trop simple, son temps de réflexion trop long. La tête de Nemo lui tournait toutefois trop, et son esprit était trop embrumé, pour qu’il parvienne à déceler ce qui le dérangeait tant dans l’attitude de Billy.

 

Les deux hommes continuèrent leur discussion mais les détails lui échappèrent, la douleur trop grande pour se concentrer sur les mots portant dans le vent. L’inconscience ne tarda pas à le traîner loin des soucis de l'éveil, offrant refuge dans son béant engourdissement.  

 


 

 

La sensation douloureuse mais bienvenue d’eau à travers ses branchies le réveilla.  Le soleil semblait toujours autant s'acharner sur sa peau desséché, mais ses rayons étaient désormais plus chauds, l’atmosphère plus humide, et la torpeur languissante qui l’avait envahi depuis qu’ils avaient atteint les océans du nord se retirait peu à peu. Le bois dur d’un caste immobilisant la partie douloureuse de sa queue se pressait contre ses écailles.

 

Une seconde vague d’eau vint dégouliner le long de son corps comme un souffle bienvenu d’oxygène. Nemo se concentra sur les dizaines de petites lumières humaines l’entourant. Il battit des paupières, les gardants partiellement plissé contre la lumière du soleil levant trop violentes pour ses yeux habituée aux profondeurs marines. Il finit par réussir à percevoir le capitaine Youngblood, un saut à la main, faisant des aller-retour entre l'océan et la pile sinueuse que Nemo formait sur le pont.

 

Il s’arrêta finalement, sa respiration pantelante sifflant parmi le chant des vagues. Le jeune capitaine se tourna vers la tête muselée de Nemo.

 

“Je suis désolé. Je ne peux pas faire plus.”

 

Puis, semblant quelque peu embarrassé d’avoir parler à une anguille géante en premier lieu, le capitaine Youngblood disparut dans les profondeurs du navire. 

 

Nemo retomba dans sa somnolence, profitant goulument de ce regain d’eau qui lui avait été offert. La chaleur du soleil lui donnait une vigueur nouvelle qu’il lui tardait d’essayer. Il se sentait encore trop faible, trop diminué pour lutter, mais le murmure d’un espoir lui soufflait que bientôt il se libérerait de ses chaînes et retrouverait la douceur des océans.

 


 

 

Nemo entrouvrit ses paupières. La silhouette de Billy se tenait devant lui, l’observant fixement. De petits nuages de brumes s’échappaient de sa bouche à chaque expiration. Le soleil s’était couché il y a quelques heures, et la lune brillait tel un œil divin dans le ciel. Elle éclairait le manteau écarlate de son visiteur nocturne, donnant au symbole d’appartenance à la Compagnie une lueur irréelle. 

 

Nemo approcha sa tête, une question qu’il ne pouvait désormais plus formuler grondant dans sa gorge.

 

Pourquoi ?

 

Il s’attendait à ce que Billy s’éloigne, insensible aux bruits de cette étrange créature qu’ils avaient capturé. Mais Billy resta, le fouillant de ce regard perçant qui donnait à Nemo l’impression qu’il pouvait voir l’homme piégé derrière la bête.

 

“J’avais un ami autrefois. Un frère. Il était impulsif, et portait toute l’arrogance d’un prince, mais il avait bon cœur. Du moins, je le pensais.” Une ombre passa sur le visage de Billy. “Un jour, il m’a convaincu d’aller brûler avec lui les drapeaux de l’académie.”

 

Nemo sursauta. C’était une des dernières aventures qu’ils avaient eu ensemble. Quelques jours après, on l’avait informé que Billy avait quitté l'académie. Nemo avait beau chercher, il n'avait trouvé ni lettres, ni explications sur son départ. Seulement le lit vide et la trace rectangulaire des affaires désormais disparues. Il avait supposé qu’une obligation familiale avait forcé le retour précipité de Billy, et avait attendu son retour; mais son ami n’était jamais revenu. 

 

“Le directeur avait besoin d’un coupable, mais ne pouvait se permettre d’accuser un prince, même indien. Un boursier sans influence, par contre ? Son exclusion est sans conséquence.” Un sourire amer étira les lèvres de Billy. “Dakkar a toujours été doué pour faire retomber la faute de ses actions sur les autres. Ce prince m’appelait son meilleur ami, son frère, mais une fois hors de l’académie, j’aurais aussi bien pu être un mendiant à ses yeux. Privé d'éducation, j’ai perdu ma seule chance de gagner le financement qui devait faire vivre ma famille. Lui n’est jamais venu, et mes parents sont morts.”

 

Nemo se figea. Il n’avait jamais su… jamais imaginé… Le regard hanté de Billy se plongea dans le sien, glacial.

 

“Je devrais te tuer pour ce que tu m’a fait.”

 

Le cœur de Nemo manqua un battement.

 

“Mais le sort que la Compagnie te réserve est probablement bien pire.” 

 

Billy tourna les talons et disparut en une tache floue, indénombrable parmi les soldats s'activant sur le navire. 

 

Un goût amer envahit la bouche de Nemo. 

 

Billy savait qui il était. Billy savait qui il était, et avait ordonné que le canon tire. Billy savait qui il était, et l’avait laissé être lentement asphyxié loin des vagues, jusqu’à ce que sa peau sèche et se craquelle dans une lente agonie. Billy savait qui il était, et pourtant le fixait d’un air froid et vide, si différent du chaleureux regard complice qu’il lui donnait autrefois.

 

Billy voulait sa mort, et pourtant, il avait argumenté auprès de Crawley pour sa survie.

 


 

 

Quelqu’un avait ordonné aux soldats du Dreadnought de l’asperger d’eau matin, midi et soir. Parfois quelques malins l’aspergeaient de l’eau savonneuse et sale avec laquelles ils lavaient le pont, mais Nemo ne s’en souciait guère. Chaque gerbe de liquide atterissant sur sa peau lui donnait l’impression de renaître. On avait aussi apporté une large bassine d’eau contenant quelques poissons frétillants,  juste assez petits pour passer à travers sa muselière, quoiqu’en quantité insuffisante pour être plus que des amuse-gueules. Nemo s’était immergé le cou dans la bassine, une branchie puis l’autre, remplissant enfin des réserves d'oxygène trop longtemps amoindries. 

 

Nemo reprenait des forces, mais il était toujours prisonnier du Dreadnought. Les piquets plongeant dans sa chair avaient été renforcés, et les chaînes le couvrant avaient été fixées solidement dans le sol. Nemo avait tenté de rappeler à lui l’étrange instinct qui lui avait permis d’électrocuter une bonne partie de l’équipage du vaisseau, mais ce dernier se dérobait à lui. Les quelques décharges qui avaient parcouru son corps avaient été trop faibles pour faire plus qu’un mouvement de recul au soldat grimpant sur son dos, et l’électricité voyageait désormais à travers les chaînes en une boucle cruelle qui lui renvoyait toute attaque qu’il s’efforçait de produire.

 

Il somnolait sous les rayons du soleil, le dos encore dégoulinant de l’eau salée dont il venait d’être aspergé, quand il sentit la lueur unique du Nautilus au loin. Nemo dressa la tête, soudainement alerte. Le Nautilus aurait dû être à des kilomètres de là, ayant fui le Dreadnought sous la menace des torpilles. Et pourtant ils se tenaient là, à la limite des perceptions de Nemo, suivant depuis le grand Nord le navire colossal de la Compagnie comme un chien qui retourne à son maître. Nemo devait avoir été trop faible, l’esprit trop embrumé pour les sentir avant aujourd'hui.

 

“Tu peux le sentir, n’est ce pas?” 

 

Le capitaine Youngblood s’était avancé vers lui en remarquant la direction du cou dressé de Nemo. Il semblait parler à lui-même autant qu’à Nemo, un air de réflexion autour de lui.

 

“Le Nautilus nous as suivi depuis le grand nord, comme le capitaine Millais l'avait prédit. Ils auraient pu disparaître à n’importe quel moment, faire demi-tour et atteindre leur fameux trésor sans plus se soucier de nous avoir sur le dos, et pourtant les voici. Prêts à s’avancer dans la gueule du loup pour une anguille géante électrique.” 

 

Le capitaine du Dreadnought se tourna vers lui.

 

“Qui est tu ?”

 

Nemo ne répondit pas, ne voulant pas donner à l’anglais plus d’indices sur sa nature. Il concentra son attention sur la douce lueur du Nautilus qu’il sentait toujours vibrer au loin. Si la Compagnie le prenait pour une simple bête, il lui serait bien plus simple de s’échapper.

 

Que leur avait dit Millais ?

 

Le capitaine Youngblood le fixa un instant, puis devant son absence de mouvement, il fit un geste de dérision.

 

“Cela n’a pas d’importance. Cette histoire sera bientôt finie de toute façon. D’ici quelques jours, Lady Lucas pourra retrouver Lord Pitt, Blaster sa place dans mon équipage, et Nemo et sa bande retourneront dans le pénitencier qu’ils n’auraient jamais dû quitter.”

 

Nemo ne comprenait pas pourquoi le ton de Youngblood était si mélancolique, presque triste, en narrant des événements qui lui rapporteraient pourtant la gloire et un statut dans la Compagnie. C’était comme si le capitaine regrettait que les choses se passent ainsi, que son propre camp gagne contre la bande de malfrats évadés.

 

Nemo gronda.

 

Les regrets du capitaine Youngblood lui faisaient une belle jambe. Ils ne l’aidaient pas à remettre les priorité de son équipage à leur place, ni à s’enfuir et rejoindre son sous-marin. Ils ne pouvaient pas lui faire retrouver sa forme humaine, et ils n’enlevaient pas les trois années passées à croupir à Kalpani. Ils ne pouvaient pas à ressuciter sa femme et sa fille.

 

C’étaient des regrets, voila tout. Des sentiments lancés au vent. Sans force pour agir, ils ne valaient rien.

 

Que valait Nemo désormais, prisonnier de ceux qu’il voulait détruire, jouant l’involontaire appat qui mettrait fin au plan qu’il avait construit pendant trois ans, incapable du moindre mouvement pour participer à sa libération ?

 

Nemo gronda de nouveau, cette fois de frustration, s’attirant le regard surpris du capitaine Youngblood qui s’écarta prudemment. Un tic nerveux remua sa queue mais le caste l’arrêta, bien que trop tard pour empêcher un élan de douleur de traverser son corps. La température était trop haute pour donner à Nemo l’envie de somnoler désormais. Le désir d’agir bouillonnait en lui, trop fort pour lui permettre le repos mais trop faible pour se défaire des liens qui l’emprisonnaient.

 

Son esprit se tourna de nouveau vers le Nautilus qui brillait comme une lanterne électrique sous l’océan. Nul doute que la Compagnie traquait au radar leur position, planifiant soigneusement un piège à leur encontre. De sa place sur le pont, Nemo pouvait entendre des murmures, des bribes du plan qui se montait. Il pouvait prévoir une contre attaque, si seulement il arrivait à communiquer avec son équipage. Mais s’il avait pu communiquer avec eux, il aurait dores et déjà stoppé le navire, tuant dans l'œuf l’idée absurde de suivre le Dreadnought sans ressources en eau hostile. Le simple fait d’être capable de suivre un vaisseau trois fois plus rapide que le Nautilus aurait dû leur mettre la puce à l’oreille et les dissuader.

 

Le grondement vibrant au fond de sa gorge se transforma en grognement sourd.

 

Il essaya de ramper vers l’un des bords du navire, mais les chaînes le retinrent, raclant douloureusement contre sa peau et rouvrant ses blessures. Les piquets insérés dans sa chair ne permettaient pas qu’il se glisse sous le filet de chaînes vers le doux baiser des flots. Il sentait les soldats s’activer suite à ses débats, mais Nemo s'en foutait. Il voulait agir.

 

Et pourtant, chaque glissement, chaque torsion, se retrouvait aussitôt bloqué par le tiraillement de ses liens. Son cou, enchaîné au pont, était coincé trop près du sol pour lui permettre d’arracher les piquets. Sa mâchoire, maintenue fermée, ne pouvait l’aider à ronger les chaînes. Son corps, attaché de tout son long, ne pouvait briser la boucle qu’il formait autour du mât. Sa queue, encastrée et bloquée, le déséquilibrait. 

 

L’électricité nerveuse qui s’échappait par à coup de ses écailles ne faisait que le rendre un peu plus misérable. 

 

Nemo était condamné à observer en spectateur la déchéance de son rêve, à travers les ouï-dires et les rumeurs, aussi inutile que le jour où la Compagnie lui avait arraché le cœur. 



Notes:

Oui je n’ai rien résolu xd
Mais on a un peu d’interactions Neel-Millais-Youngblood comme ça :3

Écoutez, moi je l’aime bien kidnappé Nemo, j’ai pas envie d’organiser son sauvetage XD.

Notes:

Milles merci à mes beta Ash__00 et Enepfopi pour m’avoir nourri de motivation et attrapé au vol de nombreuses malheureuses fautes d’orthographe. (Il y en avait tellement rip XD)

N'hésitez pas à commenter si vous avez aimé !!