Chapter 1: Le Ragnarok Recommence
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Elle approchait de plus en plus de sa demeure. Le rythme de ses pas était calqué sur les bruits d’outillages plongeant et retournant la terre. De temps à autres, lorsque le travailleur s’arrêtait, sa sueur goûtant le long de son nez avant de s’écraser à ses pieds, il tendait l’oreille. C’était inévitable, elle s’approchait, et elle allait lui adresser la parole. Alors que la distance s’amenuisait. L’homme se retourna.
- Que me voulez vous ?!
- Bonjour…
L’homme observa l’interlocutrice, les yeux sévères, bleus marins. Il repassa sa main dans ses longs cheveux dorés, de nombreuses mèches argentées scintillaient, il était vieillissant. Ses traits étaient rudes, la poussière et la terre s’étaient logées dans ses quelques rides, durcissant davantage son expression. Sa carrure restait fière, droite, sa barbe de quelques jours, mal rasée, entièrement blanche quant à elle cachait légèrement son expression. Sa bêche plantée dans le sol, sa main unique reposant sur cette dernière, il attendait que son interlocutrice parle.
- Sire Roland ! Je viens vous demander de participer au Ragnarök
- Pas envie, du vent gamine avant que je me fâche. J’avais déjà dit non à celle venue avant toi, comment elle s’appelait déjà Bu… Brou ?
- Brunhilde Sire. Elle est morte il y a bien longtemps, je suis sa cadette, Goll.
Méconnaissable, elle était bien plus grande, bien plus digne. Malgré ses grands yeux verts trahissant encore certains aspects de sa naïveté, l’ancienne benjamine des Valkyries s’était habituée à la fonction de cheffe de ses sœurs. Souriant timidement tout en jouant avec ses désormais longues mèches blanches, elle reprit avec cette fois plus de fermeté, d’une voix plus sévère le même genre que celle de Brunhilde
- Sire ! Le prochain Ragnarök arrive dans deux jours, Nous avons besoin de votre aide, vous êtes le dernier de la liste humaine, de grâce !
- Ta liste, montre-là moi.
Sortant un parchemin de son long manteau, la Valkyrie offrit ce dernier au combattant qui le déroula de sa main, le mettant un peu à la lumière du soleil pour mieux voir, la liste était la suivante :
Asclépios - Diogène
Thot - St Germain
Odin - Marie Curie
Sun Wukong - Ulysse
Hastur - Himiko
Asmodeus - Louis Pasteur
Guan Yu - Tolkien
Baron Samedi - L’inconnu
Ishtar - Lénine
Quetzalcoatl - Salomon
Tiamat - Roland (?)
Janus - Sun Tzu
Belial - Kurt Cobain
- Je connais peu de ces gens gamine, mais je ne vois aucun chevalier à part moi, ils sont pourtant nombreux à être plus capables et plus forts.
- S’il s’agit de force brute, peut-être… Mais quant il s’agit de servir un roi, personne ne vous égale Sire Roland
Le plus vieux grommela, se frottant la barbe avec sa main unique avant de reprendre la parole, toujours un peu plus bourru
- J’ai plus d’épée, et je ne vois pas mon maître dans la liste ce sera sans moi. - Oh mais vous savez… Charlemagne lui même a annoncé participer si vous refusiez.
A cet instant, malgré la douce brise qui faisait bruisser les brins de blé et autres avoines que Roland cultivait, l’air se chargeait d’électricité. Le chevalier rajeunissait à vue d’œil. Ses traits s’affinaient, sa chevelure retrouvait son allure de crinière. Ses yeux, toujours les mêmes percèrent le cœur même de la valkyrie alors que sa main unique vint attraper cette dernière au col tandis que le chevalier beugla comme devenu fou
- Ecoute moi bien gamine ! Ne t’avise jamais de prononcer le nom de mon roi sans être prête à en assumer les conséquences, je n’ai plus qu’une main et suis peut-être désarmé mais je te tuerai sur le champ si besoin est !
C’était bien ça la réalité de Roland, un chevalier brisé, sa mort prématurée avant même le sacre de son empereur avait plongé ce dernier dans l’abîme. A peine arrivé au royaume des morts que pris de rage, il jeta sa lame Durandal au-delà des cieux. Il était mort durant la dernière bataille car il n’avait pas de bouclier, il n’avait foi qu’en une chose, son roi. Alors il avançait avec son épée, mais alors qu’une lame allait frapper Charlemagne au dos, Roland s’interposa, Il y perdit une main, puis la vie. C’était son péché, il en était mort, il avait trahi son seigneur. La rage encore palpable, il regardait la jeune Valkyrie droit dans les yeux.
- Vous ne me croyez pas sire ? Alors regardez cette lettre !
Le chevalier saisit la lettre avant de l’ouvrir en grommelant, lisant son contenu
« Salut Roland ! C’est la saison de la guerre tu sais ! Je ne sais pas ce que t’as prévu mais moi j’y vais, bisous, Charlemagne ! »
Les yeux quasi vides, incrédules, le chevalier regarda la valkyrie, c’était bien l’écriture de son roi, et son comportement plus que désinvolte aussi, Serrant le poing Roland soupira bruyamment.
- J’avais pris cette apparence de vieillard pour me repentir. Mais mon roi ne le permettra jamais…
Il avait encore rajeuni, son allure semblait encore plus fière, et désormais il avait ses deux mains. Comme si son péché avait été expié, Roland avait recouvert l’apparence qu’il possédait quand il était au meilleur de sa force.
- Je te suis petite. Mais souviens toi, je refuse de dégainer une épée.
- Ne vous inquiétez pas Sire ! J’ai déjà tout prévu !
Quelques jours plus tard.
Une armure argentée cliquetait à chaque pas de son porteur, accompagné de Goll, Roland se demandait ou la Valkyrie l’emmenait. Au moment ou la massive porte de bois s’ouvrit sur un amphithéâtre, Roland aperçu plusieurs individus, Goll poussa Roland pour le faire avancer un peu plus et lui faire prendre place, elle s’avança au centre de l’amphithéâtre avant d’allumer un étrange appareil qui projetait des images sur le mur.
- Cher combattants du Ragnarök, chères sœurs ! Félicitations et encore merci d’être ici ! Si je vous ai choisis c’est car à mes yeux vous êtes les personnes les plus à même de permettre à l’humanité de remporter le Ragnarök ! Il n’est désormais plus question du salut de votre espèce, à la suite de la première édition et les soucis liés au dieux primordiaux, vous vous en doutez, tout a été revu ! De plus les dieux ont bien compris que si vous disparaissiez, ils s’ennuieraient. Le but de votre victoire désormais c’est de permettre à l’humanité d’avancer, si vous gagnez, les dieux partageront une partie de leur savoir et de leur technologie a l’humanité, si vous perdez, alors ils déclencheront encore plus de calamités sur terre. Ceci étant dit.
La jeune Valkyrie reprit son souffle, souriant a ses auditeurs, tous visiblement concentrés sur ce qu’elle avait à dire
- Certains d’entre vous ne sont pas combattants et la rai…
Coupée dans son élan, une autre voix parvenait par dessus la sienne, une voix beuglante, provenant sans doute de ce fameux ahuri. Il était dur d’entrapercevoir son physique, il semblait épais, large et en partie dénudé, mais l’obscurité de la pièce empêchait de dévoiler davantage de son physique
- C’est quoi un humain ma petite ?!
- Diogène je vous ai déjà dit que…
- Nan mais parce que si c’est comme Platon avec son histoire de poulet on ne va jamais s’en sortir hein !
- Je vous signale que…
Il s’était endormi, il ronflait. En réalité il beuglait dans son sommeil, il était complètement ivre, soupirant, la Valkyrie reprit son discours
- Tout comme l’individu ici présent, certains d’entre vous ne sont pas combattants ! Scientifique,  médecin, stratège, musicien, écrivain et j’en passe… La raison est simple, le Ragnarök a été  modifié !
Appuyant sur quelques touches de la tablette qu’elle tenait en main la valkyrie fit s’afficher sur  l’écran 13 mots.
- Chacun de ces mot représente une catégorie. Vous êtes les meilleurs dans ces catégories, votre objectif est simple. Vaincre les dieux maitres de ces catégories. Les combats seront donc cette fois ci non pas seulement remportés a la force de vos poings, mais dans vos domaines d’expertises ! Ce sera tout !
Certains des combattants discutaient entre eux, la barrière de la langue n’était pas chose simple à franchir, pour cette raison Roland s’approcha des deux combattants qui semblaient parler français
- Excusez moi mes braves, n’auriez pas vous vu un certain dénommé Charlemagne ?
- Pas du tout, désolé mon cher
C’était la femme qui lui avait répondu, des cheveux en batailles, de grosses lunettes et des yeux  trahissant une grande fatigue
Se grattant la tête, le chevalier suivit à nouveau Goll, le combat approchait, il s’impatientait
- Eh alors, mon roi petite ? Il n’est pas là, tu t’es jouée de moi av-
- Vous participerez tout deux, il vous attend sur le champ de bataille. Chaque combattant a un roi à défendre et mène 100 hommes.
Le chevalier écarquilla les yeux, c’était donc ça le premier thème de combat, la chevalerie, regardant le champ de bataille il soupira, il n’avait toujours pas d’arme, Goll, toujours souriante posa la main sur une demoiselle. Elle semblait frêle, pâle. Ses cheveux étaient blancs comme neige, ses cils tout aussi purs, la petite posa ses yeux verts sur le chevalier avant de prononcer ces quelques mots
- Je suis Hjörprimu et je serai votre arme !
- Hjorp… Aïe !
Il s’était mordu la langue, nom compliqué. Il adressa un regard accusateur à Goll
- Tu veux que je me serve d’une gamine comme arme ?
La plus jeune pris la main de Roland avant de se matérialiser en bouclier. - Vous aviez bien signifié ne pas vouloir d’épée ?
Encore sous le choc, le chevalier hocha la tête avant de partir dans l’arène. La lumière était  éblouissante, le soleil frappait la maille du chevalier et il sentait le fer chauffer sa peau, l’arène  était gigantesque, le sol était légèrement boueux, une arène digne du champ de bataille ou il  perdit la vie. Roland marchait jusqu’a se faire interrompre, un jeune roi, encore plus grand et  massif que lui agitait vivement la main, derrière les troupes, une couronne et une épée  gigantesque en main. Charlemagne se hâta vers son comparse, ses longues mèches brunes  bouclées jouant avec le vent. Ses yeux presque noirs scrutaient l’âme de son chevalier, il  souriait gaiement
- Roland ! Tu sais que j’ai fait une promesse à ma femme !
- Comme celle a propos de votre conversion ? Si vous gagnez vous devenez chrétien ? Vous perdez toujours ces paris…
Le roi rigolait gaiement avant de reprendre parole, malgré son allure et son comportement frivole, une aura imprégnait ce roi, comme pour crier qu’il était le seul digne de ce titre. A peine Roland entendait sa voix qu’il se surprenait à sourire, c’était bien l’homme pour le quel il avait juré de mourir
- Si nous gagnons cette bataille, on pourra réunir tous les braves dans ma demeure.
Il quitta Roland avant de reprendre place au devant de ses soldats, c’était ce genre de roi, l’intrépide toujours au devant de la scène. Roland soupira avant de se mettre à ses côtés. On entendait Heimdall au loin présenter les participants au combat. Encore peu attentif et concentré, Roland regardait aux alentours, et il s’arrête vers les gradins, certaines silhouettes lui étaient familières.
Des cheveux noirs de jais tous plaqués vers l’arrière, une stature rigide. Ça ne pouvait qu’être lui, le rival du preux, Olivier le sage. Ce dernier se pencha pour adresser la parole à d’autres spectateurs.
- Roland semble enfin avoir pris du plomb dans la tête, il a un bouclier maintenant n’est-ce pas ma sœur ? Ma sœur ? …
Les joues écarlates cachées derrières deux petites mains, la demoiselle blonde et frêle au côté d’Olivier ne pouvait s’empêcher de s’agiter dans tous les sens avant de pousser un cri strident
- Hiiiiiiiiiiiiiii ! Mon Roland ! Regarde-le, Olivier ! Il a récupéré son apparence de Jadis, oh qu’il est beau qu’il est beau ! L’homme de ma vie ! Roland mon amour ! fais moi signe !
Olivier soupira, il connaissait sa sœur, elle était comme ça voilà tout… Alors il posa son regard sur le jeune homme qui se tenait de son autre côté, tout aussi petit que la sœur du chevalier, le jeune homme avait attaché ses longs cheveux blonds en queue de cheval, ébouriffé mais bien
joyeux, ses traits doux et féminins tranchaient avec son corps svelte mais sculpté et sa mâchoire droite, une cicatrice coupant perpendiculairement la ligne de cette dernière. Le jeune homme regardait la scène avec de grands yeux, Olivier toussa pour obtenir son attention
- Alors Astolphe, que penses tu de ce…
Coupé dans son élan, le plus jeune regardait à nouveau l’arène avant de crier
- Maitre Roland ! Messire Charlemagne ! Gagnez je vous en conjure !
Olivier soupira, c’était donc le seul membre de ce groupe rationnel et à peu près normal. De l’autre côté, Roland fit un léger signe de la main a cette bande avant de retourner auprès de son seigneur. Le cor d’Heimdall se fit entendre, le Ragnarök commençait.
Chapter 2: Empereur et Chevalier
Summary:
Le combat va enfin commencer !
Qui affrontera Roland et Charlemagne ? Comment les deux guerriers vont se débrouiller ?
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La corne d’Heimdall avait sonné. Charlemagne semblait un autre homme, malgré son comportement enfantin montré plus tôt. Il s’était posté au devant de ses troupes, solennel, dans toute sa grandeur. Pas un mot n’était prononcé, seulement le bruit des pas étouffés par la boue qui collait après les chaussures. Roland, son armure encore brillante se pressa aux côtés de son roi, cette fois ci, ce serait différent, cette fois ci, il ne mourra pas.
Roland respirait lentement, il s’habituait encore au poids de son armure si longtemps mise au placard. Goll avait insisté que cette dernière serait inutile face à l’arme d’un dieu, Roland avait rétorqué « Quand on sert un roi, notre apparence le sert également ». Il admirait encore la forme de cet étrange bouclier en écusson, il était brillant comme le soleil, les ornements sur le devant affichaient un lion doré. Au fur et à mesure des pas de cette petite armée la lumière se réverbéra sur les armures qui se dessinaient en face d’eux, ils n’avaient jamais vu ces soldats, ces armures non plus. On aurait dit qu’une myriade d’écailles venait protéger leurs adversaires, ces derniers portaient tous d’étranges lances, d’un noir profond. Une voix se distingua au devant de tout ce groupuscule. Un grand homme au teint rougi leva son imposant fauchard avant d’hurler à l’intention de ses troupes et de ses adversaires.
- Je m’appelle Guan Yu, grand général des armées de jade. Tant que je respirerai, vous n’approcherez pas mon empereur !
Ses longs cheveux noirs filaient au vent, ils étaient aussi raides que l’homme qui les portaient. De son autre main il caressait sa longue barbe. L’homme était d’une certaine manière impressionnant, grand, large. Charlemagne ne put s’empêcher de sourire en regardant Roland
- Dis moi, cet air sérieux, on ne dirait pas un peu Olivier ?
Toujours aussi impassible et concentré, Roland répondit sans changer d’expression
- Croyez moi mon seigneur… Je préfère affronter Olivier à l’homme qui se trouve face à nous.
L’empereur se redressa un peu, voir Roland aussi sérieux et dubitatif face à un adversaire ne pouvait rien annoncer de bon, il le savait lui aussi, la troupe qui se trouvait face à la leur était mieux équipée, mais aussi bien mieux organisée, c’était donc ça les armées des nations d’orient ? A cette époque chez lui, on voyait plus de paysans et de mercenaires que de réels soldats. De toute manière il était facile de les discerner, les premiers avaient encore de la terre sous les ongles, les seconds des bourses qui tintaient à chaque pas. Le Ragnarök était donc bel et bien organisé en faveur des dieux, rigolant à gorge déployée, l’empereur planta son épée dans le sol avant de répondre de toute sa puissance, levant ses deux bras comme pour une fois de plus prouver qu’il était l’être le plus imposant de ce champ de bataille, comme s’il venait provoquer les cieux eux mêmes.
- Je suis Charlemagne, roi des francs et empereur d’occident. Moi, je n’ai pas peur de me présenter a mes ennemis, je ne suis pas une pierre précieuse !
Roland ne pu s’empêcher de sourire, cet homme, ce roi, jamais il n’aurait douté de lui, et encore aujourd’hui, il le savait. Il le suivrait même après la mort, si tant est que cette dernière existe encore en ce monde. Les expressions du groupe d’en face s’assombrirent, un blasphème, et un éhonté en plus de ça, oser se comparer à leur empereur ? De rage l’armée de Guan Yu commença à marteler le sol avec les pommeaux de leurs lances. Ce rythme était étrange, comme si un seul homme battait la mesure, peu après, la charge commença. Pointant des armes de fortune, les soldats de Charlemagne fonçaient avec ferveur contre leurs ennemis. Malheureusement pour ces quelques soldats en herbe, la guerre, était chose bien cruelle. Guan
Yu leva sa lame, un réel mauvais présage, puis un coup latéral, simple, et pourtant, cinq têtes roulaient déjà sur le sol. Les corps, des marionnettes au fils coupés tombèrent, désarticulés, le choc de cette vision et de la puissance de l’ennemi fit ralentir les soldats, quasiment paralysés, c’était bientôt leur tour. Un jeune chevalier à la chevelure étincelante se jeta entre Guan Yu et les fantassins, un lion jeune et pourtant sage de plusieurs siècles. Formant une croix avec ses bras derrière son bouclier pour mieux encaisser la violence du choc, deux ornières s’étaient dessinées dans la terre là ou l’impact du coup fit reculer Roland.
- Moi je suis Roland, l’homme qui t’empêchera d’atteindre mon seigneur.
Dans les gradins du côté divin, les bruits de stupéfaction envahissaient les bouches des spectateurs, Bloquer un coup de Guan Yu ? Il fallait être fou. Deux silhouettes quant à elles étaient composées et calme. La plus svelte et raffinée des deux pris la parole, tournicotant sa barbiche.
- Il y eut longtemps que notre cher Guan Yu ne vit pas un de ses coups être intercepté mon cher Zhang Fei
Reniflant comme un mal appris, grattant ses cheveux sales, l’autre homme fixait le champ de bataille avant de prendre la parole, une voix rauque, chargée d’émotions et d’alcools.
- L’intercepter c’est bien beau Liu Bei, mais tu le sais comme moi. La guerre, ça ne se gagne pas en arrêtant les coups.
Au loin, les bruits sourds du métal s’entrechoquant coupèrent court à cette discussion. Guan Yu fixa intensément le chevalier avant de prendre la parole, ses dents encore serrées, sa lame poussant encore le bouclier aux motifs léonins.
- Ton empereur est un idiot. Il ne pense qu’à guerroyer. L’empereur de Jade lui ne connaît que la paix, il n’aspire qu’à la paix. Vous n’êtes que des barbares enivrés par l’odeur du sang.
Serrant les dents, Roland recula un de ses poings qu’il abattit contre l’intérieur de son bouclier le choc fit sauter la lame de Guan Yu par dessus sa tête. Il s’abaissa avant de se ruer vers l’ennemi, il vint contre sa poitrine avant de le pousser de toutes ses forces avec son bouclier. Son objectif n’était pas de le tuer. Son objectif était seulement de le garder loin de son roi.
- Je préfère un empereur se battant au côté de ses hommes et visant leur bonheur qu’un pleutre se cachant derrière les lames des siens.
Guan Yu s’apprêtait à répondre en levant à nouveau sa guandao, une voix encore inconnue l’arrêta aussitôt dans son élan. Une voix résonnante, divine, douce comme le velours et pourtant aussi froide et tranchante qu’un métal précieux.
- Guan Yu, reviens à mes côtés. Nul besoin de se hâter, victoire sera nôtre.
Claquant la langue, l’officier fit demi-tour en hâte, disparaissant à travers ses hommes. Roland n’avait aucun intérêt à le poursuivre, aussi impétueux était-il, il n’était pas idiot pour autant, quelque chose se tramait. Arrivé à son campement, Guan Yu s’assit à côté de cette étrange figure frêle et juvénile qui l’appelait un peu plus tôt. Arborant un sourire narquois, l’empereur qui ressemblait bien plus à un prince qu’à un roi posa les yeux sur son soldat, sa main tenant une tasse de thé aussi vert que le mianguan au sommet de son crâne.
- Souviens toi de la raison qui t’a fait me rejoindre, ne t’abandonnes pas à la couleur écarlate du sang.
Guan Yu ferma les yeux. Il y a bien longtemps lorsque ce dernier rejoignit le Valhalla, quelques temps avant que Liu Bei son ami soit sacré empereur parmi les hommes. Il regardait avec mélancolie son ancien monde, celui ou il avait combattu et péri. Lui aussi aurait aimé pouvoir aider ses compagnons plus longtemps. Lui aussi aimait ce serment d’amener la paix qu’ils avaient scellé en entrechoquant leurs verres, mais il était trop tard. Une figure juvénile se dressa derrière lui, douce et calme.
« Toi et tes amis êtes intéressants cher Guan Yu. Que dirais-tu de rejoindre ma paix ? Tes amis pourront venir à leur mort eux aussi ! Le monde est éternel, je suis éternel… Donc votre paix le sera tout autant. »
Encore hésitant, d’une main tremblante, Guan Yu finit par saisir celle de son interlocuteur. Une main douce et frêle à contrario de celle du vieux soldat marquée par l’âge et la guerre. Il était bien plus grand que ce petit roi, mais cela importait peu, car désormais c’était face à lui qu’il s’inclinera. Ce jeune empereur symbolisait tous ses rêves, tous ses espoirs, ceux par les quels il avait juré serment avec ses compagnons. Le temps passa, Liu Bei et Zhang Fei le rejoignirent. L’empereur de Jade était leur maître, la paix était leur seul objectif. Chaque jour passant, Guan Yu aiguisait sa lame, utilisait sa lame, pratiquait sa lame, dans le seul et unique but que sa lance devienne l’épée de la justice lorsque le besoin l’exigera.
Le sourire de l’empereur persistait alors qu’il regardait le champ de bataille, son plan fonctionnait au-delà de ses espérances.
- Ils se fatigueront bien avant nous. Je suis désolé pour les vies que nous perdront, mais ces dernières savaient très bien ce qu’elles risquaient.
Guan Yu attendait. Il savait que l’empereur était sage. Il savait tout autant que ce dernier faisait en sorte de maximiser leurs chances de victoire. Mais quelque part en lui, il les enviait. Il enviait Roland et Charlemagne, il voulait se battre, il voulait protéger les siens. Au delà de ce désir jugé puéril, il voulait lui aussi voir son empereur avoir cette dignité, celle d’un roi qui au devant du champ de bataille apaisait tous ses soldats d’un seul mot.
Charlemagne n’avait rien d’un empereur si ce n’est la stature. Il était aussi sale sinon plus que  ses soldats. Il courrait, levait l’épée, les corps tombaient et s’accumulaient. Roi, empereur, pour  lui tout ça importait peu, il était Charlemagne et c’était bien suffisant. Sa course effrénée ne  s’arrêtait en aucune façon. Il ne faisait que prendre part à ce joyeux massacre, pour lui, c’était ça  se sentir vivant. Un coup d’épée, puis il bourrait de l’épaule un adversaire trop farouche, parfois  il prenait une lance qu’il arrachait à son opposant pour mieux l’empaler. D’autres fois même, il  saisissait son arme par la lame pour mieux assommer les ennemis avec le manche. Le champ  de bataille, c’était son élément. Nombre de fois il avait frôlé la mort, nombre de fois il faisait des  paris incongrus avec sa compagne, quelque part dans l’espoir non pas de perdre, mais de  gagner ces paris et de laisser la vie sur le champ de bataille. Il y était né, il y mourra  indubitablement, c’était là le seul rêve d’un guerrier de sa trempe. Si ses hommes ne croyaient  pas autant en lui, il aurait troqué cette maudite couronne pour un heaume plus résistant. Il n’y a  que les fous pour s’enorgueillirent de l’or qu’on pose sur leur tête. Les cicatrices, elles, vous les  emporterez dans la tombe.
A contrario, Roland était éclatant. Il chargeait sur chaque soldat s’approchant de son seigneur.  Son objectif était simple et clair. Protéger son roi. Il ne voulait pas revivre ce qu’il s’était passé il y  a des siècles. Leurs troupes sont plus faibles ? Et alors, ils sont toujours sortis victorieux. Leurs  troupes sont moins organisées ? Et alors, ils se tenaient droits devant eux. Roland le preux de son nom n’était pas du genre à réfléchir. Il avait une épée, un roi, et c’était suffisant pour qu’il se  jette corps et âme au cœur de la bataille, la réflexion, il la laissait à Olivier.
Depuis les gradins, les humains n’en croyaient pas leurs yeux, ce spectacle était bien plus proche du massacre à sens unique que du vrai combat ou de l’esprit chevaleresque qu’on chantait et vantait dans de nombreux romans épiques. Eux ils ne voyaient que désorganisation, des soldats pétrifiés par la peur, d’autres par la mort. Ce spectacle n’avait rien de louable ou de beau. On aurait cru voir un Colisée, on y mettait quelques innocents, puis des bêtes affamées, Roland et Charlemagne. Ils n’avaient plus rien à voir avec la chanson qu’on leur avait attribuée. Alors que les messes basses s’accumulaient, une voix se fit entendre. Le jeune chevalier pas plus haut que trois pommes hurlaient bien plus fort que les doutes des spectateurs.
- Et alors ? vous croyez que le but des chevaliers c’est d’embrasser la main de leur dame, partir en guerre, faire quelques duels a cheval et revenir en grands héros ? Nous sentons le sang, la boue nous colle au visage, l’odeur âpre de la mort imprègne nos cheveux. Et nos yeux… nos yeux ne connaissent que l’enfer et la rage de nos adversaires. Le vrai chevalier… c’est celui qui resplendit malgré tout ca.
La vue était insoutenable pour la compagne de Roland, se cachant les yeux. Son ainé, Olivier prit les deux mains de sa jeune sœur lui empêchant de cacher ses prunelles. Ses mains étaient douces, bien plus que celles de Roland. Peu de cicatrices, moins calleuse, c’étaient les mains d’un stratège bien plus que d’un combattant. Les mains de quelqu’un qui se battait par la finesse et la réflexion, mais qui, le jour de leur mort rejoignit son ami, son sang n’ayant pu demeurer assez froid à la vue de celui de Roland.
- Chère sœur… Tu as insisté pour assister au combat de ton amour, ne lui fais pas faux bond, c’est dur, il ne ressemble plus qu’à une bête… Mais c’est bien le même homme, le chevalier que tu admires, cette image de lui reflète autant sa personne que l’homme qui t’aime de tout son cœur.
Une bête était le mot juste pour désigner Roland. Il courait au côté de son roi, son imposant bouclier déviait les lances ennemis. De son bras libre il venait écraser ses poings entourés de métal contre les mâchoires adverse. Il sentait les dents de ses adversaires se briser, leurs os craquer. De temps à autre un malheureux se trouvait face à lui, bien trop proche, alors d’un coup de crâne Roland le repoussait. Chaque partie de son corps devenait l’arme qu’elle avait été jadis. Respirer devenait difficile, il ne s’était pas battu depuis des siècles. Tout était lourd, à commencer par l’air, l’odeur de sang le prenait à la gorge, une odeur acre. Mais il se relevait encore, ses yeux analysant les alentours, des cadavres, la chair à l’air libre, cuisant au soleil. Alors que le sang venait se mêler à l’eau boueuse, donnant un aspect savonneux écœurant à cet infâme mélange. Le bouclier chargeait et repoussait les hordes ennemis. Parfois il en empoignait un pour le projeter contre les lances de ses alliés, d’autres fois la force colossale de ses jambes venait buter contre une horde complète. Il ne se contentait pas de protéger son roi, il protégeait tout ce qui se trouvait derrière lui. Car si on disait que Charlemagne était au devant de la scène. Il y avait bien une personne qui gravitait alentours ; cet homme était Roland le preux. Un coup de bouclier venait assommer un ennemi, l’esquive habile d’une lance qui venait lui effleurer les flancs, laissant quelques gouttes de sang perler. Sa respiration s’alourdissait au fur et à mesure que la boue venait se coller à ses jambes et ses bottes. Le terrain n’était pas propice à leur victoire, les armures ennemis tenaient moins chaud et étaient plus légères.
Pour les soldats de Jade, ce spectacle était inhumain. Si Roland sentait les coups, si les blessures s’accumulaient, il ne ralentissait pas. Un soldat se surpris de dire à voix haute en admirant le monstre face à lui
- Ce n’est pas un lion… C’est un taureau.
De l’autre côté de l’arène, l’empereur souriait, ses ennemis s’engluaient dans sa toile, même en infériorité numérique, il avait l’avantage. Regrettait-il ces morts et ces nombreux sacrifices ? Nul ne le sait, mais tant que ce dernier assurait que c’était pour la paix, tout le monde lui obéissait au doigt et à l’œil, les gradins y compris. A peine quelques voix de protestations se faisaient entendre que l’empereur de Jade les fit taire.
- Préférez vous voir des soldats prêts à mourir au combat y perdre la vie… Ou vos enfants vivre ce désastre dans leurs chambres ?
Se retournant vers son plus fidèle soldat une fois la foule silencieuse, l’empereur de Jade reprit parole avec son habituel sourire apaisé.
- Tu veux venger tes soldats… Je le sais, c’est désormais le moment. Nos ennemis sont épuisés, nous avons perdu la moitié de nos troupes, mais toi. Tu es là. Va à leur revers, et tue leur roi.
Guan Yu joignit le poing et la paume. Les désirs de son seigneur étaient des ordres, se cachant du mieux possible, ce dernier arriva derrière les troupes ennemies, s’ensuivit un réel massacre. Le sang giclait dans tous les sens avant de retomber comme des gouttes de pluie, les gradins hurlaient de se retourner, que Guan Yu était derrière. Mais le bruit des armes s’entrechoquant, les hurlements de soldats enragés, les derniers râles de désespoir de ceux qui voulaient encore vivre ou tuer masquaient les cris de la foule. C’est alors qu’au dernier moment, la lame vint s’abattre à l’arrière de Charlemagne comme une hache de bourreau, Guan Yu était arrivé.
Roland vit la scène, au dernier moment, lorsque la lame de Guan Yu se trouvait au sommet de sa tête, il se souvint. Il se souvint du désespoir lorsqu’un coup similaire s’approcha de son seigneur. Roland avait toujours été chevalier solitaire, un mercenaire en quelques sortes. Les troupes craignaient son nom, jusqu’au jour ou un roi de 10 ans son cadet se posta devant lui et lui demanda en toute innocence « Tu te bats bien ! Deviens ma lame ! »
Le mercenaire devint chevalier, ce petit roi était fort, il était courageux, mais il ne pouvait se résoudre à l’appeler roi, ce dernier était bien trop bon pour en être un. Il n’avait rien à voir avec tous les seigneurs rencontrés jusqu’à présent qui s’inquiétaient plus de l’état de leurs forteresses que de la vie de leur peuple. Les années passèrent, Roland connu l’amitié grâce à ce roi, il connu l’amour sous son règne, la relation entre maître et élève. Il lui devait tout. Alors le jour ou cette lame vint couper le bras de Roland s’interposant pour protéger son roi. Le jour ou il sentit la main qui tenait son épée tomber au sol, il n’entendait plus que le bruit de la lame résonnant contre la terre tassée par les pas des soldats. La douleur le faisait bien moins souffrir que de voir qu’il ne pouvait plus être cette épée désormais détachée de son corps. Puis la douleur du regret se fit encore plus grande lorsque le prolongement de ce coup le tua. Il avait protégé son roi, mais il ne put en faire un empereur.
Ce passé se reflétant dans ses yeux. Il courait de toute ses forces, dans ses dernières capacités,  ses derniers retranchement. Il avait compris que dans les gradins, on hurlait son nom et celui de  son roi. Il connaissait déjà le regard d’Aude, Olivier et Astolphe.
S’interposant entre son Seigneur et la lame de Guan Yu, Roland leva son bouclier avec toute la  rage qui lui était caractéristique. Le choc était monumental, sentant ses jambes s’écrouler sous  le poids du coup, ses bras tremblaient autant que son écu vibrait. Il tenait de toutes ses forces,  ses dents craquaient, il sentait le sang bouillir à l’intérieur de ses veines, de longs filets rouges  coulaient le long de ses bras, ses poings étaient si serrés que le sang jaillissait de ses paumes.  Cette fois il tiendrait, c’était sûr. Guan Yu n’avait cependant pas encore terminé son coup.  Serrant et contractant encore plus sa puissance, il appuya de toutes ses forces sur sa lame  comme pour trancher le bouclier de Roland, il brisa. La lame lacéra le long du torse du chevalier,  ignorant son armure. Roland s’écroula au sol, quasi inanimé. Le guerrier regarda le chevalier  gisant, un air solennel, les yeux chargés de l’émotion d’avoir été obligé d’abattre cet homme  d’une manière si lâche à ses yeux.
- Tes crocs se sont brisés il y a bien trop longtemps.
Charlemagne ne put se retenir de vociférer à l’intention de Roland
- Roland tu n’es pas cense être devant ou derrière moi. Tu es cense être a mes cotes, tu me l’as jure… ne me dis pas que tu es déjà sur les rotules en un seul coup…
Les craquements de sa voix étaient provoqués par les sanglots envahissant sa gorge. La mort de chacun de ses hommes était une tragédie. Mais celle de son compagnon d’arme était pire encore. Alors qu’il se préparait à foncer sur Guan Yu, les yeux emplis d’une colère qu’il pensait pourtant endormie depuis bien longtemps. Une nouvelle voix se fit entendre, une apparence juvénile s’interposa devant Charlemagne, les deux bras écartés
- Noble seigneur ! Roland n’est pas mort ! Excusez-moi, je suis sa Valkyrie… Mon nom est HjörÞrimul, et… Je ne suis qu’un piètre bouclier... En revanche.
Alors que dans les gradins la mine d’Olivier se faisait aussi grave que son silence. Qu’Astolphe et Aude ne pouvaient retenir leurs pleurs. Une apparence quasi angélique vint s’asseoir à leur côté. Goll sourit naturellement avant de leur demander
- Pourquoi pleurez vous ? Je vous ai pourtant prévenus que Roland n’allait pas foncer se battre les mains vides.
Sur le champ de bataille, Guan Yu, déconfit regardait cette petite figure parler, incapable de lever sa lame sur elle. Puis, comme une luciole, elle s’envola, une petite boule luminescente se logea dans le cœur de Roland. Ce dernier se leva péniblement. Ses longs cheveux blonds d’or étaient entachés par la boue. Cependant, la couleur qui dominait cette crinière était rouge… Rouge sang du nombre de ses ennemis et alliés morts au combat. Ses yeux rugissaient comme ceux d’un lion. Abattant son pied de toutes ses forces devant lui avant de plier le genou et d’abaisser tout son poids dessus, il se préparait. Une étrange lueur se dessinait dans sa main. Une lame gigantesque y prenait forme, une lame que jamais un humain n’aurait du être capable de manier ou même porter. Ses bras reculés se contractaient, ses muscles épaississaient à vue d’œil tant Roland utilisait toute son énergie. C’était lourd, dur, pénible même. Serrant encore plus les dents, il sentait certaines d’entre elles se fendre, ses paupières manquaient de se déchirer, et pourtant, il continuait. Le sang de ses paumes séchant petit à petit accrochait et collait au pommeau de cette nouvelle arme. Une trajectoire parfaitement rectiligne était dessinée, sa lame avait comme découpé l’espace lui même. Plusieurs corps tombaient les uns après les autres, Guan Yu bloqua cette lame de mort avec le manche de sa lame tant bien que
mal, reculant sous le poids inimaginable de ce véritable désastre. Ce qui se trouvait devant lui n’était plus un simple chevalier, c’était le messager de la mort en personne, et la mort s’appelait Charlemagne. Goll souriait depuis les gradins.
- HjörÞrimul… Ses runes signifient, combat à l’épée.
Instinctivement, seuls quelques mots parvenaient à Roland après avoir effectué une fente parfaite, ce dernier les souffla du bout de ses lèvres.
- Revolund… HjörÞrimul Durandal…
Olivier soupira de soulagement, avant d’avoir le regard inquiet d’une manière nouvelle.
- Je n’aime pas voir Roland dans cet état.
Astolphe pencha la tête, intrigué
- Vous n’aimez pas le voir se battre à l’épée sire Olivier ?
- Ce n’est pas ça... Il existe une légende vis à vis de Roland. Sur le champ de bataille, nous l’avions surnommé Roland le preux en raison de son courage. Nos ennemis eux le surnommaient la bête rouge. Le sang rendait ses cheveux roux, si bien que lorsque le crépuscule venait. Il ne restait de lui plus qu’une silhouette baignant dans une mare de sang, aussi bien sur ciel que sur terre… Ces moments là, même moi j’avais peur de lui.
Les soldats se hâtaient et couraient à nouveau dans la mêlée. Roland fixait Guan Yu, Il était prêt à se battre. Levant son épée droit devant lui, prenant cette colossale lame à deux mains, Roland était prêt. Guan Yu quant à lui saisit encore plus fermement son fauchard, ses paumes saignant sous la force de sa poigne. Bientôt, les deux allaient savoir qui était le meilleur sujet.
Chapter 3: Voeu de Chevalier
Summary:
Le combat fait rage ! Cependant chaque combattant l'a compris, rien ne sera éternel. Qui sera le meilleur serviteur ?
Chapter Text
Les deux combattants se regardaient, soupirants et haletants. Lequel était le meilleur sujet, lequel était le plus fort ? Ils avaient beau écouter les ordres de leurs seigneurs, cette envie irrépressible venait leur serrer la poitrine. Ils voulaient savoir lequel était le meilleur, lequel de ces deux combattants était le plus digne de servir un roi. Si l’un flanchait, ça revenait à dire que son seigneur avait tort, et ça, ça leur était insupportable. Plus loin, parmi les dieux, on entendait une personne en particulier dans les gradins.
- Oh oh ! Ils ont l’air sacrément forts ces deux là, qu’est ce que j’aimerais me battre avec eux !
La deuxième figure, très classieuse, affublée d’un costume noir avec une veste en queue de pie se mit à émettre quelques toussotements forcés afin de récupérer l’attention de son locuteur bien plus âgé.
- Seigneur Zeus, vous n’en n’avez pas le droit, souvenez vous des règles de ce Ragnarök
Le plus vieux, de son aspect cacochyme imita le regard d’un chiot qu’on venait de gronder. Ce petit vieux, voûté, branlant comme une cabane de jardin en pleine tempête était particulièrement vexé. Il avait attendu ce Ragnarök un millénaire, et pourquoi donc ? Ne même pas y participer ! Aucun des thèmes de cette édition ne lui convenait. Il était donc condamné à un statut de spectateur, croisant les bras, l’air boudeur, il voulait le dernier mot.
- Peuh ! Des années d’attentes pour quoi ? Si j’avais su, jamais je n’aurais accepté cette règle !
Le majordome posa ses yeux rouges sur la valkyrie qui se trouvait de l’autre côté des gradins, cette dernière lui faisant grand signe de la main. Goll était amusante, bien plus guillerette que Brunhilde, et c’était bien ça qui inquiétait Hermès, les gens comme elle sont capables de tout.
- Peut-être même se serait-elle jouée de nous… Qu’en penses-tu mon cher frère ? Cher frère ? …
Ares, comme à son habitude, aussi badaud que colossal avait comme été pétrifié sur place, c’était le dieu de la guerre et pourtant, ce qui se passait sous ses yeux le laissa bouche bée. Il avait pourtant été un des premiers témoins de la force des humains lors du dernier Ragnarök un millénaire plus tôt. Même en sachant ça, il était impossible pour ce colosse à la fossette au menton de ne pas être impressionné par ces deux combattants.
- Hermès, es-tu bien sûr que ces deux combattants ont été humains ?
Hermès pencha la tête avant de sourire
- On ne peut plus sûr. Tu sais comment fonctionne le panthéon de Chine ! Chaque homme considéré comme digne obtient un grade divin, nous avons donc face à nos yeux Guan Yu et le cinquième empereur de Jade. Ce dernier se montre si rarement qu’on croyait même que c’était Guan Yu le véritable empereur.
Essuyant la sueur le long de son front, Ares restait bouche bée.
Sur le champ de bataille, la chaleur se faisait de plus en plus torrentielle. Les dernières émanations des corps découpés ou empalés venaient se mêler à l’odeur ferreuse du sang. Les hommes respiraient lourdement. Les flaques d’eau boueuse venaient réverbérer les rayons du soleil, augmentant davantage la chaleur sous les cuirasses qui faisaient bouillir les soldats comme des poulets emprisonnés dans des cocottes minute. Là dessous c’était une serre, on y cultivait pivoines de colère et lys de sang. Pourtant, les deux hommes au centre du champ de bataille, dégageaient bien plus de chaleur que tout ce qui se trouvait aux alentours, on pouvait remarquer quelques volutes de vapeur émaner de leur corps.
Roland et Guan Yu via un simple regard se mirent d’accords. Tout deux plantèrent leurs armes au sol pour défaire leurs cuirasses, plus aucun des soldats ni aucun empereur n’osait élever la voix ou même bouger. Roland prit la parole en premier.
- Elle est déjà découpée, et je ne pense pas qu’on en aura besoin ici.
Guan Yu quant à lui se gaussa. Sa barbe ondulait au rythmes de ses rires. Un de ses soldats s’empressa de lui retirer son armure. Un bruit semblable a celui de la fonte retentit lorsque son attirail s’écrasa sur le sol, s’enfonçant un peu dans le mélange de terre et de boue. Le vieux général retira son couvre chef, il était désormais à l’image de son adversaire.
Roland n’était qu’en simples bottes, un pantalon et une chemise blanche. Trouée par les lances, jaunie par la sueur, brune par le sang, le centre lacéré par le précédent coup de Guan Yu. Elle était en piteux état. Visiblement, cette dernière ne survivrait pas à cette bataille. Les longs cheveux sales du chevalier retombaient sur le côté de ses tempes, quelques mèches collées à ses joues. Roland se releva empoignant et serrant sa nouvelle épée, il était prêt.
Le vieux général qui semblait si énorme de prime abord affichait un des physiques les plus sculptées. Les lacets de ses énormes sandales lui serraient les jambes. Sous son armure, Guan Yu ne portait rien, il était torse nu, de nombreuses cicatrices marquaient ce dernier, aucune dans le dos. Le guerrier bougea un peu les muscles, s’étirant légèrement, puis, secoua un peu la tête avant de saisir le manche de son fauchard. Il prit position, un bras levant l’arrière du manche, l’autre bras saisissant son avant, la lame pointée vers l’ennemi. Le champ de bataille si bruyant ne fit plus aucun bruit, pas une respiration. Au loin, des bruits de pas pressés s’approchaient, la voix de l’empereur de Jade, essoufflé se faisait entendre.
- Guan Yu ! N’entends-tu donc pas mes appels ! Nous devons revoir notre stratégie ! Il n’était pas prévu que ce chevalier soit si fort ! Reviens à mes côté, nous pouvons encore gagner !
Le général se mit à rire de plus belle. Par insolence, ou par pur détermination, il refusa de changer un tant soit peu sa garde. Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant d’entendre le vieux briscard s’adresser à l’empereur, confiant et fier.
- Cher empereur ! L’homme est animal bien égoïste ! Je crains d’être incapable de suivre votre ordre. Oui un chevalier doit suivre son seigneur. Mais. Si moi, Guan Yu, j’abandonne ce champ de bataille. Si moi, Guan Yu, me replie. Alors je ne peux plus me prétendre être votre épée.
Roland souriait, cet homme face à lui, il l’appréciait de plus en plus. Ce n’était pas un pantin, c’était quelqu’un doté d’une âme, quelqu’un qui lui aussi, ne supportait pas de voir les soldats mourir, peu importe l’objectif final. La mort d’un civil était triste, mais même s’il y était préparé, le soldat qui tombait avait lui aussi droit à quelques pleurs. Guan Yu reprit de plus belle.
- Noble empereur de Jade ! J’œuvre pour la paix, mais une paix au prix de la vie de mes soldats, ne me permettra jamais d’être moi même en paix, et vous pensez de même.
Le roi l’allure princière ne put s’empêcher de serrer les poings. Il le savait, il était faible, il était lâche. Il disait œuvrer pour la paix, mais au fond, c’était pour fuir le champ de bataille. Il y a des siècles, des millénaires en arrière lorsqu’il atteint ce trône vert. Cette chambre immaculée, trop pure pour sembler réelle n’arrivait pas à lui enlever ce vécu. Il lui arrivait encore de se réveiller chaque nuit, se souvenant des corps brûlés dans son château, de cette odeur carbonisée de cadavres empilés. Il se souvenait de ce chemin qu’il eut fait, alors qu’il était encore humain.
Il descendit en courant les marches de son palais, des soldats embrochés aux murs, des cadavres jonchés dans un puzzle macabre. Les ennemis récupéraient encore de l’or, de l’argent sur les morts, quelconque pièce de métal leur suffisait. L’humain ne ressemblait plus qu’a un vulgaire charognard, ses yeux luisants dans la pénombre, prêt à voler richesse et vie. L’horreur ne s’arrêtait nulle part, l’empereur alors jeune roi courrait à en perdre les jambes. Ses yeux embués de larmes, déformaient davantage ces visions d’horreur, les rendant grotesques. Des restes pendus aux arbres, véritables poupées de malheur. Des éventrés en tout genre dont les organes venaient teinter le sol de nuances rougeâtres, on se serait cru sur un bateau de pêcheurs ou les truites venaient d’être vidées. Il trébucha et tomba dans une fosse, tout ceux qui étaient jugés inutiles y étaient entassés. Cet atroce craquement au moment d’atterrir, la froideur de la peau qu’il touchait, cette espèce de texture entre le mou et le dur… Il s’assit, il ne pouvait ni hurler ni pleurer. C’était si froid, si infâme. Parfois quand un soldat ennemi venait, il perçait deux trois cadavres, autant pour s’amuser que pour vérifier s’il y avait quelconque rescapé. Malgré le dégoût, se confondant en excuses que les morts ne pouvaient entendre, le jeune roi se cachait sous des restes, priant que ces piètres boucliers le cachent et le protègent. Prostré dans un coin, assit, les joues creusées par les larmes désormais taries, la lumière ne faisait que rebondir sur ses yeux éteints. Quand se leva le jour, il trouva la force de mugir son malheur. Après de nombreux cris de désespoir, le précédent empereur de Jade apparut face à lui.
- Pauvre petit roi… es-tu prêt à me succéder ? Veux-tu arrêter ces malheurs ? - Je le jure ô dieu… Par toute mon âme, par tout mon cœur… Je ne peux que le jurer
Chacun de ses mots étaient emprunt au désespoir, alors l’empereur mit son mianguan sur le sommet du crâne de son successeur avant de quitter ce jeune roi à jamais. Quand le nouvel empereur se réveilla, ses vêtements étaient propres, son palais neuf, seul le silence des morts était resté.
Encore essoufflé par sa course, il regardait Guan Yu en serrant les deux poings, les yeux suppliants. La vue de tous ces corps et de ce sang lui donnait des haut-le-coeur. Les guerriers et les moyens changent peut-être, mais les résultats sont toujours les mêmes. Comment pouvait-il accepter l’existence de tels malheurs. Ses yeux furieux vinrent se plonger dans ceux de Charlemagne, le jeune roi vêtu de vert enleva nombre de ses ornements. Peu importe l’ivoire, peu importe l’or, peu importe la jade, il n’était désormais plus qu’en robe de soie dont il déchira les manches. Il n’y a que les fous pour penser être protégés par l’or, vos actes, vous les emporterez dans la tombe. Tout ce qui lui restait, c’était cette étrange épée au pommeau vert, cette étrange épée qu’il pointait sur Charlemagne.
- Je ne te connais point, ô empereur humain. Mais je ne connais que trop bien tes méthodes. Je te les ferai payer.
Charlemagne se mit à sourire, un grand sourire, le même que les enfants arborent à la présentation d’un nouveau jeu. Saisissant sa lame, il pointa cette dernière vers l’empereur de Jade.
- Je retire ce que j’ai dit petit roi, tu n’es pas un lâche. Je suis Charlemagne, empereur ! Et toi ! Qui es-tu !
Les sourcils froncés, alors qu’il serrait sa lame de toutes ses forces, l’empereur de Jade hurla son nom au travers de tout l’arène.
- JE SUIS ZI WEI. EMPEREUR DE JADE ! VOUS ETES VENUS DERANGER MA PAIX, VOUS SUBIREZ MA GUERRE.
Guan Yu ne put s’empêcher de sourire au hurlements proférés par ce nouveau seigneur. Certes la guerre était laide, certes elle n’apportait rien. Cependant, il le savait, le rôle d’un seigneur, ce n’est pas seulement de faire régner la paix ou la guerre. C’est de savoir rallier tout un peuple à ses désirs, mêmes les plus égoïstes. Croisant à nouveau le regard de Roland, le guerrier chinois aperçu le sourire que ce dernier arborait. Il brisa le silence
- Toi aussi tu te délectes de la naissance d’un empereur
- Aussi belle soit-elle, il ne peut y en avoir qu’un seul.
De part et d’autre des gradins, dieux comme humains criaient. Leurs encouragements, leurs colères, leurs larmes. Si d’un côté Liu Bei et Zhang Fei désiraient ardemment la victoire de leur frère d’arme. De l’autre c’était Olivier, Aude et Astolphe qui donnaient toute leur voix pour Roland. Pour la première fois du combat, l’endroit le plus calme et silencieux, c’était bien le champ de bataille. Chaque camp avait retrouvé des rangs corrects, les soldats de jades aidaient les combattants humains à se relever et regagner leurs troupes. Les soldats humains jetaient des gourdes d’eaux à leur ennemis afin qu’ils puissent boire. Au milieu des tourments, des malheurs, de la haine et de la boue sanguine, chacun le savait, les désirs de leurs seigneurs étaient indiscutables. Même en connaissance de cause, ils voulaient se battre, ils le voulaient car leurs armes montreraient quels hommes ils eussent été.
De chaque côté, les soldats souriant se tenaient prêts, au devant, deux rois, deux chevaliers. La mêlée allait bientôt recommencer au milieu des restes de leurs camarades et de leurs ennemis. Le roi de Jade ne pouvait s’empêcher de sourire malgré tout. Il n’aimait pas la guerre, cependant, ce nouveau courage, ses hommes croyant en lui, il le réalisait, c’était ça être un empereur.
Simultanément, les deux empereurs hurlèrent
- CHARGEZ !
Les cris des spectateurs furent aussitôt couverts par les bruits de pas, puis par le fracas des corps et des armures s’entrechoquant les uns aux autres. Alors que Charlemagne croisait le fer avec le roi de jade, il ne put s’empêcher de complimenter ce dernier
- Eh bien, tu es plus habile que je le pensais !
- Penses-tu réellement que j’ai passé des millénaires à lire et créer des stratégies ?
Charlemagne tenta un estoc rapide que Zi Wei para et dévia habilement. Si un des deux combattants était plus lourd et plus fort, l’autre plus petit profitait de son agilité et de sa finesse pour mieux se battre. Après tout il venait d’arriver sur le champ de bataille, il était encore en pleine forme. Le Franc ne pouvait s’empêcher de voir un jeune homme comme Astolphe l’affronter. Il était admiratif de celui en face de lui qui malgré la différence de gabarit refusait de reculer. Un mouvement sec de la jambe l’abaissa pour essayer une légère fente, son coup vint caresser la joue de Zi Wei. Le sang commença à perler doucement, un sang rouge qui tranchait particulièrement avec ses habits verts. Sous le coup de la colère, le jeune homme s’abaissa et avec vivacité, fila tel l’éclair droit sur Charlemagne. Ce dernier eut tout juste le temps de mettre un bras devant lui, la lame était coincée dans ce dernier, perçant sa chair, se coinçant entre les os. Jugeant inutile de retirer la lame, Zi Wei la laissa en place et dégaina une dague qui vint effleurer Charlemagne le long de l’abdomen.
- Dis moi roi des francs. Pourquoi te battre ?
- Si tu gagnes je te le dirai peut-être !
Charlemagne savait très bien pourquoi il se battait. Très jeune déjà, on ne cessait de lui répéter qu’il ferait de grandes choses, qu’il changerait le monde. Selon l’histoire, ce dernier aurait volé le trône aux enfants de son frère, Carloman. Mais la réalité était tout autre, tous voulaient que Charlemagne règne sur l’entièreté du territoire. Tous, excepté lui. Épris du combat, bagarreur, le jeune Charlemagne voulait affronter toute personne sur son chemin. La mort de son frère fut un terrible choc, ce dernier, amoureux des lettres souffla ses désirs sur son lit de mort.
- Charlemagne… Les hommes doivent lire… Non s’entretuer.
Charlemagne n’eut jamais réellement compris ce que son frère voulait entendre par là. Les humains sont ainsi faits, ils veulent régner, laisser une trace de leur vie. Il aimait se battre, et chaque fois qu’il prenait des ressources, chaque fois que son territoire grandissait, il se doutait que certains pensaient comme son frère. Il savait que ce peuple pourrait profiter de l’éducation dont son frère vantait les mérites. Ce n’est qu’au moment ou Roland et Olivier perdirent la vie qu’il comprit. Le combat est parfois injuste, les mots sur le papier eux ne mentent jamais.
Tiraillé par les batailles, jamais Charlemagne ne put apprendre à lire correctement. Il s’était juré  d’apprendre en même temps que Roland, Roland n’était plus. Les seules lettres qu’il écrirait de  son vivant seraient des lettres de sang. Au début de ce dernier combat, il avait menti. Le pari fait  avec sa femme ne consistait pas seulement à faire vivre le petit groupe ensemble, il visait aussi  à leur apprendre tout deux à lire, à peut-être enfin abandonner l’épée, même momentanément.
Repoussant le roi de jade d’un puissant coup de pied, Charlemagne sourit à pleine dent, retirant  l’épée de son avant bras avant de la jeter comme un vulgaire jouet.
- Saches juste que pour une fois, je n’ai pas envie de perdre un pari fait avec ma femme.
Plus loin sur le champ de bataille, un combat entre deux titans faisait rage. L’amplitude et la force des coups des deux chevaliers empêchaient les soldats de s’approcher. Certes la portée de la moindre attaque était colossale. Mais ce qui les empêchait de s’approcher, plus que la peur de mourir, c’était les violents déplacements d’airs qui les faisaient chanceler à chaque mouvement d’arme d’un des deux combattants.
Les deux lames créaient des étincelles à chaque coup. Les chocs raisonnaient si fort que les spectateurs venaient à s’en demander si un clocher ne tintait pas au cœur du champ de bataille. Un cri de rage de Guan Yu qui arrivait à faire ployer Roland suffisait à décrocher des hurlements de joie de son armée. Un coup de lame du chevalier faisait poser un genoux à terre à Guan Yu et son mutisme habituel disparaissait sous les applaudissements de ses hommes. Chacun tombait, mais aucun ne refusait de rester au sol, en tout cas pas trop longtemps. Leurs vêtements étaient en charpies, les corps couverts de cicatrices et de coupures en tout genre, parfois à cause de l’ennemi, parfois à cause des lames d’air que ce dernier pouvait causer. Roland jeta le reste de sa chemise déchirée qui ne faisait que le gêner
Du côté des spectateurs, Aude regardait le combat avec grand intérêt avant de timidement tirer la manche de son frère ainé
- Olivier… penses tu que je peux faire peindre Roland dans cet état et dans cette pose ?
Souriant, Olivier ne savait pas qui allait causer sa deuxième mort, Roland, ou sa sœur. Astolphe, derrière Aude proposa à son tour
- On peut en faire plusieurs exemplaires même !
C’était définitivement Astolphe qui le tuerait.
Roland était en mauvaise posture. Il était plus fatigué que Guan Yu, et le sang perdu par le premier coup qu’il avait subi commençait peu à peu à rendre son esprit plus nuageux. Il ne sentait plus d’odeurs, la douleur lui paraissait étrangère. Il ne voyait plus que l’homme en face de lui, il en avait même oublié son roi. Ironiquement, sa vitesse de réaction et sa force étaient décuplées. Dans les gradins, Olivier oublia assez vite sa sœur et Astolphe.
- ça a commencé.
Goll encore à leur côté se mit à sourire
- C’est pour ça que je l’ai choisi !
Roland, dans une posture quasiment animale sauta sur Guan Yu pour y asséner plusieurs coup de lame. Ses deux jambes venaient entourer le torse du guerrier, il frappait de toutes ses forces tandis que l’autre bloquait tant bien que mal avant de repousser le chevalier.
- Eh bien ! C’est comme ça que les chevaliers se battent ?
Roland atterrit à quatre pattes et conserva cette posture. Ses deux mains par terre, serrant la lame contre le sol. Un léger bond en arrière, et il sauta à nouveau en direction de l’autre. Sa gigantesque épée tenue à une seule main, la deuxième paume tendue devant lui servait à viser son ennemi. Guan Yu bloqua le coup avec le manche de sa lame. Agilement, Roland qui venait de de coincer son épée dans la parade de Guan Yu posa le pied sur sa propre lame et poussa cette dernière avec. Le coup força Guan Yu à poser le genou à terre. Sentant la prise de ce dernier faiblir, Roland releva son arme avant de la rabattre vers le bras du guerrier, ce dernier fut sectionné au niveau du poignet.
Grognant de douleur, de sa main restante Guan Yu écrasa son poing contre le visage de Roland, qui éjecté planta sa lame au sol afin de ne pas reculer trop loin. Il le sentait, la force du coup encaissé au début du combat avait disloqué un de ses bras, c’est comme s’il était redevenu manchot. Guan Yu souffla bruyamment avant de défaire le nœud qui coiffait ses cheveux. Avec les dents et sa main valide il serra de toutes ses forces ce garrot de fortune autour de son poignet coupé.
Guan Yu serra sa lame à une main et prit une nouvelle posture, tournoyant sa lame, il fonça droit sur Roland, ce dernier n’avait jamais vu tel art du combat. Un coup de pied dans sa jambe venait le faire tituber, puis un coup de pommeau au thorax le faisait tomber à la renverse. C’est au dernier moment, sur le dos que Roland eut l’instinct de rouler sur le côté. Le deuxième pied de Guan Yu vint s’écraser à son emplacement initial, s’enfonçant dans la terre.
A peine eut-il le temps de se relever que Guandao adverse venait lui entailler une cuisse dans un revers. Les deux combattants ressemblaient plus à des barbares qu’à des chevaliers. Plus personne ne leur en tenait rigueur. Ils le savaient, le prochain coup serait le dernier. Se remettant difficilement en garde, chacun se mit à courir droit sur l’autre, sans artifice ni concession.
Guan Yu pris l’initiative. Son pied vint frapper le coude de Roland si fort que l’épée de ce dernier s’envola au dessus d’eux. Alors que sa lame venait érafler le visage de son ennemi, quelques mèches de cheveux tombaient. Roland sauta avec élégance sur le bras encore tendu de sonadversaire, leva son bras valide, puis avec grande difficulté le deuxième bras, sa lame atterrit pile entre ses mains, il serrait de toutes ses forces, ses paumes saignant à nouveau, cette fois ci, il ne lâcherait pas. Guan Yu lui saisit la jambe pour le lancer au sol, espérant l’écraser au passage. A l’instant où Guan Yu amena le chevalier au dessus de sa tête pour mieux le projeter par terre comme un sac de pommes de terre. Roland, encore cramponné à sa lame se laissa s’écrouler sur son rival, plantant de toutes ses forces son épée dans le cou de son adversaire qui ne voulait pas lâcher prise. Au moment fatidique. Les deux tombèrent au sol dans un bruit sourd. Tant bien que mal, l’homme se releva le premier, se reposant sur sa lame, au bord de la mort.
Tous les spectateurs retenaient leur souffle, les soldats ne bougeaient plus. Roland avait  gagné ? Le combat était terminé ? Zeus applaudissait déjà la fin du combat alors que Zhang Fei  et Liu Bei sentaient les larmes leurs monter aux yeux.
Guan Yu ne se releva pas, son corps se désagrégeait alors qu’il regardait Roland, un fin sourire  se dessinant sur son visage. L’homme debout pris parole
- Tes crocs étaient tranchants.
Charlemagne encore en plein combat avec l’empereur de Jade vit le corps de ce dernier disparaître petit à petit à son tour, son âme était liée à celle de Guan Yu, c’était la règle pour ce Ragnarök. Dans ses derniers instants, le roi de Jade observa Charlemagne.
- J’aurais aimé croiser ta lame un peu plus longtemps.
Charlemagne regardait cet étrange roi sourire une dernière fois. Il se contenta de rire.
- Pari gagné, si je gagnais ce combat, je devais apprendre à lire sérieusement, j’ai toujours détesté les études.
Dans ses derniers instants, le roi de Jade ne put s’empêcher de rire en entendant une raison aussi puérile et enfantine. Ils étaient vraiment opposés.
Nettement moins blessé, Charlemagne s’empressa de courir auprès de son chevalier qui tenait debout plus par fierté que par réelle capacité. Saisissant le bras valide de ce dernier pour le faire passer par dessus sa nuque, il aida Roland à se tenir debout.
- Messire… Ce combattant… C’était un excellent chevalier.
- Je sais Roland… Je sais…
Le cor d’Heimdall résonna dans toute l’arène, ce dernier prit parole.
- Je n’ai pas pu beaucoup commenter cet affrontement à cause des nombreux événements,  mais mesdames et messieurs ! Quel combat ! Ce Ragnarök s’annonce incroyable ! L’humanité  arrache sa première victoire !
Roland avait gagné. Le premier combat était terminé. Peut-être le chevalier cette fois ci pourra  couler des jours heureux auprès des siens. Repensant de temps à autres à ceux tombés lors de  sa dernière bataille.
Dans sa chambre d’infirmerie, deux silhouette inconnues accompagnées par Göll se postèrent  devant Roland. Il s’agissait de Zhang Fei et Liu Bei. Liu Bei prit la parole
- Dans notre pays nous avons appris à ne jamais en vouloir à ceux qui tuaient les nôtres… S’il vous plait. Gardez la lame de Guan Yu, vous êtes le seul capable de la porter.
Roland accepta le présent sans rien dire. Il avait remarqué les marques d’ongles sur les poings des deux visiteurs, leurs yeux rougis et irrités, leurs gorges nouées.
- Vous savez… Chez moi, quand un ami meurt, on a le droit de le pleurer et de maudire son assassin…
Les deux compères se retournèrent pour partir. Après un long soupir étouffé, Liu Bei s’apprêtait à ouvrir la bouche, Zhang Fei l’interrompu en reniflant avant de parler.
- Comment en vouloir à un homme qui fit sourire Guan Yu à la fin.
Ils emboîtèrent le pas pour partir, levant la main en guise d’adieu. Le chevalier regarda la jeune demoiselle en face de lui, frêle, les cheveux coupés courts, en bataille, c’était grâce a cette petite Valkyrie qu’il avait survécu, elle avait quelques bandages mais semblait plus en forme que lui
- ça va petite ?
- Oh oui monsieur ! Ce combat était incroyable ! Merci pour tout mais je suis un peu fatiguée je dois bien avouer !
Ne disant rien de plus, Roland ferma les yeux en même temps que la jeune valkyrie, tout deux avaient besoin de repos. Ses compagnons qui venaient d’arriver ne pouvaient se résoudre à les réveiller. Charlemagne ouvrit la porte, il était étonnamment silencieux. Quelques pas le posèrent en face de son chevalier et de son arme. Il posa un livre sur leur chevet avant de partir.
Des bruits de pas résonnaient dans les couloirs du Valhalla. Göll ouvrit une grande porte. Un jeune homme fumait la pipe, ses cheveux bruns plaqués en raie sur le côté. Il discutait avec un autre homme au crâne rasé, arborant une épaisse barbe. La valkyrie fit une légère courbette
- Excusez moi messieurs. Sir Tolkien, c’est à votre tour.
Le fumeur reposa sa pipe, soufflant un peu de fumée avant de se relever, il tendit la main a l’homme face à lui
- Monsieur Lénine, ce fut un plaisir, je ne suis donc pas le seul à partager ces points de vue sur votre successeur !
L’autre homme, plus taciturne serra la main en hochant la tête, les yeux déterminés. Tolkien se retourna et suivit la Valkyrie
- Eh bien mademoiselle, les gens ici sont tous forts intéressants ! Par quels mots saurez-vous me convaincre de me battre dès maintenant ?
Chapter 4: Barrières de la langue
Summary:
Tolkien va faire face à son futur adversaire
le deuxième round de ce Ragnarok va commencer ! qu'est ce qui attend le linguiste ?
Chapter Text
De tout son calme, Tolkien marchait au côtés de Goll, ce dernier avait pris soin de bien étouffer sa pipe avant de la ranger dans la poche de son manteau. Il posa les yeux sur la demoiselle qui faisait aux alentours de sa taille avant d’ouvrir la bouche.
- Ma chère, je me doute que bon nombre de mes collègues vous ont posé cette question, mais pourquoi m’avoir choisi en particulier
La valkyrie, dans un rictus légèrement amusé s’arrêta de marcher avant de plonger ses yeux droits dans ceux du linguiste.
- Vous êtes donc au courant ?
- Que le thème de ce combat n’est pas langue mais bien « écrit » ? Vous êtes bien trop maline pour accepter de jouer sur les mots avec moi.
Il était en effet plusieurs candidats que Goll avait considérés, elle connaissait déjà les règles de ce combat. Au moment ou ces dernières lui étaient parvenues, la Valkyrie s’arrachait les cheveux en retournant ces mots dans tous les sens. Les règles étaient longues, et surtout elle ne le savait que très bien, elles étaient particulièrement réfléchies. De manière à ce qu’uniquement quelqu’un maîtrisant les mots puisse en comprendre les aspérités. De nombreux noms lui étaient venus, Lovecraft ? Ses créations auraient été efficaces pour ce cas de figure, mais elle savait via les règles que ce dernier aurait été impuissant. Peut-être Kafka alors, l’atmosphère de ses écrits pouvait s’avérer cruciale pour ce combat. Puis, en réalisant qui était l’adversaire maître de cette épreuve, la valkyrie ria. Ça devait être Tolkien, nul autre n’aurait fait l’affaire. Les yeux encore figés dans ceux de l’humain, la demi-déesse prit parole à nouveau.
- Car il n’y a que vous qui puisse toucher ce dieu.
Tolkien se mura dans le silence, pensif. Vers la fin du couloir, une figure familière se dessina en face d’eux. La demoiselle était grande et svelte, sa peau nacrée. Remontant ses grandes lunettes, ses cheveux étaient coiffés d’un chignon en bataille. Cette nouvelle interlocutrice se hâta avant de trébucher et de tomber à la renverse comme Goll le faisait par le passé. Aidant à la relever tout en rigolant, son aînée la rassura du mieux qu’elle put.
- Eh bien Sigrún, nul besoin de courir, le combat ne débutera pas sans toi.
Contrairement à Roland, Tolkien connaissait déjà sa valkyrie… Tous les autres combattants en réalité les connaissaient déjà. Goll n’avait pas voulu reproduire les paires forcées que sa sœur avait pu créer par le passé. L’écrivain, souriant comme à son habitude tendit la main à Sigrún.
- Nous ne nous étions pas vus depuis notre dernier thé. Avez vous apprécié le livre que je vous ai offert ?
Secouant vivement la tête, encore un peu timide, la valkyrie saisit cette main tendue précipitamment.
- O-oh oui monsieur ! Cet univers était si chatoyant et vivant, je voyais chaque mot se dessiner devant mes yeux comme par magie !
Elle tendit à deux mains ce livre que lui avait prêté Tolkien, ce dernier rigola légèrement avant d’emboîter la marche, passant à côté d’elle.
- Vous me le rendrez lorsque nous aurons remporté ce combat, chère Victoire.
Sigrún ne put s’empêcher de sentir ses joues brûler à l’écoute de ce surnom. Balbutiant légèrement, la valkyrie s’empressa de se remettre au côté de Tolkien et Goll, marchant à leurs côtés. Se tenant les joues, regardant à gauche et à droite. Il était hors de question que les spectateurs la voient de cette manière. Inspiration, expiration, claque aux joues. Les deux autres sursautèrent en entendant les le bruit secs de ses mains frapper son visage. Au moment de baisser les yeux vers elle, la valkyrie avait déjà retiré le ruban qui la coiffait et ses épaisses lunettes. Elle paraissait différente, si belle, si froide. Goll ne pouvait retenir une expression trahissant sa mélancolie, la personne en face d’elle, on aurait dit Brunhilde.
- Bon, je vous laisse monter dans l’arène ! Offrez-nous un beau combat… Et une belle victoire. Elle fit un léger clin d’œil avant de s’éclipser pour de bon, direction les gradins.
Un peu plus tôt au même moment, encore choqués par la victoire du camp adverse, les dieux s’étaient réunis. Même s’ils ne participaient pas, les grecs avaient par habitude accueilli le groupuscule dans leurs quartiers. Zeus, se caressant la barbe observait les quelques personnes qui l’entouraient.
- Eh bien eh bien… A part les quelques esprits libres habituels, vous semblez tous présents ! Hermès, dans sa tenue habituelle de majordome reprit son aïeul
- Seigneur Zeus, moins de la moitié des combattants se trouve face à nous
Le plus vieux croisa les bras, il boudait. Au bout de quelques secondes, le bras et le poing de ce dernier se mirent à grossir à vue d’œil. Il abattit ce dernier sur la table. Pour une fois cette dernière survécu au choc. En revanche, le bruit ressemblait à un réel coup de tonnerre
- Oui eh bien ce n’est pas moi qui ai choisi les dieux cette fois ci, donc on ne se plaint pas.
Ares comme à son habitude était figé. Malgré son statut, ce dernier était toujours intimidé par les dieux choisis lors du Ragnarök. Certes il avait confiance en ses capacités, mais il n’était pas complètement idiot pour autant. Il lui était impossible de pouvoir affronter un de ces dieux. S’essuyant le front avec un mouchoir, il était plutôt soulagé de voir que ceux considérés comme les plus forts de ce Ragnarök étaient absents. Enfin, il était plutôt rassuré de voir que les fauteurs de troubles étaient absents. Zeus s’arrêta de bouder et de grommeler, il reprit parole, calmé
- Cette fois ci. Il n’a pas été question de sous estimer les humains. En revanche, nous avons fait face à un nouveau problème. C’est les nouvelles règles de ce Ragnarök que nous avons sous estimées.
Hermès posa la main sur la table, époussetant légèrement les quelques éclats que Zeus avait causé. Il admira la poussière danser quelques instant avant de prendre la parole à son tour.
- Plus encore. Méfiez vous de Goll. Beaucoup ici pensent faire face à quelqu’un comme Brunhilde, il en est tout autrement. Elle n’a rien à perdre, elle n’a pas un plan final comme c’était le cas pour Brunhilde. Et surtout… ça ne la dérange plus de voir ses sœurs mourir. Elles sont toutes devenues de véritables combattantes désormais.
Les dieux cerclés autour de la table avaient gardé silence durant toute cette introduction. Du début comptant les frasques de Zeus, à la fin du discours d’Hermès. Le plus sage d’entre eux, sceptre encore en main s’appuya sur ce dernier pour se hisser et se relever
- Je savais depuis bien longtemps à quoi m’attendre. Cette Valkyrie est prête à tout et n’a plus peur de rien. Elle préfère choisir ses combattants par instinct que par raison pure. C’est bien ça qui est dangereux.
L’homme quitta la pièce, boitant légèrement, encore appuyé sur cet étrange sceptre cerclé par un serpent vert. Au moment où la porte se referma derrière lui, une autre silhouette bondit de sa chaise comme un diable mécanique. Son allure de faux duc lui donnait des airs de proxénète, un cigarillo entre ses lèvres appuyait davantage ses traits parfaitement androgynes. Remettant ses cheveux blancs et éparpillés en arrière, on distinguait mieux ses yeux, quelques volutes de fumée terminaient leur danse devant ses prunelles. Ses iris étaient pâles, de prime abord on aurait pu croire qu’il n’y avait qu’un point noir au centre de ses yeux, mais en réalité, ses iris étaient cerclées de cet étrange blanc. Les motifs, cet aspect laiteux, voir gélatineux donnaient l’impression de voir de la semence emprisonnée dans ses globes oculaires. Un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres au moment où il écrasa son cigarillo sur la table avant d’éclater de rire.
- Et alors ? C’est que des putains d’humains. Le seul truc intéressant chez eux c’est de les baiser et de les traiter comme des chiens.
Une voix enjôleuse et particulièrement douce qui tranchait avec les mots qui en résonnaient. Cet étrange personnage remis sa veste à fourrure en place avant de quitter la pièce en faisant un signe de main
- Vous ne vous inquiétez pour rien ! Ciao les chouchous !
Les autres silhouettes commençaient à se regrouper pour quitter la pièce à leur tour. Elles  n’avaient rien à ajouter, ni rien à débattre. De toute manière, la plupart l’avait compris dès la fin  de ce premier round. La force n’allait absolument pas primer durant ce Ragnarök, il allait falloir  être bien plus intelligents et bien plus fins. Une dernière personne cependant retint l’attention  des dieux grecs. Il n’avait pas quitté sa chaise, absorbé par quelque chose de totalement  différent de cette réunion.
En tailleur, son immense collier était attaché au masque qui semblait littéralement enfoncé  dans son crâne. Ce dieu silencieux ne paraissait même pas s’être rendu compte de la fin de  cette réunion d’urgence. Il tenait un livre dans une main, le lisant méticuleusement et tournant  une page de temps à autre. De son autre main, il écrivait en même temps. Ce n’est qu’au  moment ou Hermès tapota légèrement le bec de son masque d’Ibis que le dieu leva la tête et  que ses yeux d’un noir profond rencontrèrent ceux de son interlocuteur. Il resta silencieux,  Hermès parla le premier.
- Messire Thot, la réunion est terminée
- Tout est écrit.
- Et vous comptez restez ici encore longtemps ?
- Quelques pages.
Hermès soupira, cette situation était plutôt fâcheuse, c’était au tour du dieu égyptien de combattre et de rentrer dans l’arène. Il fallait donc que ce dernier se hâte un peu, certes le combat n’allait pas commencer sans lui, mais il n’était pas non plus pertinent d’arriver en retard. Arriver en retard, c’est donner à l’adversaire le luxe d’établir un plan ou au moins d’y songer. Thot soupira, apposa soigneusement un marque page, puis ferma le livre avant de le poser sur la table
- Je le finirai après.
Pour le scribe, il n’était même pas question d’arrogance ou de confiance en soi. C’était bien pire, la défaite n’était même pas envisagée. Ce Ragnarök n’avait rien d’intéressant, cet humain non plus. Malheureusement, le thème « écrit » était un de ceux de la liste, et aucun autre dieu n’était meilleur que lui dans ce domaine. L’ibis quitta la salle à son tour, dans son mutisme caractéristique.
Hermès soupira, ce combat allait définitivement être aussi intéressant que compliqué à suivre.
L’arène avait changé de structure. Le champ de bataille herbu et boueux avait disparu au profit d’un stade des plus classique. Sol en dalles de pierres tout à fait lambda, on aurait presque cru voir le carrelage d’une vieille cuisine. L’arène était un rond parfait. De nombreux dieux se surprirent à sourire de nostalgie et de mélancolie en revoyant cette arène si caractéristique au premier Ragnarök. Une exception cependant ne tarda pas à se faire remarquer. Les deux extrémités de l’arène se voyaient affublées d’un bureau. Un bureau en bois tout ce qu’il y avait de plus simple, une énorme pile de livres se trouvait autour de ces derniers. Le premier qui entra sur le champ de bataille était Tolkien, pile à l’heure, comme le veut la norme des gentlemen. L’écrivain lorgna sa montre à gousset avant de la ranger dans son costume. Il n’allait pas se plaindre du retard de son adversaire, car après tout ça l’arrangeait. Observant un peu le bureau, le britannique analysait tout ce qui s’y trouvait, un simple stylo pour écrire, quelques feuilles de papier. Il huma légèrement l’air, cette odeur de vieux livre l’aidait à s’apaiser légèrement. Puis, il remarqua les multiples piles de bouquins, caressant les couvertures de ces derniers, il lisait doucement ce qui y était écrit au dos.
- Des dictionnaires…
Pas un mot de plus. L’homme s’assit sur son bureau avant de ressortir sa pipe. Le mélange de senteur des vieux livres, de leurs couvertures en cuir mêlé à la fragrance de l’encre fraîche et à l’arôme du tabac froid permettait à Tolkien de se sentir comme chez lui. Quelques petites pierres jonglaient et émettaient un léger tintement dans sa poche. Plongeant sa main à l’intérieur, il sortit ces étranges cailloux tous marqués. C’étaient des runes. Avec soin, Tolkien disposa chaque rune sur son bureau. Il ne savait pas comment ce combat allait s’articuler, alors autant être correctement préparé. C’est au moment ou il s’apprêtait à allumer sa pipe avec une allumette que la foule se fit bruyante. Thot arrivait. L’écrivain se résigna à allumer son tabac
- Même le retard ils arrivent à le manquer…
Amusé, il resta assis sur son bureau, jambes croisées, mains jointes au niveau de son genou supérieur. Il attendait patiemment le commentateur de ce match.
A son opposé, Thot lui était droit, il n’avait même pas pris la peine d’étudier son environnement, il savait déjà ce qui s’y trouvait, bras croisés, il patientait également.
Ce fut au tour d’Heimdall d’arriver, ce dernier sortit un long manuscrit avant de se gratter la tête. Il fallait sérieusement lire tout ça ? Les dieux étaient capricieux, il le savait. Mais des règles aussi longues et complexes allaient endormir la foule. Certes un combat d’écriture n’est pas ce qu’il y a de plus divertissant ou palpitant, mais à ce niveau, c’était cruel pour les amateurs d’action. Une main déroula le parchemin qu’il tenait tendu face à lui, l’autre main tenait son Gjallarhorn en face de sa bouche
- Mesdames et messieurs ! Je vais dès à présent vous expliquer les règles de ce deuxième round du Ragnarök. Comme vous le savez, cette édition est différente de la première, ainsi les combats diffèrent aussi. Si lors du premier round les différences étaient assez aisément remarquables et peu subtiles, cette fois ci les conditions sont bien plus spécifiques, je vous demande donc votre attention.
Certains spectateurs commençaient déjà à bailler d’ennui. Mais les deux combattants eux, n’avaient pas bougé d’un pouce. Tolkien souriait en regardant le commentateur. Thot restait bras croisés, les yeux cachés par son masque d’ibis
- Ce jeu a été imaginé par monsieur Thot ici présent, le camp humain a pu lire les règles avant de les valider lui aussi. Ce parti avait droit d’y émettre les changements qui lui paraissaient de rigueur, de manière à rendre ce combat le plus équitable possible.
Goll dans les gradins riait en entendant Heimdall, les humains autour d’elle protestaient déjà à l’injustice de ce jeu. La valkyrie prit parole
- Des règles créées par Thot seront impartiales et parfaitement justes, n’ayez crainte. Cependant, il faudra bien comprendre le sens de ces dernières.
Heimdall observa les deux camps, silencieux, s’assurant que tout le monde était enfin muet et plus ou moins attentif. Un raclement de gorge se fit entendre, il allait commencer la lecture. Le dieu commença son interminable énumération de règlements et de clauses en tout genre.
- Ce combat porte sur l’écriture, mais surtout sur les mots. Chaque combattant se battra à tour de rôle. Lorsqu’un combattant prononce un mot, ce dernier qu’il soit une action, un événement, se produit, ou dans le cas d’une entité, se matérialise, les combattants peuvent se battre directement s’ils en ressentent le besoin.
Règle numéro une : Tous les langages sont autorisés, cependant, les langages ne peuvent être  utilisés qu’une fois par combattant. Si vous réutilisez le même langage, votre tour est annulé
Règle numéro deux : Les événements ou toutes autres créations liées à des mots peuvent  interagir entre eux.
Règle numéro trois : Lorsque vous terminez un mot, votre adversaire doit prononcer un mot  commençant de la même manière dont vous avez terminé votre mot.
Règle numéro quatre : Il est impossible d’utiliser un mot afin qu’il agisse directement sur votre  adversaire. Si vous utilisez le mot « meurtre » à son encontre par exemple, votre tour est annulé.  La seule manière de toucher votre adversaire, c’est via des effets détournés, de la même  manière des mots comme « asphyxie » ne permettent pas de contourner la règle.
Règle numéro cinq : Si vous ne pouvez prononcer le mot désiré, vous avez le droit de l’écrire,  l’inverse est également possible.
Règle numéro six : Le pouvoir des mots est porté à une certaine limite inhérente à l’arène. Si  votre invocation est jugée trop puissante, cette dernière verra son pouvoir réduit pour concorder  aux autorisations de l’arène.
Règle numéro sept : Il est impossible de prononcer un mot permettant de voler un tour, s’ajouter  un tour, annuler le tour de votre adversaire ou le votre. Vous devez jouer quoi qu’il arrive.
Règle numéro huit : Il est interdit d’invoquer un dieu ou un combattant dans cette arène, toute  personne ou dieu ayant réellement existé ne peut apparaître ici.
Règle numéro neuf : Est considéré comme mot valide tout mot étant déjà apparu dans un livre et  ou ayant été prononcé avec une volonté de lui donner un sens.
Règle numéro dix : interdiction de créer un nouveau mot au cours de ce combat. Règle numéro onze : Interdiction de créer une nouvelle langue au cours de ce combat. Règle numéro douze : Les mots prononcés ont un impact seulement dans l’enceinte de l’arène
Règle numéro treize : un mot lié à un évènement ne peut avoir d’incidence que sur les mots  prononcés avant lui, afin d’éviter de tout bonnement bloquer le jeu
Règle numéro quatorze : Si un alphabet n’ayant plus de traduction possible, n’ayant plus de  prononciation phonétique connue est utilisé, alors le mot peut faire entorse à la règle numéro 3
Heimdall reprit son souffle, de nombreux dieux semblaient relativement confiant après cette énumération de règles. Si ces dernières avaient été créées par Thot lui même, alors elles lui étaient forcément avantageuses ! En plus de ça, ce dernier ne laissait rien au hasard, il était donc évident que le moindre petit règlement allait avoir une importance ou une incidence directe sur ce combat. Le commentateur reprit parole
- Est-ce que toutes les règles ont bien été comprises ? Alors je déclare le début de ce com-
Une puissante voix retentit avant qu’Heimdall finisse sa phrase et ne déclenche le début de ce duel à mort linguistique.
- ATTENDEZ !
Tolkien n’avait pas bougé d’un cil, et cependant, c’était bien lui qui avait parlé avec cette force particulièrement étonnante au vu de sa carrure. Le britannique soupira légèrement, se gratta la tête puis posa les yeux sur son adversaire qui semblait le fixer sous son étrange masque. Une idée avait germé dans l’esprit de Tolkien
- Monsieur Heimdall, Vous ne nous avez pas présenté ni mon adversaire ni ma personne, de plus j’aimerais pouvoir échanger quelques mots avec ce dernier avant de nous entre-tuer. Nous ne sommes pas des barbares après tout. Y consentez-vous ?
Visiblement troublé, Heimdall à cause de ces étranges règles et de la particularité de ce combat en avait oublié de faire correctement son travail. Il n’avait présenté ni Tolkien, ni Thot, se confondant en excuses auprès des combattants et du public, le commentateur se ressaisit.
- A ma gauche ! Du côté des humains ! Est-il le meilleur romancier, a-t-il créé le meilleur univers  de fiction ? De nombreux vous diront oui ! Père de la fantaisie humaine et moderne, linguiste et  poète avéré, mesdames et messieurs ! J.R.R Tolkien !
La foule humaine surgit dans un brouhaha impressionnant. Visiblement Tolkien déchaînait bien  des passions, de nombreux humains adoraient son œuvre et son travail. Certains dieux étaient  même étonnés de voir quelques uns de leurs confrères applaudir eux aussi. L’œuvre de  l’humain avait fini par rejoindre les cieux, et quelques dieux s’étaient vus charmés par sa plume.
Très calme, Tolkien se releva et fit quelques courbettes à l’intention des spectateurs, la politesse était chose importante. Une fois la foule calmée et silencieuse, Heimdall reprit son discours
- Et à ma droite ! Du côté des dieux ! Père de l’écriture, dieu des écrivains, de la connaissance en tout genre. Il s’était retiré des années durant pour se consacrer aux mots, laissant à sa fille son travail ! Arborant son légendaire masque d’Ibis, est-il réellement nécessaire de présenter un des juges des morts ?! Mesdames et messieurs ! Thot !
Cette fois ci c’était le camp des dieux qui se leva comme un seul homme. Ces derniers applaudissaient, sifflaient. Visiblement Thot était apprécié, et pour cause, ce dieu était sans doute un de ceux ayant le plus apporté au royaumes divins. On lui devait même l’écriture de la constitution du Valhalla, constitution ayant amené la paix entre les panthéons. En somme, ce dieu avait tout d’un travailleur de l’ombre, dédié à son travail et ses passions. Cependant, les bruits de claquements, le cri perçant d’une foule devenue unique dérangeaient le dieu au plus haut point. Ainsi ce dernier leva simplement ses deux mains pour se couvrir les oreilles. Il n’avait pas besoin de ces encouragements, il s’en fichait, il était là car il devait être là. Bien gênée, la foule se mura dans le silence, honteuse d’avoir dérangé le dieu. Ce dernier leva et agita simplement la main en réponse. Thot n’était certes pas le plus chaleureux des dieux, mais le penser dénuer de sympathie, c’était se tromper.
Heimdall, fier de ses présentations, et surtout plutôt ravi d’avoir permis à la foule de se réveiller un peu reprit sa corne avant de vociférer et postillonner dedans
- Mesdames et messieurs ! Le deuxième combat de ce Ragnarök, Thot contre Tolkien peut comment- !
La même voix que la première fois l’arrêta de nouveau dans son élan, impossible de finir cette phrase
- ATTENDEZ !
Heimdall commençait à s’agacer. La lecture des règles s’était avérée soporifique, son erreur initiale l’avait bien gêné et en plus de ça il se faisait interrompre et tourner en ridicule sans cesse. Ainsi, vexé, il répondit.
- Quoi encore ?!
Tolkien leva gentiment la main
- Vous m’aviez promis la possibilité d’échanger quelques mots avec mon adversaire avant le combat. Il ne faut pas revenir sur ses paroles vous savez !
Cette fois ci c’était trop. Heimdall avait nettement l’impression qu’on se moquait de lui, pourtant cet humain avait raison, il lui avait accordé ce privilège. Si Heimdall refusait désormais, il allait avoir l’air encore plus idiot. Cet humain savait utiliser les mots, c’était un fait, l’arbitre se résigna donc.
- Soit… Allez y.
Le linguiste, ravi d’avoir eu gain de cause remit en place son costume. De son grand sourire, il traversa l’arène, le pas décidé. Une fois arrivé face à son futur adversaire, toujours aussi avenant, Tolkien lui proposa de tout son naturel
- Cher Thot ! Que diriez vous de partager une bière avant de se battre ? Le thé réchauffe les cœurs, mais la bière rafraîchit l’esprit, et nous aurons bien besoin de cet esprit pour nous battre ! J’ai ouïe dire que l’Egypte antique était un des pays qui avait créé la bière. J’ose donc espérer que vous en êtes amateur !
Heimdall, les gradins, les dieux, les humains. Tout le monde était soufflé par l’aplomb de cet humain. Non seulement il s’adressait à un dieu de cette manière, mais en plus de ça, pour lui proposer une beuverie ? Deux personnes uniquement riaient à en tomber à la renverse, Goll et Hermès. Après quelques instants de silence, Heimdall se décida à objecter.
- Mais enfin nous !
- Entendu.
Thot avait répondu. Favorablement en plus de ça. Le culot de cet humain était outrageant, mais la réponse du dieu était tout bonnement choquante. Deux serveuses s’empressèrent d’apporter leurs boissons à chaque homme qui était parti regagner sa place. Et étonnamment, aucun d’entre eux ne prononça le moindre mot en buvant. Tolkien était en train de réfléchir. Les bulles dansaient et pétaient les unes après les autres dans la mousse qui venait couronner sa boisson couleur or, les mécaniques de son esprit cliquetaient déjà.
« Bon… Il a souri et a accepté ma proposition, il sait très bien ce que je voulais dire en parlant d’esprit, il y a donc plusieurs cas de figure possibles. Le premier c’est qu’il est réellement sûr de gagner, auquel cas, je ne l’ai pas déstabilisé du tout. La deuxième possibilité c’est qu’il se veut relativement juste et donc me laisse ce laps de temps pour réfléchir à ces règles. Le troisième cas de figure c’est qu’il a accepté uniquement pour me déstabiliser moi, et c’est un bluff. »
La généreuse mousse de la bière fit une moustache blanche au linguiste alors que ce dernier déglutissait ses quelques lampées. Il se lécha le haut des lèvres pour chasser cet écume. Son esprit était lancé, il n’allait pas arrêter cette machinerie infernale aussi vite.
« Récapitulons les règles. On ne peut pas utiliser plusieurs fois la même langue, mais est-ce que les dialectes comptent comme langues à part entière ? Je dois faire attention à ça… Tout peut interagir, donc un mot peut être utilisé pour en annuler un autre, il n’y aura pas de coup décisif, il faut réussir à construire le meilleur schéma possible pour gagner… La règle numéro trois est énoncée différemment. Il n’est pas question de lettre mais bien de manière de faire, il a pris en compte les alphabets et phonétiques différentes. C’est d’ailleurs ça l’intérêt de la quatorzième lettre, l’égyptien antique... Il s’est attendu à ce qu’on puisse s’interdire la possibilité de parler ou écrire, mais on ne peut agir directement sur l’autre, ça cache quelque chose ça… Si on ne peut invoquer ni dieu ni combattant, ça veut dire qu’on peut invoquer d’autres choses, ça c’est plutôt intéressant, est-ce que ça marche donc avec des noms propres ? Visiblement on ne peut pas agir sur les tours en eux même, c’est malin... Et enfin cette règle de création… Les mots valise doivent donc être acceptés. Bon, il n’y a qu’un moyen pour vérifier mes théories. »
Tolkien posa son verre vide sur son bureau, Thot avait déjà fini sa bière depuis quelques temps.  Le linguiste s’étira un peu alors qu’Heimdall annonça le début du combat et offrit le premier tour  à l’humain qui avait gagné au pile ou face.
L’humain se gratta un peu la nuque avant de prononcer un unique mot.
- Balrog.
Les runes sur son bureau se mirent à briller, le démon de ses livres apparut tout droit sorti des  enfers, la chaleur augmentait drastiquement. On pouvait donc bel et bien y invoquer ce genre de  monstre. Thot, parfaitement calme répliqua aussitôt.
- Gandalf.
Le mage apparut à son tour avant de disparaître avec le Balrog dans un énorme gouffre tout juste creusé sous leur pieds, la scène elle même avait changé via l’interaction de ces deux mots. Ce combat allait être intéressant.
Chapter 5: Incompréhension
Summary:
Le deuxième combat de ce Ragnarok commence !
Comment Tolkien va-t-il interpréter et utiliser les règles de Thot ?
Chapter Text
Une grande fissure fractura le sol de l’arène, à l’intérieur s’affrontaient le démon sorti tout droit des enfers ainsi que le mage gris. Tolkien, bras croisés sentait son esprit s’accélérer et sa réflexion se hâter à chaque seconde. Il n’y avait aucune règle qui stipulait que le temps limitait un tour ; pour autant, agir rapidement et avec discernement était la meilleure manière de déstabiliser son adversaire. Pensif, Tolkien en position digne de Rodin étudiait déjà le prochain coup.
« Les noms propres comptent et fonctionnent donc. Mais quelle langue à été utilisée, celle de mon écrit, l’anglais ? Ou bien est-ce celle interne à mon univers, et donc peut-être du sindarin ? »
Soupirant légèrement. Tolkien lança un regard vers son adversaire, toujours aussi stoïque ; ce maudit masque empêchait de deviner son expression ou même son regard. Il fallait se rendre à l’évidence, il ne tirerait rien des réactions du dieu qui lui faisait face. Le combat avançait petit à petit, et Tolkien le savait, à terme, Gandalf reviendrait et allait être un adversaire compliqué s’il se trouvait face à lui. Fallait il viser la surenchère en invoquant d’autres créatures de son univers, bien plus puissante ? L’écrivain se grattait le menton.
« Shelob c’est pas la peine, Ungoliant, Morgoth n’en parlons pas... Ils se retourneraient contre moi à un moment ou un autre et de toute façon les noms ne fonctionneront pas cette fois ci. Je devrais peut-être invoquer un autre mage plus puissant que Gandalf, mais aucun nom ne me semble adéquat… Le plus logique serait Fëanor, il est linguiste comme moi, ça ferait un deux contre un en ma faveur, mais il serait trop impétueux… Il faut que j’évite de trop utiliser mon univers, je n’ai même pas la garantie que ces mots fonctionneront. Je le savais j’aurais dû mettre en place un terrain propice avant toute chose… Bon, faisons table rase. »
Toujours aussi digne et d’apparence calme, Tolkien rigola légèrement en observant les flammes danser devant ses pieds, là ou deux de ses créations s’affrontaient. Il fit signe à Thot, ce dernier répliqua
- Tu m’interroges sur la possibilité de parler sans perdre un tour, tu te poses bien des questions.
Tolkien fit un rictus, il s’en doutait, il n’aurait pas de réponse à ses interrogations. L’homme en face de lui avait bien su écrire ces règles et il en tirait pleinement partie. Un pari intéressant vint à l’esprit du linguiste ; il était impossible qu’un être semblant aussi magnanime que Thot le laisse désavantagé de cette manière, la phrase était déjà la réponse. D’autant plus que ce dernier n’avait jamais été aussi loquace.
- Je me doute que j’en ai l’autorisation, se poser des questions, c’est déjà parler.
Aucun tour utilisé, Tolkien avait remarqué que les runes brillaient lorsqu’il voulait utiliser un mot dans le cadre du combat ; or cette fois ci, elles ne bougeaient pas. Sa valkyrie lui avait sauvé la mise. L’auteur prit un peigne dans la poche de sa veste et se recoiffa légèrement
- Je savais que des films avaient été créés d’après mon univers, mais voir les choses sous cet angle. C’est inédit.
Tolkien piocha quelques unes de ses runes dans la main et les fit tinter. Il n’avait pas envie de se cantonner à cet univers toute sa vie. Ainsi, il entrouvrit les lèvres alors que les runes brillaient
- Fin.
L’auteur, bras croisés envoya son regard droit sur le masque de son adversaire. Ce dernier ne sourcilla pas à l’utilisation de ce mot. Le Balrog et Gandalf disparurent, comme par magie. Thot, toujours aussi rectiligne semblait pensif lui aussi. Ce combat n’était pas seulement affaire de stratégies, de connaissances, de mots. C’était tout autant un combat de réactivité, un duel psychologique, il fallait réussir à faire disparaître l’adversaire, le mettre en échec et maths. Toutes les données liées à Tolkien, sa vie, ses écrits, son histoire l’archiviste égyptien savait tout, et il allait en jouer.
- Infanterie.
Non seulement Thot s’employait à utiliser les mêmes langues que son adversaire, comme pour le défier, mais en plus ce dernier validait une des supposition de Tolkien. La phonétique compte elle aussi. L’auteur sourit, ce dieu n’était pas arrogant, il était juste prêt à tout pour remporter ce combat et le faire de la manière la plus écrasante possible. Le terrain au centre de l’arène devint
boueux. L’odeur de chair en putréfaction venait chatouiller les narines. Tolkien sentit sa respiration s’accélérer, ce n’était pas n’importe quelle guerre qui se dessinait sous ses yeux. Les nuages sombres, l’air chargé, la bruine qui gelait jusqu’au os. Levant les yeux, le britannique ne pouvait se résoudre à voir ces images à nouveau. Cette brume ni grise ni rouge, la terre battue et retournée, les gerbes d’eau croupie qui venaient noyer les tranchées. Les quasi morts qui braillaient en voyant leurs membres arrachés, les soldats riant autant par folie meurtrière que par désespoir. Tolkien, après quelques longues respirations baissa les yeux et les vit, ces soldats qui venaient d’être invoqués, chargeant en hurlant de peur et de courage, baïonnettes pointées vers l’ennemi. Son souffle accéléré, les yeux et les mains tremblantes, il se souvint du paysage de ce jour là. Des infanteries il y en avait eu, et ce peu importe l’époque, des grecs aux soldats moderne : Thot avait délibérément choisi cette guerre en particulier.
- ça veut donc dire que notre définition et notre volonté affectent les mots… Suis-je bête, même moi je l’eus oublié.
Tolkien rigola, étonnamment la vision de la guerre et du sang glacé sur le sol sut lui maintenir l’hémoglobine fraîche.
- Erwatung. (Espoir en allemand)
Une autre horde de soldats était apparue. Tolkien avait parié sur cette possibilité ; si le mot utilisé par Thot était français, les soldats le seraient potentiellement eux aussi. L’armée de Tolkien, pleine d’espoir chargea chacun des fusils, mit les mortiers en place. Les Français hurlaient de plus belle durant leur charge. Puis la détonation vint. Des pétales de fleurs se mirent à voler des canons dans un macabre feu d’artifice de couleurs. Des lys, des magnolias, des violettes. Les obus projetés par les mortiers explosaient avant de laisser retomber d’énormes chrysanthèmes et coquelicots ; la seule chose plus agressive que les sonorités de ces magnifiques noms de fleurs, c’était le bruit des détonations. Les balles ressemblaient bien plus à des graines de jonquilles que des outils de mort. Les grenades avaient conservé le même nom mais explosaient dans une fête sucrée et juteuse. Même salis, imprégnés de boue les pétales jonchées sur le sols resplendissaient et perturbait la marche des Français. Ces derniers ralentissaient, les baïonnettes se mirent à pointer le sol. Puis, parmi les bruits de fleurs, le bruit des fusils tombant au sol rejoignait le cimetière floral. Les soldats tendirent les bras vers leurs ennemis, pleurant comme des enfants appelant leurs mères. Tolkien sourit, il avait toujours rêvé de ça, d’une guerre ou les ennemis se jetaient des fleurs, s’insultaient à coup de poèmes ; ou la cruauté et la perfidie humaine laissaient place à la promesse d’un lendemain plus beau. L’homme devait retrouver son humanité.
- On dit bien que les fleurs parlent aussi… Les lys symbolisent la paix, les magnolias la force d’aller vers l’avant, les violettes l’amour contenu dans les lettres que les soldats envoyaient à leurs aimés.
Thot demeurait silencieux, il écoutait les explications de Tolkien. Le dieu si fier et droit avait enfin décroisé les bras, il semblait presque intéressé par ce que racontait son ennemi, il ne daigna pas l’interrompre, le linguiste continua son explication
- Les chrysanthèmes pour ceux tombés sur le champ de bataille… Les coquelicots pour leur fragilité, l’homme se brise facilement…
Tolkien sourit, davantage, observant les soldats rire, partager leurs alcools, jouer au football. L’écrivain s’assit plus confortablement sur le bureau sur le quel il reposait humblement.
- Je préférais utiliser des fleurs, je ne suis pas grand sportif, et personne ne trouve les fleurs laides.
Thot demeurait une tombe, laissant les soldats profiter de cet instant. Au fur et à mesure que le temps passait, le dieu se surprit à serrer les poings, la rage lui montait petit à petit ; lui d’ordinaire si calme et tempéré se sentait trembler de colère. Sa main vint caresser et tirer son visage alors qu’il soupira bruyamment. Saisissant le bout de son masque d’Ibis, Thot le balança au loin, droit dans les champs de fleurs créés par cette étrange bataille. Son regard était froid, profond et surtout furieux. Ses sourcils bruns et fins fronçaient et plissaient davantage ses yeux noirs en forme d’amandes. Passant ses mains dans ses longs cheveux noirs, le dieu se décida à prendre parole
- Vous voyez, humains. C’est bien pour cette raison que vous faites fausse route. Le langage des fleurs aussi beau soit-il, ça ne rime à rien. Chez vous une fleur si elle est jaune veut dire que vous êtes infidèles, mais dans un autre pays, elle est synonyme de soleil et de bonheur ? Parfois on s’habille en noir pour un enterrement, ailleurs c’est en blanc, et tout ça pour quoi ? A cause de votre soi-disant culture. Vous voyez que votre voisin lorgne une fleur d’un œil différent du votre, alors vous lui tirez dessus. Et le pire, n’en parlons pas, c’est vos maudites langues. A quoi riment-elles, à quoi servent-elles ? On ne comprend pas son voisin, on trouve ses mots barbares, on utilise un dialecte différent en fonction de nos richesses. Vos langues sont impures, laides, et ne servent qu’à vous montrer différent ou supérieur de votre interlocuteur. Il y a bien longtemps que le langage des dieux eut été uniformisé, depuis, jamais une guerre ne vint nous déranger à nouveau. Vous n’avez pas le monopole de l’horreur et de la guerre, encore moins celui de la haine de l’autre. Si l’humain est aussi violent, c’est bien car les dieux vous ont créés à leur image.
Tolkien, aussi impressionné que choqué par ce torrent de colère et surtout la soudaine éloquence de son ennemi était silencieuse. Il ne savait que réellement répondre à ces accusations. Du côté des gradins, chez les humains, les esprits s’échauffaient légèrement. Une figure un peu bourrue, les cheveux et la barbe composés de la même texture et couleur : c’est à dire blancs et ébouriffés, semblait songeur. Il prit parole
- Il faut avouer que ce dieu n’a pas entièrement tort. Déjà à notre époque l’humanité se comportait ainsi… Elle s’est toujours comportée ainsi et il y a des chances pour que cela continue encore. Je l’avais bien dit, tout homme est un livre où Dieu écrit. Qu’en pensez vous, cher Wilde, Tolstoï ?
Le plus jeune des deux locuteurs, de son apparence androgyne et désinvolte semblait clairement débraillé. Soupirant bruyamment, il posa son regard désintéressé vers son interrogateur avant d’appuyer sa joue sur une main.
- Honnêtement, Hugo, je n’en n’ai rien à faire, j’écris parce que je le peux, c’est tout.
Les deux se tournèrent vers le vieil homme. Son immense barbe blanche et ses quelques cheveux restants, éparpillés, lui donnaient autant les attributs de la folie que ceux de la sagesse. Un éclair vint frapper ses yeux, et l’homme parla.
- Vous savez mes chers amis… Je ne me prétends pas être plus sage, plus intelligent que tout à chacun. Mais ce questionnement posé là ne me laisse pas de marbre. Evidemment le combat que nous voyons sous nos yeux est bien plus une altercation idéologique qu’une guerre comme on le pense au sens premier du terme. Si tant est que les guerres d’opinions puissent être considérées elles mêmes comme des guerres. Cependant l’état de fait et l’explication du dieu face à nous ne me semble pas dénuée de sens, en effet l’humain est parfois vil et barbare… Idiot si je puis dire ! Ajoutons à cela que la guerre, cet effet de foule entraîne nos confrères et notre espèce vers ses pires aspects ; je l’eus dit, la guerre est contraire à la raison et à la nature humaine ! Cependant, force est de constater que cette perdition de raison en temps violents est liée à celle de nos créateurs. Je ne jetterai pas la pierre à ces derniers, nous n’avons fait guère mieux. Cependant cantonner toute raison humaine à cette violence liée au différence est quelque chose d’on ne peut plus réducteur et…
Quand il ouvrit les yeux, ses deux locuteurs s’étaient déjà éclipsés. Goll, à côté de lui était restée, souriante la valkyrie s’adressa à l’auteur
- Ils sont tous deux partis faire la cour à une spectatrice qui passait par là ! Grommelant, Tolstoï répliqua
- J’avais juré de dire ce que je pensais des femmes au moment de ma mort pour quitter ce monde en paix, mais ici je m’en vois bien incapable et c’est fort dommage !
Dans l’arène, les deux combattants se toisaient, Thot d’ordinaire si calme et apaisé semblait cacher une rage sans précédent. Les altercations, les combats, les guerres, il détestait ça de toute son âme. Râ s’était retrouvé handicapé à la suite d’un combat face à un demi-dieu, Anubis était tombé lors du dernier Ragnarök, sans parler d’elle... Il avait déjà tout perdu, lui qui avait dû aider Anubis à récolter les morceaux d’Osiris pour le ramener à la vie. Lui qui était le premier à se dresser face à Apophis alors que ce dernier s’apprêtait à dévorer le monde et le soleil eux mêmes. Thot prit une inspiration ; Il retrouva son calme naturel. Cette fois ci, la chose la plus glaçante n’était pas son calme ni ses yeux, c’était son sourire.
- Trêve de bavardages, nous avons un combat à mener.
Le dieu se releva, il se décidait finalement à prendre ce combat au sérieux. Thot se retourna, prit un parchemin fait de papyrus, puis un autre. Le dieu saisit quelques armatures en fer posées aux côtés de son bureau. Il planta ces ferrures dans le sol avant d’y tirer quelques parchemins, tendus, aux yeux de tous. A l’extrémité de ses longs cheveux, ces derniers avaient été rattachés par une plume, le dieu décoiffa ses cheveux déjà ébouriffés et trempa la pointe de la plume dans de l’encre. Thot commença à y inscrire d’étranges motifs, des hiéroglyphes. Un motif à trois bosses fut dessiné
- L’avantage avec cette règle… C’est lorsqu’une langue est disparue depuis suffisamment longtemps, plus aucune langue ne peut en être équivalente… C’est pour cette raison que la quatorzième existe, féliciter le beau jeu lorsqu’on utilise ces protos langages.
En effet, il était impossible de comprendre comment prononcer ce mot, comment fonctionnait sa phonétique. Ajoutez à ces facteurs l’évolution même de ce langage vieux de plusieurs milliers d’années… C’était là tout l’intérêt de la dernière règle. Un désert commença à se dessiner dans l’arène, puis une rivière, des animaux y pullulaient. Les collines de roche se hissaient au milieu de l’arène. Pour Tolkien cette vision était catastrophique, car il l’eut compris aussitôt. Ce désert qui se trouvait face à lui n’était pas celui de l’Egypte qu’il connaissait. C’était le désert de l’Egypte mythologique. Les crocodiles avaient des pattes de lion, Les serpents étaient grands comme des immeubles, les vautours couvraient le soleil de plomb en un battement d’ailes. On se serait presque crus au jurassique, dans un monde fantasque ou les désirs humains mêlés à leurs craintes les plus obscures prenaient forme. Encore sous le choc, ému par cet étrange paysage irréel, Tolkien peina à reprendre sa contenance. Son adversaire avait utilisé un mot disponible dans aucun alphabet actuel, l’humain devait-il répondre de la même manière ? En pleine réflexion il trouva une solution plus que risquée.
« S’il a réussi dans un sens, ça doit marcher dans un autre… Les mots les plus proches de ce paysage c’est Désert, monstre, cauchemar… Ce dernier prétend avantager et honorer le beau jeu, restons dans la thématique de son mot. Je ne connais qu’un seul être qui peut fonctionner »
- Rêveur aveugle, Azatoth.
Une vive lueur s’émit des runes puis… Rien. Une colossale croix rouge se dessina dans le ciel, en haut de l’arène. Heimdall commenta.
- Hélas non ! Ce mot est interdit, dans une réalité différente de la notre, un univers parallèle, une existence parallèle… Enfin ! Des concepts que nul ici ne peut réellement comprendre, ces dieux existent ! Tolkien semble en difficulté, comment va-t-il s’en sortir ? Le combat semble commencer pour de bon !
Cette seule affirmation causa un vent de panique, du côté des humains comme des dieux. Ils existaient, les grands anciens, ces démons pourtant imaginés de l’esprit quasi fou d’un humain étaient réels ; comme si ses visions s’étaient avérées prophétiques. Tolkien grimaça, il était bien plus embêté par sa situation que par cette révélation. En réalité il s’en doutait légèrement, Hastur était dans la liste, c’était un tout ou rien. Heimdall reprenant son cor relança le combat
- C’est donc au tour de Thot
L’égyptien n’attendit pas un instant avant de prononcer son nouveau mot
- Hraesvelg. (bête mythologique nordique)
Un immense aigle fonça droit sur le linguiste, le saisissant entre ses serres avant de l’emmener au sommet d’une des collines dont le volatile était roi. Se penchant pour regarder par dessus ce nid colossal, l’homme était particulièrement minuscule. Les puissantes serres de l’animal avaient lacéré son costume et ses épaules, le sang commençait à couler le long de ses bras. Tolkien trempa le bout de ses doigts dans le fluide avant d’écrire sur la pierre du nid, il ne fallait pas attirer l’attention du rapace. Plusieurs écrans autour de l’arène montraient ce que l’humain était en train de créer. Ce texte, c’était de l’arabe. Le mot en lettres de sang était le suivant
غراب) Ghurab, corbeau en arabe)
D’immenses corbeaux commençaient à s’amonceler derrière l’auteur. Du maudit corbeau de Poe au Tengu japonais, toutes les iconographies y passaient. Corbeaux des vikings, annonciateurs du champ de bataille et de la guerre s’approchant, messagers de morts chez les chrétiens et autres celtes, farceurs dans d’autres cultures… L’animal au plumage noir avait plus d’une interprétation, c’était donc là la force des mots provenant de cultures différentes. La nuée assombrissait le ciel, Tolkien sur le dos d’un gigantesque volatile de mauvais augure toisait le paysage de son piédestal ; l’aigle du dieu ibis se faisait dévorer par les volatiles charognards. L’humain regrettait sa terre du milieu, d’un paysage grisonnant et humide, il avait été jeté tout droit dans un désert aride et brûlant. Le sable, contrairement au papier ne permettait à aucun mot de subsister, un coup de vent, et tout disparaissait. Thot trempa à nouveau sa plume dans l’encrier pour y inscrire un mot sur son bras
« Birdotimigilo »
Dans les gradins, Victor Hugo haussa un sourcil
- De l’espéranto, peu étonnant vu les opinions de ce dieu.
Goll pencha la tête, interrogative, elle se demandait ce que l’écrivain sous entendait par là. Plutôt fier d’avoir attiré l’attention, Hugo s’enorgueillit et gonfla légèrement le torse avant de s’éclaircir la gorge.
- C’est une langue récente, elle a été créée dans le but d’être un pont neutre entre toutes les cultures linguistiques. Ce n’est la langue officielle d’aucun pays, c’est un peu comme si c’était la langue du monde en quelques sortes, une unification.
Goll sourit, en effet, ce choix correspondait bien à Thot, un dieu qui détestait l’illogisme, qui  méprisaient les choses incommodes. Il était une langue humaine qui représentait tous les  désirs du scribe. Thot marcha, il se dirigea lentement jusqu’au centre de l’arène. Avec un mot  riche de tant de cultures différentes, les corbeaux n’osaient plus foncer ou attaquer le dieu.  Cette allure d’épouvantail les empêchait de foncer plus loin, peu importe l’origine de ces  corbeaux, ils avaient peur. Tolkien profita de l’inattention de son adversaire pour y écrire un  nouveau mot, cette langue semblait totalement inconnue. Bon nombre de spectateurs  semblaient dubitatif, puis une armée entière. Des humanoïdes énormes, difformes, le visage  boursoufflé et disgracieux accouraient sur le champ de bataille en brandissant des armes  grotesques. Tolkien avait décidé d’importer son univers dans le désert ainsi avait-il écrit en  Sindarin « Orch ». Visiblement, le premier mot du combat était bien considéré comme anglais
Rien dans les règles interdisait le dieu de répliquer, ou de se défendre autrement qu’avec des  mots. Ils n’avaient pas le droit de foncer sur leur adversaire pour le tuer, mais ils avaient  parfaitement le droit de tuer les invocations ennemies sans prononcer le moindre mot. Ainsi  Thot se contenta de murmurer un mot qui allait sans doute lui être utile pour tout cet  affrontement.
- Katana.
Le dieu aurait préféré utiliser une autre arme, mais la règle de phonétique l’obligeait à utiliser un son semblable au précédent. Le khépesh, son arme far lui était venu à l’esprit, malheureusement pour lui, la prononciation l’empêchait d’utiliser ce mot. Observant la lame, Thot fonça droit sur l’armée orc qui lui fonçait dessus. Les têtes volaient, le sang coulait, le dieu qui semblait si sage, si apaisé ressemblait à un chasseur traquant une proie. Couvert par les tripes, les entrailles et autres graisses ennemies ; le sang des orcs était épais, gras, presque noir.
Complètement silencieux, la peau bronzée du dieu donnait l’impression d’avoir été trempée dans du goudron. Les orcs faiblissaient, lui s’essoufflait. Quelques marques de griffures venaient parsemer son corps, il ne faiblissait pas, ne reculait pas. Si bien qu’en quelques instants seulement, la moitié des troupes adverses était décimée au prix de quelques lacérations et autres entailles.
Tolkien depuis son oiseau profitait de ce temps de repos pour réfléchir au meilleur plan possible, son ennemi avait désormais une arme, le terrain jouait en sa faveur. Il ne lui restait plus que des corbeaux peu disposés à attaquer. Il fallait équiper ses troupes.
- Armatura !
D’énormes plaques grises venaient couvrir le corps des Orcs restant. Le choix était plus qu’avisé, les armures italiennes ne pouvaient être tranchées par un simple katana. Les Orcs foncèrent avec encore plus de hargne sur le dieu, Thot du se résigner à abandonner l’utilisation de son arme pour l’instant.
- Audra !
De grands vents commençaient à se déclarer, le sable s’incrustait dans les armures des orcs, les empêchant de s’agiter ou de courir vers le dieu égyptien. Les violentes bourrasques condamnaient les corbeaux au sol, Tolkien eut tout juste le temps de se jeter dans le sable pour se réfugier derrière une des collines. Les vents s’intensifiaient, de nombreuses invocations se trouvaient ensevelies sous les sables, le désert était devenu un véritable tombeau ; la tempête ne semblait pas se calmer. Il ne restait que quelques courageux restant essayant d’attaquer Thot tant bien que mal. Les reliefs montagneux commençaient à briser et couper la course du vent, les bourrasques s’apaisaient, petit à petit le champ de bataille retrouvait un aspect plus apaisé. Plus un soldat n’était présent, les seuls non ensevelis croupissaient autour de Thot, morts. Les corbeaux reprenaient leur envol, ils avaient en effet amené la mort avec eux. Tolkien était introuvable, au centre, seul, l’ibis trônait, son sabre à nouveau en main. L’humain devait bientôt contre attaquer. Un corbeau à l’apparence humaine et au long nez vint attaquer Thot d’un coup de sabre surpuissant. Les corbeaux avaient peur des épouvantails, mais le tengu lui, ne voyait qu’un dangereux rônin, même apeuré, c’était à lui d’affronter cette menace.
L’apparition de ce nouvel ennemi ravit Thot, le scribe serra sa lame avant de se mettre en garde et de commencer à attaquer sans relâche le Tengu. Un estoc venait tenter de le transpercer en plein cœur, l’oiseau noir le dévia à l’aide d’une aile. Après un saut agile, il tenta un coup de serre directement dans l’épaule de Thot. Ce dernier était essoufflé, il n’avait cessé de se battre face à toutes ces invocations depuis quelques temps désormais. La lame de son katana essaya de parer l’assaut du corvidé, les serres avaient serré la lame, le tengu jeta l’arme de son adversaire. Thot allait perdre, c’était inévitable.
Soupirant, le dieu dut s’y résoudre, il ne pouvait pas gagner seulement via des mots, évidemment, même en parlant, il allait devoir prendre les armes. Se recroquevillant sur lui même, tremblotant, son corps semblait changer d’apparence. Le scribe, dieu de la sagesse, oiseau calme et sage venait planter ses ongles dans sa propre chair, il serrait, appuyait, tirait de toutes ses forces ; le spectacle macabre laissait l’assistance sans voix, seul Heimdall s’acharnait à commenter le match.
- Thot semble abandonner, la situation est incompréhensible ! Il essaie visiblement de se donner la mort ! Nous devrions déclarer le vainqueur ! Tolki-
Un hurlement bestial et surpuissant stoppa net l’arbitre dans son verdict, les lambeaux de peau sanguinolents pendaient après les membres de l’ibis, à mieux y regarder… Ce n’était plus un Ibis, encore moins un dieu. À la place de Thot se trouvait une bête touffue, son pelage cachait les quelques restes de peau intacts du dieu. Sa carrure avait doublé, son visage était celui d’un singe ; Thot avait revêtu sa véritable apparence. Dans les gradins du côté des dieux, une déesse affublée d’une robe léopard, finement maquillée, les traits particulièrement fins et doux regardaient cette silhouette d’un air compatissant
- Père… était-il nécessaire d’aller jusque là ?
Chapter 6: Monstre de connaissances
Summary:
Thot semble avoir perdu la raison, le monstre qui l'a remplacé se poste face au meilleur linguiste de l'humanité, la bataille des mots sera-t-elle écrite en lettres de sang ?
Chapter Text
Cette Egypte alternative semblait comme figée depuis cet événement. Au centre de l’arène, Thot était méconnaissable. De longs crocs venaient modifier l’ossature même de son visage ; sa mâchoire jusqu’alors d’apparence humaine s’était modifiée pour prendre la forme d’un museau. Ses cheveux s’étaient épaissis, formant comme une coiffe autour de son crâne. Ses bras s’étaient épaissis, allongés, ces derniers, complètement ballants venaient au contact du sable. La bête hurla au moment de sa nouvelle naissance. Un long cri de désespoir, d’agonie et de tristesse ; puis, accroupie, dans ses songes, elle admirait le sable qui voletait. Elle leva les yeux vers le tengu prêt à l’abattre. Le coup de bâton du corbeau vint s’écraser dans la paume du grand singe. Le shakujô se plia net avant de s’arracher et de tomber au sol, émettant ses derniers tintements. La figure monstrueuse se releva pour mieux admirer cet étrange corbeau humanoïde sous tous les angles ; terrifié, ce dernier était complètement figé. Au bout de quelques instants, le dieu saisit le cou de l’animal et sans s’en rendre compte le brisa, le tengu tomba sur le sol, inerte.
Au loin, derrière son abri, Tolkien observait ce spectacle sans savoir comment réagir. C’était certes à son tour de jouer, cependant… Que dire face à la figure qui se trouvait face à lui ? Qu’est ce qui pourrait même toucher ce monstre, était-il doué de raison ? La mécanique infernale de Tolkien s’embrayait déjà, il fallait trouver une réponse, et la meilleure possible. Le problème était cependant aussi simple que terrible pour lui. Cet animal comme toute autre bête devait avoir l’odorat fin, or, l’humain saignait. Et il était hors de question d’escalader la colline, ce colosse miniature allait le rattraper en moins de deux.
Du côté des dieux, les esprits s’échauffaient. Incapables de comprendre ce qui se passait sous  leurs yeux, nombreux étaient ceux à émettre leurs théories, plus nombreux encore étaient ceux  à craindre cette étrange créature sans savoir la nommer. La seule personne à même d’exprimer  la nature de cette créature, c’était sa fille, Seshat. Cette dernière caressait le sommet du crâne  d’une étrange chimère à la tête de crocodile, et au corps mi hippopotame, mi lion. La déesse,
postée au côtés des dieux grecques dans les loges se décida finalement à prendre parole.
- Peu ici connaissent cette forme, et pour la raison suivante, père s’était refusé de l’utiliser depuis la mort d’Apophis.
Zeus silencieux connaissait déjà cette forme du dieu Egyptien, il n’en n’avait cependant jamais parlé, cette simple information aurait pu engendrer une nouvelle guerre entre panthéons. De plus, Hadès, son aîné entretenait de très bonnes relations avec Thot. Les deux étaient en quelques sortes gérants d’enfants turbulents, pour le vieillard, trahir cette promesse était hors de question. Seul Ares, piqué par la curiosité s’empressa de demander plus d’indications et d’explications à la déesse
- Mais enfin, qu’est ce qui justifie cette forme ? Pour quelle raison le seigneur Thot l’utilise actuellement alors qu’il se l’était interdit ?
Seshat soupira doucement, comme emprisonnée dans de multiples pensées mélancoliques. Ammout grogna légèrement en fixant sa maîtresse de procuration. Il y a bien longtemps, Osiris avait confié la gardienne des morts à Thot. Il était propriétaire du Maât, mais également responsable de la vie et de la mort. Ce léger grognement conforta la déesse dans ses idées, son père ne devait ni être seul responsable ni seul porteur de cette charge.
- Connaissez vous la raison qui a motivé mon père à porter un masque d’Ibis ? Les dieux alentours secouèrent la tête en guise de négation, la déesse poursuivit.
- Le peuple égyptien pensait que l’ibis était symbole de sagesse. Mon père lui disait que c’était parce que son masque d’ibis l’empêchait de voir en haut et face à lui, de cette manière il pouvait lire en toute tranquillité. Et la vraie raison…
La déesse fut interrompue. L’étrange bête pleurait à chaudes larmes, elle avait réalisé son crime, elle avait tué ce pauvre corbeau. Essuyant les larmes qui venaient s’infiltrer entre ses poils, la bête, à genoux se mit à lever la tête vers les cieux. Ses yeux encore embrumés discernaient de plus en plus une forme sphérique et brillante. L’étrange singe leva les bras vers cet étrange astre, et lorsque le soleil lui fut finalement visible, il se mit à pousser de nombreux râles et hurlements déchirants.
La foule tressaillait à chaque bruit et inspiration de cet animal. Il appelait le soleil, il le pleurait, il le louait, c’était son rituel. Souriant amèrement, sa fille reprit son récit.
- La vraie raison… C’est que lorsque mon père voit le soleil, il devient cette bête.
L’animal se mit à s’agiter de plus en plus, Tolkien le savait, il allait falloir fuir, et la seule voie sécurisée, c’étaient les cieux. Tant pis pour les corbeaux il fallait trouver un nouveau moyen de gagner les hauteurs pour être en sécurité, mais qu’allait devenir cet étrange combat ? Son adversaire semblait tout sauf capable de continuer leur affrontement. Il allait falloir y songer plus tard, le plus urgent, c’était de sauver sa peau. Observant ses runes, les serrant entre les mains, Tolkien fit usage d’un nouveau langage pour se sortir de ce mauvais pas.
- Avión
Un vieux chasseur d’après guerre était apparu sur le champ de sable. Le romancier s’empressa de monter et de démarrer ce nouveau transport. Entendant le bruit du moteur, l’animal s’empressa de courir droit vers Tolkien et son échappatoire. Malheureusement pour lui, l’humain avait déjà décollé et se tenait à distance plus que raisonnable pour observer son adversaire. Tournoyant autour de cette étrange arène, s’assurant de rester le plus loin possible des collines, le linguiste ria légèrement pour évacuer son stress
- On se croirait dans le petit prince, mais c’est pas un gentil gamin qui m’attend en bas… Après quelques instants, il se décida à alpaguer et appeler Heimdall
- Cher commentateur ! Ne serait-il pas temps de déclarer ce combat terminé et de me donner la victoire ? Tout comme moi je pense que vous vous doutez que mon adversaire n’est plus réellement en état de participer à notre petit jeu !
Heimdall hocha légèrement la tête, prenant son Gjallahorn, le petit dieu nordique allait interrompe le combattants
- Mesdames et messieurs ! Je suis au regret de vous annoncer que th
Cette fois ci, aucune voix ne vint l’interrompre. Il s’arrêta lui même de son propre chef, tremblotant.
- Euh… Excusez moi… Le combat continue !
Tolkien, plutôt irrité pencha sa tête sur le côté de son avion, observant le sol en contrebas. Ce foutu babouin avait trempé ses mains dans l’encre, le sable et le sang pour colorer une immense fresque sur la paroi d’une des collines. La représentation, même primitive était on ne peut plus claire, l’avion tombait.
Tolkien sentit son sang se glacer. Jamais l’auteur ne qu’il était pensait ressentir une telle terreur face à quelque chose qui ressemblait à des dessins créés par un gamin aussi innocent qu’ignorant. Le linguiste serra le guidon de son colosse de fer en se frappant légèrement la tête contre ce dernier
- Pardonnez cette attitude indigne d’un gentleman mais… PUTAIN ! C’était pour cette raison qu’il avait tourné les règles de cette manière.
Tout faisait désormais sens aux yeux du britannique. La règle numéro cinq qui autorisait à écrire les mots si on était incapable de parler. La règle numéro neuf qui validait toute création ayant été prononcée avec volonté de lui donner un sens. La règle numéro quatorze qui permettait l’entorse à la règle trois. Thot le savait très bien, il l’avait déjà décidé au moment de jeter son masque d’Ibis, il le savait même avant même de commencer ce combat. Le dieu avait tout prévu dès l’instant même ou il avait commencé à écrire ces règles. L’humain n’avait été qu’un jouet entre les mains du dieu. Ce dernier avait choisi un langage, le plus primitif de tous, un des premiers que l’homme avait découvert et créé, les peintures.
Sentant les hélices de son avion ralentir et le nez de ce dernier commencer à dangereusement s’incliner vers le sol, Tolkien devait trouver une solution et le plus vite possible. L’avantage c’est que via le langage de ce babouin, Tolkien pouvait choisir n’importe quelle langue pour relancer le combat et augmenter ses chances de victoire. Après tout l’animal en face de lui semblait
fatigué, quelques blessures et coups de lames lors de sa bataille précédente l’avaient déjà quelque peu marqué. De toute manière, ça devait être la dernière carte du dieu, il n’allait pas savoir écrire correctement ou même parler avec cette forme primitive, si Tolkien survivait à ce coup, la victoire lui était assurée. L’humain parla donc à nouveau.
- Chère Victoire, vous avez bien mémorisé tous les dictionnaires depuis le début du combat, je n’ai plus à me reposer uniquement sur les langues que je connais ?
Les runes tintèrent de plus belles, une douce voix résonna hors de ces dernières
- J’ai terminé il y a quelques instants seulement, lądowanie, atterrissage en polonais pourrait  convenir. Pour rappel, vous avez déjà utilisé, l’anglais, le français, l’allemand, l’arabe, le sindarin,  l’italien et l’espagnol.
Tolkien hocha légèrement la tête, le but était de se faciliter le combat le plus possible en  utilisant des langues qui lui étaient relativement familières. Il le savait on ne peut mieux, il allait  être difficile de vaincre le dieu à ce jeu là ; pour cette raison, il avait demandé à sa valkyrie  d’apprendre le contenu de ces nombreux dictionnaires afin de se donner une chance  supplémentaire. L’humain énonça donc :
- lądowanie
L’auteur se posa tel une plume sur le sable chaud de cette étrange bataille. Le babouin lui faisait face, Quelques gouttes de sang perlaient de temps à autre le long de la main de l’écrivain, le sang agglutiné en petits rubis sur le sol chaud abreuvait le sable. L’auteur enleva son costume et déchira davantage sa chemise pour attacher et serrer un pansement de fortune autour de sa plaie. Puis après une inspiration, Tolkien brisa le silence
- Pauvre ami… Vous ne pouvez plus parler ? Je regrette que le combat doive se terminer de cette manière. Vous êtes admirable si je puis di-
Coupé en plein élan, un son caverneux sortait de la gorge de la créature. Cette dernière mimait les mouvements de lèvres de Tolkien, petit à petit elle émettait des sons, de plus en plus forts. L’animal apprenait à parler. L’humain sentait la pression monter à nouveau, cette maudite bestiole… C’était comme un enfant, elle apprenait petit à petit à s’exprimer ; en réalité, elle partait de l’aube de l’humain, et chaque seconde qui passait, elle évoluait, elle s’améliorait. Un point critique risquait d’être atteint. Si cet animal arrivait au niveau d’intelligence et de connaissance qu’il était censé avoir à la base, alors il allait être impossible de le vaincre. Et pourtant, Tolkien ne pouvait rien faire à part attendre le mot ou la tentative de mot que ce petit géant allait prononcer
- ça s’annonce mal…
Goll posa ses yeux sur l’auteur désabusé, elle le savait relativement pessimiste, mais l’entendre dire les choses de cette manière la peinait tout de même
- Vous le pensez réellement monsieur Wilde ?
- Cette bestiole est intelligente. Et s’il y a quelque chose de pire que l’homme. C’est une bête avec l’intelligence d’un homme. Imaginez un ours capable de vous tendre et de vous confectionner un piège. Vous ne pourriez vaincre dans aucun cas de figure…
Victor Hugo se gratta la tête, soucieux, après quelques instants, il poursuivit
- Voler son intelligence à l’humain, c’est lui voler son fleuret.
De son côté, Thot était en train de gribouiller sur le sable avec un bâton, Tolkien ne pouvait que déglutir de crainte. Ce qui se trouvait en face de lui apprenait vite, bien trop vite. La bestiole qui savait à peine ressentir la chaleur du soleil avait appris à peindre ; et maintenant, elle écrivait déjà des protos langages, les souvenir de Thot lui revenaient petit à petit. Au bout d’un moment, l’animal s’arrêta. Ses yeux entièrement noirs reflétaient autant la crainte de l’humain que la tristesse de la bête.
-‘Ou-Our...’Koi…
Elle se maintint la gorge un instant, incapable d’articuler correctement, incapable de parler correctement. La forme de sa mâchoire, ses longues dents, le développement de ses cordes vocales, rien sous cette forme ne lui permettait de s’exprimer correctement. Chacun de ces outils était créé pour lui permettre de se battre, non de parler. La bête se résigna à gribouiller sur le sable avec une de ses griffes, Tolkien se pencha pour essayer de déchiffrer
- Pourquoi a-t-on créé plusieurs langues ?
Se grattant le menton, Tolkien réfléchissait, il y avait de nombreuses raisons, la culture, l’évolution de l’humain. On avait même remarqué certains changements de cordes vocales et de dentitions en fonction des différentes langues ; comme si le pouvoir de la parole façonnait la personne. L’humain finit par sourire en regardant le dieu.
- Eh bien… Pour le plaisir de pouvoir exprimer la moindre de ses sensations comme on l’entend… ça c’est la raison qui nous pousse à créer une langue… La raison qui nous pousse à en créer des différentes… C’est pour le plaisir de pouvoir les partager aux gens, leurs faire découvrir de nouveaux mots et nouveaux sentiments.
La bête se mit à sourire, dévoilant ses immenses canines. Le linguiste comprit assez vite qu’il n’y avait aucune forme de véhémence de la part de cet animal. C’était un enfant, curieux, et inconscient de sa force. Le langage se divisait sous bien des formes, parole, écriture, peinture, corporel. Tant qu’on exprimait, peu importe la manière, c’était déjà une langue à part entière.
Il y a bien longtemps en Egypte, un groupe de jeunes dieux était prêt à changer leur monde. Celui à l’arrière de ce groupe, peignant et écrivant les aventures de ses amis était Thot. Les nombreuses altercations et batailles entre Seth et Horus, Thot les écrivait. La quête d’Anubis pour récupérer les morceaux de son père Osiris, Thot l’avait retranscrite. La bataille finale face à Apophis, là ou Seth et les autres dieux rejoignirent leurs forces pour détruire le serpent maléfique ; Il l’avait vécue. À cette époque, Thot ne portait pas de masque, son apparence lui importait peu, il écrivait, s’amusait, discutait avec ses amis. Plus le temps passait, plus leurs sensations et sentiments se complexifiaient, leurs mots firent de même. Puis, à la rencontre d’Ounout, de nouveaux sentiments, de nouveaux mots, et leur fille naquirent.
Quand le serpent géant était venu dévorer le monde et le soleil lui même. Le groupuscule de jeunes dieux fut le premier à faire face. Thot, alors le plus sage d’entre eux était venu face à cette nouvelle calamité pour emboîter le dialogue et lui demander les raisons de sa venue. Aucun mot, aucune réponse, la seule chose qui résonna dans la tête du dieu, c’étaient les sifflements. Ça résonnait dans le crâne, le sol tremblait alors que la queue du monstre venait battre les gigantesques dunes. Thot sentait ce profond sifflement faire trembler chacun de ses organes. Le gigantesque cobra hérissa son immense coiffe, ses membranes couvrirent le ciel entier ; la lumière n’était plus, tout ce qui brillait désormais, c’étaient les yeux de la bête. Pour la première fois, Thot fit face à un adversaire auquel on ne pouvait parler. Pour la première fois, Thot comprit que les mots pouvaient se montrer parfois vains et inefficaces, l’important, c’était qu’ils touchent les autres. Même malgré les réflexions, les spéculations, aucune solution sensée ne semblait émerger. La seule chose qui sonnait juste, c’était cette étrange sensation, il fallait s’enfuir. Au derniers instants, alors que Apophis s’élançait pour se sustenter de l’Ibis ; Ounout poussa son aimé ; c’est elle qui fut dévorée.
- Pourquoi ?
Un seul et unique mot, qui se répéta sans cesse. Pourquoi ça n’avait pas marché ? ‘Ourquoi avait elle laissé ? ‘Ourkoi morte ? Ou’koi je ? Ou’Ha ‘onstre ? Ce n’est qu’au moment ou Thot vit  le soleil, seulement capable d’hurler une ébauche d’un « Pourquoi » qui désormais sonnait  « Ouha » qu’il se posa une question. Quand la tête d’Apophis vint s’écraser contre le sable  brûlant du Sahara, son sang coulant dans le Nil que Thot, après avoir regagné conscience  s’interrogeait
Pourquoi les langues diffèrent elles ?
Cette incompréhension avait semé la discorde. Cette incompréhension était mère de tous les maux, cette incompréhension avait pris l’amour de sa vie. Cette incompréhension avait rendu sa fille orpheline. Les jours de recherches devinrent des semaines, puis des mois… Au fur et à mesure du temps, on ne comptait plus les siècles. A la rencontre des différents panthéons, au guerres liées à leurs différences. Alors que tous comprirent qu’ils risquaient de s’entre-tuer jusqu’au dernier. Thot vint leur proposer un texte dans une langue universelle. La constitution du Valhalla était née. Reprendre cette forme simiesque causait une perte de mémoire passagère au dieu ; la seule chose qui restait, c’était cette sensation la première fois qu’il prit cette forme ; ce questionnement et cette douleur. Ses cordes vocales n’étaient pas développées lorsque le dieu prenait cette apparence, il n’avait pas besoin de parler, seulement de tuer et de hurler. La bouche était là pour déchirer et mordre, pas pour s’exprimer. Pour la première fois, alors que sa discussion avec Tolkien venait de se terminer, Thot réalisait quelque chose : il voulait lui parler.
Le babouin se remit en place, éclaircissant sa voix de plus en plus, il grognait. Sa voix, bien que rauque devenait de plus en plus claire, bientôt, il parlerait. Après ces quelques étranges vocalises, le singe observa et plongea son sombre regard droit dans les yeux de son adversaire.
- Tolkien… Prouve-moi que les langues doivent différer.
L’humain se recula progressivement, il l’avait instinctivement compris. Ce combat allait reprendre de plus belle. Son adversaire n’avait pas abandonné, mais surtout, son rival était plus dangereux que jamais
- Chère victoire, je te sais dans ma poche, mais te remporter ne sera pas chose aisée.
La valkyrie ria légèrement à la réflexion de son partenaire. Elle le savait, ce combat allait devenir bien plus difficile qu’il ne l’était déjà. Il fallait non seulement gérer l’intelligence de leur adversaire, mais il fallait désormais prendre en compte son physique. Quelques corbeaux venaient s’agglutiner derrière l’humain sur des perchoirs de fortunes, créés par les débris envolés à cause de la tempête.
Dans les gradins, Victor Hugo, plume en main écrivait frénétiquement. Goll agita les yeux de droite à gauche avant de réaliser que tous les auteurs autour d’elle faisaient de même. La situation et ce combat poussait leur génie créatif dans ses retranchement. Chacun voulait écrire sa propre vision et interprétation de cet affrontement. Qui de la malice du corbeau ou de la sagesse de l’ibis allait l’emporter ? Après quelques gribouillages, le vieil auteur ouvrit la bouche
- Je commence à réaliser ce que Tolkien voulait dire… Si nous avons créé plusieurs langages, c’est car nous en avions besoin.
Thot après quelques réflexions prononça un nouveau mot.
- eső (pluie en hongrois)
De lourds et sombres nuages commencèrent à se regrouper au dessus de la tête des deux combattants. Le dieu cherchait sans doute à entraver les mouvements de Tolkien, la pluie et l’orage l’empêcheraient de pouvoir utiliser le ciel, les oiseaux étaient condamnés à rester à terre. Tolkien devait trouver un moyen rapide de contrer la pluie. Il ne pouvait pas se permettre de demander accalmie dans une nouvelle langue, via cette posture de défense, il ne prendrait aucune initiative et perdrait à l’usure. Il fallait trouver un moyen d’utiliser cette pluie à bon escient. Outre les risques liés à l’aviation et autre voyages aériens ; le sable mouillé, bien plus lourd allait durcir et être plus collant, tous les mouvements s’en retrouveraient entravés. Mais surtout, l’inondation menaçait, une forte crue de la rivière en contrebas du paysage allait arriver si les pluies se faisaient trop violentes. Et là, c’était assuré pour les combattants, le combat se passerait dans la boue, et bien plus encore, cet espace allait devenir un véritable aquarium. L’humain claqua la langue de désapprobation
- Le tabac n’est pas étanche… Avons-nous un mot pour contrer le déluge ? La valkyrie prit quelques instants avant de répondre
- Il en était bien un mais… on a déjà utilisé cette langue
Tolkien sentait l’eau monter doucement, chaque seconde qui passait faisait gonfler le lit de la rivière. Elle débordait, gargouillait, chaque goutte d’eau sur le sable ruisselait dans des rigoles sculptées par l’ondée. Tolkien réfléchissait à voix haute
- Au niveau des synonymes ?
- Je ne trouve pas grand-chose malheureusement…
L’humain croisa les bras, visiblement très soucieux de ses recherches, il pensait à de nombreux mots, les possibilités des lettres, des phonétiques. Puis une idée lui vint. Ce dernier s’empressa de briser un stylo pour s’asperger la main d’encre.
- Nous devons également utiliser les règles de manière à ce qu’elles nous servent et nous sauvent ; Thot est magnanime, il ne se serait jamais donné un avantage à lui et seulement lui. Alors pour cette raison !
La cuvette créée par les collines se remplissait d’eau au fur et à mesure des secondes, la rivière devenait petit à petit un lac. Tolkien sentait des petites vaguelettes lui frapper les chevilles, bientôt la flotte boueuse venait lui enserrer les genoux, elle était glacée. Le linguiste poussa un euréka final quand l’eau lui avait atteint le bassin. Depuis son perchoir, Heimdall hurla
- Incroyable mesdames et messieurs ! Tolkien a lui aussi abandonné les mots ! Ce dernier a décidé d’utiliser les armes de Thot, l’humain a dessiné un gigantesque bateau !
Un navire de bois perça les flots, envoyant l’écume en dehors de l’arène. La bruine venait caresser et humidifier le visage des spectateurs. Un équipage complet s’agitait, tirait les voiles, ramait, attachait des cordes. Au devant, sur la proue, un homme demeurait, cherchant son adversaire du regard.
En haut d’une des collines rocheuse, le dieu observait l’humain dans son nouveau transport. L’animal avait profité de la réflexion de Tolkien pour gagner les hauteurs en vitesse. Il ne tenait pas à finir noyer dans son propre piège. Visiblement le linguiste avait réagi à temps pour se tirer de cette mauvaise passe. Il allait encore falloir redoubler d’ingéniosité pour le faire tomber dans un piège.
Thot, encore plongé dans sa réflexion ne réalisa que trop tard que l’humain s’était pris au jeu. Fleuret en main, ce dernier pointa son arme vers le ciel, il descendit d’un coup sec son arme en exigeant froidement
- Feu !
Les canons sonnèrent à l’unisson, les nombreux boulets venaient cogner et fracasser la montagne sur laquelle le dieu se trouvait. Fortement secoué et sentant son perchoir se faire détruire, l’animal tomba à la renverse avec les nombreux débris. La défaite s’approchait de lui à pas lourds. À moins d’une vivacité particulière, il n’avait ni moyen de remonter, ni moyen de faire couler son ennemi. Il était impossible de parler sous l’eau, ses papiers étaient mouillés et s’il ressortait pour parler, les marins le fusilleraient à vue.
Sous l’eau, Thot comprenait sa mauvaise posture. Il finirait noyer et il n’avait pas de réelle possibilité de contrer l’idée de l’humain. Ce dernier s’était assuré d’empêcher tout participant de ce combat d’utiliser l’écriture ou la peinture à nouveau. Il fallait prononcer les mots quoi qu’il en coûte. La priorité pour le dieu, c’était désormais de trouver une poche d’air pour survivre et pouvoir annoncer sa future invocation.
Sur le pont du navire, Tolkien s’agitait, il se doutait que les choses ne seraient pas si faciles. Un dieu aussi calme que Thot trouverait forcément un moyen. De nombreuses secousses se faisaient entendre, et la mer s’agitait de plus en plus. L’humain s’arrêta un instant, observant les gigantesques tentacules qui venaient sortir de l’eau les uns après les autres. Le seul mot qui sortit de la bouche du poète fut le suivant
- Merde.
En contrebas, sous l’eau, après avoir trouvé une poche d’air créée par le relief d’une des  collines, Thot avait pu survivre et respirer un bon coup. Réfléchissant à comment couler ce  maudit navire et prendre l’avantage. Un mot lui était parvenu, une bête légendaire, crainte de  tous les marins. Le Kraken. L’utilisation de peinture par Tolkien un peu plus tôt avait permis au  dieu de remettre les pendules à l’heure, ce dernier avait donc décidé d’invoquer la créature la  plus avantagée dans ce milieu.
Alors que la gigantesque pieuvre sortait la tête hors de l’eau, la silhouette qui se cramponnait au  syphon de l’animal lança à son adversaire
- Tolkien ! Ces prochains mots seront les derniers !
Chapter 7: Pourquoi chercher Victoire ?
Summary:
La fin du deuxième affrontement de ce Ragnarok est arrivée ! Qui seront les prochains ?!
Chapter Text
Les tentacules du Kraken venaient compresser le navire, on sentait le bois craquer, on entendait les cordes se déchirer, le piège était parfait ; une réelle vision d’horreur pour les marins de tous âges. Ce qui était le plus inquiétant c’était la quille, si elle se brisait, le bateau coulerait indubitablement. Tolkien, envers et contre tout restait étonnamment apaisé. Les bruits, les cris, les tumultes, les vagues qui s’écrasaient contre la coque du navire, les canons qui hurlaient… Il n’entendait rien. L’auteur était captivé, captivé par cette vision ; la pluie battante qui venait laver l’encre et le sang des marins, le monstre marin furieux face à eux qui crachait sa substance noire à chaque stigmate sur ses tentacules : Tolkien voulait décrire cette scène. La seule chose qui lui vint en tête pour reprendre sa concentration, c’était de parler à sa Valkyrie.
- Chère victoire, pour quelle raison continuons-nous ?
- Car il y a du bon dans ce monde, et il en vaut bien toutes les peines.
L’auteur se mit à rire gaiement, il s’esclaffait, il était joyeux, souriant ; on entendait davantage ce  rire que les bruits du champ de bataille. Ainsi elle avait aussi lu ses livres, quel honneur pour un  auteur que la victoire elle même s’intéresse à son œuvre.
Il se souvenait, alors encore tout jeune des nombreux poèmes qu’il écrivit, ce nouvel univers,  cette langue fictive. Jamais son œuvre ne fut pleinement achevée à ses yeux, il s’en voulait, il se  détestait pour ça, mais d’une autre manière, il ne pouvait que l’accepter. Jamais son œuvre  n’aurait pu être terminée, il y avait autant de manières d’écrire son monde que de le voir ; il y  avait tant de paysage à découvrir et à décrire. Pour la première fois, sur ce champ de bataille,  Tolkien le pensa honnêtement. Les mots lui manquaient.
La passion. C’est le mot qui caractérisait le mieux l’auteur. La passion dans le sport, la passion dans la lecture, la passion dans la création. La victoire comptait beaucoup à ses yeux, car comme la défaite, c’est une sensation qu’on partage ; mais dans ces cas là, c’est les éclats de joie qui résonnaient. Tolkien n’aimait pas perdre, il avait gagné l’amour de sa femme, il l’emportait à chaque fois dans les efforts. Quand la guerre arriva, que la boue venait se coller à son visage, que les membres et les corps éclataient ; il réalisa. Loin de son amour, proche des morts, le linguiste fit face à une situation inédite, une situation sans gagnant ni perdant. Tout ce qu’il voyait c’était la mort, les cris, la folie, l’homme n’était plus, il n’y avait que des monstres assoiffés de sang. Il fallait désormais se battre non pour la victoire, mais pour la survie.
Le linguiste leva les yeux sur la pieuvre géante qui se trouvait face à lui, Thot baissa les siens sur la mythique bataille navale qui se déroulait en contrebas. Il était impossible que les humains gagnent face à ce monstre des abysses. Tolkien s’assit pour réfléchir quelques instants.
- Derniers mots hein… dans ce cas, autant viser l’apothéose ! Numerum !
Du latin, ce mot signifiait « numéro ». Ce choix ne faisait aucun sens, personne ne semblait comprendre la raison de l’utilisation de ce mot et surtout comment ce dernier allait changer le cours de la bataille. C’est un vieillard un peu trop bavard du côté humain qui se leva précipitamment en braillant à moitié, Tolstoï savait.
- J’ai compris ! Notre cher ami Tolkien a fait le meilleur choix possible, une stratégie, que dis-je une tactique parfaitement huilée ! Voyez vous, moi même je n’aurais jamais pu imaginer ça, c’est à cette maîtrise des langues qu’on reconnaît un linguiste hors pair, que dis-je un génie ! En réalité sa décision est sans doute celle qui va mener le combat à son terme. Je suis pris par l’émotion, plus encore, saisi à la gorge par des sanglots de bonheur et-
Oscar Wilde soupira bruyamment, agacé par les élucubrations, innombrables énumérations et autres synonymes proposés par Tolstoï
- Abrège veux-tu !
Le vieillard toussa, un peu confus, avant de reprendre parole
- Numerum veut dire « Le numéro » ça ne fait aucun sens, sauf si on y réfléchit bien. En temps normal Tolkien aurait dû utiliser le terme « Numerus » qui est la version plurielle du mot, ainsi il aurait multiplié l’intensité des mots précédents, mais de tous les mots ! En choisissant le singulier, il a pu choisir un mot bien spécifique. Et donc…
C’est l’autre vieillard qui eut un éclair dans les yeux, Victor Hugo saisit la parole en vitesse - Si son bateau a un numéro, ça sous entend qu’il en est d’autres et donc ! …
De multiples coques émergèrent des flots comme de véritables navires fantômes. Tous des copies du voilier alors en train de sombrer petit à petit. Tolkien en était sûr, cette stratégie de bataille navale serait celle qui lui assurerait la victoire. Les boulets de canons se multipliaient, le kraken était encerclé. La bête hurlait d’agonie et commençait petit à petit à couler. Le combat allait bientôt se terminer, à moins que Thot ne trouve un moyen de contrecarrer les plans de son ennemi. Le singe sauta agilement sur un des navires, commençant à massacrer les matelots à tour de bras. Il ne pouvait pas tuer Tolkien, mais son kraken y parviendrait peut-être, le Kraken ou son prochain mot.
- Monstra. (Monstres en latin)
Le ciel s’assombrit et la pluie se tut. Plus d’éclairs, plus de foudre, pour autant, la situation était nettement plus inquiétante. L’eau commençait à remuer, la mer se déchaînait, en quelques instants, tout le monde comprit. Ce qui causait d’aussi violentes vagues, ce n’était pas la mer elle même ; c’était ce qui se trouvait à l’intérieur. Une flopée d’infâmes créatures s’entre dévoraient dans les flots, la mer changeait de couleur, parfois verdâtre, parfois rougeâtre, le sang et les tripes flottaient ; l’odeur devenait pestilentielle. Les ignominies commençaient à frapper contre les coques, elles voulaient retourner et faire couler les bateaux. Cette rage allait cependant être passagère, les nombreux navires abattaient les bêtes les unes après les autres. Les quelques bestioles qui montaient sur les navires se faisaient tuer aussitôt. Certes quelques navires avaient rejoint le fond, mais Tolkien demeurait sur les flots. Le coup de grâce fut le serpent ; un être en particulier émergea des flots. Un cobra gigantesque, écorché et sanguinolent sortait de l’eau. Impressionné, l’auteur se permit un trait d’humour
- C’est donc ça, passer de Charybde en Scylla ?
L’immense créature déploya ses membranes, siffla de colère, son venin gouttait sur un des navires coincé entre ses crochets, le bois se dissolvait à vue d’œil alors que la bestiole mâchouillait. En réalité, décrire cet être comme un cobra était une erreur. Ce monstre ne faisait aucun sens, son sifflement rappelait le cri des morts, ses écailles étaient constituées de visages en tout genre. Tolkien le comprit bien assez vite, ce qui se trouvait face à lui, c’était le souvenir que Thot avait gardé d’Apophis. L’ibis avait décidé d’employer tous les moyens pour vaincre son adversaire, y compris celui ci. L’homme leva la main et prononça un simple mot
- Arfog (arme en gallois)
Une épée particulière se matérialisa dans la main de l’auteur. Elle semblait briller de mille feux, l’arme avait une allure presque mythique. S’avançant avant d’arriver sur la proue de son navire, alors que le serpent allait l’engloutir, l’humain fit un mouvement latéral qui trancha le monstre
en deux. Retournant sur le pont, il se trouvait face à Thot, grièvement blessé, presque mort. Il avait affronté tous les équipages uns à uns avant d’arriver face à Tolkien. L’humain ouvrit la bouche.
- J’espère t’avoir libéré de cet affreux souvenir.
Une lame transperça l’humain par l’arrière, ce dernier eut à peine l’énergie de repousser son  assaillant, un pauvre soldat terrifié, en train de pleurer, priant de rentrer chez lui.
La foule d’humain hurla de désespoir face à cette vision. Les seules personnes qui avaient gardé  leur silence, c’était bien les deux combattants. Thot fut finalement celui qui brisa ce calme, la  voix tremblotante, prise de sanglots.
- Nous le savions tous les deux… A tes yeux, les pires monstres, ce sont les hommes… Alors pourquoi. Pourquoi as-tu tué le serpent en priorité ?!
L’humain rigola un peu en toussant, sa valkyrie se matérialisa à ses côtés, blessée elle aussi ; cette dernière avait à peine la force de prendre la pipe cachée dans la poche de Tolkien pour la mettre dans la bouche de l’auteur et allumer le tabac. L’auteur hocha légèrement la tête pour remercier sa partenaire.
- Parce que… Le serpent ne parle pas. Les humains oui… Peu importe la langue… Ce qui compte, c’est le cœur.
Le dieu s’approcha de l’humain, s’asseyant face à ce dernier. Les larmes venaient rouler sur les joues du babouin, slalomant entre ses poils, il sentait son souffle lourd, sa respiration sifflante. Tolkien perdait petit à petit forces et vie alors que le tabac dans sa pipe s’amenuisait au fur et à mesure. Le monstre inspira un grand coup avant de parler à nouveau
- C’est ta victoire… Sans ces langues, je ne t’aurais jamais compris.
Souriant, le linguiste dans ses dernières forces ne put seulement être capable de prononcer ces quelques mots.
- Pourquoi ne pas en écrire de nouvelles ?...
L’enveloppe de l’humain craquelait petit à petit, le contenu de l’arène, les monstres, les collines,  le sable, les navires ; tout disparaissait progressivement en même temps que Tolkien. Ce monde  avait également été le sien, il l’avait créé avec l’ibis. Les corbeaux croassaient tandis que le  singe regardait le soleil, silencieux. Seul sur le terrain, le dieu reprit son masque qui était encore  apposé sur le sol pour le revisser sur son crâne, silencieusement, reprenant sa forme d’origine.
A contrario du premier tour, personne ne criait. Le silence était partagé par les humains comme  par les dieux ; les sanglots devaient se faire discrets, les seuls bruits tolérés étaient ceux des  larmes s’écrasant sur le sol et des plumes grattant le papier. Le dieu quitta l’arène pas à pas  avant de s’écrouler dans les couloirs de la victoire.
Seshat s’empressa de prendre son père dans les bras ; couvert de blessures en tout genre, épuisé, fiévreux mais vivant. Pleurant à chaudes larmes, la demoiselle accompagnée d’Ammout ne pouvait se résoudre à perdre un deuxième parent. Levant la main faiblement, le dieu vint sécher les larmes de sa fille.
- Seshat… Pourrais-tu… M’apporter de l’encre ?
La déesse se mordit les lèvres en secouant vivement la tête
- Oui père !
Dans les loges des dieux, Zeus, Hermès et Ares avaient respecté la mort de l’humain en se murant dans le silence eux aussi. Après un certain temps, le doyen se décida à parler en se grattant l’arrière de la tête
- Je comprends mieux pourquoi je n’aurais pas pu participer à ce Ragnarök, je ne suis pas aussi doué avec les mots, je préfère les poings.
Le majordome, plein de flegme remplissait quelques tasses de thé, les servant à son frère et son père. Il était particulièrement silencieux, ce qui était plutôt étonnant de la part d’un dieu d’ordinaire plutôt expressif comme lui. Buvant légèrement le contenu de sa tasse, le messager soupira légèrement.
- Ce Ragnarök se promet tout aussi divertissant et plaisant que le dernier, qu’en penses-tu mon cher frère ?
Ares, plutôt pataud et groggy secoua vivement la tête pour se ressaisir.
- Euh ! … pour sûr ! Je savais l’humanité forte, mais il semblerait que même dans le domaines des arts en tout genre, nous n’avons rien à leur envier ! Mais cher frère, permets-moi de te poser une question. Pourquoi ne participes-tu pas à la prochaine épreuve, cette dernière me semble dans tes cordes pourtant.
Admirant ses ongles, Hermès semblait légèrement pensif, doucement, il se mit à sourire - Car je n’étais pas le meilleur choix pour celle ci, tout simplement.
Du côté humain, les auteurs qui avaient accompagné Goll s’étaient tous retirés sans verser la moindre larme, en tout cas, pas en public. Leur prétexte était plutôt simple, faire tomber des larmes sur le papier, c’était le gâcher. Victor Hugo comme à son habitude fut le premier à émettre son opinion
- Tolkien avait raison, même malgré les conflits, nous nous devons de créer plus de langues,  plus de mots, il y aura toujours un moyen de communiquer avec les autres !
Oscar Wilde hocha simplement la tête en guise d’approbation. Alors que Tolstoï s’apprêtait à se  lancer dans un énième monologue, la main du français vint se poser sur son épaule pour lui  signifier que peu importe le nombre de mots pour exprimer son accord ou désaccord, il ne  comptait pas l’écouter.
Dès la fin du combat, sans même dire au revoir, Goll avait quitté les gradins. Elle était retournée dans sa salle de contrôle. Pianotant sur les touches de son clavier, établissant de nouvelles stratégies de combat, comment mieux utiliser le pouvoir de ses sœurs et surtout : comment mieux aiguiller les futurs combattants. Derrière elle, une voix se fit entendre.
- Chère guerrière. Ce n’est pas le moment de travailler ou de réfléchir, votre cœur n’est pas encore prêt. En cet instant, ce qu’il faut faire, c’est pleurer la mort de votre sœur et de votre ami.
Serrant le poing avant de l’abattre sur la table, la valkyrie se mit à fondre en larmes avant de cacher son visage entre ses deux mains tremblantes. Elle se pensait plus forte, elle se croyait capable de supporter cette responsabilité, mais c’était impossible. C’est seulement maintenant qu’elle avait compris ce que sa sœur avait enduré et supporté durant le précédent Ragnarök.
Le vieillard qui lui avait adressé la parole se leva silencieusement de son siège avant de mettre sur les épaules de la demoiselle un drap simple. Se caressant la barbiche, il semblait tout aussi pensif que serein, il finit par parler à nouveau, comme pour rassurer la demoiselle et recouvrir ses pleurs.
- C’est un poids qu’il vous faudra supporter plus d’une fois, c’est un poids qui ne fera que s’alourdir. La mort est inévitable sur le champ de bataille, même en sachant cela… Chaque mort est la responsabilité d’un stratège, nous avons le droit de pleurer ces morts, nous avons le devoir de leur éviter le combat.
La demoiselle renifla bruyamment avant de prendre un mouchoir pour souffler un grand coup. La tête encore baissé, les yeux fixant le sol, elle prit quelques instants pour se ressaisir. Après quelques respirations aussi lentes que profondes, le visage encore rougi, les joues creusées par les larmes ; elle posa les yeux sur l’homme face à elle.
C’était un vieillard en tout point. Les cheveux poivre et sel, longs, tirés et coiffés en chignon. Malgré son âge, il demeurait particulièrement droit et digne, c’était l’allure d’un homme ayant mené nombre de batailles. Les mains jointes à l’intérieur de ses manches, il observait simplement Goll. Malgré la froideur et la rigueur de son allure, les yeux de l’humain trahissaient autant de compassion que d’affection pour la Valkyrie. Même malgré cet air sévère renforcé par les quelques rides plissant davantage les traits de son visage sérieux, il dégageait une profonde gentillesse. Le vieil homme s’inclina légèrement en fermant les yeux.
- Toujours est-il. Un homme prêt à mourir, et souriant face au destin ne vit pas une triste mort, il  l’embrasse dans la dignité et l’accueille comme les lauriers de sa victoire idéologique.
La valkyrie s’efforça de sourire et de rire légèrement, un peu gênée.
- Victoire… C’était son mot favori.
L’homme ferma les yeux, calmement avant de rouvrir la bouche.
- Alors décrochons-la pour lui.
La demoiselle se mit à retrouver un grand et franc sourire avant de s’écrier.
- Quelle bonne idée j’ai eu de vous choisir comme conseiller Sun Tzu !
Un fin sourire perça les rides de l’humain qui s’inclina une nouvelle fois pour remercier la demoiselle.
- C’est trop d’honneur. Maintenant nous devons nous concentrer sur le prochain combat et envoyer notre nouveau candidat.
Du côté des dieux, une nouvelle réunion avait lieu, en maître de conférences comme d’habitude se trouvait Zeus. Le vieillard semblait nettement plus joyeux que lors du premier combat, il s’était même préparé à faire un petit discours.
- Hé bien avant tout, nous avons remporté ce deuxième round, Thot est absent de la réunion et vous vous doutez pourquoi cependant… Puis-je savoir pourquoi plus de la moitié des candidats sont absents ?!
Hermès, debout et rectiligne aux côtés du vieil homme se décida simplement à faire la liste des combattants divins en justifiant leurs diverses absences
- Eh bien… Guan Yu est mort. Thot est à l’infirmerie en train de se faire soigner. Asclépios est justement en train de soigner Thot. Les déesses mésopotamiennes ont refusé de venir. Sun Wukong se fout relativement de cette réunion selon ses dires. Odin est encore enfermé au tartare par sécurité. Quetzalcoatl a prétexté la beauté du soleil pour partir se promener. Janus est en train de remplacer Thot à son poste habituel. Hastur préfère ne pas venir et les deux démons sont partis dans leurs chambres pour discuter d’affaires privées.
Zeus soupira avant de poser ses yeux sur le seul dieu qui avait daigné participer à cette réunion ci. La figure en face de lui était en train de se balancer sur sa chaise, les deux pieds croisés sur la table de réunion. Cigare en bouche l’individu était en train de lire l’étiquette d’une bouteille qu’il avait chipée un peu plus tôt.
- Hum, pas mal comme Rhum, ils disent qu’il y a des fragrances à en réveiller un mort ! Hahaha le service marketing c’est des sacrés marrants vous trouvez pas et euh… Oh merde !
Réalisant qu’il était observé et qu’on attendait sa réponse, le soubresaut causé par la surprise de la situation avait fait tomber le dieu à la renverse. Reprenant son haut de forme, époussetant son manteau, l’homme à la peau noir et au maquillage de mort se redressa légèrement avant de faire un petit claquement de doigt en fingers gun à ses interlocuteurs.
- Hey handsomes excusez moi, j’étais un peu ailleurs, de quoi on parlait déjà ? Vous voulez pas boire un coup, faire une partie de carte ? Bon vous avez peu de chance de gagner contre moi à ce jeu là c’est sûr, mais je peux vous garantir qu’il n’y aura aucun tour de passe passe ! Pas de carte cachée dans ma manche, pas de bâton qui se transforme en serpent pour vous mordre la cheville, pas de fantôme derrière vous en train de regarder votre jeu ! Nan vraiment rien du genre, pour vous donner un avantage je peux même faire ça !
L’exubérant personnage cligna des yeux en y apposant une certaine force. Au moment ou il les rouvrit, ses deux globes oculaires étaient révulsés, révélant la blancheur immaculée de ses yeux.
- Comme ça je vois même pas le jeu, vous pouvez que gagner hein !
Zeus, aussi épuisé qu’agacé tapa du poing sur la table en beuglant.
- ASSEZ ! Samedi je te conseillerais d’arrêter de jouer au magicien du dimanche ! Tu vas combattre au troisième round, j’aimerais savoir si tu as un plan pour vaincre le prochain humain qui va se présenter !
Le dieu éclata de rire, il ne savait pas si ce jeu de mot fait par le doyen de la salle était volontaire, mais il faut avouer que ce phrasé était on ne peut plus amusant. Après sa crise de rire, le baron samedi regagna un sérieux qu’il n’avait jusqu’alors jamais affiché. Ouvrant son manteau, il dévoila un nombre considérable de têtes réduites accrochées à l’intérieur de son habit.
- Vous pensez que ça suffira ?
Ares sentit son sang se glacer. Il avait vu bon nombre d’horreurs, des combats violents, des guerres sanglantes, des créatures grotesques dévorant certains de ses soldats parfois. Mais jamais il n’avait vu quiconque montrer un spectacle si bizarre avec un air aussi calme et naturel.
Les vies qui étaient pendues à ce manteau étaient au yeux du Baron Samedi de simples petits porte-clés qu’on regardait en s’amusant.
De leur côté, Zeus et Hermès souriaient, le premier, rassuré de voir que son combattant était prêt et surtout sérieux vis à vis du combat qui se profilait. Le second quant à lui était particulièrement amusé de voir la froideur qui se mélangeait à la détermination dans les yeux du dandy. Le troisième combat de ce Ragnarök allait bientôt commencer.
Göll ouvrit une porte avec fracas, la mine sévère, elle ressemblait à une mère venant gronder son adolescent fainéant qui n’avait pas rangé sa chambre. La chambre, parlons-en, de la musique en fond, des disques éparpillés partout, une guitare posée au hasard par terre et des partitions déchirées. Au fond, sur le lit, se trouvait un jeune homme particulièrement malingre ; il tremblait comme une feuille. Son pull trop large était retroussé, dévoilant ses avants bras couverts de quelques traces de piqûres. Ses dents claquaient, ses yeux étaient vides, il se grattait frénétiquement, terrifié. Ses quelques mèches blondes venaient se coller sur son visage couvert de sueurs froides
- Les fourmis… y’en a plein… Elles s’arrêtent pas, tu les vois pas ?! Elle te montent dessus, elles vont te bouffer !
Göll le comprenait très bien. Le sevrage se passait très mal pour Kurt Cobain, le musicien humain souffrait en permanence, qu’il soit drogué ou sobre. Son estomac n’avait jamais cessé de le détruire et de le torturer même après la mort. Une deuxième silhouette se dessina derrière la Valkyrie. Une demoiselle de petite taille, particulièrement haute en couleur fit quelques poses digne d’une idole. Ses lunettes rose bonbon venaient tenir ses cheveux décolorés en arrière ; la petite demoiselle tendit une main pour la poser sur celle de l’homme qui était terrorisé. Ce dernier se recula le plus possible, comme apeuré par ce que la Valkyrie pouvait lui faire subir. Les ongles manucurés couleur pastel de la demoiselle parvinrent à effleurer le dos de la main de l’homme qui tout d’un coup, semblait commencer à s’apaiser et se calmer.
- Pauvre chou ! Tu vas voir, on va faire un duo du tonnerre toi et moi ! Comme en répèt’ !
Le musicien se releva, secouant un peu ses membres dans tous les sens, observant ses mains avant de réaliser quelque chose.
- J’ai plus mal ?!
La valkyrie devant lui s’empressa de mettre la main en signe de paix devant un de ses yeux ; faisant un clin d’œil avec l’autre et tirant la langue.
- Eh ouais c’est grâce à moi ! Þögn ! J’ai passé sous silence ta douleur ! Du coup, t’as plus mal ! Quand je te dis qu’on va faire un duo d’enfer ! Je suis trop contente ! J’adore tes chansons !
La petite demoiselle sautillait déjà sur place, surexcitée. De toutes les valkyries, elle était celle qui aimait le plus la musique. Ironique quand on sait que son nom signifiait « silence ». Il fallait être honnête, elle était bruyante, elle parlait fort, vite, et il était dur de la suivre. Par le passé, quand elle avait appris sa paire avec Kurt Cobain, la petite barbie sautait déjà de joie ; le musicien quant à lui tirait une tête de six pieds de long. Comment une gamine si superficielle et joyeuse pouvait faire une paire fonctionnelle avec un gaillard aussi passif et endormi que lui. C’est quand sa douleur disparu qu’il comprit, cette paire était la meilleure possible.
- Soit, t’es pas mauvaise gamine, on va faire un buff. Par contre, je vais vous demander de dégager de la piaule un instant. Faut que je me lave et que je me prépare moi.
La petite Valkyrie écarquilla les yeux de surprise, elle ne pensait pas qu’il apporterait autant d’attention à son apparence. C’est Göll qui la saisit par les épaules pour l’emmener en dehors de la pièce.
Après quelques instants, une silhouette ouvrit la porte de la chambre pour quitter la pièce. Kurt Cobain était prêt, et surtout, il était en pyjama. Göll serra les poings et s’invectiva
- Pauvre idiot ! Tu peux pas prendre ça au sérieux je te rappelle que
Alors que ses lèvres bougeaient, aucun son ne sortit de sa bouche. La plus jeune Valkyrie clappait des mains avec ferveur.
- Un peu de silence Göll ! Monsieur Kurt a sorti, sa plus belle tenue ! Celle de son mariage ! L’homme sourit simplement avant d’à nouveau tendre sa main à la demoiselle
- Kurt Cobain, allons détruire le monde en musique.
La petite lui serra la main avant de disparaître et de se transformer en guitare attachée dans le dos du musicien de Grunge
- Þögn, il est temps de rompre le silence !
Chapter 8: L'âme de la musique
Summary:
Le troisième combat du ragnarok peut commencer !
Le baron Samedi fait face au légendaire membre du club des 27, Kurt Cobain.
Comment ce combat va-t-il évoluer ?
Chapter Text
Le troisième round de ce Ragnarök allait bientôt commencer. Le stade avait fait peau neuve, les stigmates du combat précédent s’étaient envolés comme les grains de sable au gré du vent. Cette fois ci l’allure de l’arène semblait bien plus artificielle, plusieurs techniciens faisaient des allés venus pour préparer deux petits complexes. La disposition était la même pour les deux camps, d’un côté, une pièce complètement fermée et insonorisée, c’était un studio. Juste en dehors du studio se situait une petite scène ou se produire, naturellement, tout le matériel nécessaire à la composition était présent. Heimdall apparié d’une veste en cuir de rockeur avait lui aussi décidé d’adapter son apparence, cette fois ci, il serait showman et non simple commentateur.
- Mesdames et messieurs ! Dieux et déesses ! Faites du bruiiiiiiiiiiit !
Un tumulte, réel roulement de tambour se fit entendre de chaque côté des gradins, la foule était en délire et pour cause. Le silence digne d’une bibliothèque était déjà affaire du passé, maintenant c’était à la musique de faire place. Le commentateur et arbitre toussota légèrement, espérant regagner l’attention du public qui se tût progressivement.
- Avant d’introduire les deux combattants, permettez-moi de vous présenter l’intérêt de cette épreuve et son déroulement ! L’enfer sera désormais musical, certains disent que la musique adoucit les mœurs et apaise l’âme… Mais cette fois ci, la musique sera ce qui sauvera cette âme ! Permettez-moi donc de vous expliquer le fonctionnement de cette nouvelle épreuve et les règles de cette dernière !
Le dieu nordique sortit un papier de sa poche, il défroissa ce dernier avant d’en lire le contenu
- êtes vous familiers du concept de battle dans le rap, ou de battle de guitariste ? Cette épreuve en est inspirée ! Chaque tour se verra attribué un thème et une émotion ; le but est le suivant, chaque musicien devra créer une musique en adéquation avec le thème et le sentiment. Comment les points seront attribués ? C’est à ce moment qu’intervient notre variante de l’applaudimètre !
Heimdall ricana légèrement avant de poursuivre son explication, il fallait avouer que le commentateur était plutôt fier de cette création
- Il aurait été aisé de tricher avec un applaudimètre, les humains n’applaudiraient pas la performance du dieu et inversement. On aurait également pu noter les musiques sur leur composition, mais le but de cette dernière avant la technicité, c’est ce qu’elle suscite ! Donc, avec l’aide de deux précédents combattants du Ragnarök présents à mes côtés, nous avons mis au point cette technologie ! Monsieur le concepteur, c’est à votre tour !
Un homme portant un chapeau blanc affublé d’une belle plume grise agrippa le micro à ses côtés ; tapotant le sommet de l’outil, il vérifiait que ce dernier était fonctionnel. Son fin sourire haussa légèrement sa moustache, ses yeux hétérochromes pétillaient de vives couleurs.
- Eh bien, ladies and gentlemen ! Votre cher Jack est à nouveau présent avec l’honneur de présenter cette épreuve !
L’homme avait bien changé depuis le dernier Ragnarök, toujours classieux mais désormais Jack était bien plus lumineux. Lui qui transpirait cette gluante et visqueuse sensation de malheur et de tristesse était homme nouveau. Son costume entier était toujours aussi sophistiqué, long manteau gris par dessus une chemise blanche pleine de froufrous au niveau du col. L’humain fit tournoyer le micro entre ses doigts quelques instants avant de reprendre ses explications.
- Cette machine est inspirée de ma propre capacité ! Nulle besoin d’applaudir, cette dernière voit vos ressentis et vos émotions ! Via le cumul de données et d’émotions qu’elle intègrera à chaque chanson, nous verrons laquelle aura suscité les plus vives passions ! Scellant ainsi la victoire !
Passant le micro à l’homme situé à ses côtés. Un tonnerre d’applaudissements et de cris féminins se firent entendre dès lors que le deuxième interlocuteur fit son apparition. Rigolant légèrement, l’homme remonta ses lunettes et avec le dos de ses mains fit sautiller ses longs cheveux roses attachés en queue de cheval. Il avait été responsable de la création et du design de la machine, ainsi cette dernière était on ne peut plus sculptée et pleine de dorures. Le dieu attendit quelques instants la fin des hurlements avant d’en proférer un à son tour
- Alright Beautiiiiiiiiiiiiiiiiiies !
Le dieu du soleil leva avec vigueur le poing vers le ciel, causant un ruckus surpuissant dans les gradins. Apollon était revenu.
- Quel honneur ce fut pour moi de travailler avec de telles personnes, j’espère que notre invention sera à la hauteur de vos attentes ! En tant que dieu de la musique je me permettrai de vous apporter de petits commentaires techniques sur les compositions de nos chers musicien !
Après ces présentations terminées et la foule plus en délire que jamais, la première partie avait était à la hauteur des attentes de Heimdall. Soufflant à nouveau dans son cor, ce dernier allait désormais présenter les deux combattants de ce round. Les lumières s’éteignirent dans le stade, une pléthore de lumières phosphorescentes se dessinaient. Le stade plongeait dans la nuit luisait de milliers de lucioles, l’arène quant à elle était plongée dans la nuit, tout le monde retenait son souffle. La grande porte des dieux s’ouvrit, d’immenses volutes de fumée se soulevaient ; alors, un squelette se mit à tourner un bâton luminescent, d’immenses peintures tribales se dessinaient au fur et à mesure de ses pas ; une véritable vague de dessins se répandait. Heimdall, souriant, entreprit la présentation
- Légende du vaudou ! Un des nombreux barons de cette clique, nombreux sont ceux à l’avoir croisé au moment de mourir... nombreux sont ceux à penser qu’il en est la cause ! Nombreux sont également les musiciens à prétendre avoir croisé sa route… Malheureusement, peu sont encore là pour en parler ! Voici, le Baron Samedi !
La lumière du stade se réveilla soudainement, dévoilant un homme noir de peau ; seules les peintures blanches squelettiques tranchaient son apparence. Tous ses vêtements étaient de jais, du manteau au bottes en passant par la canne, il ne manquait que de savoir si son âme
était aussi sombre que son accoutrement. La foule était charmée, la présentation était réussie, mais un étrange frisson d’inquiétude demeurait ; ce dieu, il était capable de tout.
Quelques instants plus tard, de l’autre côté du stade encore lumineux, une autre figure se dessina. Elle était ridicule, une demoiselle en costume d’infirmière poussait un homme en fauteuil roulant. Il faisait mine d’être complètement décrépi, presque mort. La foule était silencieuse, mais quelques humains quant à eux commençaient à ricaner avant d’exploser de rire. Göll semblait encore plus inquiète de voir Kurt Cobain dans cet état, avait-il repris une substance étrange avant de monter sur scène, est-ce que ça allait aller ? Ce combattant était le seul qu’elle ne connaissait pas vraiment, pour cause, Brunhilde s’était occupée de lui il y a des millénaires et c’est le seul humain dont elle avait détruit le dossier. Quelques fans derrière elles arborant le t-shirt du groupe posèrent une main sur l’épaule de la valkyrie.
- Faut pas vous inquiéter ! Il avait déjà fait ce coup à un concert en 1992 ! On raconte même que c’était le meilleur concert de l’histoire de Nirvana.
Le seul son qui résonnait dans l’arène, c’était le couinement du fauteuil roulant sur le quel la star était assise. Il se releva doucement, prenant une cigarette dans sa poche avant de l’allumer, réajustant le micro-face à lui.
- Désolé pour l’intro, j’avais la flemme de chercher autre chose, par contre.
Inspirant une bonne dose de fumée toxique avant de la relâcher et de la regarder s’élever en l’air, l’humain sourit légèrement en admirant les volutes. L’infirmière déchira sa blouse, révélant des habits qui mélangeaient les froufrous roses au vestes à clous et autres bracelets de force. La demoiselle prit un micro avant de pousser un hurlement surpuissant et profondément guttural. Le chanteur rigola un peu avant de reprendre
- Elle c’est nouveau.
La valkyrie faisait facilement une tête de moins que le chanteur, son gabarit était particulièrement petit. Et pourtant, le cri qu’elle venait de faire venir au monde avait laissé tout l’assistance sous le choc, cette puissance était inatteignable pour quiconque de ce gabarit. La raison était on ne peut plus simple, si le nom de la Valkyrie était Þögn et que ce dernier signifiait silence ; ça ne voulait pas dire pour autant que c’était sa seule capacité. En réalité la valkyrie fonctionnait comme un transmetteur, chaque chose qu’elle passait sous silence lui était transférée ; si elle pouvait capter les choses, elle pouvait donc aussi les transmettre. La petite demoiselle avait conservé toute la douleur du chanteur jusqu’à l’arène pour hurler cette dernière au monde.
- Les présentations sont faites du coup vous pensez pas ?!
Annonça-t-elle fièrement en sautillant avant de prendre une pose exagérée, se voulant la plus  mignonne possible. Jamais personne ne tomberait dans son piège désormais, cette valkyrie  était tout sauf mignonne, c’était un véritable monstre.
Les deux combattants se fixèrent quelques instants sans rien dire. Kurt Cobain restait mains  dans les poches, tandis que le baron avait joint ses mains sur sa canne qui soutenait une partie  de son poids. On le remarqua assez vite, les deux hommes semblaient se connaître. L’un des  deux semblait cependant bien plus heureux de voir ce visage familier que l’autre combattant.  Kurt Cobain semblait avoir le souffle plus lourd, on aurait même cru le voir trembler légèrement ;  il essayait de rester le plus calme possible. Après quelques instants qui lui semblèrent être des  siècles, il termina sa cigarette avant de l’écraser dans un petit cendrier de poche. Le baron se  décida finalement à prendre la parole et l’interpeller
- Kurt, Kurt, Kurt… Sais-tu à quel point je suis déçuuuu de ne jamais avoir pu obtenir ton âme ? Après tout, tu aurais pu rejoindre bon nombre de tes petits camarades si tu avais respecté mon offre tu sais ?
Le baron fit une moue faussement attristée avant de planter son bâton au sol d’un coup sec. Il déboutonna avec une certaine douceur chacun des boutons qui venaient sceller son manteau. La foule et les commentateurs retenaient leur souffle. Une fois l’habit du baron entièrement déboutonné, ce dernier saisit chaque côté de son étrange cape et écarta le tout pour montrer ce qui s’y trouvait à l’intérieur.
Si la présentation de la Valkyrie avait su rendre silencieuse la foule. Cette fois ci c’était à un niveau encore supérieur. Il existe de nombreuses méthodes pour couper la voix de quelqu’un, la première, c’est de choquer cette personne ; la deuxième, c’est de tout bonnement la terrifier. Humains comme dieux avaient devant leurs yeux un spectacle plus que macabre. Le manteau du dieu vaudou était bien plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais ce qui causa l’effroi général, c’était ce qui se cachait à l’intérieur de ce manteau. Des têtes, de très nombreuses têtes, toutes réduites. Chaque centimètre du manteau du dieu en était rempli, chaque tête était soigneusement attachée. Le baron se mit à rire avant de prononcer une série de noms.
- Jeff Buckley, Paul Gray, Darrel Dimebag, Cliff Burton, GG Alin, Euronymous, Lil peep, XXXTentacion, Tupac, Notorious Big, Janis Joplin, Bob Marley, Jim Morrison, Aviici, Mac Miller, Juice Wrld, Nepal, Pop smoke, Daniel Balavoine, Robert Johnson, Eazy-E, Mozart, Jimi Hendrix, Sid Vicious, Pop smoke, Dennis Wilson, John Bonham, Amy Winehouse, Chuck Schuldiner, Brian Jones, Jonghyun, Park Bo-Ram, Moonbin, Alan Wilson…
Le rire sinistre de l’espèce de croque-mort résonna dans toute l’arène, il referma son manteau après avoir terminé sa terrifiante exposition. Remettant son haut de forme en place, le dieu pointa son adversaire du doigt, un sourire glacé plaqué sur le visage ; le squelette qui y était maquillé semblait sourire.
- Tous ces gens, c’étaient des collègues à toi hein Kurt ? Et tu te demandais sans doute pourquoi tu les avais jamais vu ici. Eh bien ne cherches pas plus loin… Ils-sont-avec-moi.
De l’intimidation, ni plus ni moins, c’était ça ce dont il s’agissait. Le baron samedi le savait très bien, de tous les combattants humains : le plus lâche, le plus anxieux, le plus peureux, c’était Kurt Cobain. L’humain sentait son esprit divaguer, tout était trouble, la vision d’horreur se mêlait aux chansons qu’il écoutait. Le guitariste se prit la tête à deux mains, secouant ces dernières, éparpillant ses mèches blondes en épis. Il essayait le plus possible de se ressaisir, la tempête d’informations et de sensations qui venait de lui arriver était tout sauf digeste. Comment pouvait-il affronter quelque chose comme ce monstre. Une phrase cependant acheva d’emmener le jeune homme dans la terreur. Le baron n’avait pas encore terminé sa tirade.
- Et tu sais quoi mon gars ? T’as pas à t’inquiéter ou à avoir peur d’être seul, bientôt tu les rejoindras tous ! Tu seras bientôt la pièce maitresse de ma collection ! Magnifique n’est-ce pas ?
Un rythme régulier commença à se faire entendre, effréné et saccadé. La petite valkyrie regarda à droite et à gauche, cherchant l’origine de ce son particulier. Ce son était particulièrement intriguant, on aurait dit que des fragments de céramique s’entrechoquaient les uns les autres. C’est au moment ou elle leva la tête qu’elle réalisait la nature de la situation. Ce qui causait ce petit son ininterrompu, c’était les dents du chanteur qui claquaient entre elles. Il transpirait, tremblait comme une feuille, cette fois ci ce n’était pas à cause du sevrage, mais bien à cause de la terreur. La valkyrie saisit doucement la main du chanteur
- Respire doucement et profondément, ça va le faire. On a seulement le droit de faire de la musique pour cette épreuve, rien de plus.
La vraie raison qui permit à l’humain de regagner sa concentration, c’était l’intervention d’une tierce personne. Depuis son piédestal, Jack l’éventreur vit parfaitement la couleur de l’humain un peu plus bas ; il était terrorisé. Il n’était pas arbitre, seulement commentateur, et par un espèce d’esprit patriotique, le tueur en série décida de donner un coup de main à l’humain qui allait devoir se battre envers et contre tout.
- Gentlemen, je vois que les présentations sont faites ! Cela dit, il me semble que tout n’a pas été explicité, permettez-moi de vous énumérer les règles !
Le dandy britannique saisit une feuille de papier entre ses mains gantées. L’annonce de la lecture du règlement avait permis à Cobain de retrouver sa concentration et surtout de dévier son attention du Baron, il retrouvait peut à peu son calme. Il fallait écouter les règles.
- Deux pièces sont à votre disposition ! L’une d’entre elle est un studio, il vous servira naturellement à créer et composer vos morceaux. La deuxième, ce n’est pas en réalité une pièce mais la scène que vous possédez tout deux, c’est bien mieux que de jouer à même le sol ! Pour les règles en elles mêmes, permettez…
Le gentleman tourna une page pour en arriver au règlement, réajustant son monocle, il reprit son discours
- Premièrement, vous avez un temps maximal d’une heure pour créer un morceau. Cela semble court, mais le but c’est avant tout de susciter des émotions, favorisez ce point ! Deuxièmement, il n’y a aucun temps minimal ou maximal à vos compositions. Troisièmement un thème et une émotion vous seront attribués, si le thème et l’émotion semblent contradictoire, eh bien il faudra faire avec ! Par thème, comprenez plusieurs choses : il peut s’agir d’un genre musical comme d’une scène, nous comptons sur votre imagination ! Et enfin, le combat s’effectuera en treize manches comme le Ragnarök, n’est-ce pas une charmante idée ?!
Kurt Cobain, mains dans les poches s’était avéré particulièrement attentif. Les règles étaient simples, cependant il était important de se concentrer sur chaque bribe d’information disponible. Le Baron Samedi de son côté avait été plutôt distrait, il connaissait déjà les règles de toute manière, et tout ce qu’il l’intéressait pour l’instant, c’était de voler l’âme du combattant humain. Kurt Cobain se retourna vers sa valkyrie
- ça revient à faire un album en gros. On a qu’à dire que c’est ton entrée dans le showbiz, même pas besoin d’un E.P ou d’un single.
La valkyrie rit légèrement, la demoiselle s’avérait en réalité particulièrement soulagée et rassurée de voir que son partenaire avait récupéré et son calme et son humour. Les combattants attendaient désormais les consignes et le coup d’envoi du combat. Une immense urne apparu entre les mains d’Apollon qui tira un petit papier qu’il remit à Heimdall
- Le premier thème est classique ! L’émotion est désespoir ! Le troisième round du Ragnarök peut commencer !
Chaque combattant semblait particulièrement calme et n’avait pas du tout réagi. Les deux ennemis s’étaient dirigés dans leur studio sans s’échanger ni le moindre mot, ni le moindre regard, les deux portes de studio se refermèrent sur les musiciens en herbe, chacun de leur côté. Les salles étaient particulièrement insonorisées et coupées du monde à une exception près. Chacun des studio voyait une petite caméra de sécurité filmer les combattants sans capturer le moindre son. Les spectacles qui se déroulèrent dans chaque pièce furent tout deux mémorables.
Kurt Cobain ouvrit la porte et s’étala par terre, complètement vidé de ses forces. L’humain, couché, regarda sa valkyrie qui semblait particulièrement calme. Le musicien put à peine soupirer et râler, avachi sur le sol
- Bordel… ça m’a vidé, ce type est toujours aussi flippant
- Toujours, donc tu l’as rencontré ?
- Bah oui bien sûr
- Je ne le savais pas du tout Kurt ! Tu es au courant que cette information est capitale ?! Qu’est ce qu’on va faire si-
- Ta-ta-ta je te coupe tout de suite ! C’est seulement si on perd et surtout ! Euh… T’y connais un truc en musique classique toi ?
- Attends… Tu ?…
L’humain et sa valkyrie se fixèrent ainsi durant de longues secondes, complètement droits, stoïques. Leurs yeux s’étaient plongés dans les rétines qui se trouvaient en face. Même complètement vitreuses à cause du choc, leurs prunelles transmettaient une pointe d’inquiétude. Ils n’avaient aucune réelle connaissance ou capacité lorsqu’il s’agissait de musique classique. Après un gigantesque moment de blanc, les spectateurs virent une situation pour le moins rocambolesque. Les deux musiciens s’agitaient dans tous les sens en braillant et en balançant les membres dans de grands gestes paniqués. Kurt Cobain se posa les mains sur la tête et semblait répéter la même phrase
- On est dans la merde ! On est dans la merde ! Tu m’entends ?! On ! Est ! Dans ! La ! Merde ! ON
La Valkyrie n’en pouvait plus, elle se contenta simplement de passer la voix du musicien sous silence. Certes la situation était alarmante, catastrophique même, mais ce n’était pas une raison pour baisser les bras pour autant. Même si les deux ne connaissaient rien à la musique classique, ils allaient devoir composer quelque chose.
Du côté de leur adversaire, la situation semblait on ne peut plus parfaite. Le dandy ouvrit la  porte de son studio avant de s’assoir en face d’un vieux piano. Il prit une des têtes réduites hors  de son manteau, éleva cette dernière au dessus de sa tête, un étrange liquide lumineux vint  s’agglutiner et perler le long de son artefact. Au bout de quelques instants, les quelques gouttes  venaient s’écraser sur la langue du baron qui prit soin de ranger la tête dans son manteau.  Levant le couvercle de l’instrument, caressant les touches blanches et les touches noires. Le  dieu vaudou commençait déjà à pianoter et à composer sa propre chanson, sa propre musique.  Il avait une longueur d’avance sur ses deux adversaires.
De chaque côté des gradins, les spectateurs semblaient atterrés par les événements qui se  produisaient sous leur yeux. Heimdall s’empressa de commenter
- Il semblerait que la panique gagne déjà le camp de l’humanité ! Nous savions Kurt Cobain sujet au stress, mais la situation semble dramatique, vont-ils réussir à fournir une composition avant la fin de l’échéance ?! En revanche du côté du Baron Samedi, tout coule, tout roucoule même ! Ses doigts semblent possédés, est-ce lié à cette étrange tête réduite, vos avis messieurs ?!
Le dieu au cheveux roses se gratta le menton quelques instants, pensif. Il se doutait de ce que le Baron Samedi préparait, et si c’était bien le cas, jamais les humains n’auraient une chance face à un tel adversaire.
- Eh bien mon cher Heimdall, Je pense qu’en réalité, ce qui se passe sous nos yeux est on ne peut plus simple ! Il semblerait que notre cher baron ait absorbé le talent et une partie de l’âme de Mozart pour créer ce morceau, à bien y regarder la tête réduite qu’il avait sorti de son manteau y ressemblait beaucoup ! C’est un pouvoir particulièrement terrifiant, je me demande comment nos chers humains sauront y répondre !
Jack de son côté semblait dubitatif. Certes le pouvoir du dieu était surpuissant, mais sous estimer les capacités d’adaptations de l’esprit humain était sans doute la pire erreur. Le gentleman but une gorgée de son thé tandis qu’il s'amusait à friser un des côtés de sa moustache. Le léger tintement de la tasse de porcelaine contre sa coupelle signala le début de son monologue.
- Certes, les humains semblent particulièrement paniqués. Force est de constater que ces derniers n’ont pas été très chanceux ! De mémoire, sir Cobain n’est pas grand amateur ou connaisseur de musique classique, sa partenaire ne semble pas mieux lotie. Mais n’oubliez pas… Chaque chanson nait bien de quelque part, en remontant suffisamment dans nos racines, nous trouvons nos origines. Le fou, l’amoureux et le poète sont farcis d’imagination selon sire William Shakespeare. Et notre cher humain semble aussi amoureux que fou de la musique, reste à savoir si sa plume sera suffisamment poétique.
Après de longues minutes, et l’apaisement général de la situation du camp humain. On pouvait voir la Valkyrie assise sur un lit tandis que son acolyte était posté devant le piano en train de répéter les mêmes accords encore et encore. Tout deux semblaient discuter, Certes l’américain n’était pas spécialiste de musique classique, mais le penser inculte vis à vis de ce sujet était une grossière erreur.
- On a qu’à reprendre un vieux chant nordique, c’est une forme de musique classique ! On y ajouterait quelques motifs du romantisme français pour intensifier certains des passages et les rendre plus dramatiques, écoute cette progression d’accords mineurs, si on gère bien ce passage ça devrait le faire, il nous manque le rythme…
La valkyrie se leva en vitesse
- Le temps est écoulé, laisse-moi gérer le rythme. Je sais quoi faire !
Chaque parti sorti de son studio. Le premier tour était attribué aux humains. En silence, Kurt  Cobain vint se poster en face du piano qui était sur la scène. Il ne savait toujours pas quoi faire  concernant le rythme de leur composition, puis il comprit. Des bruits de pas commençaient à  se faire entendre, de plus en plus, toujours plus nombreux, bientôt, on aurait cru entendre une  troupe de soldat marcher vers le champ de bataille. Þögn martelait le sol de ses pas, c’était  donc ça le rythme. Le pianiste se mit à jouer quelques accords, monter crescendo les sons et  leur intensité. Les sonorités épiques, les motifs musicaux variés. L’arrivée d’accords majeurs  rendait le récit particulièrement prenant. La foule semblait pouvoir voir au centre de l’arène un  jeune guerrier fier et farouche foncer au combat, recevoir mains lauriers. D’un coup il abattit son  poing droit sur les touches, causant un sursaut d’effroi dans le public ; les gens vivaient la  scène, et le héros venait de recevoir un coup de lance en plein torse. Il tombait et mourrait peu à  peu, les notes se faisaient plus faibles, coulantes comme le fluide vital qui s’écoulait du corps  inerte du guerrier. Les accords se faisaient de moins en moins triomphants, les bruits de pas  plus rares. Pas un mot n’avait été chanté de toute la composition, pourtant, chaque personne  dans le public avait vu et entendu les derniers instants de ce héros. Après de nombreux  applaudissements, la valkyrie et le musicien s’inclinèrent respectueusement pour remercier le  publique. C’était au tour du baron.
Quelques musiciens étaient venus se poster face au baron suite à son appel. Son bâton était  devenu une baguette de chef d’orchestre. Il avait pensé à tout, même à ça. Cependant, la foule  fut particulièrement surprise, car sa composition n’avait rien d’originale, cette dernière, c’était le  dernier requiem de Mozart. Alors que Heimdall s’apprêtait à interrompre le participant, un coup de timbales résonna, la musique avait changé. En réalité, elle semblait avoir changé,  cependant, personne n’avait jamais entendu cette composition. Après quelques instants, alors  que les musiciens versaient des larmes au fur et à mesure de leur jeu, le publique comprit.  Cette musique, c’était la fin du dernier requiem de Mozart, la symphonie que le compositeur  n’avait jamais pu terminer. Le public applaudit avec ferveur la composition, le résultat fut sans appel, l’humanité avait  perdu ce premier face à face.
Chapter 9: Il vaut mieux brûler...
Summary:
Le combat continue !
Quel est le lien entre Kurt Cobain et le baron Samedi ?
Ce duel musical est-il si simpliste ?
Chapter Text
La première défaite était sans appel. La performance de Kurt Cobain et de sa valkyrie était exceptionnelle, peut être une des meilleures compositions classique bien que très différente des idées qu’on se faisait de ce genre de musique. Malheureusement, qu’est-ce qu’un talent insondable dans un domaine qui n’est pas le sien face à un autre talent insondable dans un domaine qui est le sien. Wolfgang Amadeus Mozart avait délivré cette musique et cet art au Baron Samedi, ce dernier en a gobé le contenu comme un serpent engloutit un œuf. Heimdall commenta les compositions
- Le résultat est sans appel ! L’applaudimètre a déjà enregistré un record avec la composition du camp des humains… Cependant… Cependant ! La composition du dieu aura surpassé et de loin cette de l’humanité ! Que nous réserve la suite de cet affrontement ?!
Jack, retira son monocle et se pinça l’arête du nez, il semblait contrarié ; plus exactement, il n’était pas entièrement d’accord avec l’analyse d’Heimdall. Pouvait-on réellement parler de composition divine quand celui qui en est l’auteur était jadis un humain ? Alors que le britannique ouvrait la bouche, Apollon soumettait déjà son point de vue
- Nombreux ici sont ceux à penser que cette composition et cette victoire devrait revenir aux humains. Cependant, c’est une erreur. La composition est bien celle du Baron Samedi. La seule chose qu’il obtient de ces compositeurs, c’est l’inspiration. Peut-on réellement blâmer l’artiste de s’inspirer de quelqu’un d’autre ? Le talent qui nous a été montré, c’est bien le sien.
Sur la scène, déjà le baron s’inclinait et faisait salut. Dans la musique les seules demi-mesures qui existent sont sur les partitions, pour le reste soit la lumière vous accueille, soit les ténèbres.  L’humain en avait déjà été victime de nombreuses fois, on ne peut pas gagner à tous les coups, il connaissait les règles. Alors que la petite Valkyrie commençait déjà à sautiller et à s’énerver  sur place, sans un mot, Cobain entrait à nouveau dans le studio. Þögn s’empressa de saisir la  main du chanteur pour le retenir, elle le sentait trembler comme une feuille. La petite guerrière  s’empressa d’essayer de passer sous silence l’angoisse qui augmentait, rien ne changea, levant  la tête, la valkyrie réalisa ; Kurt Cobain affichait un sourire quasi dément. S’il tremblait, c’était  d’excitation.
Heimdall observait la scène en silence, ne pouvant s’empêcher d’afficher un rictus de bonheur.  La musique avait enfin réussi à prendre le dessus sur ce combat, quelles allaient être les  prochaines compositions ? Le dieu rugit dans son cor.
- Mesdames et messieurs ! Le démon de la musique semble avoir pris le contrôle sur Kurt Cobain ! Je vois déjà le Baron Samedi se lécher les lèvres et saliver face à la qualité de l’âme de son adversaire, ce combat promet déjà d’être incroyable ! Apollon s’il vous plait, présentez-nous le prochain thème !
Le dieu grec était du genre à capter et vouloir monopoliser l’attention, cette fois ci ; il n’en fit rien. Étrangement silencieux, Apollon prit un papier dans l’immense urne qui se trouvait face à lui. Un silence de mort planait sur l’arène et le stade, le dieu lut.
- Punk. Colère.
Kurt Cobain sentait son sourire se distordre davantage, il se devait de gagner ce combat ci quoi qu’il en coûte. Il avait raté sa carrière de punk, ses albums sonnaient bien trop pop à ses yeux et selon les experts ; jamais personne n’avait compris cette colère et ce désespoir qui comme deux blocs de bétons liaient ses pieds au fond de l’eau. Sans un mot, l’humain ouvrit la porte du studio, s’assit sur le lit et donna quelques indications à Þögn.
- Plus qu’une musique, le punk c’est une manière d’être. Mieux vaut brûler franchement que  s’éteindre à petit feu. Le baron va sans doute choisir Vicious, GG Allin c’est une bonne figure de  punk, mais sa musique va juste amener du dégout, ça marchera pas.
La valkyrie était étonnamment silencieuse, elle déglutit, Cobain préparait quelque chose,  quelque chose de grand. Après quelques instants, l’homme se releva et plongea ses deux  abysses bleues dans le regard de la demoiselle.
- Sid Vicious c’est comme un mentor pour moi, son punk est littéralement indétrônable mais quand il s’agit des codes du punk uniquement. Le genre musical a évolué, hardcore, post punk, metalcore, grunge même. Beaucoup de sous-genres se veulent soit plus agressifs, soit plus mélodieux, il faut prendre ça en compte.
Il fit les cent pas, pinçant son menton en réfléchissant et en parlant à haute voix.
- Le but premier du punk c’est d’emmerder le système, le système a aussi évolué… L’erreur du baron et je l’ai vue dès le début, c’est qu’il vole en effet l’inspiration car il n’en n’a aucune. C’est un maitre lorsqu’il s’agit de composer, un virtuose de chaque instrument qu’il touche mais il a besoin des humains. Sans leurs éclairs créatifs il n’est rien, il se contentera de faire du Sid Vicious. Ça marchera forcément, mais ça ne veut pas dire que ça suffira, les temps ont changé. Je vais reprendre ma gratte, tu vas absorber le plus de sons possible, ensuite tu transfèreras tout dans ma voix.
Pas un mot de plus, l’humain s’assit et commençait déjà à improviser quelques accords et riffs sur sa nouvelle gratte. Et c’est au bout d’une quinzaine de minutes à peine que sa botte vint s’écraser contre la porte du studio, l’ouvrant avec fracas.
- Samedi ! Le punk c’est là pour emmerder les règles, rien à foutre d’avoir une heure ! Sors de ton studio maintenant et improvise !
La foule était tout bonnement sous le choc. Jack l’éventreur rit aux larmes, ses yeux l’avaient vue ; ils décelaient déjà la profonde rage qui secouait l’intérieur de l’humain, Cobain s’était très vite ressaisi, la première fois il avait composé une musique comme un professionnel ; en effet elle était agréable à écouter et même audacieuse à certains moments de sa composition. Mais cette fois ci, l’être qui se trouvait face à eux n’était pas un professionnel, c’était un amoureux de la musique. L’humain d’ordinaire timoré n’arrêtait plus sa langue
- Bouge toi vite et ramène-toi là ! On va jouer en même temps, c’est comme ça que ça marche avec cette musique, la politesse on s’en branle !
Tout doucement, la porte de l’autre studio s’ouvrit. La jolie veste de chef d’orchestre était déchirée, une immense basse était attachée au dos du baron. Pas de haut de forme, ses cheveux ébouriffés ne permettaient pas au chapeau de tenir de toute manière. Kurt Cobain avait vu juste, le baron avait absorbé l’âme de Sid Vicious. S’allumant une cigarette, le dieu se posa devant le micro de sa scène et alluma l’ampli de sa basse.
De l’autre côté, l’humain abaissa les crans de micros de sa guitare, le son serait agressif et violent. Un rythme légèrement battu du pied puis un top départ. Alors que le baron s’apprêtait à chanter et jouer son morceau, c’est un véritable raz de marée qui se jeta sur le dieu, un raz de marée de pure colère. L’humain balayait dans de grands gestes discontinus et désordonnés sa guitare, il venait presque gober et croquer le micro quand il venait cracher ses mots. Ce round était scellé dès la première note, non, dès le premier hurlement en réalité. A peine le dieu vaudou commençait quelques accords dissonants que la voix de celui qui était en face résonnait dans l’arène comme un hurlement de guerrier aveuglé par le sang et la haine.
Cobain devenait plus agressif à chaque battement de rythme, il sautait sur place, tournoyait et hurlait toujours plus fort. Pas une seule note n’était correcte, pas un seul moment était chanté, rien ne sonnait juste ; rien ne faisait sens. Le baron qui était amoureux de composition et du génie créatif des hommes ne put que s’incliner face à cette prestation. L’homme qui se trouvait face à lui était devenu un navire qui brisait les vagues durant la tempête. La foule ruisselait, les gens hurlaient, sautaient, se bousculaient dans tous les sens. La musique, il fallait la vivre, la chanter avec ses tripes. L’humain dans un dernier fracas et hurlement mit un énorme coup de pied au pied du microphone qui vint s’écraser au sol. Micro dans une main, majeur tendu vers le dieu de l’autre.
- Alors Samedi ! On s’en bat les couilles que tu saches bien jouer ! On est juste là pour tout donner ! Viens me bouffer si tu l’oses fils de pute !
Une défaite cuisante, une rouste, une branlée même. Il n’y avait pas réellement de mots pour décrire l’échec cuisant qu’avait été la composition du Baron Samedi. En réalité, le public n’avait même pas entendu le dieu, il avait même été oublié. La seule personne qui avait su dominer cette scène en cet instant présent, c’était Kurt Cobain, et il était impossible de lui refuser cette victoire. Heimdall, éberlué par ce round en avait perdu ses mots. Jack sécha les quelques larmes causées par son fou rire précédent et commenta
- Ladies and Gentlemen ! Ce combat se promet riche en rebondissement, sans appel et d’une manière plus qu’écrasante, le vainqueur de ce deuxième round est Kurt Cobain !
Apollon, tout aussi impressionné qu’Heimdall ne put cependant s’empêcher de s’écrier à son tour
- J’ai moi même connu un homme de cette trempe ! Tout aussi vulgaire, cependant je n’ai aucune honte à le dire, cet homme était incroyable, bravo !
Le dieu vaudou sentait la colère l’envahir et lui monter à la tête, non seulement il s’était purement faire ridiculiser ; mais en plus de ça on félicitait l’humain pour sa victoire. Le sinistre personnage serrait les poings et les dents en attendant l’annonce du prochain duel. Quelques instants à peine suffirent. Un nouveau papier était sorti de l’urne, Heimdall lut à haute voix
- Métal et angoisse
Les deux musiciens avaient déjà regagné leurs studios en silence. À peine arrivé devant son piano, le baron ne sortit pas une mais bien deux têtes de son manteau. Les agitant comme de vulgaires babioles, les expressions des visages décrépis se tordaient de douleur avant de briller et de laisser couler ce fameux nectar. À peine la mixture atteignait la langue du féticheur que ce dernier se voyait composer comme un fantôme de l’opéra. La vision qui était donnée à la foule était grotesque et saisissante, il était impossible de rester de marbre face à un spectacle si étrange.
Du côté humain en revanche, l’ambiance semblait étonnamment calme et détendue. Peut-être comptaient-ils faire l’impasse sur cette composition ci, après tout la prestation précédente avait dû les épuiser. Il allait être essentiel pour ce round ci de réfléchir méthodiquement et surtout d’employer diverses stratégies ; la plus logique était de se concentrer sur ses domaines de prédilection et de laisser les autres à l’adversaire. L’humain et la valkyrie en avaient déjà fait les frais, une heure de composition pour un premier morceau qui de toute manière ne pouvait pas faire le poids. Kurt Cobain était déjà en train de réfléchir en se parlant à lui même
- C’est pas gagné, là on est sur quelque chose d’autrement plus difficile que faire un album ou un concert. On doit faire les deux en même temps, avoir l’inspiration, les capacités sur la scène et en plus de ça réussir à rester concentrés pour proposer de bonnes compositions. Le tout… Sans même pouvoir donner de réelle logique à ce qu’on créé à cause des thèmes
Il semblait plutôt irrité par cette situation. Pour un artiste aussi libre que lui, il fallait avouer qu’être privé de sa fougue musicale et l’obliger à construire certains morceaux était tout sauf naturel. La valkyrie de son côté s’efforçait à chercher des données et écouter divers morceaux, elle proposait ses idées au blond.
- Avec le thème de l’angoisse on devrait se baser sur des images visuelles fortes, les inspirations  de base du Black sabbath par exemple. Si on se base sur du black métal on choquera plus qu’on  angoissera, les deux sensations sont distinctes.
Observant le plafond, l’humain rétorqua.
- Il faut s’intéresser à des sonorités particulières, on peut s’inspirer de Celtic Frost c’est plutôt avant gardiste et lourd en termes de sons.
La composition des humains avançait à son rythme. De son côté le baron se démenait comme un diable, l’angoisse, c’était son sujet et il était hors de question qu’il se laisse battre à son propre jeu ; surtout pas contre une âme qu’il convoitait tant. Les touches du clavier de piano se faisaient malmener, toujours plus longtemps, des notes qui trainaient de plus en plus. Puis le baron posa les yeux sur un nouvel instrument, l’orgue.
Après de longues minutes, les deux partis étaient à nouveau chacun sur scène. La tension se  faisait crescendo, il fallait encore définir qui jouerait le premier cette fois ci. Heimdall au centre  de l’arène décida de déterminer l’ordre de passage à pile ou face. Bien qu’uniquement les  sentiments de la foule soient pris en compte, il était probable qu’un choc ou une surprise causé  par une première composition puisse faire pencher la balance. Cette fois ci, c’était le baron qui  commençait.
Abattant ses doigts sur l’orgue, le gentleman essayait d’alourdir le plus possible le poids des  notes. L’ambiance était sinistre, sombre, on se serait cru en pleine nuit d’un mois d’hiver. Le ciel  semblait grisé par d’étranges nuages, la lune brillait et perçait faiblement le tableau. De longues  et menaçantes branches venaient boucher la vue et gâcher le chemin. Le son éraillé et sur le fil,  la voix lourde et chargée rendait l’ambiance quasiment irrespirable. À la fin de sa composition,  le baron se releva, satisfait. Kurt Cobain semblait légèrement souriant, il glissa quelques  simples mots à sa Valkyrie
- On va aussi gagner ce round, je t’expliquerai pourquoi juste après, j’ai son point faible.
Montant les marches de son estrade, l’humain se positionna et commença à jouer un morceau. Pas un mot, tout semblait lent, trop lent même. La guitare était chargée, saturée, les notes se faisaient rare. Si la chanson de Samedi évoquait une sombre forêt inquiétante et angoissante, l’humain évoquait quelque chose de bien plus terrifiant ; Le vide, le vide et se retrouver face à soi même. Sa voix était chevrotante, chargée et en même temps étonnamment claire. Le public semblait être en train d’écouter un homme qui chantait ses misères et le désespoir qui le rongeait. Un homme au fond d’un trou qui semblait sans fond. Cet homme ne réalisa trop tard que ce trou, c’était lui qui le creusait. Un frisson d’effroi saisit l’assistance à la fin de la performance. Tandis qu’Heimdall annonçait la nouvelle victoire du camp humain, Cobain s’exprima.
- T’as utilisé l’âme de Schuldiner et de Gray hein ? C’est à partir de ce moment là ou t’avais perdu. C’était trop gourmand. Schuldiner s’inspire trop du classique et du jazz pour matcher avec le style de Gray qui est bien plus lourd et violent. Ta vision mettait mal à l’aise, mais elle n’angoissait pas pour autant. Tant que tu ne joues pas avec tes tripes, tu ne joueras tout simplement pas.
Le baron n’ajouta aucun mot, il se contenta d’entrer à nouveau dans son studio, dans le silence. Ça ne présageait rien de bon. Cet homme était tacticien, malin, le genre à toujours obtenir ce qu’il désirait. Le genre à toujours parvenir à ses fins. Une angoisse commençait à saisir le cœur de son adversaire. Et si le baron faisait exprès de perdre ces combats et se réservait pour la suite, dans le but de faire baisser la garde de Cobain. Si le baron faisait une impasse sur ces épreuves ci, les considérant comme peu utiles et perdues d’avances. Alors que Jack s’apprêtait à tirer un nouveau papier qui énonçait la prochaine épreuve, le regard de l’humain plus bas l’interpella
- Comment puis-je vous aider, sir Cobain ?
- Pouvez vous m’indiquer le nombre de genre musicaux et d’épreuves ?
- Je crains que ce soit chose impossible. Le Baron l’ignore lui même… Dites vous seulement que la musique est née avec les hommes, en même temps que leurs sentiments.
Cette simple réponse suffisait déjà au blond. C’était désormais une certitude, il y avait bien plus de thèmes, de sous genre et de sentiments possibles. Dans ce cas, quelle était la raison qui faisait que les sentiments et genre musicaux tirés jusque là étaient aussi larges ? Alors qu’il réfléchissait, il fut coupé dans son élan par le gentleman commentateur
- Musique électronique, joie.
Pas de chance pour l’humanité, ce genre là était difficile. Alors qu’il entrait dans son studio, il gribouillait un espèce de plan. Curieuse, Þögn sautillait derrière lui pour essayer de lire par dessus son épaule. L’individu semblait soucieux, il ne voulait pas que la caméra de sécurité voit ce qu’il écrivait.
- Je pense que le combat est divisé en quatre manches. Les quatre premières compositions sont des thèmes larges et sentiments simples, les quatre suivants plus intermédiaires, et la fin, bien plus dure.
La valkyrie semblait pensive, une question lui vint cependant à l’esprit
- Ok mais on a 13 battle, pas 12.
- Y’aura forcément un thème libre à un moment, c’est une manche bonus.
C’était une forme de logique implacable, mais purement basée sur l’instinct. Alors que l’humain se relevait et se dirigeait vers un synthétiseur pour jouer, la demoiselle lui saisit le poignet et endormi les forces de son partenaire ; le forçant à tomber à genou par terre, incapable de répliquer ou de se relever.
- Kurt, j’ai besoin que tu me dises ce qui se trame avec le baron. C’est évident que vous vous connaissez, c’est hors de question que je reste là comme une cruche à suivre tes indications
sans rien faire. Si je ne peux pas te faire confiance, alors pas de Volund. De toute façon on peut  bien faire impasse sur cette épreuve, la musique électronique ça ne parle ni à toi, ni à moi.
Le musicien soupira et se laissa davantage tomber en arrière, couché sur le sol, il regardait le  plafond de la petite salle.
- T’as pas tort… Le Baron et moi on a fait un marché le jour ou j’ai essayé de rejoindre l’autre côté la première fois. Sa promesse est toujours la même, beaucoup pensent qu’il offre du talent musical aux gens mais c’est pas le cas. Il fait quelque chose de bien plus dangereux que ça. Il change le cours du destin.
La valkyrie pencha la tête sur le côté, dubitative
- Il change le destin ?
Le musicien continua son explication. Le Baron Samedi était un dieu qui faisait bon nombre de marchés, mais sa réelle passion, c’était la musique. Sachant que les musiciens les plus talentueux étaient souvent maudits par un manque de succès remarquable, il avait décidé de changer les choses. Le baron s’était infiltré dans la société humaine et par nombre de petits incidents, il faisait s’élever chaque musicien malchanceux vers le chemin de la gloire. Mais le prix lorsqu’on pactise avec ce dieu qu’on rencontre à la croisée des chemins, c’est que ce destin artificiel ne sera plus le nôtre, il sera entre ses mains.
- Et tu vois, c’est pour ça que la plupart des musiciens vraiment célèbres, et bah on clamse avant 40 ans, parce que c’est lui qui décide qu’on en a assez fait et que donc on doit rejoindre sa collection.
Une zone d’ombre persistait. Comment Kurt Cobain était le seul rescapé de cette étrange collecte ? Alors que la demoiselle s’apprêtait à interroger son acolyte sur le sujet, ce dernier ne répondait plus et semblait composer quelques notes.
- Je t’expliquerai la suite plus tard, on fait peut-être une impasse relative sur cette épreuve mais ce n’est pas non plus une raison pour ne rien proposer du tout, qui sait sur un malentendu, ça peut passer.
De son côté le dieu obscur avait déjà consommé une nouvelle âme, une nouvelle tête pleine d’idées et de concepts inédits venait le nourrir afin de l’approcher davantage de la victoire. Plus le temps avançait et plus la foule était captivée par ses capacités de composition peu importe les outils. Depuis la révélation d’Apollon, savoir que cet étrange personnage connaissait et maitrisait l’utilisation de chaque variété d’instrument forçait le respect.
L’heure s’était écoulé, le quatrième face à face allait avoir lieu. Rien de notable ou même d’impressionnant du côté humain. Les commentateurs souriaient en voyant la performance, ou du moins, l’absence de performance de la part de Kurt Cobain ; la musique était agréable, mais n’était pas vraiment intéressante. Ainsi il avait compris, il était impossible de se donner entièrement dans cette épreuve, il y en avait pour au bas mot une journée entière si on comptait les compositions, les prestations, les notations. Le tout devait être accompli d’une manière irréprochable, sans pause ; et aucun cerveau n’était capable de maintenir une telle concentration sur un laps de temps aussi long et sans une once de repos. Samedi l’avait compris dès le début de l’affrontement, c’était en tout point un dieu plus malin qu’il voulait bien le laisser croire. Le résultat de cet affrontement était sans appel, le dieu l’avait emporté avec l’aide de l’âme d’Avicii, et ce, haut la main.
Nouveau papier retiré de l’urne, Heimdall souriait au moment d’annoncer le prochain défi. - Rock psychédélique. Bad trip.
Cobain souffla légèrement en entendant ce résultat, il avait vu juste. Chaque demande allait devenir plus précise et plus exigeante que la précédente. Retournant dans son studio accompagné de la petite demoiselle, il se décida à lui révéler toute l’histoire qui le liait au baron samedi et comment il avait évité d’être la pièce maitresse de sa collection.
Tout le terrorisait. Déjà plus jeune, il était sensible, fragile, anxieux. Jamais il n’aurait dû rencontrer le succès, mais la rencontre avec cet étrange ange noir, ses douces paroles ;  l’adolescent fut convaincu. Il changerait le monde de la musique, de fil en aiguille, le succès  commençait à sourire petit à petit. Cependant, il le savait, ses jours étaient comptés, chaque  nouvelle croix sur le calendrier était une nouvelle journée de torture. Chaque lever de soleil  causait d’atroces douleurs abdominales au chanteur, au début c’était l’herbe qui l’apaisait, à la  fin, même l’héroïne ne lui faisait plus d’effet. Essayer une cure de désintox, bien sûr, ça ne  marcherait pas dans tous les cas ; il savait très bien qu’il allait mourir de toute façon.
Des regrets ? Bien évidemment que le chanteur en était rempli, sa fille, sa pauvre petite fille ; il  ne la reverrait plus. Il aurait préféré ne jamais connaître le succès, il aurait préféré faire quelques  comptines dans son coin, afin qu’elle seule puisse les entendre. Ses comptines étaient des hits,  ses chansons et son désespoir étaient les plus grands succès du billboard.
Ses proches le pensaient paranoïaque, il ne souriait plus, il ne riait plus. Plus de blagues, plus d’humour noir, plus de cynisme. Le temps passait et il se renfermait, les nuits se faisaient en pointillés, chaque étoile qui brillait un peu trop fort le réveillait en sueur. L’ange viendra, l’ange le tuera, il sera dévoré. Le contrat était parfait, toutes les causes de décès possibles étaient écrites en bas de page. Quoi qu’il arrive, Kurt Cobain reviendrait au Baron Samedi.
Quelques semaines avant qu’il ne quitte le monde des hommes, Kurt Cobain avait reçu la visite d’une étrange femme aux cheveux noirs de jais. Les plumes de sa robe blanche voletaient à chacun de ses pas, la figure posa ses deux yeux verts dans les prunelles du chanteur. Si Samedi était l’ange noir qui avait allongé sa vie, elle serait l’ange blanc qui la terminerait en bonne et due forme. Serrant son fusil contre lui, l’humain paniquait
- Qui êtes-vous ?!
La femme sourit légèrement
- Alors c’est toi l’âme que Samedi observe avec tant d’appétit. Je suis Brunhilde, ainée des valkyries, j’ai besoin que ton âme reste intacte. Le 5 avril, dans quelques semaines… nous mettrons terme à tes souffrances. Un jour tu devras vaincre le baron à son propre jeu.
Paniqué, acculé, le musicien ne put se résoudre à refuser l’offre, il hocha simplement la tête, résigné. Il allait de toute manière bientôt quitter ce monde, avoir une date et savoir que son âme ne serait pas entreposée dans un musée macabre le soulageait plus qu’autre chose.
Nombreuses sont les théories du complot régnant autour de la mort de Kurt Cobain. Selon de nombreux rapports, il aurait été impossible que ce dernier se tire une balle dans la tête sans utiliser ses pieds ; or, le chanteur avait conservé ses chaussures. Dans cette étrange petite pièce, l’humain partageait ses derniers instants avec la Valkyrie qui lui donnait quelques instructions
- La seule manière de rompre ton contrat avec Samedi c’est d’être tué par un autre être divin. Je ne sais pas quelle utilité tu auras pour mon objectif, mais je préfère éviter de laisser une autre âme au Baron.
Brunhilde leva le fusil vers le chanteur assit contre un mur. Ce dernier alluma simplement son lecteur CD, Layla d’Éric Clapton se jouait, souriant amèrement l’humain prononça quelques mots
- J’adore cette chanson… J’hésitais même à donner ce nom à Frances.
Admirant les volutes de fumée de sa dernière cigarette, observant les formes danser dans le rayon de lumière qui venait percer le store mal fermé. Kurt Cobain avait écrit cette dernière lettre, pleine de tristesse, de colère et d’espoir. Envers l’humain, envers lui, envers les autres. Une lettre que Brunhilde avait lue. Tout deux aimaient et détestaient l’humanité, il était hors de question qu’un dieu fanatique et collectionneur hérite de cette vie, ainsi, la dernière note qui la marque, fut celle du coup de feu. Brunhilde brûla le dossier de Cobain après coup.
Chapter 10: Eternal Dance
Summary:
Le combat entre Samedi et Cobain bat son plein
La musique fuse, quelles raisons poussent le baron à se battre ?
Chapter Text
Une égalité parfaite jusqu’alors. Le combat avançait, pour autant il était difficile de déterminer qui avait l’avantage lors de cette confrontation. Dans son studio, Cobain composait déjà, comme en transe suite à l’annonce. Du rock psychédélique, il avait tout pour réussir à composer un morceau d’un niveau encore rarement atteint dans le domaine. Retouchant certaines notes, le chanteur émettait déjà ses propres théories à voix basse au fur et à mesure que les secondes passaient.
- On va sans aucun doute perdre ce round là.
La valkyrie fronça légèrement les sourcils, confuse. S’il était sûr de perdre, pourquoi se donnait il autant ; et surtout, quelle était la raison qui le persuadait de sa défaite ? Le chanteur éteignit sa cigarette dans un cendrier, soufflant les restes de fumée engouffrés dans ses poumons.
- Il va utiliser l’âme de Morrison et de Hendrix.
La valkyrie haussa les épaules, désabusée et blasée par l’annonce de son compagnon. Même avec ces informations en compte, rien ne présageait une défaite pour le blond. La demoiselle déglutit avant de poser la question fatale
- Et pourquoi on va perdre ce round ?
Le musicien plongea son regard dans celui de son assistante avant de répondre
- Quand il est reparti de la scène tout à l’heure. Il était calmé, et quand le baron est calme, c’est  qu’il sait quoi faire. S’il sait quoi faire avec deux autres membres des 27, on a aucune putain de  chance.
Þögn sentit le sang lui monter à la tête d’un coup ; elle cogna son petit poing contre la table - Et alors, pourquoi tu t’emmerdes à composer ?!
Un sourire dément s’afficha sur le visage de l’autre
- Parce que je suis un putain de musicien.
Dans le studio du baron le calme était toujours aussi présent. Guitare en main, il jouait quelques accords, composait quelques solos. Naturellement Kurt Cobain avait raison, Samedi avait fait son choix, et deux âmes l’accompagnaient. Au bout d’une quarantaine de minutes, la porte s’ouvrit, de la fumée s’évacuait alors qu’une figure totalement débraillée titubait à droite à gauche en direction de l’arène. Heimdall était bouche bée
- Chers spectateurs il semblerait que… Il semblerait que le baron samedi soit ivre !
L’humain ouvrit la porte de son studio en vitesse, si un combattant avait terminé sa composition, l’autre devait sortir à son tour, c’était une battle, si on jouait, l’autre devait être face à nous. Un gros chrysanthème rose venait décorer la poche de costume du dieu vaudou. Transpirant, haletant, le regard vide et vague, le dieu se mit à jouer une étrange mélodie. Insensée, terrifiante, et pourtant magnifique ; il était dur de correctement décrire le spectacle qui se déroulait. Chancelant, bringuebalant, titubant, le baron chantait. Il chantait sans y mettre les formes, il jouait sans s’inquiéter de sa guitare, tout ce qui l’intéressait c’était de décrire. De décrire la montagne de tête qui gravitait autour de lui, cet essaim vrombissant et assourdissant. Il en avait peur, et pourtant il le savait, dans cette ruche, le miel y était savoureux.
La composition humaine fit pâle figure comparée à celle du dieu. Cobain avait décidé d’être entièrement sobre, s’il prenait une substance pour cet affrontement ci, il aurait une maigre
victoire à un coût bien trop élevé. Le musicien proposa une incroyable performance, mais les sensations qu’il transmit s’approchaient plus d’un profond désespoir que d’un concret bad trip. Nouvelle manche pour le baron. Celui ci, encore éméché parvint à enchaîner quelques pas non sans mal vers l’humain
- Merci mon gars, tes conseils étaient vachement sympas… Donc comme je suis tout aussi sympa, je vais t’en donner un en retour ! La musique ça se vit, mais la vie on n’en n’a qu’une. Plus t’essaies de t’affranchir de ton destin merdique… Et plus…
Le baron se mit à éclater de rire, incapable de finir sa phrase. Il posa simplement sa main sur l’épaule de son rival avant d’ajouter une nouvelle phrase insensée
- Même le destin se change, mais tout a un prix… Les humains ont perdu quand ils ont commencé à vendre leur musique.
L’étrange dieu retourna dans son studio avant même l’annonce du prochain round. Les multiples drogues qui affectaient son corps commençaient à se dissiper. Samedi souffla un grand coup avant de regarder le plafond de son local. Les dieux eux-mêmes étaient soumis à leur destinée, il fallait bien vivre, il fallait bien mourir. Sans ces deux certitudes, rien n’avançait, le monde était plat, la terre ne tournait pas. Cependant il était un dieu qui détestait cette notion de destinée plus que quiconque, et c’était Samedi.
Composant son nouveau morceau, le thème portée sur la musique de cabaret lui semblait particulièrement tranquille grâce à l’âme de Amy Winehouse. Perdu dans ses pensées au fur et à mesure qu’il composait. Samedi se remémorait de cette histoire ; l’histoire du dieu qui faute de pouvoir changer son destin jouait avec celui des autres.
Il y a bien longtemps, quand ni hauts de forme ni costumes n’existaient. Le baron était une figure  divine tout ce qu’il y avait de plus banale. Les gens ne prêtaient que peu attention à lui ou à ses  intérêts. Il était amusant, blagueur, charmeur, en réalité le dieu avait toutes les qualités faisant  de lui quelqu’un d’on ne peut plus appréciable et agréable. Toujours de bonne humeur, toujours  avenant, mais surtout toujours espiègle, là ou samedi arrivait, la fête commençait. Et une fête  n’en n’était pas une sans musique, naturellement, le dieu était virtuose. Ses compositions  avaient tout pour charmer autant que lui ; cependant le destin est cruel, aucun dieu ne semblait  apprécier son travail. Creux, vide, fade, sans intérêt ; Samedi était bon en tout, mais Samedi  était dénué de la plus grande capacité des musiciens, l’imagination. Les humains en bas  jouaient mal, mais chacun de leur mouvement, chacune de leurs idées, chacun de leurs  morceaux donnaient envie de danser. Samedi les enviait, Samedi les rejoignit.
Arrivée sur le monde des hommes, dansant et jouant avec eux ; le dieu s’était intégré et imposé  comme une figure de culte certes, mais d’un culte joyeux et amusant. Une jeune femme attira  son attention plus particulièrement, c’était elle qui dansait le mieux ; elle qui semblait la plus  apte à comprendre sa musique. Chacun de ses mouvement, chacun de ses pas, son fin sourire,  Samedi avait trouvé sa muse, Samedi savait enfin créer et jouer. Elle souriait au dieu à chaque  discussion, sentait le sol frémir à chacun de ses jeux. Ce n’est que bien plus tard que Samedi  comprit, il n’avait jamais osé lui parler. Comme à son habitude, elle sourit quand elle vit le dieu,  puis, après avoir observé ses mots. Elle lui répondit en bougeant les mains. La danseuse était  née sourde et muette. Comment appréciait-elle la musique ? Via les vibrations. Comment  souriait-elle malgré tout ? Car les gens s’amusaient. Il n’y avait pas besoin de lire les lèvres sur  les quelles on venait poser les siennes. Elle l’aimait, il l’aimait, et tout ça était bien suffisant. Ce  n’est qu’après quelques années qu’une petite fille leur vint, la mère avait quitté son amour et le  monde durant l’accouchement, mais ce n’était pas une fatalité. Le dieu la retrouverait au  Valhalla, il fallait seulement attendre, attendre que sa fille grandisse. Joyeuse, pétillante,  curieuse, la fillette comblait son père, chaque fois qu’elle apprenait un nouveau pas de danse, il  se souvenait de celle qu’il aimait. Ce monde était le sien, il était le leur.
Après quelques années, le baron appela sa fille, elle ne se retourna pas ; elle perdait l’audition à son tour, le mal de sa mère lui avait été transmis. De désespoir, incapable d’accepter que sa fille ne puisse plus l’entendre chanter ou l’aimer. Le baron posa ses deux mains sur les oreilles de sa descendance, elle put lire sur les lèvres de son père
« Layla… Entends moi... »
Son sourire rayonna, elle avait pu entendre son père une dernière fois avant de mourir. Même s’il s’agissait d’une demi-déesse, jouer avec le destin de quelqu’un ne se fait pas gratuitement. Tout ce qui était donné avait un prix. Tout ce qu’on prenait devait avoir une contrepartie ; Son ouïe contre sa vie. Elle est morte un dimanche, enterrée un lundi, le destin continuait son chemin, une nouvelle semaine commençait ; un dieu détestait cette réalité. L’âme de la petite fille la haut était bannie, trop humaine pour les dieux, trop divine pour les humains. Sa malédiction était trop lourde, ceux qui jouaient avec le destin étaient exilés, privée d’avenir, il ne lui restait que la musique.
Le vaudou soupira légèrement, le temps était écoulé. Avoir laissé dériver ses pensées ne lui était pas favorable, un nouveau round gagné pour l’humanité. Heimdall rappela les scores, non sans commenter les performances
- Chers spectateurs ! Le match est on ne peut plus serré, trois partout ! Le sixième round vient de se terminer, quelle sera la suite ! Messieurs ?
Le britannique porta l’urne au dieu étincelant qui sortit un nouveau papier de l’urne. Il ne put s’empêcher de sourire légèrement, imaginant déjà ce qui adviendrait de ce thème
- Vieux blues, amour.
Cobain claqua de la langue, visiblement plutôt contrarié par cette annonce et ce résultat. Sa Valkyrie semblait tout aussi soucieuse, la légende des crossroads, le premier contrat célèbre du baron. Tout dans le blues renvoyait à cette fameuse légende de la croisée des chemins. Essayer de l’affronter ici, c’était l’affronter sur son chemin de prédilection. L’homme entra simplement à nouveau dans le studio et observa son matériel, songeur. Au bout d’un moment, il posa les yeux sur sa partenaire, une idée lui était venue.
- Þögn… Commence à créer des beats de rap et enregistre des adlibs. Je vais essayer d’enregistrer des sons naturels et différents riffs. On aura pas ce round mais on peut très bien avoir les suivants, autant se garantir une longueur d’avance. Pour l’instant on a jamais eu plusieurs fois le même thème alors…
- ça veut dire qu’on peut déduire les prochains !
- Tout juste… On a pour l’instant eu aucun dérivé du rap, pas de reggae non plus. Il y a beaucoup de sous genre au rock et au métal…
L’humain créait déjà une liste compilant une grande partie des genres musicaux manquants à  l’appel. Cet affrontement musical n’en n’était un qu’en apparence. La réalité c’était que le point  le plus important de ce duel, c’était la gestion de son temps.
Samedi dans son propre studio créait déjà sa prochaine composition à l’aide de l’âme de Robert  Johnson. Plus le temps passait, plus les compositions du dieu vaudou devenaient étranges, il  devenait quasiment impossible de reconnaître la pâte des artistes dont il se servait. Ces  derniers lui apportaient quelques motifs tout au plus, quelques idées, mais désormais les  chansons semblaient siennes. Tout en répétant les mêmes accords, le baron se parlait à lui  même comme pour s’aider à réfléchir.
- C’est pas un battle… Ils sont malins, si c’était une battle on aurait juste choisi nos meilleures chansons ou improvisé. Ils nous laissent une heure par composition, on peut en utiliser moins si besoin… ça veut dire…
Les pensées su baron s’entrechoquaient dans son esprit. Il était aisé d’oublier via son caractère amusant et extraverti que le dieu était on ne peut plus malin et fourbe. Tous ces contrats, tous ces pièges, toutes ces créations, il maitrisait tout ce qu’il touchait, destins comme instruments.
- On a le droit de faire des reprises, donc on peut très bien foutre en l’air une heure à composer autre chose ou gagner de l’avance. Le fait qu’on aie treize combats et que tout se décide au nombre de victoire est une garantie. On a le droit de perdre six fois, on a six impasses donc six heures libres… Cobain l’a bien compris, il a commencé les impasses assez vite, je pensais le battre sans avoir à jouer sur la tactique et l’horloge ; son talent n’est pas surestimé… La situation actuelle m’est-elle vraiment favorable ? Il sait qu’il n’a aucune chance de gagner ce round contre moi donc il avance sans doute d’autres morceaux en fonction des thèmes suivants et de la difficulté grandissante. Donc…
Un sourire dément vint se dessiner sur le visage du dieu vaudou. L’araignée commençait à tisser sa toile, ses huit pattes joueraient la mélodie de la mort. Samedi élaborait un plan en même temps qu’il élaborait sa musique. La meilleure méthode pour vaincre Cobain, c’était de le faire tomber dans le désespoir. Aussi talentueux soit-il, ce dernier était particulièrement sensible à une chose : quand rien ne se passait comme prévu.
- Si je gagne c’est bien beau, mais lui aura pu prendre de l’avance sur les autres morceaux… C’est donc au final plus risqué pour moi
Le baron sortit de nouveaux instruments et composaient d’étranges mélodies, de nouvelles musiques. Chaque partition se voyait griffonnée de diverses nouvelles notes, frénétiquement. De temps en temps le dieu passait sur un ordinateur pour changer quelques arrangements, appliquer quelques effets. D’autres fois on le voyait utiliser les pédales d’effets de diverses guitares. Bâtons de pluie, harmonica, djembé, guitare, harpe, platines... Tous les instruments y passaient, et le temps était écoulé. Les dieux musiciens sortaient et rejoignaient leur scène.
Cobain de son côté se contenta de performer une reprise de Lucille par BB king. La performance était bonne, très bonne et agréable. Elle avait tout ce qu’on pouvait demander d’un morceau de blues classique. Le hic était là, le morceau avait tout d’un morceau de blues classique, trop classique même. Cobain le savait, il avait dû faire ce sacrifice, s’attendant à ce que Samedi gagne cet affrontement.
Le dieu s’avança avant de s’asseoir sur un tabouret, une vieille guitare en main, le micro abaissé à son niveau. Quelques accords à peine joués et Cobain comprit qu’il avait vu juste, cette musique c’est le domaine de Samedi ; plus encore lorsque ce dernier utilise l’âme de Johnson. Après un moment, une sueur froide vint glacer l’échine du blond, il s’abaissa vers sa valkyrie.
- On est foutus bordel.
- Pourquoi donc ?!
- C’est pas une composition… Il reprend simplement Me and the devil blues de Robert Johnson. La valkyrie eut un sursaut en comprenant ce que cette reprise signifiait
- Il a compris l’importance de l’impasse et a fait la même chose que nous ! Il savait que de toute façon il remporterait ce combat quoi qu’il arrive !
Observant la panique dans le regard et les mouvements de ses adversaires ; le baron ne put s’empêcher de sourire, beau diable qu’il était. Cette chanson lui était dédiée, cette chanson était autant la sienne que celle de Johnson, c’était leur chanson. Chaque note trainante, chaque soufflement aigu et chevrotant de sa voix sonnait comme l’arrivée du train de la mort en gare. Le thème était amour, la reprise du dieu était différente. Il chantait cet air de diable comme s’il était lui même éprit de cette situation, amoureux de ce pacte et de l’enfer qui l’attendait. La sérénade se terminait, une victoire pour le Baron.
Heimdall ne tarda pas à rugir dans son Gjalahorn
- Incroyable ! Qui aurait cru que les deux combattants joueraient la sécurité en se contentant de simples reprises ! La victoire semble cependant sans appel ! Samedi reprend la tête ! Quatre à trois pour le dieu !
Le dieu solaire ne put s’empêcher de glousser légèrement. Ainsi cet affrontement avait atteint ce niveau aussi rapidement ? Les deux combattants étaient on ne peut plus sagaces ; cette guerre musicale n’en n’était une seulement quand il s’agissait de composition et de représentation. Pour le reste, il fallait avant tout utiliser sa tête, savoir ou étaient ses forces et ses faiblesses. Le coup de Cobain était bon, mais celui du baron était meilleur
- Impressionnant ! Magnifique même ! Quel combat, chers spectateurs, vous pensez peut-être que ce round était anodin voir même plus mauvais que les autres, mais un réel tournant est arrivé !
Jack en pleine réflexion finit par interrompre Apollon
- Les hommes mentent, pas leur musique. Si on ne joue pas avec l’âme, on ne joue pas. Mais n’oubliez jamais ce qui teinte l’âme des hommes.
Il était assez aisé de comprendre qu’il s’agissait d’un conseil déguisé. Un conseil à l’intention du dieu comme de l’humain. Mentir était aisé, réussir à convaincre était bien plus dur. Il fallait garder en tête que même en se fardant, même en induisant son adversaire en erreur ; la musique qui sera joué sera quant à elle révélatrice de la vérité. Un nouveau thème arrivait, l’anglais saisit un papier
- West Coast. Rébellion.
Chacun des deux musicien se dirigea à nouveau à l’intérieur de son cercueil insonorisé. Cobain ne put s’empêcher de sourire et de rigoler. Il prenait déjà une guitare et écoutait les quelques beats créés par Þögn. Il ajustait le morceau tandis que la demoiselle le regardait, pleine d’interrogations.
- Une guitare pour la west coast, t’es sérieux ? C’est ton époque pourtant, c’est évident qu’il va utiliser du Tupac, on est mal barrés !
- T’as beau être aussi bon rappeur que tu veux, il te faut un bon beatmaker avec. Samedi rappera bien, il aura des bonnes idées. Mais c’est pas comme si on devait affronter Dr.Dre et Tupac en même temps. On a nos chances, j’ai encore un atout dans ma manche.
La valkyrie sautillait sur place en pestant
- Encore à faire un plan sans rien me dire !
- Tais toi et observe
Le guitarise apposa ses deux paumes à plat sur les cordes de sa guitare avant d’en bouger une et de jouer avec les micros de l’instrument avec l’autre. La valkyrie eut un éclair dans les yeux
- Tu scratches avec ta guitare ?!
- Eh ouais, c’est la technique de Morello, ok c’est du métal alternatif avec des codes de rap, mais ça reste un groupe de Los Angeles dans cette période ; ça peut nous aider dans une compo west coast.
Déjà les deux compagnons créaient et peaufinaient leur musique et les quelques samples qu’ils avaient préparés à l’origine. De son côté, Samedi s’attelait à faire du mieux possible. Soupirant et s’énervant, le souci était on ne peut plus simple. Certes avoir des rappeurs extrêmement talentueux était pratique pour cette épreuve ; mais les Pharell Williams et les Dr Dre n’ont jamais croisé sa route. Visiblement ces créateurs aimaient trop l’ombre pour vouloir se montrer. Après de longues minutes, les deux partis se retrouvaient à nouveau. Samedi observa l’humain face à lui avant de sourire légèrement
- Au diable ton âme… Tout ce que je veux maintenant c’est gagner.
L’humain se mit à sourire à son tour avant d’offrir un magnifique doigt d’honneur au dieu face à lui
- Alors vient chercher la victoire, elle sera encore plus dure à avoir que mon âme !
Les deux adversaires jouaient l’un après l’autre. La performance de samedi était impeccable techniquement. Une légère ambiance de plage, de balade en voiture au soleil couchant quand on regarde les palmiers se dessiner. Rythme lent, apaisant qui tranchait avec les paroles ultraviolentes de sa création. Le baron avait bien intégré et retranscrit les compositions de la west coast.
De son côté Cobain commença par un rythme de guitare étonnamment très étouffé et  lancinant. L’humain avait déjà utilisé son atout, il avait une pédale à effet spéciale, cette  dernière changeait le son, lui donnant un aspect plus lo-fi. La naturelle agressivité de son  instrument semblait adoucie, le plus grand choc fut le rap. Ce n’était pas lui qui tenait le micro,  c’était la valkyrie. Plus adepte des mouvements post punks inspirés du rap en général, cette  dernière était bien plus à l’aise dans cet exercice. Loin de l’ambiance d’une balade en voiture à  côté de la plage de santa monica, cette ambiance envoyait le spectateur droit dans un quartier  de centre ville ou deux groupes venaient s’assoir sur des chaises de jardin à l’arrière de leur  maison, fumant de l’herbe.
Heimdall semblait dubitatif vis à vis des deux créations
- Il semblerait qu’aucun n’aie respecté l’aspect rébellion du thème ! Que devrions nous faire ? Apollon vint agiter le doigt, signifiant son désaccord
- Tu te méprends mon cher ami ! Tout deux ont respecté le thème, l’ambiance du rap west coast a naturellement cet aspect plutôt détendu, c’est au paroles qu’il fallait s’intéresser ! Les deux candidats ont parfaitement respecté les conditions !
La victoire cette fois ci revint à l’audace créative de Cobain, le résultat était revenu à égalité. Quatre pour le dieu, quatre pour l’humain. Huitième round terminé ; les deux combattants se fixaient, calmes, tranquilles. Heimdall prit un nouveau papier avant d’annoncer à haute voix la nouvelle épreuve
- Chant de guerre viking. Sur les flots.
Les deux ‘sicos tressaillèrent en entendant cette annonce. Cette fois ci il semblait que le commentateur se jouait d’eux, le viking amusé les défia
- Trop difficile ? La musique n’a jamais été chose facile ! Ce qui compte, c’est ce que les gens ressentent !
Cobain et Samedi échangèrent un regard déterminé chacun leur tour. Il fallait créer presque de zéro, connaître les quelques idées de base et proposer quelque chose d’inédit, quelque chose qui basculerait le round. L’humain entra en vitesse dans la pièce, il pouvait évidemment compter sur sa valkyrie pour la composition. Cependant, par ego, Kurt Cobain refusa ; il était musicien, c’était sa création, il voulait en être capable, il voulait créer quelque chose.
De son côté, le baron observait nombre de tambours. Il était pensif, quand on parlait de champ  viking, les compositions étaient simples. Du chant et des percussions, quasiment  exclusivement des percussions. La vraie difficulté de ce thème ci, c’était les flots. Comment  retranscrire avec précision le bruit des vagues, la sensation de l’écume qui vient fouetter au  visage devant l’horizon bleu. Les deux musiciens allaient devoir trouver une solution efficace à  leur calvaire, car l’heure tournait.
Du côté humain, Cobain opta sur un bruit de vent constant, frappé de temps en temps par un  coup violent de tambour. Son objectif était simple : simuler une tempête
Le baron de son côté avait opté pour une solution plus classique et simple. Des bruits de vagues sur le sable, la mer qui venait et repartait, encore et encore.
Énième face à face, le neuvième tour de leur combat allait commencer. Les deux ennemis déglutirent. Ils savaient que ce combat arrivait à son terme, ils savaient que bientôt, le vainqueur serait désigné. Quatre round à égalité, celui qui obtenait la prochaine victoire serait de plus en plus assuré de sa victoire.
La performance divine était on ne peut plus apaisante ; on y descellait un drakkar, une veille de  départ, puis une aventure le vent dans le dos. Les hommes se bousculaient sur le navire,  observaient l’horizon, respiraient l’air marin.
A contrario, l’autre groupe donnait l’impression de décrire la suite de cette aventure. Le tonnerre s’était mis à gronder. Le ciel se déchirait, on envoyait des cordes au pauvres diables jetés par  dessus bord par une vague scélérate. On s’attachait au mat du navire, ramant de toutes nos  forces. La colère de la mer était insondable, on l’aimait autant qu’on en avait peur.
A la fin de leurs composition, les deux musiciens se saluèrent mutuellement d’une simble courbette. Pour la première fois, Cobain fut celui qui brisa le silence
- Alors maintenant tu arrives et tu sais composer sans aide extérieure ?
Le baron se mit à sourire avant de répondre
- ça risque d’être difficile pour toi si je lie ce nouveau talent aux âmes en ma possession petit.
Les points étaient départagés, les résultats se faisaient proches. Mais la victoire vint à l’humain, le round passait à cinq manches en sa faveur contre quatre pour son adversaire. Cette victoire même si nécessaire laissait un goût amer. Celui d’une victoire arrachée à quelqu’un qu’on ne pourrait sans doute plus battre par la suite.
Le baron était devenu bien meilleur, le baron avait enfin compris. Certes les humains étaient inspirés, mais c’est quand il pensait à sa famille qu’il jouait le mieux. Le final du combat arriverait sous peu, il ne restait plus que 4 thèmes.
Chapter 11: Mélodie Mortelle
Summary:
L'affrontement entre le Baron Samedi et Kurt Cobain arrive à son terme, qui sera le grand vainqueur de ce 3ème round du Ragnarok ?!
Chapter Text
Heimdall parvint à retrouver l’attention du public après quelques toussotements. Toujours concentré sur l’affrontement sous ses yeux, le dieu se retourna vers ses collègues commentateurs. L’humain frisa légèrement le bout de sa moustache avant d’émettre son jugement.
- Pas de doute ! Nous nous dirigeons vers l’apothéose de ce combat et du génie créatif de ces deux participants !
Le dieu du soleil sourit et acquiesça vivement avant d’ajouter.
- Quelles âmes ! Quelle beauté ! C’est bien cela la musique, je ne peux être qu’en émoi face à ces performances !
Le nordique saisit fermement son cor pour annoncer le nouveau thème, celui du dixième affrontement.
- Vous l’avez remarqué ! La difficulté a augmenté, alors pourquoi ne pas aller jusqu’au bout des choses ?! Le thème sera donc rap français ! A la recherche du bonheur !
Deux légers rictus pour les combattants, l’un semblait heureux de cette annonce, l’autre agacé. Cobain entra en vitesse dans son studio avant de lancer à sa Valkyrie
- Impasse ! On sait pas parler français, alors le rapper, laisse tomber ! Le baron a sans doute une âme pour l’aider sur ce sujet, et en plus beaucoup l’affilient au bayou et à la Louisiane.
Le chanteur se laissa tomber sur son fauteuil, le poing serré, se mordant les lèvres. Il paraissait enragé, non pas de laisser une victoire, il était enragé de ne rien pouvoir composer pour ce thème. Þögn sourit calmement avant de prendre la parole pour apaiser le musicien.
- Si on ne peut pas performer sur cette création, alors concentrons nous sur la suite ! Nous avons un point d’avance, au mieux le baron reprendra l’égalité, voilà tout ! Je suis autant frustrée que toi, mais ne nous laissons pas abattre !
Le chanteur hocha vivement la tête avant de se diriger vers ses instruments pour composer différentes mélodies et se préparer.
De son côté le Baron créait ses paroles, composait la musique lui même. Étonnamment il avait appelé une âme experte dans ce thème, mais il voulait mettre ses mots sur sa musique. Ainsi, l’âme de Nepal se contentait de corriger ses mots, les réajuster, perfectionner le français du musicien. Au bout d’une heure, les deux créateurs se firent à nouveau face. C’était sans appel, le baron avait gagné ce face à face ; il était évident que Cobain avait fait l’impasse sur cette chanson ci. Tout le monde pouvait s’accorder à dire que le musicien américain avait su se débrouiller. Malheureusement, face à Samedi, se débrouiller, c’était bien trop peu : il fallait exceller. Claquant légèrement de la langue, le musicien révisait déjà ses musiques dans la tête, tapotait du pied, balançait la tête. Il était dans sa bulle, imperturbable, impossible de décrocher quoi que ce soi de lui. On voyait même sa main se balancer toute seule comme si elle grattait les cordes d’une guitare. La valkyrie sourit, elle lui transmettra le prochain thème, le génie de Cobain était déjà en ébullition ; il était incapable d’entendre quoi que ce soit d’autre.
Apollon sortit un nouveau papier de la gigantesque urne placée face à lui.
- Quel affrontement mesdames et messieurs ! Mais tout doit avoir une fin, cinq contre cinq, plus que trois rounds ! Vous aussi vous êtes en délire et je vous comprends beauties ! Le prochain thème est donc ! … Comptine, au bord du lit.
Les deux combattant sentirent leurs mâchoires se décrocher, prêtes à tomber au sol. Cobain avait perdu sa concentration, le baron semblait grave et lançait un regard assassin aux dieux postés plus haut. Ils savaient pour sa fille, ils savaient pour celle de Kurt Cobain également. La plus grande difficulté qu’un homme pouvait affronter, c’était de créer à partir de ses regrets sans se laisser submerger. Divin comme humain, les deux rivaux avaient baissé la tête, la mine attristée, leurs enfants, ils n’avaient pas pu partager leur vie avec eux.
Sans un mot, ils étaient retournés dans leurs studio. Étrangement silencieux et calmes. Le dieu vaudou n’avait invoqué aucune âme pour l’aider à créer sa musique. Cobain ne parlait pas malgré les nombreuses interpellations de son duo. Ce round là s’attaquait à leur fierté en tant que père et pas seulement à leur esprit musical. Les minutes passaient, le blond avait opté pour une petite guitare classique, avec les cordes en nylon et en plastique. Le son serait plus doux et plus aigu, tout ce qu’il fallait pour composer une comptine. Arpégeant les cordes il balançait tout doucement la tête en fredonnant un air très doux et lent. Þögn ne pouvait s’empêcher d’apprécier le moment, balançant la tête, elle était confiante vis à vis de cette victoire. La petite demoiselle avait passé sous silence tous les sons alentours, elle chantait d’une voix cristalline, pure ; un air parfait pour rassurer et faire sourire un enfant alors que ce dernier nous quitterait l’espace d’une nuit.
Le dieu vaudou avait opté pour un petit tambourin qu’il secouait tout doucement, rythmant légèrement sa chansonnette par des petits à-coups du pieds. Sa manière de jouer pouvait faire croire à une rocking chair qui tanguait d’avant en arrière. Au fur et à mesure du jeu, il voyait un paysage qu’il avait rêvé de voir toute sa vie. Il la tenait, c’était sa mélodie, la mélodie quasi parfaite, teintée d’émotions, sa mélodie.
L’heure était passée en un clin d’œil, aucun des combattants n’avait réalisé que c’était déjà le moment de proposer cette mélodie au monde. Les portes s’ouvrirent au même moment, les deux compositeurs semblaient on ne peut plus sérieux. L’humain se posa sur son tabouret et commença à doucement gratter les cordes en balançant la tête. Sa valkyrie postée devant lui, malgré son allure toujours aussi rebelle et mignonne avait un air particulièrement doux et digne. Malgré son apparence juvénile, elle dégageait toute l’aura d’une mère souriant gentiment à sa progéniture. Au fur et à mesure de la chanson, une image d’un couple côte à côte chantonnant au pied du lit de leur enfant se dessinait. On pouvait même apercevoir aux derniers instants le couple éteindre la lumière avant de doucement refermer la porte. Pas un cri, pas un hurlement, pas un sifflement. Le public se contenta d’applaudir à l’unisson, comme une seule personne, choquée par cette création.
Vint le tour du baron, le dieu se posa sur un tabouret à son tour et commença à battre du pied. Aucune violence n’émanait de ce geste pourtant d’ordinaire utilisé pour marquer le choc dans une musique. Au fur et à mesure que son pied tapotait le sol avant le talon et le bout de sa voûte plantaire. Le baron agita légèrement le tambourin ; il cinglait et tintait gentiment, une fois le rythme correctement placé, le baron siffla. Il siffla en regardant droit vers le ciel, un mélodie ininterrompue. Sa voix aussi rauque que douce résonna au rythme des secouements de tambourin ; les clochettes offraient un aspect mystique à sa composition. Les participants l’entendaient, sa musique n’était pas parfaite, sa voix se gorgeait de sanglots de temps à autre. Ils les voyaient, il voyait sa femme tenant sa fille dans les bras en la berçant, souriant au vibrations que son époux émettait pour endormir leur enfant.
Fin de cette représentation ci, la foule se contenta de réagir de la même manière que pour Kurt Cobain. Un tonnerre d’applaudissements sans autre forme d’acclamation. Les commentateurs n’osaient pas dire un mot ; murés dans le silence, observant leur machine qui peinait à quantifier et comparer les émotions suscitées par les deux musiciens. Heimdall se ressaisit avant d’annoncer le vainqueur de ce round
- Avec le score de six contre cinq… Samedi reprend la tête de l’affrontement !
Cobain ne sembla pas le moins du monde choqué ou déçu. Il semblait même étonnamment apaisé. L’homme plongea ses yeux bleus dans le noir profond du regard ennemi.
- Tu as un enfant n’est-ce pas ?
Le baron sourit amèrement avant de répondre
- Oui… Une fille, comment le sais-tu ?
Cobain se mit à éclater de rire avant de répondre
- Parce que c’est évident ! Il n’y a qu’un père pour composer comme ça ! Et comment s’appelle t-elle ?
Après un temps d’arrêt, perdu dans ses pensées, le vaudou répondit
- Layla.
Cobain arrêta de rire, regardant le ciel lui aussi
- J’adore ce prénom…
Il quitta la scène sans un mot, de nouveau dans son studio. Sa valkyrie morte d’inquiétude le secouait dans tous les sens en criant, comme devenue folle.
- Kurt ! Kurt ! Kuuuuuuuuurt ! Tu te rends pas compte ?! Il est à une victoire de gagner cette rencontre ! On a été battus par une musique qu’il a composé tout seul ! Tu sais ce que ça veut dire ?
Le musicien, particulièrement calme haussa simplement les épaules avant de répondre.
- Bah ça veut dire qu’on affronte un musicien et un bon musicien, tu penses sérieusement qu’on peut perdre sachant ça ?
Þögn fronça les sourcils et gonfla les joues. Elle se sentait rougir de honte, balançant des petits coups de poings sur les épaules du chanteur, elle pesta à sa manière.
- Idiot ! Idiot ! Idiot ! Qu’est ce qui te prends de te la jouer aussi cool et détendu seulement maintenant !
Après un long soupir, elle regagna son calme ; le prochain thème, ils le gagneraient, c’était sûr. L’humain s’assit et composait déjà sans un mot. La valkyrie semblait dubitative, pourquoi composait-il déjà de la musique alors qu’ils n’avaient pas eu le thème de cet affrontement ? La réponse lui parvint naturellement, elle ouvrit la bouche, choquée.
- Ne me dis pas que ?!
L’humain ricana en balançant la tête en arrière pour la regarder
- J’ai fait touuuuutes ces impasses pour cette chanson ci, y’avait belle et bien un thème libre, bonne pioche.
Kurt Cobain révisait et mettait toutes ses créations et autres maquettes musicales ensemble. Depuis le début, chaque plan musical, chaque pont, chaque riff, solo, refrain. Tout avait été composé dans l’optique de cet affrontement ci. L’humain pointa du doigt un papier
- Là dessus t’as les paroles et tes partitions, je vais faire le chant et la guitare, la batterie est déjà enregistrée, tu feras la basse et la suite du chant ça te va ?
La demoiselle hocha vivement la tête, elle était émerveillée par son rôle et la création de son  acolyte. C’était définitif : cette musique était la meilleure jamais créée par Kurt Cobain. Un  simple titre était écrit sur le haut de la partition « Bean »
Le baron samedi en revanche semblait en grandes difficultés pour sa création. Certes le dieu  était devenu un excellent compositeur, il était capable de créer de la musique de lui même sans  réel problème. En revanche, il avait toujours besoin d’être dirigé, il avait besoin d’un thème.  Créer à partir de quasiment rien de cette manière était presque contre nature pour lui. Au mieux  il pouvait créer quelques mélodies mais elles auraient sans doute sonné superficielles.
C’est après une nouvelle heure que la troupe se rendit sur scène. Douze heures de musique sans interruption. Le public avait eu droit à bon nombre de pauses, pouvait faire ce qu’il voulait durant les compositions. De la même manière les commentateurs vaquaient à leurs occupations. Cependant, tout le monde se retrouvait pour le résultat. Cobain comme Samedi semblaient éreintés, épuisés. La gorge en feu, les doigts engourdis, la tête brumeuse. D’une certaine manière, ils étaient d’accords, c’était la meilleure sensation possible. Le public discutait du thème libre, de ses inquiétudes. Goll écoutait attentivement les fans de Nirvana qui avançait que ce round serait sans aucun doute gagné par Cobain. Du côté des dieux, bon nombre d’entre eux protestaient, notamment Hermès. Le baron était certes mauvais compositeur par le passé, mais cet affrontement lui aura permis d’atteindre de nouveaux sommets.
Le vaudou était le premier à jouer pour cette représentation. Il n’y avait aucune honte à l’avouer ni à le reconnaître. Il était excellent en tout point, jamais par le passé ce créateur n’aurait pu proposer de telles performances. Son talent général s’était aiguisé, il avait même laissé son long manteau dans sa loge. Il n’avait pas besoin de tête, pas besoin d’âmes, il était là pour créer, là pour chanter. Après une longue performance, les acclamations résonnèrent dans toute l’arène. Ça y’est, le Baron Samedi était devenu un vrai musicien. Mais est-ce qu’être un musicien suffisait face à Kurt Cobain ?
L’humain balança un grand coup son bras, un son déchirant retentit de sa Fender. Marchant et trottinant en petits cercles alors qu’il jouait l’introduction de son morceau, son ennemi le comprit ; c’était un tout autre niveau. Après un grand saut et un hurlement dans le micro, sa valkyrie chantonnait un étrange refrain. De nombreuses personnes du public semblaient dubitatives, qu’est ce qu’était ce genre musical ? Trop lourd et effréné pour du grunge, trop doux pour du punk, trop atypique pour de la pop. Kurt Cobain avait créé un nouveau genre. Le duo avec sa valkyrie se complétait normalement, quand il criait, elle chantait, quand elle hurlait, il fredonnait. Un coup de guitare déchirant avec une distorsion saturée donnait une réponse de la basse en slap. La mélodie semblait éternelle, le public jusqu’alors hésitant vis à vis de son opinion sur cet amas musical commençait à frénétiquement balancer la tête. Bientôt on voyait les humains comme les dieux sauter sur place, se pousser, hurler des paroles incompréhensibles tout en dansant ; C’était ça le vrai pouvoir de la musique. Après de longues minutes, la mélodie était terminée, les deux musiciens étaient éreintés. Avant même qu’Heimdall prenne la parole, Apollon hurlait déjà dans son micro
- Cette mélodie ?! Elle est… Elle est… C’est la meilleure chanson de Kurt Cobain ! La composition la plus à l’image de cet homme ! Inutile de l’annoncer le vainqueur de l’avant dernier round est…
Jack l’éventreur ne put s’empêcher de couper le dieu du soleil comme ce dernier l’avait fait précédemment. Peut-être par pur volonté d’ennuyer son collègue, ou alors par patriotisme humain, nul ne le sait.
- Kurt Cobain !
Heimdall grommela, le voilà qui se faisait à nouveau voler son travail. Après avoir secoué la tête, le dieu crieur annonça le dernier thème.
- Dernier combat ! L’égalité ne peut rester, ils sont des musiciens hors pairs, mais c’est bien cette mélodie qui les départagera ! Le thème est donc ! Musique d’ambiance, nouvelle rencontre !
Étonnamment, alors que Samedi commençait à quitter la scène, Kurt Cobain ne bougea pas. Heimdall, Apollon et Jack haussèrent le sourcil, puis la foule commença à créer un brouhaha. Alors qu’Heimdall allait parler et demander si Kurt Cobain allait bien. Il fut interrompu par un petit riff de guitare.
Le baron sentit son visage se tordre dans un rictus qu’il n’avait encore jamais affiché par le passé. Ce dernier essuya vivement son visage, faisant disparaître son maquillage de crâne avant de hurler en courant vers la scène.
- Kurt ne fait pas ça ! Kurt je t’en supplie !
Des larmes commençaient à s’accumuler au coins des yeux du dieu vaudou. Bientôt elles perlaient. Il voulait monter sur cette scène pour empêcher l’humain de chanter ; mais il savait que cette tentative serait vaine ; Þögn avait passé sous silence les cris et les forces du dieu. Il ne pouvait que se contenter d’observer et d’écouter. Il ne pouvait qu’écouter la dernière musique du plus grand musicien de tous les temps.
Après quelques instants d’introduction et un riff réalisé à la perfection. Kurt Cobain commença à chanter quelques paroles
- What'll you do when you get lonely
And nobody's waiting by your side ?
You've been running and hiding much too long
You know it's just your foolish pride
Au fur et à mesure que les mots s’accumulaient, le Baron Samedi ne pouvait qu’essayer de crier, les mots ne portaient pas, il était à genoux, incapable de se relever pour interrompre ce requiem de mort. Il sentit les larmes s’intensifier d’autant plus et une partie de lui se briser lorsque Kurt Cobain hurla
- Laaaaaylaaaaaa !
You've got me on my knees !
Laaaaylaaaaaa !
I'm begging, darling, please !
Laaaaaaylaaaa !
Darling, won't you ease my worried mind ?
La chanson d’Eric Clapton était longue. Particulièrement longue, pour une chanson moderne. Sept longues minute de Kurt Cobain qui chantait le nom de la fille du baron, sept longues minutes de l’humain qui faisait un chant du cygne. La valkyrie qui jusque-là demeurait silencieuse et n’agissait pas se posa derrière le piano pour ajouter la suite de la mélodie. Fredonnant l’air à son tour. Toute la force, les cris, les pleurs du baron qu’elle avait passé sous silence étaient transmis dans cette musique. Il jouait avec Kurt Cobain.
Après de longues minutes. La touche finale de la musique était arrivée. L’humain prononça les dernières paroles de cette chanson, il ponctua cette mélodie.
- Laaaaylaaaaa !
- Darling, won’t you ease my worried mind ?!
Notes finales, tombé de rideau. L’humain se laissa tomber sur sa chaise, regardant les dieux, un sourire satisfait sur le visage.
Heimdall encore sous le choc ne put s’empêcher de bégayer avant de commenter et de donner son verdict final.
- P-pour non-respect du thème… Kurt Cobain… Perd le dernier round ! Cet affrontement est gagné par le Baron Samedi ! Le vainqueur du troisième round de ce Ragnarök est le Baron Samedi !
Alors que les forces du baron lui revenaient et qu’il s’apprêtait à se jeter sur Kurt Cobain, l’humain rigola avant de répondre.
- J’imaginais que ça ferait plaisir à ta fille de l’entendre… La musique ne doit respecter aucune putain de règle. Tu sais ce qu’on dit. Mieux vaut brûler…
Le baron stoppa l’humain en concluant la phrase à sa place.
- Franchement que s’éteindre à petit feu.
Le blond afficha un grand sourire sur son visage malingre et cerné.
- Exact ! Ta dernière chanson, tu la feras écouter à ta gosse.
L’humain et sa valkyrie disparaissaient, leurs corps se fragmentant, s’écroulant ; les poussières de leurs âmes et de leurs corps s’éparpillant dans l’air. La petite valkyrie afficha un sourire amer doublé d’un air désolé à sa grande sœur en larme dans les gradins ; c’était son choix, celui d’une musicienne.
Le baron n’avait plus besoin de collecter les âmes des musiciens pour faire écouter leurs mélodies à sa fille. Les seules chanson dont elle avait désormais besoin c’était les siennes ; il avait gagné son marché avec Zeus, sa victoire allait lever la malédiction qui planait sur sa descendance. Elle quittera son statut d’exilée, de pestiférée. Bientôt la famille du dieu pourra se réunir et chanter ces retrouvailles. Samedi quittait la scène et le stade, fumant une cigarette du paquet de l’humain.
Ni Apollon, ni Jack, ni Heimdall n’avaient ajouté d’autre commentaire. Après la musique, le  silence devait régner. La dernière chose qui résonna dans ce stade était un tonnerre  d’applaudissement
Le troisième round du Ragnarök était terminé. Les dieux l’avaient emporté.
Chapter 12: Stratégie victorieuse
Summary:
Un nouveau combat se profile !
Qui sera l'envoyé des dieux ? Qui sera celui des humains ?
Chapter Text
Tombé de rideaux. Le baron l’avait emporté, le troisième round du Ragnarök était terminé ; les silences encore lourds dans l’arène ou la musique retentissait il y a encore quelques minutes seulement. La seule chose qui résonnait était le bruit de ses pas dans ce long couloir sombre et froid. Plusieurs silhouettes se dessinaient en face du dieu. Plongeant ses yeux d’ébène dans le regard de ses interlocuteurs, le vaudou se gratta l’arrière de la tête en soupirant.
- Zeus mon vieux pote. J’espère que tu vas tenir parole maintenant. Ma fille. Le plus vieux sourit largement avant de rire comme à son habitude.
- Que j’aime ta capacité à ne jamais oublier tes objectifs mon cher petit Samedi ! J’ai déjà envoyé Hermès la chercher… Et faire une autre course pour moi. Toujours est-il, félicitations pour cette victoire !
Le dieu Grec s’approcha un peu, mains dans le dos. Alors que la figure chétive du vieillard passait à côté du Baron Samedi, le vaudou ressentit une énorme pression au moment ou son aîné ouvrit la bouche.
- Nous avons peut-être fait la paix avec l’humanité. Mais il est hors de question de perdre face à elle. Peu importe le prix.
Bruit de déglutition, la combat avait épuisé Samedi autant physiquement que psychologiquement, entendre cette dernière phrase eut un impact bien plus important qu’il ne l’aurait pensé. Le dieu du tonnerre, amusé se retourna, sourire au lèvres.
- J’espère te voir pour notre petite réunion d’après combat, j’ai quelqu’un à vous présenter ! C’est sur ces mots que Zeus disparu, laissant le baron se diriger vers la sortie en grommelant. - Déjà une réunion avant même de voir ma gosse…
Du côté des loges de l’humanité, l’ambiance était bien plus à la tristesse et au deuil qu’à la joie ou la terreur. Un poing s’écrasa contre le mur, une fois, puis deux, puis trois. Goll hurlait de tristesse, de rage et de désespoir la mort d’une nouvelle de ses sœurs. Elle était si impuissante, si incompétente, mais le pire c’est qu’elle n’arrivait pas à digérer cette défaite. Elle savait que ce combat devait être gagné, elle savait que Cobain et sa petite sœur auraient du être victorieux. Ce foutu esprit libre, cette âme d’artiste, c’est bien ça qui leur avait coûté la vie et la victoire. Serrant son poing endolori et teinté de sang, la valkyrie s’apprêta à l’écraser à nouveau contre le mur, quitte à se le briser. Ses dents se fissureraient à cause de la douleur, ses paupières se déchireraient sans doute à cause de ses pleurs ; mais peu importe, sa sœur était morte par sa faute.
Au moment ou le poing de la demoiselle se dirigeait à nouveau vers le mur pour entrer en collision avec ce dernier, un bruissement de tissu se fit entendre. Une main bien plus large et ferme avait agrippé celle de la valkyrie. Malgré la violence apparente de ce geste et la poigne de fer qui avait capturé son l’assaut de la demoiselle, la valkyrie ne ressentit que de la douceur dans ce geste. Tandis qu’elle relevait la tête pour mieux apercevoir la personne à l’origine de ce geste ; une voix puissante et autoritaire retentit.
- Ressaisis-toi !
Un homme en hanfu gris se trouvait face à la valkyrie, l’autre main dans le dos. L’humain relâcha doucement la main de la demoiselle avant d’essuyer le sang qui tachait le poing de cette dernière. La stature droite et digne de cet homme d’apparence mure forçait le respect. Ses cheveux poivre et sel soigneusement tirés vers l’arrière tranchaient avec ses traits sereins et apaisés. Goll aperçu les quelques cicatrices qui parsemaient la main de son locuteur ; même douces, ces dernières étaient caleuses, couvertes de corne. La petite guerrière sentit quelques hoquets brouiller sa respiration, les sanglots étaient coincés dans sa gorge, elle peinait à articuler ou parler, les yeux embués de larmes, elle pleura.
- Sun Tzu… C’est ma faute ! Je n’aurais pas dû les envoyer, j’aurais dû savoir que les choses se termineraient de cette manière ! Je…
Le stratège coupa la Valkyrie dans son torrent de larmes et sa marée d’excuses - Entrez dans votre chambre pour y pleurer, nous en discuterons seulement après coup.
Pas un mot de plus, l’asiatique ouvrit simplement la porte et fit signe à la demoiselle d’entrer dans la pièce avant d’y aller à son tour et de refermer la porte derrière lui. Après un claquement qui fit sursauter la demoiselle, l’homme sourit légèrement.
- Excusez mes gestes brusques, c’était le seul moyen en ma possession pour vous obliger à reprendre vos esprits. Vous ne pouvez pas vous permettre de pleurer au milieu du couloir. Que vos alliés penseront-ils ? Que vos ennemis comprendront-ils ? A partir du moment ou vous aviez décidé cette guerre, vous aviez décidé de souffrir en secret, les choses sont ainsi faites. Cependant, acceptez mes excuses, rien de tout ça ne serait arrivé si je vous avais mieux conseillée.
Goll s’essuya les yeux encore rougis par ses précédents pleurs.
- Je pense que nous nous trompons tout deux. Le regard de ma sœur a la fin, je le connais très bien… C’est celui qu’elle faisait lorsqu’elle avait pris une décision. Elle était heureuse, c’est tout ce qui compte.
Après un fin sourire et un hochement de tête, le général humain ajouta simplement sa réflexion.
- La guerre est froide est cruelle. Les sentiments de ceux la vivant sont ardents, assurez vous de garder votre passion aussi brûlante que le sang froid.
La petite Valkyrie acquiesça vivement avant de parler avec plus de calme.
- Sun Tzu, vous le savez, le prochain combat est le vôtre. Je suppose que vous avez déjà prévu bon nombre de stratégies pour vous assurer la victoire ?
- Bien sûr, tenez.
L’humain ne tendit qu’une simple pile d’une dizaine de documents écrits dans une police ridiculement petite. La valkyrie sembla sous le choc, même outrée par ce que Sun Tzu lui présentait.
- Seulement dix pages ?! Vous savez qui vous allez affronter pourtant ! Vous avez décidé de ne suivre aucun stratégie ? Vous…
L’humain leva simplement la main pour stopper la valkyrie.
- Lisez le titre des documents.
Goll plissa les yeux avant de s’exécuter, sa respiration s’accéléra, ses yeux s’écarquillèrent. - Non… C’est… C’est impossible vous n’avez pas pu.
Se levant en vitesse, la demi-déesse se mit à courir en direction d’une nouvelle salle qu’elle ouvrit, remplie de piles de documents, de parchemins, de schémas. Elle déglutit, paniquée par cette découverte.
- Impossible… Impossible…
Elle reprit sa course vers une autre salle, même résultat, remplie à ras-bord de documents. Puis une autre, puis encore une… A la fin, plus d’une dizaine de salles était remplie de documents et autres schémas en tout genre. Dans la pièce d’origine, l’humain savourait en silence son thé, en face d’une nouvelle personne.
- Ma chère Grimhildr, votre thé est divin. Les notes de jasmin rendent le tout plus floral et apaisant. Excusez ma curiosité, avez vous déjà terminé de ranger et de classer tous les documents ?
La valkyrie hocha simplement la tête avant de tendre une copie des documents que Sun Tzu avait offerte à Goll auparavant, chaque ligne était cochée. La porte s’ouvrit en fracas, la cheffe de la sororité des déesses à bout de souffle parvint à poser une question entre deux respirations.
- C’était vrai ?! Ces dix vulgaires pages ne sont qu’une liste du nombre de salles que vous avez remplies de stratégies ?! Il y en a des cent-
L’humain reposa la tasse sur la table avant de se relever dans un calme olympien.
- Cent vingt huit salles. Plus exactement.
Le souffle court, la valkyrie se prit la tête en haletant et en répétant frénétiquement.
- C’est de la folie…
L’homme rit avant de répondre naturellement.
- Les meilleures stratégies sont souvent celles qui semblent les plus folles.
Le stratège alors debout, mains dans le dos emboîta le pas vers la sortie, suivi de sa future partenaire.
- Excusez moi très chère Goll, je dois me retirer, il ne nous reste plus qu’à préparer notre tenue pour cet affrontement, il serait dommage de se montrer sans y mettre les formes. Le combat commencera bientôt, ne vous inquiétez pas, vous ne perdrez pas de nouvelle sœur.
Des bruits de chaînes se faisaient entendre, de lourdes portes en acier claquaient. Le paysage était celui d’une prison ; désolé, sale et bercé par les nombreux cris de désespoir ou de rage proférés par les détenus. Une silhouette en costume trois pièce se dessinait au centre d’un long couloir, escortée par deux gardes.
- Vous savez seigneur Hermès depuis que le seigneur Belzebuth est devenu chef de la prison, on ne compte plus aucun travers dans la gestion de cette dernière ! Tout est fait à heure fixe, tout est parfaitement huilé, ça me coûte de le dire, mais ce dernier est même plus compétent que feu le seigneur Hadès lorsqu’il s’agit de la gestion de ce genre d’infrastructures.
Le garde énumérait bon nombre d’avantages, la sécurité n’avait jamais été aussi poussée au  sein du tartare, les gardes aussi entraînés. La moindre fourmi ne pouvait pas entrer dans la
prison sans recevoir une batterie de tests, d’interrogatoires et autres check up complets. Le  dieu grec fit une moue puis répondit, légèrement amusé.
- Connaissant celui que vous gardez au fond… Je ne peux que comprendre la volonté de Belzebuth à faire de cette prison une forteresse impénétrable.
Le garde sembla un peu angoissé par cette annonce et la mention de ce prisonnier en particulier.
- Vous nous excuserez par ailleurs. Nous devrons vous laisser seul avec le détenu, notre juridiction et le règlement nous interdisent formellement les visites à plusieurs, même lors des repas, nous devons y aller seuls.
- Et faire un rapport et une vérifications complets avant et après y être allés je suppose ? - Comment le savez vous ?
- Simple intuition…
Après le passage de nombreux escaliers, de couloirs interminables, ce périple qui semblait avoir pris plusieurs heures de marches arriva doucement à son terme. Le soldat se cramponna à sa lance et reprit sa raideur naturelle.
- Nous sommes arrivés seigneur Hermès ! Je ne peux malheureusement pas entrer avec vous dans cette salle ! Cependant excusez mon impertinence… Êtes vous sûr que c’est une bonne idée de libérer cette personne ?
- Non.
- Mais alors pourquoi le faites vous ?!
- Car le seigneur Zeus trouve ça amusant.
Une raison aussi puérile. L’absurdité de ce raisonnement, l’immaturité du seigneur Grec avait scotché le garde sur place. Incapable de donner une réponse entre deux bégaiements, il venait de réaliser que le plus important des dieux dirigeants était prêt à jeter la paix et la sécurité de tous les mondes aux oubliettes par simple envie de s’amuser. Hermès sourit avant de parler à nouveau au garde.
- Ne vous inquiétez pas, même dangereux ce prisonnier n’en n’est pas moins rationnel. Il est peut-être même moins inquiétant en liberté que le seigneur Zeus si vous voulez mon avis.
Après un rire un peu crispé et gêné, le garde posa son badge sur la porte de la cellule. Elle s’ouvrit, Hermès fit un pas à l’intérieur du sas, la première porte s’était déjà refermée au moment ou la deuxième s’ouvrait. Quelques pas supplémentaire et le dieu Grec se trouvait face à lui, l’ancien dieu dirigeant qui avait essayé de détruire le monde tel qu’il était connu. Odin, ancien chef du panthéon nordique apposa les yeux sur cet étrange invité, pas un mot, pas un son, il était comme toujours muré dans son mutisme. Contraint par la situation, Hermès fut le premier à lancer la discussion tant bien que mal.
- Je suppose que vous savez pourquoi je suis ici ? Eh bien voyez vous déjà mon cher Odin, le chemin n’est pas de toute repos pour arriver jusqu’à chez vous
Une voix caverneuse et aussi profonde que l’abîme dans laquelle se trouvaient les deux intéressés résonna dans une autorité plus que naturelle.
- Au faits.
Le dieu messager ne put s’empêcher de sourire davantage. Un millénaire au fin fond du tartare, la pire prison d’Helheim et par extension des différents monde n’avait pas pu ébranler Odin.
- Savez vous depuis combien de temps vous êtes ici ?
Le dieu nordique se tut et ne fit pas un geste, la vague lueur dans ses yeux était suffisante pour qu’Hermès comprenne. Odin avait compté chaque seconde depuis son incarcération, et ce depuis presque un millénaire.
- Vous savez donc pourquoi je me trouve ici face à vous ?
Toujours la même réponse, un silence digne de celui d’un cimetière. Pas de mouvement, une simple silhouette inerte et stoïque face à Hermès.
- Bon, alors ça me gagne beaucoup de temps ! C’est une excellente chose. Vous vous doutez sans doute qu’un nouveau Ragnarök a lieu ! Logique, ça fait environ 1000 ans que vous êtes enfermés au fin fond ce ces geôles. Cependant le seigneur Zeus a une proposition plus qu’intéressante pour vous !
Au moment ou ce nom fut prononcé, l’air avait changé. La pression se faisait bien plus dense, Odin, toujours aussi stoïque semblait dégager une aura plus que sinistre ; il semblait que la moindre mention de Zeus suffisait à l’enrager. Pas impressionné pour un sou, Hermès, toujours aussi détendu continua son monologue.
- Vous pouvez être libéré de cette prison. Si vous l’emportez conte l’humain face à vous, vous serez libre, sinon c’est retour en prison pour le prochain millénaire. Enfin, si on a besoin de vous lors du prochain millénaire.
Le dieu leva la tête, son air toujours aussi sinistre. Il ouvrit la bouche une deuxième fois pour poser un dilemme au messager divin.
- Une fois libre, tout recommencera.
- Oh mais je m’en doute bien vous savez ! Cependant voyez vous…
La propre aura d’Hermès semblait grandir, il semblait plus grand, plus fort, plus imposant et surtout, plus terrifiant. Il continua son dialogue
- Penser que nous nous sommes tournés les pouces en l’espace de mille ans est une grossière erreur. De plus, j’avais déjà évoqué cette possibilité au seigneur Zeus et le connaissant… Vous vous doutez bien de sa réponse ? Ce dernier m’a tout simplement ri au nez en me répondant je cite : « Eh bien qu’il essaie ! Ça me fera bouger un petit peu, ça promet d’être drôle ! »
Le dieu nordique n’ajouta pas un mot, il se releva simplement. Toujours aussi grand, toujours aussi impressionnant, même les mains enchaînées, il s’avança vers le grillage de sa cellule, son visage face à celui d’Hermès.
- Sortons.
Le dieu grec sourit à nouveau avant d’ouvrir la porte de la cellule et de guider Odin vers la sortie, chose plus qu’étonnante, il était devant le prisonnier, parfaitement calme. Impossible de savoir si Hermès faisait ça par pure folie ou par un excès de conscience quelconque, mais une chose est sûre ; Odin se contenta de suivre son nouveau guide et ce, sans dire le moindre mot.
Hermès faisait la conversation pour deux. Après avoir saisit sa tablette et balayé quelques fois dessus, il donna cette dernière au dieu nordique qui la saisit à deux mains pour en lire le contenu. Ce programme listait bon nombre d’informations utiles pour le prochain combat. Qui était son adversaire, le lieu de leur affrontement, les règles de leur affrontement, diverses photos et autres données en tout genre. Alors que le vieillard tendit la tablette à son guide, ce dernier ne tarda pas à remarquer qu’Odin tremblait ; il tremblait de rage. Son Ragnarök, cette fête normalement sacrée, censée amener destruction et lui permettre de créer une ère nouvelle, de faire revenir les dieux primordiaux. Cette fête sacrée était devenue une vulgaire fête de village ou deux camps s’amusaient à diverses joutes pour passer le temps et y gagner quelques cacahuètes tout au plus. Plus d’effusions de sang, plus de combats en un contre un, seulement les démonstrations vulgaires et orgueilleuses de différents domaines pour savoir qui était le meilleur. Malgré son silence sa colère manquait de faire trembler les murs et même de fissurer ces derniers. Il allait non seulement être incapable de se battre contre l’humain en face de lui, on se servait de lui comme d’un vulgaire pion sur l’échiquier et en plus de ça… Il serait contraint de respecter les règles de ce foutu Ragnarök.
Après un long trajet, Hermès ouvrit la porte, c’était la salle de réunion d’avant combat. Zeus, comme à son habitude, toujours aussi fier et heureux ne put s’empêcher de pousser un petit soupir de soulagement à la vue d’Odin. Plus d’un millénaire sans le voir, et pourtant, même face à celui qui avait manqué de détruire le monde, le dieu Grec ne sourcillait pas. Le maudit vieillard semblait même amusé par cette situation, heureux de voir qu’il avait réussi à ramener une des plus grandes menace au monde dans cette salle.
- Eh bien eh bien ! Cher ex-leader nordique comment ça va depuis ta tentative de coup d’état ?! Tu te demandes qui a repris ton ancien poste ? Ton fils voyons, c’est évident ! Il est à peu près aussi loquace que toi cela dit, encore un trait de famille… M’enfin, je vois à ton regard plein de colère que tu es totalement prêt, c’est une bonne chose !
Un pas, deux pas, Odin fonçait sur Zeus à tout allure. Tandis que le dieu nordique allait essayer d’aussitôt tuer son ennemi, le dieu de la foudre gonflait à vue d’œil, redevenant une montagne de muscles. Arrêtant le poing du furieux dieu déchu, le vieillard secoua sa main, légèrement engourdie par le choc.
- Ma foi ! Tu n’as pas perdu de ta puissance, c’est une bonne chose ! Excuse-moi mon cher, tu méritais sans doute un meilleur accueil, mais voilà les seuls dieux venus à cette réunion, elles ne sont pas très populaires, Hermès je te laisse faire l’appel !
Le messager s’inclina avant de sortir une petite liste
- Guan Yu… Mort. Thot, encore à l’infirmerie. Baron Samedi, je m’en doutais, il est déjà parti retrouver sa fille.
Zeus leva légèrement les yeux au ciel avant de commenter.
- On peut bien lui laisser ça.
Hermès continua son énumération
- Odin est sous nos yeux. Quetzalcoatl… m’a dit qu’il préférait bronzer et se promener. Ishtar et Tiamat sont parties prendre le thé. Janus remplace toujours Thot à son poste. Asmodeus et Belial sont…
Une nouvelle voix se fit entendre.
- Encore en train de forniquer.
Hermès leva les yeux
- Wukong, toi à une réunion, voilà qui est plutôt rare.
Le dieu simiesque se gratta légèrement la tête, ébouriffant davantage ses cheveux noirs déjà en épis. Il mangeait une pêche en même temps qu’il parlait, ses lunettes de soleil au bout du nez, en train de se balancer sur son siège, pieds sur le bureau.
- J’me faisais chier. Et j’avais la flemme de faire chier les autres.
Zeus ne put s’empêcher de rire légèrement.
- Et je suppose que tu es passé devant la chambre des deux démons.
- Ouais, et ça pue la mort autant le dire. J’aime pas ces types, ils sont glauques, crades, et surtout complètement fous. Mais bon, par rapport au gusse que vous avez ramené du pays des merveilles je suppose qu’on est plus vraiment à ça près. Pas la peine de faire l’appel, les autres sont pas là de toute façon, faut être honnête, on en a relativement rien à foutre de vos réunions. On veut juste aller se battre.
L’aîné des Grecs ne put s’empêcher de rire légèrement, ses muscles pulsaient et s’épaississaient à vue d’œil.
- C’est l’esprit gamin, mais soyez patients. Ça arrivera.
Le singe termina sa pêche avant de lever la tête vers le plafond, recrachant le noyau droit vers ce dernier pour y planter la graine.
- J’venais juste vous dire. L’humain en face de nous, je l’ai déjà vu à l’œuvre. Si vous pensez gagner face à lui uniquement parce que vous avez fait revenir le seigneur du mal ; M le maudit, Sauron, Voldemort ou peut m’importe les copyrights, vous vous foutez le doigt dans l’œil. Le mec que vous allez affronter même moi j’aimerais pas me retrouver contre, c’est pas une histoire de perdre ou gagner hein. Si tu gagnes face à lui, c’est jamais une victoire totale. Et si tu perds, tu peux être sûr que ta défaite sera totale, et ce avant même de le réaliser.
Odin ne put s’empêcher d’afficher un sourire dément. Finalement ce Ragnarök et la possibilité d’écraser cet humain à son propre jeu avait un on-ne-sait-quoi plutôt charmant.
Sur la grande scène, le paysage avait encore changé ; Heimdall expliquait déjà les règles et les modifications de l’arène avant l’arrivée des deux combattants.
- Cher public ! Bienvenue pour le quatrième tour de ce Ragnarök ! Ce combat ci opposera deux stratèges hors pair, deux personnages à la sagesse insondable ! Mais avant de présenter nos deux combattants, permettez-moi de vous présenter le terrain ! Bienvenue sur la maquette ! De chaque côté, une balustrade ou les deux combattants se trouveront. Chacun dispose d’une réplique miniaturisée de ce paysage créé de toute pièce ! À l’intérieur de cette arène se trouve : une montagne, une forêt, une ville, une rivière, une plage et une baie ! Ça vous paraît grand me dites vous ?! Et pour cause, pour ce combat nous avons vu les choses en grand ! Dix kilomètres carrés où manœuvrer ! Et avant de vous présenter les règles, permettez-moi de vous présenter les combattants !
- Du côté des humains ! Considéré comme le plus grand stratège de l’histoire, général hors pair ! Même après des siècles son ouvrage est encore lu et honoré ! Le légendaire Sun Tzu !
Un tonnerre d’applaudissements retentit, de nombreux généraux et stratèges de la Chine antique s’inclinaient pour honorer l’arrivée du roi des tacticiens. Le pas droit, assuré, les mains dans les longues manches de son hanfu, l’homme et sa valkyrie dans une tenue plus florale et délicate s’inclinèrent tout deux pour présenter leurs salutations. Heimdall poursuivit.
- Et du côté des dieux… Le traitre… Le dieu qui aura tenté l’impossible, le pire des crimes ! Celui qui il y a un millénaire aura failli détruire le monde ! Odin ! Qui sera le meilleur stratège ?! Nous le saurons très vite ! Mais permettez-moi de vous dicter les règles avant toute chose !
Le commentateur sortit un parchemin de son manteau avant de le dérouler à une main et de meugler dans le micro qu’il tenait avec l’autre.
- Vous avez cent points ! Un fantassin coûte un point ! Un lancier coûte deux points ! Un archer en coûte trois ! Un cavalier en coûte non pas quatre mais bien cinq ! Et un navire en coûte cinquante ! Vous pensez que c’est trop peu pour organiser une armée ?! Ne vous inquiétez pas, chaque dix minutes une zone à points est déterminée ! Le camp avec le plus de soldat dans la dites zone gagne dix points par minute de présence ! Facile non ? Evidemment, il vous est tout bonnement interdit d’attaquer directement votre adversaire, seul vos soldats peuvent le tuer ! Vos soldats ou la déroute de son armée ! Vous avez bien compris le règlement ?
Sun Tzu leva la main en toute politesse avant de se lever de son siège pour prendre parole
- Admettons qu’un fantassin coûte un point, si je veux faire de celui ci un archer par la suite. Est ce possible ?
- Oui bien sûr !
- D’accord mais combien cela coûtera-t-il, deux points supplémentaires, ou dois-je payer les trois points prévus à l’origine pour acquérir ce genre d’unité ?
- Deux points seulement, ça compte comme une montée en grade, un peu comme dans la réalité !
Le stratège de l’humanité se contenta de hocher la tête, satisfait par la réponse. Heimdall attendit quelques secondes avant de reprendre de plus belle.
- Pas d’autre objections ?! Non ? Eh bien que le quatrième round de ce Ragnarök, commence !
Chapter 13: Le stratège des morts
Summary:
L'affrontement entre Odin et Sun Tzu commence !
Le quel des deux combattants sera le meilleur stratège ?
Chapter Text
Les stratèges devaient commencer à allouer leurs points. Plusieurs stratégies étaient valides, la réelle question et difficulté était de savoir laquelle serait efficace contre l’adversaire. Sun Tzu était comme à son habitude en pleine réflexion ; debout face à sa maquette, les mains dans le dos, il faisait les cent pas. Prendre l’initiative était autant une bonne tactique qu’un grand risque. Regardant sa Valkyrie, il prit parole.
- Ma chère Grimhildr, tes opinions ?
La valkyrie dignement habillée et particulièrement sereine leva une main pour se saisir le menton, réfléchissant elle aussi.
- Des informations à ma disposition, Odin n’est plus en mesure de voir le futur depuis le dernier Ragnarök, son œil de jade ayant été détruit.
Du côté des dieux, nombreux encore étaient ceux frappés par l’incompréhension de voir ce personnage en guise de combattant, trop dangereux, trop fort. De leur côté les divinités grecques semblaient particulièrement calmes ; en observant le combat Zeus soupira.
- Ce combat va être d’un tel ennui, si long… Je préfère quand les adversaires se tapent dessus.
Hermès de son côté regardait simplement la tablette en sa possession, observant les thèmes des prochains combats ?
- Vous risquez d’être servi bien assez vite. Les prochains combats s’annoncent… quelque peu zélés.
Le plus vieux se redressa d’un coup, terriblement joyeux, il ressemblait à un chien qui entendait son maître ouvrir la porte
- Ho ho ho !
De son côté, Ares, dieu de la guerre semblait étonnamment silencieux, et pour cause, ce dernier tenait un petit bloc note dans ses mains, il était prêt à griffonner et écrire, Hermès se pencha pour mieux observer.
- Que fais-tu mon frère ?
- J’étudie. Lors du dernier Ragnarök je n’ai malheureusement pas été le plus utile, et je reste dieu de la guerre ! Je me dois d’apprendre plus de stratégies pour diriger mes troupes.
Sun Tzu posa les yeux sur sa valkyrie avant de sourire légèrement.
- Pourrais-tu faire le tour du terrain en vitesse pour m’en transmettre plus précisément les aspérités ?
La valkyrie hocha la tête avant de se transformer en faucon. Les longs manches de son hanfu se transformaient en ailes, sa position se voûtait. Bientôt elle volait autour du terrain en perçant ce dernier de ses yeux d’aigle.
- La forêt semble légèrement plus dense que sur la maquette… La ville possède un petit recoin dans le segment B12. Le sable de la plage a été semé grossièrement, il y a beaucoup de trous ça et là, le terrain est accidenté. Les montagnes semblent parsemées de petite grottes et autres recoins.
Tout en écoutant les dires de sa partenaire, le stratège chinois venait apposer quelques pions ça et là. Des jaunes, des rouges, une troupe de trois pions avançait d’une certaines manière, l’autre les prenait à revers. Au bout de quelques instants, il soupira bruyamment.
- Être le premier à agir est une bénédiction quand on peut prendre l’adversaire par surprise, mais dans ces cas là…
Heimdall de son piédestal descendit à la rencontre de chacun des tacticiens pour entendre leur décision finale vis à vis du choix des points et mieux définir la première zone. En premier lieu, il se dirigea vers le dieu nordique
- Seigneur Odin, vos choix ont-ils été faits ?
Silencieusement, le dieu nordique hocha la tête avant de montrer sa maquette. Heimdall hocha la tête, un choix censé, tout ce qu’il y avait de plus rationnel. De l’autre côté, à l’annonce de Sun Tzu, le dieu haussa un sourcil
- es-tu sûr de ton choix, humain ?
- On ne peut plus sûr. Je choisis d’invoquer cent fantassins.
- Soit…
Répliqua le dieu en se grattant la tête, quelque peu déboussolé et confus par l’annonce du combattant. Heimdall reprit son petit véhicule pour se redresser au sommet de l’arène et rugir dans son cor.
- Les choix ont été faits ! La première zone à points sera donnée d’ici dix minutes ! Pour l’instant sachez que… Les points utilisés par les deux combattants sont de… Cent chacun. Aucun n’a décidé de garder des points de réserve pour le début de ce round !
Depuis les gradins, Goll semblait anxieuse, serrant les mains comme pour prier. La demoiselle ne pouvait se résoudre à voir une troisième de ses sœurs mourir de cette manière, ç’aurait été bien trop douloureux à supporter. À côté d’elle, Cao Cao regarda le ciel avant de poser les yeux sur les troupes que Sun Tzu venait d’invoquer
- Valkyrie. Penses-tu réellement que Sun Tzu sera défait ?
La valkyrie secoua vivement la tête avant de répondre
- Non ! Mais je ne peux m’empêcher de rester inquiète.
- Observe leurs visages. Eux ne le sont pas. La victoire sera leur.
Chaque soldat était équipé de transmetteur, toutes leurs informations étaient disponibles au stratège. Leur âges, poids, tailles, armes de prédilection, liens et situations familiales, états de santé. De plus il était possible de communiquer directement avec chacun d’entre eux. Sun Tzu fit une moue en hochant de la tête.
- La guerre a bien changé. Il semblerait en revanche qu’une chose demeure. L’information semble toujours aussi importante et précieuse.
Après quelques instants, le tacticien appuya sur un bouton lui permettant de s’adresser à tous ses soldats en même temps
- Mes chères troupes… Vous allez couper du bois !
Silence aussi complet que pesant dans l’assistance. Couper du bois ? Pour quelle raison ? Pour quoi faire ? Dubitatifs et hésitants, les soldats se mirent à la tâche, Les arbres tombaient peu à peu, Sun Tzu leur précisait lesquels abattre et lesquels ne pas toucher. Sa Valkyrie s’approcha
- Général Sun Tzu, pourquoi avoir opté pour cette stratégie, vous voulez leur faire construire des pièges ?
- Pas exactement. Le terrain est déjà trop accidenté, les embuscades seront plus efficaces que des pièges. De plus les zones à points changent d’emplacement, un piège se retournera vite contre nous. Non ce qu’il faut faire… C’est nous adapter.
La valkyrie pencha la tête avant de réaliser.
- Oh… Je vois ! …
Les soldats fabriquaient de nouvelles armes. Des branches taillées en pointes devenaient des lances de fortune, du bois souple devenait un arc. Il n’y avait pas besoin d’acheter des unités avec des points, il suffisait seulement de bien équiper les siennes. Sun Tzu continuait de donner des indications à ses hommes, les uns après les autres.
- Que les hommes plus à l’aise avec les arcs les prennent, conservez le bois et ne vous en servez pas pour faire des flèches. Servez vous d’herbes sèches, pour les lances, vous serez en première ligne, soyez prêts.
Tandis que cette machinerie infernale prenait place, Odin de son côté avait opté pour une approche totalement différente. Son choix s’était porté non par sur un nombre écrasant qui améliorerait son équipement, mais bien sur des troupes d’élites. Le nordique, posé dans son siège réfléchissait en silence
« Même sans mon œil de Jade, il est assez évident de savoir ce que fera l’ennemi. Le combat vient de commencer, il est encore trop risqué d’aller se montrer dans le plus simple appareil, il n’a donc aucune raison de se diriger vers la première zone de points. Il fera sans doute une impasse sur cette dernière, je n’ai vu aucun navire de son côté, il a sans doute choisi de faire une armée plus grande. L’idiot, il aurait dû comprendre que le navire est le meilleur choix. Tant que ce dernier est sur l’eau, l’équipage se renouvelle. Il suffit donc d’envoyer progressivement des hommes en dehors du navire et de nouvelles troupes apparaîtront comme par magie. Ce n’est pas une vraie guerre, c’est un simple jeu, il suffit de savoir comment contourner les règles. »
La stratégie d’Odin semblait bien plus élaborée. Ce dernier avait alloué quinze points pour des cavaliers. Le nombre semblait quelque peu réduit, mais il n’en n’avait pas besoin de plus, trois cavaliers lui feraient office d’éclaireurs. En comptant le navire, le dieu nordique avait déjà dépensé soixante-cinq points pour au final peu de troupes. Étonnamment, il ne dévia pas de cette trajectoire. Les trente-cinq points restants furent distribués ainsi : cinq archers et dix lanciers. L’objectif du dieu était on ne peut plus simple. Effectuer un mini siège et un assaut éclair pour obtenir la première zone de points.
Au bout de dix minutes, Heimdall vint à nouveau hurler dans son cor
- Mesdames et messieurs ! La première zone de points est définie ! Cette dernière se trouvera… Dans la ville !
La chance sourit au dieu nordique, non seulement ce dernier prévoyait de prendre cette  première zone, mais en plus, la ville se trouvait plus proche de son lieu de départ que de celui de
Sun Tzu. C’est naturellement après quelques instants seulement que la zone était envahie par  les troupes du viking. Les points commençaient déjà à s’accumuler au fur et à mesure. Il était  possible d’obtenir cent points toutes les dix minutes à condition de conserver la zone tout du long. Si on y ajoutait les troupes obtenues via le navire de guerre ; Odin qui partait avec un  certain désavantage numérique le comblerait en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
De son côté, Sun Tzu… Ne faisait rien, l’humain n’agissait pas, ne disait rien, n’objectait et n’ordonnait rien. De nombreuses voix inquiètes s’élevaient dans les gradins. Seul Cao Cao se mit à rire avant de donner sa vision des choses
- Sun Tzu est malin, il sait qu’il n’aura pas l’avantage en début de combat. Il ne cherche pas seulement à ce que ses troupes fabriquent et améliorent leur équipements. Il attend un angle d’attaque, la zone parfaite, mais surtout… Ce type est un vieux renard.
Goll pencha légèrement la tête, intriguée par cette fin de citation du stratège.
- Pourquoi dites vous ça ? Je le sais stratège et malin, mais je ne le pense pas aussi malicieux.
- Si tu penses ça petite, c’est que tu es déjà tombée dans son piège. Ce type est flippant, je n’ai jamais vu quelqu’un autant s’intéresser et connaître l’âme humaine et qui en même temps… Peut traiter une vie comme un vulgaire pion si cela s’avère nécessaire ou être un moindre mal.
La valkyrie avala sa salive, légèrement anxieuse. Cet homme qu’elle voyait un peu plus loin, parfaitement calme, toujours doux et avenant avec elle… était-il réellement capable de telles atrocités ? Pourtant elle avait bien vu les cicatrices sur ses mains, lui aussi avait combattu, lui aussi connaissait l’horreur. Un nouvel interlocuteur interrompit la valkyrie dans ses réflexions. Un homme ressemblant fortement à Sun Tzu, bien que plus frêle et plus jeune.
- Il ne vous ment pas, il vous apprécie réellement, vous comme ses troupes. Pour lui, la mort est tragique peu importe la personne, alors il préfère jeter un soldat aux lions s’il peut en sauver dix autres de cette manière. Ce qui le rend terrifiant, c’est qu’il connaît l’importance des liens humains.
Les mains jointent dans les manches de son hanfu, le jeune homme ne put s’empêcher de sourire avant de s’asseoir au côté de la valkyrie est de Cao Cao.
- Messire Cao Cao.
- Il aurait été étrange de ne pas te voir ici mon cher Sun Bin.
Les deux hommes se saluèrent poliment tandis que la Valkyrie ne sentait que trop bien la tension qui émanait de chacun d’entre eux. Certes, jamais ces deux hommes ne s’étaient connus de leur vivant. Cependant à travers de nombreuses manœuvres, nombreux entraînements dans l’au delà. Les deux étaient en quelque sorte devenus rivaux. Et l’instigateur de toutes ces joutes, tous ces faux affrontements, toutes ces rencontres… N’était nul autre que cet homme.
À chacun de ses pas, les troupes reculaient, à chaque marche d’escalier descendue, les spectateurs se confondaient en excuses. Une réelle marée humaine était en train de naître, il avait comme séparé la mer d’hommes en deux. Le roi, arborant un long manteau qui venait cacher l’absence d’un de ses bras s’arrêta derrière la valkyrie et les deux autres stratèges, déjà à genoux en train de d’honorer leur souverain.
- Hao !
La valkyrie se retourna vivement, récupérant un sourire éclatant, presque prête à se jeter au cou de l’humain avant de se retenir.
- Qin Shi -… Pardon… Empereur.
Corrigea-t-elle avant de s’incliner légèrement à son tour. Après quelques instants, le roi de Chine ne put s’empêcher d’éclater de rire comme à son habitude.
- Voyons Goll ! Nul besoin de t’incliner face à nous, tu as bien pris soin de nous par le passé !
Le roi de Chine s’assit finalement derrière le groupe comme s’il était un spectateur tout à fait classique ; comme s’il n’avait jamais participé au Ragnarök. Ignorant son statut de roi, de quasi divinité et surtout de sauveur de l’humanité. Les gradins semblaient tout de même particulièrement inquiets et anxieux de voir un homme d’une telle stature s’asseoir en plein milieu de la voie, comme si de rien n’était. Sun Tzu de son côté finit par se retourner, arborant un faux sourire qui cependant ne masquait pas son irritation ; il était particulièrement crispé.
- Oh mon cher roi… Pourriez vous pour une fois s’il vous plaît apparaître discrètement sans essayer de voler la vedette, il y en a ici qui essaient de se concentrer !
Le roi de Chine était déjà en train de boire un hydromel que lui avait fait parvenir Hermès par gage d’amitié. Retournant son visage caché en partie par son bandeau vers le stratège, il répondit amuser ;
- Oui, oui ! Hao ! Fais ce que tu as à faire Sun Tzu !
Le stratège se retourna vers le combat grommelant et pestant contre son roi.
- Faire ce que j’ai à faire ouais bien sûr, je fais que ça de toute façon pendant que lui s’amuse et se la joue, les rois, toujours à en faire des caisses…
Le stratège se tapota légèrement les joues pour récupérer sa concentration et se plonger à nouveau dans le combat qu’il était censé diriger. La zone de point arrivait bientôt à son terme, aucun de ses hommes n’avait bougé, chacun avait amélioré son équipement en silence. Le paramètre le plus important et intéressant n’était cependant pas leurs équipements. C’était les liens que ces derniers étaient en train de créer. À attendre fébrilement l’assaut, créer des armes pour se défendre, les hommes s’étaient trouvés de nombreux points communs suite à cette situation. Sun Tzu hochait calmement la tête, son plan se déroulait comme prévu. Heimdall reprit la parole pour annoncer la fin de la zone de points, mais surtout pour annoncer la suivante
- La prochaine zone de point se trouvera… Dans la prairie !
La clairière était une zone particulière, aussi simple que dangereuse. D’un côté la simplicité et  l’étendu de verdure rendait la vision particulièrement aisée, il était difficile d’y mettre  quelconque piège. Odin avait significativement fait grossir ses troupes pour mieux vaincre. Alors  que ses troupes se dirigeaient vers la zone de points, les combattants virent de nombreux  étranges chariots de fortune rouler droit sur eux. Dans chaque chariots se trouvait un archer et  quelques lanciers, comment avançaient-ils ? Les soldats les plus forts poussaient ces étranges  machineries de toutes leurs forces. Les troupes d’Odin, premières arrivées sur la zone se mirent  en formation pour bloquer les flèches tirées avant de réaliser que ce n’était que de l’herbe.
Sun Tzu de son côté riait joyeusement.
- Et là ils sont foutus.
Odin, toujours aussi calme n’émit qu’un simple ordre.
- Dispersez vous et prenez-les à revers.
Bien que silencieux, le dieu nordique sentait à nouveau sa réflexion et sa stratégie se remettre en marche, il était pensif.
- Les archers étaient là pour pousser mes troupes à se regrouper. L’objectif est on ne peut plus simple vu la trajectoire des tirs. Il voulait regrouper mes troupes sur la voie de leur chariot pour entrer en collision, briser ma formation et que les lanciers transpercent les soldats tombés à terre. S’il a opté pour cette option, c’est car il ne peuvent pas manipuler ces chariots comme ils le souhaitent. Ils ne peuvent pas tourner, en aussi peu de temps c’est déjà impressionnant d’avoir réussi à les faire rouler ; alors les diriger… Les plus forts et robustes poussent les chariots, il suffit de les tuer eux en priorité.
Après quelques observations et instants de réflexion, Odin calculait le nombre de soldats qui se trouvait face à lui. Il était évident que Sun Tzu n’avait choisi que des fantassins au vue des équipements de ses troupes. C’est alors que le dieu nordique se releva en hâte, furieux ;
- Il en manque cinq !
Une voix résonna dans le dispositif d’Odin, Sun Tzu avait découvert qu’on pouvait directement communiquer entre stratèges lors de cet affrontement. Une aubaine, si une guerre est physique, elle est avant tout psychologique. Le vrai danger de ces affrontements, c’est bien de voir à quel point l’esprit humain pouvait regorger de stratagèmes pour terrifier et bloquer l’ennemi. Le dieu nordique entendit simplement une voix quelque peu amusée.
- Cher adversaire, êtes vous familier des trente-six stratagèmes ? Bruit à l’est… Attaque à l’ouest.
Odin se retourna vers la mer pour y affronter une vision qui aurait terrorisé et fait abandonner n’importe quel tacticien lambda. Cinq soldats seulement avaient suffit, une vulgaire erreur d’inattention avait été décisive. Le navire de guerre était en feu, 5 hommes sur une barque y jetaient barils d’huile, et transformaient le gigantesque navire en feu de joie. La tactique était parfaite, la barque s’était dirigée dans un angle mort du bateau. Les cinq soldats étaient partis chercher des barils d’huile dans la ville quand les troupes d’Odin venaient de la quitter ; ils avaient volé des mandrins et autres forets. La cale aurait pu seulement être trouée et le bateau couler ; mais ce stratagème n’était pas assez sûr. Les trous auraient pu être colmatés, mais la vraie raison de cette attaque et de ce choix d’attaque était différent. Sun Tzu affichait un large sourire en observant le feu qui montait.
Il y avait en réalité plusieurs raisons qui avaient poussé le stratège humain à opter pour un tel acte. La première était sans doute la plus simple et la plus logique : il voulait être sûr que le bateau ennemi coule. Les autres raisons étaient bien plus terrifiantes. En diffusant le feu par la cale du bateau, les flammes monteraient naturellement, mais surtout, la fumée viendrait s’accumuler. Rendant toute tentative d’endiguer les flammes impossible. L’huile se mélangeait à l’eau, venait coller à la peau des matelots qui brûlaient vifs, les quelques rescapés ou bloqués dans la cale mourraient d’asphyxie à cause de la fumée qui s’y logeait. Quelques soldats seulement avaient réussi à sauter par dessus bord pour regagner la berge à la nage.
La dernière raison qui avait poussé Sun Tzu à opter pour cette stratégie était sans doute la plus  violente et la plus terrifiante. Le feu attirait le regard, il attirait les yeux, mais surtout, le feu est un  signal. Les troupes de de l’humain savaient que la stratégie était victorieuse et avait payé, les troupes du dieu savaient que leur navire de guerre avait coulé. D’un côté du champ de bataille,  les cris se faisaient plus forts, les coups plus lourds, la confiance et la motivation prenaient le  pas sur l’inquiétude. De l’autre côté en revanche, l’assurance de prime abord s’était rapidement  faite surpasser par un désespoir passager. Sur un champ de bataille cependant, il ne suffit que  d’un seul instant de perte de contrôle pour perdre un doigt, un bras, une jambe, un organe, la  tête, la vie.
Certes le coup moral que Sun Tzu avait apposé à son adversaire était aussi violent qu’important.  Cependant, la victoire n’était pas offerte sur un plateau pour autant. Le dieu nordique avait  accumulé bon nombre de points, même si son navire avait été coulé, ce dernier lui avait fourni  bien des hommes. Et les points accumulés par la première zone lui avaient conféré un certain  confort. Sa formation avait donc naturellement évolué elle aussi. Odin aurait pu faire le choix de  grossir ses troupes, mais il avait opté pour une fonction totalement différente. Ce dernier avait  décidé d’améliorer chaque fantassin offert par le bateau en cavalier. Le coût était donc de non  pas cinq points pour un cavalier, mais quatre points. Au rythme d’un fantassin par minute  environ, et ce depuis le début du combat, environ vingt hommes lui avaient été offerts. Vingt hommes transformés en cavaliers pour non pas cent points mais bien quatre vingt points. Et ces  vingt points de différence avaient permis à Odin un choix plus que rationnel : amener vingt  nouveaux fantassins. Ni lui ni Sun Tzu ne serait victorieux lors de cet affrontement, la seule  chose qui comptait, c’était bien d’être celui avec le plus d’hommes sur la zone.
Sun Tzu claqua de la langue, les cavaliers ennemis avaient compris le stratagème derrière ses  chariots, bientôt ils seraient pris en tenaille et ses hommes se feraient décimer par la vingtaine  de soldats adverses à dos de chevaux.
- Renversez vos chariots ! Utilisez-les comme boucliers pour freiner la course des chevaux,  faites-les cabrer et tomber l’ennemi !
Le stratège humain reporta son regard sur sa valkyrie, faisant un léger mouvement de tête pour  lui indiquer de partir prévenir la petite embarcation encore bloquée en mer de revenir au plus  vite. L’homme s’assit et semblait en pleine réflexion, il devait trouver un moyen de contrer cette  situation pour gagner cette zone. Les armes ennemis, de bien meilleure qualité brisaient les  armes de fortune créées par les troupes humaines. Après quelques instants de réflexion, Sun  Tzu se releva et annonça.
- Si vous avez des cordes, jetez-les au chevaux, inutile de tendre des pièges, les fantassins  trancheront les liens ! Visez les pattes des chevaux ! Envoyez les cordages au cavaliers pour les  faire tomber !
Quelques cavaliers tombaient, les soldats leurs fonçaient dessus pour venir les abattre.  Quelques chevaux tombaient, se blessaient, se cabraient. Des troupes de Sun Tzu hésitaient à  voler les montures, arrêtés par les plus anciens.
- Ne faites pas ça, jamais ces chevaux ne vous écouteront.
Chaque stratégie s’était avérée victorieuse à sa manière. Désormais, plus que la raison et la tactique, il fallait croire au cœur de l’homme. Il fallait croire à l’envie des soldats de revoir leurs famille, il fallait croire que ces derniers se battraient jusqu’au bout. Bien plus que ces croyances, il fallait espérer, espérer que la passion des hommes, que sa volonté à vivre soit la plus forte. Sun Tzu l’avait vu de nombreuses fois sur le champ de bataille ; nul homme ne veut mourir, encore moins loin des siens, encore moins en s’étant senti inutile au monde. Si ce sentiment était naturel chez tout humain, chez tout soldat, il était sans doute le même pour les troupes divines. Aucun des soldats ennemis ne semblait vouloir céder, aucun soldat ennemi ne semblait prêt à mourir. Mélangeant chocs et tumultes, les deux stratèges le savaient, les mots ne parviendraient pas, les troupes n’entendraient pas. La seule chose qu’ils pouvaient observer, c’était la confiance quasi aveugle que les guerriers offraient à leur dirigeants. Lorsque cet état de fanatisme frappe l’homme, il n’est plus capable de raison, il ne réfléchit plus, il se contente d’exécuter même le plus cruel des ordres. Le son du fer qui s’entrechoque, le goût du sang dans la bouche, la sensation de la peau qui se déchire, la vision des yeux de l’adversaire ne voulant pas mourir, l’odeur des tripes et de l’horreur. Aucun des cinq sens ne fonctionnait correctement, il était naturellement impossible d’appeler ces guerriers à retrouver le sens de la raison.
Après de nombreuses minutes teintées par le mutisme des deux stratèges et par le son d’une bataille qui faisait rage. L’issue se dessinait peu à peu. Visiblement la motivation obtenue par les hommes de Sun Tzu, l’énergie emmagasiné dans cette forêt, les liens créés entre soldats, mais surtout le nombre avaient eu raison de la majorité des troupes divines. Les soldats d’Odin furent résignés à la retraite. La zone appartenait aux hommes.
Chapter 14: Stratégie inhumaine
Summary:
Le combat des stratèges bat son plein !
Qui des deux combattants saura le mieux faire pencher la balance de son côté ?
Chapter Text
Gagner la bataille ne signifie pas gagner la guerre ; Sun Tzu le savait. Cependant, il savait également à quel point une bataille gagnée pouvait renverser le cours d’une guerre. Satisfait, l’homme mûr lissait sa barbiche grisonnante, s’asseyant à nouveau pour réviser certains de ses plans. Le stratège chinois semblait discuter et débattre avec sa Valkyrie de la suite de l’affrontement, en réalité, tout deux estimaient. Chaque paramètre imaginable était pris en compte, vent, ressources, taille du champ de bataille, nombre de soldats restants dans chaque camp pour l’instant. Il fallait s’assurer de certaines variables pour mieux assurer la victoire de ce round. Prenant quelques notes, l’humain posa les yeux sur la valkyrie qui l’accompagnait.
- Chère Grimhildr ; penses-tu que cette bataille a été remportée trop facilement ?
La valkyrie remonta sa paire de lunettes le long de son nez, observant la miniature se trouvant face à eux. Après un long silence, elle releva ses longs cheveux pour les attacher dans un chignon bien structuré.
- Je ne le pense pas, c’est certain. Si on considère cette partie comme un jeu d’échec… Alors je ne serais pas étonnée de réaliser qu’Odin a sacrifié son cavalier pour mettre le roi en échec.
À choisir, n’importe qui aurait préféré être en position de défense que d’attaque. Lors d’un siège, la position stratégique est une grande aide, lors d’une invasion, le défenseur connaît son terrain. En réalité, il n’est aucun moment ou être l’attaquant est une situation favorable. Dans la guerre,
quand on attaque, c’est car on est contraints de le faire, l’essence de la stratégie, c’est rendre cette attaque moins risquée.
La question se posait donc : Odin avait choisi un certain nombre d’hommes, il en avait promu certains, en avait dispatchés d’autres, mais un paramètre était à prendre en compte ; y’avait-il eu des survivants lors de l’assaut de son navire ? Le moindre soldat pouvait faire pencher une balance d’un côté comme de l’autre.
Du côté divin, le vieillard restait comme à son habitude purement impassible. Ce dernier avait déjà appelé à la retraite de ses troupes et étudiait les possibilités de contre attaque. Certains soldats semblaient déjà pester leur retraite forcée, certains jugeaient cette dernière bien trop précipitée. La voix du dieu résonna au travers de l’équipement de ses hommes.
- Retournez y, et mourrez.
Ce n’était ni une demande ni une menace, c’était une affirmation tout ce qu’il y avait de plus macabre. Si nous devions décrire les méthodes de Sun Tzu et Odin, ces dernières seraient aussi différentes que tordues. D’un côté l’asiatique était du genre à dévoiler la stratégie à tout le monde et en expliquer le but. Nombreux étaient ceux à trouver cette méthode idiote, cependant, Sun Tzu était persuadé de son intérêt et de son efficacité. Donner à un vulgaire soldat autant d’informations, c’est prendre le risque de se faire trahir et de voir l’intégralité de son château de carte s’écrouler.
Sauf si le roi qui gouvernait ce château était Sun Tzu. La moindre carte semblait blindée, le château qui tanguait au gré du vent devenait plus lourd que le plomb. Si jamais un adversaire n’avait su faire usage de ces informations correctement, c’est car Sun Tzu était passé maître dans l’art de la guerre d’information.
À ses yeux, toute guerre avant de faire jaillir le sang faisait jaillir la salive et l’encre. Si via ces deux fluides plus ternes, on avait l’ascendant sur l’ennemi, alors jamais l’écarlate ne venait teinter le sol. Sun Tzu révélait bien une stratégie à chacun de ses hommes ; cependant, aucune
d’entre elle n’était la même. À l’un il disait qu’il contournerait par la montagne. À l’autre, il disait qu’ils traverseraient la rivière. Ainsi, chaque bavard était identifié, chaque stratégie était victorieuse. Affronter Sun Tzu ce n’était pas affronter une stratégie et une armée en même temps ; c’était affronter une centaine de stratégies pour tout autant d’armées. Le point central et terrifiant de cette méthodologie, c’était le cœur des hommes, Sun Tzu le connaissait à la perfection. Donnez à un humain une mission, un objectif, une possibilité, ne lui laisser entrevoir que cet espoir ; et ce dernier tuera et mourra pour y parvenir. Donner des milliers de raisons à ses soldats, c’était leur offrir des milliers d’espoirs.
Odin quant à lui optait pour une stratégie nettement plus académique et cruellement efficace. La ressource que sont les soldats était facilement compréhensible. On les faisait s’entraîner, une fois, dix fois, cent fois au maniement du sabre. Au bout du millionième mouvement, alors on leur mettait une lance entre les mains pour qu’ils recommencent ; puis un arc. Les soldats n’ont pas besoin de savoir ou de croire en un objectif. Les soldats n’ont besoin que d’un savoir et d’une croyance, celui qui les dirigeait gagnera ; celui en qui ils devaient croire gagnera. Amasser, entrelacer, bousculer les pensées humaines de connaissances différentes, d’espoirs différents, c’était signer la mort de l’armée. L’armée est une entité, elle ne constitue qu’un individu, lui forcer l’individualité, c’est déchirer cet individu de l’intérieur ; personne n’a jamais rien gagné les boyaux à l’air.
La foule de guerriers divins se tut instantanément après le haussement de ton de leur général. Cet homme avait trahi le Valhalla, il s’était joué des dieux, et c’était justement pour cette raison qu’il fallait l’écouter. Si les esprits les plus brillants des cieux pouvaient être bernés, si même les meilleures stratégies se voyaient contrées ; c’était de son fait. Le dieu nordique, toujours assit derrière son bureau regrettait une chose cependant. Il était incapable de descendre dans l’arène se battre lui même, non pas pour épargner la vie de ses hommes. Son seul intérêt était de foncer droit sur son ennemi pour lui ôter la vie de ses mains.
Sun Tzu soupira bruyamment, Grimhildr, inquiète, se pencha légèrement. - Seigneur Sun Tzu, un problème ?
Le roi des hommes dans les gradins termina son verre d’hydromel puis, se mit à rire plus ou moins discrètement. Après quelques instants à se gausser il lança à l’intention du représentant de son espèce et de son pays.
- Tu t’es fait avoir pas vrai ?
Pas une réponse, l’assistance vit seulement Sun Tzu sauter de sa balustrade, une étrange épée aux hanches en train de courir droit vers la forêt. Goll plutôt intriguée s’apprêtait à ouvrir la bouche lorsqu’un déluge de flèches vint l’interrompre. L’ancien perchoir de l’humain était criblé des flèches ennemies. Paniquée, la valkyrie se retourna vers les autres spectateurs, espérant vivement que ces derniers sauraient lui fournir une explication vis à vis de cette situation. Cao Cao d’ordinaire plutôt enjoué avait froncé les sourcils, se recourbant sur lui même les mains jointes au niveaux des lèvres.
- Odin n’est plus dans sa base depuis bien longtemps.
La valkyrie pencha la tête.
- On a le droit de faire ça ?
- Bien sûr qu’on a le droit, as-tu entendu une règle l’interdisant ? La seule interdiction qu’on possède c’est celle de tuer l’adversaire nous même. Il semblerait que chacun des combattants ait opté pour une stratégie différente… Sun Tzu vise la déroute, Odin lui veut tuer Sun Tzu le plus vite possible.
Goll ne put s’empêcher d’avaler sa salive, anxieuse du futur de cet affrontement. Il était certes interdit d’affronter son adversaire fer contre fer. Cependant Odin n’avait plus rien à perdre, la folie avait déjà perverti son esprit depuis bien longtemps ; qu’était un millénaire de plus au tartare s’il pouvait venir à bout de son adversaire lui même. Au pas de course, Sun Tzu déchirait des petits lambeaux de son Hanfu qu’il dissimulait et parsemait au gré du vent. Les vêtements amples étaient une réelle plaie lors d’un combat, il valait encore mieux les déchirer pour induire l’ennemi en erreur. L’humain se mordit le pouce, il était en constante réflexion, ses bruits de respiration saccadés se bousculaient en même temps que ses pensées.
- Il a fait exprès de perdre cette zone, il voulait être sûr que j’envoie toutes les troupes… Il a fait reculer les siennes aussi vite pour qu’elles servent de support à la tentative d’attaque éclaire menée plus tôt.
Le plateau encore attaché dans le dos de l’humain, ce dernier se réfugia sous un arbre plus voûté que les autres. La logique aurait voulu le pousser à se cacher dans une grotte, mais l’ennemi voulait le tuer, non le capturer ; la caverne aurait été enfumée. Sun Tzu plaçait des pions ça et là sur son petit plateau, essayant de démêler la fâcheuse situation face à la quelle il se trouvait actuellement. Une inspiration, une deuxième, plus longue, plus profonde.
- Grimhildr. Temps ?
- Ils devraient nous trouver d’ici cinq minute environ seigneur.
- Amplement suffisant.
Se massant les tempes de la main droite, le stratège humain avançait un pion, puis un deuxième, contournait une troupe. Une idée lui vint.
- Combien de temps depuis que nous possédons la zone ?
- Environ 3 minutes
- Et tu tiens depuis deux minutes environ… Donc… économisons une marge d’une minute… Nous aurions cinquante points.
Le stratège sortit en vitesse un boulier depuis sa sacoche, commençant à renverser et malmener chaque perle avec fracas. Il se fichait d’être repéré, il savait que ce n’était qu’une question de temps, il fallait une réponse, non une cachette.
- 3 cavaliers. Les 35 points restants pour améliorer les fantassins présents sur le champ de bataille en lanciers. De préférence les plus grands d’entre eux en priorité.
Trois cavaliers apparaissaient face à l’humain et sa valkyrie, aucun mot ne fut échangé, ils avaient tous les deux compris ce que Sun Tzu espérait. Un cavalier se dirigea vers un sens, un à son opposé et le dernier dans une autre direction, toutes différentes de celle d’où l’ennemi allait parvenir. Le choix était facile, deux cavaliers avaient un passager supplémentaire, un était seul. Pour Odin il n’y avait que deux choix possibles. Le géant nordique se pencha vers l’abri ou s’était réfugié son ennemi, se penchant légèrement, il observa chaque détail. Ses hommes le suivaient.
- Seigneur Odin ! Nous venons vous rapporter la situation ! Comme prévu l’ennemi domine toujours la zone de points, trois cavaliers sont partis, deux accompagnés de figures encapuchonnées, un était seul. Devrions-nous les poursuivre ?
Le dieu nordique se mit à sourire en observant un détail avant de se relever face au soldats, oppressé par la toute puissance que dégageait leur maître. La nature dépérissait, les feuilles tombaient, les pétales de fleurs pourrissaient, tout semblait partir en fumée. Les soldats sentaient leur jambes flageoler, servir cet homme était sans doute plus terrifiant qu’affronter celui qui se trouvait face à eux. Le chef de la petite escouade reprit parole, droit et sérieux.
- Nous attendons vos ordres !
Odin se doutait d’une supercherie. Jamais Sun Tzu n’aurait jamais choisi un troisième cavalier sans raison. Rien ne le poussait à laisser un cavalier seul si ce n’était pour un piège. Quelque chose avait trahi l’humain, les traces de pas auprès de l’abri. Certaines d’entre elles n’appartenaient ni à la Valkyrie ni à Sun Tzu. Ce dernier était sans doute parti seul sur un cheval, laissant le cavalier poursuivre le chemin à pied. Il fallait donc sans aucun doute poursuivre le cavalier solitaire. Cependant, Odin n’en fit rien.
- Dirigez vous au centre de la zone.
Les soldats s’inclinèrent en guise de respect, aucun n’osait discuter cet ordre qui semblait si étrange, leur ennemi était là, tout près, à portée de main et pourtant ; il leur avait dit de battre en retraite. Le dieu nordique se dirigea lui aussi simplement vers le centre de la zone, à cheval. Il pensait, il réfléchissait sans interruption. Plusieurs cas de figure étaient disponibles, le premier était celui qu’il avait envisagé de prime abord, Sun Tzu était seul sur un cheval. Le deuxième était un double bluff, Sun Tzu était bien monté sur un cheval avec un soldat et avait fait descendre le dernier cavalier avant de le faire remonter pour brouiller les pistes. Et enfin, la dernière et plus préoccupante théorie était la suivante : Sun Tzu et sa Valkyrie étaient sur un cheval, deux cavaliers étaient sur un autre et enfin un cavalier était resté seul.
La présence d’un cavalier chevauchant seul rendait bien plus compliquée l’issue et l’avenir de la  bataille, et en cas de conflit, plusieurs règles étaient aussi simples que primordiales. Suivre un  ennemi est parfois un risque trop grand ; Si nous n’avons pas d’informations suffisantes, il ne  faut pas le poursuivre. Sun Tzu l’avait très bien compris, plutôt que de tomber sur un piège, Odin  préférait laisser cette opportunité filer au vent.
La deuxième zone du champs de bataille allait bientôt disparaître, le dieu nordique encore à  cheval comptait ses points et ses troupes restantes. Heureusement pour lui, ses soldats avaient  effectué une retraite assez rapide pour éviter de perdre grand nombre d’homme, le coup le plus  dur, c’était bien l’assaut du navire. Le vieux dieu pianota sur les touches de son étrange tablette  pour mieux voir les profils et surtout le nombre de soldats sous ses ordres. Sun Tzu en avait plus,  finalement le nombre aurait peut-être raison de la compétence, d’autant plus que l’humain avait  désormais cent points supplémentaires grâce à sa zone.
Une idée vint courber les lèvres du dirigeant viking, cette torsion musculaire ressemblait plus à un rictus qu’à un simple sourire. Il avait compris comment semer la discorde dans les rangs ennemis, cette guerre ne verrait aucune gestion d’armée ; elle serait un concours du stratagème le plus tordu et terrifiant. Pour la première fois, le dieu fut loquace.
- Volez les armures, enfilez-les, démembrez les corps, conservez les morceaux jusqu’à mon commandement.
Les troupes nordiques tressaillaient de dégoût et de peur face à cet homme. La guerre était chose horrible, et le meilleur stratège était sans doute celui qui se complaisait le plus dans cette horreur. Les soldats s’exécutaient, les épées faisaient office de couteaux, les pointes de lances déchiraient les jointures ; les carcasses désarticulées étaient malmenées comme des marionnettes inanimées, les morceaux de corps balancés comme des fagots de bois. Un nouvel ordre vint glacer le sang des soldats
- Collectez le sang.
L’herbe verte de l’ancienne zone de points se voyait colorée d’un rouge profond et écarlate, de pleines choppes plongeaient dans le liquide bordeaux. Des caillots et autres grumeaux se formaient, certaines plaies avaient commencé à cautériser à l’air libre, le sang se solidifiait et se gélifiait. Un tonneau entier fut rempli par le sang des pauvres victimes adverses.
- La moitié, mettez du sang sur les armures, les autres, gardez les intactes.
Aucun soldat ne comprenait la réelle raison qui poussait leur dirigeant à agir de cette manière, et pourtant, cette terrifiante tactique allait marquer un tournant inédit à cette étrange guerre.
En haut des gradins, Zeus observait le spectacle sous ses yeux sans réagir ; il savait de quoi était capable Odin, et visiblement un millénaire enfermé au fin fond du tartare n’avait en rien atténué la perversité qui rongeait l’esprit du dieu nordique. Ares avait cessé de prendre des notes, dégoûté par le spectacle se déroulant sous ses yeux, il était dieu de la guerre, pas des massacres. Hermès ne put réprimer le sourire qui venait se plaquer sur ses lèvres, une remarque lui vint même à haute voix.
- Ce qui m’intrigue n’est pas tant le stratagème du seigneur Odin que la réponse de cet humain… Qu’en pensez vous, seigneur Thor ?
Au côté des déités grecques, une immense silhouette au cheveux longs et rouges observait le combat, bras croisés. Toujours aussi silencieux, le dieu nordique était absorbé par la scène qui se déroulait sous ses yeux ; après quelques instants, le guerrier du tonnerre se décida à répondre à Hermès.
- Les deux sont dangereux. La différence, c’est que nous connaissons l’étendue et la profondeur de la folie qui ronge père. Pour cet humain en revanche…
Heimdall annonça la nouvelle zone à point via son cor, hurlant dans ce dernier de toutes ses forces
- La prochaine zone de points se trouve sur la plage !
Odin ne put contenir son sourire, ce dernier emboîta tranquillement le pas en direction de la zone nouvellement annoncée, faisant signe à ses troupes de le poursuivre vers la grande étendue. Au loin un nouveau navire était en train de flotter sur l’étendue bleu, cette fois ci, c’était à Sun Tzu de régner sur les mers.
De son côté le combattant humain révisait à nouveau certaines de ses stratégies, pesant le pour et le contre vis à vis de ce qui se passerait par la suite. Sa fuite précipitée lui avait été plus dérangeante que prévue, quelques minutes et toutes les informations qui allaient avec étaient inaccessibles. Ces quelques minutes avaient suffi à entraver certaines de ses stratégies. L’humain observait ses hommes se diriger vers la zone de points, à l’arrivée, ils étaient seuls. Sun Tzu emportait à nouveau des points, une sensation cependant l’empêchait de rester calme.
Après une poignée de minutes, des bruits de pas se faisaient entendre, certains de ses hommes, ensanglantés courraient vers ses troupes en tenant des morceaux de bras et de jambes de leurs compagnons d’armes. Sun Tzu ordonna à ses troupes de tirer, sachant pertinemment qu’il s’agissait d’un stratagème adverse, il connaissait par cœur le nombre de soldat sous ses ordres. Cependant, personne ne tira, le doute s’était emparé du cœur de ses hommes. Les quelques secondes avant de réagir suffirent aux troupes et cavaliers d’Odin de fondre droit sur le groupe ennemi qui tenait la position. Le stratège chinois s’empressa d’ordonner une retraite vers le bateau à son armée. Il devait abandonner cette zone, c’était un cas de force majeure.
L’humain observa les nombreuses barques se diriger vers son navire, soupirant, cette bataille là était perdue. Quelques instants plus tard, une immense silhouette aux cheveux longs et blancs vint s’asseoir à côté de Sun Tzu, son adversaire prit parole.
- Insecte. Tu m’avais pris un navire n’est-ce pas ?
- Exact, mes dents ont troué la coque comme s’il s’agissait d’une pomme. - Vous vous êtes reproduits bien vite.
Sun Tzu écarquilla les yeux avant de se retourner vers l’ennemi qui lui faisait face. Puis vers le bateau qui commençait à sombrer petit à petit. Il y avait bien trop de soldats qui étaient retournés vers le navire. Cette minuscule inattention à cause de la situation précédente ne lui avait pas permis de réaliser que de nombreux ennemis s’étaient immiscés parmi les siens. L’embuscade était parfaite, le piège s’était resserré sur lui sans qu’il ne le réalise. C’était la raison qui avait poussé le dieu nordique à garder une moitié des armures intactes. Forcer l’ennemi à observer un macabre spectacle lui avait empêché de réaliser que l’enfer était déjà à ses côtés. Déjà les troupes d’Odin avaient massacré l’équipage et s’empressait de mettre le feu au navire, trouant la coque. Le dieu se releva, s’interposant entre les yeux de Sun Tzu et le paysage de son navire qui rejoignait le fond au côté de celui de son ennemi.
- Je pourrais te tuer, insecte. Mais tu ne vaux pas un millénaire au tartare.
Odin méprisait cette règle, il voulait plus que tout tuer cet ennemi de ses propres mains, le voir agoniser. Cependant, la personne qu’il voulait le plus voir agoniser se trouvait là haut : Zeus. Le dieu nordique quitta son interlocuteur, nombre de leurs hommes bataillant en arrière pour espérer prendre la tête du général ennemi. Sun Tzu, seul, observant les quelques planches de son bateau flotter sur la mer d’azur serra les poings. Il s’était fait avoir à son propre jeu, et en beauté en plus de ça. Ce maudit combat de petits stratagème savait mettre les nerfs à vif, la situation était aussi insupportable que stressante, chaque mort était une tragédie, chaque vie perdue était sa responsabilité.
Le général chinois observa quelques instants le champ de bataille, il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de perdre une seul seconde. Cette situation, il en avait déjà connu une semblable ; encore jeune, Sun Tzu avait vu un nombre incalculable de membres de sa famille mourir au combat. Son père, son oncle, ses cousins, son grand frère ; pourtant, jamais Sun Tzu n’avait été triste ou perturbé par ses morts. Ce qui le dérangeait en réalité était une raison toute autre, une réflexion particulièrement simple « Pourquoi ne voient-ils pas ce que je vois ? ». Quand un ennemi s’apprête à battre en retraite, bien souvent, ce dernier fait un dernier mouvement plein d’orgueil. Quand un ennemi va attaquer, bien souvent, il assure ses arrières en premier lieu. Quand un ennemi veut contourner, bien souvent, il revérifie la quantité de vivres en sa disposition. C’était de la stratégie, la plus simple et vulgaire possible, pour autant, personne ne semblait la comprendre. La seule personne qui en était capable était un enfant de cinq ans seulement, Sun Tzu. Au fur et à mesure du temps, pendant ses études, à travers les jeux avec d’autres enfants, Sun Tzu les lisait, Sun Tzu comprenait. Sans même avoir à leur parler, il comprenait immédiatement comment un enfant mentait, comment ses sourcils se fronçaient quand il disait la vérité. Tout le langage humain, qu’il soit verbal ou corporel lui paraissait évident et logique, tout humain était un livre ouvert. Quoi de plus normal que de s’intéresser à la guerre dans ce cas. Chacune de ses stratégies était efficace, jamais Sun Tzu ne connu la défaite. Pragmatique, le jeune homme savait même comment gagner une guerre sans avoir à la mener. Comprenant bien assez vite que l’humain était idiot, tout au long de son ouvrage, Sun Tzu le répéta « Le meilleur moyen de gagner la guerre, c’est de ne pas la faire. » Des millénaires plus tard, son récit était encore étudié pour massacrer la personne qui se trouvait en face de nous. Sun Tzu du faire face à une réalisation aussi horrible qu’évidente : Comprendre l’humain aussi facilement et aussi bien avait fait de lui un être tout sauf humain. Sun Tzu était en réalité incapable de pleinement comprendre l’humain car Sun Tzu ne ressentait aucun de leur plaisir. La simplicité n’existait pas pour le plus grand stratège de l’histoire, tout était mué par d’autres objectifs et de sombres desseins.
Grimhildr apposa sa main sur l’épaule du stratège. Inquiète la valkyrie se contenta d’un silence et d’un regard compatissant, il n’y avait pas besoin de mots. L’humain saisit la main de la valkyrie et mêla ses doigts à ceux de la guerrière.
- Excuse-moi Grimhildr, je hais la guerre et pourtant. Je me dois d’à nouveau prendre les armes.
La valkyrie sourit simplement avant de disparaître petit à petit avant de prendre la forme d’une épée dans la main couverte de cicatrices. Ces quelques mots résonnèrent dans la tête du vieil homme.
- Un stratège préfère la victoire à la survie de ses troupes. Tu n’es pas un stratège Sun Tzu… Tu n’es qu’un homme, c’est bien là ta plus grande force.
Pour la première fois les mots de la valkyrie résonnaient dans le cœur de l’humain. Serrant la poignée de l’épée, le vieillard sentait sa jeunesse lui revenir, sa passion l’animer à nouveau. Sun Tzu lacéra les manches de son hanfu, resserra la ceinture de ce dernier avant de trancher net le chignon qu’il arborait si fièrement. Sa fine moustache et sa barbiche encore intactes l’humain se mit à courir à toute allure droit sur le champ de bataille. La sueur venait perler le long de son front, son souffle s’accélérait, ses longues mèches grisonnantes venaient danser le long de son visage et de ses tempes. La silhouette ferme et sévère du vieillard apportait un certain réconfort à ses troupes ; s’il était une règle qui interdisait au combattants de s’en prendre directement à leur adversaire, il n’était aucune règle leur interdisant de participer au combats au côtés de leurs troupes. L’épée dansait au rythme de ses pas, les effluves de sang jaillissaient sur l’habit noir de l’humain, quelques gouttelettes venaient s’emprisonner entre ses quelques rides. Sun Tzu continuait sa charge, nombre de ses hommes venaient le pousser pour lui éviter certains coups, s’ils mourraient, c’était désormais avec fierté, fierté d’avoir fait partie de son armée. Une main guidait la lame, l’autre s’agitait pour donner des indications à ses hommes alors que sa voix leur ordonnait diverses manœuvres. Le meilleur stratège de l’humanité avait fini par embrasser sa nature.
Chapter 15: La plus grande des folies
Summary:
Le combat entre Sun Tzu et Odin arrive à son terme !
Qui des deux combattants remportera le quatrième round du ragnarok ?
Chapter Text
Odin observait depuis un relief la tournure que la bataille était en train de prendre ; son adversaire avait potentiellement fait le pire et le meilleur choix en même temps. Dans un affrontement ou aucun lieu n’était réellement sûr, la meilleure sécurité c’était de toujours rester en groupe. Cependant cette sécurité venait avec un coût bien particulier : divulguer sa position. Si Sun Tzu était à l’avant en train d’affronter bon nombre d’ennemis et qu’il braillait ses ordres en même temps ; alors ce dernier ne pouvait préparer aucun autre stratagème. La victoire était courue d’avance pour le dieu nordique.
Toujours aussi calme, Odin plaça son poing devant sa bouche, il réfléchissait. Quel serait le meilleur prochain mouvement, quelle serait la meilleure décision ? D’une certaine manière il pouvait demander à ses troupes d’insister lors de l’affrontement en cours afin de prendre la tête de Sun Tzu ; de l’autre il pouvait demander à son armée de multiplier ses efforts pour amener l’ennemi à la déroute.
Il ne fit aucun des deux choix. Le dieu de la sagesse toujours à cheval ordonna simplement. - La montagne.
Le choix de faire retirer ses hommes en direction des reliefs était de loin le choix le plus pertinent pour un stratège. La montagne permettait bon nombre d’avantages non négligeables. Le premier c’était la hauteur, être en hauteur permet de mieux voir le champs de bataille. Le deuxième c’est le cas de figure du siège, faire tomber des roches sur les ennemis est moins énergivore que gravir une façade escarpée. Le troisième c’était les flèches, tirer vers un ennemi plus bas que nous offre un meilleur accès à sa tête, de plus, les flèches ennemies quant à elle ont bien plus de mal à atteindre. Le dernier avantage et sans doute le plus important lorsqu’il s’agit de tels reliefs, c’était la discrétion ; se cacher dans une grotte, dans une caverne, un avant poste, la montagne offrait de nombreux petits retors qui pouvaient s’avérer centraux pour une bataille de ce genre.
Une question demeurait cependant, quelle était la raison qui poussait Odin à choisir cet emplacement et pas un autre ? La réponse était simple et tenait en trois facteurs, le premier c’était la déduction ; sur toutes les zones de points disséminées, il en restait trois n’ayant pas été utilisées, la mer, la montagne et la forêt. La mer était trop proche de la plage pour être désignée, alors il ne restait que deux choix. La deuxième raison, c’était le hasard. Il y avait une chance sur deux que la prédiction d’Odin tombe juste, son œil de Jade l’aurait grandement aidé lors de cet affrontement. La dernière raison, c’était la stratégie. S’il y avait le choix entre la forêt et la montagne, il fallait choisir la montagne. C’était la position stratégique parfaite, une forteresse naturelle. Il était bien plus facile de descendre de la montagne à la forêt que d’escalader de la forêt à la montagne.
Pour cette raison la décision et le choix furent sans appel. Tous les soldats se dirigeaient vers la montagne à l’exception des cavaliers. Les chevaux étaient incapables de gravir ces falaises, ils serviraient donc d’attaquant éclairs servant à ralentir l’avancée ennemie.
Sun Tzu de son côté savait très bien la situation dans la quelle il s’était empêtré, cependant, il n’était pas défait pour autant. Ses compagnons d’armes comprenaient très bien quel était son plan, le tacticien et la petite armée se dirigeaient aussitôt vers la forêt lorsque la zone de points avait atteint le temps limite. Le tacticien prit parole.
- Prenez les morceaux restants de bateaux ayant coulé jusqu’ici, nous les planterons derrière nous entre les arbres ! Cela empêchera l’ennemi de nous prendre par derrière ou à revers ! Ou tout du moins ça le ralentira !
Le général s’empressa d’accompagner ses hommes en se chargeant de bon nombre d’éclats de navire pour aider ses troupes. Les spectateurs humains comme divins observaient tous les faits et gestes du camp des mortels. Cao Cao et Sun Bin ne pouvait cacher leur sourire, Goll s’agitait en les observant l’un puis l’autre avant d’exprimer son inquiétude
- Je ne vois pas ce qui peut vous faire sourire autant ! La situation est dramatique ! Si Sun Tzu lui même se voit obligé d’aider ses soldats, c’est qu’il est en grand danger !
Ce fut au tour de l’empereur des hommes de rire aux éclats avant de répondre.
- Hǎo ma vieille amie, tu fais en partie erreur ! Son sourire, c’est celui d’un homme qui malgré les dangers à la victoire entre ses doigts ! Il n’est pas affaibli, il ne feint pas la faiblesse non plus il…
Les deux stratèges parlèrent en même temps que l’empereur, la conclusion des trois humains était la même.
- Il rayonne de puissance, on ne voit que lui.
Les dieux de leur côté avalaient leur salive, inquiets de voir un homme si mesuré et calme couvert de crasse ; les ongles arrachés et noircis, la sueur créant des sillons entre les traces de suie et de poussière. Sa chevelure grise en bataille, sa barbiche et sa moustache en désordre, l’humain repassait sa chevelure en arrière, quelques mèches retombaient au devant, troublant très partiellement sa vision.
Plus rien en lui n’évoquait la noblesse, plus rien en lui ne rappelait sa stature. Il était voûté, les  bras remplis de fagots de bois, les vêtements déchirés, dénudé de toute parure, une simple  épée argentée attachée aux hanches.
Heimdall rugit dans son Cor pour annoncer la nouvelle zone de points, le résultat scellera sans  doute l’issue de cet affrontement, pourtant plus que cette annonce, le publique était obnubilé  par les deux combattants. L’un encore sur son cheval, immaculé montait doucement le long de  la montagne, accompagné de nombreux hommes érigeant diverses barricades et se préparant au combat. De l’autre, un combattant essoufflé et sali qui s’enfonçait dans la pénombre de la  forêt ; disséminant de nombreux morceaux de bois comme s’il était le petit poucet.
Zeus, frappé d’ennui soupira bruyamment. Cet affrontement était long, mais surtout, il ne voyait que très rarement des attaques directes. Tout était détourné, en bref, tout ce qu’il détestait. Le vieillard se retourna vers Hermès.
- Dis moi Hermès, le combat se terminera-t-il bientôt ?
Le majordome quant à lui, totalement absorbé ne put s’empêcher de sourire légèrement
- Si j’en juge ce que mes yeux veulent bien me laisser apercevoir… Ce combat risque de se terminer très bientôt. N’est-ce pas, seigneur Thor ?
Le dieu de la foudre, toujours aussi mutique et taciturne ferma brièvement les yeux avant de les reporter vers les déités grecques.
- Ce round est une exécution plus qu’un affrontement n’est-ce pas ?
Hermès ne put s’empêcher d’afficher un rictus chargé de contentement à la suite de ces mots. - Comment l’avez vous compris ?
- Mon père n’a ni pouvoir, ni œil de jade, ni arme divine. Basiquement, tout ne repose que sur sa sagesse. Mais vous le savez aussi bien que moi.
- Il est fou.
Hermès répondit simplement, les yeux plongés dans ceux du dieu nordique, pressé de savoir comment ce dernier réagirait à cette conclusion. Le dieu au longs cheveux rouges reposèrent ses yeux sur le champ de bataille.
- en effet. Il est fou. Et ce Ragnarök est le meilleur moyen de se débarrasser de lui.
Zeus se releva, le vieillard tremblotant joignit les mains derrière son dos et fit quelques pas vers Thor.
- Y vois-tu un problème Thor ?
L’autre secoua doucement la tête, parfaitement calme.
- Aucun, la mort aurait dû emporter mon père depuis bien longtemps.
Le vieillard se contenta de hocher la tête avant de se retourner vers l’arène. - Crois-moi, si j’avais pu le tuer de mes mains, je l’aurais fait.
Zeus avait payé un lourd tribut lors du dernier Ragnarök. En temps normal le dieu dirigeant n’aurait vu aucun problème à envoyer Odin en Nilfheim, quitte à causer une énième guerre. Cependant cette fois ci la situation avait été différente. La mort de ses deux frères et d’un de ses fils adoptif pour le bien d’un plan visant à détruire l’intégralité des trois mondes avait poussé le vieillard à être bien plus ferme. Pour la première fois de l’histoire de son règne, Zeus eut fait le choix de la sagesse, il fit emprisonner Odin un millénaire pour affaiblir son esprit et son âme.
Odin observa ses hommes, son pari avait été remporté, la zone de points se situait sur la montagne. A chaque point obtenu, le dieu Nordique les allouait aussitôt pour obtenir plus d’archers. Une drôle de guerre était en place, le nordique observait les troupes humaines dans la forêt en contrebas créer un espèce de petit fort en boue et en bois. Une bâtisse bien misérable mais qui au moins les mettait à l’abri des attaques des quelques cavaliers restants. Le dieu nordique en était sûr, il gagnera cet affrontement suite à sa décision.
Odin savait d’ores et déjà que Sun Tzu avait préparé un piège, ou au moins une contre attaque. La moitié des troupes de l’humain était absente, selon ses cavaliers, cette moitié s’était dispatchée en plusieurs petits groupes et se dirigeait vers la montagne sous différents angles. Il suffisait de défendre les différents pans de la montagne pour empêcher les soldats adverses d’y accéder.
Un grand fracas retentit, quelques soldats tombèrent en contrebas, un rocher les avait emportés. Aussitôt, le dieu nordique demanda un rapport, attaque ennemie ? Cause naturelle ? Après tout la création de leurs passerelles et autres protections avaient dû fragiliser certaines parois de la montagne, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’un éboulement survienne. Les soldats observaient les grottes, envoyaient des torches et de la paille à l’intérieur, espérant enfumer les potentiels ennemis s’il y en avait. Rien, personne n’était là, il s’agissait bien d’un éboulement, rien de plus grave.
Puis un deuxième fracas. Un troisième. Un quatrième. Odin se retourna en vitesse pour observer le haut de la montagne. Une troupe entière s’y trouvait. Fou de rage le nordique se retourna pour observer la forteresse en contrebas, rien n’avait changé. Saisissant une paire de jumelles à un de ses hommes, il réalisa : l’épée attachée à la hanche de Sun Tzu n’était plus la même. Sa Valkyrie l’avait quitté il y a un moment déjà. Alors que Odin et ses troupes surveillaient sans cesse la terre et la forteresse des hommes, ils n’avaient jamais levé les yeux. Peut-être auraient ils remarqué qu’un aigle géant transportait un à un la moitié des troupes de son ennemi.
Un hurlement bestial retentit et résonna à travers la montagne. L’armée d’Odin se faisait massacrer, ils devaient battre en retraite en toute hâte. La moitié de ses soldats avait déjà été décimée. Jamais plus il ne retournerait dans cette prison, pas une seconde de plus, hors de question d’y songer. Dans cette cellule le temps passait lentement, horriblement lentement, il ne pouvait posséder aucune information de l’extérieur, aucune activité, rien. Il vivait un constant vide, une seule occupation lui était possible, compter. Il comptait les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois, les années, les décennies, les siècles… Le millénaire. Aucune marge d’erreur, une horloge interne parfaite. Sa cellule était recouverte d’inscriptions sur les murs, les barres représentants les jours se chevauchaient, un immonde gribouillis avait fini par pendre forme. Les traits étaient droits, puis avec le temps une légère courbure. Encore plus tard, la barre était tremblante, puis c’était des ronds parfaits. Après quelques années supplémentaires, les ronds se brisaient, un vague zigzag prit place. Le dernier siècle des grands gestes élancés venait marquer le mur, rien n’était droit, chaque inscription trahissait quelque chose : les tremblements causés par les rires de folie du détenu.
Un nouveau hurlement se fit entendre, une gigantesque lance apparu dans la main d’Odin. Zeus se releva hâtivement.
- Il a réussi à invoquer Gungnir ?! Je la croyais brisée ?
Thor répliqua.
- Elle l’est. Tout autant que son esprit.
L’arme semblait avoir un manche entièrement ramolli, la pointe était irrégulière, la forme changeante. Parfois la lame faisait la taille du manche, d’autres fois elle disparaissait presque. Le manche était tantôt en bois, tantôt en fer. Une chose était cependant inchangée, les nombreuses têtes qui tombaient au sol, alliées comme ennemies. Peu importe la déroute, peu importe les soldats, tout ce qui compte, c’est qu’il survive. Il foncera tuer Zeus de ses mains, il trouvera un moyen de régner à nouveau sur les cieux, un moyen de faire revenir Yggdrasil.
Arrivé face à Sun Tzu, le dieu nordique leva son arme, prêt à l’abattre sur le pauvre malheureux face à lui. Une fois le bras levé la pointe braquée sur le tacticien humain. Odin s’arrêta net avant de se retourner. Il n’avait même pas été tué par un ennemi, un de ses soldats avait pris son courage à deux mains et planté sa lame à travers le dos de son chef. Il savait que c’était un grand crime, qu’il n’aurait jamais dû faire ça, que c’était de la folie. Mais la meilleure méthode pour arrêter la folie qui se passait sous ses yeux, c’était d’en faire preuve à son tour.
Dans un râle de douleur, Odin laissa tomber sa lance avant que ses genoux rejoignent cette dernière au sol. Le dieu dans un dernier effort leva la main vers Sun Tzu comme pour l’empoigner.
- Je te tuerai… Je vous tuerai… Tous…
Ses yeux ne voyaient plus l’homme qui se situait face à lui, sa vision était trop trouble. Il sentait son corps doucement pencher et chanceler, bientôt il eut la sensation d’une chute libre. Bras encore levé et tendu le corps du dieu nordique s’écrasa au sol avant de disparaître en milliers de petits fragments.
La valkyrie reprit forme humaine en regagnant le sol au côté de Sun Tzu, elle sourit à son partenaire
- Me donner le commandement de l’armée après avoir vu le bateau couler, c’était de la folie.
- Il semblerait que notre folie ait eu raison de celle de l’adversaire.
Un tonnerre d’applaudissement retentit du côté des hommes comme du côté des dieux. Ils ne pouvaient ni mentir ni le cacher, bon nombre d’entre eux préféraient savoir Odin mort que vif. Thor lui même semblait sourire légèrement, comme soulagé de savoir que son père l’avait enfin quitté, qu’il pouvait laisser ce passé derrière lui.
Heimdall souffla la victoire de l’humanité dans son Cor
- La victoire pour le quatrième round du Ragnarök revient à l’humanité !
Goll ne put s’empêcher de sauter de joie en prenant ses compagnons dans les bras. - Il l’a fait ! Il l’a fait !
Cao Cao et Sun Bin se laissèrent faire, rigolant joyeusement. Qin Shi Huang se leva à son tour et posa son poing sur le cœur, souriant.
Sun Tzu en contrebas serra son poing en le dirigeant vers ses tribunes, un grand sourire sur les lèvres. Le roi de Chine ne put s’empêcher de penser à haute voix
- Il semblerait qu’en plus du combat, Sun Tzu ait gagné une chose qui lui faisait défaut… Son humanité.
L’humanité avait remporté le quatrième round du Ragnarök. Le score était de deux à deux.
Chapter 16: Irréalité et illogisme
Summary:
Le cinquième combat du Ragnarok peut débuter !
Qui seront les prochains combattants ?
Chapter Text
Une égalité parfaite, un scénario similaire s’était déjà produit lors du Ragnarök précédent il y a un millénaire. Cependant, à la différence de la première édition de ce tournoi, dieux et humains semblaient satisfaits de ce résultat. L’humanité ne risquait aucunement de disparaître et les dieux voyaient ce tournoi comme un divertissement, un moyen de faire paraître leur cruelle éternité bien moins longue.
Goll sauta de joie avant de prendre sa sœur dans les bras, cet affrontement avait été une victoire totale pour l’humanité. Non seulement le score était revenu à l’égalité, mais surtout, le tacticien du genre humain avait survécu. Ce paramètre était tout sauf négligeable, la survie de Sun Tzu assurait la possibilité de varier ses stratégies et de surtout se garantir de nouvelles victoires. Cependant, le prochain round allait devoir s’effectuer sans la présence de ce dernier, éreinté par son combat, recouvert de nombre de blessures différentes, ce dernier du se rendre à l’infirmerie pour panser ses plaies et y prendre un repos bien mérité.
Du côté des dieux, personne ne semblait réellement amer ou même déçu de ce résultat ; en  réalité, beaucoup l’attendaient, beaucoup l’espéraient. Les manigances d’Odin avaient été un  réel traumatisme pour bon nombre de dieux, des familles avaient été brisées, des disparus  jamais retrouvés. Savoir qu’un danger aussi important que celui ci était enfermé au fin fond du  tartare leur était insupportable, comment vivre en observant l’épée de Damoclès au dessus de  sa tête.
Thor ne semblait nullement perturbé ou dérangé par cette situation, le dieu nordique l’avait lui  même dit. Odin devait disparaître, ce dieu était trop dangereux, ce monstre qui était son père  avait commis trop lourd péché, pas même sa vie n’aurait su laver ou absoudre ses agissements.  Le viking se releva simplement avant de quitter les loges, visiblement désintéressé par le futur  de ce Ragnarök ou par ce que les dieux grecs pouvaient lui raconter. Zeus se retourna vers  Hermès, les mains jointes à l’arrière de son dos.
- Mon cher Hermès, la suite des opérations.
Annonça le vieillard avant d’immédiatement se diriger vers le couloir à son tour, direction la salle de réunion. Cependant, en plein milieu du chemin, le dieu dirigeant se stoppa net. Un coup d’œil derrière lui, puis à gauche, à droite, le paysage était changeant, le couloir se répétait dans un étrange kaléidoscope. Les issues se multipliaient avant de disparaître, les peintures devenaient insensées, ne respectant plus aucune proportion ou logique. Le sol semblait se détendre, se distordre comme un étrange chewing-gum. La lumière des dizaines de lustres semblait rebondir et se réverbérer sur des matières qui d’ordinaire n’étaient pas capables de refléter cette dernière ; la logique même semblait quitter cette partie du monde. Zeus se mit à rire, un simple ricanement, au fur et à mesure, la démence semblait prendre le pas sur son amusement, le petit vieux en tremblait.
Bientôt son corps était pris de spasmes. Le dieu des cieux tomba à genoux, se tenant la tête, ses dents claquaient à toute allure, ses yeux étaient livides. Il se sentait mourir, puis revivre, puis mourir à nouveau, sans interruption, des centaines de fois. Son esprit semblait être arraché de son corps avant d’être renvoyé en puissance à l’intérieur de ce dernier. Les dorures du couloir semblaient de plus en plus brillantes, la chaleur des bougies accrochées au lustres brûlait comme mille soleils, le couloir entier était baigné d’or. Bientôt les étranges distorsions que subissait le paysage se transposaient sur le corps du dieu. Ses doigts se démultipliaient, se tordaient, des ignobles monceaux de chair venaient s’y accumuler dans des bruits de craquements. Les immondes gargouillis causés par ces centaines de doigts qui venaient se greffer aux autres, parfois perpendiculairement, parfois dans le prolongement du membre d’origine forçait Zeus à admirer ses mains avec fascination et dégoût. Sa bouche se tordait à son tour, sa langue retombait, pendait, voyait des espèces de ventouses s’y dessiner. Incapable de contrôler ce nouveau membre, le vieillard était contraint à lécher ses milliers de doigts qui faisaient ressembler ses mains à des paniers d’osier.
Son corps éclatait, se restructurait, disparaissait, son cœur était un poisson au dents acérés,  puis un sabot arraché. La douleur le saisissait dans tous ses éclats, son dos se déformait pour  former une carapace, puis le son vint.
Des pas, des centaines de pas, des milliers, la marche de la mort elle même semblait se diriger  vers le dieu, ce dernier sentait sa fin s’approcher. Ses dents claquaient de plus en plus, la  terreur mêlée à ses rires déments à moitié étouffés et noyés par l’immonde limace ventousée  qu’était devenue sa langue. Les visions s’accéléraient, visages éclatés, fracas des vagues contre  la roche, carcasses cuisant au soleil, planètes s’entrechoquant, bouc recouvert de balanes. Un  hurlement perça ses visions d’horreur, tout redevint normal, et Zeus le vit, posé devant lui.
Particulièrement droit, l’individu face à Zeus semblait gigantesque, sa cape ruisselait comme des cascades d’or. L’étrange figure se tenait bras croisés, silencieuse, dans toute sa dignité et sa force. Sa cuirasse de bronze immaculé assombrissait la dorure de sa cape soigneusement brodée de motifs païens. Zeus leva finalement la tête pour voir un visage couvert par un étrange masque d’un métal inconnu. Une couronne de lauriers venait coiffer cette étrange vision. La figure se pencha légèrement pour mieux observer le pauvre diable à genoux. Les deux trous creusés pour les yeux laissaient entrevoir deux petits cercles jaunes. Se relevant, encore suant et tremblotant, Zeus, haletant, parvint à articuler quelques mots.
- Hastur… Tu sais que… Je déteste ton sens de l’humour…
- Il sait.
La réponse résonna dans la tête du grec, la figure n’avait pas bougé d’un seul pouce, et pourtant Zeus sentait à nouveau la surpuissance du personnage se trouvant face à lui. La réalité elle même semblait trembler en constante peine et délire face à l’existence de cette anomalie. La créature face à Zeus défiait toute possibilité, toute logique, elle n’était pas la mort, elle était pire. Reprenant doucement son souffle, le plus décrépi s’égratigna et s’efforça de reprendre la conversation tant bien que mal.
- Pas besoin de réunion je suppose, tu sais ce qu’il te reste à faire ?
- Il sait.
La même réponse, sans équivoque et sans une once d’hésitation. Hastur décroisa finalement les bras avant de faire un pas. Le sol tremblait déjà, la réalité semblait se fendre petit à petit, se réverbérant et reflétant la même image partout, comme un miroir brisé. Tout autour du pied du dieu semblait mourir, même les objets inanimés, défiant toute logique, Hastur amenait la mort elle même sur l’inorganique. Quelques pas supplémentaires et le dieu perdu avait dépassé Zeus qui semblait encore plus croulant qu’en temps normal. Le dieu grec ne put s’empêcher de penser à voix haute.
- Heureusement que c’est le plus raisonnable des égarés…
Après quelques instants pour se ressaisir, le Zeus reprit le pas pour quitter cet affreux couloir. À l’opposé de l’arène, dans un autre couloir, la cheffe des valkyries se dirigeait vers la chambre du prochain participant. Il fallait vite prévenir ce dernier que son combat allait arriver, est-ce que Goll croyait en la victoire de cet individu ? La question n’était même pas envisageable, tout le monde le savait. L’humanité faisait sans doute face à l’adversaire le plus dangereux de ce Ragnarök, et pourtant, la valkyrie demeurait persuadée que cet humain était capable de remporter la victoire face à Hastur.
En face d’elle, de l’autre côté du couloir, une figure se dessinait petit à petit, elle se dirigeait droit vers la demoiselle. Goll ralentit ses pas avant de s’arrêter totalement, de toutes les personnes qu’elle pouvait rencontrer, il fallait que ça soit celle ci. L’homme face à elle était aussi élancé que svelte, sa taille fine était décorée par ses longs cheveux blonds bouclant légèrement, ce personnage était incroyablement beau. Son nez était long et fin, sa mâchoire était parfaitement tracée, la longueur de ses cils presque blancs épousait parfaitement la finesse de ses yeux. Les lèvres pulpeuses de l’individu s’ouvrirent pour engager la discussion avec la guerrière.
- Eh bien chère Goll, as-tu oublié les bonnes manières ?
- Non messire Belial, j’étais seulement surprise de vous voir ici.
Goll feignit un sourire et la sérénité face à ce qui se trouvait face à elle. Elle se sentait déjà trembler, elle le savait, au moindre faux pas, elle serait morte. Au moindre mouvement, elle serait morte. A à la moindre envie du démon, elle serait morte. En réalité, le nombre de scénarios ou sa mort était imminente surpassait de très loin le nombre de scénarios lui permettant la survie. Les deux yeux profondément rouges du démon se posèrent à nouveau sur la demoiselle.
- Est-ce mon tour ?
La valkyrie déglutit, elle allait mourir. Ce n’était pas le tour du démon, si elle lui mentait, il saurait, c’était le démon du mensonge en personne. Si elle lui disait la vérité, elle mourrait, cette dernière déplairait le démon. Cependant, il fallait bien faire un choix.
- Non messire, ce sera le prochain affrontement.
- Bien.
Une longue et lourde épée apparut entre les deux mains tendues du démon. Sa paire d’ailes noires se déploya hors de son dos, couvrant l’intégralité du couloir, empêchant la demoiselle de fuir. Sans un mot, le démon leva son arme avant de l’abattre de toute ses forces en direction de Goll. Un grand son métallique retentit, Belial serra légèrement les dents avant d’ouvrir les yeux. Il aurait dû entendre un cri d’effroi et de douleur, puis le sang couler au sol, il aurait dû se délecter de cette mélodie, et pourtant… Rien ; Seulement un bruit métallique. L’intégralité de ses globes oculaires vira au rouge, faisant disparaître ses pupilles et iris.
- Salomon !
Un homme légèrement plus petit que le démon avait la main levée et tendue face à la lame ; cette dernière s’était coincée entre deux des doigts du roi humain. Pas une blessure, pas une goutte de sang, ni une égratignure, l’humain avait simplement arrêté l’entaille du diable. La barbe de quelques semaines de Salomon bougea légèrement, révélant le large sourire que l’humain aux longs cheveux noirs et ondulés affichait.
- Eh bien Belial. On t’a sorti de ta bouteille à ce que je vois ! Comment vas-tu depuis le temps ?
Un cri de rage ni humain ni animal retentit. La belle apparence de l’ange déchu, sa magnifique façade s’écroulait face à l’humain. Ses dents poussaient à vue d’œil, son crâne se déformait petit à petit, sa peau alors nacrée se voyait couverte de bubons et autres cloques. Au bout de quelques instants, un gigantesque démon au sabots et pattes de chèvres se cramponnait au manche de son épée. Ses doigts griffus ressemblaient davantage à des pattes de lion qu’à des mains d’homme, ses ailes étaient arrachées et scarifiées, versant des litres de sang sur le sol ; un sexe immonde et animal pendait entre ses deux jambes. La peau rouge et tuméfiée du démon empestait, ses deux larges cornes de taureaux faisaient baisser sa tête pour mieux observer Salomon dans les yeux. Son visage semblait à vif, arraché, écorché, il n’avait plus de nez, des dents de poisson des abysses crevaient certaines parties de ses lèvres. Belial avait été obligé de revêtir sa vraie apparence, aucun démon n’y faisait exception, si un prêtre les appelait par leur nom, ils devaient se montrer sous leur véritable jour. Or, la personne se trouvant face au démon était sans doute l’humain le plus marqué par la foi de toute l’histoire. Dans un bruit semblable à des milliers d’instruments désaccordés jouant une affreuse cacophonie, le démon exprima un effroyable grincement.
- Tu as rendu tes pouvoirs aux dieux Salomon, notre affrontement aura un résultat bien différent cette fois ci.
L’humain ne put s’empêcher de sourire avant de serrer la lame de l’épée et de briser cette dernière à main nues sous le regard ébahi de la valkyrie et du démon.
- Je leur ai rendus leurs pouvoirs, et j’ai eu des millénaires pour en acquérir de nouveaux. Je ne serai pas ton adversaire, et tu ne seras pas le miens, le destin en a décidé autrement. Et de toute manière, hors de question d’affronter quelqu’un qui empeste autant. Tu infecte ce couloir de l’odeur âcre du sang, des tripes, le tout mêlé à des relents de semence frelatée.
Le démon ne put s’empêcher de sourire à la réflexion de l’humain. Son intérêt avait été piqué, il se contenta de balancer derrière lui les restes de son arme avant de répondre.
- Je m’occupais à l’attente de mon combat.
Dans une course hâtive, le corps entouré d’un drap, Asmodée, ses cheveux courts et blancs encore en pagaille se pressait au côté de son confrère démoniaque. Le draps auraient de l’être blancs, et pourtant… cette atroce cape de fortune y voyait des motifs atroces, de toutes les couleurs : rouges, marrons, jaunes, verdâtres. L’odeur empestait, Goll n’osait même pas imaginer l’intérieur de la pièce ou se trouvaient les deux démons. Asmodée attrapa l’avant bras de Belial, visiblement agacé par la situation.
- Tu m’avais promis de me baiser, de m’arracher les membres, de me tuer et de m’aider dans mes recherches. Je te sais démon du mensonge, mais le marché n’a pas encore été respecté.
L’immense démon mordit de toutes ses forces le bras qui venait de saisir le sien, y arrachant un énorme lambeau de peau qu’il mâchouilla avant d’avaler en émettant un étrange ronronnement. Asmodée, parfaitement stoïque attendit la réponse de l’autre. Salomon semblait impassible, il souriait même face à cet effroyable spectacle tandis que Goll se retenait de vomir. Belial finit par se retourner et quitter le groupe d’humains, reprenant son apparence angélique, sans dire un mot. Salomon soupira avant de rire et de se retourner vers la Valkyrie.
- Eh bien, heureusement que j’étais là, si Sun Tzu ne t’accompagne pas tu sembles bien perdue petite !
- Je ne dirais pas que je suis perdue seigneur Salomon ! Simplement que je suis bien incapable de me défendre face à un tel monstre.
La demoiselle fit un sourire amer, elle le savait, elle était faible. Goll se remémorait un lointain passé, sa sœur avait affronté les mêmes dieux auparavant, avait connu les mêmes craintes, les mêmes menaces. Relevant sa main encore tremblante la valkyrie s’efforça de reprendre un souffle correct avant de sourire à nouveau à son sauveur.
- Merci de m’avoir sauvée, un peu plus et le Ragnarök se serait terminé plus tôt que prévu ! Au passage, êtes-vous sûrs de ne pas vouloir participer à ce round ?
L’humain secoua simplement la tête de droite à gauche pour exprimer son refus avant de reprendre parole.
- Je suis certes à même de tenir tête au moindre dieu de notre réalité mais… Cette créature provient d’un monde et d’un cosme bien différent du notre. Même si ton choix initial semble plus faible que moi, il est bien plus capable d’affronter Hastur que ma personne.
La valkyrie se contenta de répondre par un grand sourire. Son instinct ne l’avait pas trompée, la seule personne capable de vaincre Hastur était bien lui. D’un pas décidée, suivie par Salomon, la demoiselle se hâta en direction d’une porte. Une fois face à l’entrée, Goll posa les mains sur les hanches, observant et appréciant la structure de cet édifice. De nombreuses petites gravures et dorures décoraient la lourde porte de pierre ; des formules dans différentes langues et alphabet venaient parcourir cette étrange stèle. Au centre, quatre triangles différents trônaient sur cette étrange pièce ; l’un était debout, un renversé, un debout et barré au centre, le dernier renversé et barré au centre. La Valkyrie souffla sur un des triangles, colla de la poussière sur un autre, colla sa paume encore moite sur un troisième et enfin alluma un briquet près du dernier. Salomon observa la scène silencieusement avant de s’interroger quand la porte commençait à s’ouvrir comme par magie.
- Une porte bloquée par les quatre éléments alchimique n’est-ce pas ?
- Exact, le comte n’aime pas être dérangé durant son travail.
Les deux compagnons s’engouffrèrent dans cette salle hors du temps. Tout y était anachronique, des vieux livres et parchemins trônaient sur des épaisses bibliothèques faites de fer ; d’autres récits plus récents étaient apposés sur des bibliothèques anciennes en bois sculpté. Les myriades de carillons tintaient au coups de vents apportés par l’ouverture de la porte, un coucou sortait frénétiquement d’une vieille horloge. Les centaines de pendules tous déréglés tintaient en cœur, une odeur d’encens venait s’infiltrer dans les narines. Salomon se gratta la barbe en observant les tapisseries murales représentant tantôt des scènes de son règne, tantôt des joutes tout droit venues du moyen âge. Il était impossible de donner quelconque culture ou inspiration à ce qui se trouvait dans cette pièce, des maneki neko étaient en face de masques africains ; des vajras pendaient après d’étranges attrape rêves. Si dans un coin on observait le tricorne d’un corsaire, de l’autre côté des herbes séchées décoraient un vase ming. Observant les centaines de curiosités enfermées dans des bocaux de formol eux même cernés par des bocaux d’ingrédients chimiques en tout genre, Goll ne pouvait que retenir sa respiration face à ce fantastique et étrange spectacle. Au plafond, une colossale sculpture tentaculaire semblait menacer de tomber droit sur les deux infiltrés. Au bout d’un moment, l’odeur de l’encens fut remplacée par celle du tabac ; une silhouette se dessinait enfin.
Une fine cigarette entre les lippes, une jeune femme au cheveux d’argents attachés à la va vite lisait un journal, les quelques mèches retombant sur le côté de son crâne donnait l’impression d’observer une cascade argentée. Ses lèvres étaient très légèrement rougies, tranchant avec la pâleur quasi nacrée de son visage aux traits doux, la longueur de ses cils presque blancs ondulait au rythme des pages qu’elle tournait. Sa chemise blanche à froufrous était partiellement ouverte, révélant la finesse de ses clavicules. Les jambes croisées et posées sur sa table, la jeune femme reprit la cigarette entre ses doigts fins et fit tomber quelques cendres avant de saisir son verre à demi rempli d’alcool pour en boire une petite gorgée. Sans bouger les yeux ou la tête de sa lecture, elle interrogera simplement les deux importuns.
- Puis-je connaître la raison de votre visite ?
Goll sembla confuse, la valkyrie prit quelques instant de réflexion avant de répondre elle même par une question.
- Excusez moi, il semblerait qu’il y ait une erreur, je recherche le comte de Saint-Germain - Il n’y a pas d’erreur.
La valkyrie haussa les sourcils et écarquilla les yeux à cette étrange déclaration. Secouant légèrement la tête, Goll insista.
- Il me semble que si, j’avais bien recruté un homme, il vous ressemble certes, mais vous n’êtes pas cette personne.
La femme d’argent expulsa la fumée de la cigarette logée entre ses lèvres avant de reposer son livre et d’écraser le mégot dans un cendrier. Son verre de whisky encore entre les doigts, elle se releva avant de faire quelques pas vers Goll. Salomon était de taille moyenne, Goll quant à elle faisait environ la même taille que Brunhilde, cependant, la personne face à eux semblait presque faire une tête de plus, cette femme était anormalement grande. Avec stupéfaction, les deux invités observèrent la figure qui se trouvait face à eux changer d’apparence ; sa mâchoire semblait grossir, prendre une forme plus anguleuse. Les traits de son nez s’épaississaient, l’écart entre ses yeux différait, la forme de son crâne se modifiait. La finesse de sa taille disparaissait au profit de la largeur de ses épaules. Des poils poussaient sur ses bras qui s’épaississaient à vue d’œil. Un homme au longs cheveux d’argent posa ses deux yeux azurs sur la valkyrie.
- Et moi je te garantis qu’il n’y a pas d’erreur, Goll. Vous portez tous et toutes bien trop d’attention au sexe et au genre, homme ou femme... Qu’importe ; nous sommes ce qui nous est le plus utile. C’est à cause de ces règles arbitraires que ce monde peine à s’ouvrir à toute éventualité.
Goll hocha doucement la tête, comme absorbée et dubitative face au discours du plus grand alchimiste de l’histoire. Si Brunhilde avait par le passé présenté Tesla comme le seul sorcier de l’humanité, il était bien une personne qui méritait ce titre au sens littéral, et cette personne, c’était Saint-Germain. Cet individu semblait avoir transcendé et transgressé tous les tabous de l’histoire humaine, immortalité, hermaphrodisme, clonage, alchimie, sorcellerie. Le comte observa le petit groupe encore stupéfait de son tour de passe passe. Encore éberluée, Goll secoua vivement la tête, elle avait oublié la raison initiale de sa venue
- Comte ! C’est à votre tour d’aller dans l’arène, votre adversaire semble être arrivé récemment au Valhalla !
- Je sais, cependant, nous ne pouvons pas partir maintenant.
- Et pourquoi donc ?
Le comte ne put s’empêcher d’afficher un léger sourire en coin.
- Parce qu’elle n’est pas encore là. Voyons, ma chère, es-tu bien sûre d’être la personne qui dirige les opérations ?
Goll fronça les sourcils avant d’ouvrir la bouche, stupéfaite par sa propre erreur.
- Svipul !
- Exact, je ne peux partir ou mener cet affrontement sans ma partenaire.
- Je suis d’accord mais… Où est-elle ?
Mains jointes au niveau de son ventre, le Comte demeurait silencieux, une étrange lueur se dessina derrière lui, une lumière perçante vint comme briser un miroir dans la zone vide à l’arrière du comte. Le papier de la réalité sembla se déchirer, ouvrant un passage vers un espace encore inconnu. Alors que Goll et Salomon se décalaient légèrement pour essayer d’y voir l’intérieur le comte ouvrit la bouche.
- Je vous déconseille de regarder l’intérieur de ce monde si vous tenez à rester saints d’esprits.
La valkyrie se ravisa aussitôt tandis que Salomon reporta son regard sur Saint Germain. Goll avait définitivement fait le bon choix en décidant de faire participer cet étrange personnage au Ragnarök ; Salomon était persuadé d’être capable de faire face à ses visions, mais il ne les aurait sans doute pas aussi bien affrontées que cet homme.
Après quelques instants, une silhouette sortit de cet étrange passage entre deux mondes. Une valkyrie arborant un tricorne et un long manteau noir se présenta face au groupe. Ses longs cheveux roux se coinçaient à l’intérieur de son étrange attirail, les quelques taches de rousseur sur les joues de la demoiselle lui donnaient un aspect un peu moins sévère. La nouvelle venue s’empressa d’accourir auprès de Goll pour la prendre dans ses bras.
- Tant d’années ! Sais-tu combien de temps cela m’aura pris pour retrouver le Comte et récupérer tout ce qu’il m’avait demandé pour pouvoir remporter ce combat ! Oh Goll, ma chère sœur !
La cheffe des valkyries ne put s’empêcher de serrer sa sœur en retour, cachant son visage à l’intérieur du cou de cette dernière. Le froid glacial de l’espace venait presque geler ses joues et pourtant, elle sentait la chaleur de sa cadette la réchauffer, elles avaient déjà perdu tant de sœur lors de ces affrontements. Au bout de quelques secondes les deux frangines se séparèrent ; Goll sourit alors.
- Tout est prêt dans ce cas ?
Le groupe se contenta de hocher la tête, Goll emboîta le pas en direction de l’arène. Reprenant son apparence féminine Saint Germain observa quelques peu cette nouvelle arène, respirant profondément avant de se parler à elle même.
- Je te retrouverai mon amour…
De l’autre côté des gradins, des bruits de pas résonnaient, le publique était déjà pris de sévères maux de crânes, certains rigolaient, d’autres pleuraient, la démence les gagnait déjà. Chaque bruit de pas semblait entrer à l’intérieur de leur tête, chaque pas leur parlait directement, et le message était sans appel :
« Il est là. Fuyez. »
De part et d’autre des gradins, les deux combattants étaient prêts, les deux combattants attendaient simplement le top départ, le feu vert qui annoncera le début du cinquième round du Ragnarök et peut-être la disparition du monde tel qu’on le connaissait.
Chapter 17: De mon amour à ma mort
Summary:
Le combat entre Saint Germain et Hastur débute, qu'adviendra-t-il du round le plus dangereux du Ragnarok ?
Chapter Text
Le monde entier avait sombré dans le silence, un mutisme dû à l’inquiétude ambiante ; ce combat serait sans doute le plus dangereux de ce Ragnarök, le plus terrifiant. Du haut de son estrade, Heimdall observait l’arène qui serait témoin du massacre qui arriverait bientôt. Sentant la sueur perler le long de son front, le dieu reprit sa respiration avant de serrer son Gjallahorn.
- Mesdames et messieurs… Pardonnez moi d’avance, pour des raisons on ne peut plus évidentes, je ne pourrai pas commenter ce combat, personne ne le pourra. La seule chose que je puis faire est de vous présenter chaque combattant et les particularités de ce round. Si ne serait-ce que regarder ce combat vous semble trop dangereux, n’hésitez pas, sortez du stade.
Le souffle légèrement court et perturbé, le nordique ressaisit sa respiration et prit un instant de repos. Après quelques secondes et un bruit de déglutition trahissant la boule d’anxiété qui nouait sa gorge, Heimdall poursuivit son discours.
- Il n’y a pas de règles spécifiques concernant ce combat, il est impossible d’apposer des règles à de tels êtres. Les règles habituelles du Ragnarök… Non, les règles de l’ordre naturel des choses n’affectent pas ces deux êtres ; la victoire ne sera déclarée que lorsqu’un des combattants aura abandonné ou sera considéré comme hors combat. Pour des raisons de sécurité, un des deux combattants, au courant de sa nature a utilisé divers artefacts et a été accompagné de certains de ses fidèles ; résultant en un bouclier qui devrait inhiber et réduire les effets de la présence et de l’affrontement de ces deux participants. Je me répète chers spectateurs, si ce combat vous paraît insoutenable. Partez.
Nul n’osait ouvrir la bouche, l’angoisse et l’atmosphère électrique de l’arène avait laissé tout le public à couteaux tirés. Après quelques instants supplémentaires, Heimdall annonça l’arrivée d’un des deux nouveaux combattants de ce round.
- Du côté de l’humanité. Le seul humain n’ayant pas été ramené d’entre les morts. Il a découvert le secret de l’immortalité, il sait parler toutes les langues humaines, il sait transformer le plomb en or… D’origines nobles inconnues, sa vie n’est entourée que de mystères et de légendes, quand est-il né, qui est-il réellement… Mesdames et messieurs, voici le comte de Saint Germain !
La silhouette élancée de Saint Germain s’avança et rejoignit la lumière, de nombreux bruits et discussions tranchèrent le silence dès qu’ils virent l’apparence du Comte. Ce comte était en réalité une femme ? La silhouette de ses habits blancs et clairs, ses cheveux argentés ondulant au gré des légères brises de vent, elle s’avança, le pas droit, l’allure franche. Une longue cape noire venait serrer son cou et masquer ses épaules, quiconque observait cette allure aurait eu l’impression de croiser un corsaire qui venait de poser pieds à terre. Saint Germain leva la main à l’attention du public et après un claquement de doigt fit apparaître une rose rouge entre ses doigts, sans doute sa manière de saluer ses admirateurs, ou son adversaire.
Une fois le tumulte arrivé à son terme, Heimdall humidifia légèrement ses lèvres et non sans un tremblement dans la voix se résolu à introduire le deuxième combattant de ce round. Aussitôt les rires amusés et les sourires dus à l’arrivée de Saint Germain laissèrent à nouveau place à un silence pesant.
- Nombreuses sont les légendes contant leur existence… Nombreux sont ceux à les avoir entrevus, absents sont ceux à en être revenus indemnes. Dieux comme humains semblent interdits de pénétrer leur domaine… Certains les appellent les perdus, cependant, nombreux sont ceux à décrire une lueur jaune les guider, mesdames et messieurs… Laissez moi vous présenter le roi, le seul dieu perdu ayant accepté de nous offrir contact, Hastur, le roi jaune !
Une partie du publique se voyait déjà prise de tremblements, terrifiés par la figure qui venait d’être présentée. Quitter le stade pour sa propre sécurité ? C’était tout bonnement impossible, humains comme dieux étaient tout bonnement cloués aux sièges. La présence et l’existence même de cette chose semblait rendre la gravité comme cent fois plus lourde. Puis un pas, ce dernier résonna dans le corps entier de chaque être vivant, comme une basse trop lourde. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent, et quand l’or arriva, la foule se déchaîna.
Un deuxième soleil semblait avoir émergé, la figure de centurion romain continua ses pas et sa  marche sans marquer la moindre considération ou hésitation. A peine son apparence eut été  visible que les conséquences se faisaient déjà ressentir. Certains hurlaient de douleur, certains  tremblaient, certains riaient, certains avaient tout simplement régurgité le contenu de leur  estomac. En réalité, personne n’était clairement indemne ou en pleine possession de ses  moyens face à l’arrivée du roi jaune.
La dure et effroyable réalité était cependant là. Le bouclier érigé par les artefacts d’Hastur et ses  fidèles était parfait en tout point. Hastur avait même fait l’effort de choisir une apparence  connue et compréhensible pour les dieux et les humains, par pure pitié. La seule personne qui  ne sourcilla et ne réagit pas le moins du monde face à l’arrivée du dieu perdu fut Saint Germain.  S’allumant une nouvelle cigarette, la dame plaça le tube entre ses lèvres encore rougies par son  maquillage ; elle souffla les volutes de fumée grise avant de reprendre le tabac entre les doigts  légèrement tremblotants et fixer Hastur.
- N’es-tu pas capable de retirer ton masque face à ton aimée ?
- Ne t’inquiètes-tu pas du sort du public ?
- Ils ne verront rien, tu le sais tout comme moi.
Le Centurion jaune vint lever une de ses deux mains à son visage, ses doigts caressant le masque doré qui venait épouser les formes d’un visage humain et parfaitement neutre. Après quelques instants, ses doigts vinrent se loger sous cet étrange casque de métaux précieux ; il l’enleva. Nouveau tumulte entre les spectateurs, ces derniers se mirent à débattre longuement de ce qui se trouvait sous leurs yeux.
- C’est le visage d’une vache avec un troisième œil !
- N’importe quoi ! C’est une pieuvre sertie de diamants !
- Vous êtes aveugles ? C’est un globe d’or !
- Moi je ne vois qu’une bouche avec des yeux sur chaque dents !
Cependant, chaque pauvres spectateur se tut face au spectacle qui se produisait sous leurs yeux. Bien incapable de réellement comprendre la nature de ce qui se trouvait sous leurs yeux, ils ne purent qu’observer la situation de la combattante humaine. Ses yeux bleu azur s’embuaient de larmes qui venaient couler le long de ses joues de nacre. Se mordant les lèvres, le rouge de ces dernières s’intensifia lorsque le sang vint en perler tout le long, se mélangeant à ses larmes. Dans un chagrin épouvantable, la voix remplie de sanglots, Saint Germain semblait subir toute la tristesse du monde, une tristesse mêlée à une rancœur sans borne.
- Après des millénaires d’absence… Des millénaires à m’avoir abandonnée… Tu oses encore m’afficher un sourire si amer ?
La silhouette d’or ne bougea pas, bloquée dans son mutisme. Hastur ne parlait pas non pas car il n’avait rien à dire, il était silencieux car il savait que rien n’aurait été bon à dire. Après quelques instants, à observer le visage de Saint Germain encore couvert de larmes Hastur s’avança de quelques pas. À chaque approche de ce dernier, l’humaine sentait ses poings se serrer davantage, sa mâchoire se fendre. Lorsque Hastur arriva finalement à portée de la Comtesse, cette dernière ne put se retenir plus longtemps.
- Pourquoi ?! Pourquoi je ?!…
Les mots ne parvenaient pas à sortir. Des lames de rasoir venaient s’engouffrer dans la gorge de Saint Germain. Plaçant ses deux mains au niveau de cette dernière, l’humaine serra, elle serra si fort qu’on aurait pu croire qu’elle s’arracherait la trachée d’elle même. La douleur était invivable, son corps tremblait, les larmes ne s’arrêtaient plus, une goutte d’eau salée sur le sol, puis une goutte de sang. Elle avait l’impression d’éclater en milliers de morceaux, des millénaires de recherches, d’enquêtes, d’études en tout genre n’avaient toujours pas permis à Saint Germain d’être suffisamment préparée à cette rencontre. Elle n’arrivait pas à se le pardonner, son cœur se tordait dans tous les sens, sa poitrine lui faisait mal, son âme lui donnait l’impression de la quitter. Elle parvint à articuler quelques mots supplémentaires.
- Je… Je ne peux pas me le pardonner…
Les yeux rivés sur le sol, observant les gouttes de sang et les larmes se mélanger, l’humaine n’arriva même pas à regarder son ennemi plus longtemps dans les yeux. Le seul et unique fait de le fixer était trop douloureux, trop violent. Sentant chaque morceau de son être se vider de sa substance, chacune de ses forces l’abandonner, elle leva les yeux une nouvelle fois, prête à être éblouie par le doré. La pâleur nacrée de son visage n’était plus, tant de rougeurs et de peines l’avaient coloré ; ses joues étaient creusées par les larmes, ses yeux d’azur semblaient danser et trembler dans cet océan infini et intarissable. Ses longs cheveux d’argent se bousculaient pour mieux cacher les aspérités de sa figure. Une main vint se poser sur une de ses joues, elle était chaude, bouillante même. Elle ne pouvait pas l’accepter, elle ne pouvait pas se le pardonner, elle ne pouvait encore moins le comprendre. La sensation de cette main sur la joue, de ce pouce qui venait caresser la forme de ce visage ne put l’empêcher de sourire légèrement, de sentir les larmes l’abandonner pour de bon alors que les dernières gouttes allaient à la rencontre des doigts étrangers. Après de longs souffles encore chargés de sanglots et quelques toussotements, l’humaine plongea l’abîme de ses yeux dans les dorures pleines de tendresse qui venaient la fixer. Posant ses longs et fins doigts sur la main qui venait l’épouser, dans un murmure, elle trouva la force d’articuler quelques mots
- Pourquoi je t’aime encore et toujours… Ton sourire, ton maudit sourire. Je suis la seule à le voir, je suis la seule à le comprendre… Pourquoi encore aujourd’hui, pourquoi…
L’immense roi doré profita de ces quelques instants. La figure qui se trouvait face à lui semblait si frêle, si fragile. Et pourtant il le savait, cette figure était sans doute la seule de tout ce tournoi, non de tout ce stade ; elle était la seule à pouvoir lui amener la mort, la seule à pouvoir tuer ce qu’il était. Était-ce par amour, par haine ou par quelconque sentiment aussi énigmatique et mystique que leur nature ? Personne n’aurait été à même de répondre à cette question, pas même le tout puissant et le tout sachant Hastur. Ouvrant sa cavité buccale, ou tout du moins ce que les commun des mortels aurait considéré comme tel, le roi des perdus se contenta d’une seule phrase.
- Tu m’as tant manqué.
Observant ce sourire toujours aussi sincère et amer, l’argentée ne put retenir les larmes lui monter à nouveau aux yeux. L’immortalité, le seul intérêt de l’obtenir, c’était lui ; le seul intérêt qu’elle avait eu à briser le plus grand tabou de l’histoire des hommes, c’était pour accompagner une entité qui elle ne connaîtrait jamais la mort. Laisser cette étrange figure seule au milieu des étoiles dans une réalité ou les étoiles elles même viendraient à s’éteindre avant, c’était un sort bien trop cruel. Quelques mots seulement purent sortir des lippes de l’humaine.
- Es-tu prêt, mon amour ?
Le centurion retira finalement sa main de la joue de Saint Germain, son sourire quittant peu à peu son visage. Hastur observa quelques instants la personne se trouvant face à lui avant de simplement répondre dans une expression cette fois ci nettement plus déterminée.
- Je suis prêt, ma mort.
La foule encore soufflée et muette face au spectacle qui se déroulait face à elle reprenait ses esprits peu à peu, le combat allait donc commencer. L’assistance se tourna vers Heimdall, le dieu hurleur était bien silencieux, tant par étonnement que par incompréhension. Pour être honnête, la peur avait également coupé la langue du commentateur, il ne s’imaginait en aucun cas couper cet instant de réunion entre ces deux êtres. Cette fois ci, à la position et la détermination des deux figures en contrebas, il prit son cor pour y rugir.
- Que le combat commence !
Une gigantesque vague vint s’abattre sur Hastur. La texture de l’eau était différente, plus lourde, une véritable mer de plomb, ce liquide étrange et frémissant, ne respectant aucune règle de la physique prit une apparence bien plus sinistre quand on y regardait de plus près. En réalité, cette eau n’était constituée que de différents animaux et monstres marins en tout genre. Au centre de cette étrange marée organique, immaculée, semblant comme séparer la mer en deux, Saint Germain se tenait là. Levant les mains comme un chef d’orchestre macabre, chacun de ses gestes dirigeait les torrents de boyaux et de dents acérés.
De l’autre côté, les nombreuses bestioles venaient s’entrechoquer et s’écraser contre le corps doré du dieu perdu. Émettant cette sombre lumière toujours plus intensément, le sang des horribles monstres venait sécher avant de s’évaporer au contact de son corps. Hastur ne bougea pas d’un centimètre, il subissait l’attaque de plein fouet, sans même riposter.
Au bout d’un moment, Saint Germain joignit les mains, la mer de boyaux, se faisait dévorer, progressivement, plusieurs silhouettes gigantesques remplaçaient petit à petit chaque morceaux éclaté de poisson crevé qui venait empester tout le stade. Une figure blanche se dessinait, un cachalot, blanc, colossal. Puis après quelques secondes, tout le monde réalisa, cette chose, ce n’était pas un cachalot. De nombreuses têtes de requins sortaient de ses branchies, de sa gueule béante un épouvantable grincement permettait à un colossal serpent de fondre sur sa proie. Plus aucune règle tangible n’était respectée dans cet espace, l’air était ardent et pourtant si dense qu’on pouvait y nager, respirer de l’eau aurait même semblé être normal. Une lame d’air causée par un coup de queue du titan repoussa Hastur. Saint Germain leva le bras en serrant le poing
La terre se déchira dans un effroyable fracas, une deuxième de ces bestioles goba cru le dieu doré. Saint Germain disparu en même temps, à l’intérieur du corps de cette étrange baleine, les deux combattants se fonçaient dessus. Des centaines d’énormes crabes accouraient autour d’Hastur pour le déchiqueter entre leurs immenses pinces ; l’humaine profitait de chaque potentielle ouverture pour directement frapper son ennemi. À chaque fois qu’un de ses membres s’approchait du corps ennemi, la finesse et la souplesse de son apparence féminine laissait place à la rigidité de membres plus masculins. Après quelques instants de massacre, les crabes claquaient leurs pinces et semblaient s’agglutiner dans une masse sombre, l’odeur était pestilentielle. Des boyaux pendaient, au sol, de nombreux œufs de la taille d’un homme adulte tombaient et s’écrasaient comme des grappes de raisins trop murs. Cette espèce de boule de carapaces rouges et de chair luisante roulait et se tassait petit à petit, engluée dans ses fluides purulents et ses réjections sordides. Au bout d’un moment, une entité vint déchirer cet effroyable placenta.
Un individu au bras semblables à des pinces recouvertes de balanes découpa certains des endroits de sa propre mère pour s’en dégager. La mâchoire pendante, remplie de restes de morceaux d’œufs éclatés, il fixa longuement les deux combattants. Des petits soubresauts et frissons venaient saisir son corps, son visage d’apparence quasi humaine se tordait pour mieux imiter les expressions faciales des deux êtres s’entre-tuant en face de lui. Les yeux complètement noirs de la bestiole étaient de temps en temps obscurcis par ses paupières inversées. Après quelques secondes d’observation, cette dernière sauta finalement sur Hastur, pinces pointées directement sur le dieu, prêtes à le cisailler. Le dieu leva deux doigts vers la créature avant de les claquer. La réalité se brisa à nouveau, la bestiole ne bougeait plus, elle semblait se dupliquer, puis rétrécir, la petite armée bien rangée fonçait droit sur les deux silhouettes.
Hastur pointa ses deux doigts tout droit sur Saint Germain, les petites bestioles grossissaient à vue d’œil et avaient toute changé de forme. Certaines avaient des ailes de faucon, d’autres des pattes de chèvres, quelques spécimens cornus étaient affublés de vêtements humains tandis que d’autres étaient nues.
L’intérieur du monstre marin commença à trembler de plus en plus, les fluides vitaux étaient  montés jusqu’au chevilles du dieu et de l’humaine. Prise de spasmes la bestiole sauta dans  tous les sens, la petite armée comme les deux autres se retrouvaient comme en plein milieu  d’une mer hostile. Après quelques instants, le monstre des mers éclata tout simplement, le  sang, les boyaux et les fluides avaient jailli sur les murs protecteurs des fidèles d’Hastur. Le
public ne voyait plus rien si ce n’est du sang mélangé à des teintes verdâtres et quelques  morceaux différents qui glissaient comme collés le long d’une vitre.
Couverts de fluides non identifiés, Hastur comme Saint Germain se fixaient, parfaitement muets. Les deux reprenaient petit à petit leur apparence d’origine, immaculées, comme si tout ce qui venait de se passer n’était qu’un mauvais rêve, comme si rien n’était jamais arrivé. Le doré finit par briser le silence, un son amusé vint s’émettre, les spectateurs eux, n’entendaient que le crissement de milliers de criquets s’essayant au violons.
- Tu as fait de gros progrès ces derniers millénaires.
- Je sais que c’est loin d’être suffisant pour te tuer.
- Eh bien… Je t’ai laissé l’initiative de la première attaque…
Saint Germain ne répondit plus, la grise se mit en garde, silencieusement, elle était prête à toute éventualité, prête à toute horreur. Les gradins retenaient leur souffle, personne n’avait parlé depuis l’annonce du début du combat, et pour cause, personne n’aurait su quoi dire face à ce spectacle.
Hastur comme dans une position de prière colla les paumes de ses deux mains, une armée  mécanique semblait se dessiner derrière lui. En réalité, quand on y regardait de plus près,  chaque pièce mécanique semblait engluée et forcée dans les différents tas de chair. Les  silhouettes ressemblant à de la viande hachée peinaient à tenir en place sans déborder de leurs  armures de fortune, certaines arrachaient même leurs pièces d’autres entités pour s’en  fabriquer des armes ou pour colmater leurs trous. Cette apparence de chaos ambulant était  totalement volontaire, Hastur le savait, créer de telles abominations n’était pas suffisant, il  fallait leur donner une forme d’intelligence pour mieux affecter l’adversaire.
Saint Germain saisit sa longue cape et secoua la main, cette dernière prit l’apparence d’un fin et  long ruban noir. L’humaine saisit ses longues mèches grises pour les regrouper à l’arrière de son  crâne, l’étrange ruban vint sceller ses cheveux dans une queue de cheval. Les manches de ses  chemises retroussées jusqu’après ses coudes, sa cigarette encore entre les lèvres, elle prit une  nouvelle garde, déterminée à subir les prochaines attaques.
L’armée de cyborgs de fortune émettait de nombreux cliquètements en s’avançant  progressivement de la demoiselle. Les canons retentissaient, leurs lances dorées perçaient le  ciel, Saint Germain sentait le métal précieux se tordre et se déchirer au fur et à mesure qu’elle  accourait vers son ennemi.
Ne se laissant nullement impressionner ou décontenancer, Hastur balaya son armée entière d’un revers de bras. Les nombreuses entités venaient se regrouper pour former un immense harpon d’or, certaines des parties de l’arme de fortune ressemblaient à des petits membres gigotant comme des vers. De nombreuses bouches béantes au sein de l’arme dorée émettaient divers stridulations, les autres étaient enfermées et plaquées par l’or. Hastur leva le bras, son arme lévitant au dessus de ce dernier, au bout de quelques instants, une nouvelle fracture eut lieu. La réalité, cette toile impeccable se faisait déchirer ; des lambeaux de cette croûte venaient tomber au sol, ouvrant sur un espace indescriptible, d’autres harpons venaient rejoindre Hastur, dansant autour de lui.
Saint Germain leva la tête, un sourire dément et admiratif venait s’imprimer sur son visage qui  prenait une apparence de plus en plus masculine. Si Hastur utilisait déjà ce genre de  stratagèmes, alors ce dernier prenait ce combat au sérieux. L’humain sentit les harpons lui  foncer dessus à toute allure, le transpercer, les milliers de petits bras et petites bouches lui  arrachaient nombre des morceaux de son existence, les grognements résonnaient dans son  cerveau. Saint Germain cependant ne bougea pas, les seules blessures qui venaient marquer  son corps semblaient se résorber, avant de progressivement disparaître. Certains harpons  avaient même tout simplement quitté cette réalité.
Hastur leva la tête avant de voir ces fameux harpons disparus pendre au dessus de lui. La pluie  de lames s’abattit sur le dieu qui semblait grossir à chacun des coups. Hastur recula la main,  l’intégralité de sa masse s’y transféra et dans un balayage en direction de Saint Germain, des  bruits de verre qui s’éclatait retentirent. Saint Germain voyait le monde comme une mouche,  tout semblait dispatché, chaque images se reflétaient et se dupliquaient sous des milliers  d’aspects, permettant d’observer chaque détail de cette immense main. Alors que la contre  attaque se préparait, sa vision se brouilla, plus de nuance de rouges, puis une vision à quasiment trois cent soixante degrés, puis des couleurs ultraviolettes. Le spectacle qui faisait  face à Hastur était on ne peut plus clair, les yeux de Saint Germain changeaient de forme,  d’apparence, parfois ceux d’un cheval, parfois ceux d’une chèvres, d’autres fois humains, la fois  suivante, ceux d’un chat.
Ces changements de visions perturbèrent suffisamment l’humain qui après le coup reprit une apparence féminine et roula au sol. Certains de ses os brisés et organes percés, Saint Germain se releva, puis cracha du sang sur le sol. L’argentée secoua les mains et bougea quelques peu ses membres, les appendices tordus reprenaient leurs formes, les marques de brûlures et autres coups disparaissaient.
- N’as tu pas honte de lever la main sur ta femme ?
Hastur dans un rire qui ressemblait bien plus au cri de milliers d’animaux changea d’apparence, son armure ne contenait plus des bras mais des tentacules, une figure ressemblant à une queue de paon se dessina dans son dos, chaque partie dissociée était un nouvelle appendice couvert de ventouses. Le dieu répondit simplement.
- Préfères-tu que ce soient ces membres ci ?
La combattante répondit en riant simplement, son corps se métamorphosant à son tour. Ses lèvres féminines demeuraient sur un visage plus anguleux. Ses bras s’étaient épaissis, sa poitrine demeurait sur un physique nettement plus masculin, les yeux rivés sur son adversaire, elle répliqua.
- On passe au choses sérieuses ?
La suite… M’est impossible à décrire. Aucune âme, pas même la mienne ne peut se résoudre à  vous conter la suite de ce combat, en réalité, aucune âme n’aurait pu le voir, le comprendre. Le  décrire et vous l’expliquer est donc chose impossible…
Eh bien dans ce cas, l’affrontement sera total. Mon aimé compte bien se battre sur tous les  plans, ici y compris, et honnêtement, je savais très bien que les choses se termineraient de  cette manière. Je dois seulement faire attention à ne pas renverser de la cendre sur cette page…  Ah, Hastur… Des millénaires à t’attendre, des millénaires à expérimenter, ses millénaires à  trouver un moyen. De toutes les étoiles, tu es la plus brillante et la plus jaune, il serait bien cruel  de te laisser seul au confins de l’univers.
Ma chère mort, te voir aussi pleine de vie après tant de millénaires ne peut que me combler de  bonheur, cependant cet affrontement ne se résoudra pas seulement par écriture interposée.  Nos lettres doivent vouloir tuer, nos mots ne pas seulement chanter les louanges de l’individu  s’étant emparé de notre cœur, du moins, ce que vous considérez comme tel… Quelle étrange  sensation est-ce que ce sentiment, tout le monde le partage, tout le monde en souffre.
Mon cher amour, avant toute chose, avant de poursuivre cet affrontement. Il me semble que la meilleure des décisions serait de décrire au petits lisant ce texte et observant notre affrontement notre passé. L’histoire de l’humaine qui tomba amoureuse d’une étoile, l’histoire d’une étoile qui tomba sur terre.
Magnifique décision, cependant ne t’attends pas à ce que je reste bras croisés si tu essaies à nouveau de t’offrir le beau rôle.
Chapter 18: Naissance d’une étoile
Summary:
Les deux combattants s'affrontent pour narrer leur histoire !
Quel destin lie Hastur et Saint Germain ?
Chapter Text
Il y a bien longtemps, avant même que l’on couvre les pyramides d’or ; avant même qu’elles ne viennent à l’idée des hommes, j’étais encore bien jeune, je devais fêter ma vingtième année. À cette époque déjà, nombre de dieux nous surveillaient, certains même faisaient apparition parmi nous. Cependant, même jeune, lorsque je leur demandais ce qu’étaient ces myriades d’étoiles, scintillantes et brillantes ; je n’avais jamais les mêmes réponses. Parfois on m’expliquait qu’elles étaient des fragments d’astres, parfois la création de certains dieux, parfois les restes d’une très ancienne puissance au confins de l’univers ; jamais une seule de ces réponse n’aura su me satisfaire.
Une nouvelle vint, je devais me marier, fille du chef de notre village, j’avais eu la chance de conserver ma liberté quelques années de plus que les autres femmes. Je ne savais pas qui était mon époux, déjà à l’époque les femmes n’étaient que peu considérées et les jeux d’alliance faisaient légion. Il serait sans doute un autre gamin idiot d’un village voisin, plusieurs marmots me déchireraient les entrailles avant de venir me déchiqueter la poitrine avec leurs gencives encore dénuées de dents. La perspective ne m’enchantait guère.
Alors voilà, j’étais à nouveau partie observer le ciel nocturne, si je fuyais, je n’aurais pas pu  survivre seule, et de toute manière c’était mon destin, il fallait bien m’y résoudre. Mes longs  cheveux noirs se mêlaient à la voûte céleste nocturne, chaque mèche se faufilait dans l’herbe  ou j’étais venue me coucher observer les petits points lumineux danser. Peut-être par désespoir  de cause, je me mis à mimer les prières que les villageois faisaient, espérant qu’un dieu  viendrait me libérer.
Les étoiles brillaient, une plus fort que les autres. Elle semblait également dangereusement se  rapprocher, à vive allure ; c’était donc ça ma libération, une mort certaine, après tout c’était une  solution comme une autre. Au moment de fermer les yeux, sachant ma fin inéluctable, je fus  contrainte de les ouvrir pour mieux observer cet étrange spectacle.
Tu étais là, apeurée et tremblotante malgré la résolution et le courage que tu essayais de feindre et que tu essaies toujours de feindre via ces mots. Tombé du ciel, j’étais face à une demoiselle, la première à ne pas mourir, perdre la raison ou se transformer en abomination face à moi. La seule chose que j’observais, c’était tes cheveux d’ébènes qui s’argentaient, de la même couleur que la pleine lune de cette nuit.
Je n’étais pas sûre de bien comprendre ce que tu étais, une étrange figure de plusieurs membres, faite d’une roche brillante encore jamais vue. Ta fourrure blonde luisait et brillait encore, les centaines de petits globes jaunes me perçaient du regard, j’étais prête à crier et pourtant.
Tu es restée plantée là à m’observer, de longues minutes. Ce n’est qu’au bout d’un moment que  j’ai commencé à prendre une apparence plus humaine, ta première phrase m’est encore restée  en tête après tant d’années « Les prières font tomber les étoiles ».
J’étais encore jeune et naïve il faut bien avouer, tu étais encore plus scintillant et brillant une fois  en face de moi, j’étais étonnée de savoir que les étoiles étaient en réalité vivantes elles mêmes.  Et c’est alors que nous l’avons décidé, par pure curiosité l’un envers l’autre. Moi car j’étais face à  une étoile, toi car je ne brûlais pas
Nous avions décidé de fuir tous les deux, sans jamais hésiter, sans jamais regarder derrière. Tes cheveux gris ne t’ont pas dérangé le moins du monde, tu trouvais même que la couleur se complétait bien avec la mienne. Je t’apprenais des concepts que jamais un autre humain n’aurait pu comprendre, tu étais brillante, curieuse, toutes les qualités pour quelqu’un qui en était capable.
Quelqu’un qui était capable de tuer une étoile. Toutes les étoiles ne sont pas vivantes, certaines sont mortes depuis bien longtemps, seulement, le temps que l’information nous parvienne, nous la voyons encore vivante. Et les plus anciens dieux perdus, ceux qui ne sont même plus des étoiles, ceux qui sont devenus l’univers en lui même me le disaient… Un jour ou l’autre, je serai la seule étoile à briller dans le ciel.
C’est alors que nous est venue cette idée, l’idée de tuer une étoile, plus le temps passait, plus je t’aimais. Devenir immortelle n’était pas un problème, la vieillesse ne m’affecterait plus, la maladie ne m’impacterait plus ; la seule chose pouvant me tuer, c’était toi. Le problème demeurait cependant, comment te tuer ? T’imaginer seul, scintillant au milieu d’un espace froid et insensible, dans une dérive éternelle, seul passager des cieux ; la vision m’attristait plus que de raison, si personne ne peut admirer les étoiles, c’est comme si elles étaient déjà mortes.
Alors le temps passait, les jours comme les années. Tout paraissait si fugace, si rapide et si lent  en même temps. Un seul battement de cil en ta présence me donnait l’impression de t’avoir  aimé des siècles durant, un baiser semblait durer un clin d’œil, un clin d’œil si insignifiant que je  m’efforçais de faire durer l’instant en les fermant de toutes mes forces. Pour que quelques  secondes me paraissent plus longues, ne serait-ce qu’une seconde de plus.
Jamais moi qui ne m’intéressait au temps qui passait, au cours des choses n’était tant accroché  à un concept si malléable. Quand chaque nuit tu fermais les yeux pour des songes qui duraient  quelques heures à peine, j’en venais presque à supplier le soleil de revenir, j’étais même prêt à  devenir ce soleil. Seulement pour te voir rouvrir les yeux, me voir à nouveau, te voir à nouveau.
Plus le temps passait. Plus je t’aimais.
Hastur, excuses moi un instant.
Que se passe-t-il ?
La suite de l’histoire te fera passer pour un salaud.
Je le sais.
Peut-être n’avais-tu pas compté ni les années ni les jours, moi si. Nous sommes restés ensemble durant plus de cent quatre vingt seize ans.
Cent quatre vingt seize années et cent quatre vingt neuf jours pour être précis.
Au cours de ces dix huit ans, rien ne m’avait jamais rendue plus heureuse que ta présence. Te savoir à mes côtés chaque matin alors que j’ouvrais les yeux. Le jour tu étais en effet mon soleil, et la nuit une étoile à mes côtés. Qui aurait pu penser que je serais tombée amoureuse d’une étoile ; toutes tes habitudes, la manière dont tu t’exprimais, le rythme de tes pas, la manière dont tu t’inquiétais de comprendre le fonctionnement des croyances humaines. Nous étions en éternel voyage, parfois en Asie, d’autres fois sur les mers. Je me souviens de tes mèches blondes ébouriffées par la bruine marine, du sable de la même couleur que tes yeux.
Comment aurais-je pu oublier cette habitude que tu avais de serrer un de mes bras plus fort que l’autre durant ton sommeil, cette manie que tu avais de mordiller mon poignet dans tes songes comme pour t’assurer que j’étais encore là. L’argent de ta chevelure qui ondulait comme les vagues que nous traversions, et cette décision que tu m’as confiée au confins du monde, alors que tu venais de briser un énième tabou humain.
Fabriquons-nous une maison, créons notre famille. Je n’ai plus peur de savoir mes entrailles tordues par notre engeance, je n’ai pas peur de voir mon corps se déformer pour porter cet enfant. Je ne crains plus de voir ma poitrine se faire déchiqueter par un nourrisson faisant ses dents. Je n’ai plus peur de le voir grandir, tomber, s’écorcher les genoux, pleurer en me tendant ses petites mains potelées, à la recherche de réconfort. Te sachant si attentionné, il suffisait que cet enfant me ressemble un tant soi peu pour que tu sois le premier à accourir le porter dans tes bras, le serrer, le consoler. Et alors seulement le voyant rire et me tendre les bras, cherchant tout de même le réconfort de sa seule et unique mère, je me serais finalement sentie moi même. Assez courageuse pour affronter ce qui m’a toujours apeurée, car tu étais à mes côtés.
…
Alors, les mots te manquent ? Tu ne gagneras pas cet affrontement de lettres interposées en te murant dans le silence.
…
Jamais nous n’aurons réussi à avoir cet enfant. Te souviens-tu du nombre de fausses couches… Du nombre d’enfants morts dans mes bras, à peine nés.
Quatre vingt quatre fausses couches, vingt et un morts nés.
Hastur… Quand bien même l’alchimie m’avait offert la vie éternelle. Quand bien même tes capacités couplées au miennes empêchaient mon corps de souffrir, quand bien même nous aurions pu créer des homuncules, des êtres vivant dans une petite fiole ; jamais aucun d’entre eux n’aurait pu être notre enfant. Je me souviens encore de chacun de leurs noms, j’entends leurs petits pleurs s’affaiblir avant de s’étouffer. Ils scintillaient comme des étoiles avant de s’éteindre aussitôt. Hastur, par pitié je… Je t’en supplie… N’as-tu pas partagé cette peine ? Ces grands sourire que tu faisais lorsqu’un des enfants parvenait finalement à sortir de mon ventre, qu’une de ses petites mains venait serrer ton doigt. Je te voyais, toi, ton bonheur, j’étais comblée ; et pourtant, aucun n’a survécu… Je restais alitée, des jours durant, refusant de manger, refusant de pleurer. Je te suppliais juste à nouveau, une fois de plus, Hastur, laisses moi être mère.
Nanna… Je ne peux pas, excuses moi, je ne peux pas t’accorder ce vœu.
Alors pourquoi, hein, veux-tu bien me le dire ? Tu es mon étoile chanceuse, l’amour de ma vie, la plaie de mon éternité ! Réponds !
Car le fruit d’une liaison entre un humain et un dieu perdu n’est pas censé vivre.
Je l’ai toujours su, et pourtant, je voulais essayer. Car c’était possible, je le sais, encore aujourd’hui, au plus profond de mon cœur, j’en suis sûre, c’est encore possible. Jamais une humaine n’aurait de l’être capable de voir une étoile d’aussi près. Et pourtant, je l’ai vu, j’ai pris sa main, j’ai goûté ses lèvres. Hastur, mon amour, le but de l’alchimie à toujours été de briser les règles, d’interdire l’existence des tabous. Un jour, je le sais, ça aurait fonctionné.
Au prix de combien de vies ? Nanna, tu le sais aussi bien que moi, ils étaient vivants. Quand tu perdais un de ces enfants avant même que la grossesse n’arrive à terme, quand il venait à mourir dans tes bras, épuisé par son propre corps, sa propre énergie. Quand une énième malformation causée par mon sang maudit venait l’endormir dans un long sommeil. Tu souffrais, tu souffrais un martyr que nul autre n’aurait été capable de supporter. Et tu me demandais de recommencer, de continuer, encore et encore. Le cimetière de notre chair, nos centaines d’enfants, nos petits, ils étaient tous morts avant même d’avoir le droit de nous sourire, avant même de connaître un doux sommeil entre leurs deux parents. Je ne le pouvais plus, je ne le supportais plus ; te voir chaque jour regarder ces petits vêtements que tu avais appris à confectionner, te voir les serrer en pleurant. Te voir trembler encore la nuit car leurs souvenirs te hantaient. Savais-tu, l’avais-tu remarqué, chaque nuit tu pleurais leurs noms, chaque nuit tu venais tendre un bras comme pour les porter. Tu ne te serrais plus à mon bras, tu ne mordais plus mon poignet, tu cherchais désespérément des enfants n’étant jamais venus dans ton sommeil.
Je sais, je ne le sais que très bien, mais une question reste sans réponse encore à ce jour Hastur, pourquoi m’as-tu abandonnée ?
Je ne pouvais plus, te voir souffrir, te voir perdre le sourire ; tout devenait trop dur. L’amour restait, mais plus rien ne semblait briller, l’argent laissait passe à la grisaille, l’or s’érodait. Chaque lueur d’espoir ranimée dans tes yeux au moment de m’annoncer une nouvelle grossesse, je ne supportais plus de la voir s’éteindre. Alors je suis parti, je suis parti pour que tu m’oublies, j’avais accepté mon destin. Je serai cette étoile, seule dans le ciel, car être seul est bien moins douloureux que de te voir te laisser mourir dans ton éternité.
Tu mens toujours aussi mal, même à l’écrit, je ressens ta plume trembler. Je me souviens parfaitement du jour de ton départ. Je me souviens de n’avoir vu que l’obscurité à mon réveil, tu n’étais pas là, les larmes qui avaient roulé le long de mes joues, tu les avais encore séchées. Et pourtant à mon réveil, rien, tu n’étais plus. Je me souviens de mes mots, du désespoir qui venait m’enlacer, de ma gorge nouée. Lorsque je m’étais relevée avec fracas, renversant notre chevet, jamais je n’aurais pensé que prononcer ton nom aurait pu me déchirer à ce point le cœur. Alors j’ai couru, peu m’importait mes pieds qui venaient saigner à cause de ma course, les coupures et autres éraflures causées par les ronces ne me faisaient même plus mal. J’hurlais ton nom, mes cordes vocales pouvaient bien se déchirer, ma gorge s’éclater, rien ne comptait plus. Je te voulais toi, je voulais retrouver ta lumière, je voulais ressentir sa chaleur à nouveau. Tout se brisait, je sonnais comme une crécelle, la voix tremblante, empreinte de mes pleurs, teintée par l’irritation de mon souffle encore brûlant.
À ce moment, il me coûte de le dire, le fait même de ne pas pouvoir être mère ne me semblait qu’un caprice ; je pouvais supporter de ne pas avoir d’enfant, mais je ne pouvais pas supporter ton absence. Alors je courrais, je te cherchais, encore et encore, je cherchais à faire disparaître cette douleur, car je le savais, aucune nuit ne serait éternelle, car tu éclairerais toujours le ciel. Je me souviens encore des derniers mots que tu m’avais soupiré avant mon réveil définitif.
« Je te reviendrai. »
Alors réponds Hastur, étoile maudite. Où étais-tu passé durant ces millénaires, pourquoi me fuyais-tu ? Pourquoi n’es-tu pas revenu ?
Quand j’étais parti, le jour ou j’ai pris cette décision sans même t’en parler, je n’avais qu’une idée en tête : réaliser ton rêve. J’étais parti rejoindre les miens, je n’avais pas fui, je ne t’avais pas abandonnée, je demandais conseil ; conseil au cosmos lui même. Le cerveau endormi, l’âme perturbatrice, le corps interminable. Le Nyarlathotep fut celui qui m’interrogea, ma vie parmi les humains, la raison de mon absence, mais surtout, pourquoi j’étais retourné au plus profond des réalités, au frontières du rêve, à la porte du cauchemar. Yog-Sothoth s’adressa à moi, lui, le cosmos lui même avait vu, il savait, ces deux maigres siècles que nous avions passés ensemble, il le savait, au regard de notre éternité, ils n’étaient rien, et pourtant, jamais l’éternité n’aurait su plus me combler que ces quelques années. Mon père me demanda donc, est-ce que cette humaine comptait autant à mes yeux ; et c’est lorsque je répondis qu’Azazoth, encore assoupi fit résonner sa voix dans mon propre esprit. Il m’était impossible de devenir humain à tes côtés, la seule solution était de t’élever au rang de déesse perdue. Et pour cette raison, il fallait te tuer, te délivrer de cette enveloppe charnelle ; et te tuer m’était impossible, tout autant que te voir souffrir d’attendre un enfant qui ne serait jamais venu. Te tuer pour te faire devenir ce que j’étais, c’était volontairement te transformer en monstre. Je suis égoïste, encore plus que l’homme devenu riche, je ne voulais pas devenir cette main de Midas, celle qui t’emprisonnerait dans cet or éternel. J’étais lâche, bien trop lâche, alors même que je te demandais de trouver une lame capable de percer mon étoffe, je me vois bien incapable d’érafler ta peau.
Tu aurais dû revenir. Même si tu refusais de me tuer de tes mains, tu aurais dû me revenir. Tu me l’avais promis, j’aurais pu ne pas être mère, mais ne plus te voir était bien plus cruel. Sais-tu combien d’année ai-je passées à essayer de trouver un moyen de te retrouver ? Tous ces portails entre dimensions, ces strates de réalités que j’ai creusées. Et maintenant, après des millénaires entiers, je te vois rejoindre ce Ragnarök et revenir comme si rien ne s’était passé ? Comment suis-je censée réagir ? En fait non, je le sais, puisque même après cette éternité, je t’aime toujours…
Je ne pouvais plus fuir. Je t’avais fait une promesse, et j’étais obligé de la tenir, après tout ce temps, je sais que notre relation et notre futur sont désormais impossibles. J’aurais dû te revenir aussitôt, t’aimer comme je l’ai toujours fait, j’aurais dû te faire confiance. Mais te voir souffrir de ne pas pouvoir porter cet enfant, te voir souffrir de pourchasser ce bonheur qui ne se décidait pas à venir m’était insupportable. Je voulais voir cet enfant Nanna, je le voulais de tout mon cœur ; le voir s’accrocher à tes longs cheveux, se reposer dans tes bras, les yeux alourdis par la fatigue. J’aurais aimé le voir grandir, sourire, rire, pleurer, j’aurais aimé plus que toi voir à quel point cet enfant t’aurait ressemblé. Le voir grimacer en voyant des petits pois qu’il aurait tout comme toi détestés, voir ses cils papillonner quand il réfléchissait à un problème difficile avant d’éclater de joie en y trouvant la solution. Son sourire, si éclatant, pardonnes mon langage, mais j’en ai plus rien à foutre. Je n’ai même plus les mots pour t’exprimer à quel point j’aurais aimé vivre ça, à quel point j’aurais aimé être ce père. Ce sourire, ce foutu sourire que vous auriez partagés, mais putain Nanna est-ce que tu réalises seulement les choses, tu oses m’appeler, moi, une étoile ? Tu irradiais de lumière ma vie, mon existence, aussi luminescent que je puisse être, je ne voyais qu’un espace froid, solitaire, et plongé dans la pénombre ; et tu es arrivée dans ma vie, et tu m’as prouvé que l’argent brillait encore plus que l’or, rien que d’imaginer une autre petite étoile naître et me remplir de bonheur comme tu le faisais m’aurait été suffisant. Mais voilà, j’ai tout raté, je t’ai fait souffrir, j’ai entaché cette lumière, j’ai brisé ce sourire, je l’ai noyé de larmes, tu penses l’or pur et pourtant, il en est loin.
Hastur, même après des millénaires, tu es toujours le même… Et tu sais, je n’ai peut-être pas tant changé moi même, tu penses qu’il est trop tard et pourtant. Nous avions et nous avons toujours l’éternité qui se dessine face à nous. La seule chose qui a changée, c’est le devoir. Pardonne-moi mon aimé, mais sous aucun prétexte je ne peux me permettre de perdre ce combat, l’humanité compte sur moi, ses milliers d’enfants comptent sur moi.
Permets moi d’être égoïste une dernière fois ; je te vois déterminée et prête, je te le demandes donc une nouvelle fois, es-tu prête à m’affronter jusqu’à la mort, et si ma lame en vient à t’ôter la vie, accepteras-tu de rejoindre les dieux perdus toi aussi, abandonnant ta nature humaine à jamais ?
Oui, je le veux.
Bien, en attendant le retour de notre narrateur, il semblerait que c’est à nous d’écrire notre propre combat.
La chaleur irradiait cette arène, les cieux encore brûlants, les flopées de petits soleils brillants au firmament, tu les vois tout comme moi. Ils sont cruels, égoïstes et bien trop précieux, les cieux se déchirent, la voûte du réel se plie sous leur volonté. De leurs orbites purulents elles tombent, ces abominations, damnées, déformées, elles sont prêtes à te dévorer, cuisante au soleil, leur chair se collant au fer rougi de cette cuirasse funeste. Ces centaines de rayons maudits font disparaître ombres et ténèbres, tout est dévoilé, rien ne sera caché, le plus profond de l’âme elle même se révèle. Les milliers d’yeux de chacun de ces astres clignent à l’unisson, les ailes d’ors percent leurs dos dans un déchirement fracassant, leurs fluides jaunes et brûlants comme la lave coulent. Leurs sombres et éclatantes ailes d’un battement ne font que brûler et figer sur place leur engeances, viles et disgracieuses, leur masse de chair fond, se mêlant au métal censé les protéger. Vois cette armée, chéris là, crains-la. La masse informe se dévore elle même, se reconstruit, des organes s’éjectent tandis que des milliers de bouches béantes au dents se chevauchant viennent régurgiter leurs bras encore cramponnés à leurs lances. Rampant comme une nuée de criquets voraces chaque petit membre s’emploie à greviller le sol, s’attelant à faire avancer ce géant affamé.
Nobles astres, mirez l’arrivée de la lune, quand bien même votre lueur semble insondable, vous ne serez plus qu’un anneau d’or une fois ces masses rocheuses passées devant votre fierté. Alors, dans ces multiples collisions, quand les morceaux de pierres stellaires encore en fusion viennent accidenter le terrain, les marées montent. La lune est pleine, l’éclipse inquiète les bêtes, chaque instant ou la lumière du jour s’évanouit, les monstres rôdent. Entends-les, admires les autant que tu les crains, mais prends garde, le plus grand danger ne vient pas forcément des flots ou des roches. La carapace de sédiment de ces astres fait un beau cocon ne penses-tu pas ? Leur coquilles se fissurent, leurs griffes sortent de leur prison pour saisir les astres et les broyer dans leurs mains de nouveaux nés. Bientôt, ils se laisseront pendre après leur œuf céleste avant de s’écraser lourdement au sol, indescriptibles intelligibles, la seule chose que nous remarquerons sera leur présence, leur existence. La seule chose qui subsistera sera la peur et le dégoût.
Comment se ponctuera cette collision, la masse de chaire arrivera-t-elle à pourfendre, les horreurs nouvellement nées, empalant ces dernières par leurs cris, assourdissant ces dernières de leurs fers. La masse sera-t-elle dévorée et digérée ? Cette réalité se fragilise, l’existence de tels êtres suggère l’existence de leurs parents. Ce crâne gigantesque, l’amas de chair s’y incruste, englué à un de ses orbites, l’œil devenu fou s’empresse de pointer un regard inquisiteur aux petits monstres lunaires. S’ils sont nés, c’est bien car le destin l’a décidé, car leur mère les as pondus. Alors retournez dans la gueule du gigantesque crocodile, demeurez en sécurité, partez et ne revenez jamais.
T’affronter s’avère toujours aussi compliqué mon amour, il semblerait que ce combat dure depuis une éternité, seulement je l’ai bien vu, aucun membre du publique n’a cligné de l’œil. Tu peux me l’avouer désormais, depuis que nous avons saisi nos plumes, il ne s’est même pas en réalité déroulé une seconde de leur monde.
Je te savais romantique, tu disais toi même vouloir qu’un baiser ne dure ne serait-ce qu’une seconde de plus, alors la voilà, voilà ton répit.
Vil flatteur, nous avons toujours l’éternité pour rattraper le temps perdu. L’impatience te perdra, vois-tu seulement les astres continuer de danser, de s’alterner les uns après les autres dans un clignotement qui donne la nausée. Chaque instant où nos faces se font frapper par le jour puis la nuit. Ils grattent le papier de notre réalité, ils mangent la terre sous nos pieds, ils se reproduisent dans l’humidité de l’air, emportés par les spores de ce vent nouveau. Ce géant organique est en train de prendre vie, tu devrais profiter de ce spectacle et l’admirer un peu plus longtemps, il sera sans doute celui qui, dans sa grande bonté t’ôtera la vie. Contemple la manière dont les champignons copulent à grande vitesse, dont les petites grenouilles pullulent en leur centre. Ce golem de vie sera celui qui t’amènera à la mort, toi grignoté par les milliards de petits individus qui s’entrechoquent dans ce corps nouvellement créé ; pareil à notre existence au sein de ton propre père, Yog-Sothoth.
Ma chère et tendre, tu as fait de nombreux progrès en ces quelques millénaires, créer une forme de vie aussi complexe t’aurait été impossible par le passé. Cependant n’oublies pas, seuls les mots s’affrontent actuellement. Oserais-je ajouter cet unique point, ce point annulant toute précédente initiative. Le champ se meurt, la terre est stérile, le jour et la nuit reprennent leur cours, ton étoile demeure.
Chapter 19: La beauté de la laideur
Summary:
Notre affrontement bat son plein, bientôt ce dernier arrivera à son terme
Qui de la raison ou de l'amour mourra le premier ?
Chapter Text
Lorsque la terre se faisait mourante, que la stérilité prenait place, les nombreuses créations des deux êtres semblaient se dissoudre peu à peu. Saint-Germain claqua de la langue, les yeux ancrés dans les deux orbites jaunes de son amant.
- Y’a-t-il seulement une issue à cet affrontement ?
Le dieu semblait être une centaine d’entités à la fois, un squelette difforme en pleine prière, un monstre tentaculaire recouvert de bouches, un homme à la tête de chèvre ; pourtant, tout le monde apercevait très clairement les deux orbes dorées au niveau du crâne de l’individu. Ce dernier sembla pencher la tête.
- Y’a-t-il seulement une issue à l’amour si ce n’est le vivre ?
L’humaine soupira légèrement. Je pris une nouvelle cigarette entre mes lippes et l’allumait en surveillant les mots du narrateur, cet idiot n’avait toujours pas compris, essayer de nous décrire était futile, était-il seulement possible de décrire une valse vieille de plusieurs millénaires ? Non ; et cependant malgré le tempo lancinant, malgré les répétitions, un pied devant, un sur le côté, un devant, un sur le côté. Tout semblait différent, et ce en chaque instant. Après quelques moments, je me décidai, je courrai, plus vite, toujours plus vite, il n’y avait plus de roses, plus d’épines, plus d’amertume, j’étais légère, bien plus légère. Sentant mes muscles s’épaissir, ma carrure devenir celle d’un homme, mon coup frôla le visage du dieu.
À nouveau à l’écrit, et cependant, il m’est impossible de ponctuer tes coups cette fois ci. Ton poing me frôlant, ta respiration qui se saccade, les gouttes se sueur qui perlaient, le temps est ralenti, en effet, chaque seconde en ta présence est une éternité. Me voilà là, à nouveau à admirer les courbures de tes lèvres, tes mèches argentées dansant au gré de l’air. Ce coup ne porta pas, je ne le sais que trop bien, me voilà à me prendre au jeu et à répondre de la même manière, mon poing vient trancher le long de ta joue. Je vois le liquide rouge en perler le long, son cours dévié par ton sourire qui s’agrandissait.
Nous ne sommes qu’à l’introduction, nos créations s’entretuent, nos sorts se contrent, pourtant, tu le sais parfaitement bien, jamais nos langues, jamais nos écritures ne pourront le transmettre ; jamais ces langages ne surpasseront la communication entre nos deux corps. Chacune de tes réactions, chacune de tes mimiques, je les connais, ta garde qui se relâche légèrement avant d’asséner ton coup, je ne peux m’empêcher de sourire. Nous nous battons autant que nous dansons, laisses moi lever cette jambe, je sens tes côtes craquer sous le coup, ton sourire se crisper alors que tu encaisses le choc. Tes dents se serrent, ton regard ne quitte pas le miens, ton souffle s’accélère… Plus ! Donne-m ‘en plus !
Accélérons encore le rythme, j’entends tes pieds tapant contre le sol, tes épaules se lever et s’abaisser au rythme de ton souffle ; mes pieds tracent un sillon sur la terre à cause du choc. Un petit pas, un deuxième, tu t’élances, corps et âme, tu es en l’air, encore en train d’obscurcir les astres par ta présence, ta jambe me fonce droit dessus. Me voilà à te rejoindre en l’air à nouveau, je sens mes doigts plonger dans ta peau nacrée, ma poigne qui t’enserre alors que je viens t’écraser au sol de toutes mes forces, ton squelette se brise dans un puzzle incompréhensible et pourtant, moi seul peut le résoudre.
Le bruit de la roche se mêle à celui de mes organes s’éclatant et à mes os se brisant, pourtant ce bruit semble bien sourd. Je suis occupée, bien trop occupée, tes coups sont plus raides, ta vitesse ne fait qu’augmenter, tu es prêt à te donner entièrement à ce combat, à te livrer comme jamais tu ne t’étais livré jusque là. Hors de question de mourir maintenant, ces os, ces organes, je suis immortelle, ils s’en remettront. Continuons, poursuivons, combien de temps s’est écoulé, un centième, une seconde, des minutes ? Au diable le temps, je ne t’ai pas vu des millénaires durant et pourtant, c’est comme si je ne t’avais jamais quitté. Encore couchée sur la froide terre, ta jambe vient s’écrouler proche de mon visage, je roule, mes deux bras me poussent, en un saut, je me relève. Montre-m’en plus, cette frustration, cette colère, jamais personne ne t’a autant tenu tête, jamais personne ne t’a autant aimé. Un nouveau coup te parvient, puis un autre, nous n’essayons même plus de nous éviter, seulement de nous tuer. Ton bras se tord, ta mâchoire se dévie, je sens une goutte de ton sang maudit me gicler sous l’œil comme une larme.
Tes coups s’alourdissent, ton visage s’empourpre, plus une de tes mèches n’est à sa place. Je me souviens de cette expression, de cette contemplation, comment ne pas y répondre, comment ne pas la nourrir, tes poings viennent marquer ma peau. Rien ne fait dévier ton regard, un coup sous ton menton et tes perles bleues roulent, toujours à la recherche de mes yeux. Même assombri ce regard ne fait que me percer. Chaque seconde, chaque once de mon existence, j’en ai rêvé, je l’ai espéré : t’affronter, tu es ma moitié, tu es moi, et je ne serais jamais autant moi même qu’en étant à tes côtés. Les coups pleuvent, je ne sens même pas la douleur, les millénaires sans te voir étaient bien pires. Plus encore, cette douleur me semble même libératrice, ce sourire sur tes lèvres, cette sensation, ton souffle brûlant qui vient contre ma peau, ils me manquaient tellement, faites que cet instant dure encore un petit peu plus longtemps…
Nous sommes obligés de nous séparer une nouvelle fois, le combat ne peut pas durer de cette manière, le plaisir serait trop vite gâché, je me dois encore de te faire payer ces millénaires d’absence. Regarde-moi, la terre se brise à nouveau, pour l’instant aucune de mes créations n’aura pu venir à bout de ton existence, pas même ma baleine, pas même mon golem, pas même la lune. Je sais très bien que la seule capable d’arrêter ton souffle à tout jamais, c’est bien moi ; pourtant Hastur, tu le sais parfaitement, tu ne dois pas me tuer, tu ne dois remporter ce combat sous aucun prétexte.
Tu t’inquiètes à nouveau pour celui censé être ton ennemi, je sais que rompre cette promesse te semble insupportable. J’ai vu des étoiles naître, d’autres mourir, je les verrai à terme toutes naître et toutes mourir jusqu’à être la dernière… Cependant. Il y a quelque millénaires, lorsque tu m’as promis de me tuer, de ne pas me laisser seule étoile dans les cieux. Aussi beau ce geste fut-il, je me permets d’en retirer son tiret, un perdu ne peut en tuer un autre, nous sommes condamnés à errer pour l’éternité.
- S’il n’y a aucune issue à l’amour, il n’y en a aucune à l’univers ou l’éternité. Tu es tout ça à la fois Hastur, cependant… N’espère pas m’arracher cette victoire aussi facilement.
Sa longue cape noire volant malgré l’absence de vent, l’air autour de la figure de Saint Germain semblait se déchaîner, la terre précédemment déjà craquelée comme la coquille d’un œuf semblait prête à faire naître une nouvelle horreur.
- Mon amour, as-tu poursuivi ta lecture des œuvres humaines en mon absence ?
- Naturellement.
- Permets moi une paraphrase… « L’oiseau cherche à se dégager de l’œuf. L’œuf est le monde. Celui qui veut naître doit détruire un monde. L’oiseau prend son vol vers Dieu. »
Des entrailles en fusion, déplumé, complètement décharné, un oiseau tout droit naquit, tout droit sorti des enfers claquant son bec, grelottant. De ses immenses ailes tombaient des morceaux de chair, des plumes gigantesques encore couvertes de roches et de boue. L’affreuse bestiole à demi morte hurla une peine qui ébranla les spectateurs à travers la barrière, bon nombre d’entre eux tomba dans les pommes aussitôt. Saint Germain semblait minuscule au côté de ce vaisseau de fortune, certains l’auraient qualifié d’oiseau de malheur, ils avaient raison. Rien en cette bête n’était naturel, il pouvait voler quasiment sans plumes, il aimait autant la chair et le sang que les graines, de longues oreilles de bœuf pendaient le long de son crâne. Un goitre rougeâtre pendait le long du torse de l’oiseau, ce dernier se gonflait à chacune de ses respirations, son bec de toucan claquait, révélant à chaque ouverture des rangées de dents acérés. Les longues cannes de l’animal peinaient à supporter son poids trop important, ainsi, il se voyait obliger de battre des ailes en permanence pour mieux conserver son équilibre.
Hastur observa l’animal, silencieux. Saint Germain cachait sans doute d’autres cartes dans sa manche, certaines peut-être encore plus dangereuses ; cependant, entre son amour et sa fascination, un autre sentiment venait doucement à bousculer les précédents, Hastur commençait à avoir peur. Bien évidemment, cette émotion était parfaitement naturelle, même pour un dieu de sa stature. L’animal qui se faisait dévorer sans connaissance du prédateur n’était pas apeuré. Hastur se savait en permanence à l’intérieur de la bouche béante de ses créateurs, ce Ragnarök, ces individus, son histoire d’amour, tout ça leur semblait dispensable, en réalité, certains n’en n’avaient même pas conscience. Hastur soupira doucement, ses yeux brillants ancrés dans l’immense globe noir de l’animal qui lui faisait face ; l’affreuse bestiole ouvrit le bec, une masse noire et goudronneuse semblait en sortir.
Saint Germain, où était-elle passée ? Un instant d’inattention et Hastur ne voyait déjà plus son adversaire, peu à peu, l’oiseau décharné qui vomissait cet étrange pétrole semblait s’amincir à vue d’œil. Bientôt ses longues pattes de flamants tremblotaient, il se mettait à mourir encore debout. Dans cette masse noire en fusion, un œuf blanc immaculé coinça la gorge de l’animal, il gonfla comme un ballon de baudruche. Les membres commençaient à se distordre, les pattes griffaient le sol alors qu’il s’efforçait encore à demi conscient d’expulser cet œuf. La peau se déchirait, on voyait les veines gonfler à travers les quelques parties de peau non recouvertes par les plumes. Les veines noircissaient, puis la peau, ses yeux s’exorbitaient un des deux yeux vint même s’arracher de son logement, pendant le long de son crâne.
Après quelques instants qui parurent des siècles, la gorge de l’animal se déchira, laissant platement tomber l’œuf au milieu de cette masse noire encore bouillante. Hastur ne bougea pas d’un cil face à ce spectacle, il aurait pu l’interrompre et pourtant, autant par respect que par fascination, il avait observé les derniers instants de ce géant insolite. Le dieu perdu posa les yeux sur l’œuf qui se mettait à trembler peu à peu. La crasse noire n’adhérait pas à la coquille qui vibrait légèrement, la température insoutenable de l’arène aurait dû cuire le contenu et pourtant, les vibrations se faisaient de plus en plus puissantes. Puis les tremblements, l’œuf tanguait à droite et à gauche, pris de violentes convulsions. Après quelques instants, la coquille se fendilla, une craquelure se dessina, puis une seconde. L’étrange fresque s’agrandissait au fur et à mesure du temps, l’œuf jusqu’alors immaculé se voyait couvert de stigmates ; puis, un trou. Un trou minuscule perça vers l’air libre, un liquide transparent, aussi gluant que pestilentiel perla le long de l’étrange cocon ; un doigt difforme agrandit le trou, les quelques petits morceaux de coquilles venaient s’écrouler sur le sol. Bientôt un deuxième doigt venait gratter avec le premier ; au bout d’un moment une main sortit, recouverte d’une étrange membrane qui se déchirait dans des gargouillis ignobles. La deuxième main saisit l’autre côté du trou, et après quelques instants et vibrations, les myriades de doigts de diverses tailles serrèrent leur refuge ; l’œuf se déchira en deux alors que le mouvement des deux bras venait écarteler la coquille.
A l’intérieur, une silhouette inédite respirait péniblement ; recouverte d’un mélange de membrane, de liquide gluant et d’une lymphe mêlée à un liquide amniotique, ses deux orbes bleues figées dans le regard circonspect d’Hastur.
- Nanna… Tu étais prête à aller aussi loin pour me tuer ?
L’étrange silhouette se contenta d’afficher un sourire carnassier en guise de réponse ; ses centaines de dents se chevauchaient, aucune ne semblait appartenir au même corps. Des crocs acérés, des canines oblongues, des incisives parfaitement plates cachées par d’autre molaires rectangulaires. L’espèce de chimère leva ses jambes humaines hors des restes de coquille. Quelques petits morceaux solides encore accrochés et agglutinés par les liquides de naissance de l’être glissaient le long de sa peau nacrée. Le haut du corps recouvert de plusieurs plumes, deux ailes affreuses étaient logées dans le dos de la créature, une se logeait entre son cou et son épaule, l’autre sur une de ses omoplates, un troisième appendice malformé était logé vers un de ses reins. Les mèches blanches de Saint Germain étaient encore collées à sa nouvelle peau, la poitrine nue elle observa quelques instants Hastur avant d’émettre un rire rauque
- Pardonne-moi, j’aurais préféré garder cette forme pour toi seul, les spectateurs devront en profiter eux aussi.
Le dieu jaune ne put s’empêcher de sourire légèrement en retour. Hastur réalisait peu à peu sa naïveté, il avait osé demander à Saint Germain si cette dernière était prête à l’accompagner dans l’éternité, à devenir un monstre avec lui. La réponse aurait dû lui parvenir et lui sonner comme une évidence depuis bien longtemps auparavant ; elle était déjà prête à devenir la plus grande des ignominies possibles si cela lui permettait de rester à ses côtés un peu plus longtemps. Le dieu se résolut à enlever sa cuirasse de bronze étrange, ce combat prenait des proportions bien plus sérieuses. Son armure prit la forme d’une simple épée romaine tout ce qu’il y avait de plus banal, la poignée se tenait à une main, le pommeau était rond et permettait à l’arme de ne pas glisser, le dieu s’avança pas à pas, prêt à se battre à nouveau.
Une nouvelle silhouette se dessina aux côtés de Saint Germain, le regard grave, une demoiselle aux vêtements noirs et au cheveux roux se tenait là, tenant sur les bras une paire de botte, un tricorne, un manteau noir et un pantalon de la même couleur. En un claquement de doigt, l’ensemble était arboré par l’humaine, ses longues ailes avaient percé des trous à travers le manteau.
- Excuses-moi Svipul, j’espérais pouvoir vaincre mon amour à moi seule… La Valkyrie s’inclina légèrement avant d’afficher un franc sourire, les yeux fixés sur le dieu.
- Dans l’idéal mes simples recherches et découvertes de ces derniers millénaires auraient suffit… Il semblerait que votre aimé soit plus coriace que nos espérances.
L’humaine sourit avant de basculer la tête en arrière, ses centaines de dents et son étrange sourire ne semblait même pas déranger sa partenaire de discussion.
- Je ne suis pas tombée amoureuse de lui pour rien.
La combattante argentée posa sa main sur la joue de la valkyrie, comptant doucement les  nombreuses taches de rousseur qui venaient parsemer son visage, elle remit en place les  cheveux de sa partenaire comme une mère l’aurait fait.
- Une fois ce combat terminé, je t’aiderai à trouver quelqu’un digne de toi Svipul. La valkyrie se mit à rire à son tour, le regard déterminé.
- Après vous avoir suivie si longtemps et après avoir connu votre histoire… Peu importe qui prétendra à ma main, cette personne aura intérêt à s’y prendre tout aussi bien.
Saint Germain dans un dernier sourire sentit la valkyrie traverser son corps et disparaître peu à peu. Après quelques instants, la demoiselle tenait et serrait une lance comme on en voyait des centaines. Tournicotant légèrement cette dernière, elle lança un regard vers le dieu.
- Désolée de ne pas t’affronter seule, je te présente ma partenaire, Svipul ! Son nom veut dire variable et…
La demoiselle lança son arme de toutes ses forces, cette dernière sembla se hérisser de nombreux piquants avant de se déchirer en plusieurs lances distinctes, certains fragments vinrent érafler et blesser Hastur qui eut tout juste le temps d’esquiver le plus gros de l’attaque.
- Me permet de me battre de cette manière.
A peine la phrase fut prononcée que Nanna se trouvait déjà face à son ennemi, ses ailes, son nouveau corps, sa vitesse avait atteint un nouveau stade. Un coup de paume ascendant atteignit Hastur au menton, ce dernier répliqua d’un coup de glaive qui vint trancher une partie des habits ennemis. Encore en perte d’équilibre et penché vers l’arrière, Saint Germain saisit l’opportunité en levant la main au ciel, le javelot apparu à nouveau entre ses doigts, elle l’abattit de toutes ses forces sur le torse divin. La lame d’Hastur venait bloquer la lance dans un fracas métallique, les deux corps tremblotaient suite à la violence du choc. Le dieu repoussa l’assaillante qui recula de quelques pas et, les yeux toujours scellés dans les siens sourit.
- Rendons cet affrontement à nouveau plus personnel, qu’en penses-tu ?!
Ma lame est un prolongement de mon corps, je peux prendre l’apparence que je veux, mais elle… Ce n’est pas aussi facile. Ces ailes, ces affreuses ailes, je les hais, j’ai l’impression qu’elle va s’en servir pour essayer de rejoindre les astres, je ne veux pas la voir devenir Icare, je me dois de les trancher. Alors j’avance, je cours même, mon pied vient rencontrer son ventre, la poussant de toutes mes forces, je la vois reculer à cause du choc, je dois compter mes pas, la pointe de sa lance vient de frôler mon visage. Je dévie la lame avec mon arme, je retourne lui foncer dessus, tournant mon glaive comme un poignard, en un saut je viens abattre la lame contre sa nuque, le manche de sa lance prit à deux main bloque l’avancée de mon bras et de mon arme.
Il s’agite, l’excitation de cet affrontement nous monte à la tête, pourtant, plus le temps passe,  plus ses mouvements sont précis, plus sa force augmente ; comment faire. Le voilà qui me  fonce à nouveau dessus, je n’ai pas l’opportunité ou la chance de réfléchir ; comment le  repousser, on le croirait prêt à me dévorer rien que par ses yeux. Le bruit du métal qui  s’entrechoque se fait plus lourd, plus assourdissant, les coups s’enchaînent, ce rythme est en  train de devenir infernal, je dois faire quelque chose si je veux prendre l’avantage lors de cet  affrontement. Je recule, ma lance disparaît, une main griffue commence à remplacer la mienne,  c’est donc la solution ? J’accours à nouveau à ses côtés, il fonce, lame pointée sur moi, la main
vient accrocher et s’agripper à la lame, l’empêchant de la lâcher. Mon autre poing s’abat sur son  visage, encore et encore.
Ses décisions sont bonnes, comme à son habitude, cependant, elle semble oublier un léger détail. Ma lame fond, elle disparaît de sa main, coulant comme du sable entre les doigts. Peu à peu, le sable me remonte le long des jambes, glisse le long de mon torse et vient s’accumuler dans ma bouche. Un canon de fusil sort de mes mâchoires et tire immédiatement, sa main levée au dernier moment comme un bouclier de fortune réduit l’impact du choc.
À nouveau repoussée, je me sens fatiguer peu à peu, j’ai forcé le rythme de l’affrontement pour  avoir une chance d’en finir au plus vite ; me voilà devant le fait accompli, le temps ne jouera pas  en ma faveur.
Je fonce à nouveau, le sable a déjà repris sa forme d’origine, le glaive essaie de plonger dans une  de ses cuisses pour la ralentir, sa gigantesque main difforme balaie mon assaut, mon visage se  retrouve balafré par les griffes. Je sens mon sang couler ma vision être gênée, j’ai l’impression  qu’une partie de mon nez et de mes lèvres a été arrachée, je ne peux pas me permettre de me  soigner pour l’instant, la meilleure défense, c’est l’attaque.
Je suis devenue un monstre et je blesse l’élu de mon cœur, le repos ne me sera sans doute jamais accordé désormais, je me savais insolvable de toute manière. Quitte à l’être, je préfère encore le savoir à mes côtés ou mort ; la main griffue disparaît pour me permettre de reprendre mon arme initiale. En garde, baissée, ma main gauche guide la lame, ma main droite pousse l’arme et la ramène en arrière encore et encore. Chaque léger estoc semble le blesser ou l’affecter peu à peu, je commence enfin à prendre le dessus sur cet affrontement, cet avantage est miens ! Cependant je ne la vois pas s’éteindre, cette flamme dans son regard, l’énergie dans ses yeux, il n’a pas renoncé, ni à moi, ni à son rêve.
Le sang rouge, je sens ma cape jaune brodée se tâcher, cette couleur, ce pourpre, il me sied à la perfection. J’aime tant voir l’or et le pourpre de mon corps se mêler et affronter l’argent et le bleu du tiens. Pourquoi arrêterais-je mon sang de couler pour toi, nous qui voulions créer à partir de notre chair et de notre sang. J’accours à nouveau, presque hagard, la lame apparaît et disparaît comme une petite tempête sableuse et métallique autour de ma main. Le glaive vient essayer de te taillader la jambe, puis un petit marteau essaie de te frapper au flanc, puis une ceste vient tenter de s’écraser contre ton visage, puis…
- Tu es tombé. Tu n’as plus l’énergie de m’affronter Hastur, tu vas mourir, j’ai tenu ma promesse mon amour… S’il te plaît, cesse de te débattre, je n’en peux plus…
Hastur respirait péniblement, couché sur le sol, ventre à terre, le dieu sentait les secondes se compter, le sablier de sa vie péniblement arriver à sa fin, il allait mourir… Jamais il ne pourrait à nouveau l’embrasser, la serrer dans ses bras, sentir son souffle lorsqu’ils s’aimaient, prendre la main de leur enfant, leurs sourires, sentir la chaleur de leur foyer, la voir briller à nouveau, plus que lui n’aurait jamais pu briller. L’humaine prit le corps quasi inerte de son aimé et le bascula, elle voulait voir une dernière fois son visage, aussi abîmé fut-il. Sans concession, malgré leurs apparences monstrueuses, elle vint poser ses lèvres sur les siennes.
Hastur sentit son poing se serrer, le regret l’envahir, la colère et la haine de soi prendre le pas sur sa raison. Ses mains, ses lèvres, ses yeux, son sourire, leur futur, leur promesse, leurs enfants. Il devait la rendre heureuse, il allait la rendre heureuse, et peu importe si tout deux devenaient des monstres. Le dieu abattit de toutes ses forces un de ses deux poings contre le sol, l’entièreté de l’arène sembla se fracturer. Narrateur, ce combat est le miens, c’est à moi de conter cet instant, lisez-moi bien, écoutez-moi bien. J’emmerde les règles, j’emmerde le récit, j’emmerde la narration, j’emmerde tout ce qui existe. Nanna, est tout ce qui compte… Prenez mon corps, prenez ma raison, prenez mon âme, prenez mon existence s’il le faut après coup. Mais laissez moi la rendre heureuse, je dois la rendre heureuse ! Cet enfant je lui ai promis ! Elle est ma femme, et je l’arracherai au mains de l’humanité et du récit s’il le faut !
Elle recule, terrifiée, elle connu le roi jaune, bientôt elle réalisera l’égoïsme du tyran. Ma bouche se déforme, un pelage doré vient couvrir mon corps, les appendices tentaculaires se multiplient, ma mâchoire devient une gueule de loup, encore couché, la douleur me saisit, mon corps se tort dans tous les sens, mes os se restructurent. Quel apparence j’ai ? Peu m’importe, je peux bien être un loup, un poulpe, un rhinocéros ou même une chèvre, tout ce qui m’intéresse désormais c’est elle. Je n’ai pas besoin d’exister, je n’ai pas besoin de vivre.
- Contemple-moi Nanna, je viens te délivrer de cette enveloppe humaine, non pas pour toi, non pas pour nous… Je le fais pour moi, je le fais par égoïsme.
L’étrange figure dorée semblait voler, les blessures n’étaient plus, un coup des deux adversaires s’entrechoqua, l’arène trembla autant que le sol déjà fracturé semblait s’écrouler.
Chapter 20: Supernova
Summary:
Le combat entre Hastur et Saint Germain arrive à son terme, qui de l'amour ou de la mort remportera cet affrontement ?
Chapter Text
Les monceaux d’arène s’affaissaient petit à petit face à la violence des chocs occasionnés par les échanges entre adversaires. Saint Germain s’employait à tournoyer sa lance, et à repousser Hastur du mieux qu’elle pouvait ; le dieu semblait une toute nouvelle entité, indescriptible, incompréhensible.
Les spectateurs ne pouvaient qu’observer les myriades de membres difformes essayer de s’accrocher à l’humaine. Tantôt des espèces de branches raides et cassantes, tantôt des immenses tentacules ; à quelques moments on observait même des mains constituées de centaines de doigts essayer d’agripper la jambe de la combattante.
L’humaine s’adressait à sa Valkyrie tout en déviant les attaques et en tranchant les membres ennemis.
- Svipul, il va falloir changer de stratégie ! La lance seule ne suffira pas !
- Je sais… plus je me divise, plus les attaques ennemies se multiplient en retour.
La lance disparut des mains de l’humaine qui leva les deux mains, les yeux rivés sur la figure dorée en face d’elle.
- Je suis Nanna ! Connue sous le nom de Saint-Germain l’immortelle ! Mais tout ça n’importe que peut ! Je suis avant tout l’amour de ta vie !
La Valkyrie prenait peu à peu l’apparence d’une longue rapière argentée que Saint Germain saisit d’une main, balayant l’air. Ses cheveux argentés, la blancheur de sa peau, ses ailes aussi décharnées qu’immaculées ; si ses habits noirs étaient la nuit, la blancheur de son existence en était la lune.
Face à elle, en contrebas : l’étoile. Dans une position bestiale, l’être tentaculaire voyait son apparence changer à chaque seconde, un tic lui offrait une tête de rapace, un tac montrait un visage doré. Tremblotante, l’étrange entité pointa son doigt crochu vers l’ennemi et dans un râle profond articula péniblement un simple mot.
- Na...Nna.
Personne n’eut réellement compris ce qui se passa après coup, tout ce dont les gens se  souviennent, c’est d’avoir eu l’impression de voir un sourire ; un sourire terrifiant. Deux petits  soleils venaient créer les yeux de cette masse sombre, et au beau milieu de ce cauchemar, un  croissant de lune vint montrer ces centaines de perles jaunes, certaines tombaient, d’autres se  déchaussaient. La seule vue de ce sourire fut la chose la plus terrifiante que certains  spectateurs virent de leur vie.
Saint Germain semblait s’embellir à chaque instant du combat, sa nouvelle apparence, ses  dents qui se chevauchaient, ses ailes décharnées et malformées donnaient une impression de  fragilité et de pureté. Plus le temps passait, moins ce combat ressemblait à quoi que ce soi, un  des spectateurs se surprit à dire à voix haute.
- On dirait deux dessins d’enfants en train de se battre…
Le choix des mots n’aurait pu être plus parfait. À bien y regarder, même moi narrateur, je ne voyais plus qu’une chose. Une petite fille souriante s’approchant de son ami, son sourire doux, ses longs cheveux qui roulaient et ondulaient à chaque pas. Petit à petit sa main qui semblait être un gribouillis sembla s’approcher et se tendre vers son ami. Le pauvre était en train de pleurer, si elle ressemblait à un ange au proportions ratés, lui ressemblait à un amas de monstruosité. Aucun enfant censé ou sain d’esprit n’aurait pensé à dessiner cette créature, la rendant encore plus grotesque. Le pauvre démon encore en train de pleurer n’osait pas regarder la main qui lui était tendue, le pauvre enfant pleurait de plus en plus, il se répétait encore et encore.
- J’ai peur… Je ne veux pas être tout seul…
Comment en vouloir à cet individu, cette météorite était tombée face à une enfant, la brillance de cette étoile égaya sa vie. Avant qu’elle entre dans la sienne, il se promenait au travers des étoiles, les regardait naître et s’éteindre, même ce spectacle semblait être devenu morne. Il surveillait, notait, rapportait à ses créateurs et c’était tout. Bien souvent, il se surprenait à regarder un des peuples d’en bas, légèrement envieux.
C’est quand il arriva à ses côtés qu’il comprit, il devait mourir. Le seul intérêt des étoiles, c’était d’être regardées, cependant, les admirer, seul au centre de l’univers était la plus grande des tristesses, elle lui fit comprendre ; les étoiles devaient se regarder à deux.
Le regard compatissant de la fillette qui gardait cette main tendue semblait peser de plus en plus sur les petites épaules malformées du monstre. Au bout d’un moment, les yeux encore embués de larmes, il releva la tête pour la fixer, elle était si jolie, si brillante, il prit cette main dans un faible sourire.
- Mon amour te tuera.
Si le commun des mortels avait vu ces deux enfants se rassurer, la réalité de l’arène était tout autre. Le sang giclait à flots, l’humaine faisait danser sa lame tranchant un à un chaque assaut du dieu perdu. Hastur se démenait, fou de tristesse et de rage, pourquoi voulait-elle le tuer, pourquoi était-elle obsédée par cette promesse, pourquoi voulait-elle protéger l’humanité. Elle voyait le commun des mortels, égoïstes et idiots comme les enfants qu’elle n’avait jamais eus ; sa fierté de mère la poussait à se battre, et retirer cette mère à ses enfants était sans doute une chose bien trop cruelle.
Qu’importe, le dieu était égoïste, c’était bien une des seules choses qu’une étoile pouvait se permettre, à passer l’éternité au centre d’un espace vide et froid, espérant désespérément un peu de réconfort, on voyait tous les autres désirs comme ridicules et puérils une fois comparés aux nôtres. Un nouvel assaut se préparait, la rapière de l’humaine cinglait et visait avec détermination chaque point faible ennemi.
Le dieu s’obstina, il l’avait dit lui même, il n’en n’avait plus rien à faire, il avait décidé de supprimer toutes les règles, toute raison, tout tabou. Tout ce qu’il voulait c’était la voir sourire à nouveau un peu plus, il voulait la sentir, ses lèvres, sa peau. Il voulait la voir essoufflée, ses mèches qui se collaient à ses joues. Il voulait la voir élever cet enfant qui n’était jamais venu, il voulait la voir rayonner à chaque petit vêtement qu’elle lui confectionnait.
On dit bien souvent que ce qui affecte le plus la vie, c’est les petites choses, les banalités ;  c’était vrai. Voir une supernova était ennuyant, cependant chaque jour ou elle ouvrait ses yeux  bleus, chaque instant ou son regard se plongeait dans le sien, chaque sourire qu’elle lui offrait,  c’était comme vivre mille feux d’artifices. Ce cœur monstrueux se torturait à battre de plus belle  à chaque fois que sa voix vibrait légèrement ; Pourquoi les humains se fascinaient tant face à  une sphère brûlante et scintillante ? Elle était là, bien plus simple et bien plus complexe à la  fois, chaque atome qui la constituait, son petit cœur d’oiseau qui battait à chaque fois que leurs  lèvres se touchaient, ses joues qui rougissaient quand il la fixait trop longtemps ; ses doigts
comme ses cils, longs et fins. Pourquoi préférait-on admirer les étoiles au bleu azuré et espiègle  de Nanna ? La lune était aussi belle qu’énigmatique, chaque fois qu’elle souriait, ses yeux se  plissaient légèrement, laissant s’échapper un simple rayon de lumière. Si le soleil brillait, si les  étoiles brillaient, ce n’était pas pour être admirés, c’était pour que leurs lumières se reflètent sur  la lune, pour que cette dernière brille à son tour. Avant elle, il ne croyait en rien, il n’espérait rien,  elle lui fit connaître le plus grand des péchés, celui d’aimer et de reprendre goût à la vie ; la  véritable cruauté de cette histoire, c’est qu’elle ne s’en n’était jamais rendue compte.
Reprenant son souffle, le dieu reprit une position plus digne de son rang, les appendices disparurent, la bestialité n’était plus, il observa celle qui lui faisait face pendant quelques secondes et serra son arme. Cet échange de coup serait sans doute le dernier, par respect, il me semble plus pertinent de leur laisser ponctuer cette histoire de plusieurs millénaires.
Me voilà, à nouveau face à toi au lieu d’être à tes côtés. Si j’étais si en colère, ce n’était pas car tu  es parti, c’était contre moi même, je t’aimais et je t’aime encore malgré tout, tu m’as fait souffrir  comme jamais je n’avais souffert auparavant, et en même temps, jamais je n’aurais pensé un  jour être heureuse d’avoir souffert. Ma rapière se doit de viser ton cœur, tu mourras de la plus  belle des manières, de la main de la créature que tu trouvais être la plus belle.
Une solution existe, je ne compte pour rien au monde perdre, tu m’avais fait cette promesse et  ton honneur t’embarrasse bien trop pour que tu songes même à rompre ce contrat. Tu quitteras  ton humanité pour me rejoindre, tu renaîtras à nouveau, et nous nous aimerons à nouveau ; les  choses auront changé c’est sûr, mais je serai là.
Ma rapière entre en collision avec ton glaive, je pense que j’ai commis une terrible erreur. À favoriser une arme plus longue et douce, j’ai fini par m’éloigner de toi, tu n’as jamais eu peur de m’aimer, jamais cet amour n’aura fragilisé, jamais il n’aura douté. Ton arme a brisé la mienne, ton glaive a atteint mon cœur, félicitations mon amour… Tu as gagné.
Un silence de mort régnait sur l’assistance, cette fois ci, le combat était-il terminé ? Les deux combattants avaient-ils trouvé le mot final de cette relation ?
Je t’ai tuée. Ton corps perd petit à petit sa chaleur, je te sers dans mes bras, désespérément,  c’est idiot… Tu vas revenir. Mais quiconque a aimé sait ; il sait comment la moindre douleur que  l’autre ressent nous parvient au centuple. Te tuer de mes mains était sans doute encore plus  douloureux que mourir, et pourtant, idiot que j’étais, je t’ai fait promettre de me prendre la vie un  jour ou l’autre. Pardonne-moi Nanna, j’étais encore trop jeune, trop vert de tous ces sentiments.
Heimdall sonna la fin du combat, l’humanité avait perdu un nouveau round, le score était passé  à trois pour les dieux, et deux pour les humains.
Malgré la fin du combat, personne ne bougea, personne n’osa demander à Hastur de quitter l’arène, il était trop occupé à remettre en place les mèches de cheveux de Saint Germain, à l’observer, ses yeux bleus ne s’ouvraient plus. Elle mourrait à petit feu, sa respiration faiblissait, dans ses dernières forces, alors que le sang envahissait peu à peu sa gorge, elle eut l’énergie de dire les simples mots qu’elle ne put dire à Hastur le jour de son départ. Dans un sourire torturé, elle ouvrit la bouche.
- à bientôt…
Elle ne respirait plus, Saint Germain était morte. Toutes les histoires d’amour ne se terminent pas mal, Saint Germain avait quitté l’humanité, cependant une nouvelle étoile était née, Hastur n’avait plus qu’à la chercher, à la trouver, la lune était bien trop seule au centre de l’univers, alors elle est partie. Ils avaient brisé tant de tabous, tant de règles, ce Ragnarök ne ferait pas défaut, ce Ragnarök n’était qu’une étape supplémentaire à leur amour, leur mariage était scellé, ancré à tout jamais. L’humaine comme la valkyrie étaient parties, loin, bien loin. Et pendant ce laps de temps, dans cet univers gigantesque, Hastur allait devoir les retrouver, désormais, chaque étoile pouvait être la bonne, chaque étoile pouvait être elle, ainsi, chaque étoile le ferait sourire ; il l’avait quitté plusieurs millénaires, il prendra peut-être quelques millénaires à la trouver à nouveau. Le dieu doré se leva, le visage de son aimée encore scellé dans son esprit.
Après quelques instants à observer les cieux, à la recherche d’une lune disparue, le dieu se retourna, enfila à nouveau son masque doré. Sa cape dorée était encore recouverte d’éclats de sang, véritable fresque de ce combat ; déchirée en toute part, cette cape serait peut-être le tissu avec le quel il recouvrira les épaules de son aimée quand il la retrouvera.
- Désolé humains, je vous ai pris une victoire, mon égoïsme vous aura coûté l’existence d’un des êtres les plus incroyables de votre histoire. Je vous dis au revoir, la voûte céleste ne disparaîtra pas demain, peut-être verrez vous deux étoiles danser.
Chapter 21: Héroïsme et horreur
Summary:
Les deux combattants du sixième round de ce Ragnarok sont appelés ! Qui seront-ils ?
Chapter Text
Le combat terminé, la lune ayant quitté les cieux, le narrateur ayant reprit sa place, ce récit peut reprendre son cours normal. La foule de spectateur était encore sous le choc, incapable de comprendre ce qui s’était produit sous leurs yeux ; ils le savaient cependant, le résultat était indiscutable, Saint Germain avait perdu.
Goll, les yeux embués de larme ne pouvait s’empêcher de renifler bruyamment en admirant la voûte céleste, sa sœur avait disparu, mais elle ne l’avait pas sentie mourir ; elle le savait, quelque part, elle avait suivi sa maîtresse. Essuyant les quelques larmes qui roulaient encore sur ses joues d’un revers de manche, la Valkyrie gonfla le torse en prenant une inspiration, et poussa un soupir un peu rauque. Elle se retira de l’arène, marchant dans les longs corridors, elle pianotait frénétiquement sur sa tablette, essayant de trouver des solutions pour les prochains affrontements.
- Il faudra que je redemande conseil à Sun Tzu et quelques corrections vis à vis de ces stratégies, plus de la moitié me semble erronée maintenant…
La demoiselle s’étira un peu, son cou émit quelques craquements quand elle roulait la tête pour trouver une meilleure position. Au moment ou elle leva la tête un visage familier, bien plus grand qu’elle penchait sa tête pour la regarder, derrière elle, un grand sourire sur les lèvres.
- Tout va bien Goll ?
Un hurlement retentit au travers du couloir, la jeune guerrière se tenait la poitrine de toutes les forces, respirant bruyamment. Les yeux écarquillés, elle pointa d’un doigt accusateur l’importun.
- Seigneur Salomon je vous ai déjà dis plus d’une centaine de fois que ce genre de farces ne m’amuse guère !
Le roi jouait avec une de ses longues mèches noires en écoutant le sermon de la cheffe des valkyries, comment faire écouter un tel individu, Salomon était bien assez fort et sage pour faire ce qu’il voulait où il voulait. L’humain avait tout de même réussi quelque chose de particulier, Goll avait retrouvé son calme et voyait ses pensées enfin devenues plus claires. Arborant son éternel sourire, le combattant s’approcha légèrement avant de répondre.
- à trop se murer dans tes pensées tu en oublies le monde autour de toi. Et de toute manière...
Salomon prit une expression plus sombre et sérieuse, il hocha simplement la tête dans la direction de sa correspondante. La guerrière détacha ses longs cheveux et ancra son regard dans celui de l’ancien roi ; que voulait-il dire par là ? Silencieuse, la demoiselle n’était pas assez sotte pour demander à haute voix la nature du problème, elle fronça simplement les sourcils pour lui signifier qu’elle l’écoutait attentivement. Le grand homme reprit une expression plus joyeuse avant d’indiquer d’un simple geste de la tête quelque chose qui se trouvait derrière lui. Pendant leur étrange conversation, ce dernier parlait à voix haute pour effacer tout soupçon.
- Et de toute manière tes réactions sont vraiment amusantes ! Allez, viens ! On va rejoindre le prochain combattant !
Après quelques grandes enjambées, il se retrouva à côté de Goll, tout deux marchèrent vers le fond du couloir avant de bifurquer. Salomon parla le premier, en soupirant.
- Tu n’as pas remarqué que tu avais les affreux de Bélial qui te collaient au train pendant quasiment toute ta petite promenade ?
- Si bien sûr, mais que vouliez-vous que je fasse, je ne peux pas les affronter seule ; et les connaissant si j’avouais les avoir remarqués, ils n’allaient pas partir poliment comme des gamins qui perdent à un deux trois soleil.
- Et c’est exactement la raison qui fait que tu ne dois pas partir toute seule ou t’aventurer ici sans personne sur qui compter. Si je ne t’avais pas trouvée c’est toi qu’allait perdre la partie.
- De toute manière c’est absurde, il sera le prochain combattant divin, il n’a rien à gagner à faire pression sur ma personne, il espère que je vais l’écouter et vous désigner comme combattant peut-être ?
Le roi au longs cheveux noirs se gratta son début de barbe avant d’éclater de rire à cette pensée. Il connaissait Bélial, il était tout à fait plausible que le démon voulait mettre une forme de pression à la valkyrie pour cette raison ; mais au fond de lui même, il savait, il savait très bien ce que le démon espérait.
- La dernière fois ; il a vu que tu as eu peur.
Goll eut un léger soubresaut avant de s’exclamer, visiblement énervée par cette pensée.
- Certes ! Mais c’est complètement idiot ! Il n’a rien à y gagner alors pourquoi même cette id…
Salomon leva un doigt devant les lèvres pour signifier à la demoiselle de se calmer légèrement.
- Nul démon en Helheim est aussi épris du vice que Bélial. Je pensais que tu le savais, notre logique ne s’applique pas à lui, s’il voit un moyen de nuire, ça sera plus fort que lui, il foncera dessus. Il n’est certes pas idiot, mais parfois, même le plus intelligent des hommes se laisse envahir par ses instincts, le dernier combat en est la preuve.
Visiblement peinée par cette pensée et cette réalité, la demoiselle rumina et grommela dans sa barbe, il n’y avait rien de plus énervant pour un décisionnaire comme elle que de se retrouver face à une entité qui se moque du bon sens et de la logique. Face à cette absence de réflexion en face, le doute était plus que naturel, il était inévitable, encore plus après une défaite. Goll serra légèrement le poing et s’adressa au roi.
- Seigneur Salomon, faisons une supposition. Admettons que le combattant actuel était inapte à partir combattre Bélial ! Prendriez vous sa place ? Réussiriez vous à vaincre Bélial ?
A la grande surprise de la valkyrie, Salomon sembla pensif, il réfléchit quelques secondes avant de rebaisser les yeux vers le regard impatient de son interlocutrice.
- Bonne question, il est vrai que j’ai rendu les pouvoirs divins qui m’avaient permis de le vaincre il y a un bon bout de temps…
La valkyrie sembla désemparée, cette annonce ne pouvait que l’inquiéter, comment vaincre un adversaire que Salomon lui même n’était pas sûr de battre ? Le roi ne releva pas l’expression de la valkyrie qui sombrait peut à peu dans l’angoisse et continua son récit.
- Ajoutons à ça qu’il est globalement bien plus fort qu’il ne l’était il y a quelques millénaires en arrière… Avouons que les péchés de l’humanité et l’expansion de l’espèce l’ont au final quand même bien gavé…
Goll se sentait fondre petit à petit, décrivait-il réellement un ennemi ou un boss de fin de jeu vidéo ?
- Ouais en définitive, si je devais donner l’issue du combat contre lui…
La valkyrie reprit espoir, les yeux brillants de hâte à la réponse finale de Salomon. Le roi, serra la mâchoire, un œil clos tout en se grattant la tête, perdu dans ses pensées, il conclut enfin son petit monologue.
- Il faudra que je prenne une bouteille un peu plus grosse cette fois ci.
Elle écarquilla les yeux sous le choc de cette révélation, la bouche légèrement entrouverte, la déclaration de Salomon l’avait frappée comme un vrai coup de tonnerre. L’humain ne put s’empêcher d’éclater de rire en voyant la réaction de la valkyrie. Il fit quelques pas, s’éloignant d’elle et fit un signe de la main sans se retourner en guise d’au revoir.
- Ne t’inquiète pas petite ! Je fais parfaitement confiance au combattant qui va l’affronter !
La demoiselle soupira, Salomon était un homme mystérieux. Il était évident qu’il possédait toute l’apparence et toute la prestance d’un roi, sûr de lui, confiant. On lui attribuait bien volontiers les qualités du jeune lion encore fougueux comme la sagesse du vieux singe ; pourtant une impression permanente semblait se dégager de l’individu. Il était imprévisible, inquiétant, on aurait pu croire qu’il incarnait lui même cette image de pomme, cet interdit. Il semblait en permanence en possessions de quelconques connaissances et capacités que personne ne devrait ne serait-ce qu’apercevoir. On avait autant envie de suivre cet homme aveuglément que de le fuir, l’avoir à ses côtés était rassurant, cependant il incarnait cette prestance que tous les grands hommes possédaient ; On préférait le savoir allié qu’ennemi, pourtant le savoir à côté de nous faisait craindre sa présence, le savoir notre ennemi aurait presque été plus rassurant que le voir à nos côtés : mourir de sa main aurait été de sûr plus rapide et moins angoissant. Se faire capturer par les fidèles de Bélial était bien plus terrifiant mais bien moins oppressant.
Goll reprit sa marche en direction de la chambre du prochain combattant. De l’autre côté de l’arène, les dieux se félicitaient de leur victoire sans grande conviction. La réunion habituelle avait lieu, Zeus, en bout de table discutait de la suite des événements.
- Personne ici n’est étonné de la victoire d’Hastur je suppose ? Je dois bien avouer que je ne l’aurais pas imaginé autant en difficulté lors d’un combat.
Thot arborait quelques bandages au niveau de la tête, encore quelques peu marqué par son affrontement passé, le dieu scribe continuait d’écrire le fil de la discussion pour garder des traces de cette dernière. Sa plume grattant le papier, il se mit à parler en même temps.
- Il était compliqué de considérer son adversaire comme réellement humain après tout… Et soyons honnêtes, affronter l’amour de sa vie ne doit pas être chose aisée.
Zeus semblait plutôt dubitatif face à cette déclaration. Thot soupira avant de ponctuer, l’air railleur.
- Oui, ça on le sait quand on est fidèle à sa partenaire seigneur Zeus.
Le vieillard émit un léger « peuh » amusé avant de continuer la réunion, observant les quelques dieux présents autour de la table ; aucune des déesses anciennes ne s’était montrée, les deux démons non plus. En réalité les seuls personnes présentes étaient ses fils, le dieu serpentaire, Thot et Sun Wukong. De toute manière, il était dur de savoir si Sun Wukong était effectivement présent, il pouvait s’agir d’un de ses clones, ce dernier n’était pas mentalement présent puisqu’il semblait jouer sur une console portable ; Zeus soupira.
- Bon, pouvons-nous nous accorder sur une chose. Que Bélial gagne ou perde cet affrontement, nous n’en tireront que du positif.
L’assemblée entière hocha la tête. Le dieu médecin serra légèrement son sceptre orné d’un serpent avant de se hisser et de prendre la parole.
- Je ne peux qu’agréer, honnêtement, je préférerais même que ce dernier soit défait. Chaque guerre l’impliquant amène aux pires atrocités, en tant que médecin, j’ai dû soigner certaines choses tout bonnement abominables, inexplicables et surtout… Inexcusables. Le bloquer à Helheim n’y change rien, même Beelzebuth semble en difficulté lorsqu’il s’agit de le gouverner !
- Et bam ! Top un bébé !
Silence dans l’assistance, tout le monde observait le singe, pieds posés sur la grande table, bras levé, l’air triomphant ; il rabaissa le bras avant de reprendre sa partie, comme si rien ne s’était jamais passé. Zeus se retourna vers Ares.
- As-tu quelque chose à ajouter, après tout Bélial a été un des anges guerriers que tu diriges encore aujourd’hui.
Le dieu de la guerre sembla quelque peu hésitant avant de se décider à prendre la parole.
- Je ne sais pas si vous avez déjà lu mon rapport de l’époque ou si vous vous en souvenez… Permettez moi de vous rafraîchir la mémoire. Lors d’une guerre contre les démons d’Helheim, il y a plusieurs millénaires déjà, une jeune recrue m’avait été apportée pour ses excellents résultats ; en réalité dès sa première bataille il se voyait déjà à la tête d’une escouade de plusieurs hommes. Si seulement j’avais su à l’époque, je l’aurais tué de mes mains. Bélial ne se démarquait pas réellement par sa force mais plus par son sang froid et sa capacité exceptionnelle à écouter les ordres à la lettre. Je sais que dit comme ça, ça paraît étrange, mais vous comprendrez bien assez vite. Il avait lui même choisi les hommes qui l’accompagneraient, et pour être honnête, il avait choisi les plus mauvais membres de la garnison, les plus flemmards, les plus insubordonnés. On avait gagné cette bataille malgré de lourdes pertes, la partie de l’armée avec qui il était affilié avait malheureusement été massacrée.
Le singe bailla avant de couper Ares dans son récit, désintéressé.
- Alors quoi, c’est un mec qu’a vu ses potes mourir et qu’a vrillé c’est ça ? On en voit des tas des types dans son genre, je ne vois pas pourquoi on en fait tout un plat.
Ares secoua la tête, nullement dérangé par l’intervention du dieu simiesque.
- Non, c’est bien pire. Une partie des soldats m’était revenue, ils étaient tous terrifiés et ne savaient pas quoi faire, tous me disaient que Bélial était devenu fou. Alors je me suis rendu sur les lieux ; ça empestait la mort, mais ce qui m’étonnait, c’étaient les corps que je retrouvais, les anges comme les démons semblaient ne pas s’être battus avec des armes. Au début je voyais quelques traces de morsures et quelques écorchures, bientôt des morceaux littéralement arraché à coup de crocs ou à la force des bras. Et au bout d’un moment, après avoir piaffé dans des petites mares de sang, j’ai du lever la tête pour le voir, c’était littéralement un ange de la mort. Il était là, parfaitement calme, assit sur un tas de corps mutilés, certains à moitié bouffés, il me fixait, assit en tailleur, en train de croquer dans une aile blanche couverte de sang. Ses yeux étaient complètement morts, il se contentait de mastiquer. J’ai bien dû me résoudre à lui demander ce qu’il se passait ici, et c’est là que j’ai compris. Cet ange serait une des plus grosses épines dans le pied du Valhalla, mais je ne pouvais me résoudre à le tuer, nous devions le juger. Quand je lui ai demandé la raison derrière cette folie, il m’avait répondu avec le plus grand naturel et calme possible qu’il avait choisi les pires soldats de cette armée pour les punir lui même d’avoir de si mauvais résultats ou d’être aussi insubordonnés. Au début je me suis dit qu’il était devenu fou, puis j’ai compris que Bélial sortait de toutes les descriptions qu’on pouvait faire de la folie, il était parfaitement sensé, mais à sa manière. Après quelques instants, toujours en train de manger l’aile d’un de ses camarades, il a juste relancé la discussion en me disant : « La raison principale, c’est que je me suis toujours demandé quel goût avaient les ailes des anges, pas toi ? ». Et il termina son repas comme si de rien n’était, jamais je n’aurais imaginé être capable d’avoir peur d’un visage aussi beau et pur.
Asclépios se releva à son tour, puis, disposa quelques documents sur le bureau, tous des rapports.
- Bélial est intelligent, il avait attendu toute sa vie pour cette opportunité, mais l’odeur du sang, la vue de la chair à vif auront trop éveillé son appétit. Regardez les rapports, survivants comme morts. Premier cas, trente huit morsures. Deuxième cas, deux morsures seulement mais la moitié du bras arraché à coup de dents. Troisième cas, vingt-trois… Quatrième cas, onze et deux doigts en moins… Cinquième cas, aucune morsure mais les ailes arrachées et entièrement dévorée… Je suis formel, l’idéal serait sa mort.
Zeus se gratta la tête, quelque peu embêté par ces histoires et ces rapports, les lois du Valhalla interdisaient des peines capitales, pour cette raison Bélial avait été envoyé là ou était sa place, au fin fond d’Helheim, sous la surveillance de feu Hadès. Zeus soupira et se releva, mettant fin à cette discussion, il fallait désormais prévenir l’enfant terrible du début de son tour. L’ancien observa les papiers qui lui avaient été transmis avant de se retourner vers Hermès.
- Hermès… Peux-tu contacter la Valkyrie et lui demander si elle est vraiment sûre de la victoire de cet humain ?
- Bien sûr seigneur Zeus, mais pourquoi cela ?
Le regard du plus vieux s’assombrit avant de se plonger dans les yeux de son fils.
- Il veut affronter une armée entière… En réalité non, le mot qu’il a employé est « dévorer ».
Hermès fit un léger rictus avant d’envoyer un message à Goll, espérant une réponse concise de la part de cette dernière. Tout le monde avait à gagner quant à la disparition d’un tel fléau, et le Ragnarök était le seul moyen de réussir à avoir raison de lui, il en était parfaitement conscient. Le dieu messager observa la réponse avant de s’adresser à nouveau au vieillard.
- Elle accepte d’envoyer une armée face à lui en plus du combattant
Zeus soupira, il savait très bien ce que voulaient dire ces choix, il y avait de fortes chances pour qu’aucun combattant de cette armée ne revienne vivant de ce combat, et si certains y survivaient, à jamais ils seraient hantés par le spectre de ce monstre.
La valkyrie mit en veille son téléphone avant de le ranger dans sa poche, continuant son avancée en direction de la nouvelle chambre. Elle aperçut au loin une silhouette familière et s’approcha naturellement.
- Bonjour Gunnr, encore en train de monter la garde ?
Assise en tailleur devant la porte, une demoiselle au visage affublé de diverse peintures de guerre, arborant un képi vissé sur ses cheveux blonds parfaitement tressés leva les yeux vers sa sœur avant de se relever. Une fois debout, elle fut contrainte de baisser la tête pour mieux observer son aînée. Gunnr était tout bonnement colossale, grande et athlétique. Sa posture de garçon manqué la rendait encore plus androgyne qu’elle ne l’était déjà, elle croisa les bras au moment de répondre à Goll.
- Exact, il a dit ne pas vouloir être dérangé.
- Laisse moi deviner, Diogène un peu trop ivre et envahissant.
- Diogène un peu trop ivre et envahissant…
- Ouais, je n’aurais pas dû mettre sa chambre à côté, je crois qu’il cuve encore, on devrait être tranquilles un certain moment.
La guerrière sourit légèrement, amusée par le commentaire de sa grande sœur. Le regard concerné, elle la regarda quelques instants avant de poser une question
- C’est à nous n’est-ce pas ?
- Oui Gunnr.
La grande dame se mordit légèrement la lèvre inférieur, anxieuse. Après quelques gestes faussement assurés elle ne put se contenir plus longtemps, et, la voix tremblotante dit à sa sœur.
- J’ai peur de mourir… Je sais que je ne devrais pas, que je suis la valkyrie guerrière, mais je n’ai jamais vu une seule guerre sensée, une seule guerre nécessaire, une seule guerre ou les gens sont heureux, j’ai juste peur d’en vivre une à nouveau, de me retrouver à nouveau couverte de sang et de tripes ; de toquer à la porte des mères et des veuves. Elles savent très bien ce que ça veut dire, il n’est pas là, mais elles me supplient quand même… Et moi je peux à peine dire que jamais le corps n’a été retrouvé.
Goll, les yeux toujours plantés dans ceux de sa sœur eut un sourire particulièrement doux et nostalgique, cette dernière lui faisait énormément penser à Thrud. La jeune cheffe répondit simplement.
- Vous affrontez sans doute un des combattants les plus terrifiant, c’est normal d’avoir peur. Mais tu sais tout comme moi que ce que tu supportes moins que cette peur, c’est la lâcheté.
Gunnr reprit un visage plus sérieux avant de respirer profondément, elle ouvrit la porte. Au centre de la pièce, un homme inconnu se reposait sur son lit, ce dernier écoutait de vieilles chansons en lisant un livre, l’air distrait. Sa chambre était tout ce qu’il y avait de plus classique, un lit fait au carré, un vieux tourne disque, quelques livres, un nécessaire de toilette. Une chambre parfaitement militaire et banale. Gunnr s’avança et l’interpella.
- Pierre, c’est notre tour.
L’homme se releva, il était noir de peau, l’air souriant et calme, il mit une cigarette entre ses lèvres avant d’allumer cette dernière. Il se gratta un peu la tête avant de se décider à prendre la parole, l’air un peu groggy.
- Désolé d’encore poser la question Goll, mais tu es sûre que c’est une bonne idée de m’avoir choisi ?
- On ne peut plus sûre Pierre. Je connais ton histoire, j’ai lu les rapports et tu es le profil idéal pour ce combat !
- Pourtant des héros de guerre il y en a beaucoup, je suis un nom parmi tant d’autres, un parfait inconnu.
- Tu sauras, mon cher que le vrai héroïsme ne se mesure pas en acte grandiloquents mais en petits actes quotidiens, en ça, tu es excellent.
Le jeune homme siffla, impressionné par l’éloquence de sa désormais supérieure. Pierre Ndiaye de son nom était quelqu’un tout ce qu’il y a de plus banal. Un prénom français populaire, un nom de famille sénégalais populaire, un physique entretenu mais sans grande prétention, un air rêveur et un visage qui inspirait la sympathie, tout chez lui était avenant, ses gestes doux et calmes, son flegme naturel. Enfilant les derniers détails de son attirail de soldat il souffla un coup en regardant le plafond, Goll le regarda quelques instants.
- As-tu peur ?
- Si je n’avais pas peur, je ne serais pas humain.
Une réponse simple pour un homme simple, il sourit simplement à la demoiselle avant d’emboîter le pas, droit comme un militaire, il se dirigeait vers l’arène.
Du côté des dieux, ces derniers étaient face à la porte du démon. Hermès se décida à toquer, attendant un quelconque signe de vie. Rien, après quelques instant à toquer à nouveau, une voix se fit entendre, celle d’Asmodeus.
- Oui bah deux minutes on récupère une apparence acceptable pour éviter de vous traumatiser, vous pourriez au moins nous remercier !
Hermès répondit par un soupir, les deux démons étaient toujours fourrés ensembles, on se foutait très bien de leurs activités, et de toute manières, ces dernières ne les regardaient qu’eux. Bélial finit par ouvrir la porte, son apparence avait quelque peu changé. Le démon était toujours aussi beau, ses cheveux légèrement dorés étaient en pagaille, son nez parfaitement droit et long venait trancher son visage. Contrairement à la première fois, le démon semblait nettement plus musclé. Il sourit gentiment à ses locuteurs.
- Vous avez préparé une armée pour me contenter n’est-ce pas ?
Hermès et Zeus acquiescèrent en silence. Le démon se trouvait particulièrement ravi par cette annonce, le dernier massacre auquel il avait pris part remontait à bien longtemps, il se retourna vers Asmodeus, l’air contenté.
- Te rends-tu compte Asmodeus ? Tant de repas, tant de restes, tant de saveurs et de cris ! Pour une fois que l’humanité excelle en quelque chose, je vais pouvoir en profiter !
Le monstre à l’apparence d’ange parlait du massacre de nombre de vies comme il parlait d’un feu d’artifice, beau, chatoyant et plein de panache. Couvert par une simple toge blanche, le démon emboîta le pas vers l’arène, fier comme un prince. Hermès par curiosité ne put s’empêcher de lui poser une question
- Messire Bélial, pardonnez ma curiosité, d’ordinaire vous arborez avec fierté diverses peaux en tout genre, parfois encore sanguinolentes. Pourquoi avoir opté cette fois ci pour une simple toge blanche ?
- Hermès, tu es une personne de goût, et je te sais intelligent. Tu te doutes bien que c’est une manière de tromper l’ennemi, il faut paraître doux comme un agneau, inoffensif ! As-tu seulement déjà observé et profité de la terreur dans le regard d’une brebis se faisant dévorer par un membre de son espèce ?
- Non, je dois avouer ne jamais l’avoir vu.
- Eh bien il y a un début à tout, tâche de bien observer cette petite fête !
Toujours aussi satisfait, le démon voyait la lumière commencer à frapper son visage, il était arrivé devant l’entrée de l’arène, sans hésiter plus longtemps, il posa un pied sur la terre ferme. Il observa quelques instant le décor qui venait se dérouler sous ses yeux, le démon fit une moue en applaudissant légèrement.
- Eh bien chapeau, ça c’est un champ de bataille ou je ne m’y connais pas.
De longues tranchées avaient été creusées dans l’arène, la terre était sèche et aride en plus d’être rouge, on comprenait assez naturellement que ce paysage résultait du mélange des guerres humaines et des paysages désolés d’Helheim. Bélial parfaitement dans son élément observait toute la place, joyeux de voir que toutes ses demandes avaient été respectées, le démon remit ses cheveux en place avant de s’avancer vers le centre de l’arène, excité par le massacre qui allait venir
- Ah, j’ai hâte !
Chapter 22: L'espoir dans la haine
Summary:
Le bataillon des soldats s'approche, arriveront-ils à bout du démon le plus effroyable de l'histoire ?
Chapter Text
Du côté de l’humanité, l’atmosphère était au joyeuses retrouvailles, on serrait chaleureusement les mains, les accolades étaient légions, les soldats souriaient. Après bon nombre d’années sans s’être revus, ceux qui avaient partagé les derniers instants de leur vie tous ensembles se retrouvaient dans la mort, affublés des mêmes manteaux gris bleus et couverts par les mêmes casques. De nombreux petits groupes s’étaient formés, certains préparaient déjà leurs campements, d’autres révisaient et inspectaient l’état de leur équipement. Pierre retourna son fusil et le planta non sans mal dans le sol aride qui constituait la majorité de l’arène, il observa un petit groupe qui s’approchait de lui, souriants et joyeux ; l’humain retira son casque en les saluant.
- Marcel ! André ! Louis ! Comment vous allez les gars ?
Le plus bourru du groupe, Marcel fumait un cigare qui frisait son épaisse moustache, remettant son casque correctement en place, il s’appuyait à l’aide de ses deux mains caleuses sur son fusil. L’homme retira son havane et répondit dans un léger sourire.
- Difficile d’aller mal quand on est morts ! Ça fait plaisir de te revoir vieux brigand.
Les deux autres jeunes hommes, un peu plus pâles se ressemblaient à s’y méprendre, Louis et André n’étaient cependant pas jumeaux, l’aîné recoiffait tranquillement sa tignasse à l’aide d’un peigne qu’il venait de tremper dans de la cire. Rangeant son attirail dans ses énormes poches, il serra la main de son ami nouvellement venu.
- Si j’avais pu passer l’éternité sans avoir à retourner dans cet enfer, je n’aurais pas dit non, mais te faire faux bond m’aurait un peu gêné.
Se grattant légèrement l’arrière de la tête, embarrassé, Louis, le plus jeune s’empressa de conclure la phrase de son frère.
- Je pense que c’est un peu le cas de tout le monde ici, on savait qu’un copain allait se battre, on a aussi notre honneur de soldat à protéger vois-tu, on n’allait pas refuser l’appel du drapeau !
Amusé, le sénégalais sortit son paquet de cigarette et mettait un des tubes entre ses lèvres, Marcel rapprocha son briquet pour l’aider à allumer. Après quelques instants à admirer les volutes de fumées qui dansaient dans l’air, Pierre répondit.
- Vous savez, rien ne vous obligeait à venir. A l’époque on se battait pour notre survie, pour nos familles, certains pour avoir la nationalité. On n’a plus rien à prouver à personne.
Les trois autres compères, un bras croisés et les deux autres mains sur les hanches échangèrent quelques regards avant de sourire et d’éclater de rire à tour de rôle.
- Oh le frimeur ! On va t’apprendre à rouler des mécaniques, on n’a rien à prouver certes, mais on se battra quand même. Tu ne crois quand même pas que tu vas t’attirer toute la gloire de cette victoire mon salaud ?
Joyeusement, chaque membre du petit groupe s’amusait à bousculer un peu leur compagnon pour relâcher un peu les esprits. Pierre malgré son amusement et sa joie ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter, il le savait, la plupart de ces hommes mourraient aujourd’hui et il était le seul à avoir une valkyrie et un volund qui pouvait potentiellement le tirer d’affaire. Prenant son courage à deux mains, il se mordit les lèvres.
- Vous trois, vous savez que la plupart d’entre nous ne reviendra pas de cet endroit, que quasiment tout le plan est basé sur moi alors pourquoi vous ! …
Louis émit un léger « tss » agacé avant de répondre plus ou moins sèchement.
- Mais boucle-la un peu nom de dieu. Tu te souviens des risques et du bordel qu’on a semé à l’époque ? C’était hors de question qu’on te laisse tomber ici.
Pierre termina sa cigarette avant de la jeter par terre, il baissa la tête en rigolant légèrement, écrasant le mégot au sol.
- Ouais…
De l’autre côté de la gigantesque arène, Bélial s’était naturellement assit à même le sol, le démon observait les humains s’agiter au loin, il aurait pu désobéir, aller directement les attaquer, prendre l’initiative. Après tout, il n’était obligé de respecter aucune règle, pas même celle du top départ. Cependant, le démon n’en fit rien, il demeurait ainsi, à patienter tout tranquillement en admirant les quelques fourmis humanoïdes grouiller dans tous les sens.
Heimdall saisit son cor et prit la parole, si les humains et le démon n’avaient pas réagi le moins du monde ni fait une entrée triomphale, ils méritaient d’être présentés envers et contre tout.
- Du côté de l’humanité ! De toute origines, de toute histoires, les morts de ce que les humains appellent la grande guerre ! Le bataillon des soldats inconnus !
Bon nombre des participants à la grande bataille levèrent leurs tasses en acier cabossé pour saluer la foule et les spectateurs. Heimdall poursuivait sa présentation.
- Du côté des dieux ! Est-il réellement pertinent ou même acceptable de le qualifier comme un des nôtres ?! L’être le plus vil, le plus épris du vice que notre histoire ait connu ! Trahison, meurtre, mensonge, crime de masse, cannibalisme, tortures en tout genre ! Le démon le plus dangereux du Valhalla ! Bélial !
Les huées et cris de colère avaient surpassé de loin les acclamations et autres applaudissement. Enchanté par cette délicate attention, Bélial se leva, dans toute sa dignité et sa splendeur. Le démon à l’apparence angélique fit quelques grands gestes et révérences résultant en des huées encore plus fortes. La haine du public, la colère des dieux, la peur des humains, Bélial respirait le tout à plein poumons, il se permit même d’applaudir légèrement comme pour remercier ce qu’il considérait comme un éloge de la part de Heimdall et des acclamations de la part de la foule. Le démon fit signe au commentateur de descendre à son niveau, il voulait prendre la parole.
Zeus Depuis le haut des gradins ne put s’empêcher d’afficher un rictus dégoûté, il était lui même exubérant et un showman invétéré, mais, dans le cas de Bélial, c’était presque maladif.
- ça y’est, il commence…
Heimdall n’avait pas le luxe de refuser cette demande, le démon aurait pu le tuer depuis le sol et ce, sans même s’inquiéter des conséquences, non pas car il n’y en n’aurait pas mais seulement car ces dernières semblaient peu intéressantes. Descendant son petit véhicule, Heimdall se retrouva au niveau de Bélial qui prit simplement son cor avant de lui tapoter amicalement le sommet de la tête pour le remercier.
- Mesdames et messieurs ! Dieux et déesses, humains et humaines ! Permettez-moi de vous remercier de votre présence pour ce petit spectacle, mais permettez-moi également de remercier vos huées ! À mes chers futurs ennemis, je n’ai pas grand-chose à vous dire autre que cette fameuse expression : Que le meilleur gagne !
Déjà certains membre du public remettaient en cause leur jugement et leurs actions à l’encontre de Bélial, déjà certains soldats relâchaient légèrement leur garde, après tout ; ce démon n’avait ni l’apparence ni le comportement du monstre assoiffé de sang qu’on leur avait annoncé un petit peu plus tôt. Après un grand sourire sincère, Bélial reprit son petit discours en levant le doigt au ciel, comme frappé par une idée soudaine.
- Oh ! Excusez-moi par ailleurs ! Cette arène me semble un peu trop triste, j’ai donc une petite idée qui saura même convaincre les plus dubitatifs d’entre nous. Vous savez ce qui rend un spectacle toujours plus intéressant ? …
Sentant la foule suspendue à ses lèvres pulpeuses, le démon dans un petit sourire narquois répondit tout bas.
- C’est l’immersion.
Bélial leva le bras une nouvelle fois et claqua des doigts. L’arène entière changea d’apparence, des démons et autres monstres infernaux erraient au milieu du terrain, des centaines d’âmes torturées se faisaient attaquer et dévorer. Bélial se contentait de commenter la scène qui se déroulait sous les yeux du publique dans un certain lyrisme, comme s’il guidait un groupe de touristes au travers d’un musée.
- J’aime beaucoup les créations de l’humain nommé Jérôme Bosch ! Je me suis un peu inspiré de ses idées mais aussi du vrai Hellheim. Par exemple au loin, vous pouvez voir une paire d’oreilles géantes reliées par une flèche, elles écrasent quelques malheureux. Des flammes gigantesques dévorent le terrain, l’eau est une vraie boue noire, certains monstres difformes ont des membres qui sont des instruments de musique, profitez de leur cacophonie.
Puis, après un dernier sourire, Bélial ponctua son récit.
- Evidemment, je me suis aussi inspiré de vos créations, vous les humains ! Quelques barbelés, les masques à gaz déchirés, les cadavres estropiés et déformés tant par les shrapnels que par les mortiers ! Franchement, même en tant que démon, je ne peux que vous applaudir mes chers, dans le palmarès de l’horreur, vous êtes maîtres !
Dans les gradins, Goll serrait les poings, elle hésitait à intervenir, l’attaque de Bélial était on ne peut plus basse, ce dernier essayait déjà de ruiner le moral ennemi, en plus de ça, il était en train de se repaître de la peur qui ressurgissait au fond de quelques soldats. Au moment ou la valkyrie s’apprêtait à se lever pour protester, une nouvelle voix se leva depuis le haut de l’arène.
- Dépêche toi d’aller te battre foutu démon avant de finir là dedans !
Un énorme bidon vide s’écrasa au pieds du démon. Ce dernier releva la tête avant de sourire, l’air aussi furieux que joyeux.
- Salomon !
L’humain rit avant de faire un petit geste d’adieu, il se retira sans hésiter plus longtemps. La foule ne put se retenir, de nombreux rire se firent entendre, causant la colère du démon qui serrait les poings, non pas à cause de l’humiliation, mais parce que le son de gens joyeux et amusés lui était insupportable.
Heimdall repartit rejoindre le haut de l’arène dans son petit véhicule volant, inquiet de savoir ce que le démon aurait pu faire dans un accès de colère. Il ne fallait pas attendre et sonner le début de la bataille. Le petit dieu nordique se décida finalement.
- Que le sixième combat de ce Ragnarök… Commence !
Le démon ne bougea pas, il observa une première équipe de nombreux soldat lui foncer droit dessus en hurlant, certains tiraient, d’autres, plus décidés allait sans doute essayer de le tuer à coup de baïonnettes. Alors qu’une balle arrivait au niveau du démon ce dernier fit une simple pichenette qui renvoya cette dernière en plein cœur du soldat qui avait eu le malheur de la tirer. Déjà le sourire du démon grandissait légèrement, un premier mort, les prémices des centaines d’autres qui allaient suivre.
- Ô chers humains ! De combien d’homme est constituée votre armée ?!
Un soldat, plus téméraire que les autres rugit au moment d’essayer de planter la lame attachée au bout de son fusil dans la chair démoniaque.
- Nous sommes dix mille ! Peut-être même plus ! Et nous aurons raison de toi !
Le démon prit le canon de l’arme dans une de ses mains et le broya à la simple force de sa poigne avant de regarder le pauvre humain qui se débattait, la peur gagnant progressivement son regard.
- Eh bien vous êtes déjà tout ça moins deux !
Sur ces mots, le visage et la tête du démon se mirent à se distordre, son visage semblait fondre, sa mâchoire s’ouvrait et se disloquait progressivement dans un angle tout sauf naturel. La tête gigantesque à la bouche béante goba la tête du soldat qui tomba raide, mort sur le coup, le démon recracha quelques touffes de cheveux. Le corps inanimé encore entre les mains, Bélial fourra sa main dans les entrailles encore bouillantes, et dans un gémissement de plaisir non dissimulé serra la colonne vertébrale qu’il venait d’atteindre. Les bruits de gargouillis immondes, la force herculéenne du monstre et son plaisir non dissimulé à profaner un cadavre de la sorte avait stoppé nette la course des soldats qui venaient assaillir l’ange déchu. L’individu tira de toutes ses forces sur la colonne qu’il venait d’atteindre, balançant ses quelques mèches blondes à cause de l’à-coup, le reste du corps, un mélange de purée organique et informe retomba sur le sol mollement. Le démon admira légèrement sa trouvaille avec un air sérieux et la balança légèrement sur le côté, elle était devenue une épée entièrement blanche. Bélial sourit à nouveau et pointa sa lame en direction du groupe qui se trouvait face à lui, ses cheveux d’ors étaient déjà tâchés par le sang des hommes, bientôt sa toge blanche changerait elle aussi de couleur. Ses yeux rouges scintillaient autant que son sourire éclatait, sur un ton enjoué, il commanda à ses ennemis.
- Eh bien maintenant, allons-y !
Un simple mouvement latéral trancha l’escouade entière qui avait foncé sur le démon, les corps tombaient comme des pommes trop mûres, certains avaient perdu un bras, d’autres étaient simplement blessés. Il fallait sonner la retraite, Bélial ne les poursuivit pas, il se contenta de sourire davantage. Dans ce no man’s land nouvellement créé, au beau milieu du champ de bataille boueux ou quelques abominations venaient dévorer les cadavres encore frais, quelques bêtes poursuivaient les survivants encore en fuite. Le démon s’avança, agrippa un des monstres qui couinait de douleur et de peur sous le regard sadique du vrai monstre de ce champ de bataille ; sans hésiter plus longtemps, Bélial tua la bête de sang froid avant de soulever son grotesque cadavre, il le balança un peu plus loin.
Terrifiés, les humains ne pouvaient qu’observer ce que le démon était en train de faire, bon nombre d’entre eux tremblaient déjà.
- Bordel de merde… Affronter les boches c’était déjà quelque chose, mais au moins on les savait à peu près humains…
Plus loin, il empilait les cadavres et les morceaux, uns à uns, il croquait de temps à autres dans un morceau qu’il trouvait, jugeant nonchalamment la qualité de ce qu’il goûtait.
- Hmmm, la peau un peu trop dure pour celui là, pas assez de gras en plus de ça…
Un nouveau corps sur la pile, un petit monticule gonflait déjà, Bélial se hissa en haut de sa petite colline de chair et patienta, en paix total avec son être et ses atrocités. On pouvait le sentir en pleine réflexion, non pas pour une stratégie mais pour profiter le plus possible de ce qu’il considérait comme un joyeux événement. Le démon se murmurait à lui même
- ça serait dommage de déjà aller dans leurs tranchées, ils ont encore espoir de fuir, si je gâche ça dès le début cette chasse n’aura plus aucun plaisir. Je pourrais peut-être en violer un ou deux pendant que j’y suis… Les cadavres sont encore chauds, c’est plutôt plaisant.
Après un instant de réflexion, le démon eut un eurêka.
- Oh mieux encore, je vais m’économiser les plus beaux morceaux et je les donnerai à Asmodeus ! Il pourra me faire des trucs incroyables avec, j’ai hâte !
Il reprit, sa réflexion, un peu plus bas.
- Bon toujours est-il que maintenant ils veulent plus sortir, va falloir que je les déloge.
Bélial se releva et descendit de son perchoir, le démon prit quelques fusils qu’il planta autour de lui, une arme encore en main, un malheureux avait sorti sa tête pour voir ce que le démon préparait. Les compagnons de l’humain virent la petite gerbe de sang gicler avant que son corps s’écroule au beau milieu de la tranchée.
- Merde… Regroupez les blessés et amenez les vers l’arrière ! L’ennemi nous tire dessus !
Au moment de se retourner, le supérieur hiérarchique vit un soldat tomber sur les fesses, pointant le ciel du doigt avec un regard horrifié.
- Il attaque !
Un gigantesque cadavre de bête leur fonçait droit dessus, Bélial s’amusait à leur envoyer quelques corps, un des monstres s’écrasa aux abords d’une tranchée, le soldat s’inquiétait de savoir le monstre encore en vie, en levant la tête, ils comprirent : l’enfer leur était venu.
Du ventre de l’abomination, des têtes venaient rouler les unes après les autres, agglutinées comme des œufs de crapauds, la grappe de visages humains avait été fourrée de force à l’intérieur du cadavre de la bestiole. Certains soldats sentaient la rage les gagner tandis que d’autres vomissaient leurs entrailles à la vue du spectacle. Ils n’avaient pas le temps de réagir, un deuxième cadavre colossal leur parvenait à nouveau, hors d’eux, plusieurs hommes accouraient vers le corps de la bête pour en extirper les potentiels restes de leurs compagnons. Le plus avisé hurla.
- C’est un piège ne vous en approchez pas ! …
A peine sa phrase terminée, les soldats virent les grenades dégoupillés de leurs compagnons à l’intérieur des entrailles de la bête, l’explosion survint, la première rangée fut décimée par le choc, la deuxième brûlée par les flammes, la troisième projetée par le souffle. Les plus chanceux s’en sortaient avec seulement quelques contusions, les moins chanceux étaient morts sur le coup, criblés des fragments d’os du monstre qui avait explosé.
- Le fils de pute…
Bélial s’avançait peu à peu, rétrécissant progressivement l’écart entre lui et les humains, l’ange déchu avait apposé un casque au dessus de sa tête. Il semblait amusé, comme un enfant qui jouait à faire la guerre avec ses copains d’école.
Pierre observait de loin le massacre du monstre qu’il était censé abattre ; ses sentiments se mélangeaient dans une mixture infâme, le dégoût le gagnait, d’autres fois la colère prenait le dessus, mais le plus souvent, c’était la peur qui venait le saisir, lui comme tous les soldats. Les percées et autres assauts suicide étaient bien moins terrifiant que cette créature qui les narguait au loin. Voir les corps s’écrouler à cause des balles était devenue monnaie courante lors de cette guerre, les cadavres rongés par les vers, les plaies recouvertes de boue. L’esprit humain qui figeait des sourires et des rires abominables quand la raison les quittait, les nombreux cris qui appelaient à l’aide non pas leurs amantes mais leurs mères.
L’humain observait ses compagnons, tous aussi bouleversé que lui. Tous hochaient la tête, ce n’était pas encore le moment d’y aller, ils n’étaient pas censés affronter le démon aussi vite ; Pierre s’agitait.
- Mais putain, pourquoi suivre ce plan ! On voit bien qu’ils vont se faire massacrer, y’a aucune chance qu’on arrive à battre ce truc à la régulière.
La voix de Gunnr résonnait en lui et se réverbérait aux soldats alentours, comme un cri de guerre, comme une promesse d’espoirs.
- Chers soldats ! Vos sacrifices ne seront pas vains, chacune de ces morts est un drame, mais ayez foi ! Cette stratégie a été mise en place par ma sœur et Sun Tzu lui même ! Jamais ces derniers ne nous auront trahis ou fait faux bonds ! Levez les armes, préparez vous, que chaque drame vous rende plus forts !
Un cri résonna autour du soldat, puis se transmis comme une fièvre, l’engouement de la foule prenait le pas sur la raison des hommes, il n’était plus question de bonnes manières, plus question d’être soi même. Il fallait simplement tuer ce qui se trouvait face à eux, guérir le monde de cette peste.
Un nouveau bataillon se regroupa et fonça en hurlant à pleins poumons sur le démon, certains en brandissant des sabres, certains en essayant de lui tirer dessus. Peu importe si nos cadavres étaient projetés par les mortiers, peu importe si le démon mépriserait et souillerait nos corps et notre chair. Chaque corps qui tombait hurlait au démon toute sa rage et sa haine à son encontre. Chacun des hommes se présentait, pour que chaque poids d’un nom tombé au combat affecte le démon, qu’il s’en délecte ou non. Chaque poids des lettres de sang qui écrivaient cette sombre histoire alourdissait l’âme des survivants, l’humanité devait vaincre.
- Je m’appelle Paul !
- Bernard, fils de pute !
- Dimitri ! Crève !
- Alphonse ! Foutue charogne !
- Je suis Georges !
- Maurice !
- Emile aura raison de toi !
Pierre ne pouvait s’empêcher de sentir les larmes lui monter, aucun de ces hommes ne devait mourir, aucun de ces dix mille humains n’aurait dû répondre à cet appel, pourtant… Ils étaient, là, ils étaient venus ! La majorité ne le connaissait même pas, la plupart des soldats n’étaient même pas au courant de qui tenait le volund, peut-être était-il déjà mort, mais peu importe.
Les cris de rage et de motivation retentissaient jusqu’au tréfonds des arènes du Valhalla. Plus aucun nom n’était audible, un simple cri bestial avait retenti au plus profond des âmes humaines et divine, un simple mots eut été entendu dans cet affreuse cacophonie.
« Humains. »
Oui, ils l’étaient tous, à travers leurs joies, leurs peines, leurs désespoirs, leurs colères. Bélial massacrait ces pauvres petits noms les uns après les autres dans une joie qu’il n’essayait même pas de cacher ou de feindre, on l’entendait répondre à chaque appel par un numéro, le numéro des humains qu’il avait tué de ses propres mains, sentant leur vie doucement s’échapper de leur corps.
- Troisième ! Quatrième ! Cinquième !
Après de longues minutes, sans que la marée humaine ne semble se tarir, le démon atteignait déjà plusieurs centaines de morts, pourtant pas un seul, pas une âme, pas un soldat ne voulait faiblir. Il était Bélial, le démon de la colère, l’ange de la guerre ; personne ne connaissait effectivement ses capacités, personne ne connaissait son passé, tout ce qu’on savait, c’est que l’horreur était sa passion et que jamais on ne le pardonnerait.
Le monstre était recouvert de sang et d’entrailles en tout genre, il avait déchiré sa toge. Complètement nu, brandissant des armes de fortunes, croquant dans des soldats encore vivants, il sentait le nectar rouge lui radoucir la gorge. L’odeur ferreuse, celle des corps encore frais, Bélial criait depuis sa montagne de cadavre qui grandissait de plus en plus.
- Plus ! Plus ! Donnez m’en plus !
Bientôt la montagne se faisait si grande que les soldats se retrouvaient obligés d’escalader à mains nues les corps de leurs compagnons tombés un peu plus tôt. Certains étaient dégoûtés de voir le cadavre d’un ami, d’un frère, d’un simple inconnu. D’autres encore sentaient leur haine et leur colère les consumer d’autant plus, ce démon était responsable de toutes ces morts et pourtant, pas un brin de conscience ne semblait le tourmenter ; il se nourrissait de cadavres, il se roulait dans son propre plaisir. Ses cheveux blonds viraient peu à peu au rouge, l’hémoglobine lui collait à la peau, Bélial était recouvert de sang qui séchait peu à peu, le monstre depuis les gradins ne ressemblait plus qu’a un vague trait de rouge sur une montagne de corps gris. Un simple trait rouge qui pourtant prenait les vies de centaines de petits traits gris.
Le spectacle rendait malade plus d’un spectateur, certains dieux méprisaient encore l’humanité, mais pour eux c’était insoutenable, comment tolérer un tel spectacle, comment y assister. Et pourtant, personne n’osait quitter l’arène, tout le monde le savait, détourner les yeux des derniers instants de ces milliers d’illustres inconnus était sans doute le pire affront qu’on pouvait faire à leur courage.
Goll se mordait les doigts de toutes ses forces, la Valkyrie se balançait encore et encore, sa propre faiblesse la rendait malade, c’était elle la fautive, elle avait envoyé des milliers de pauvres malheureux à leur propre mort. Pourtant, pas un mot de ressentiment ne venait de leur bouche, pas un reproche n’avait été fait, tous avaient répondu présent, tous avaient souri au moment de rejoindre le champ de bataille.
Pierre le savait, cette guerre n’était en rien celle qu’il avait connue, elle était plus désespérée, peut-être même plus horrible encore. Pourtant, aucun soldat ne s’abandonnait au désespoir, aucun n’appelait à l’aide, aucun n’espérait fuir, tous fonçaient droit à la mort la tête haute, tous criaient leurs noms avec ferveurs, puis avec le temps… Tous criaient les rêves qu’ils avaient eu de leur vivant, qu’ils fussent concrétisés ou non, les noms étaient devenus trop légers, les espoirs frappaient davantage.
- Ouvrir une forge !
- Devenir Maréchal ferrant !
- Retrouver ma femme !
- Embrasser mes gosses !
- Boire un canon avec les copains !
- Apprendre à lire !
Bélial se contentait de hurler en retour des obscénités à chaque rêve humain.
- Bouffer ! Violer ! Jouir ! Massacrer ! Torturer ! Profaner !
En serrant le poing, Pierre se mit à hurler de toutes ses forces au loin, détruit par sa propre incapacité à tuer le démon pour l’instant.
- Te vaincre !
Bientôt, à l’unisson, tous les soldats se mirent à hurler
- Te vaincre !
Chapter 23: Né mauvais
Summary:
L'horreur de Belial parait sans limite, quel sera l'élément déclencheur qui permettra Pierre d'enfin l'affronter ?
Chapter Text
« Te battre ». Ces mots hurlés par des milliers d’hommes avaient résonné du cœur de l’arène aux extrémités du Valhalla ; comme un seul homme affrontant l’horreur de ce monde et sa cruelle indifférence, la pléthore de soldat grimpait ce mont de cadavres pour tuer ladite horreur. L’Homme n’était pas seul à affronter un univers glacial, l’Homme était multiple et entrait en collision contre l’incarnation de violence et de rage la plus crasse possible.
Dans la mare de sang qui coagulait et commençait à s’accrocher aux bottes, les soldats entendaient et sentaient les cadavres et leurs membres craquer, se déchirer sous le poids qui se faisait toujours plus lourd ; combien étaient morts, et combien allaient mourir à nouveau ?
Au sommet de ce monument funèbre Bélial demeurait, ange de malheur. Peu à peu le démon, trempé et noyé dans le plaisir et l’excitation laissait libre cours à ce qui était censé être sa vraie nature, sa vraie apparence. Dans d’affreux déchirement, sa peau encore maculée de sang semblait s’ouvrir au niveau du dos, peu à peu deux petits bubons de chair venaient percer sa chair, il s’en fichait, même en réalité cette douleur lui était un énième plaisir. Au bout d’un certain temps, des ailes commençaient à se déployer, maculées de de petits lambeaux sanguinolents. Le démon était de plus en plus brutal et violent avec chaque futur cadavre, de temps à autres on entendait hurler en contrebas.
- Plaquez votre corps contre les parois !
Bélial dans son massacre projetait et envoyait voler morceaux de corps après morceaux de corps ; certains soldats encore en train d’escalader la montagne de chair recevaient divers organes et autres membres les gênant dans leur ascension. Certains d’entre eux, les moins chanceux voyaient cette escalade se terminer brutalement après avoir reçu un fragment de thorax en plein visage. Le dégoût se ressentait sur le visage de chaque humain qui devait se plaquer contre les restes empilés de ses compagnons, au fur et à mesure de cette course aussi insensée qu’infernale, tout devenait plus compliqué. Les corps étaient de plus en plus ensanglantés, s’accrocher devenait difficile, chaque prise poissait, au début il s’agissait de corps entiers, au fur et à mesure du temps, un morceau de main, une jambe dépassant légèrement devenaient les seuls moyens d’arriver au sommet.
Il était de plus en plus difficile de différencier les soldats humains du démon qui se trouvait face à eux, tous arrivaient couverts de sang, de morceaux d’entrailles, la seule chose encore discernable chez eux, était leurs yeux. L’éclair dans le regard des nombreux ennemis du démon se faisait de plus en plus terrifiant, les sourcils arqués étaient prêts à déchirer le visage de chaque figure ; même la face recouverte de boue noire et de sang bruni était incapable de l’éteindre, ce feu, ce feu de haine et de détermination. Tout brûlait en eux, leur cœur, leur colère, leur désir de venir à bout de ce monstre ; leurs orbites plongées au fond de leurs visages brillaient comme des braseros, à peine une torche semblait s’éteindre qu’un nouveau combattant saisissait à pleines mains les flammes, quitte à se brûler lui même.
En contrebas, les encore milliers de soldats restant discutaient, certains même se bousculaient pour escalader cette montagne le plus vite possible, sachant pertinemment que cette ascension serait le dernière. Marcel, à côté de Pierre était assis sur une roche en admirant le ciel obscurcit par la montagne qui ne cessait de croître et par les vapeurs sanguines qui venaient rougir le paysage, l’air était lourd, l’atmosphère devenait petit à petit irrespirable, l’homme posa les yeux sur son ami.
- Tu sais, après la grande guerre, y’en a eu une autre Pierre.
- Ouais… Je sais, c’est comme si on était morts pour rien.
- Je ne suis pas d’accord.
Le moustachu avait rétorqué fermement, après avoir retourné ses yeux vers la montagne ; il continua son discours.
- Chacune de ces vies est précieuse, et pendant la deuxième guerre, l’humain a fait encore plus d’horreurs que lors de la première. Mais tu vois ; y’a eu des gens qui en cachaient d’autres dans leurs greniers. Y’en a qui se moquaient de l’autorité, y’a eu plus d’insubordonnés qu’on n’en a jamais eu pendant notre guerre. Pour de plus en plus de gens, l’humain primait sur les ordres.
Au bout milieu des cadavres, des corps qui étaient éjectés, les deux amis côte à côte continuaient leur discussion, peut-être pour mieux exprimer leur volonté, peut-être pour pouvoir faire abstraction du cauchemar dans le quel ils allaient sans doute mourir. Remettant une nouvelle cigarette entre ses lèvres, Marcel poursuivit son récit.
- Enfin bref, tu vois… Y’a eu des héros, des gamins qui ne devaient pas mourir non plus, certains de quinze ans, parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec toute cette merde. Y’a eu des Allemands qui étaient contre leurs régimes, y’en a eu qu’on essayé envers et contre tout de sauver le plus de monde possible.
Pierre admirait les corps s’entasser les uns après les autres, il observait attentivement chaque petit détail des visages endoloris, encore pris par la haine et la colère. Certains semblaient plus apaisés que d’autres, comme si leur dernière volonté avait été reconnue, comme si ce sacrifice n’était pas vain. Le soldat sentait ses mains trembler, sa mâchoire se serrer à chaque bruit lourd d’un corps qui s’écroulait au sol. Il pria son ami de poursuivre, tout en admirant le triste spectacle qui se produisait un peu plus loin ; les yeux capturés par la marre de sang qui voyait parfois quelques dents, quelques yeux flotter comme des pathétiques petit bateaux emportés par le courant qu’était la folie de ce massacre.
- Et donc Marcel, qu’est ce que t’essaies de me dire ?
L’autre sourit un peu tristement en inspirant la fumée de sa cigarette.
- Tu vois, même si les connards de là haut te traitaient de sale nègre. Même si on s’est fait fusiller pour mutinerie et trahison. Je ne t’ai jamais considéré comme autre chose qu’un ami, et tu sais pourquoi ?
Pierre secoua la tête, reposant son regard sur Marcel.
- Parce que quand dans la marseillaise ils gueulaient « aux armes citoyens » tu avais le fusil entre les mains comme nous tous. Tu sais, y’a un couplet pour les enfants, et je trouve horrible de faire chanter ça à des gosses ; le couplet dit qu’ils retrouverons les restes de leurs aînés et qu’ils n’auront aucune hésitation de les venger ou de les suivre. C’est ce qu’on fait contre ce monstre, mais moi je ne veux pas que des gosses me vengent. Je ne veux pas non plus qu’ils me suivent.
Pierre observa un peu plus longtemps Marcel qui tremblotait en retirant sa cigarette de la bouche, le bourru leva la main au visage, épongea légèrement la sueur sur son front et discrètement les larmes qui lui venaient aux yeux. Marcel avait dû abandonner ses enfants peu avant la guerre, un de ses fils était mort lors du conflit suivant, laissant à son tour un orphelin.
- Nous venger ou nous suivre… Bougres de cons… Pourquoi faire ? Vous pensez que vos parents vous élèvent pour crever peut-être ?
Il soupira légèrement avant de reprendre ses esprits et de calmer sa voix chevrotante, posant une main sur l’épaule de Pierre.
- Plus tard ils ont fait une chanson pendant la deuxième guerre, dedans ils chantaient « ami si tu tombes, un ami, sort de l’ombre à ta place ». Il n’est pas question de nous venger, de mourir, de nous suivre, seulement de terminer un combat qui en vaut la peine… J’aurais aimé que cette chanson devienne notre hymne national.
Pierre écoutait son ami, attentivement, jamais le plus âgé des deux hommes avait été aussi loquace, on lui savait seulement deux fils, une femme un peu plus jeune que lui et sa volonté à toujours laisser les plus jeunes derrière lui pour partir à leur place.
- Bref, quoi qu’ils en disent, peu importe le drapeau au final. On est humains et c’est ce qui compte, ce combat, si je pars… Termine-le pour moi, pour que jamais nos enfants aient à le vivre à nouveau.
L’homme se releva et jeta sa cigarette presque terminée, il fit quelques pas en direction de la montagne de corps, admira quelques temps le paysage, le sang qui coulait et se mélangeait petit à petit, perlant d’un appendice à un autre. Pierre observait cette silhouette sans rien dire, il ne pouvait rien dire ; sa voix était trop engorgée de larmes pour ne serait-ce que demander à Marcel d’y réfléchir. De toute manière, ces hommes avaient signé ce retour, ils étaient obligés d’y aller, ils le savaient. Le devoir l’emportait sur leurs sentiments, et cette fois ci, ils savaient la cause de cette guerre juste. Après quelques instants, Marcel se retourna une dernière fois pour regarder Pierre et rigoler un bon coup, son torse se levant à chacun de ses esclaffements ; il prit son paquet de cigarettes et les envoya à son acolyte.
- Tiens, si tu ne sais pas quoi faire d’autre que me regarder avec un air de merlan crevé, tu peux bien garder mes clopes jusqu’à ce que je revienne !
Pierre claqua de la langue et émit un léger « tsss » amusé en observant son aîné blaguer avec un air si détendu. Marcel se retourna et de commencer à escalader le mur de corps. La seule réponse que le soldat entendit fut la suivante :
- Si tu ne reviens pas dans l’heure tu retrouveras le paquet vide !
Marcel ne reviendra jamais. Il était monté tout en haut, avait hurlé son nom et ses rêves comme chaque homme avant lui, et il est mort anonymement, dans une violence sans égale, comme chaque homme avant lui. Marcel était un soldat inconnu, comme des centaines de milliers d’autres ; une dizaine de milliers seulement était présente durant cet affrontement, et pourtant, chaque vie qui s’éteignait sous les yeux de la foule devenait plus insupportable.
Pierre prit une des cigarettes du paquet de son ami et l’alluma, la main tremblante, ses dents grinçaient, il avait un mal fou à utiliser son briquet, Gunnr apparu à ses côtés pour prendre le briquet et allumer. Pierre la remercia d’un hochement de tête.
- Tes runes ne sont toujours pas activées ? J’en peux plus, je veux y aller, je m’en fous de crever, je vais devenir fou à force d’attendre. Après Marcel ça sera qui ? Louis, André ? Oh et puis on s’en fout en fait, peu importe qui c’est, ils vont encore y aller et crever pour rien c’est ça ?
Gunnr hocha négativement la tête, l’air triste et abattu, la valkyrie peinait à retenir son émotion et répondit dans quelques tremblotements de voix.
- Non, mes runes ne se sont toujours pas activées Pierre… On ne peut qu’attendre encore un peu plus longtemps, c’est le plan de ma sœur…
L’humain enrageait, il se mordait le poing frénétiquement, assit les jambes écartées, ces dernières ne s’arrêtaient pas de trembler par l’angoisse et les milliers d’émotions et de pensées qui venaient dévorer son esprit. Attendre, encore, il ne faisait que ça, il ne faisait qu’admirer chaque mort qui survenait à cause de son inutilité, si seulement il pouvait y aller, quitte à en mourir, tant pis, le combat serait terminé et ses amis survivraient. Au fond il le savait, il ne devait pas y aller, jamais il n’aurait été pardonné, jamais il n’aurait pu accepter de laisser ces milliers de vies sacrifiées partir en vain, alors Pierre attendait, inlassablement. De temps en temps il sentait quelques vêtements bruisser contre lui, voyait des silhouettes se diriger elles aussi droit dans la gueule béante de l’enfer. Le gigantesque cairn de cadavre menaçait petit à petit de s’écrouler, le sang qui ruisselait, les corps qui s’écrasaient sous le poids toujours plus lourd, la structure bancale de la création ; le mélange de raisons aussi diverse que variées força une chute vertigineuse. Certains survécurent, d’autres non, soit écrasés sous les centaines de cadavres, soit morts d’une chute libre bien trop haute. Au beau milieu de la montagne devenue une mer de morts, une paire d’ailes éclot comme une fleur printanière, Bélial avait bien évidemment survécu, il s’amusait comme un fou. Le démon semblait presque prêt à faire un ange de neige dans le sang et les restes humains.
Bien que les soldats connaissaient la position de l’ennemi et voyaient ce dernier immobile au milieu de cette vision d’horreur, aucun n’osa bouger. Bélial était trop occupé à profiter de ce qu’il était en train de vivre en ce moment, le démon avait fermé les yeux, il jouissait le plus possible de chaque petit instant en ce lieu. Le bruit du sang qui ruisselait et perlait de quelques restes inanimés, le goût de la chair tendre qui venait se déchirer entre ses dents, c’était un véritable paradis pour le plus violent et fou des démons. L’ange déchu, toujours étendu entre les centaines de morts, sentait les caresses que les peaux encore tièdes venaient apposer sur la sienne. Chaque gouttelette le faisait frémir, dans cette félicité que jamais il n’aurait pu espérer un jour, il était presque sur le point de s’endormir dans le plus grand des bonheurs. L’odeur de la mort, les quelques réflexes cadavériques qui faisait doucement frémir quelques appendices mal dévorés, le démon souillé et maculé de tant d’entrailles et autres boyaux se releva. Aucun soldat ne daignait bouger en sa présence, tous attendaient une seule chose, qu’il se décide à recommencer son massacre pour foncer l’affronter.
Le corps parfaitement sculpté, la divinité passa sa main dans ses cheveux blonds trempés et rougis par le liquide vital de ses ennemis, sa respiration faisait hausser et baisser sa poitrine. Personne ne semblait prêt à l’avouer ou le reconnaître, mais cette figure et cette scène pouvait s’apparenter à une peinture, et plus la laideur de l’âme du démon venait frapper et hurler sur chaque personne qui posait les yeux sur ce dernier, plus la beauté macabre de cette scène venait sauter aux yeux. Bélial était aussi beau qu’il était laid, et le démon comptait devenir encore plus beau à l’issue de ce massacre.
Heimdall qui avait d’ores et déjà abandonné l’idée de commenter le combat précédent s’était retrouvé incapable de commenter ce combat là également. Si lors du cinquième round, décrire les deux êtres d’amour qu’étaient Hastur et Saint Germain était chose impossible et taboue ; commenter le sixième combat était tout bonnement hors de question. Jamais Heimdall ou quiconque n’aurait pu se résoudre à poser des mots sur un tel massacre et de tels horreurs. Ainsi, ni le dieu nordique, ni les spectateurs de l’arène n’osaient élever la voix ni hausser le ton, ils se contentaient d’observer totalement impuissants l’étrange et terrible spectacle qui se produisait en contrebas. Seul les dieux grecs arrivaient encore à parler et commenter le combat tant bien que mal ; Ares se mordait les lèvres.
- Je sais que les humains sont censés être nos adversaires, mais je suis bien obligé de le reconnaître… J’aurais préféré tuer ce monstre tant qu’il en était encore temps.
Hermès se voulait compatissant, le frère du dieu de la guerre fit une légère moue avant de répliquer.
- Très cher frère, tu as toujours été très respectueux des règles, tu n’as pas fait une erreur en décidant d’amener Bélial à la justice des dieux. Le tort vient de son âme profondément pourrie…
Le plus vieux du groupe se contenta d’observer ses deux fils converser, l’air amer. Depuis la mort d’Hadès, Bélial était devenu incontrôlable, le dieu des enfers était le seul à avoir réussi à tenir l’ange de la mort en respect, et ce dernier avait quitté le Valhalla il y a plus d’un millénaire désormais. Zeus se retourna vers un nouvel interlocuteur, un dieu à l’air renfrogné, les cheveux noirs en bataille devant les yeux.
- Beelzebuth, comment se fait-il que Bélial soit devenu encore plus fort, nous cacherais-tu à nouveau quelque chose ? Encore une de tes expériences tordues ?
Le nouveau dieu des enfers resta muet quelques instants avant de poser ses yeux noirs sur le vieillard, l’air toujours aussi calme, Beelzebuth répondit.
- Je n’ai jamais vu Bélial moi même, je me contentais de laisser ce dernier errer à Helheim tant qu’il était sage.
Le dieu grec fronça quelque peu les sourcils avant d’à nouveau questionner le plus jeune.
- Alors explique-nous, pourquoi ce diable est devenu encore plus fort, et pourquoi n’a-t-il pas été tué ?
- Le laisser errer en Helheim régule fortement la présence d’autres démons… Le tuer serait encore plus dangereux que le laisser en vie. Pour sa nouvelle force ; je pense que c’est du fait de mon apprenti...
Zeus écarquilla légèrement les yeux en haussant les sourcils.
- Et tu vas me dire que Asmodeus est capable de rendre quelqu’un aussi fort ? De faire de telles expériences ?
Beelzebuth ne répondit pas, il savait que Zeus avait déjà trouvé les réponses à ses questions, il n’y avait rien besoin d’ajouter ou d’expliquer, le démon se contenta de poser une pile de documents sur une table.
- La liste des rapports.
Hermès s’approcha de cette dernière et saisit les nombreuses pages, les feuilletant petit à petit. Ces dernières contenaient bon nombre d’informations, de la petite enfance du démon à ses dernières frasques au beau milieu d’Helheim.
Entrée n°1 du rapport :
Bélial est né de deux anges parfaitement respectables. Son père est un législateur d’une des capitales du Valhalla, sa mère quant à elle est une simple marchande appréciée du quartier. L’enfant ne représente et ne montre aucun signe d’excentricité malgré quelques premiers jours tumultueux, le bébé semble pleurer sans cesse, parfois sans raison.
Entrée n°2 du rapport :
Bélial s’avère être un bébé difficile, il pleure beaucoup, trop pour que ça soit normal. Il semblerait parfois presque qu’il y éprouve du plaisir, en effet, il émet des rires amusés après que ses parents s’exaspèrent ou se frustrent de ne pas réussir à le faire taire. Pour l’instant, même si la situation s’avère étrange, elle n’est pas alarmante pour autant.
Entrée n°3 du rapport :
Mystérieusement et sans pouvoir l’expliquer, Bélial ne pleure plus. Quoi qu’il arrive, l’enfant refuse d’émettre quelconque bruit dérangeant. Aucun de ses parents ne semble avoir eu d’action spécifique à son encontre, il semblerait presque que l’enfant se soit rendu compte que son comportement était agaçant et épuisant. Le bébé continue sa vie naturellement, s’agite lorsqu’il a faim ou soif, c’est à peu près tout.
Entrée n°4 du rapport :
Ses premiers pas ! L’enfant semble particulièrement agité et énergique, outre ça, ce dernier semble s’adonner au mêmes occupations que les autres gamins de son âge, il joue, gazouille, émet quelques bruits étranges de temps à autres. Tout le monde semble s’extasier sur la beauté que ce petit incarne, ses grands yeux bleus, ses petites boucles blondes, on dirait le bébé parfait.
Entrée n°5 du rapport :
Un incident est survenu, le cas du petit est à surveiller. En jouant il est tombé et s’est écorché une main, n’importe quel gamin aurait pleuré mais pas lui, il est resté parfaitement calme et stoïque, même fasciné par la vue de son propre sang coulant de ses petites mains. Jusque là, ces réactions sont possibles, cependant, Bélial s’est mis à lécher la blessure pendant plusieurs heures, comme si ce dernier espérait que le sang ne s’arrêterait jamais de couler, ses parents ont dû l’empêcher d’avoir accès à sa main en le voyant lécher au point de s’abîmer la peau tout autour. Peut-être ces derniers étaient trop choqués, mais ils m’ont rapporté avoir eu l’impression que ses yeux étaient devenus rouges
Entrée n°6 du rapport :
Ses premiers jours d’école sont arrivés, aucun accident notoire semble être survenu depuis le précédent, il semblerait que Bélial ait retenu sa leçon et ait compris que son comportement était autodestructeur. Pour l’instant rien de notable ne semble s’être produit, joueur, sociable, attentif en classe, il semble très clairement être l’élève parfait, apprécié de ses camarades et de ses professeurs.
Entrée n°7 du rapport :
Un vulgaire accrochage est survenu, rien de plus normal entre gosses, Bélial aurait mis un coup de poing à un autre enfant qui s’amusait à le pousser sans raison apparente, cependant, un détail reste perturbant. Bélial a attendu qu’un professeur le voit se faire pousser avant de frapper l’autre enfant qui le poussait depuis un bout de temps déjà. Peut-être espérait-il que le professeur serait de son côté, cet aspect calculateur est quelque peu inquiétant.
Entrée n°8 du rapport :
Quelques années sont passées, aucun incident n’est survenu, Bélial a entreprit quelques collections et autres recherches, ce dernier semble être passionné par l’histoire humaine et surtout les guerres en général, il semblerait que l’armée soit un cadre qui l’intéresse énormément, peut-être y songe-t-il pour son avenir.
Entrée n°9 du rapport :
Bélial a effectué ses premières classe immédiatement après avoir empoché son diplôme, sa passion pour l’histoire humaine et les manœuvres militaire semble ne s’être tarie pour rien au monde ; nous espérons cependant que ce dernier appréciera l’armée pour ses valeurs plus que pour les guerres qui peuvent survenir.
Entrée n°10 du rapport :
Certaines discussion entre Bélial et ses compagnons semblent avoir laissé quelques séquelles sur ces derniers, le jeune homme aurait plusieurs fois annoncé être curieux sur des aspects plutôt immoraux, notamment des idées cannibales ou anthropophages.
Entrée n°11 du rapport :
Un intrus s’est infiltré sur le champ de la garde, conformément au protocole, ce dernier n’ayant pas respecté ou écouté les avertissements des gardes ont été abattu sur le champ et confié à la morgue. Bélial y a passé quelques jours, très curieux, même trop curieux. Les médecins lui ont interdit l’accès à la chambre mortuaire après un certain incident. Le soldat aurait en effet léché les plaies du cadavre et aurait arraché un lambeau de chair pour le conserver ; les médecins l’ont surpris torse nu face au cadavre, ses mains caressant ses restes.
Entrée n°12 du rapport :
Il est déjà trop tard. La guerre a été déclarée contre certains monstres d’Helheim, Bélial a suivi le seigneur Ares pour mener à bien cette guerre. Si seulement les analyses et observations étaient parvenues plus tôt, par acquis de conscience, les médecins ont observé le cadavre, puis ont décidé de pousser les analyses, ces derniers y ont trouvé des traces de semence, celle de Bélial, cet individu est dangereux et n’a aucune morale. Sa personnalité est calculatrice, fausse, il a passé des années entières à chercher un moyen d’assouvir ses plus sombres désirs.
Entrée n°13 du rapport :
Le jugement de Bélial fut sans appel. Pour acte de barbarie, nécrophilie, cannibalisme, barbarisme et crime de guerre, l’ange est déchu est désormais considéré comme un démon. Le coupable a accepté sa sentence parfaitement naturellement, avec grand calme. Dès aujourd’hui, Bélial est banni du Valhalla et est envoyé en Helheim ou il errera livrer à lui-même face au bêtes et autres monstres.
Beelzebuth observa quelques instants Hermès qui lisait chaque rapport à haute voix. Le démon attendait les conclusions de ses interlocuteurs, Ares ouvrit la bouche le premier.
- C’est difficile à croire mais… Bélial est définitivement né mauvais.
Le démon hocha la tête
- Précisément, et encore, aucun rapport n’atteste de ce qu’il a pu commettre en Helheim au moment de rencontrer Asmodeus, mais des quelques résultats et surtout, l’état des endroits ou ces derniers ont posé les pieds… Depuis qu’il peut donner libre court à ses pulsions, tout est répugnant.
Beelzebuth était loquace, étrangement loquace ; pour sortir le scientifique dérangé de son mutisme de cette manière, il fallait faire forte impression, et c’était précisément ce que l’ange déchu avait réussi à accomplir. La terre des enfers était souillée par la présence du démon, ce dernier dévorait les bêtes encore vivante, souillait les lieux en y répandant ses fluides et autres déjections. Aucune souillure ne semblait suffisante pour le satisfaire, les entrailles encore chaudes ne lui suffisaient plus, les tortures ne l’affectaient plus. La seule chose que le démon espérait, la seule chose dont le démon rêvait, c’était de massacrer à tour de bras tout ce qui se trouvait sur son passage, et si possible, le plus de monde possible. La seule défaite que le démon subit était lorsque des humains l’avaient invoqué et sorti de force du tréfonds des enfers, un roi humain l’avait emprisonné durant de longues années, offrant enfin un peu de paix et de repos pour tout le monde.
Au milieu de l’arène, debout, ses ailes parfaitement déployées, Bélial observait ses adversaires, impatient d’en dévorer d’autres.
Chapter 24: Les crocodiles.
Summary:
Le combat se poursuit ! Quelle est la raison ayant mené au choix de Pierre Ndiaye en tant que combattant ?
Chapter Text
Les soldats ne pouvaient qu’observer la mort qui se tenait debout face à eux. Bélial chantonnait en humant le doux parfum de la mort, l’ange, complètement nu s’amusait à comparer les cadavres entre eux. Après quelques instants de comparaison, l’ange s’abaissait pour saisir des restes et autres carcasse avant de les balancer derrière lui, créant deux piles distinctes. À chaque lancer et chaque corps qui s’écrasait dans un bruit lourd, on pouvait entendre le démon se dire à voix haute
- Baiser. Bouffer. Baiser. Baiser. Bouffer. Bouffer. Bouffer.
Il effectuait un tri, pour commettre encore plus d’abominations, l’idée même de perdre lui était déjà incohérente et impossible en soit, tout ce qui l’intéressait, c’était comment s’amuser et profiter de ces cadavres encore tièdes.
Aucun soldat n’avait pu interrompre le démon, la colère s’emparait d’eux et pourtant leurs jambes étaient sciées ; étaient-ils paralysés par la peur ? Pas le moins du monde. La raison qui clouait ces milliers de combattants au sol, c’était un mélange de stupeur et de haine pure, aucun ne semblait comprendre et encore moins accepter ce qui était en train de se passer. Déjà plusieurs milliers de soldats étaient morts, ils le savaient, ces sacrifices étaient nécessaires, la vraie horreur de la situation, c’était la manière dont étaient traités les corps.
Aucun n’attaquait Bélial, car tous le savaient, ils rateraient leurs tirs, leurs fusils échapperaient leurs mains. La colère et le dégoût profond que leur inspirait le démon leur faisait perdre raison, tous étaient pris de tremblements, autant de rage envers le démon que de colère envers leur propre impuissance. Si seulement ces combattants pouvaient déjà avoir raison de cette maudite créature, si seulement la valkyrie pouvait se manifester dès le début pour leur amener la victoire. Debout plus loin, Pierre était en train d’aiguiser sa baïonnette. Le visage d’ordinaire serein et joyeux du combattant avait laissé place à une expression morne, bloquée et figée entre la tristesse et la colère. Chaque léger frottement contre la pierre à aiguiser lui valait un léger grognement, il contemplait la lame, et tout ce qu’il voyait c’était un reflet ; le reflet d’un être inutile et rongé par son désir de massacrer le démon. Jamais ils n’avaient discuté, pas même ils n’avaient échangé quelques mots, mais il s’en fichait, tout ce qui comptait, c’était de rapporter sa tête. Quand l’humain n’aiguisait pas son attirail, il révisait chaque partie de son équipement, il réajustait son casque, recousait quelques poches de son manteau, comptait ses balles, démontait et remontait son fusil, encore et encore.
Gunnr, préoccupée et inquiète de la santé mentale de son partenaire s’approcha légèrement pour entamer la conversation.
- Pierre, tout va bien ?
- trente deux balles, la culasse grince encore, j’ai donc trois chargeurs. On en avait plus à la base pendant la grande guerre, mais on ne devait pas tuer une seule créature, on devait tuer des milliers de soldats. Le fusil fait presque ma taille si on y attache la baïonnette, personnellement ça me gêne, donc je préfère la garder attachée à ma cuisse et la mettre au bout du canon au moment d’attaquer. Nos fusils étaient moins bons que ceux des Allemands, on avait le Lebel, tu savais qu’on avait même donné un nom à la baïonnette ? Elle s’appelait Rosalie, y’avait des chansons dessus. Quand on actionne la culasse après avoir tiré une fois faut bien faire gaffe à ce que la douille saute. Le mécanisme est rudimentaire, mais parfois c’est pour le mieux.
La valkyrie observait et écoutait chaque explication du soldat avec attention, elle se doutait que ce dernier ne lui expliquait pas le fonctionnement de son arme par gaieté de cœur, c’était un moyen pour lui de se calmer.
- On pouvait tirer au coup par coup ou à répétition. Je préfère le coup par coup mais quand on nous fonçait à plusieurs centaines dessus on n’avait pas le choix, pas besoin de viser, on avait juste besoin de tirer, c’est tout, ça toucherait forcément. De toute façon on envoyait les gens droit à leur mort. Et quand j’y pense peu importe le fusil qu’on te filait, c’était pareil. Que t’aies des Geweher, des Mauser, que tu te fasses faucher par des Bergmann ou explosé par des obus j’ai envie de dire on s’en fout, le résultat était le même.
La valkyrie ne put se résoudre à hausser la voix ou à le déranger à nouveau, Gunnr se contenta de s’approcher derrière l’humain pour doucement le saisir dans ses bras et l’enlacer. Pierre grinçait des dents, il jouait avec la culasse de son fusil, l’actionnait et la désarmait, encore et encore en grinçant des dents ; à chaque armement, il donnait le nom d’une nouvelle arme.
C’était le seul moyen que l’humain avait trouvé pour garder son calme, le seul moyen qu’il avait trouvé pour s’apaiser. Il aurait encore pu demander s’il allait bientôt se battre, s’il avait suffisamment attendu. À quoi bon cet affrontement allait-il servir de toute manière, même plus d’un millénaire après la mort de Pierre, l’humanité ne s’était pas améliorée, en réalité, même sans ça, quelques années à peine après sa mort et la fin de sa guerre, tout recommençait. Pourquoi se battaient-ils, pourquoi avaient-ils gardé espoir ? L’humanité n’allait pas s’améliorer de toute manière, tous ces sacrifices, toutes ces morts, rien ne changerait, les avancées et autres moyens que les dieux donneraient à l’humanité ne serviraient qu’à une chose, nuire à son prochain.
Pierre grommelait, ce dernier avait commencé à répéter des noms d’armes, il avait écoulé son stock de connaissances. Désormais il se contentait de murmurer des mots incompréhensibles en patientant.
- Ils nous envoient crever pour de l’argent, ils nous colonisent, ils nous traitent comme de la merde, on est de la chair à canon. Après être morts comme des chiens, de la main d’un pauvre gamin aussi désespéré que nous, qu’est ce qui avance hein ? Rien du tout, ce gamin il est peut-être mort juste après, lui aussi on l’a gavé de nobles idéaux. Défends ta patrie, protège ta famille, c’est pour tes enfants que tu fais ça. Et après ? On arrivait à nous faire croire n’importe quoi, comme si les mecs de l’autre côté du Rhin allaient manger des enfants, comme si c’était des ogres. Quand c’était les fêtes de fin d’année on jouait au foot, les gens rigolaient en voyant que j’avais la peau noire parce que ce n’était pas courant. Et après ? On s’en foutait, on était dans nos tranchées comme des cons à se partager des gouttes d’eaux pour pas crever de soif ; on foutait des asticots sur les membres arrachés de nos potes pour qu’ils bouffent la chair pourrie, comme ça qui sait, ils survivraient quelques heures de plus. On voyait la neige nous tomber dessus, on espérait que ça ferait disparaître le noir de la boue, le rouge du sang ; c’était la première fois de ma vie que je voyais de la neige cet hiver là. Qu’est ce que j’aurais aimé découvrir cette neige dans d’autres circonstances, c’est beau un flocon, c’est fragile, ça casse à ton contact. Les mecs là haut traitaient les humains comme de la boue alors qu’on est bien plus proches des flocons, une seule balle ça nous tue, mais ils nous envoyaient nous éclater les uns contre les autres ; si seulement on se tirait dessus à coup de boules de neige. Ces connards de supérieurs, eux la neige ils ne la voyaient pas, ils ne nous sentaient pas grelotter, ils ne nous voyaient pas nous serrer les uns contre les autres, ils n’entendaient pas nos dents claquer de peur ou de froid. Ils n’étaient même pas capables de crever pour leurs enfants, pourquoi espérer qu’ils nous comprennent quand on disait être prêts à crever pour des mecs qu’on connaissait depuis quelques semaines à peine. Ils étaient dans leurs jolies tours d’ivoire, et moi j’étais là, comme un connard de noir. Mais je m’en foutais, avec la boue sur la gueule on était tous noirs là dedans, tous sauf eux. Ils avaient encore leurs joues toutes roses ces porcelets. Ils s’engraissaient de nos morts, les industries de l’armement, si seulement on les avait bombardées ces usines là.
Gunnr poursuivait son étreinte, elle serrait ses bras de plus en plus fort, espérant que le guerrier sortirait de cette colère, qu’il regagnerait son esprit, qu’il se calmerait enfin. Après quelques secondes, elle se mit à fredonner un air doux, la seule comptine qui lui vint en tête. La voix de la guerrière semblait étonnamment douce, comme celle d’une mère.
- Un crocodile, s’en allant à la guerre... Disait au revoir à ses petits enfants... Traînant ses pieds, ses pieds dans la poussière… Il s’en allait combattre les éléphants… Ah les crocrocro, les crocrocro, les crocodiles ! Sur les bords du Nil, ils sont partis n’en parlons plus !
Au fur et à mesure, après les maintes répétitions, Pierre ferma les yeux, fredonnant l’air à son tour. Quelques secondes après, il se mit à chanter lui aussi. Quelques instants encore plus tard, l’humain se releva en chantant à son tour, sa valkyrie avait à nouveau disparue, il avait retrouvé son calme, et chantait.
- Ah les crocrocro, les crocrocro, les crocodiles, sur les bords du Nil, ils sont partis n’en parlons plus !
Au début, les soldats l’observaient avec surprise, se demandant si le combattant avait perdu la raison, puis ils comprirent, ils étaient ces crocodiles, ils étaient partis sur le bord du Nil, jamais plus nous ne parlerions d’eux. Tandis que Pierre chantait, André s’approcha pour poursuivre la chanson, fusil en main.
- Ils fredonnaient une marche militaire ! Dont il mâchait les mots à grosses dents ! Quand il ouvrait la gueule tout entière ! On croyait voir ses ennemis dedans.
Puis une dizaine de soldat se levait son tour avant de chanter le refrain à l’unisson.
- Ah les crocrocro ! Les crocrocro ! Les crocodiles ! Sur le bord du Nil ils sont partis n’en parlons plus !
Après quelques instant, la voix de Louis s’ajouta à celle de ses amis.
- Un éléphant parut et sur la terre, se prépara ce combat de géant ! Mais près de là, coulait une rivière, le crocodile s’y jeta subitement !
Puis un bataillon entier se mit à chanter le refrain à son tour.
- Ah les crocrocro ! Les crocrocro ! Les crocodiles ! Sur les bords du Nil ils sont partis n’en parlons plus !
Chacun avançait, chaque pas résonnait en rythme avec la comptine. L’étrange rire, les mots répétitifs de Bélial commençaient à se faire engloutir par ce chant à l’unisson. Bientôt ce n’était plus un bataillon qui chantait, mais un régiment. Après le régiment, ce fut le tour de l’armée toute entière. Et après quelques instant, le démon, se retourna, il le réalisa, le public chantait lui aussi, aussi bien les humains que les dieux. Les pas résonnaient et claquaient à chaque fois que le refrain renaissait, la mélodie était incessante, le flux de guerriers la suivra.
- Ah les crocrocro ! Les crocrocro ! Les crocodiles ! Sur les bords du Nil ils sont partis n’en parlons plus !
Le démon sentait la colère l’envahir, ses ennemis osaient chanter ? Malgré toute cette horreur, malgré toute cette colère, malgré la haine, malgré la peur ; ils chantaient. L’humain n’est pas censé fonctionner ainsi, l’humain n’est pas censé réagir ainsi. Ils auraient du devenir fous, ils auraient du être terrorisés, prier les dieux, appeler leurs mères, renier leur fierté, et ces fous… Ces fous marchaient, ils marchaient en chantant en chœur une comptine pour des vulgaires bambins ? Plus aucun combattant n’affichait un visage tordu de douleur ou de colère, plus aucun soldat ne semblait inquiet. Ils s’avançaient à tour de rôle près du démon, ils attaqueraient à nouveau, et ils gagneraient certainement. De rage, Bélial se surprit lui même à sortir de ses gonds.
- Et vous osez de dire que c’est moi le fou ?! Mais regardez vous ! Vulgaires vermisseaux ! Vous chantez ! La mort vous appelle, la mort vous provoque, je profane vos cadavres, je bouffe vos corps et je viole vos entrailles et tout ce que vous trouvez à faire c’est… De chanter ?!
Hors de lui, le démon se jeta sur les premières lignes de soldat, son massacre commençait à nouveau, cette fois ci Bélial se fichait de s’amuser, il ne rigolait plus, il ne s’amusait plus, ce massacre était ridicule. Il arrachait les membres de ses ennemis en hurlant, il les mordait et grognait comme un animal qui avait perdu la raison, l’armée se contentait de continuer d’avancer, essayant de tuer le démon à coup de baïonnette, lui tirant dessus à bout portant. Cependant, la plus grande douleur que ressentait le démon, c’était bien la brûlure que cette volonté humaine lui infligeait. Bélial était humilié, Bélial n’avait pas réussi à faire régner la peur et l’horreur, tout comme sa montagne de chair, ses desseins s’étaient écroulés. Le démon braillait toute sa rage en massacrant chaque soldat qui croisait son chemin.
- Ayez peur ! Craignez-moi ! Arrêtez de chanter ! Ne vous jouez pas de moi ! Je suis un démon, je suis Bélial ! Le pire monstre jamais vu ! Goll, espèce de salope ! Tu m’as menti, ce n’est pas un massacre ! Ces foutus fils de putes n’ont pas peur, ils ne se font pas massacrer, ils sont heureux de foncer contre mes crocs ! Je vous damne ! Tous autant que vous êtes !
La forme du démon changeait au fur et à mesure que sa rage et sa haine prenait possession de son corps. Il se recroquevillait, grognait, après quelques instants, le démon s’arracha la peau, il forçait son propre corps à revêtir sa vraie forme. L’immonde bestiole dans des déchirements affreux faisait disparaître sa peau nacrée, il la troquait pour des écailles rougeâtres, parsemées de quelques squames et autre fourrures collées. Le monstre se brisa les jambes pour les faire ressembler à des pattes d’animal, ses pieds se distordaient et durcissaient pour devenir des sabots qui frappaient la terre aride de l’arène. Bélial plongea les doigts dans ses yeux avant d’arracher de force ses globes oculaires, le sang coulait de ses orbites avant de former deux nouvelles boules incandescentes à la place des yeux du démon, deux traits noirs vinrent barrer ses nouveaux yeux. Sa peau empestait la putréfaction, son sexe d’animal pendait entre ses deux jambes monstrueuses. Bélial continuait son étrange transformation, arrachant les restes de son torses et de ses bras, ses deux mains griffues et difformes semblaient posséder plus d’articulations que la normale, sa mâchoire s’était épaissie, ses canines venaient perforer sa peau, bientôt deux cornes venaient percer son crâne et ressortir de ce dernier. Le démon hurla une dernière fois
- Je suis Bélial ! … Ni Ange ! Ni démon ! Si les cieux m’ont jeté, les enfers auront appris à me craindre ! Et vous… Vous ne serez jamais plus qu’un énième divertissement !
Un des combattants du premier rang hurla à son tour en guise de réponse.
- Et nous nous sommes des crocodiles ! Nous partons sur les bords du Nil !
Bélial, hors de lui se retourna vers cette voix.
- Espère de misérable petite merde tu vas-
Le démon fut interrompu par le même chant qui résonna une nouvelle fois au milieu du champ de bataille.
- Ah les crocrocro ! Les crocrocro ! Les crocodiles !
Le démon déploya deux ailes de chauve souris et s’envola droit vers le bataillon, de nombreuses têtes furent tranchées et roulèrent sur le sol, Bélial était passé aux choses sérieuses. Le démon ne considérait plus cet affrontement comme un bonheur ou on souhait qu’on lui accordait, même s’il gagnait, il avait été humilié et il garderait un goût plus qu’amer de cette victoire, les troupes humaines réduisaient à vue d’œil.
Plus haut depuis les gradins, les dieux observaient le démon enrager, Ares frémit de peur en observant l’horrible spectacle qui se déroulait un peu plus bas.
- Est-ce vraiment les expériences d’Asmodeus qui ont permis à Bélial de revêtir cette horrible forme ?
Beelzebuth acquiesça simplement. Bien que Bélial était né ange, ce dernier était fasciné par les formes des démons, les formes parfaites pour massacrer et torturer toute forme d’existence selon ce dernier. Il n’y avait rien d’étonnant à voir qu’Asmodeus, amoureux de toutes forme d’expériences s’était rallié à sa cause et avait tenté de nombreuses expériences physiques pour en faire le monstre qu’il était désormais.
Zeus soupira légèrement, les yeux posés sur l’arène. Après quelques instants, il reporta ces derniers sur Goll qui observait le combat depuis les gradins.
- Qu’est ce que la gamine attend et espère ? Bélial n’a toujours pas subi la moindre égratignure, elle espérait peut-être l’affronter sous cette forme ?
Hermès s’interrogea et observa à son tour le champ de bataille et la valkyrie.
- Elle semble agacée et attristée. Son visage trahit de nombreux ressentiments mais… Il semble tout sauf désespérée, j’ai l’impression qu’elle cache encore quelques cartes dans sa manche.
Le plus vieux soupira avant de reprendre sur un ton agacé.
- J’espère bien, déjà si Bélial survit, il faudra que nous nous occupions de son cas, mais en plus de ça, il faudra s’en occuper alors que ce dernier est hors de lui, je n’ai rien contre un bon combat, mais pas contre ce genre d’individu.
Les dieux s’échangèrent quelques regards d’approbation avant de reporter les yeux sur le champ de bataille. De l’autre côté, une silhouette s’était assise aux côtés de Goll.
- Ma chère petite Goll, les affreux d’en face t’épient beaucoup.
- Je sais, roi Salomon… Je sais.
- Eh bien, ça n’a pas l’air d’aller fort ! On dirait que vous avez du mal contre Bélial, pourtant j’avais réussi à détendre l’atmosphère au début !
- Vous ne m’amusez guère ! Je risque de perdre une nouvelle sœur et de nombreux soldats sont déjà morts, je me demande si je n’aurais pas dû vous envoyer seul à leur place pour garantir une victoire et des vies sauves !
- Et tu sais très bien que cette armée ne tiendrait pas la moindre seconde face à la personne que je suis censé affronter.
La valkyrie grogna légèrement, Salomon avait raison, la force brute de Bélial surpassait peut-être celle du dieu que Salomon allait devoir affronter, mais en aucune manière le démon n’aurait pu vaincre ce dieu. Le roi remit ses longs cheveux bouclés en arrière pour poser ses yeux sur l’arène, l’air amusé.
- Tu ne fais plus confiance à ton combattant ?
- Si bien sûr, après tout, vous me l’avez recommandé vous même.
- Ouais, il avait l’air sympa !
La valkyrie jeta un regard outré vers le roi humain, c’était ça ? C’était la raison qui l’avait poussé à proposer Pierre comme combattant du Ragnarok ? Elle pensait pourtant que ce dernier avait sans doute un atout caché.
- Il avait l’air sympa ? Vous plaisantez, il y a autre chose qui ne figure pas dans mes rapports et que vous me cachez !
- Euh… Ouais j’avoue tout ! Je l’ai vu jongler avec quatre paquets de cigarettes avant d’en ouvrir un au vol, se foutre une cigarette dans le bec et l’allumer tout en jonglant, c’est super fort comme tour !
La valkyrie soupira, excédée. Salomon rit légèrement avant de se réajuster dans son siège.
- Le rapport te dit qu’il est mort sur le champ de bataille mais c’est en partie faux. Il s’est fait exécuter par ses supérieurs pour mutinerie. Son capitaine était une vraie ordure, le genre qui lançait des assauts suicide à tout bout de champ. C’était un gamin d’une famille noble qui avait eu une bonne place à l’armée, incompétent, immature, intolérant, le parfait tableau en somme. En plus de détester les pauvres, les étrangers, c’était un petit tyran, tout ce qu’il voulait c’était une médaille à la fin de la guerre, peu importe le prix à en payer. Alors il envoyait tout le monde au front, sans distinction. Il envoyait même des blessés et des estropiés parfois ; quand le chef d’état major lui avait demandé la raison, il avait expliqué que c’était pour trouver une dernière utilité à des éclopés qui allaient parasiter la société après la guerre. Je n’ai même pas essayé de me renseigner sur le nombre de personnes qui auraient pu survivre si elles n’avaient pas été dirigées par une ordure pareille. Mais y’a eu un gars qui lui le savait très bien, et ce gars c’était Pierre ; Tout le monde l’appréciait dans son groupe, il était ami avec tout le monde, il partageait les clopes, écoutait les histoires des plus vieux. Tous les gens lui demandaient comment était son pays natal, s’il voyait des lions et des éléphants ; pour l’intégralité des soldats, c’était Pierre, pour son supérieur à deux sous c’était juste ce qu’il appelle « un nègre ». Tu imagines à quel point pour un roi comme moi qui visait à ce que son peuple vive dans l’égalité et le bonheur c’est moche comme mot ? Bah à cette époque là, c’était comme ça qu’on appelait tous les gens qu’avaient le malheur d’être un peu trop pigmentés aux goûts de la bonne société.
Goll écoutait le récit de Salomon avec grande attention. Le roi humain poursuivit son histoire.
- En bref, la guerre allait bientôt se terminer, on était en septembre mille neuf cent dix-huit. Et y’avait eu un nouveau dans l’escouade, un malheureux gamin qu’avait menti sur ses papiers, il avait seulement seize ans. Le capitaine enrageait pas mal parce qu’il avait réussi aucun fait d’arme, et en même temps, ce n’est pas étonnant quand on envoie ses soldats au casse-pipe sans réfléchir. Bref, tout le monde en avait marre de la guerre, tout le monde voulait que ça se termine, les mutineries, c’était légion. Et pour le coup, pour l’exemple et pour l’honneur, le capitaine a voulu filer le drapeau au gamin et le faire partir en premier. Tu sais ce que c’est le taux de mortalité pour un porteur de drapeau ; un peu trop élevé. Le pauvre gosse était juste là pour collecter un peu d’argent, il voulait aider sa mère qu’était veuve depuis que son père était mort au front deux ans plus tôt. Il était parti en cachette. Le gamin s’apprêtait à prendre le drapeau et Marcel, l’ami de Pierre lui a pris des mains. Il ne voulait pas voir un gamin mourir alors que tout le monde savait que la guerre serait bientôt finie. Le capitaine lui a braqué un flingue dessus. Pierre a tiré, le capitaine est mort et il n’a pas eu de médaille. Une semaine après, c’était Pierre et ses copains qui étaient exécutés. Heureusement, ce n’était pas pour rien, le gamin a survécu et a pu revoir sa mère ! Enfin bref, c’est pour ça que j’ai choisi Pierre.
Goll écarquilla un peu les yeux avant de reposer les yeux sur Pierre, c’était un homme comme un autre, un homme sans histoire, mais qui pourtant avait gardé une âme intègre jusqu’au bout.
Sur le champ de bataille, il ne restait qu’un centième des soldats qui avaient été envoyés ici à la base, la plupart avaient compris que Pierre était celui qui portait les runes de sa valkyrie, pourtant aucun n’avait reculé face au démon. Quelques minutes plus tard, Pierre voyait ses amis, deux frères partir en avant, fusils serrés. Il en vit un tomber à terre, l’autre hurler encore plus fort avant de tomber à son tour. Pierre était seul, c’était le dernier survivant de cette horreur. Une silhouette vint lui enserrer le cou, Gunnr prononça quelques mots.
- Je suis Gunnr… Mes runes signifient bataille, et chacune de ces vies perdues au combat te rendra plus fort.
Pierre releva la tête. L’humain se sentait grandir, il sentait son esprit être plus clair, il sentait des milliers de vies rejoindre la sienne, des milliers d’âmes se mêler à la sienne. Ses yeux changeaient de couleur à toute allure, passant du bleu azuré au vert émeraude, son visage ne pouvait s’empêcher de sourire. Il était Pierre Ndiaye, il était le soldat inconnu, et il était désormais plusieurs milliers de disparus.
Le combattant s’avança de quelques pas pour faire face au démon qui le toisait.
- Alors, tu es ma dernière proie ?
L’humain serra les dents avant de cracher au pieds du démon.
- Je suis Pierre Ndiaye. Et l’humanité qui vient te crever.
Chapter 25: Les plus grands héros sont anonymes
Summary:
Le sixième round se termine ! Qui de l'horreur ou de l'espoir a gagné cet affrontement ?!
Chapter Text
L’humain avait plongé ses yeux multicolores dans les deux orbes incandescents du démon. L’écart de taille était terrifiant, d’un côté, l’homme mesurait au mieux un mètre quatre vingt, de l’autre, la monstruosité qui lui faisait face devait faire aux alentours des trois mètres. Pourtant si on demandait aux spectateurs qui était le plus grand des deux combattants, la réponse allait être sans conteste « Pierre ».
Les deux ennemis se toisaient et se jaugeaient, aucun ne bougeait, l’atmosphère électrique semblait s’intensifier à chaque seconde. Les relents de chair et de sang coagulant montaient au narines, tout deux connaissaient cette odeur, un seul des deux l’appréciait. Bélial avait depuis longtemps quitté son sourire caractéristique, ce combat avait été trop long, ses ennemis n’étaient plus amusants à massacrer, il ne restait plus que ce petit homme face à lui, seul, un sourire assuré sur les lèvres. Le démon ne put s’empêcher de le provoquer
- Tu as survécu en te cachant comme un lâche et tu trouves encore le moyen de sourire ? Mon pauvre, ne sais-tu pas que tu vas mourir ?
L’humain avant de répondre prit le paquet de cigarettes qui lui avait été laissé un peu plus tôt, il alluma une de ces dernières et inspira doucement la fumée. Après quelques bouffées, Pierre écrasa le mégot dans un petit cendrier de poche, il ne voulait pas balancer aux hasards ses cendres ou son mégot sur un camarade tombé un peu plus tôt ; il se décida à répondre fort de sa nouvelle conscience et d’un apaisement qui lui était jusqu’alors inconnu.
- Je souris parce que je ne perdrai pas, et tant que je vivrai, le nom de ces gars ne sera pas oublié.
Le démon se mit à éclater de rire.
- De toute manière tu les rejoindras ! Ils sont morts, peu importe qu’on oublie ces connards !
Le soldat, toujours aussi décontracté fit tomber la lanière de son fusil de son épaule à l’articulation de son coude ; il serra l’arme avant de la jeter derrière lui et de faire quelques pas vers le démon qui le fixait sans bouger. Pierre ouvrit la bouche.
- Bon, assez causé, il est temps de te buter.
L’autre ne put s’empêcher de se sentir irrité, ce maudit humain le prenait de haut, le provoquait et souriait. Plus personne ne semblait avoir peur de lui, plus personne ne semblait le détester, il était devenu pitoyable, risible. Dans un élan de rage, en hurlant à pleins poumons, le monstre mit un coup de poing à Pierre qui recula sans même bouger, créant deux ornières au niveau de ses pieds à cause de la violence du choc. Ce coup aurait dû le tuer net, ce coup aurait dû le décapiter comme tous les autres, pourtant il s’en est sorti seulement en crachant un peu de sang par terre.
- Tu aimes massacrer les gens hein mon salaud, les plus faibles… Ok mais je vais te poser une question. Tu as déjà affronté tous ces gens en même temps ? Pas les uns après les autres comme tout à l’heure ?
Un grand sourire s’afficha sur ses lèvres, encore plus confiant et assuré que le précédent. Ses pas semblaient lourds, ils faisaient trembler le sol, un pied, puis l’autre. L’écart à nouveau réduit, le soldat mit un coup de poing dans le ventre du démon qui se tordit de douleur, incapable de reprendre son souffle. Désormais, l’humain et le monstre faisaient la même taille, le démon avait plié. Emporté par la colère, le déchu serra les poings et hurla ; les cadavres semblaient trembler, petit à petit ils se rapprochaient, le sang qui coagulait venait les coller les uns contre les autres. Bélial leva ses deux paumes en l’air, crispa les doigts et s’efforça d’approcher ses deux mains pour les joindre.
La gigantesque boule de milliers de cadavres et de sang prenait une nouvelle forme, les corps se compressaient, les os restants se broyaient, la masse de chair empêchait de reconnaître le moindre visage, la moindre silhouette. Le bruit de gargouillis et de brisures en tout genre était atroce, les spectateurs ne retenaient pas leur dégoût. Parfois la chair éclatait, les ventres crevaient, on voyait un foie dégouliner, des entrailles pendre, mais bientôt elles rejoignaient à nouveau la macabre réalisation du démon. Pierre observait le spectacle en silence, il le savait, il ne devait pas trahir la moindre émotion face au démon, elles se retourneraient contre lui. D’aussi mauvais goût fusse-t-elle, la création de Bélial était terminée, une gigantesque lance de joute faite à partir des milliers de corps avait été créée. Les fragments d’os venaient encadrer et dessiner la structure de l’arme, le sang la durcissait, le reste n’était qu’amas de chair et d’organes compressés, l’arme aurait presque semblé vivante.
L’arme était si colossale que Bélial malgré sa taille gigantesque ne pouvait pas la manier ou la porter. Ce dernier était obligé de faire léviter l’arme au dessus de lui. Le démon, même satisfait de sa création ne put s’empêcher de se plaindre et de s’invectiver.
- Tous ces précieux cadavres… Vous m’avez trop emmerdé, je ne profiterai même pas de vos dépouilles, elles me dégoûtent ! Si tu dis être ces milliers de types, alors meurs sous le poids de leurs corps !
Le démon leva la main, la lance encore en lévitation arma sa pointe en direction de l’humain qui n’avait toujours pas bougé. L’ange déchu battit des ailes pour s’envoler dans les cieux, toisant encore plus son adversaire, la main encore levée, la lance au dessus de lui, Bélial attendait le moment parfait pour tuer son adversaire à l’aide de sa nouvelle arme.
- Moi, Bélial ! Je vous massacrerai tous jusqu’au dernier ! Je vous prouverai que vos espoirs ne sont riens, que vos âmes sont vaines, je ferai en sorte que l’histoire vous oublie à nouveau !
Sans attendre un instant de plus, le démon abaissa sa main dans une agitation caractéristique, la lance fonça tout droit vers l’humain en contrebas qui avait écouté le démon sans bouger d’un pouce. La froideur des corps viendrait le transpercer et le tuer à coup sûr. L’estoc fonçait à toute allure, il n’aurait jamais pu l’esquiver.
Cependant. Bélial le vit, il le comprit, cet humain n’avait pas abandonné, cet humain avait un autre tour dans son sac. Pour la première fois de sa vie, le démon ressenti une nouvelle émotion, le démon avait peur.
Un peu plus bas, sans même que Pierre ne bouge, une espèce de baïonnette gigantesque et translucide était en train de se former devant lui. Les milliers d’âmes qui avaient pénétré son corps ne se souvenaient que d’une seule chose, le combat, la guerre, ces baïonnettes qui étaient autant leur salut que ce qui leur coûterait la vie. Était-il seulement possible d’appeler cette création une baïonnette, elle en avait certes la forme mais pourtant cette arme était gigantesque, bien plus grande que plusieurs humains, aussi grande que la lance que Bélial venait de créer. L’étrange arme qui semblait faite d’un verre légèrement bleuté vint à la rencontre de la putride création du démon. Un énorme fracas retentit dans toute l’arène, les deux armes étaient entrées en collision et poussaient l’une contre l’autre, les deux combattants étaient immobiles, la main de Bélial tremblait, Pierre conservait un sourire crispé alors que du sang commençait à lui couler du nez.
Le démon en voyant les gouttes de sang commencer à s’échapper d’une des narines de l’humain ne put s’empêcher d’éclater de rire et de le provoquer une nouvelle fois alors que son arme essayait de percer la défense ennemi.
- Eh bien ! Déjà à bout ? Tu vois ! Tu as passé le combat entier à te planquer, et même avec les restes de tes potes tu ne peux rien contre moi, vous avez perdu ! Des milliers d’humains ne peuvent rien contre moi ! Soyez oubliés !
Le poids de la lance du démon qui obligeait l’humain à s’écrouler poussa Pierre dans nouvel effort à relever fièrement la tête vers le monstre en souriant avant de hurler à son intention.
- Peut-être qu’ils ne peuvent rien ! Mais je suis encore là ! Je suis Pierre Ndiaye, un tirailleur sénégalais ! Mais avant tout, je suis Pierre Ndiaye, représentant de l’humanité ! Ce ragnarok n’est peut-être pas constitué d’Einherjar comme la première fois mais…
Le poids qui semblait se faire de plus en plus lourd forçait l’humain à tressaillir, il sentait ses os se rompre, son sang bouillir. Sérieusement, même après avoir passé autant de temps à massacrer des soldats à tour de bras cet effroyable démon avait encore autant d’énergie ?
- Mais… L’histoire a peut-être oublié certains d’entre nous ! L’histoire n’est peut-être pas ce qu’on vous a conté ! Peut-être que des fragments de cette dernière ont été perdus… Peut-être même que nous sommes les fragments perdus ! Et pourtant…
Malgré le poids, malgré la difficulté, malgré l’impossibilité du combat qu’on avait demandé à une troupe de dix milles soldats, malgré le fait que Pierre n’était qu’un soldat parmi tant d’autres. Ils n’avaient pas reculé, ils n’avaient pas abandonné, pas le moindre instant, ils n’y avaient même pas songé. La lance du démon semblait enfin s’être allégée quelque peu, sans s’en rendre compte l’humain avait fait quelques pas, il avait avancé, il poussait l’arrière de son arme lui même.
- Et pourtant ! … Je… Nous… Réussirons à te battre pour que… Les générations futures n’aient plus jamais à vivre cet enfer !
La poussée de l’humain se faisait de plus en plus importante, le démon se sentait acculé. Il devait l’écraser, cette lance aurait dû le transpercer et pourtant, il continuait de pousser, il continuait d’avancer. Il aurait dû mourir comme tous les autres soldats avant lui et pourtant, il n’en n’était rien, il tenait bon. Bélial fonça à tout allure sur le manche de son arme qu’il saisit dans ses deux affreuses mains, il se mit à hurler de plus belle en poussant à son tour de toutes ses forces, comme possédé.
- Bande de petites merdes ! Vos combats seront vains ! Je gagnerai, et même si je perds, un seul démon comme moi suffit à tuer des milliers d’entre vous ! Vous êtes faibles ! Vous êtes pathétiques ! Même à plusieurs milliers vous êtes incapables de me vaincre !
La violence du choc força l’humain à reculer à nouveau de quelques pas. Dans un râle quasi animal, pliant les jambes, Pierre calait son épaule contre le pommeau de la baïonnette géante, il hurlait en poussant cette dernière.
- Si je meurs ! D’autres viendront pour toi ! Si des milliers d’autres sont nécessaires, alors ils viendront ! Nous sommes faibles, nous sommes pathétiques ! Mais nous sommes humains ! Ce qui te tuera, ce ne sont pas des milliers d’hommes ! Mais bien une seule volonté partagée par ces milliers d’hommes !
Dans un énième effort, Pierre qui poussait sa lame de toute ses forces les entendait. Il entendait les milliers de voix qui l’encourageaient, autant à l’intérieur de son corps qu’a travers les gradins de l’arène. Bélial reculait, Bélial hurlait de plus belle, son apparence était de plus en plus hideuse, sa force de plus en plus absurde et pourtant, l’humain ne reculait plus.
Bientôt, à travers sa poussée surhumaine, quelques craquements commencèrent à apparaître sur l’arme du démon, les fragments d’os se brisaient en milliers de morceaux, le sang fondait, la chair se lacérait. Au bout de quelques instants supplémentaires, la lame immaculée de l’humain passa au travers de la lance du démon et vint transpercer Bélial en plein cœur, le monstre s’écroula au sol, incapable de se relever, la dernière chose que Pierre entendit de lui furent ses injures et autres insultes.
- Bande de petites merdes ! … Je vous tuerai tous ! … Soyez maudits, je vous ai massacrés, on finira par vous oublier ! Tous autant que vous êtes…
La voix du démon devenait de plus en plus faible, de plus en plus floue, bientôt cette dernière fut chargée de sanglots, la pitoyable bestiole n’était plus capable de répéter les mêmes mots sans interruptions, quelques simples murmures.
- Je ne veux pas crever…
L’humain tomba sur les fesses, soupirant, en regardant le ciel.
- Personne veut crever… Pourtant ils sont tous morts quand même.
Dans un dernier pleur, le monstre disparu, Pierre avait gagné, l’humanité avait ramené les scores à l’égalité. Une voix résonna à l’intérieur du soldat, sa valkyrie apparut devant lui avant de le prendre dans ses bras en pleurant.
- Pierre je suis tellement désolée ! Ton âme est mêlée à celles des autres soldats… Tu ne retrouveras plus jamais ton individualité ! Tu resteras des milliers de personnes à la fois.
L’humain posa ses yeux de plusieurs milliers de couleurs sur la valkyrie avant d’éclater de rire.
- On était déjà comme un seul homme de toute façon non ?!
Dans un dernier rire, vidé de son énergie, le soldat se releva et posa un regard amer sur le champ de bataille, il ne pourrait pas offrir de sépultures correctes à ses amis, au moins, leur combat n’avait pas été vain. C’est sous une pluie d’applaudissement et bercé par les commentaires d’Heimdall que l’humain retournait lentement dans l’ombre.
- Bélial est mort ! L’humanité remporte le sixième round de ce Ragnarok et les vainqueurs sont les soldats inconnus ! Le dernier représentant vivant et donc gagnant est… Pierre Ndiaye ! Retenez bien ce nom mesdames et messieurs ! Pour que plus jamais il ne reste inconnu, pour que vous réalisiez que derrière chaque inconnu se trouve une personne capable de se battre contre l’horreur !
Chapter 26: Anticipation et nostalgie
Summary:
Récapitulation du cours des choses ! Nouveaux enjeux !
Qui seront les prochains combattants ?
Chapter Text
La victoire de l’humanité et le retour du score à égalité avait ravi plus d’un combattant humain. Ils avaient une chance, ils le savaient, ils pouvaient gagner. Goll se dirigeait vers sa chambre, suivie de l’imposante carrure de Salomon, la valkyrie se permit une plaisanterie, peut-être pour se rassurer.
- Maintenant que Bélial est mort, vous n’avez plus besoin de m’escorter messire Salomon
Le roi rigola légèrement à cette réflexion mais continua de suivre la valkyrie envers et contre tout.
- Mais Asmodeus est bien en vie, et honnêtement, je doute qu’il accepte la mort de Bélial.
La demoiselle aux longs cheveux blancs afficha une expression pensive avant de répondre sur un ton aussi fataliste que dégoûté.
- Je pense surtout qu’il est allé chercher les restes de Bélial pour faire des choses tout sauf claires avec…
Salomon joua avec une mèche torsadée de ses longs cheveux bruns et leva les yeux vers le plafond du corridor.
- Il y a de fortes chances en effet, j’espère que son adversaire sera prêt…
La conversation s’était close de cette manière, non par car les deux interlocuteurs n’avaient rien à dire, mais plutôt parce qu’ils étaient arrivés à destination, la chambre de Goll. Salomon la précéda en refermant la porte de la pièce derrière lui. Dans un silence particulièrement solennel, il balaya du regard la chambre ; elle était particulièrement sobre. Il n’y avait ni fioritures, ni décorations à l’exception d’une étagère qui voyait nombre d’objets apposés, le roi s’y approcha pour mieux observer. Après quelques instants de réflexion, il comprit un peu mieux ces étranges décoration, chaque petit élément sur cet étagère était sans aucun doute un cadeau qu’une des sœurs de Göll lui avait offert. Relevant la tête, le brun se retourna vers la valkyrie pour l’appeler.
- Dis moi, tu peux me parler un peu de ces objets en attendant que les autres arrivent pour ta réunion ?
Goll était en train de faire chauffer une grande théière et posait différents couverts et tasses sur la table qui se trouvait au centre de son immense chambre aussi sobre que vide. Elle posa ses deux grands yeux sur Salomon avant de répondre.
- Ce pommeau est le reste de l’arme avec laquelle HjörÞrimul s’entraînait lorsqu’elle est devenue valkyrie. Une bonne partie des livres de ma bibliothèque appartenaient à Sigrùn.
Elle marqua une pause, se mordillant légèrement les lèvres, les morts de ses sœurs lui pesaient sur la conscience, elle continua tout de même son récit, sans rien laisser paraître.
- Le microphone là, c’était celui de Þögn. Ces longues plumes pour l’écriture sont celles du manteau de Grimhildr. La pierre sombre que vous voyez à l’écart du reste c’est une matière inconnue que Svipul avait trouvée pendant un voyage. Pour ce qui est de cette colombe gravé dans du bois, c’est Gunnr qui me l’a offert en me jurant de faire en sorte que les guerres arrêteraient d’avoir lieu. Ces deux petits flacons sont…
Un bruit interrompit les histoires de la valkyrie, la demoiselle et le roi, bras croisés se retournèrent vers la porte, dans un timbre doux et calme, Göll haussa la voix.
- Entrez !
Une silhouette apparut, un chevalier aux longs cheveux blonds fit quelques pas avant de se présenter, Roland était remis de ses nombreuses blessures.
- Göll, je ne m’attendais pas à recevoir une invitation pour parler de la suite des événements, je me suis pressé dès la remise de cette missive !
Une autre silhouette posa son énorme main sur les épaules du chevalier, un autre roi avait fait son apparition, des lunettes posées sur le bout du nez, il s’efforçait d’épeler le contenu de la lettre.
- Je v...Vous… In...Invite. Pfiou eh bien ce n’est pas facile la lecture, moins que la guerre ! Haha !
La valkyrie sourit légèrement avant de leur faire signe de prendre place.
- Roland, Charlemagne, vous êtes les premiers arrivés, asseyez vous, n’hésitez pas.
Sans doute par la force de l’habitude, Charlemagne s’était assit et Roland avait refusé une chaise, ce dernier se tenait debout, mains dans le dos au côtés de son roi. Göll pencha la tête.
- HjörÞrimul ne vous a pas suivis ?
Roland secoua la tête de gauche à droite.
- Elle est restée auprès d’Aude, elle voulait apprendre la broderie, le combat l’a épuisée, elle mérite bien de se reposer encore un peu plus.
La porte encore entrouverte fit entrer quelques autres personnes, Sun Tzu et Grimhildr furent les suivants. Quelques pansements venaient parsemer la peau du stratège qui prit place aux côtés de la valkyrie, Grimhildr le suivant silencieusement, non sans offrir un sourire rayonnant à sa sœur. La cheffe des valkyrie s’assit.
- Sun Tzu, y’aura-t-il d’autres personnes qui nous rejoindrons lors de cette réunion ?
- Je suppose que vous voulez un récapitulatif pour chaque personne ?
- Si possible, j’apprécierais.
- Eh bien… Ulysse est encore en mer avec l’impératrice Himiko, il semblerait que les deux se soient liés d’amitié. Marie Curie a précisé être trop occupée par ses expériences pour nous assister. Louis Pasteur est au chevet de Pierre, il l’ausculte encore, je n’ai pas prévenu Diogène comme vous l’avez demandé.
Salomon et Charlemagne se mirent à rire en entendant la dernière réflexion, les deux rois semblaient avoir un comportement on ne peut plus identique, le roi des francs prit la parole.
- Trop peur qu’il fasse n’importe quoi ?
Goll fit un léger sourire en répliquant.
- Surtout peur qu’il vomisse ou urine dans mon service en porcelaine.
Les deux rois continuèrent de rire avant que Sun Tzu les interrompe en toussant légèrement pour reprendre l’attention des invités.
- La dernière personne qui doit arriver est donc… Lénine.
Après avoir terminé cette phrase une silhouette dans un grand manteau brun ouvrit la porte, le principal intéressé retira sa casquette plate qu’il tenait entre les mains. Lénine posa ses yeux sur les nombreuses personnes qui peuplaient déjà la salle. L’homme était plutôt muet et taciturne, ne voulant pas réellement déranger plus longtemps ses interlocuteurs, il se dirigea vers sa chaise et s’assit sans demander son reste. La valkyrie balaya la salle des yeux avant de prendre la parole.
- Messieurs, ma sœur, merci d’avoir rejoint cette réunion. Comme vous le savez, déjà plusieurs d’entre vous sont tombés au combat, nous y étions préparés. Les résultats de ce Ragnarok sont tout de même bien plus satisfaisants que ceux du premier tournoi ! En effet, la plupart de nos victoires à l’époque étaient plus dues à un excès d’orgueil de la part de nos adversaires que d’une réelle supériorité au combat. Cependant, s’il s’agit de combats à thèmes comme c’est le cas actuellement, vous avez toutes vos chances ! Pour cette raison, je vais vous rappeler les thèmes des combats, je sais que nombreux d’entre vous interagissent, peut-être cela permettra-t-il d’aiguiller ou aider les futurs combattants.
Grimhildr alluma un projecteur qui vint éclairer un des murs, plusieurs diapositives avaient déjà été préparées, Goll commenta chacune d’entre elle.
- Le premier combat avait pour thème la loyauté. Celui ci, nous l’avons gagné, et c’est peu étonnant, les dieux ont tendance à se montrer plutôt égoïstes parfois.
Roland grommela un peu, c’était donc cette raison qui avait motivés les dieux à choisir deux anciens humains. Goll continuait sans tenir compte de l’expression embêtée du chevalier.
- Le deuxième avait pour thème le langage et il me coûte de le dire… J’aurais imaginé gagner ce thème également, la perte de Tolkien nous aura tous coûté un peu trop cher.
Lénine en particulier fit un léger rictus, Tolkien avait été un bon compagnon de beuverie et de discussion pour le révolutionnaire Russe, Diogène également, seulement le philosophe grec était trop rarement sobre.
- Le troisième combat avait pour thème la musique, et vous l’avez tous vu de vos yeux, l’esprit des artistes est insaisissable Kurt Cobain a préféré mourir en étant fidèle à lui même jusqu’au bout, fidèle à lui et à la musique.
Charlemagne hocha la tête, il n’avait que très peu connu les autres combattants du ragnarok puisqu’il n’était pas un participant à part entière, cependant ces mots résonnaient particulièrement en lui, il avait observé ce combat depuis sa chambre d’hôpital, il avait vu les derniers sourires de l’humain et de sa valkyrie.
- Le quatrième combat était la stratégie, honnêtement, pour celui ci c’était à double tranchant, nous avons pris d’énormes risques en espérant que la folie d’Odin l’avait suffisamment affaibli et rongé.
Sun Tzu s’inclina légèrement, il était particulièrement soulagé de s’en être sorti avec aussi peu de blessures, il est sûr que si Odin avait été au sommet de sa forme, l’issue aurait été différente. Les dieux avaient très clairement envoyé l’ancien chef nordique affronter l’humain en espérant ne jamais voir ce dernier revenir.
- Le cinquième combat était… Il était à double tranchant. Il y avait autant de chance que Saint Germain remporte cet affrontement qu’elle le perde. Nous pouvons même nous estimer heureux que son adversaire ait été Hastur et pas un autre dieu perdu.
Salomon hocha la tête, il avait lui même dit ne pas être sûr de trouver un moyen efficace pour vaincre Hastur, en réalité l’humanité se sortait particulièrement bien de chaque affrontement de ce Ragnarok, même malgré les pertes.
- Pour ce qui est du sixième affrontement, je ne peux pas vraiment mentir, j’ai en effet douté de notre victoire, après tout, c’était Bélial que nous devions affronter. Je ne peux pas vraiment me considérer comme pleinement satisfaite de cette victoire. À cause de mes décisions, plusieurs milliers d’humains sont morts. J’en assume l’entière responsabilité.
La valkyrie était particulièrement sérieuse et sévère. Certes l’affrontement avait été remporté, mais il ne fait aucune doute que le prix de cette victoire avait été particulièrement lourd. La demoiselle se retourna vers les diapositives pour continuer.
- Il est impossible de savoir dans quel ordre seront donnés les prochains combats, les deux partis sont prévenus au dernier moment pour un souci d’égalité. Ce qui veut donc dire que personne ne peut savoir l’ordre des prochains combats. Il reste plusieurs dieux à affronter, et vous vous en doutez, clairement pas les plus faciles à combattre non plus. Asmodeus, démon de la science et de la luxure. Le dieu serpentaire, père de la médecine. Sun Wukong, le dieu extérieur le plus imprévisible. Tiamat, déesse des mers. Quetzalcoatl le dieu solaire. Janus, dieu du passé et du futur. Et enfin Ishtar, la déesse suprême. Pour les thèmes restants, ce sont les suivants. La révolution, la médecine, la liberté, l’aventure, la navigation, les sciences et l’excellence. Chaque thème nous est donné après l’annonce du combat précédent, ce qui veut dire que je connais déjà actuellement le thème du prochain combat. C’est en effet pour cette raison que je vous ai appelés.
Deux chaises en particulier semblaient de trop, un bruit vint à la porte, quelqu’un y toquait à nouveau. Göll sourit avant de dire à cette personne d’entrer.
Un homme de grande taille ouvrit la porte, ses longs cheveux gris attachés par une queue de cheval voletaient légèrement à chacun de ses pas, d’apparence assez âgée, il soupira en rigolant légèrement, ses rides se plissant alors qu’il saluait les combattants déjà présents. Sasaki se positionna en face de Göll, à l’autre bout de la table, il était suivi de Hrist.
- Je ne suis pas arrivé trop en retard j’espère !
La nouvelle cheffe des valkyries sourit en réponse.
- Non Sasaki, vous êtes arrivés à point nommé, je suis heureuse de vous revoir !
La demoiselle ponctua son petit exposé.
- Vous êtes désormais au courant de chaque tenant et aboutissant de ce Ragnarok ! Chacun d’entre vous doit communiquer, vous devez faire en sorte de garder en mémoire les thèmes des combats restants, faites les calculs de probabilités de vos côtés, proposez vos propres stratégies, mais surtout, restez unis ! Pour ce qui est du thème du prochain combat… Inutile de vous le cacher plus longtemps. Ce sera la révolution.
Lénine se leva aussitôt, ses deux petits yeux plongés au plus profond des prunelles de la valkyrie, il le savait, c’était son moment, ce combat allait être le sien. La valkyrie hocha la tête.
- Oui Lénine, c’est bien votre tour, c’est pour cette raison que Sasaki et Hrist sont venus. Ces derniers vous ont entraîné pendant plus d’un millénaire depuis le dernier Ragnarok, c’est à vous de combattre !
L’humain se dirigea auprès de Sasaki et inclina la tête pour le saluer, personne n’aurait pu croire que deux personnalités si différentes se seraient entendues ou auraient pu s’allier, cependant, le Ragnarok permettait tout sorte de miracle d’occurrer. Pour la première fois, Lénine ouvrit la bouche.
- Je te promets de ramener Hrist, Kojiro.
Le japonais se mit à rire face au sérieux de son élève.
- C’est à elle de choisir ce qu’elle veut faire avant tout, elle ne t’accompagnerait pas si elle n’était pas sûre de gagner pas vrai ?
La valkyrie hocha la tête, calme, timide. Elle vint apposer sa main sur l’épaule de Lénine avant de disparaître, elle était devenue son arme, une épée de garde russe. Le combattant se retourna une dernière fois vers toutes les personnes autour de cette table et sourit légèrement.
- Il est temps de réparer mes erreurs.
Pas un mot de plus, l’homme au crâne rasé remit sa casquette et la réajusta tranquillement avant de partir dans une démarche quasi machinale. Plusieurs personnes s’échangèrent quelques regards interrogatifs, qu’est ce qu’il avait voulu dire par là ? La seule personne qui savait était Sasaki, qui ne put s’empêcher de sourire davantage.
- J’espère que vous êtes prêts à reprendre l’avantage ! Ahlala, comme j’ai hâte de participer à nouveau au Ragnarok !
Göll se contenta de répondre dans un flegme qui flirtait avec un impression de froideur.
- Vous avez encore mille ans à attendre, le combat n’est pas encore remporté.
Le vieillard répondit par une simple moue attristée, avant de quitter la salle en souriant à nouveau.
- Ne t’inquiètes pas, si j’ai pris un élève c’est qu’il a toutes les capacités pour gagner !
Il quitta la salle sur cette dernière réflexion, les humains et Göll quittèrent également la pièce les uns après les autres. Tous retournaient à leurs occupations, cependant, tous regarderaient ce combat.
Comme à son habitude, Zeus avait lui aussi organisé une réunion à la suite de la défaite de Bélial. Les dieux étaient tous satisfaits du résultat de cet affrontement. L’infâme démon était enfin tombé, une autre problématique les inquiétait cependant, le vieillard posa ses yeux sur Hermès.
- Hermès, penses-tu que Asmodeus sera un problème pour la suite des événements ?
- Il m’est malheureusement impossible de répondre à cette question seigneur Zeus. J’aurais tendance à penser que oui. Asmodeus reste un démon et ce dernier était particulièrement proche de Bélial, il est assez dur de prévoir ou de savoir quelles vont être ses réactions suite à la défaite de ce dernier.
Le plus vieux ronchonna légèrement, il aurait aimé être libéré du poids des nombreux cas problématiques qui participaient à ce Ragnarok. Néanmoins, il n’était pas vraiment en mesure de se plaindre, après tout Odin et Bélial perdu leurs combats, ainsi, les cieux étaient libres des deux plus gros problèmes auxquels ils étaient confrontés depuis des années.
Suivi de Hermès et d’Ares, le doyen des déités vint s’asseoir sur le siège qui lui permettait de présider ses réunions. Zeus observa les autres dieux qui avaient daigné se présenter cette fois ci, le vieillard balaya la salle du regard quelques instants. D’un côté de la salle, immobile, Thot était encore en train d’écrire sur différents papyrus qu’il empilait les uns après les autres, à bien observer on se rendait compte que chaque papyrus était écrit dans une langue différente. Aux côtés du dieu scribe se trouvait une grande figure portant une toge, la plus grande particularité vis à vis du physique de ce dieu était ses deux paires d’yeux, les premiers, rouges et profonds semblaient particulièrement déterminés, les autres, bleus et tranquilles semblaient particulièrement sereins voir mélancoliques. La figure remit quelques mèches de ses cheveux châtains derrière les oreilles tandis qu’elle lisait les longs écrits fournis par Thot.
De l’autre côté de la table, Wukong était cette fois ci absent, sans doute faisait-il la sieste quelque part, ou peut-être était il lassé par ces réunions. Asmodeus, comme prévu était lui aussi absent, la dernière fois ou on l’avait vu, ce dernier était allé calmement vers l’arène pour recueillir méthodiquement chaque reste de Bélial, même si le corps du démon avait disparu en Nilfheim, une simple tâche de sang aurait pu suffire. Le baron samedi et Hastur ne se montreraient sans doute plus, d’un certain côté, savoir qu’Hastur resterait absent avait quelque chose de rassurant. Le serpentaire, comme a son habitude était toujours présent, les dieux blessés récupéraient à la perfection, le dieu de la médecine gardait les bras croisés et l’air sévère. Zeus soupira en se dirigeant vers sa chaise.
- Eh bien messieurs ! Je pense que nous pouvons commencer la réunion pour le septième round de ce Ragna…
- Eh bien Zeus, la galanterie se perd, tu n’es plus en mesure d’excuser le retard d’une dame se refaisant une beauté ?
Elle était grande, gigantesque même, la déesse qui venait de pousser la porte de la salle de réunion devait avoisiner les deux mètres, ses longs cheveux noirs en cascade ondulaient et heurtaient les vêtements en forme d’ailes qui venait lui donner une carrure encore plus imposante ; sa peau au teint hâlé lui donnait quelques attributs un peu plus sauvages et guerriers. Elle releva le buste, bomba le torse pour se donner une apparence encore plus digne, la dame fit claquer ses talons en se dirigeant vers une chaise. Une fois aux côtés de Zeus, elle le défia sur un ton amusé.
- Je veux bien te laisser le trône pour cette fois étant donné que tu prends de l’âge mon cher petit Zeus.
Elle rit légèrement, lui embrassant le sommet du crâne, comme pour provoquer un enfant. Le plus vieux grommela en croisant les bras.
- Ishtar, ces enfantillages n’amusent personne d’autre que toi, je tiens à rappeler que tu es la doyenne ici !
Horrifiée la demoiselle posa ses deux mains sur les joues en feignant l’indignation.
- Ah non ce n’est pas bien ça ! On ne parle pas de l’âge d’une dame !
Une fois assise, la déesse rejeta ses cheveux vers l’arrière dans un geste inutilement dramatique, elle croisa les jambes avant de se pencher légèrement vers la table, le coude sur cette dernière, son menton reposait sur le dos de sa main. Ses longs cils papillonnaient de temps à autres pour intensifier le regard de ses deux prunelles vertes. A bien y regarder, la tenue de la déesse était plutôt osée, très peu de tissu, beaucoup de bijoux qui venaient la sertir, sur les bras, sur les jambes, autour du cou, autour des hanches. En réalité sa tenue était à son image, belle et étincelante, les quelques cicatrices qui venaient zébrer sa peau ne faisaient qu’intensifier son charme.
- Votre petite réunion me paraissait amusante ! De toute manière il n’y a pas assez de soleil pour bronzer aujourd’hui !
Zeus soupira, beaucoup disaient de lui qu’il était le dieu le plus libre, le moins sérieux du Valhalla et pourtant, à côté d’Ishtar ou Wukong, il paraissait on ne peut plus sérieux, peut-être depuis la mort de ses frères. Le vieil homme se demandait même comment la déesse et ses aînés s’entendaient si bien, peut-être que leur charisme et leur charme naturel forçaient Ishtar à se comporter de la même manière. De toute façon il était très dur de savoir ce qui se cachait derrière la tête de la déesse. Alors que Zeus s’apprêtait à continuer son monologue, il la vit, mains jointes sous son menton en train de le regarder avec un grand sourire, ce qu’elle pouvait se montrer déstabilisante quand elle le voulait. Le vieillard continua envers et contre tout.
- Je pense que vous vous demandez déjà qui sera le prochain combattant étant donné que le thème nous a déjà été révélé ! Mais avant de vous l’annoncer, rappelons-le, la mort de Bélial et d’Odin sont deux événements qui profitent particulièrement au Valhalla, l’idéal serait aussi la mort d’Asmodeus. Cependant la plupart de nos vrais objectifs ont été accomplis. La plupart des combattants restants ont décidé de participer à ce tournoi de leur gré et, mis à part quelques cas particuliers.
Zeus fixa Ishtar en prononçant ces mots, elle sourit de plus belle.
- La plupart d’entre nous sait qu’il est inutile de faire durer ce Ragnarok plus longtemps, nous devons essuyer le moins de pertes, il est hors de question de vous retenir.
La plupart des dieux hochèrent la tête à l’unisson, le jugement de Zeus et la suite des événements leur paraissait on ne peut plus logique. A l’exception près de Ishtar, tous les dieux présents ayant combattu ou allant combattre étaient plutôt d’opinion à terminer ce Ragnarok au plus vite. Zeus posa ses yeux sur le dieu aux deux paires d’yeux.
- Janus, le thème est la révolution, c’est ton tour d’aller combattre.
Silencieusement, le dieu du début et de la fin se releva, replaçant ses habits correctement. Le romain posa les yeux sur les dieux qui avaient tous posé leurs regards sur lui.
- Bien, nous mettrons un terme à ce Ragnarok aussi vite que possible.
Pas un mot de plus, il se retourna et se dirigea vers la sortie pour se diriger vers l’arène à son tour. Cette dernière n’accueillerait pas le combat de suite ; en effet, elle devait faire face à de nombreuses rénovations pour rendre le combat plus intéressant, il fallait également nettoyer le champ de bataille du combat précédent. Le dieu observa les travailleurs s’activer, les édifices être montés, le sol être nettoyé. Il y a quelques heures seulement, des milliers d’hommes mourraient face à un démon, demain quand un nouveau combat commencera, nombreux seront ceux à les avoir oubliés.
- Que les humains sont cruels… A peine un combat se termine qu’ils pensent déjà à l’affrontement suivant.
Une autre voix résonna, son autre voix en réalité.
- Et alors ? Même s’ils meurent, ils sont au moins motivés à bouger et faire quelque chose, même mal, on ne peut pas leur enlever ça !
Le dieu soupira bruyamment, comme à son habitude, ses réflexions se bousculaient dans sa tête, il avait autant raison que tort. Il avait aussi peur de l’avenir qu’il était attaché au passé, il était aussi répugné par son passé qu’il avait hâte de voir l’évolution du monde. Janus se retira avec un espoir on ne peut plus simple, non pas la victoire, elle lui était évidente, il espérait seulement que l’humain qu’il affronterait lui donnerait une réponse définitive à ces nombreuses questions.
- La seule certitude qu’il nous reste, c’est que demain, cette arène sera lieu de notre affrontement.
Lénine de son côté n’avait pas observé l’arène, ce dernier s’était aussitôt dirigé vers sa chambre, reprenant de nombreux livres de mythologie en tout genre, il les feuilletait les uns après les autres. Il voulait apprendre le plus de choses possibles sur son adversaire, il se doutait déjà qu’il affronterait Janus. Il l’avait déjà étudié, mais il était hors de question de faire face à un seul instant d’inattention ou de commettre la moindre petite erreur. Feuilletant les pages du livre, il s’interrompit en tombant sur l’image d’un buste sculpté censé représenter le dieu. Ce dernier avait deux têtes, une regardant l’avenir, une regardant le passé, Lénine se retourna vers Hrist.
- C’est car il est multiple que nous avons été choisis comme paire je suppose ?
La valkyrie, toujours aussi calme hocha la tête.
- C’est en effet une des principales raison.
- Quelles sont les autres ?
- Göll vous sait un tempérament particulier, calculateur, utilitariste à l’extrême. Vous êtes responsable d’une des dictatures les plus violente et meurtrière de l’histoire humaine après tout.
Le révolutionnaire soupira avant de poser le regard vers la fenêtre qui donnait sur l’arène.
- Le souci des révolutions, c’est qu’il n’y a pas de mode d’emploi sur ce qu’il faut faire ensuite. Soit on s’en sort bien, soit on finit par créer quelque chose d’encore pire. Je me demande bien ce que j’aurais dû faire à l’époque...
Chapter 27: Le bal russe
Summary:
Début du septième round du Ragnarok ! Janus propose un étrange marché à Lénine, de quoi peut-il bien s'agir ?
Chapter Text
Le jour sonna. Du côté des dieux, une seule question se posait pour leur combattant, Janus aurait-il les réponses à ses questions ? Saurait-il enfin qui du passé ou du futur est l’instant le plus appréciable. En face, chez les humains, Lénine avait observé l’étrange structure depuis la fenêtre de sa chambre, un rictus se dessina sur son visage, ce combat allait être plus éprouvant mentalement que physiquement.
L’humain se leva de son lit pour faire un brin de toilette, le révolutionnaire se fixa dans le miroir, le visage sombre, l’expression grave, il s’aspergea le visage d’eau fraîche avant de prendre une paire de ciseaux pour tailler sa barbe. Derrière lui, sa valkyrie, assise sur le lit s’interrogeait.
- Pourquoi une routine si sévère et précise ? Au terme du combat, tu ne te soucieras plus de ton apparence.
L’humain répondit en se tamponnant le visage avec une serviette pour éponger les quelques gouttes qui perlaient encore.
- Quand on affronte quelqu’un à mort, qu’on le respecte ou non, on fait en sorte d’être présentable, après tout nous sommes la dernière personne qu’il verra.
Sans un mot supplémentaire, le russe se retourna pour enfiler ses vêtements, remettre son long manteau brun, revisser sa casquette plate sur son crâne rasé.
- Parfait, allons-y.
Il emboîta le pas, sans hésiter plus longtemps, au fur et à mesure que la lumière éclairait la fin du corridor, Lénine continuait divers mouvements afin de s’échauffer. Il secouait les mains, remuait légèrement les épaules ; il paraissait calme, peut-être même trop calme.
Au bout d’un moment, la lumière fut si aveuglante qu’elle fit comprendre qu’il était arrivé à destination. Une structure obscurcissait le paysage et cachait une partie du soleil, silencieux, Lénine fronçait les sourcils, Hrist l’interrogea.
- Un problème ?
- C’est le palais d’hiver.
Pas un mot de plus, le combattant fit quelques pas pour s’avancer avant de se retrouver en face de la figure qui se tenait devant l’immense grille de la bâtisse. Les deux paires d’yeux du dieu vinrent se poser pour toiser l’humain et sa valkyrie.
- Bienvenue dans cette reconstitution du palais d’hiver ! Demeure des monarques russes. La reproduction est-elle fidèle à celle que vous aviez vu de votre vivant mon cher ?
Particulièrement stoïque, l’humain croisa les bras avant de plonger ses deux yeux dans le regard de la déité, tantôt dans la fougue de ses iris rouges, tantôt dans la sérénité des bleues.
- Il manque du sang et de la poussière.
Le dieu, toujours aussi calme se pencha légèrement vers l’humain pour mieux l’observer, l’écart de taille était important, la figure romaine mesurait aisément une tête de plus que celle de l’humain.
- Laissez moi deviner… Le sang de vos compatriotes tombés au combats et la poussière d’un règne qui devait s’achever ?
L’humain acquiesça en silence d’un simple hochement de tête. En réalité, il n’était pas entièrement d’accord avec l’explication du dieu, cependant il s’abstint de corriger ce dernier ; non pas par présomption ou par crainte, il n’en voyait seulement pas l’intérêt. Le but de ce Ragnarok était avant tout de s’affronter, il n’y avait aucun besoin de se lier d’amitié avec les autres combattants, encore moins avec ses ennemis. Après une dernière brève salutation, elle aussi faite via un mouvement de tête, l’humain recula vers son côté de l’arène, toujours aussi sérieux. Heimdall, du haut d’un de ses énième perchoir était à nouveau prêt à commenter le combat.
- Chers spectateurs ! Mesdames et messieurs ! Après mon absence lors des deux derniers combats, j’ai le grand honneur et plaisir de venir commenter à nouveau un des affrontements de ce Ragnarok ! Permettez-moi de présenter les deux nouveaux combattants !
La foule bruissait et commentait le lieu, la forme de l’arène, les deux combattants. Tous étaient persuadés d’une chose : ce combat serait et moins terrifiant et moins éprouvant que les deux précédents, tout du moins, ils l’espéraient. Heimdall poursuivait ses présentations.
- Du côté des dieux ! Tout droit venu de la Rome antique, un des dieux les plus respectés, et pourtant oublié par bien des humains. Il observe les hommes depuis bien longtemps, rend compte de leurs erreurs futures comme passées. Une seule chose est sûre à ses yeux, cette création aussi immature qu’orgueilleuse doit enfin ouvrir les yeux ! Je vous présente, Janus !
Le dieu retira finalement sa toge, sous ses vêtements se trouvait sa tenue de combat, une cuirasse argentée parsemée de multiples dorures, une cape en fourrure de bête. Lénine l’observait et le jaugeait déjà depuis la distance, il essayait surtout d’observer les armes de son ennemis. Il murmurait les armes qu’il semblait reconnaître.
- un bouclier parme… Un glaive gladius… il cache peut-être d’autres armes dans sa cuirasse ou le long de ses membres…
Interrompu dans le fil de ses pensées, Heimdall était en train de présenter l’humain qui releva la tête, ébloui par le soleil.
- Du côté des humains ! Connu sous le nom de Lénine, Vladimir Oulianov. Ce nom vous est sans aucun doute familier ! Leader charismatique pour certains, révolutionnaire criminel pour d’autres ! On lui doit la création de l’URSS, et du nouveau régime communiste ayant causé par la suite plusieurs millions de morts. Une des dictatures les plus meurtrière de l’histoire humaine, tant à cause de lui qu’à cause de ses successeurs !
Lénine restait particulièrement neutre et calme malgré la liste de crimes qui lui étaient reprochés. Nombreux membres du public humain pestaient à son encontre, le choix de ce dernier en tant que combattant ne semblait pas faire l’unanimité. Beaucoup de familles ont été tuées, séparées, brisées à cause de lui, nombreux sont morts de faim. Au bout d’un moment de plaintes incessantes, le combattant se retourna vers la foule pour poser une simple question d’un ton glacial.
- Suis-je celui ayant tué ces gens de mes mains ?
La foule se tut, cet homme était ce que beaucoup appelaient un utilitariste extrême, si des gens devaient mourir pour sa cause, ainsi soit-il. Si des paysans mourraient de faim, c’était un sacrifice bien léger s’il permettait à la révolte de prendre en importance et de sauver des millions de vies. Pour cette raison seule, Lénine était un personnage difficile à cerner. D’un certain point de vue, sa logique était simple, viser le moindre mal. D’un autre côté, nul esprit humain n’était capable d’un tel pragmatisme, pour cette raison même, cette absence de recul émotif, comprendre sa vision des choses ou prévoir ses actions et réflexions relevait de l’impossible.
Janus observa à son tour le combattant humain qui enlevait son manteau brun, repliant ce dernier tranquillement avant de déposer sa casquette dessus. Sa tenue ne ressemblait pas forcément à celle qu’un combattant arborait, un costume brun lui aussi, une chemise blanche et une cravate rouge, le tout légèrement décontracté. Il n’y avait nul doute que cet habillage même s’il ne semblait pas fait pour se battre avait été créé pour l’occasion. Lénine tendit tranquillement sa main Hrist qui serra cette dernière avant de disparaître et de devenir une épée rattachée aux hanches de l’humain. Le dieu se permit de commenter.
- Un Yatagan ? Pourquoi vous utilisez une arme traditionnelle de l’empire ottoman ?
L’humain s’avança légèrement, la main sur le pommeau de la lame, quasiment prêt à dégainer dès l’annonce du combat.
- Ma sœur nous pensait des origines tatars.
Pas un mot supplémentaire, le combattant semblait nettement moins enclin à entamer la discussion que son ennemi qui lui s’avérait plutôt curieux et étonnamment détendu pour un dieu de son acabit. Janus se gratta l’arrière de la tête avant de regarder le ciel.
- Hmmm… Bon eh bien. Je pense que nous sommes prêts.
Toujours stoïque, Lénine attendait le coup d’envoi de cet affrontement, il semblait compter chaque seconde dans son esprit.
Heimdall du haut de son poste d’observation saisit son cor, respira profondément avant d’hurler à nouveau à l’intérieur.
- Que le septième round du Ragnarok… Commence !
Immédiatement après le coup de départ, dans un élan, Lénine dégaina sa lame et en remonta le fil de l’abdomen du dieu à son visage. Seulement pour découvrir que ce qui restait de ce dernier était intangible, Janus avait déjà disparu. L’humain remit la lame dans son fourreau et observa l’image qui disparaissait peu à peu. Une voix retentit depuis l’intérieur du palais.
- Mon cher adversaire ! Ce combat n’a pas pour objectif d’être un simple et cruel duel à mort entre nous deux ! Cette vérité n’est simplement que le résultat de notre affrontement ! Ce dernier en revanche a je pense plus à proposer qu’un simple combat en un contre un. Je veux vous proposer un petit jeu, une petite expérience en réalité, si vous gagnez, j’abandonne le combat et vous laisse me tuer, si vous perdez, vous abandonnez, ce sera sans souffrance ! Alors, qu’en pensez vous ?
Pour la première fois l’humain ricana légèrement, puis, ses ricanements devinrent un rire tonitruant, tranchant nettement avec le personnage que semblait être le combattant.
- Pourquoi accepterais-je ?! Je vais prendre le risque de participer à un jeu où les règles sont régies par l’adversaire, sur un terrain créé par le dit adversaire ? C’est foncer droit dans la gueule du loup, il n’y a rien à gagner à un tel jeu, j’ai tout à perdre au contraire !
- Car tu penses peut-être avoir une chance de me vaincre via un combat classique ? Sois réaliste humain, ta première attaque n’a même pas pu m’atteindre.
Le dieu était passé au tutoiement, peut-être courroucé par l’audace de son ennemi.
- Rome ne s’est pas construite en un jour, son écroulement n’est pas survenu en un jour non plus, ce ne sont que des petites pierres que l’homme a empilées.
Un silence survint, puis un nouveau rire retentit et résonna dans toute l’enceinte du palais, l’audace de l’humain avait visiblement plu au dieu. Après quelques instant, ce dernier s’approcha à nouveau de son micro pour reproposer son marché, mais sous un autre jour. Cette fois ci, le dieu se décida à tutoyer son adversaire, non par irritation, mais plus pour se rapprocher de lui.
- J’ai ouïe dire que tu cherchais une réponse à tes questions, un moyen de te repentir. Vois-tu, moi aussi je me questionne énormément. Alors proposons les choses sous ce jour ci. Si tu acceptes de jouer à ce jeu, même si ce dernier s’avère défavorable pour toi… En cas de victoire je t’aiderai à y voir plus clair, je répondrai à tes questions.
- Et si je perds ?
- C’est encore à définir, c’était bien toi qui m’assurais ta victoire un peu plus tôt.
L’humain claqua de la langue en guise de réponse, il s’octroya quelques instants afin de peser le pour et le contre de la proposition du dieu. Ce dernier avait avoué que le combat était inéquitable et que son marché risquait lui aussi de l’être. L’utilitarisme de Lénine le poussait à penser de la manière la plus rationnelle possible, toute logique aurait voulu qu’il refuse ce marché, qu’il refuse de jouer. Le combat était plus rude psychologiquement que physiquement. S’asseyant sur le sable de l’arène, devant le palais, il dessinait sur le sol pour aider sa réflexion.
- Le ragnarok se veut équitable mais pourtant, rien ne garantit que ce jeu le soit. Je pense pouvoir gagner mais même sachant ça, il a l’avantage du terrain. Je connais sans doute mieux le palais de l’hiver que lui, mais… S’il y a mis des pièges, je n’ai aucun moyen de le savoir. Il est possible que sa proposition soit un double bluff, peut-être que ce dieu est en effet plus fort qu’il ne le prétend et qu’il s’inquiète de l’égalité du combat… Ou peut-être qu’il est en effet plus faible et qu’il préfère gagner via des méthodes détournées…
Après de longues minutes, le guerrier se releva en soupirant avant de répondre au dieu.
- Je me permets de te tutoyer également, et je te demande une chose. Cette décision, puis-je laisser le public la prendre pour moi ?
Le dieu prit quelques instants avant de rire un peu.
- Bien sûr, mais je ne suis pas sûr que des questions aussi importantes et te concernant doivent-être prises par des tiers.
L’humain soupira un peu.
- C’est justement car elles sont importantes que c’est au public de choisir. Il s’agit de mon combat, mais il s’agit d’un avenir commun.
Sans ajouter plus à sa réflexion, il se retourna vers Heimdall qui comprit aussitôt ce qu’il devait faire. De nombreux petits écrans tactiles apparurent devant les spectateurs humains.
- Mesdames et messieurs ! Vous êtes pris à parti, votre contribution est essentielle. Ce marché proposé par Janus, Lénine doit-il l’accepter, ou bien le refuser ? Réfléchissez bien, une vie comme une victoire sont à la clé !
Les dieux, plus frivoles étaient clairement plus enclins à favoriser le jeu, pour cette raison, et pour un souci de logique, ces derniers ne pouvaient pas voter. Les humains quant à eux débattaient longuement. Nombreux étaient ceux à vouloir voter pour la participation du combattant, espérant voir Lénine perdre. D’autres plus prudents et s’intéressant plus au futur qu’au passé préféraient éviter des prises de risques inutiles. Certains plus stratèges faisaient un choix ou l’autre.
Les plus hésitants avaient posé leur regard sur Lénine, peut-être avait-il une préférence, un plan ? Est-ce qu’il avait changé d’avis, leur donnerait-il un signe ? Rien de tout ça, la seule chose que les spectateurs observaient dans ces yeux était une froide détermination. Peu importe les résultats de ce vote, il ne les contredirait pas. Peu importe ce que l’humanité décidait pour lui, l’envoyer droit à la mort ou vers une victoire facile, il ne contesterait rien.
Nombreux alors étaient les humains à mesurer la réalité des choses. Chaque décision faite par un dirigeant avait cette portée, chaque décision devait être prise avec ce genre de précautions. La moindre erreur pouvait démarrer une guerre, signer la mort d’une ville, causer une famine généralisée, ces choix, ces événements, l’homme en contrebas les avait déjà faits, et ce, sans jamais avoir été formé ou entraîné pour devenir un dirigeant.
Après délibérations, débats parfois échauffés, parfois presque violents ; les humains se décidèrent, à l’unisson, l’espèce entière appuya sur un bouton, soit « oui », soit « non ». Ce simple choix scellera à jamais l’issue du combat et l’avenir du combattant. Après quelques instants, deux chiffres s’affichèrent dans le ciel. Quarante-neuf pourcent de l’humanité avait voté pour refuser le marché, cinquante et un avait voté pour l’accepter. Lénine hocha la tête comme pour remercier le public d’avoir choisi. Goll discutait avec certains membres de ce dernier.
- Monsieur Marx, que pensez vous de ce choix ?
L’homme à la barbe hirsute se réajusta à sa place dans un léger bruit de ronflement, après quelques instants à caresser son menton, il se décida à répondre.
- A vrai dire… Pas grand-chose, ce choix ne me paraît pas vraiment étonnant, les humains ont peur de l’inconnu mais ils préfèrent se jeter dans la gueule du loup pourvu qu’il y ait un peu plus d’espoir dans cette dernière qu’autour d’eux.
La valkyrie ne répondit rien, elle ne pouvait qu’acquiescer, à ses yeux, le philosophe était dans le vrai. Ce qu’il fallait désormais observer, c’était la suite du combat et les résultats de cette décision. Lénine haussa la voix pour s’adresser à Janus
- As-tu entendu les résultats ? J’accepte ton marché !
- On ne peut mieux, c’est bien ton dernier mot ? Es-tu sûr de laisser ta vie au mains de tes compatriotes.
- Tout homme ayant dû jouer avec la vie de ses compatriotes se doit d’accepter que ces derniers puissent faire de même !
Les grilles du palais commencèrent à s’ouvrir. Lénine posa les yeux sur ces dernières, une expression légèrement amère sur le visage ; après quelques instant, un long soupir, il emboîta le pas et entra dans l’enceinte du bâtiment. La grande enceinte blanche et sertie de centaines de dorures lui donnait mal à la tête, les longs tapis rouges étaient tel qu’ils étaient ce jour là. Ses pas résonnaient dans un triste écho, il avait l’impression d’être entièrement seul, coupé du monde, sa main serrant la poigne de son épée. Heimdall commenta.
- Mesdames et messieurs ! Les artisans ont reproduit le palais d’hiver à la perfection ! Pour les curieux et amoureux d’histoire, cette bâtisse était le château des anciens tsars de Russie ! Depuis la chute de leur règne, ce lieu est utilisé comme musée !
Lénine continuait d’avancer, observant chaque tableau, chaque détail, il réfléchissait et comprenait peu à peu de quel moment datait cette recréation. Sa tête le brûlait, il respirait bruyamment, un horrible souvenir lui remontait, il poussa la porte précipitamment, encore à la recherche du dieu. A l’entrée de la grande salle de bal, le révolutionnaire se figea, les lustres étaient allumés, les lumières resplendissantes, et pourtant, tout semblait si délabré, recouvert de poussière, le papier peint déchiré, les dorures grattées, les morceaux de certains meubles arrachés. Lénine avançait pas à pas, l’air hagard. Une voix retentit et stoppa l’humain dans son élan.
- Tu as accepté de participer à ce jeu Lénine. Il va désormais commencer, fais face au passé, affronte ces visions, souviens-toi ce qu’il est arrivé, ne l’oublie jamais.
Un éclat de lumière aveugla l’homme qui recula de quelques pas, son dos heurta le mur, ses yeux s’habituaient peu à peu à la lumière, une main était tendue face à lui, une jeune femme au cheveux bruns amoncelés sur la tête semblait s’inquiéter de l’état du combattant.
- Monsieur, tout va bien ? Vous avez trop bu peut-être ?
Lénine balbutia légèrement, il perdait peu à peu son calme, la salle de bal était immaculée, des centaines d’invités aux vêtements plus somptueux les uns que les autres dansaient. Un orchestre se trouvait un peu plus loin, au centre, un homme à la moustache finement courbée se tenait, droit, Lénine le reconnu et se précipita vers ce dernier.
- Nicolas ! Je…
A peine ce dernier avait fait quelques pas en tendant la main, prononçant le nom de l’homme qui se tenait un peu plus loin que son élan fut coupé. Ses lèvres scellées, sa main figée, la voix de Janus retentit à nouveau.
- Ah non ! On ne peut pas communiquer ni changer le passé, seulement en observer les fantômes.
Lénine se serra le poignet en grommelant ces mots qu’il voulait tant dire à cet homme. Il les avait oubliés, tout se bousculait, s’excuser, lui demander de l’aide, lui dire que le peuple à faim ? C’était dur, si dur et son esprit se brouillait tellement. Inquiète, Hrist s’occupait à essayer de faire regagner ses esprits à son compagnon.
- Lénine ! Ressaisis toi bon sang, où sont passés ton calme et ta détermination ! Il se joue de toi, rien de tout ça n’est réel !
- Je sais ! … Je sais ! …
L’humain respirait, il reprenait calme peu à peu, chaque silhouette fantomatique semblait se transformer, se distordre peu à peu. Heimdall semblait aussi perdu que le public.
- Incroyable ! Il semblerait que… Janus fasse ressurgir les fantômes du passé ! On se croirait en plein bal de l’empire russe avant que ce dernier ne s’écroule sous la révolution ! Que peut bien être ce jeu dont il n’a pas expliqué les règles ?!
Lénine reprenait sa concentration en respirant lentement, il observait les gens présents dans cette énorme salle de bal, ses vêtements avaient changés eux aussi. Un nouveau flash survint, cette fois ci le combattant voyait la salle comme elle l’était à l’origine, de nombreux squelettes jonchaient le sol. Après quelques cliquetis, chaque macchabée se relevait l’un après l’autre, leurs vêtements de garde déchirés, leurs sabres parfois logés entre leurs côtes, certains avec les crânes perforés, d’autres avec les os brisés en mille morceaux. L’armée de morts s’approcha de l’humain qui dégaina sa lame, prêt à se battre.
La horde continuait d’affluer, Lénine courait au cœur de la bataille, agitant sa lame de droite à gauche. Les bruits de cohue et du fer frappant les os qui faisaient tomber les corps au sol dans d’affreux cliquetis résonnaient au milieu de la salle de bal. Quelques coups de lames venaient effleurer la peau du révolutionnaire, les petites lacérations faisaient couler quelques gouttes de sang, les unes après les autres. Avec horreur, Lénine le réalisa, les corps qui étaient tombés se relevaient les uns après les autres.
- Merde ! Je ne peux rien faire contre une armée immortelle !
La voix du dieu interrompit légèrement le fil de la bataille, ce dernier se voulait juste.
- On ne peut pas vaincre son passé, il s’est déjà produit.
Foutue énigme, c’était réellement censé aider l’humain ? Voilà que ce dernier entendait des bruits de pas derrière lui, bientôt une autre armée de cadavres se trouvait derrière Lénine. Vêtements de travail encore sales, chemises d’agriculteurs. Aucun ne semblait posséder de vraies armes, ils serraient entre leurs mains des fusils utilisés pour la chasse, des pioches, des fourches. Bientôt cette marée fonça dans l’autre, ignorant Lénine.
Les bruits de coups cinglaient, les os s’entrechoquaient, le fer cognait contre le fer. Les cadavres ne cessaient de se relever dans cette étrange danse macabre. Incapable de réellement comprendre l’issue de ce combat ou le but de ce dernier, le combattant se retrouva contraint de suivre le flot et le mouvement. Lénine avait progressé, ce millénaire d’entraînement lui avait été bénéfique.
Le révolutionnaire serra sa lame entre les mains, d’un coup puissant et descendant, il fendit le crâne d’un des squelettes ennemi avant de remonter à toute allure le long d’un autre corps ; la violence du choc contraignit les opposants à reculer et se bousculer sous l’assaut du russe. Heimdall s’étonna.
- Cette technique ! Il y a un millénaire, un combattant humain l’avait déjà utilisée lors du précédent Ragnarok ! Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du tsubame gaeshi de Sasaki Kojiro !
C’était la seule et unique méthode que l’humain avait trouvée pour vaincre ses ennemis, le seul moyen qu’il avait trouvé pour avancer, s’entraîner, toujours plus. Les enseignements apportés par le maître épéiste avaient décidément porté leurs fruits, malheureusement pour le combattant, ces derniers allaient s’avérer relativement inutile pour l’avenir de ce combat, Lénine avait avancé, ses troupes aussi ; cependant, le bruit d’affrontement ne s’arrêta pas. Même en poussière, les os continuaient de se reformer, ces corps étaient éternels, et ils subsisteraient tant que l’humain ne trouverait pas la réponse à cette étrange énigme.
Un engrenage de pensées se profila dans l’esprit de l’individu. On ne reconnaissait plus les corps, il était essoufflé, éreinté, cependant il continuait, il tranchait. Cette valse éternelle de corps qui tombaient avant de se relever le rendait fou. Un coup de pommeau dans un crâne fracturé, puis un estoc, une taillade, tout se répétait. Les vêtements tranchés de tous les squelettes étaient tombés, si bien que alliés comme ennemis, il était désormais impossible de faire la différence, Lénine se contentait de les trancher tous.
Avait-il tué un compagnon ? Un ennemi ? Peu importe, ils se relèveraient dans tous les cas et tout recommencera. Cette simple réflexion frappa l’esprit de l’humain qui tomba à genoux, ses doigts se crispant en agrippant les tapis qui jonchaient le sol.
- Vous êtes tous les mêmes… Vos corps… Vos os… Vous vous entre-tuez pour vos idées, pour ce en quoi vous croyez, mais pourquoi… Parce que vous êtes sûrs que ce monde serait meilleur si on suivait vos croyances…
L’homme leva les yeux vers le plafond, son regard illuminé par les nombreux lustres qui reflétaient les quelques rayons de soleil qui traversaient les vitres. Il avait enfin compris, son erreur, sa hâte, il n’attaquait plus, les squelettes non plus, les corps étaient figés, inanimés. Lénine rengaina sa lame avant de quitter la salle tandis que les nombreux cadavres se désarticulèrent avant de tomber au sol.
- Vos morts n’auront jamais été vaines.
Chapter 28: Passé douloureux
Summary:
Quelle est la réelle raison poussant Lénine à participer à ce Ragnarok ? Les illusions de Janus semblent nous éclairer sur le sujet
Chapter Text
Lénine franchit le seuil de la nouvelle porte, il explorait cette nouvelle salle, les cuisines visiblement. Les casseroles étaient recouvertes de poussière, le lieu normalement rempli de vie était particulièrement mort et triste. L’humain s’observa dans le reflet de quelques couteaux disséminés ça et là et continua sa route. Son mal de crâne ne faisait que de s’empirer, minutes après minutes ; Hrist s’inquiéta.
- Tu es sûr que ça va aller ? Je sens la fièvre monter, c’est sûr que Janus nous joue un sale tour.
Le russe secoua la tête, passa sa main qui frémit au contact de son front brûlant, la paume encore tremblotante, il sentait la sueur s’accumuler le long de son front comme des petites perles. Après quelques longues respirations, il répondit.
- Ce n’est pas lui, c’est bien moi. Retourner ici… Ce n’est pas facile.
Pas un mot de plus, seulement la sensation d’être impuissante, Hrist se fit silencieuse alors que Lénine continuait son chemin de croix. Après quelques pas, la cuisine était franchie, une simple phrase reprit l’attention de Hrist, la voix de Lénine semblait inquiète.
- Tu… Tu les vois toi aussi ?
- Oui… Je les vois.
Une grande salle semblable à la première salle de bal offrait un nouveau spectacle, bien plus glaçant que le premier. Des illusions venaient aveugler et troubler un étrange champ de bataille, une armée de fortune fonçait contre les gardes et autres militaires, tuant ces derniers les uns après les autres. Deux figures en particulier vinrent se retourner pour observer Lénine. La première arborant une paire de petites lunettes, les cheveux frisés sourit au combattant avant de l’interpeller.
- Avance camarade ! Ce combat est aussi le tiens !
L’autre figure, la barbe mal rasée et les cheveux coiffés vers l’arrière plongea ses deux yeux malicieux dans ceux de Lénine, après un léger sourire énigmatique et avant de se retourner cette dernière parla à son tour.
- Dépêche toi, si tu ne prends pas le pouvoir maintenant, quelqu’un le fera à ta place.
Lénine s’apprêtait à répondre, une autre silhouette fantomatique traversa son corps, s’avança de quelques pas aux côtés des deux autres figures. Il ne fallut pas longtemps pour comprendre que cette silhouette était le révolutionnaire plus d’un millénaire auparavant. Le combattant tendit la main pour essayer d’arrêter son propre reflet, sans succès. A nouveau, la voix de Janus retentit dans l’arène.
- Eh bien, je t’avais prévenu, il est impossible de changer le passé, au moins la première épreuve aura été passée avec brio ! Ne t’inquiète pas il n’y en a que trois au total ! Tu as déjà affronté ton passé et je voulais te faire voir la suite des événements. Cependant, tu n’as pas encore tout affronté ou vu de ce passé qui te pèse encore aujourd’hui, que s’est-il vraiment passé à l’époque ?
L’humain grommela, au moment de saisir la poignée de son arme, cette dernière lui donna l’impression de le brûler, encore une illusion. Ce dieu était puissant, trop puissant, Lénine comprit aisément qu’il fallait jouer. Le combattant avança, prenant son propre rôle, sachant qu’il allait à nouveau commettre l’irréparable.
Les soldats tombèrent les uns après les autres, les révolutionnaires courraient ; Lénine en tête de file, l’armée impériale avait été défaite, les blancs étaient maculés de sang, il ne restait plus que le rouge. Le révolutionnaire ouvrit la porte pour les trouver, les Romanov. Quatre filles, un garçon encore jeune, deux adultes, un père et une mère. Plusieurs combattants attroupés derrière mirent en joue la famille royale. La voix du chef de la révolution résonna.
- Pas de bêtises. Une armée entière vous braque, votre règne se termine. La révolution a gagné, abdiquez.
L’empereur observa quelques instants son ennemi avant de baisser les yeux. Il l’avait compris, s’il n’écoutait pas, il ne serait pas le seul à en subir les conséquences, toute sa famille en pâtirait. Sans un mot, il leva les mains en l’air, se releva et s’approcha de Lénine, un simple geste de la tête poussa un soldat à s’avancer pour mettre des menottes au mains du désormais ex souverain. Un léger soupir plus tard, le futur dirigeant ouvrit la bouche pour prononcer sa sentence.
- Vous irez en dans le palais Alexandre. Ce sera désormais votre prison jusqu’à nouvel ordre.
Le roi sembla un peu confus, la logique aurait voulu le faire tuer sur le champ, et pourtant, le combattant ne semblait pas réellement de cet avis, et ce, malgré les protestations de certains de ses hommes. Lénine grogna, agacé.
- Vous avez besoin de tuer l’empereur, pas l’homme. Au fond ce n’est qu’un humain comme un autre, sa divinité n’est que poudre aux yeux. Retirez-lui ses habits, ses épaulettes, rasez-le et il sera comme vous et moi.
Légèrement dubitatifs, les soldats de fortune s’exécutèrent et firent disparaître la petite famille hors de la vue du futur dirigeant qui s’assit dans la chaise du bureau de l’ancien tsar, observant ses hommes.
- Messieurs… Ce n’était que le début, désormais de grandes choses seront accomplies ! Marx avait annoncé la dictature de prolétariat, et cette dernière doit enfin commencer ! Nous sommes finalement libérés des chaînes de la royauté, du monde passé ! L’histoire est en marche, nous étions prêts à mourir pour elle, elle ne pouvait que nous aimer en retour !
De nombreux soldats furent émus par ces déclarations. Mais au fond de lui même Lénine le savait, il le savait mieux que quiconque, il était dans le flou. Que faire, comment le faire, comment régner ? Il ne l’avait jamais appris, il avait des formations littéraires, des connaissances en droit de par son métier d’avocat. Le problème était là, on ne pouvait créer un leader de toute pièce, et de toute manière, il ne devait pas devenir dirigeant de ce nouveau monde. La réalité était bien cruelle, personne ne savait comment régler ce problème, tuer un tsar, métaphoriquement comme physiquement ne sauverait personne de facto. Après avoir détruit, il fallait recréer.
Les prochaines semaines furent simples, mettre un nouveau gouvernement en place, attribuer, attester, recréer une administration. Lénine y passait des jours entiers, des heures devant un bureau à signer des édits, en lire, en corriger. De temps en temps, lorsque ce dernier en avait le temps, il s’en allait vers le palais Alexandre, étonnamment, le futur leader communiste s’était lié d’amitié avec l’ancien tsar.
Une fois dans la demeure des Romanov, Lénine pouvait passer de longues heures à discuter avec le patriarche de la famille, les deux s’étaient trouvés de nombreux points communs, qu’il s’agisse de littérature, ou plus simplement jouer aux échecs et aux dames. Certaines fois Lénine s’amusait à dire à son prisonnier.
- Si on réglait les différends humains avec les échecs, peut-être y’aurait-il moins de problèmes.
La réponse de son compagnon de jeu restait en permanence la même.
- Tu sais comme moi que comparés aux pions, les humains sont plus sentimentaux…
Le rouge retroussait les lèvres, toujours pensif vis à vis de ces réflexions. Un jour, une question finit par échapper au communiste.
- Dites moi Nicolas. Pour gouverner un pays, pour rendre les gens heureux, que faut-il faire selon vous ?
- Vous pensez vraiment que j’ai la réponse ? Si je le savais vous ne seriez pas venu dans mon bureau pour y mettre votre fauteuil.
Après quelques rires, Le tsar leva les yeux vers le plafond, pensif. Une réflexion lui vint.
- Si je devais être honnête… Comme je n’ai plus à diriger depuis quelques temps, j’ai peut-être un début de réponse.
Lénine releva la tête hors du plateau de jeu, curieux d’entendre la réponse de l’ancien empereur. Ce dernier rebaissa la tête en fixant l’autre, un sourire se dessinant à travers sa barbe, pliant davantage sa moustache déjà recourbée.
- Je pense qu’il faut tout simplement comprendre que l’injustice ne disparaîtra jamais, que les maladies n’arrêteront jamais d’emporter les enfants de manière inopinée, que les hommes se tueront toujours entre eux. Cependant… Même sachant ça, il faut continuer de se battre contre ces injustices.
- Et comment ça ?
- Je ne sais pas. Je vous l’ai dit, je n’ai qu’une bribe de réponse, si un jour elle me vient, je vous le dirai, monsieur le nouveau grand chef.
Le leader claqua de la langue, les idées germaient peut-être comme du blé au soleil, les méthodes en revanche s’avéraient toujours compliquées à mettre en place.
Le jour suivant, Nicolas Romanov et sa famille avaient été obligés de quitter le palais. Lénine n’avait pas été mis au courant, ni de leur disparition, ni de la raison de cette dernière ; la destination lui était elle aussi inconnue. Plus ce dernier essayait de trouver des réponses, plus ces dernières étaient floues, il était sûr qu’un de ses proches ne voyait pas d’un bon œil son amitié avec l’ancien tsar.
Quelques mois passèrent, les recherches semblaient peu à peu mener bon, Lénine allait décidément enfin avoir les réponses à ses questions.
Le public voyait la vraie histoire, ces fantômes du passés qui dansaient, paradaient, discutaient. Les anciennes discussions avec le tsar, cette étrange vue troubla plus d’un spectateur. Entre les spectateurs émettant leurs théories et ceux s’émouvant de cette étrange vision, Göll connaissait les dossiers de l’humain, ses dossiers comme son histoire. Cette dernière discutait avec Trotski.
- Excusez moi de vous faire revivre cette période tumultueuse, mais de toutes les personnes possibles, Lénine était sans doute celui le plus désireux d’expier ses fautes, de changer ce passé.
Un léger sourire s’afficha sur le visage de son interlocuteur qui répondit simplement.
- Le thème de ce combat. Vous m’aviez dit que c’était la révolution. Il semblerait que vous soyez tombée sur un homme qui est prêt à se révolter contre le passé et l’histoire eux mêmes.
La valkyrie ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter, peut-être qu’envoyer Lénine simplement accompagné de Hrist n’était pas la meilleure idée.
Lénine eut sa réponse, le lieu actuel où se trouvait Nicolas lui avait enfin été révélé, en hâte, le dirigeant décida de rejoindre le lieu actuel ou se trouvait l’ancien tsar. Le calendrier affichait une certaine date « 16 juillet 1918 ». Une bonne partie du public savait déjà ce qui allait se passer. Après une nuit entière sur les routes, le soleil se levait, une légère carte en main, Lénine cherchait. Un premier coup de feu suivi d’un hurlement l’interpella, il courut sur place pour le voir, étendu sur le sol, la flaque de sang grossissant à vue d’œil. Le fils du tsar, âgé de treize ans seulement venait d’être abattu. Ses sœurs et sa mère hurlaient tout en pleurant, le petit corps inanimé perdait ses couleurs secondes après secondes, blanchissant secondes après secondes, seulement maculé du rouge écarlate qui coulait.
Un autre coup de feu retentit, une des filles tomba sur le sol, le corps par dessus celui de son frère. Lénine arrivait en hurlant pour s’interposer, par surprise, un des soldats tira sur une des autres filles, la tuant sur le coup. Quelques instants étaient déjà trop longs pour que les soldats réalisent que leur dirigeant se trouvait face à eux. Lénine eut seulement le temps d’entendre Nicolas lui hurler quelque chose avant de s’écrouler à son tour. Le message que le révolutionnaire avait cru entendre était le suivant « Connais-les ! »
De nombreux soldats après avoir réalisé l’ordre de leur chef proférèrent un nombre inquiétant d’excuses, il ne les entendait plus, il se contentait d’observer son ami qui venait de perdre la vie. La chaleur de son corps qui s’épuisait petit à petit, pas un mot, pas une partie d’échec, plus rien n’allait pouvoir être partagé entre eux désormais. L’un avait quitté ce monde en laissant un fardeau bien lourd sur les épaules du second, celui de trouver la réponse. Cette dernière n’intéressait plus Lénine, le leader d’origine si pragmatique et taciturne avait vu ses mains recouvertes du sang rougissant qui coulait du corps de Nicolas, leurs manteaux s’en imprégnant petit à petit. Il serrait les corps encore chauds de ceux qui venaient de tomber, le blanc avait à jamais disparu. Lénine avait causé leur mort, à eux, et des millions d’autres.
Dans un calme de façade, il observait son passé, debout, mains posées sur le côté des jambes, sans bouger d’un simple millimètre. La vision continua, que s’était-il passé après ? Le révolutionnaire se laissa doucement couler, petit à petit. Ses décisions politiques devenaient de plus en plus restrictives, violentes ; l’utilitarisme de Lénine avait atteint de nouvelles frontières. La mort de Nicolas avait à jamais scellé cet espace dans son cœur, cette petite possibilité d’humanité. Connaître certes, mais connaître qui, connaître quoi ? Qu’est ce que cette dernière phrase pouvait bien vouloir dire ?
Chaque jour qui passait, chaque signature le pesait de plus en plus. Il devait trouver le coupable, l’instigateur de cette situation dramatique. Lénine passait ses après midis à faire de longues promenades, parfois dans le palais d’Hiver, parfois dans le palais Alexandre. Tout était silencieux, muet, triste. Il avait des soupçons, il se doutait de l’identité du responsable, sans jamais de preuve tangible, Lénine s’efforçait d’éloigner le danger du pouvoir.
Quelques temps plus tard, la mort grattait à sa porte, bientôt il allait partir, jamais il n’aurait eu sa réponse. Que devait-il faire ? Comment devait-il gouverner ? Pourquoi s’était-il même retrouvé à devoir gouverner ? Ce n’était pas l’objectif, lui même le savait, toute cette révolution avait échoué, ce n’était qu’une mascarade. C’est quelques temps avant ses derniers soupirs que ses deux conseillers les plus proches devaient le voir. Ses indications étaient simples, éloigner le plus possible le vrai danger du pouvoir ; jamais Staline ne devrait lui succéder, jamais personne en réalité. Sa solution provisoire était la suivante : Trotski devait prendre les rennes du parti pendant un moment donné avant de tout supprimer, tout détruire, classes, frontières, pouvoir. C’était tel que Marx l’avait décrit.
Jamais Trotski n’eut le pouvoir entre ses mains, jamais il n’eut son mot à dire. Ce dernier dans le public serrait les poings sur son pantalon, il s’en voulait. Il n’avait pas réussi à arrêter la folie de Lénine, il n’avait pas réussi à le dissuader de certains choix, et surtout, il n’avait pas tenu sa promesse. Ce dernier se surprit à ponctuer l’histoire, prononçant une simple phrase à l’attention de Göll.
- L’année suivante. Staline était au pouvoir… C’était lui qui avait fait tuer Nicolas et sa famille.
La valkyrie ne répondit pas, elle connaissait déjà cette histoire, elle savait seulement que le dire à haute voix pouvait avoir une sorte de bienfait libérateur.
La vision se brouilla, les fantômes tremblotaient. Peu à peu ces derniers se mirent à disparaître, laissant le combattant dans la grande salle, vide, seul. L’humain soupira, saisissant et serrant la poigne de son arme avant de marcher à nouveau. Hrist leva la voix.
- Calme-toi ! Le but de ce jeu est de te faire craquer, il joue avec ton mental. C’est du passé, rien ne pourra le changer de toute manière, ce ne sont que des illusions, toi seul peut connaître ton histoire !
Lénine franchit la porte, pas un mot, pas une réponse, simplement la sensation que sa poigne hargneuse s’était légèrement libérée, les mots n’avaient pas été vains. L’humain se posta face au trône où le roi des lieux encore assit le toisa avant de rire.
- Eh bien ! Déjà libéré de ton passé, tu es amusant au moins mon cher ! Je pense que tu sais ce qu’il s’est passé après ta mort de toute manière. Après tout, tu as eu mille ans pour peser le poids de tes actions, tu le sais bien… Après… Tout était encore pire !
Le révolutionnaire resta silencieux avant de dégainer son arme dans un calme particulièrement choquant. Observant le fil de cette dernière, il la pointa à l’intention de son adversaire.
- Ta respiration est irrégulière, je vois quelques gouttes de sueur sur ton front. Pourtant tes yeux ne trahissent pas une quelconque peur. Avoue-le, ces illusions… Elles t’ont fatigué.
Heimdall ne put s’empêcher de commenter cet échange entre les deux combattants.
- Mesdames et messieurs ! Je m’étais efforcé de garder le silence tout au long de l’histoire de notre cher combattant humain ! Que de tristesse, que de tragédie ! Qui disait que les dieux seuls avaient le monopole de la souffrance, l’homme est semble-t-il son propre bourreau ! Cette déclaration est tout bonnement incroyable ; le seigneur Janus lui même serait déjà fatigué sans même avoir combattu ?!
Le dieu du passé et du futur se mit à éclater de rire, ses yeux rouges se plissaient tandis que les deux orbes bleues, bien plus sereines restaient ancrées sur Lénine. Après quelques instants, le dieu se releva et passa sa main dans ses cheveux, les remettant en arrière.
- Le jeu n’est pas terminé, mais regarde, tu as eu raison d’y participer. Je me retrouve en effet affaibli après ce petit tour, et désormais tu n’as plus qu’à m’affronter alors que je me retrouve partiellement limité !
L’humain se contenta de se mettre en garde au moment ou il vit le dieu prendre sa lance dans une de ses mains et un bouclier dans l’autre. Dans un léger sourire, Lénine répondit.
- Ne mens pas, je sais que tu as encore de la ressource, ce combat est loin d’être terminé.
En guise de réponse le dieu se contenta d’envoyer de toutes ses forces la lance à l’intention de son adversaire, ce dernier inclina la tête pour esquiver l’assaut, sans quitter le dieu du regard. La déité haussa les épaules en grognant légèrement
- J’aurais espéré que tu tournes la tête pour disparaître, enfin bon… Suis moi, ce bureau est bien trop petit pour combattre convenablement.
Il était serein, calme, peut-être même un peu trop. Janus emboîta le pas, passa à côté de Lénine et continua sa marche dans un calme olympien. L’humain avait baissé sa lame puis il la rengaina. Cet acte aurait semblé déraisonnable, n’importe qui sain d’esprit aurait au moins essayé d’attaquer le dieu à ce moment, ou au moins dans le dos. Ce n’est pas que Lénine ne voulait pas le faire, la réalité était plus terrible. Il ne pouvait simplement pas le faire.
Le dieu était un adversaire formidable, formidablement terrifiant en réalité. Il semblait pouvoir tout voir, ses deux paires d’yeux donnaient cette impression de transpercer la matière, c’est comme s’il voyait à travers vous, derrière lui, sur les côtés, partout en même temps, et ce, même à travers le temps. Dans sa marche cérémonieuse et calme, Janus ne put s’empêcher d’à nouveau essayer de faire la conversation.
- Je dois avouer que de tous les révolutionnaires auxquels j’ai eu à faire, tu es un cas à part. Chaque révolution a évolué. Au début les gens se battaient pour leurs droits uniquement, puis avec le temps, même leurs sacrifices au noms de leurs droits ont été détournés. Les droits sont devenus des idées, des causes. Avec le temps, l’humain lui même était instrumentalisé, d’une personne qui était prête à mourir plutôt que de vivre sans ces droits, il était devenu un pion sur un échiquier.
L’allégorie frappa Lénine, le dieu savait choisir ses mots, alors qu’il s’apprêtait à répliquer, Janus continua son petit monologue.
- Tu te demandes ce que tu as de spécial là dedans c’est ça ? Eh bien à vrai dire, de tous les chefs révolutionnaires que j’ai pu voir… Ton comportement différait. Robespierre était devenu une pauvre marionnette, une parodie en quelques sortes, le moindre désaccord et il coupait les fils d’en face. Washington était un fervent idéaliste, comme beaucoup d’autres… Gandhi était malhonnête. Bref, nul besoin de te faire la liste. La seule chose qui m’importe, c’est que tu étais le premier leader à te considérer toi même comme un pion sur l’échiquier.
Une image apparut devant Vladimir Lénine, un étrange échiquier en bois avec les pièces rouges et blanches semblait flotter devant lui. Après avoir attentivement observé les pièces, il se rendit compte que ces dernières étaient toutes des pions. Janus continua son récit.
- Le souci, et tu t’en es rendu compte. Ça ne peut pas marcher, l’homme n’arrive pas à subvenir à lui même, il a besoin d’instances plus puissantes. Un être plus fort dans la tribu, des dieux, un leader, des lois. Vous n’êtes pas des loups, vous êtes des abeilles. Si on enlève votre reine, vous dépérissez, à la différence près que, amoureux de vos propres vies, vous créez des reines de toute pièces.
Lénine ne put s’empêcher d’interrompre le dieu à ce moment.
- L’empereur n’est qu’un homme. Ce qu’il faut tuer c’est son image, si l’empereur meurt et que l’homme survit… Son image de fausse déité sera déjà morte, alors les hommes seront libres.
Le dieu hocha la tête.
- Précisément. Et après ? Tu t’es rendu compte que votre reine était morte, alors vous en avez créé une autre. Le gros souci… C’est que née reine ou non, rien ne changera tant qu’elle sera sur le trône. Tu le sais toi même, ta position de reine n’allait rien changer.
Lénine serra les poings et la mâchoire, la rage lui montait enfin, dans un excès de colère, il vociféra.
- Et alors ?! Qu’est ce qu’on était censé faire ?! Qu’est ce qu’on devait faire ?! Il n’y avait pas de bonne réponse, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais… Pas vrai ?
Dans un sourire mélancolique, les deux paires d’yeux de Janus renvoyaient un éclat terne, sa réponse fut un véritable coup d’épée.
- Je ne l’ai jamais trouvée. C’est pour essayer une dernière fois que je t’affronte.
L’humain soupira avant de saisir le manche de sa lame et de dégainer cette dernière. Le dieu prit à son tour sa lance et se mit en garde. Les deux ignoraient si au termes de ce combat la réponse leur serait donnée. Aucun homme ne l’avait jamais su, aucun dieu non plus ; leur seule certitude était que la seule manière d’avoir une réponse, c’était de la chercher par tous les moyens.
Le dieu poussa sa lance vers le flanc du révolutionnaire qui dévia le coup avec la tranche de sa lame. Les deux combattants se jaugeaient encore, bientôt la déité abattit une pluie d’estoc sur le pauvre humain qui paraît tant bien que mal les assauts. Couverts de petites plaies sanguinolentes, Lénine ne bougeait pas, il se contentait d’observer le dieu, d’attendre une faille. Heimdall sur son perchoir analysait la situation.
- Incroyable ! Même fatigué après tant d’illusions, il semblerait que Janus soit un adversaire bien trop puissant et coriace pour Lénine ! Les coups se multiplient, c’est une véritable myriade qui agresse l’humain ! Comment compte-t-il s’y prendre pour renverser la situation, les illusions semblent l’avoir lui aussi fatigué !
C’était presque une certitude pour le révolutionnaire. Ce dieu pouvait prévoir une partie de ses mouvements, peut-être pas tous, mais une partie au moins. Aucune des attaques ne portait, sa défense se faisait grignoter secondes après secondes. Le simple petit bouclier tenu dans l’autre main du dieu déviait chaque petit assaut de l’humain. Après un instant cependant, une lame vint trancher le flanc du dieu qui écarquilla les yeux vers l’humain, ce dernier sourit.
- Ce combat n’est pas un contre un, si je laisse ma valkyrie décider de mes coups de temps en temps… Alors tu ne peux pas être sûr de mon futur, c’est bien pour ça que tu n’auras jamais la réponse que tu cherches !
Le dieu rit en réponse. Ce dernier posa ses mains au niveau de ses yeux et arracha ses deux prunelles rouges avant de les jeter.
- Alors passons aux choses sérieuse ! Lénine, tu affronteras ton passé et ton futur en même temps ! Peux-tu venir à bout de deux adversaires en même temps ?
Les deux yeux rouges qui roulaient sur le sol se mirent à trembler, d’un côté un Janus à l’apparence juvénile et inquiète se dressait face à l’humain, une longue lance et un large bouclier en main. De l’autre, un homme plus âgé et hargneux tenait un glaive et un petit bouclier rond, Lénine était encerclé.
Dans un léger rire, l’humain serra sa lame, cette dernière se mit à briller. Après quelques instant, en tirant de toutes ses forces, la lumière se divisa. Lénine tenait dans un main un marteau, dans l’autre une faucille.
- Oui. Nous pouvons.
Chapter 29: Début de l'empire
Summary:
Janus révèle la véritable histoire de sa naissance et les raisons qui le poussent à se battre, Lénine arrivera-t-il à renverser la situation ?
Chapter Text
Après quelques longs instant à jauger leur adversaire, la version la plus âgée du dieu s’apprêtait à attaquer l’humain qui se trouvait en face ; armant son glaive, la figure bondit agilement vers l’homme qui dévia son coup en positionnant le marteau sur sa trajectoire. Lénine, calme comme à son habitude ne put s’empêcher un simple commentaire.
- Eh bien, vous m’attaquez sans même vous présenter ? Votre ancienne forme était plus bavarde.
L’humain sentit le froid du fer de lance lui brûler la joue, une coupure avait tracé un trait rectiligne le long de sa mâchoire, après quelques instants, les effluves sanguines se mirent à couler le long de sa blessure. L’autre version du dieu, plus jeune et d’apparence plus sereine s’avança légèrement vers Lénine avant de prendre la parole.
- Pardonne mon autre moi, ce dernier est souvent trop impétueux et impatient.
Quelques longues respirations plus tard, sans que les deux ennemis ne se mettent à bouger, Lénine appliqua son pouce sur la plaie qui saignait encore. Il essuya cette dernière avant de laisser couler le liquide écarlate du bout de ses doigts. Un léger rire lui survint, il ancra ses yeux sur un ennemi, puis sur l’autre.
- Le plus vieux avec ses yeux rouges, c’est le futur… Et toi avec ton regard apaisé et ton air triste, tu es le passé je suppose ?
Le barbu, plus âgé hocha vivement la tête avant de répondre.
- Tout juste ! J’aime bien les gens qui comprennent vite les situations, on perd moins de temps à tout expliquer, battons-nous maintenant !
- Du calme.
Exigea la seconde voix. Le vieillard fit une moue, il s’était résigné à obéir à son alter ego, n’attaquant pas leur ennemi. La lance encore en main, le plus jeune des deux étranges jumeaux se redressa avant de plonger son regard dans celui de son ennemi.
- Tu fais désormais face à la dernière épreuve de notre affrontement. Et tu t’en doutes sans doute, il ne s’agira pas seulement de nous affronter nous deux. Tu as certes affronté ton passé, mais lorsque tes décisions ont à jamais marqué des millions de vies, les amenant à leur propre mort, jamais tu n’auras fait directement face à cette situation. Tu devras désormais faire face à ce qui aurait dû être ton futur.
La deuxième voix interrompit la narration de son jumeau dans une joie non dissimulée.
- Tu dois certes affronter ton avenir, mais en plus de ça, tu ne dois pas te laisser engloutir par ton passé. Cette fois ci, tu n’as ni l’espoir d’un lendemain meilleur, ni d’un hier plus réconfortant !
Lénine était resté silencieux tout le long, la voix de Hrist retentit à travers ses deux armes.
- Quand bien même vous ayez peur de l’avenir ou que vous vous révoltiez pour un futur meilleur ! Quand bien même vous vous réfugiez dans un passé plus rassurant ou que vous enragiez sur vos erreurs passés… Les hommes ne font que ça, affronter leur passé comme leur futur.
Un gigantesque rictus s’afficha sur le regard du combattant qui leva une arme puis l’autre, chacune d’entre elle braquée sur un ennemi, comme si elles leur avaient été attribuées.
- Une faucille pour faucher les erreurs passées… Un marteau pour planter le clou d’un avenir. Ce combat. Tu ne le gagneras pas.
Pendant de longs instants, les deux figures divines observèrent en silence leur adversaire, le vrai combat allait enfin commencer. Cette fois ci la figure juvénile chargea l’humain, un bras tenant son large bouclier devant lui, l’autre bras maintenant la lance droite et dressée droit devant. Lénine se décala sur un côté pour éviter le coup, sa faucille attrapant une partie de la longueur de la lance pour dévier la trajectoire de son ennemi qui se retrouvait maintenant nez à nez avec son alter ego qui fut bloqué en pleine charge. Le représentant de l’humanité abattit d’un coup son marteau vers le crâne de la figure aux yeux bleus qui désormais lui montrait son dos ; le coup fut paré par la targe du deuxième combattant, forçant Lénine à tituber et reculer légèrement.
Les deux dieux se débrouillaient bien, trop bien même, de prime à bord les deux semblaient désorganisés, mais Lénine l’avait compris, ils étaient parfaitement complémentaires. Reprenant sa garde, le russe estimait les prochains coups de ses adversaires.
La lance n’allait pas tenter beaucoup de balayages, ce n’était pas une arme d’hast et vu sa taille, le risque de toucher son allié était bien trop grand. L’alliée quant à lui faisait face à une autre difficulté, en effet, il était bien plus préparé pour un combat rapproché, s’il ne faisait pas attention, il risquait fortement de se faire attaquer et blesser par la propre moitié de son âme. La vraie question était la suivante : qui attaquer le premier ? Qui était le plus dangereux des combattants dans l’état actuel des choses.
Un simple haussement de sourcil, une main un peu trop moite qui gênait la prise en main de son arme, c’était tout ce qu’espérait Lénine. Un combat a deux contre un était naturellement difficile, mais la situation dépassait toute commune mesure, Heimdall s’agitait depuis son perchoir de commentateur.
- Chers spectateurs, la transformation de sire Janus est tout bonnement incroyable ! Lénine semble acculé et je peux que le comprendre ! Les combats à deux contre uns sont toujours très dangereux, cependant, en temps normal les deux combattants s’ils ne sont pas préparés finissent toujours par se gêner ! Mais vous l’avez tous remarqué, ces deux ennemis ne sont qu’une seule et même personne, une seule et même âme ! L’humain est obligé d’affronter un ennemi et son propre reflet !
Une simple hésitation dans une paire d’yeux, il n’avait pas besoin de plus. Le plus jeune des deux clones eut à peine le temps de réagir que le marteau adverse venait déjà s’écraser contre le bouclier, pliant légèrement l’armature de métal. Les bras engourdis par le choc, le plus jeune ne put asséner un coup de lance suffisamment précis, l’estoc frôla seulement Lénine qui, se servant du momentum de son attaque repoussa encore plus violemment son adversaire, faisant perdre l’équilibre à ce dernier. Le bouclier encore levé pour se protéger, il ne comprit pas qu’une fois au sol, l’humain ne comptait pas l’attaquer lui mais bien l’autre. Le bouclier lui avait servi de tremplin pour fondre sur l’ennemi comme un oiseau sur sa proie. Le marteau levé bien droit pour gêner toute potentielle attaque, Lénine avait reculé la faucille à l’arrière de sa tête, prêt à asséner un coup de toutes ses forces.
Le plus vieux sourit et jeta son glaive au visage du russe qui décala la tête, l’arme frôla à nouveau sa joue, rouvrant la blessure qui commençait seulement à sécher. Malheureusement pour l’humain, son coup de faucille fut arrêté par son adversaire, ce dernier avait croisé les bras pour disposer son petit bouclier contre ses côtes, du côté de l’attaque. La faucille se planta contre le bois du bouclier, l’humain tira de toutes ses forces pour retirer la lame, mais c’était trop tard. Le vieillard saisit fermement son autre bras pour l’empêcher de s’échapper, la deuxième silhouette avait retrouvé ses esprits et s’apprêtait désormais à entamer une nouvelle attaque dans l’espoir de loger la tête de sa lance entre les omoplates de l’humain. Utilisant toutes ses forces, contractant tous ses muscles, Lénine parvint à basculer le vieillard afin de les faire chuter tout deux, la lance fut évitée de justesse, le combat ne menait nulle part. Il fallait gagner du temps, il savait le dieu bavard, autant lui poser des questions.
- Et donc cette fameuse question que tu te poses depuis le début, quelle est elle ?
Les deux figures divines face à l’humain penchèrent la tête comme pour réfléchir à sa question. La réponse arriva très vite, en même temps, comme si un seul homme répondait.
- Qui du passé ou du futur est le meilleur ? Inutile de m’apporter la même réponse toute faite que tous les autres m’avaient envoyée jusqu’à présent, je refuse le présent en tant que solution. Aucun homme ne peut vivre dans le présent, soit il vit dans l’anticipation d’un lendemain meilleur, soit dans la nostalgie d’une époque passée.
Lénine claqua de la langue, comment un simple combat contre un humain pourrait répondre à cette question ? Autant le dire, la situation était totalement bloquée pour le représentant de l’humanité qui s’efforça de trouver une autre question.
- Et… Pourquoi cette question t’obsède-t-elle ? D’où vient-elle ?
Visiblement enjouées, les deux parties du dieux étaient même prêtes à prendre chacune un rôle, en un claquement de doigts la scène semblait se transformer, bientôt Lénine eut l’impression de se retrouver au beau milieu de la Rome antique, tout du moins, à la naissance de cette dernière. Une voix se souleva, celle du plus jeune.
- Bienvenue dans cette représentation ! Tu nous as posé cette question, et elle est essentielle ! Bien souvent, les humains comme les dieux se plaignent de la vision binaire que certains peuvent avoir et pourtant… Rien n’est plus pratique que cette manière d’anticiper les choses.
Lénine, encore armes en mains écoutait attentivement le dieu qui semblait tout à coup plus passionné, comme si retourner dans le passé avait rendu cette figure plus joyeuse, plus gaie. De l’autre côté, le plus vieux semblait boudeur, il n’était pas à son aise au beau milieu de ce paysage d’un temps jadis. Le plus jeune continua tout de même son récit.
- Tout n’est pas binaire, mais tout voir sous cet angle facilite les choses ! Les gens forment des couples, on parle d’âme sœur, comme si nous n’étions qu’à moitié accomplis, à moitié réalisés ! Tout peut-être vu sous un simple point de vue ! Perdant et gagnant, dominant et dominé, triste ou joyeux, de Démocrite en Héraclite tout peut-être vu seulement sous deux factions ! Lors de vos guerres, trois partis différents ne le restent jamais bien longtemps, il finit toujours par y avoir alliances et trahisons entre deux grandes puissances !
L’humain qui écoutait attentivement chaque histoire du dieu l’observa quelques instants avant de poser une nouvelle question, comme pour s’assurer de quelque chose.
- C’est pour cette raison, que tu ne veux pas du présent comme réponse, à tes yeux il n’est que le point d’impact minuscule entre passé et futur ?
Le dieu claqua des doigts en pointant Lénine de ces derniers.
- Tout juste ! Alors pour répondre à cette question… Nous allons remonter à il y a longtemps… Très longtemps, avant même ma naissance… Quand le concept de binarité venait de naître.
Une nouvelle scène se dessina, les deux personnages semblaient s’être retrouvés dans l’espace. Bientôt des étoiles apparaissaient petit à petit, puis des planètes, Janus commenta.
- Avant tout, les choses existent ou elles n’existent pas, c’est soit du vide, soit du plein ! Ensuite…
Après la création de certaines planètes, le petit groupe sembla atterrir sur une d’entre elles. Les animaux mourraient ou survivaient, certains se dévoraient, d’autres se cachaient.
- Par la suite, il s’agissait de mourir ou survivre !
Bientôt des figures de divinités commençaient à apparaître à leur tour, des dieux que nul n’avait jamais vus, comme des idoles créées par Janus pour mieux raconter son histoire.
- Puis les dieux arrivèrent, et tu sais quoi ? C’était le début des guerres entre ce que nous pouvons considérer comme anges et démons, mais ce n’était que le début, car là ou le concept de binarité s’est le plus étendu, c’est à votre arrivée à vous, les humains !
Bras croisés, Lénine observait, il savait parfaitement de quelle histoire Janus allait parler.
- Vos chers Caïn et Abel ! En réalité, jamais Caïn n’avait tué son frère, et pourtant. Pourtant… Vous aviez décidé de compter cette histoire, justement pour créer cette nouvelle dualité. Celle du bien et du mal… être fort c’est bien, mais être fort au dépend des autres c’est mal. C’est avec ces concepts aussi subjectifs et binaires que vous avez réussi à survivre en vous entre-tuant le moins possible.
Janus claqua des doigts à nouveau, les scènes changeaient les unes après les autres, Lénine ne voyait que des parallèles étranges. Des humains qui en affrontaient d’autres, des esclavagistes qui fouettaient des pauvres bougres qui leurs étaient semblables en tout point. Des hors la loi et des gens de bonne foi, des malades et des sains. Après quelques instants, Janus claqua des doigts une énième fois, la scène reprit l’apparence qu’elle avait au début de son histoire, l’apparence de la naissance de Rome.
- Et c’est là ou je suis né. Être dieu de la dualité est trop général, trop compliqué, regarde Ahura Mazda, il n’était même pas dieu du concept de dualité en tant que telle, il était dieu du bon et du mauvais esprit.
Lénine comprit assez aisément qu’un concept aussi pluriel, qui pouvait être lié à tout et n’être lié à rien en même temps était-on ne peut plus dangereux. Un dieu de cet acabit serait trop fort, trop dangereux. Pour cette raison même lors du dernier Ragnarok, afin de parvenir à ses fins, Odin avait eu besoin d’un vaisseau, d’un réceptacle.
Au bord d’un fleuve, les protagonistes de l’histoire ne parlaient plus, une servante passait sans les avoir remarqués, cette dernière tenait deux bébés dans les bras. Chacun d’entre eux fut posé dans un panier et ce dernier glissa le long des flots. Le petit groupe suivait ce panier aller au gré des courants. Après quelques longues minutes, les branches d’un arbre déraciné stoppèrent le panier dans la course, une femme s’approcha des flots et, choquée d’y voir deux nourrissons souleva le réceptacle d’osier et son contenu hors des flots.
Lénine avait compris de quelle histoire il s’agissait, cependant, l’humain ne comprenait que très mal la raison qui poussait le dieu à lui montrer cette histoire en particulier. Toujours aussi muet et taciturne, il observait la scène en restant muet, c’était la meilleur occasion pour trouver un plan de contre-attaque.
Les jeunes enfants grandissaient à vue d’œil, le premier né était fougueux, aventureux, joyeux de nature. Toujours du genre à courir et vagabonder dans les champs, le jeune garçon était apprécié de tous pour son caractère volontaire. Son tempérament impétueux hélas lui attirait nombre de problèmes, parfois il se perdait, d’autres fois il était attaqué par des bêtes sauvages, mais tout le temps, il survivait.
Le puis né, son petit frère de quelques instants seulement était au contraire plus calme. Ce dernier était tout autant épris d’aventure que son frère, à une différence près, il était bien plus réservé et réfléchi. Le jeune homme était apprécié pour son caractère magnanime et sa sagacité. Bien souvent lorsque le plus âgé était embêté ou faisait face à un nouveau problème, c’était son cadet qui lui venait en aide.
La relation entre les deux frères était tout ce qu’il y avait de plus fusionnelle. Tout deux jouaient, tout deux s’amusaient. Leur alliance était tout ce qu’il y avait de plus fantastique, le naturel extraverti et puissant de l’aîné avait aidé le cadet à être moins timoré, plus fort, plus volontaire. Le cadet quant à lui, plus calme et posé avait apporté ce sel, cette patience que son frère ignorait, permettant à ce dernier d’être non seulement fort, mais également sage.
À l’avènement de leur âge adulte, les deux jeunes hommes, passés par l’art des armes aussi bien que par l’art de la politique et de la tactique avaient décidé de se venger. Les deux futurs leaders politique avaient tué celui qui usurpait le trône qui leur revenait de droit, ils étaient au courant, ils savaient que leur oncle était celui qui les avait fait abandonner dans cette rivière. Cependant, trop amoureux de l’aventure et du renouveau, les enfants décidèrent de faire regagner le trône à leur grand-père, en partant, le duo sur un ton amusé quitta la ville en annonçant simplement.
- Une aussi petite ville pour deux gouverneurs serait trop triste, nous ne sommes pas des oiseaux en cage ! Un royaume au minimum, voilà ce qu’il nous faut pour être libres !
Les deux avaient disparu, qui sait ou ils allaient faire apparition à nouveau. Quelques années s’écoulèrent, le début de leur royaume naissait enfin ! Malheureusement pour eux, les vautours n’étaient pas loin ; le plus âgé des deux frères entendait une rumeur jaillir de temps à autres, les racontars le mettaient en garde. Son frère voulait le trône pour lui seul, son frère complotait contre lui. Jamais l’aîné n’y aura cru ; des années de vie, une existence entière l’un à côté de l’autre, il était impossible que son frère veuille le tuer. Courroucés, les autres états comme certains dieux se voyaient obligés de trouver une autre solution pour déchirer à jamais cette alliance bien trop dangereuse. Leur courroux se redirigea sur le jeune frère. Diviser la fratrie via des rumeurs ou autres menaces de fonctionnait pas, il fallait changer le cours du temps, changer la possibilité des choses. Semer la graine du doute dans un esprit plus sage est souvent chose bien plus dévastatrice.
Une prétendue diseuse de bonnes aventures interrompit et interpella le plus jeune des deux frères, les yeux bleus azurés de ce dernier se posèrent sur la vieille femme qui leva les bras, affolées.
- Mon seigneur ! Les dieux m’envoient vous mettre en garde ! Les oracles sont formels ! Vous tuerez votre frère ! Peut-être pas volontairement, mais une de vos décisions le tuera ! Si ce dernier meurt, la ville s’écroulera ! Vous savez aussi bien que moi que vous étiez paré à mourir depuis le premier jour, votre aîné lui n’y songe même pas ! Si vous disparaissiez, vos conseillers permettraient à la ville de poursuivre son essor… Si lui disparaissait… Personne ne pourrait prendre sa place.
Il doutait. C’était bien suffisant, d’un côté, son esprit clair et réfléchi lui hurlait que c’était chose impossible, que jamais une de ses décisions ne viendrait à tuer son frère. Après tout, si ce dernier mourait, la ville mourrait avec. C’est après une longue nuit de réflexion et de délibération que le cadet réalisa. Il était prêt à sacrifier la ville entière pour sauver son frère, des milliers de vies étaient dispensables pour la simple et bonne raison que la survie de son frère permettrait à nouveau la création d’un tel El Dorado. Cependant, que faire de cette information, il était persuadé de ne rien faire qui pourrait tuer l’autre moitié de son âme. Le doute laissa place à une terrible réalisation, s’il favorisait son frère au peuple, ce dernier se révolterait et pourrait sans doute aller jusqu’à assassiner son souverain.
Les jours passèrent, les semaines, les mois. Le plus sage des conseillers s’était amaigri, le fier guerrier qu’il fut n’était plus que l’ombre d’une glorieuse époque passée. Son frère s’inquiétait, il voyait son cadet s’affaiblir, dépérir jour après jour sans connaître la raison de cette situation. Il fallait tirer les choses au clair ; hélas, jamais il n’aura eu le temps de le faire. Trop résolu, le plus jeune de la fratrie s’était donné la mort, il avait préféré mourir que d’imaginer la possibilité de tuer son propre frère.
Un grand cérémonie sans pareil fut mise en place. Le décès de l’autre régent du pays était une affaire aussi gravissime que triste. Aimé de tous, la disparition du jeune roi avait été un réel drame, autant pour le pays que pour son aîné. La solution de ce dernier fut simple, essayer à tout prix d’accomplir leur rêve, faire de leur cité un royaume, un royaume pour que tout deux puissent être libres.
Pour cette raison, l’aîné partait en guerre, il passait plus de temps sur les champs de batailles qu’au sein de sa cité ; autant par tristesse que par détermination. Fouler le sable que son frère foulait autrefois était plus violent encore que de sentir les flèches ennemies lacérer la chair. Bientôt leur empire fut un des plus grands, des plus puissants de l’histoire. Chaque nouvelle conquête voyait le désormais seul roi se rendre seul sur la tombe de son frère. Chaque année il voyait le nombre de fleurs décroître sur cette dernière ; l’histoire est chose cruelle, l’homme oublie plus vite les hommes et les accomplissements que les monstres et les désastres. Au fur et à mesure du temps, seulement quelques fleurs, un petit bouquet subsistaient encore et toujours, années après années, ces fleurs, c’étaient celle du souverain.
L’histoire compte encore aujourd’hui que le principal souverain était mort jeune, avant même d’atteindre la quarantaine ; cependant, nombreux le savent, cette histoire est fausse, cette date coïncidait en réalité avec son retirement des affaires politiques de son empire. Quiconque dans le royaume, malgré sa barbe blanchie, malgré son visage marqué par le temps pouvait le reconnaître. Que ce soit par le rouge de ses yeux comme par la droiture de sa démarche, chaque citoyen le savait, il continuait de veiller sur cette nation que lui et son frère avaient créée il y avait bien des années.
Le jour de sa mort parvint, même vieilli, même fatigué, alors que l’ancien roi éprouvait moult difficultés à se déplacer en haut de la colline, il s’était rendu une dernière fois sur la tombe de son frère, une fois assit aux côtés de cette dernière, il compta une dernière fois sa journée. Puis le temps passé, ce qu’il avait accompli, ce qu’il avait raté. C’était chose rare, il avait plutôt tendance à parler du lendemain, de ce qu’il allait faire, de ce qu’il allait accomplir cette fois ci. Pourtant, alors qu’il sentait les larmes lui monter avant de s’écraser sur ses mains tremblotantes, il le savait, jamais il ne verrait le jour se lever à nouveau, son heure était venue. La voix nouée par les sanglots, il ponctua son long monologue.
- Pardonne-moi Rémus… Ton grand frère t’aura fait attendre trop longtemps. Il est enfin temps que je te rejoigne.
Le vieil homme s’était paisiblement éteint, à côté de son frère, comme il l’avait toujours voulu. Une fois arrivée aux cieux, Ares avait accueilli les deux frères. Le jeune dieu de la guerre était fort embêté par cette histoire.
- En réalité… Les fils de vos destins n’ont pas été coupé comme ils auraient du l’être. Les dieux ne sont pas censés intervenir dans les grands moments de l’histoire, jamais Rémus n’aurait dû mourir aussi jeune, et jamais Romulus n’aurait dû mourir aussi vieux… Ces événements nous gênent affreusement ici… On ne sait toujours pas quel est le dieu responsable de cette situation. Enfin bref ! J’ai une proposition à vous faire. Que diriez vous de devenir dieux ? Vous pourriez enfin renouer contact et accomplir les choses dont vous aviez toujours rêvées !
Naturellement, les deux frères acceptèrent la proposition avec autant de joie et d’honneur, pour ne jamais douter ou mourir à nouveau, les deux âmes s’étaient mêlées entre elles, créant un nouvel être, Janus.
Lénine avait on ne peut mieux compris la nature de cette histoire, il l’avait réalisée dès qu’il avait vu les deux enfants grandir et devenir adultes. Comme pour confirmer sa réalisation, il posa les yeux sur les deux divinités qui se tenaient côtes à côtes et après quelques instants, il ouvrit la bouche.
- Vous êtes Rémus et Romulus… Pères du grand empire romain ?
Les deux ennemis hochèrent la tête avec un fin sourire et dans une joie non dissimulée, le plus âgé des deux prit parole en rigolant légèrement.
- Eh bien tu vois ! Tu te plaignais de la couleur rouge qui avait envahi tes rêves et ton pays ! Tu te retrouves à devoir affronter un autre empire rouge, elle n’est pas belle la vie ?
L’humain soupira un peu avant de serrer davantage ses deux armes, il n’avait pas trouvé de plan, mais mieux connaître ses adversaires allait peut-être l’aider à en trouver un. L’humain sourit légèrement avant de prendre la parole.
- En effet… Tout n’est qu’un cycle.
Chapter 30: Fin d'un cycle
Summary:
L'affrontement entre Lénine et Janus arrive à terme ! Qui des deux factions l'emportera ?
Chapter Text
La tension entre les combattants se faisait électrique, le public retenait son souffle. Connaître le passée de son adversaire avait permis à Lénine de mieux appréhender cet affrontement et surtout de mieux le jauger, mais rien n’y faisait. Le duo qui se trouvait face à lui semblait quasi imperturbable, et surtout, il n’avait montré aucun point faible. La logique aurait voulu que la division du corps principal réduise la force et les capacités de chaque doublon et pourtant, ces deux individus semblaient chacun aussi fort que l’original. Plus encore, le plus gros défi de cet affrontement, c’était bien la force synchronisée des deux dieux. Lénine entendait la voix de Hrist résonner à travers ses armes.
- Même si chacun n’avait eu que la moitié du pouvoir d’origine, ce combat aurait été tout autant difficile, en tant normal, lorsqu’on se bat à plusieurs, on gêne forcément les autres.
L’humain ne répliqua d’aucune façon, trop concentré et bloqué sur ses ennemis, le moindre relâchement signifierait sans aucun doute la mort. Pour cette raison, Lénine d’ordinaire muet l’était d’autant plus, à la différence près que ce silence paraissait bien plus lourd, tant de sens que de circonstance.
Après quelques instants, la myriade de coups du s’abattre, humain comme dieux, le trio le savait, l’affrontement devait s’achever, la conclusion tant recherchée devait leur parvenir. L’ancien révolutionnaire fonça à toute allure vers le plus jeune des deux dieux. La faucille s’abattit contre le large bouclier en bois qui fut légèrement transpercée par l’arme de l’humain ; Rémus tenait son bouclier face à lui, sa vision était couverte, il n’avait pas besoin de voir, il savait son frère déjà en prêt à attaquer l’assaillant.
A sa grande surprise, un violent coup de marteau retentit, la lame de la faucille qui pointait légèrement de son côté du bouclier s’enfonça encore davantage. Lénine avait frappé sa lame avec son marteau, peut-être pour atteindre le dieu au travers du bouclier.
Romulus était déjà en train de sauter à la gorge de l’humain, par réflexe, Lénine tira la faucille vers lui, entraînant Rémus au passage, ce dernier créant une barricade entre son frère et son ennemi. L’ancien roi romain cramponnait sa lance et essaya de transpercer l’homme par instinct. Dans un élan de force surnaturelle, Lénine tira de toutes ses forces, la faucille vint fendre le bois et déchirer le bouclier en deux parties distinctes. Le choc du marteau qui enfonça la lame avait fragilisé les nervures du bois, permettant ce tour de force, le dieu jeta les restes du bouclier au loin en souriant légèrement.
- Eh bien, je vois que tu as passé ces dernières années à t’entraîner ! Nous t’avions prévenu que ta dernière épreuve te ferait affronter ton passé et ton futur. Alors vois, humain ! Que les fantômes du passé et mirages de l’avenir t’assaillent !
L’humain recula pour observer l’image des deux dieux se distordre. Rémus, incarnation du passé après quelques instant se montra sous un nouveau jour, ses yeux demeuraient bleus, mais sa silhouette différait, son allure était droite, il arborait un costume de la couleur de ses iris, ses épaulettes dorées scintillaient légèrement, dans une garde droite, il abaissa son épée sur le côté. Lénine grogna et serra les dents.
- Nicolas…
Du côté du deuxième souverain, l’image distordue laissa place à une épaisse moustache noire et sombre. Deux petits yeux rouges et malicieux scintillèrent, comme si ces derniers essayaient de percer au travers du corps de l’humain. Le costume brun militaire de la nouvelle figure entrait en parfaite harmonie avec le fusil tenu entre ses mains. Cette fois ci, l’amertume de Lénine laissa place à une colère qui n’avait pas encore été vue au cours du combat.
- Joseph…
Les deux répliques se postèrent côte à côte, l’une levant son épée, l’autre chargeant son fusil. Le combat allait-il être encore plus compliqué ? Alors que le duo se préparait à attaquer, il fut interrompu par le rire quasi dément de leur ennemi. Lénine levait les yeux au ciel, hilare, après quelques instant, l’humain fit un large sourire en observant les deux figures face à lui.
- Pardonnez moi, mais les voir tous les deux se battre côte à côte est une vision aussi peu naturelle qu’hilarante.
Les deux silhouettes n’émirent aucune réponse, tout simplement, elles reprirent leurs gardes, prêtes à attaquer à nouveau. En réponse, l’humain serra un peu plus fermement les pommeaux de ses armes. Le plus urgent était de neutraliser le combattant à distance, laisser un tireur en tranquillité sur un champ de bataille, c’était lui laisser l’opportunité et le luxe de tuer à coup sûr.
La réelle difficulté c’était d’éviter les estocs et autres taillades que le sosie de l’ancien tsar assénait à tout bout de champ. Lénine le sentait, devoir éviter les attaques ennemies tout en faisant attention de rester dans l’angle mort du tireur, c’était difficile, trop difficile. La sueur venait s’accumuler sur son front et perlait abondamment, il avait beau réfléchir, il ne voyait aucune solution pour venir à bout du tireur, et il savait qu’essayer d’affronter Nicolas actuellement était futile ; s’il n’avait pas toute l’étendue de l’arène, le combat serait bien trop désavantageux. Le russe se contentait de dévier les attaques ennemis en utilisant son marteau pour en faire ricocher certaines et sa faucille pour en rediriger d’autres, le problème était le manque de portée de son attirail. Lancer le marteau sur le tireur était une option, mais se désarmer même un instant sans être sûr de pouvoir blesser ou tuer son ennemi était hors de question.
Le dieu gagnait du terrain, et il sentit, il comprit. L’humain venait de faire une très légère erreur en calculant toutes ses possibilités et tous les risques. Une balle de fusil vint lui transpercer le mollet, puis un coup d’épée remonta de son abdomen jusqu’à l’angle de sa mâchoire, faisant gicler son sang sur le costume ennemi. Lénine tomba à genoux alors que son adversaire s’apprêtait à achever son ennemi. Une simple phrase dissuada le dieu et le fit reculer.
- Maintenant on est tous rouges… Tous dans la même merde.
L’humain titubait, il se relevait petit à petit ; sous le coup de la surprise, Rémus avait hésité. Lénine s’était servi du dos de sa main pour y essuyer du sang et le projeter au visage de son ennemi. Il ne devait pas le tuer ni l’achever maintenant, le risque d’être mis à découvert aurait été trop gros. Un violent coup de marteau brisa quelques côtes du dieu qui chancela sur le côté, une simple ouverture qui poussa le révolutionnaire à foncer vers l’autre ennemi. Sa jambe le gênait, la balle avait heureusement transpercé son mollet de part en part, pour autant, le trou béant qui faisait ruisseler abondamment du sang et l’arrachage partiel du muscle était une gêne considérable.
Se précipitant vers le tireur adverse, il le sentait, il n’allait pas arriver à temps ou réussir à esquiver le tir, il fallait trouver une parade, un moyen de l’empêcher de tirer cette balle qu’il était en train de réarmer. Foutu pour foutu, l’humain joua le tout pour le tout. S’il ne pouvait pas blesser l’ennemi, il empêcherait le fusil de faire feu, reculant la faucille derrière lui, l’humain la jeta de toutes ses forces comme s’il s’agissait d’un boomerang.
Au même moment, le dieu enclencha le mécanisme en appuyant sur la gâchette. Le coup n’est pas parti, le timing avait était parfait. Le fusil russe de l’époque était au niveau du canon parsemé de petits trous pour faciliter l’arrivée d’air. La pointe de la faucille s’y était logée et avait bloqué la balle censée partir.
Romulus grogna, saisit le manche de la faucille pour la jeter, tant pis pour les coups de feu. Le dieu agrippa fermement le canon de son fusil entre les mains et essaya d’abattre de toutes ses forces la crosse de ce dernier contre l’humain, ce dernier était blessé, la déité elle, encore en bon état, il avait forcément l’avantage.
Le coup de crosse résonna contre le marteau que Lénine tenait encore faiblement, il sentait ses forces le quitter peu à peu, il avait déjà perdu trop de sang. Il suffisait de regarder derrière l’humain, à chaque pas de sa jambe droite, le sol était recouvert d’une épaisse flaque de sang, reliée par quelques gouttelettes que son torse laissait échapper à intervalle régulier.
- Tu as perdu humain ! Malheureusement pour moi, je n’ai toujours pas ma réponse… Mais au moins, tu auras gardé la tête haute jusqu’au bout !
La révolutionnaire palissait et haletait de plus en plus. Sans les multiples taches de sang qui venaient lui colorer le visage, on aurait pu le croire déjà mort. Il devait trouver une solution et vite, il ne pourrait pas gagner ce combat au corps à corps et le deuxième frère s’approchait dangereusement tout en se tenant le flanc blessé auparavant.
Un éclat de génie survint, l’humain savait quoi faire, il avait compris comment enfin renverser le cour du combat, il avait eu sa réponse. La figure maculée de sang de l’ancien tsar tranchait tellement avec le triomphe des vêtements de guerre immaculés du futur père des peuples que Lénine eut une réelle révélation. Dans un râle il ouvrit la bouche.
- Ma réponse… Je l’ai.
L’étonnement du dieu offrit à l’humain la possibilité de se ruer sur sa faucille pour la récupérer. Brandissant à nouveau ses deux armes, l’humain continua.
- Peu importe les armes, le passé, le futur, le présent. Tout est en effet un cycle… Pour autant !
Dans un dernier effort, il se rua et courut droit sur l’ennemi. Le public comme les commentateurs ne savaient comment réagir ou quoi penser ; Heimdall s’époumonait depuis les hauteurs.
- Incompréhensible ! Inconcevable ! Pourquoi Lénine s’acharne-t-il ? Quelle est sa fameuse réponse ? Foncer droit sur ses ennemis c’est du suicide !
Les deux dieux se mirent en garde à leur tour, au moment d’attaquer une énième fois, Lénine bouscula d’un coup d’épaule Rémus en se jetant sur ce dernier, déjà affaibli par sa blessure. La chute de ce dernier força son frère à se retourner pour essayer de l’attraper. Au même moment, encore dans la chute, l’humain saisit de toutes ses forces la lames du plus jeune des deux frères pour forcer la direction de cette dernière sur l’aîné.
Pris par leur élan ou trop affaiblis, aucun des deux dieux ne put répliquer ou empêcher l’inévitable. La lame de Rémus avait transpercé l’abdomen de Romulus. La seule barrière qui les séparait était la main de l’humain qui tenait fermement la lame.
- Tant que je ne retirerai pas cette main, c’est moi qui aurai tué ton frère.
Il savait cette pensée horrible pour le cadet, lui qui avait toujours vécu dans l’ombre de l’aîné, non pas par dépit, mais par volonté. Lui qui avait préféré la mort pour que son autre lui puisse continuer d’avancer. Rémus, sous le choc ne pouvait plus bouger, son frère à demi conscient parvenait à peine à respirer. L’humain leva la voix.
- Vous vous étiez encore éloignés. La réponse était là… Elle n’est pas exacte, elle n’est pas non plus la seule et unique, mais c’est ma réponse. Ce qu’il voulait dire à l’époque… Si nous connaissons les gens… Nous pouvons travailler ensemble.
Les coulures de sang tintaient et empêchaient l’humain d’articuler correctement. Lui qui d’ordinaire silencieux et pragmatique aurait économisé ses forces avait décidé de parler.
- La solution est simple… Si tu n’as pas de réponse, demandes à un autre… Puis à un autre… Puis quand vous aurez tous une idée… Changez un peu ce cycle, puis le suivant… Et à la fin, le cycle ne fera plus aucun sens et mourra de lui même…
Les dieux demeuraient silencieux, l’un allait bientôt mourir, l’autre se préparait à l’inévitable. Dans ses dernières forces, Lénine bouscula le corps de l’aîné qui entraîna la lame dans sa chute, faisant lâcher le plus jeune. Il haletait péniblement, presque mort, Rémus ne voulait plus se battre, il se contentait de pleurer. L’humain saisit la lame du perdant avant de la lever au dessus de la tête.
- Je trancherai au moment de son dernier soupir… Vous partirez ensemble.
Dans un sourire plein de souffrance, le dieu remercia l’humain qui mit le coup final.
L’humanité avait gagné un nouveau round. Quatre contre trois.
Chapter 31: Calculs et estimations
Summary:
Le septième round du Ragnarok est terminé, les prochains combattants s'avancent, qui seront-ils ?
Chapter Text
Dans les gradins du côté humain comme du côté divin, tous le réalisaient, ce qu’il venait de se produire sous leurs yeux ébahis était une véritable révolution. Il y a un millénaire en arrière, déjà l’humanité avait pris la tête au septième round, cependant, chaque changement de cycle restait une évolution en soi, et celui ci l’avait bien prouvé, puisque l’humanité avait déjà eu la tête au premier round de ce Ragnarok. Haletant, coincé entre le monde des songes et du réel, Lénine luttait pour garder les paupières écartées, s’il fermait les yeux, il savait qu’il disparaîtrait à son tour, que jamais plus il ne pourrait les ouvrir à nouveau.
Le sang ruisselait encore alors que sa valkyrie tout aussi affaiblie quittait son enveloppe d’arme pour essayer de soutenir le combattant tant bien que mal, il grelottait. L’arène du Ragnarok était lieu sacré, les combattants pénétraient seuls en son enceinte et ils devaient la quitter seuls. Personne n’avait le droit de bouger ou de venir en aide au combattant de l’humanité. Les corps du dieu à l’origine bicéphale avaient déjà disparu, il ne restait plus que les victorieux sur le champ de bataille, un dont le sang refroidissait petit à petit et l’autre qui essayait de lui faire garder conscience tant bien que mal.
Un second souffle devait venir, Lénine devait pousser sur ses jambes de toutes ses forces, qu’il respire péniblement ou non, quitter ce château en vie, c’était bien son seul objectif. Pour la première fois de l’histoire du Ragnarok, l’impossible se produisit. L’humanité qui s’était montrée plutôt silencieuse en observant le combat d’un homme face à son histoire et sa conscience avait décidé de quitter son mutisme. Bientôt de nombreux cris d’encouragement résonnèrent à travers le stade, faisant même trembloter les légers grains de sables qui se trouvaient devant le palais.
Ses dernières forces l’avaient presque quitté, et pourtant, dans un pas presque inhumain, tachant le tapis de rouge, l’humain se releva une nouvelle fois. Lénine, même aidé et en partie tracté par sa valkyrie enchaînait plusieurs pas, tant bien que mal, il grognait, son visage se tordait de douleur. Parfois même il semblait perdre un peu connaissance ou s’écrouler, mais dans un énième serrage de dents, il reprenait sa marche. Mordre ses lèvres était inutile, plus aucune goutte de sang n’aurait été capable de couler.
Après une dernière lutte, la lumière aveuglante du stade avait enfin laissé place à l’obscurité du long corridor qui amenait les combattants à leurs morts ou à l’infirmerie, tout dépendait du sens ou on empruntait ce dernier.
Heimdall avait naturellement commenté chaque pas du combattant. Parfois ce qui intéressait le public, plus que l’affrontement, c’était son résultat, voir les larmes du vainqueur, la peau meurtrie du défait. Le dieu mugissant se permettait tout genre
d’hyperboles.
- L’humanité fait de nouveaux pas ! À tâton ! Chancelants ! Mais elle avance ! Mesdames et messieurs, chers spectateurs ! Nul participant de ce noble tournoi n’aura été capable de derniers pas aussi tristes, aussi pathétiques et en même temps, forçant un tel respect !
Lénine avait disparu dans l’obscurité, l’affrontement avec le dieu romain n’allait à nouveau n’être plus qu’un souvenir, et un nouveau Ragnarok aurait sans doute lieu dans le millénaire prochain. Aux anges, Göll sautait de joie et s’empressa de quitter les
gradins, pour se jeter dans les bras du vieux samouraï qui avait tout observé de l’affrontement.
- Kojiro ! Ils ont gagné ! Ton disciple et ma sœur ! Ils s’en sont sortis !
Le vieillard hocha doucement la tête. Un grand sourire sur les lèvres.
- Evidemment qu’ils ont gagné ! On parle de la plus âgée des valkyries encore en vie, tu sais bien que les plus vieux sont souvent les plus durs à cuire !
Satisfaite, la cheffe des valkyries se retira tout de même pour préparer la suite des opérations. Son objectif était toujours le même, remporter ce Ragnarok avec le moins de pertes possibles, là dessus les règles étaient inchangées, le premier camp atteignant les sept victoires était victorieux, tous les combats suivants se voyaient annulés. Sept round était le résultat minimum, treize le maximum ; si on faisait le calcul, ce Ragnarok ferait au minimum dix combats si l’humanité remportait ses trois prochains affrontements.
Dans le couloir, les talons de la valkyrie au cheveux blancs résonnaient, elle se dirigeait vers une nouvelle salle, cette fois ci elle n’avait aucun besoin de se concerter avec Sun Tzu, aucun besoin non plus d’être escortée par Salomon, pour la simple et bonne raison que le chevalier Roland s’était mis à la suivre et ce, depuis leur discussions avant le septième round. Au bout d’un certain moment, Göll se décida à interroger son étrange compagnon.
- Sir Roland, excusez-moi mais… Y’a-t-il une raison derrière votre escorte ? Voulez-vous me demander quelque faveur peut-être ?
L’armure du chevalier émit un bruit de cliquetis mécaniques au moment ou celui ci se redressa pour répondre à la valkyrie.
- Mon seigneur a sympathisé avec le seigneur Salomon, ils m’ont demandé tout deux de t’escorter et de m’assurer de ta sécurité. Seigneur Salomon craint que tu sois attaquée par Asmodeus.
La valkyrie pouffa légèrement de rire.
- Ah oui, ça lui ressemble bien… Aussi blagueur et enjoué soit-il, il reste étonnamment à l’écoute et du genre à prendre soin des autres.
Le chevalier hocha la tête, croisant les bras.
- C’est un homme bon, fait du même bois que mon seigneur, je ne serais pas embêté de lever la lame pour un roi tel que lui. Il est rare que mon seigneur s’entende bien avec un autre roi par ailleurs.
La valkyrie fit quelques pas supplémentaires en se dirigeant vers une nouvelle salle, elle discutait avec le chevalier qui restait d’un naturel plutôt silencieux et taciturne, comme un chien de garde, l’exception étant le moment ou le sujet de son seigneur était abordé. Dans ces cas là, le mutisme naturel du chevalier disparaissait et laissait place à de longs monologues pour qui voulait bien les écouter.
Une grande porte se dessina devant les deux compères, elle avait une allure de coffre fort. La demoiselle saisit unes des poignées de cette étrange structure et une lumière vint rebondir sur sa rétine. La manivelle tourna d’elle même et la porte s’ouvrit sur un sas, Göll se sentait nostalgique. Toujours aussi muet, Roland observait chaque recoin de ces étranges créations, cette vision était déroutante pour un chevalier qui semblait être un anachronisme sur pattes. Un ressort comique voulait que le fer de son armure ressemblait étonnamment et réverbérait autant la lumière que les murs de ce long sas. Au bout d’un moment, l’autre porte s’ouvrit sur un groupe complet d’individus tous différents en train de gratter du papier et de débattre bruyamment. L’aînée des valkyries reconnu certaines des figures.
- Newton, Galilée, Edison, Einstein, Nobel. Heureuse de tous vous revoir ! Je vois que vous avez recruté de nouveaux membres !
Einstein, sautilla légèrement de joie en entendant la voix de la Valkyrie et lui prit la main pour être sûr d’avoir son attention.
- Et pas des moindres ! Johannes Kepler, un des plus grands astronomes de l’histoire ! Erwin Schrödinger, et ses recherches sur la physique quantique, il est accompagné des éminents Niels Bohr et Max Planck ! Mais également, deux des plus grands mathématiciens de l’histoire nous ont rejoint, Pythagore et Thalès !
La Valkyrie s’avança et observa les personnes présentes.
- Mais… Monsieur Einstein… Je vois bon nombre de femmes également, qui sont-elles ?
Une demoiselle au cheveux ébouriffés, le teint blafard et les yeux cernés bailla au côté de la valkyrie. Elle semblait chétive, faible en quelques sortes, la scientifique détacha ses longs cheveux frisés en pagaille et s’efforça de les remettre en arrière. Sa blouse était recouverte de nombreux agents et autres produits chimiques différents. Elle posa ses yeux bleus parfaitement ronds, tachetés d’une pointe d’optimisme sur la Valkyrie.
- C’est parce qu’il voulait que je vous les présentes. Margaret Hamilton, elle a écrit à la main tous les calculs ayant permis à l’homme d’aller sur la lune. Ada Lovelace, on lui attribue la création du premier programme informatique de l’histoire. Irène Joliot-Curie, ma fille. Hedy Lamarr, sans elle, ni Wi-Fi, ni Bluetooth. Katherine Johnson, une des plus grandes figures de l’astrophysique. Et enfin la plus jeune d’entre nous, Katie Bouman, c’est elle qui a en partie permis à photographier un trou noir pour la première fois de l’histoire.
Roland, aux côtés de la valkyrie demeurait bras croisés, pour être honnête, il n’avait pas compris le moindre mot de ce que les scientifiques étaient en train de déblatérer. Le chevalier avait décidé de se souvenir des noms, c’était tout ce qui importait de toute manière. Les regards insistants qui lui étaient porté semblaient tout de même le déranger, qu’est ce que ces gens pouvaient bien lui vouloir ? Marie Curie se tourna vers lui et dans un léger sourire ajouta.
- Excusez-les, c’est la première fois qu’ils ont l’occasion de voir un vainqueur du Ragnarok devant eux, ils sont donc plutôt intrigués.
Le chevalier grommela un peu.
- Hmmm… Oui, je peux comprendre, je semble assez anachronique dans ce paysage.
La scientifique rigola légèrement à cette prise de conscience et fourra ses mains dans les poches de sa blouse. Le regard toujours fatigué et cerné, elle posa ses deux orbes sur la valkyrie qui était venue lui rendre visite.
- Je pense déjà savoir la raison de ta venue Göll… C’est mon tour n’est-ce pas ?
En réponse, la cheffe des valkyries hocha la tête, l’air calme et déterminé.
- En effet, Le septième combat s’est terminé il y a une trentaine de minutes seulement. Je sais que le prochain affrontement n’aura pas lieu avant demain, le temps de nettoyer l’arène et la remettre en ordre… Mais je tenais à venir dès maintenant pour vous prévenir, demain, ce sera votre tour d’aller sur le champ de bataille. J’espère que vos expériences et autres plans sont tous prêts. Dans un air un peu absent, Marie Curie secoua un peu la main en rigolant.
- Oulah, depuis quelques temps déjà, nous effectuons des derniers réglages et améliorations depuis un bon moment, pour le reste sur notre temps libre…
La valkyrie déglutit, elle se demandait ce que l’humaine allait bien pouvoir lui conter, quelle merveille cette dernière avait encore mise en place. Figée dans ses pensées, la scientifique commença un long monologue.
- Premièrement nous sommes encore en train de supporter et d’aider le docteur Pasteur dans ses recherches, il n’est pas présent actuellement car il travaille sur des virus et autres bactéries hautement volatiles et la moindre perturbation le gênerait. Ensuite, nous sommes en train de préparer des prothèses et autres solutions pour venir en aide au combattants blessés du côté humain. Prenez le bras que sire Roland s’était déboîté lors de son combat, au lieu de procéder à un remboîtement plutôt cavalier qui aurait tout de même conservé d’autres risques de luxations. Pour cette raison et pour éviter une opération, nous avons mis au point ce petit robot qui vient se serrer comme un étau au niveau de la luxation, remet l’os dans l’axe et via différentes vibrations et perforations renforce les tendons et muscles pour éviter que la tête de l’humérus ne quitte à nouveau son articulations ! Sun Tzu était fort peu blessé et de toute manière ce dernier à insisté pour être guéri selon les méthodes traditionnelles chinoises, donc du thé…
La valkyrie se sentait déjà submergée par le flot d’informations qui ne cessaient de s’empiler les unes sur les autres, mais ça, Marie Curie ne l’avait pas remarqué.
- En revanche ! Nous avons mis au point ce thé qui contient différents compléments alimentaires et certains de nos traitements favorisant la cicatrisation des blessures et améliorant la qualité du sang du blessé ! Nos astronomes et astrophysiciens sont d’ailleurs pour certains partis s’entretenir avec Hastur, et pour l’aider à retrouver notre regrettée Saint Germain, et pour apprendre de nombreux secrets vis à vis de notre univers ! Pour Pierre, nous attendons que ce dernier soit pleinement guéri, nous devons effectuer une batterie de test sur son volund et le résultat de son combat, des milliers d’âmes lui sont liées, et ça, la science se doit d’y trouver une réponse et une utilité ! Il faut aussi que nous réfléchissions à comment venir en aide à Lénine…
Les yeux complètement vides de toute forme de vie, Roland, toujours aussi stoïque et droit écoutait cet éternel monologue qui ne semblait se tarir d’aucune forme. Sérieusement, cette femme ne voyait pas que ni lui ni Göll n’arrivait à comprendre ce qu’elle racontait ? Dans un geste désespéré, le chevalier essaya de jeter un regard vers la valkyrie qui avait su garder une expression parfaitement figée et douce, comme si elle comprenait son interlocutrice.
Encore absorbée par ses nombreuses explications et autres rapports, l’humaine finit par reporter son attention sur le malheureux guerrier qui était à peu près aussi perdu en ces lieux qu’un enfant ayant perdu ses parents au milieu d’un supermarché.
- Mais… Dites moi sire Roland ?
Le combattant secoua la tête pour se ressaisir avant de porter son attention vers la scientifique qui faisait aisément une tête de moins que lui.
- Oui, que voulez-vous ?
- Eh bien vous voyez, je n’ai pas souvent l’habitude de discuter avec des personnes non scientifiques d’une époque aussi reculée de la mienne, j’ai ouïe dire que Charlemagne était celui qui avait pour la première fois mis en place le système d’école dans le royaume des francs. Pour cette raison j’aurais certaines questions à vous poser ! En réalité, mieux connaître l’histoire nous permettra de mieux construire notre avenir ! Allons allons, venez, asseyez vous, n’ayez pas peur, ça risque d’être un petit peu long !
Code de chevalier oblige, Roland malgré sa folle envie de prendre ses jambes à son cou du se résoudre à écouter le petit tyran qui lui disait de s’asseoir pour répondre à ses centaines de questions plus farfelues les unes que les autres. La scientifique était restée fidèle à elle même, dans un léger rire, la valkyrie quitta la pièce, de toute manière Marie Curie était au courant du plus important.
À nouveau en dehors de la salle, la valkyrie emboîta le pas pour tomber nez à nez avec le duo des deux empereurs, Charlemagne et Salomon, les deux la saluèrent de leurs lourdes et imposantes voix. Göll haussa un sourcil avant de rire légèrement.
- Avouez… Vous m’avez envoyé Roland pour éviter d’avoir à répondre au questions de Marie ?
Les deux compères hochèrent la tête avant d’éclater de rire.
- Que ce brave Roland nous pardonne, il fallait bien que nous sauvions nos basques, l’éternité ne suffirait pas à répondre à toutes les questions de cette petite furie !
La valkyrie soupira légèrement, les esprits pouvaient bien être plus libres, il était rare que l’humanité mène, pour cette raison il fallait en profiter chaque instant, laisser le bonheur et la joie prendre le pas sur l’inquiétude, au moins une fois de temps en temps. Une silhouette se dessina derrière Charlemagne avant de se présenter face à la valkyrie, c’était sa jeune sœur, HjörÞrimul, valkyrie liée à Roland, la demoiselle riait légèrement elle aussi.
- Eh bien, je vois que tu es en forme et parfaitement remise je devrais peut-être en informer les scientifiques, ils se feraient une joie de t’étudier toi en même temps que Roland !
La petite valkyrie secoua activement les mains.
- Non non non ! Nul besoin grande sœur ! En réalité je suis restée pour une autre raison… En partie… Je viens t’avertir que ValÞögn est introuvable !
L’aînée claqua la langue, visiblement embêtée par cette information.
- Je suppose que vous avez regardé tous les lieux habituels ou elle se rend, le Bifröst, le cimetière, la forêt, sa chambre ?
La petite demoiselle hocha vivement la tête en réponse, tout avait été inspecté dans les moindres recoins. Visiblement la joie de l’humanité serait de courte durée, sans valkyrie, impossible d’essayer de combattre un dieu. Göll croisa les bras et toisa les deux rois.
- Messieurs que diriez-vous d’un marché ? Si vous m’aidez à chercher ma chère sœur, je ne hurlerai pas que vous êtes ici.
Les deux souverains répondirent à l’unisson en claquant de la langue.
- Bon, eh bien pas le choix, allons-y !
Sur ce, les deux singuliers compagnons abandonnèrent les lieux chacun de leur côté pour essayer de trouver la fameuse valkyrie perdue. Göll prit le dernier embranchement, suivie de sa cadette.
- Je me doutais bien qu’elle finirait par essayer de nous faire faux bonds à un moment ou un autre… Elle était de loin celle la moins volontaire à l’idée de participer à ce Ragnarok.
- En même temps, il est dur de lui en vouloir grande sœur ! N’importe qui tenant à la vie est réticent à l’idée d’aller mener un combat à mort, encore plus ValÞögn !
La cheffe des valkyries ne répondit plus, sa petite sœur avait raison, et pourtant, jusque là, aucune des combattantes n’avait reculé ou abandonné son poste. Il fallait retrouver la dernière valkyrie coûte que coûte.
Du côté des dieux, l’habituelle réunion de Zeus avait à nouveau lieu. Le vieillard abordait une expression relativement neutre, il ne semblait ni choqué ni déçu de la mort de Janus. Pour lui elle était chose presque normale, il était un dieu particulier, trop singulier même. Il ne portait ni réel intérêt ni réelle attention à sa propre vie, tout ce qui l’obsédait c’était ces questions métaphysiques du temps qui passait ou non, et comment se comporter face à ce titan. Le doyen des dieux grecs s’étira avant de poser ses deux mains sur les jambes, se penchant légèrement à l’intention de ses auditeurs.
- Mesdames et messieurs… En réalité surtout messieurs, puisqu’il semblerait qu’une réunion ait suffi à Ishtar. Quand bien même la mort de Janus n’étonne aucun d’entre nous. Nous allons devoir passer aux choses sérieuses. Il est inconcevable et impossible que nous laissions l’humanité garder la tête de ce tournoi. Il est encore plus inconcevable et impossible que nous les laissions gagner ce Ragnarok, les prochains rounds seront nôtres. Hermès.
Le dieu messager, toujours aussi droit et fier observa les quelques figures de la réunion qui avaient daigné faire acte de présence. Le singe avait décidé de se montrer à nouveau, peut-être était-ce un de ses clones, mais au moins une partie de lui était là. Aucune des déesses mésopotamienne n’était là. Et à part Thot… Aucun ancien combattant n’était revenu pour l’instant.
- Nos effectifs semblent se réduire de jours en jours, mais je compte sur vous pour faire passer le message aux dieux restants. Ces derniers ont le droit et le devoir de passer aux choses sérieuses. Après tout, les combattants restants sont parmi les dieux les plus forts et dangereux restants.
Wukong sembla voir son intérêt piqué, peut-être à cause de la flatterie, peut-être pour une autre raison.
- On a fini le septième combat c’est ça ? Je me souviens plus de l’ordre, qui il reste ? Moi, la vieille, la mouillée, le serpent, le rayonnant et le taré là ?
Disait le singe en pointant Asmodeus du doigt. Hermès hocha la tête.
- Précisément. Vous, Sun Wukong, le dieu extérieur le plus fort. Ishtar, la mère de toutes les déités et sans doute la déesse la plus puissante jamais vue… Tiamat, la mère de toute vie non divine. Asclépios, créateur de la médecine et du poison. Quetzalcoatl, le plus grand vagabond de l’histoire du Valhalla, et Asmodeus, le roi démon qui a succédé au laboratoire de Beelzebuth.
Le dieu simiesque émit un sifflement pour se donner un air faussement impressionné. Pour lui ce Ragnarok était juste un énième moyen de passer le temps, ça ou embêter un peu le monde qui l’entourait.
- J’ai une idée. Cette fois ci on sait tous que l’ordre des combats est prédéfini. Les gens se doutent déjà de qui affrontera qui. Pour cette raison, on devrait échanger nos ordres et je pars maintenant. Vous en pensez quoi ?
Exaspéré, Hermès répondit à Sun Wukong
- Ce combat porte sur la science, vous être doté de quelconque forme de talent dans ce domaine, cher Sun Wukong ?
- Bah ouais facile, expansion du Ruyi Bang multipliée par la vitesse et la vélocité de mon coup dans la gueule. Résultat clair net et précis, ça fait mal.
Le messager des dieux soupira sous l’idiotie volontaire du roi des singes qui semblait avoir dérangé la réunion pour le seul plaisir de le faire.
- Bref. Toujours est-il, le prochain combat a pour thème les sciences, il est donc évident que le prochain combattant qui sera envoyé… Sera toi Asmodeus.
Le roi démon se releva en réajustant son grand manteau à fourrure. Ses lunettes roses de proxénète tintaient légèrement la blancheur quasi immaculée de ses iris. Pas un mot, pas une pensée, le dieu quitta simplement la salle en hochant la tête, comme s’il attendait simplement l’autorisation de partir pour se battre.
La réunion était déjà terminée, et de toute manière, lorsque la plupart des conviés ne s’est pas présentée, il n’était pas utile de faire durer cette mascarade plus longtemps.
Les humains, toujours à la recherche de la valkyrie finirent par trouver une silhouette en dehors de l’arène, recroquevillée presque en boule, une personne semblait être en train d’admirer les fourmis. S’approchant à pas feutrés, Göll posa une main sur cette épaule qui reniflait bruyamment. Ses larmes venaient abreuver le sol que certaines fourmis avaient piétiné plus tôt.
- Grande sœur Göll… C’est horrible… Cette fourmi regarde la, elle s’est fait cisailler l’abdomen par une fourmi d’une autre colonie.
Après cette étrange démonstration, la demoiselle approcha sa paume de la fourmi qui semblait guérir à vue d’œil. Quelques gouttes de sueur s’étaient amoncelées sur le front de la petite valkyrie qui se retourna vers sa grande sœur avant de se relever.
- Désolée d’être partie sans permission mais… La douleur des combattants… Je la ressens et…
Une nouvelle crise de pleurs vint saisir la valkyrie qui essayait de garder sa contenance tant bien que mal. Tout chez elle inspirait autant la pitié que l’affection. Ses vêtements étaient choisis avec soins, couleur pastel, mignons et amples, son teint était nacré, ses longs cheveux d’or ruisselaient le long de son dos. Sa grande sœur vint doucement poser ses deux mains sur les joues de la demoiselle, essuyant quelques larmes avec les pouces.
- ValÞögn… Je sais que tu ne supportes ni la douleur ni la souffrance, mais ma chère sœur… Si nous n’agissons pas, ce sont des milliards d’êtres humains qui souffriront sans doute encore plus que cette fourmi.
Timidement, la demoiselle hocha la tête en réponse. Elle était pétrifiée, terrifiée même ; cependant il était essentiel que cette dernière fasse à nouveau apparition, qu’elle retrouve l’humaine avec qui elle était liée. Reniflant légèrement, la petite valkyrie suivit ses deux sœurs vers la chambre de la scientifique qui avait enfin terminé de poser ses nombreuses questions au pauvre chevalier qui avait accepté sa requête.
L’humaine s’approcha de sa valkyrie, souriant légèrement.
- Désolée de te demander tout ça, mais crois moi, je ferai en sorte que ce combat soit le plus court et le moins douloureux possible.
Tous le savaient, c’était un mensonge. Leur adversaire était Asmodeus, et, si Bélial était un barbare assoiffé de violence et de sang, aimant torturer les corps, les souiller et les maltraiter. Asmodeus était peut-être encore plus cruel et dérangé, si un des deux démons s’amusait à faire souffrir et à repousser les limites de l’anatomie humaine, l’autre lui aimait une autre forme d’occupation. Asmodeus aimait soumettre les humains, briser leur mental, les rendre fous à lier, les faire se languir. Là ou un démon était particulièrement violent, l’autre se voulait plus pernicieux et patient.
Peu importe les mensonges des scientifiques et les inquiétudes de la valkyrie, tous étaient prêts, le combat allait avoir lieu dès le lendemain.
Chapter 32: Chair et mécanique
Summary:
Le huitième round du Ragnarok commence, quel scientifique sera le plus à même de l'emporter ?
Chapter Text
Les premiers rayons du soleil avaient frappé le sol depuis quelques heures déjà, et pourtant, aucun des deux futurs combattant ne semblait être au courant de cette information. Enfermé dans son obscur laboratoire, la figure d’Asmodeus se distordait et ondulait entre les éprouvettes et autres tubes à essais. Le démon, toujours affublé de son énorme manteau de fourrure releva ses lunettes de soleil roses sur le haut de son crâne, quelques mèches de cheveux s’agrippaient à la monture pour empêcher cette dernière de retomber.
Le démon observa quelques longues minutes d’étranges têtards qui s’agglutinaient autour de son doigt posé sur le verre froid d’une immense cuve, un étrange rictus s’afficha sur son visage. Le démon retira sa main pour se retourner vers une autre cuve ou les même têtards s’étaient amassés autour des restes d’une lance faite de chair.
Après quelques secondes supplémentaires, une autre figure s’approcha de celle d’Asmodeus, sa carrure était semblable, tout comme sa démarche ou sa taille. La figure bien plus sombre et sobre que celle du démon scientifique se plaça face à lui avant d’ouvrir la bouche.
- Asmodeus, je ne m’opposerai pas à tes expérimentations. Cependant.
Le démon sentait déjà le sol trembler et la pression autour de lui augmenter drastiquement, nullement impressionné, l’étrange proxénète fit retomber ses lunettes sur le coin de son nez.
- Cependant, si je meurs, tu détruiras ce laboratoire, c’est bien ça Beelzebuth ?
- Seulement les expériences trop dangereuses. Comme celle ci.
Ajouta le mentor, pointant l’immense cuve du bout de sa canne. Le démon aux apparences de prêtre dépravé plongea ses deux orbes noires dans les yeux blancs de son élève.
- Je t’avais prévenu que vouloir ramener des monstres à la vie ne donne jamais rien de ce qu’on espère de prime abord.
L’autre démon se mit à rire dans une étrange sincérité avant de relever à nouveau ses lunettes de soleil fantaisistes pour mieux ancrer son regard dans celui de son ancien maître.
- C’est car tu n’es pas assez bon scientifique.
Sur ces mots cinglants, le démon quitta la salle, mains dans les poches de son manteau à fourrure, les cheveux un peu en désordre. Il se dirigeait tout droit vers son futur champ de bataille. Son aîné, lui, était resté dans le laboratoire quelques instants de plus avant de soupirer bruyamment, son nouveau travail était particulièrement épuisant et déplaisant. Beelzebuth posa quelques instants les yeux sur la cuve avant de retourner la tête et quitter la pièce. Peu importe si Asmodeus gagnait ou non, le nouveau roi des enfers détruira cette expérience tôt ou tard.
Du côté de l’humanité, l’ambiance était un peu plus agréable, la valkyrie encore terrorisée par le futur combat semblait au bord du gouffre tandis que les scientifiques eux s’amusaient et rigolaient joyeusement. Pire encore, ces derniers continuaient de travailler, c’est comme si d’une certaine manière un combat du Ragnarok ou non ne changerait rien à leurs avancées, au mieux c’était un moyen de vérifier certaines théories et autres calculs. Göll ouvrit la porte et se présenta, dans son naturel plutôt joyeux et malgré ses traits tirés, la scientifique l’accueillit avec la même énergie que la veille.
- Tout est au point, il semble que Pasteur ait avancé sur ses propres expérimentations ! J’ai donné mes directives au cas ou je venais à mourir… Et le menu de ce soir au cas ou je venais à gagner ! J’ai bien le droit de m’autoriser certains plaisirs, non ?
La valkyrie rit en lisant la liste que Marie Curie lui avait transmise. Goll hocha la tête en signe d’approbation.
- Entendu, ça ne nous fera pas de mal de s’organiser un festin pour décompresser.
Toujours en panique, la plus jeune des valkyries s’approcha des deux autres dames, sa voix balbutiant autant que ses pas trébuchaient.
- C-c-comment ça si tu venais à di-di-disparaître ?!
- Bah je suis une scientifique après tout, le risque zéro n’existe pas, on peut être sûrs que les choses réussissent et pour autant se planter en beauté, regarde Tesla ! C’est bien pour ça qu’on a donné son nom à cet institut, un endroit ou même si on rate, on continue d’avancer !
La petite valkyrie sembla soulagée, puis, la panique lui revint légèrement.
- Attends… Nos chances de victoires… A combien les estimes-tu ?
La seule réponse de la scientifique fut un haussement d’épaules.
- Dur à savoir contre un adversaire pareil. Imagine jouer aux poker, il y a peu de chance que tu puisses deviner le jeu de la personne en face de toi pas vrai ? Donc tes chances de victoires c’est la même chose, dur à estimer.
- D-d ’accord mais… Mais quand on verra Asmodeus… Tu me donneras nos chances hein ?
La scientifique haussa les épaules une nouvelle fois.
- Quand bien même on avait quatre-vingt-dix-neuf chances de perdre, on n’aurait qu’à choisir le dernier pourcent pour gagner.
Toujours aussi inquiète, ValÞögn réalisa cependant qu’il ne servirait sans doute à rien de raisonner sa partenaire, pire encore, que de toute manière cet affrontement était inévitable. Après un long soupir plaintif, la demoiselle se résigna à suivre la scientifique, potentiellement droit vers la mort. Göll et les autres scientifiques firent un dernier signe avant de les laisser disparaître. Mis à part les valkyries, les scientifiques eux étaient tous particulièrement calmes. Comme si ce combat n’était jamais qu’une étape supplémentaire au long cheminement de leurs recherches.
Pour le démon comme pour l’humaine, les éclats du soleil étaient les premiers de la journée qui caressaient leur peau et troublaient leur vue. Pourtant ni l’un ni l’autre ne voulait baisser la tête ou sous estimer la personne qui se trouvait en face. ValÞögn leva ses grands yeux inquiets sur Marie Curie, son sourire avait entièrement disparu, elle était impassible, parfaitement sérieuse. La préparation de l’humaine était faite, elle serra la poignée de la mallette qu’elle avait amenée avec elle.
- Tu nous demandais nos chances. C’est du cinquante cinquante environ.
La petite valkyrie ne dit rien et se contenta de prendre la main de la scientifique, son corps disparut dans une vive lumière, la peau de l’humaine se voyait couverte de nombreux capteurs qui venait se loger le long de ses veines, au bout de ses doigts, vers ses organes vitaux, autour de ses yeux, sur ses pommettes.
Heimdall dans un costume de dandy releva légèrement son chapeau avant de s’éclaircir la voix pour rugir dans son Gjallahorn.
- Mesdames et messieurs ! Chers spectateurs ! Pour rappel, l’humanité mène quatre round contre trois ! Une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’il y a un millénaire. Cependant ! Si tout n’est qu’un cycle, alors la fatalité de ce dit cycle est susceptible de se reproduire ! Il y a mille ans ! Deux scientifiques s’étaient déjà battus ! Marie Curie suivra-t-elle le sort de son ami ?! Aujourd’hui pour m’aider à mieux comprendre la situation, deux invités m’épauleront ! À ma gauche, scientifique émérite, nouveau roi des enfers, ancien combattant du Ragnarok… Inutile de lister ses hauts faits ! Beelzebuth ! À ma droite, des millénaires durant, dans la vie comme dans la mort, il a épaulé son épouse, la deuxième face de ce fantastique duo ! Pierre Curie, époux de notre chère Marie Curie ! Merci messieurs d’avoir accepté mon invitation, maintenant, dites m’en plus sur les deux combattants !
Pierre fut le premier à prendre le micro, ayant observé que le démon semblait peu enclin à prendre la parole pour l’instant, encore moins pour faire des éloges à son protégé.
- Plus d’un millénaire entourés des plus grands scientifiques de l’histoire humaine. C’est le temps qu’elle y a passé. Toutes ces femmes qui sont venues nous aider dans nos recherches, c’est elle qui les a faites venir. Il n’existe aucun esprit plus tenace et amoureux de la science que Marie, je n’ai rien à ajouter.
Le démon se résigna à répondre à la suite de l’humain, toisant son élève du haut de l’estrade.
- Je n’ai rien d’élogieux à te dire, ta défaite serait une bonne chose à mes yeux.
Heimdall écarquilla légèrement les yeux en entendant la réponse du démon, pourquoi même ce dernier avait accepté cette invitation ? Le commentateur secoua la tête avant de s’efforcer à reprendre sa fonction initiale.
- Deux déclarations bien différentes mais particulièrement sincères ! Permettez-moi de présenter une dernière fois les deux combattants qui vont nous rejoindre ! Prix Nobel… Découvertes majeures sur les radiations… Première femme directrice de laboratoire universitaire en France ! Première femme professeur à la Sorbonne et désormais… Cheffe de l’unité de recherche des humains du Valhalla ! Marie Curie !
La française fut la première à s’avancer dans l’arène vers le centre de cette dernière. Une demi-sphère était creusée dans le sol, une fois de son côté, Marie Curie croisa les bras et attendit simplement que son adversaire vienne et se présente à son tour.
Le démon approcha à son tour dans un style particulièrement clinquant, la démarche large, l’air assuré, la personnalité exubérante s’accorda même l’envoi d’un baiser à l’attention de Beelzebuth posté plus haut sur l’estrade, comme pour le provoquer.
D’un côté, l’humaine avait un style particulièrement sobre et scientifique, une longue blouse, les capteurs partout sur son corps. L’air toujours particulièrement sérieux, elle avait enfourné ses mains dans les poches de son habit, le regard ancré dans celui du démon. A contrario Asmodeus avait un style particulièrement visuel, un pantalon zébré, une chemise bariolée, mais surtout son inséparable manteau à fourrure digne de celui des plus grand maques. La figure démoniaque releva ses lunettes de soleil dans ses cheveux, le visage souriant, il posa son regard dans celui de son ennemie.
- Eh bien, jolie mallette que tu nous as amenée là, c’est un cadeau spécial que tu comptes me faire ?
- Tout juste mon joli, tu vas avoir quelque chose de sacrément marrant à l’intérieur, un petit bijou de technologie.
Faussement impressionné, l’être des enfers émit un léger sifflement. Les deux ennemis se tenaient prêts, l’un mains sur les hanches, l’autre mains dans les poches. Aucun mot supplémentaire ne venait d’un côté comme de l’autre, seulement l’attente du coup d’envoi de leur duel à mort.
Heimdall reprit sa corne pour crier à nouveau.
- Ce combat se déroulera d’une manière assez simple ! Comme vous pouvez le voir, une autre petite arène a été créé au centre de celle ci. Vous y mettrez vos créations, elles se battront et se détruiront ! Vous ne risquez aucun dommage vous direz vous ? Que nenni, vous pouvez aller dans l’arène, faire en sorte que votre création s’attaque directement à votre adversaire plutôt qu’à sa création… En réalité, tout est permis, même avoir plusieurs créations, vous pouvez même attaquer votre adversaire vous même, directement !
Beelzebuth saisit son microphone pour éclairer certains doutes potentiels.
- Cette épreuve est de mon fait. Simplement vous affronter à mort aurait été trop simple, surtout pour des scientifiques. On mesure l’étendue d’un génie à ses créations, c’est sans doute votre meilleur moyen de vous battre. Mais n’oubliez pas, il s’agit d’un combat à mort, dès que votre machine est détruite, l’ennemi pourra vous sauter à la gorge.
Le ton monocorde, l’expression neutre voir quasi morte du commentateur venu des enfers avait su jeter un froid sur l’assistance. Même lorsqu’il s’agissait de son domaine d’expertise Beelzebuth était resté le même, taciturne, fermé, morne. En réalité sa manière d’expliquer les choses avait un certain avantage. Quand bien même les créations des deux combattants étaient fantastiques, elles n’en restaient pas moins des armes créées pour prendre la vie de la personne qui se trouvait en face.
Les deux participants, toujours stoïques n’attendaient plus qu’une chose, le coup d’envoi de cette épreuve. Marie avait posé sa mallette à ses pieds, Asmodeus quant à lui commençait doucement à retrousser une de ses manches.
Heimdall les observa quelques secondes avant de s’humidifier les lèvres et d’annoncer l’événement tant attendu.
- Cher public ! Chers combattants ! Que le huitième round de ce Ragnarok commence enfin ! Let’s fight !
L’humaine retira finalement les mains de ses poches pour s’étirer de tout son long. Marie Curie s’accroupit finalement pour ouvrir un clipse de la mallette et pousser cette dernière dans le cœur de l’arène. Des légers bruits de cliquetis métalliques et d’engrenages se propageaient avant de se déchaîner dans une insupportable cacophonie ; puis, un long souffle, plus rien. Quelques instants après, les armatures de la mallette volèrent en éclat et un étrange petit robot fit son apparition. Son apparence était… Particulière, deux chenilles pour se déplacer, deux petits bras mécaniques qui allaient dans tous les sens mais surtout ; le robot ne semblait créé à partir d’aucune connectique, les pièces semblaient juste comme magnétisées les unes aux autres. La seule chose qui semblait être son noyau d’énergie était une petite roche située au centre, de nombreuses petites fioles et autres seringues virevoltaient autour de la fameuse pierre et y injectaient différents produits. La scientifique, triomphante leva le doigt au ciel.
- Du radium ! Une roche radioactive qu’on avait découverte avec Pierre et Henri il y a maintenant plus d’un millénaire ! Dure à stabiliser, surpuissante ; grâce à nos grands progrès en chimie nous avons enfin réussi à stabiliser ses radiations en faisant donc l’arme quasi parfaite !
En réponse, Asmodeus applaudit tranquillement hochant doucement la tête, cependant, son expression ne semblait montrer aucune forme d’étonnement ni d’intérêt, le démon scientifique siffla un peu avant de regarder le ciel et de relever sa manche pour de bon. Son bras était balafré, recouvert de bubons purulents, on voyait ses veines pulser et des espèces d’insectes grouiller sous sa peau. Le scientifique sortit un scalpel et trancha soigneusement le long de son avant bras ; une colonie d’asticots et de petits cafards s’écroulèrent au sol. La plaie du démon s’était presque instantanément cicatrisée, l’amas de bestioles commença à s’entre-dévorer.
- Vous connaissez sans doute la jarre de gü. Une vieille tradition chinoise qui visait à mettre un bon nombre d’insectes et autres animaux terriblement venimeux dans la même jarre, le survivant, ayant concentré toutes les toxines dans son corps servait à nourrir une larve qui emmagasinerait ce cocktail.
La plupart des insectes étaient morts, une fois le dernier survivant encore en vie, les ailes à moitié arrachées, dispersant une mousse tout autour de son corps, projetant quelques restes d’organes, le démon sortit une larve de sa poche et la jeta tout droit devant le survivant qui se fit dévorer sans aucun état d’âme.
- Alors je me suis demandé… Pourquoi limiter ça au poison ?
Une fois la larve nourrie, cette dernière se tortillait dans tous les sens avant de se solidifier, Asmodeus saisit le monstre entre ses doigts et le jeta dans l’arène. Après quelques instants seulement, la chrysalide se tourna dans tous les sens pour y sortir une véritable chimère organique. Une paire d’aile de papillon, une paire d’aile de cafard. Huit pattes, une paire de mandibules acérées et recouvertes de venin. Des carapaces de cloportes venaient protéger ses membres et son abdomen tandis qu’une longue queue de scorpion battait l’air.
- Voici donc ma création.
Le public était partagé entre dégoût et sincère peur. Connaissant le démon, ce n’était que le début de son expérience, il aurait été du genre à lancer une armée de ces bestioles sur un village, seulement pour voir le résultat et les rendre encore plus dangereuses. La seule personne qui semblait fascinée et intéressée était Marie Curie, elle commençait déjà à marmonner de nombreuses théories avant de lever les yeux vers le démon.
- Tu as réussi à accélérer leur processus de maturation, de presque supprimer leur état larvaire et tu as trouvé un moyen de régénération des cellules particulièrement impressionnant. Sachant que les insectes sont naturellement résistants aux radiations, j’ai hâte de voir ce que ce combat donnera !
Le démon remit ses cheveux en arrière avant de pointer du doigt sa bestiole, un rictus venant se figer sur son visage.
- J’ai hâte de voir comment elle résistera à tes radiations, humaine. Si elle pouvait les absorber, le résultat serait fantastique.
Impressionné, Heimdall ne put s’empêcher de commenter la scène.
- Impressionnant ! Les deux scientifiques semblent particulièrement assurés de leur victoire ! Pourtant il semblerait bien que ce match soit au désavantage de Marie Curie, qu’en pensez vous messieurs ?
Beelzebuth était emmuré dans son mutisme comme d’accoutumée, Pierre rit légèrement avant de répondre.
- Penser que les radiations est la seule arme de ce robot est une grossière erreur.
Le petit robot sembla relever ce qui lui faisait office de tête et les deux objectifs de caméra figés dans corps zoomèrent sur l’étrange bestiole qui voltigeait tranquillement. Un rayon lumineux fut projeté d’une des pinces du robot et transperça le corps de la bestiole ennemie qui tomba, morte. Marie Curie posa les mains sur les hanches.
- Les insectes sont certes résistants aux radiations, cependant… Ils ne supportent que très mal la chaleur. Même le tardigrade ne survit pas au-delà de cent degrés.
C’était un fait connu de tous, le soleil n’était jamais qu’un gigantesque réacteur nucléaire, mais Marie Curie avait vu les choses encore plus loin.
- Le soleil est une boule de feu, certes. Cependant le vide de l’espace affiche des températures extrêmes jusqu’à moins deux-cent soixante-dix degrés. Le soleil ne propage pas de chaleur mais de la lumière. Lorsque ces rayons frappent l’atmosphère terrestre, la collision produit de l’énergie et de la chaleur.
Le démon sourit à cette explication.
- Vous avez créé un robot créant des mini atmosphère et générant des photons proches de ceux du soleil ?
La scientifique claqua des doigts en pointant son ennemi.
- Tout juste, on a créé un mini soleil portatif et stabilisé à partir du radium et de l’hydrogène ! Les petites seringues créent des réactions en chaîne différentes selon le besoin.
Le démon mit les mains dans les poches, son insecte encore mort sur le sol semblait trembloter, bientôt une grosse larve sortit du trou occasionné par le tir ennemi et se mit à dévorer chaque partie du corps. Le robot ne comptait aucunement laisser l’ennemi agir, et tira une seconde fois. La larve avait déjà développé des petites pattes et fuyait à toute allure, sa proie encore entre ses mandibules, mâchonnant.
Ce combat serait rude, l’humaine avait tout à gagner à le faire durer le moins possible, plus l’affrontement durerait et plus l’ennemi se renforcerait, c’était comme affronter l’évolution en elle même, mais bien trop accélérée. Un processus qui aurait dû prendre plusieurs millénaires se faisait en quelques secondes seulement ; bientôt la créature finirait par s’adapter à la chaleur et surtout, développerait sa propre intelligence.
Marie Curie soupira avant de remettre ses deux mains dans les poches de sa blouse, elle y sortit une sucette qu’elle serra entre les lèvres. C’était sa manière de se concentrer, il lui fallait du sucre, de l’énergie pour mieux trouver un plan, pour trouver une solution à ce combat qui serait décidément difficile. La demoiselle sortit une paire de lunettes de son autre poche et les chaussa avant d’appuyer légèrement sur la monture.
Le robot se mit à bouger différemment, Le démon comprit aussitôt quelle était la raison de ce changement, aucune réaction visible cependant, il ne fallait pas se montrer décontenancé. La création de l’humaine fit un bond supposé impossible à cause de son moyen de déplacement, et une fois en l’air fit un tir de barrage sur l’arène, son but n’était pas de toucher la larve au hasard, il était bien plus ingénieux. Bientôt la température commençait à monter, la pierre se mit à rougit à cause de la chaleur dégagée par les tirs et la formation en cuvette du lieu d’affrontement ne faisait que réverbérer la chaleur qui augmentait de seconde en seconde.
La larve cuisait littéralement sur le pavé et se tortillait lamentablement pour sortir de cette chaleur torrentielle, allant même jusqu’à se réfugier dans le corps de ce qui avait été sa mère ou son hôte, personne ne le savait en réalité. Asmodeus claqua de la langue, son expérience avait perdu.
- Eh bien… Je vois que les humains sont particulièrement doués et ingénieux. Cependant, pour cette frasque, combien d’énergie a été perdue ma chère ?
- Pas assez pour t’en inquiéter, rassures-toi.
Le démon passa la main dans ses cheveux pour les remettre en arrière, prit quelques nouvelles larves dans sa poche et les jeta dans la fosse ou le robot se mit à nouveau à tirer, le démon avait fait un pari on ne peut plus simple. Si une seule de ses larves survivait, alors elle serait enfin immunisée à cette chaleur et le plus gros problème de ce combat serait aussitôt réglé. Il était impossible de savoir si une seule des créatures avait survécu, la poussière soulevée par les tirs, les morceaux de roches en fusion qui vaporisaient l’arène rendaient le combat et son déroulement tout bonnement indiscernable. C’est seulement lorsque Marie Curie décida d’interrompre ses tirs, quelques secondes après que la poussière arrête d’être soulevée et que les roches quittaient leur couleur rouge vif que tout le monde put voir ce qui avait résulté de cet échange.
Un immense cloporte était au milieu de l’arène, ses nombreuses pattes le faisaient cavaler à tout allure. Marie Curie sembla pensive, jamais un cloporte n’aurait dû résister à la chaleur, c’est sans doute même un des arthropodes les plus sensibles à cette dernière, et pourtant, la forme qui avait survécu, c’était bien celle ci.
Le robot à nouveau au sol roula à grande vitesse vers la maudite bestiole, prêt à l’agripper avec ses pinces et à la déchirer en deux. Le comble de l’étonnement fut la réaction de l’animal qui, ne décida pas de répliquer, seulement de fuir à toute vitesse, une vitesse bien trop anormale au vu de sa taille. Le plus étrange était la perte de vitesse du robot, ce dernier semblait tanguer et ralentir. La scientifique plongea son regard dans celui du démon qui souriait à pleines dents et se permit même de la provoquer légèrement.
- Pourquoi vous humains vous embêtez vous à étudier rayons, physique, donner des termes qui ne font sens que pour vous alors que la réponse est sous vos yeux depuis le début. La nature que vous détruisez à longueur de temps, elle a réponse à toute vos questions. Les feuilles et coquillages respectant le nombre d’or, l’aérodynamisme naturel de certaines espèces, les moyens de défenses et de protections d’autres… Tout ce que vous avez fait, ce n’est jamais que du réchauffé de ces principes là, le tout en détruisant l’original. Je ne fais qu’altérer et accélérer ce processus.
Visiblement, il restait certains dieux qui ne voyaient pas l’humanité d’un bon œil, et pour des raisons totalement logiques et irréfutables. Le scientifique des enfers mit une fine cigarette entre ses lèvres et l’alluma avant de continuer son monologue.
- Le pire, c’est que vous avez même tué Bélial, mon chef d’œuvre, aussi fou et dangereux fusse-t-il, il avait compris lui. Il avait compris la beauté de la chair, son importance, il savait que vos cailloux, vos métaux, votre technologie, tout ça, c’était que du vent. La seule chose qui importe c’est notre chair, nos organes, et ce que nous pouvons en faire, il a eu raison d’embrasser sa nature démoniaque. Votre science n’en n’a que le nom, ce n’est que de l’artillerie sans aucun raffinement, de l’immaculé, j’emmerde l’immaculé, il n’y a que dans la crasse que les choses évoluent.
La scientifique humaine, d’un naturel toujours aussi calme et apaisé avait regardé le démon en souriant tout du long de son monologue. Marie Curie croqua finalement la sucette qu’elle tenait entre ses lèvres avant de cracher le bâtonnet de cette dernière un peu plus loin.
- Si tu trouvais la nature aussi belle et intéressante, tu ne ferais pas autant d’expérimentations dessus. Avoue-le, même si ton discours tient une partie de vérité… Ce que tu veux le plus, c’est créer quelque chose que la nature elle même n’oserait pas imaginer.
Elle leva les yeux au ciel avant de les reposer sur son ennemi.
- Et créer l’impossible, c’est bien ça le but de la science.
Chapter 33: Théorie de l'évolution
Summary:
Le combat entre Marie Curie et Asmodeus prend une tournur inattendue, pourquoi l'humaine semble-t-elle si engagée dans ce Ragnarok ?
Chapter Text
Un nouveau jeu de regards se fit entre la scientifique et le démon, presque comme s’ils s’étaient mis d’accords, les deux firent revenir leurs créations à eux. Pendant de longues minutes, rien ne se passait, aucun événement notable ne se produisit. Heimdall, particulièrement étonné de ce revirement de situation ne pouvait cacher la stupeur qui s’emparait de sa voix pendant ses commentaires.
- C’est incompréhensible mesdames et messieurs ! Cela va bientôt faire une dizaine de minutes que les deux adversaires se tiennent l’un en face de l’autre sans bouger ou sans piper mots ! Il semblerait que les deux analysent leur adversaire et le jaugent !
Du côté de l’humaine, cette dernière avait perdu son air jovial, serré les mâchoires et semblait endormie dans un songe particulièrement profond. Sa main droite venait pincer son menton pendant que ses lèvres tremblaient légèrement, comme si elle récitait des psaumes.
Le démon à contrario avait glissé les mains au plus profond des poches de son énorme manteau à fourrure. Asmodeus avait levé la tête et le menton vers le ciel, les yeux clos, le soleil venait frapper et chauffer son visage pendant qu’il fronçait subtilement l’arête du nez et les arcades de ses sourcils.
Que se passait-il dans la psyché des deux combattants ? Peu importait au final, quiconque dans le public était conscient qu’il allait être impossible de comprendre les calculs et autres estimations faites par les deux combattants, quand bien même l’intégralité de leurs recherches leur étaient expliquées. Le commun des mortels comme des immortels ne pouvait qu’attendre patiemment qu’un des deux se décide enfin à bouger. Asmodeus fut le premier à hausser la voix pour briser ce long silence.
- Je pense que nous sommes parvenus à la même conclusion, n’est-ce pas ?
Le démon plongea ses yeux quasiment entièrement blancs dans le regard sombre de Marie Curie qui petit à petit retrouva une expression plus gaie et plus joyeuse, s’étirant le plus possible, comme si sa réflexion lui avait pris des jours entiers.
- Il nous suffit de le vérifier, que notre cher commentateur compte jusqu’à trois et nous donnerons notre réponse en même temps.
Le démon étonnamment sage et maniéré croisa les bras et se retourna vers Heimdall, en attente d’une action de ce dernier, le dieu nordique était condamné à se soumettre au demandes des deux ennemis, du jamais vu de toute l’histoire du Ragnarok.
- Bon eh bien… Je commence le décompte ! Trois… Deux… Un ! Allez-y !
D’un commun accord, les deux voix des combattants résonnèrent pour donner libre cours à leur imagination.
- On laisse tomber les créations, c’est trop ennuyant, allons-y nous même avec notre science.
Ils avaient bel et bien eu la même idée. En réalité, dès que les deux adversaires avaient fait revenir à eux leurs créations, ils le savaient déjà, ce combat se profilerait de cette manière. La vraie raison de leur réflexion, c’est que tout deux étaient en train de mettre au point un plan, un plan pour réussir à abattre l’ennemi à coup sûr.
Marie Curie saisit le petit robot entre ses deux mains, presque aussitôt les nombreux capteurs sur le corps de l’humaine se mirent à briller et clignoter de mille feu. Le robot semblait disjoncter un peu, la pierre radioactive était de plus en plus luminescente et bientôt, la machinerie infernale se tût, tombant en de nombreuses petites pièces détachées.
Le démon quant à lui était comme à son habitude, plus répugnant, plus dégoûtant même. La bestiole semblait trembler de terreur face à celui qui était son père et créateur, elle avait totalement raison de ressentir cette terreur primaire et animale. Quelques instants après, la bête fut saisie par les ailes et soulevée, sans préparation supplémentaire, la mâchoire du démon sembla se déformer dans un bruit de craquement atroce. Une bouché et la moitié de la chimère avait était engloutie, avec la deuxième, elle était entièrement dévorée.
Le public était particulièrement répugné à cette vision grouillante et pleine de jus dégoulinants de la gueule du démon. Deux personnes quant à elles semblaient particulièrement calme et en paix avec ce spectacle. Depuis son poste de commentateur, Beelzebuth bâilla de désintérêt, Marie Curie quant à elle se contentait d’observer le démon avec un sourire qui affichait une sincère curiosité. Pour une fois, le nouveau roi des enfers prit le micro pour commenter.
- Asmodeus a toujours favorisé la science de la biologie pure, c’est un démon qui absorbe les fluides vitaux et la vie elle même, Ce genre de procédés… Il n’y a rien de plus naturel pour lui.
Le dieu commentateur se racla la gorge pour rebondir sur la réflexion de Beelzebuth.
- Quand bien même, pour un regard non averti, cette vision reste déroutante… Certes moins horrible que celle du sixième combat, moins perturbante que celle du cinquième… Mais pour autant, je ne saurais décrire cette espèce de sensualité qui se dégage de cette horreur, elle la rend d’autant plus immorale.
La mâchoire d’Asmodeus avait reprit forme, en un balayage de langue sur les lèvres, le démon avait fait disparaître les restes de purée d’insecte et autres pattes qui s’y étaient logées. Même après avoir été témoin de ce spectacle particulièrement répugnant, la foule, hommes comme femmes ne saurait en expliquer la raison, mais le démon semblait particulièrement charmant et désirable.
La peau nacrée de l’être impie semblait encore plus luisante et douce, presque translucide. La très légère teinte rose-rouge de ses lèvres charnues et pincées lui donnait cet attribut de noblesse couplé à sa plastique androgyne. Les longs cils quasiment blancs du démon battaient régulièrement un rythme doucereux. La seule personne qui le fixa intensément, nullement choquée ou impressionnée par son physique et ses charmes fut l’humaine qui se trouvait face à lui.
La scientifique de l’humanité n’avait aucun intérêt particulier à porter envers le démon, peu importe s’il était beau, laid, la seule chose qui importait c’était de l’affronter. Alors l’humaine se pencha pour poser les mains sur les restes mécaniques de son robot fraîchement désossé. Petit à petit les pièces se mirent à fourmiller et grelotter, les nombreux petits ressorts dans des gestes magnétiques se redressaient et venaient se coller sur le bras de l’humaine, puis quelques plaques de fer, au bout de quelques instants, le bras entier de la demoiselle fut enseveli sous une masse mécanique qui bougeait dans tous les sens et semblait presque respirer.
Pierre Curie depuis son poste de commentateur ne dit aucun mot, il semblait pensif, même légèrement inquiet, l’homme se recula dans son siège, sa main se levant au niveau de son front. Il l’avait réalisé, Marie était déterminée à gagner ce combat, quoi qu’il en coûte, même après un millénaire, jamais l’humaine n’avait changé ou perdu intérêt pour la science.
Une phrase revint à l’humain, il y a des siècles, des millénaires même, une phrase l’avait à jamais marqué, une phrase de la part de celle qui était devenue une des plus grandes scientifiques de l’histoire de l’humanité. Pierre regardait une vieille photo ayant été prise une vingtaine d’années après sa mort. Marie s’assit à côté de lui, observant la photo qui avait sobrement été nommée « la photo la plus intelligente de l’histoire ». La dame rit légèrement, elle était la seule femme présente sur cette photo, au premier rang.
- Sais-tu pourquoi parmi tous les scientifiques présents il n’y avait qu’une femme ?
L’époux retourna sa tête vers la scientifique, l’air interrogateur, l’invitant à développer son histoire.
- Car quand on est une femme scientifique, il faut au moins avoir deux fois les capacités des hommes pour être acceptée à leur côtés.
Elle était la meilleure ; ce n’était même pas une estimation, ce n’était pas un abus de langage, ce n’était pas une légende ou quelconque titre donné pour dorer son blason. Tous le savaient, tous l’avaient accepté. Marie Curie était la plus grande scientifique de l’histoire, plus encore, elle était sans doute la plus tête brûlée et la plus investie dans ses recherches et expériences.
En Pologne, au milieu du dix-neuvième siècle, une enfant naquit. Dernière de sa fratrie, Marie Curie observe son pays en pleins changements drastiques, l’empire Russe assoit sa dominance sur la Pologne. Les conditions de vie sont rudes, cependant, la seule chose qui intéresse Marie, c’est voir ses parents enseigner, des gens apprendre, elle y croit dur comme fer, c’est l’apprentissage qui amènera le salut à l’humanité.
Sa sœur la quitte, puis sa mère, la future scientifique est enfermée dans un bureau, une plume entre les doigts en plein dimanche. Tout le monde était parti à la messe, pas elle ; Dieu était mort, pas l’humanité. Déjà à l’époque elle excellait, en études, en compétences, en savoir, un rêve lui brûlait la poitrine chaque jour qui passait, jour et nuit. Elle doit étudier, elle doit savoir plus dans un pays où les femmes ne peuvent pas étudier, dans un pays ou même l’excellence ne sait avoir raison de votre genre. Quand bien même votre cerveau soit capable de changer le monde, vous étiez condamné à devenir femme au foyer. La seule solution qui s’offre à elle était Paris.
Travailler plus. C’était la seule solution, toujours plus, plus d’argent pour avoir plus de moyens, plus d’argent pour des expériences, les moyens étaient tout ce qui manquait. Tant pis si elle devait dormir dans la rue, tant pis si elle devait manger du pain rassis. La seule chose qui comptait, c’était d’aller étudier, d’apprendre. Au bout de quelques années, la scientifique en herbe rejoint sa sœur aînée et lui fait part d’une grande décision.
- Je vais rejoindre l’université des sciences.
- Mais Marie, tu n’y penses pas ?! La majorité de cette université est masculine, les femmes n’y sont pas la bienvenue.
- Aucun homme n’aime voir une femme marcher sur ses plates-bandes peu importe le domaine. Mais ils verront bien que le jardin que je cultive profitera à tout le monde.
En études comme en sciences. Rien ne semblait capable de réfréner les capacités de la demoiselle. Première dans toutes les disciplines, la faculté et l’université elles-mêmes étaient obligées de s’incliner face au talent pur de Marie. Un talent si pur et si raffiné que pas une seule personne ne semblait en mesure de la rattraper ou de l’égaler. Première arrivée, dernière repartie, une ration double d’exercices et problèmes lui étaient soumis. Ses yeux se cerclaient de noir, encore et encore, et pourtant, pas un signe de fatigue ne semblait avoir raison d’elle. Marie continuait de travailler, d’aiguiser son talent à un niveau jamais atteint.
Certaines personnes commençaient à douter de l’humanité de l’étudiante. De nombreuses histoires résonnaient dans les couloirs, elle ne dormirait que deux heures par nuits. Elle ne mangerait que du poisson pour renforcer sa mémoire. Elle aurait appris tous les manuels scolaires par cœur. La seule personne qui ne cherchait aucune excuse face au génie de la demoiselle fut Pierre, fasciné il se contentait d’observer ses expériences, ses créations, ses idées, ses théories. D’aucune manière la désormais chercheuse n’était vantarde ; tout ce qu’elle espérait et aimait c’était avoir un compagnon de discussion, un autre passionné, quelqu’un qui s’intéressait plus à la science qu’au fait qu’elle soit une femme ou une élève modèle.
Déjà les professeurs s’arrachaient ses capacités, ses connaissances. Tous voulaient être épaulés par celle qui était déjà la plus grande chercheuse de Paris. Jamais Marie n’aura répondu favorablement à ces requêtes, elle n’était pas là pour assister qui que ce soit, elle était ici pour faire ses recherches, pour être scientifique, pour apprendre plus.
Enfermés dans un laboratoire de fortune, sans grands moyens. Le couple s’organisait, créait des machines que la communauté scientifique même avec deux fois plus de moyens n’aurait jamais osé imaginer. Leur vrai génie n’était pas tant dans les notes ou les protocoles, leur génie c’était leurs idées, leurs inspirations. Subjuguée, la communauté scientifique dut se résoudre à couronner la désormais scientifique aguerrie, les prix et autres distinctions pleuvaient.
Nouveaux éléments découverts, radioactivité sans nul pareil. Quand bien même les travaux et les recherches de l’humaine étaient aussi exceptionnels qu’inespérés, un problème subsistait, elle y sacrifiait sa propre vie. Peu appréciée par les hautes instances, les capacités et l’acharnement de Marie Curie obligea la communauté scientifique mondiale à la reconnaître. Elle était une des meilleures parmi les meilleurs.
La fatalité voulut que la vie des scientifiques soit tout sauf quelque chose de facile, l’époux de la scientifique connu une mort inopinée, plongeant l’humaine dans le désespoir. De nombreux jours et semaines, cette dernière s’était laissé sombrer, plus d’expériences, plus d’études, aucune de ses perspectives créatrices n’égayait ses yeux des mêmes étoiles que lorsqu’il était à ses côtés. Il n’était plus. Le laboratoire déjà d’ordinaire peu reluisant ne lui renvoyait plus qu’une image triste et maussade, pour autant, la vie continuait, ses expérimentations aussi. Toujours couronnées de succès ces dernières ne suffirent malheureusement jamais à combler ce vide.
Le coup d’éclat survint et le destin se fit à nouveau particulièrement joueur, certains gros titres avaient révélé une relation entre la désormais veuve et un ami, quelques années après le décès de son époux. Tout était faux, jamais cette relation n’eut lieu, ce n’était qu’un ami, une aide, un support, au grand jamais un remplacement ; la science le sait bien, rien ne se créé, tout se transforme. A la grande surprise de la communauté scientifique, pour son deuxième prix Nobel, Marie Curie fit apparition aux yeux de tous, malgré les scandales. Elle n’avait pas pu récupérer le premier avec son mari, elle prendrait le deuxième pour le lui montrer d’elle même.
A l’éclatement de la grande guerre, Marie Curie, ses proches, sa famille et ses amis devinrent un réel symbole, nombre de soldats soignés, de soldats sauvés. Ce qu’elle n’avait pas pu sauver auparavant, elle le sauverait maintenant, si Dieu était mort à ses yeux, l’humanité perdurait, et elle se devait de la rendre pérenne.
Aucun brevet ne fut signé, aucune de ses créations ne lui appartenait, tout était possession de l’humanité, à ses yeux, tout devait appartenir au peuple, pour qu’un jour une petite fille ou un petit garçon puisse à son tour essayer de révolutionner la science et le monde qui l’entoure.
Au terme de sa vie, la maladie, les radiations se faisaient trop intenses. La scientifique se retira loin de tous, pour beaucoup, elle se reposait. Mais tous le savaient au fond d’eux ; même dans une chambre d’hôpital aussi morne que triste, la plus grande scientifique de l’histoire n’avait pas raccroché. Des traces de craies sur les murs, la poussière de ces dernières soulevée en permanence, les infirmières le savaient, chaque nuit, Marie Curie écrivait des calculs sur les murs pour les effacer au premiers rayons du jour.
L’humain alors commentateur, se redressa et retira la main qui couvrait partiellement son visage. Pierre Curie jeta un œil en contrebas, elle avait tout récupéré, son sourire, les étoiles dans ses yeux, ses longs monologues passionnés. Même si elle mourrait, il valut mieux que ce soit maintenant et de cette manière que dans une chambre d’hôpital. Même si Marie Curie venait à mourir, il fallait que sa mort soit à l’image de sa vie, trop remplie.
Au cœur de l’arène, les bruits de pièces métalliques qui s’entrechoquent perdurait pendant de longs moments, l’humaine leva son bras, les nombreux capteurs sur son corps se mirent à scintiller et les pièces mécaniques prirent l’allure d’une main géante.
En face, le dieu sentait son corps pulser, son apparence devenait de plus en plus monstrueuse, sa mâchoire se disloquait et le démon embrassait de plus en plus cette apparence grotesque. Au contraire de Bélial qui était devenu plus gros et plus massif, Asmodeus avait opté pour une apparence clairement différente, il était plus svelte, plus affiné. La silhouette particulièrement malingre du démon le faisait sembler étrangement fragile, comme un simple petit bout de bois qui se serait cassé au moindre souffle de vent un petit peu trop fort. Pourtant, cette apparence semblait lui convenir, il prit parole
- Prête, humaine ?
Le gigantesque bras mécanique de la demoiselle se retourna légèrement pour fermer sa poigne et lever le pouce en l’air.
- On ne peut plus prête, démon !
Tout deux se mirent à courir à toute allure droit sur leur adversaire, un seul objectif, une seule stratégie, tuer ce dernier, l’écraser sous la toute puissance de leur conception de la science. Si la puissance destructrice et la masse de l’humaine était sans aucun doute aussi importante que spectaculaire. Le démon lui semblait avoir disparu, comme enseveli sous l’énorme main mécanique qui venait de l’écraser ; pourtant, le métal et la main tremblaient tout deux. Bientôt cette dernière fut soulevée hors du sol. Le démon avait pourtant bien été réduit en bouilli, et maintenant le voilà avec deux paire de bras supplémentaires en train de tenir cette main en suspens au dessus de sa tête. L’humaine avait une expression qui mélangeait pure fascination et euphorie malsaine, la main se désintégra à nouveau, les nombreuses pièces s’agglutinèrent derrière l’humaine, dans un étrange halo qui tournoyait derrière elle.
- Ce combat aura donc pour objectif de voir lequel d’entre nous deux est le plus à même de s’adapter et d’évoluer ?
Le démon ne répondit pas et se contenta de sauter vers elle, ses nombreux poings vers l’arrière, armant un coup dévastateur. Le bruit résonna dans tout le public, trois des poings d’Asmodeus s’étaient écrasés sur un gigantesque bouclier de métal qui se mit à l’envelopper, essayant de le compresser et de l’écraser. Marie Curie prit parole, plus calme et posée qu’auparavant.
- Il n’existe aucune évolution parfaite, tu devrais le savoir cher démon. Si une de tes capacités est renforcée, c’est forcément au détriment d’une autre. La nature est ainsi faite, elle cherche un équilibre. C’est en ça que la science la défie autant, elle ne fait que nier ces principes.
Un petit boulon sauta et vint érafler la pommette de l’humaine qui se mit à légèrement saigner à l’endroit de l’impact.
Une main sortit de la prison créée auparavant, puis bientôt, la structure s’écroula.
- Alors je n’ai qu’à évoluer et m’adapter encore plus vite.
Le démon avait encore changé d’apparence, toujours dotée de six bras, la bestiole se pencha par terre et poussa de toute ses forces sur ses deux jambes qui avaient décuplé de volume. Asmodeus fila à tout allure vers l’humaine pour l’atteindre à nouveau. Un énorme bloc de matériaux se dressa entre les deux combattants, à la grande surprise de la scientifique, les pièces s’écartèrent pour laisser passer le démon qui vint loger trois de ses poings contre ses côtes, en brisant certaines. Elle se voûta, essayant de reprendre son souffle, haletante, chaque respiration était particulièrement pénible et douloureuse. Les capteurs au niveau de la blessure clignotaient et peu à peu l’humaine se redressa, comme si la douleur n’avait été que de l’histoire ancienne. Beelzebuth s’était contenté de ce coup, peut-être par orgueil, par dédain envers son adversaire ; en réalité il devait sans aucun doute s’agir de curiosité, quel coup préparait-elle, comment ferait-elle pour contrer le prochain, a-t-elle déjà compris ?
Marie Curie après un long soupir cracha du sang par terre avant d’ancrer ses deux yeux ronds dans les orbes blanches du démon. Son regard n’avait nullement changé, elle était toujours joyeuse, sincère, franche.
- Dans la nature on trouve beaucoup d’animaux qui chassent en utilisant l’électricité, ton corps a développé cette capacité, et maintenant tu envoie des ondes électromagnétiques qui viennent perturber les champs magnétiques de mon arme, c’est ça ?
Un fin sourire éclaira le visage du démon qui leva les bras vers le ciel, comme ravi que son adversaire avait déjà trouvé la réponse au problème.
- Juste ! Entièrement juste ! Mais maintenant que tu sais cela, tu n’as aucun moyen de contrecarrer mes attaques, tu as perdu ! Rési-
Un tir vint transpercer l’abdomen du démon qui tomba à genoux avant de convulser. Un trou béant se trouvait au milieu de son corps, ça brûlait, la douleur était insupportable, le démon se mit à vomir, il sentait ses forces le quitter, sa peau noircir. Il le comprit très vite, l’origine de tout ça, ce n’était pas le tir, il s’agissait de radiations. En face, son adversaire se tenait le bras, du sang lui coulait du nez, des oreilles et des orbites. Toussant bruyamment, l’humaine articula quelques mots non sans mal.
- Tu peux sans doute contrôler le magnétisme… Mais pas l’énergie en elle même.
Entre ses doigts, une petite pierre était maintenue, la scientifique la plus brillante de l’humanité avait prit un risque colossal, elle tenait la pierre de radium entre ses doigts, sans protections. Les capteurs autour de cette zone se mirent à clignoter et un chemin de lumières se dessina sur le corps de la scientifique. Bientôt, elle retrouvait la forme comme à l’origine.
- Tu me parles de beaucoup de tes plans et je t’en suis reconnaissante, alors permets moi de te présenter ma partenaire pour ce combat ; ValÞögn, celle qui accueille les occis.
Le démon se régénérait petit à petit, il avait bien compris que son adversaire devait attendre de reprendre des forces et ne pouvait pas enchaîner deux tirs comme celui ci, autant en profiter pour temporiser. L’humaine quant à elle continua ses explications et sa petite présentation.
- Le pouvoir de cette valkyrie est assez simple… Elle stimule corrige et restaure les cellules, en faisant donc l’alliée parfaite pour une scientifique un peu casse-cou comme moi ! Même les radiations n’ont donc aucun risque !
Le démon avait enfin récupéré, deux antennes de cafard lui avaient poussé sur le crâne, son corps avait terminé de s’adapter et de purger les radiations qui avaient manqué de le tuer quelques secondes plus tôt. Respirant péniblement, il interrogea son ennemie.
- Tu es trop arrogante humaine… Tu affrontes un dieu… Et tu ne prends même pas une partenaire pourvue de capacités offensives... tu te contentes d’utiliser tes propres armes et créations…
- Quand on vit en tant que mortel, encore plus en tant que scientifique, qu’on croit en dieu ou non… On ne s’en remet pas à lui. On fait les choses à notre manière et on compte sur nous même. La preuve, j’ai réussi à te blesser.
Le démon posa un regard particulièrement froid et réprobateur à l’humaine qui jeta sa pierre en l’air, cette dernière se retrouva à nouveau bloquée entre de nombreux engrenages, la structure de métal avait à nouveau commencé à se mouvoir comme elle le faisait à l’origine. L’humaine avança de quelques pas, les nombreuses pièces mécanique se collaient à elle, lui créant une armure complète, la pierre de radium faisait office de noyau qui était logé au centre de cette nouvelle arme.
- Maintenant cher démon, dis-moi et réponds moi… Comment penses-tu que ce combat va-t-il continuer ? Tu as acquis une capacité à survivre au radiations, mais à quel prix ? Tu as perdu tes bras supplémentaires et ta capacité de manipulations d’ondes électriques. Tu penses toujours pouvoir t’adapter et évoluer assez vite ?
En réponse, Asmodeus cracha par terre avant de se relever, ses habits avaient été quelque peu déchirés et abîmés, étonnamment ses lunettes de soleil rose étaient encore intactes, dans un sourire flamboyant, le monstre reposa ces dernières sur le bout de son nez avant de les remonter correctement. Le léger filtre des verres venait teinter les orbes blanches du démon qui semblait en pleine réflexion. Après quelques instants, Asmodeus se mit à courir à une vitesse vertigineuse, son évolution s’était encore enclenchée, cette fois ci les restes de cafard lui donnaient cette étrange faculté à pouvoir accélérer et changer de direction de manière inopinée. Sa stratégie était on ne peut plus simple, essayer de surprendre la scientifique ou au moins de gagner du temps histoire de pouvoir trouver un plan suffisamment efficace pour réussir à venir à bout de cette dangereuse ennemie. Après quelques longues secondes de réflexion, le démon se stoppa net, une idée lui était venue, il devait tout jouer sur un certain pari. Le scientifique infernal saisit son poignet et s’arracha le bras.
Chapter 34: L'agneau meurt
Summary:
Les origines du roi de la luxure, Asmodeus, le démon le plus dangereux du Valhalla.
Chapter Text
De nombreuses voix s’élevèrent des suites de l’étrange action du démon. Certains spectateurs se souvenaient d’un combattant ayant effectué la même action lors du dernier millénaire, d’autres encore essayaient d’estimer la raison ayant poussé le démon à agir de la sorte. Peu importe le brouhaha général, les deux combattants se devaient de rester concentrés sur ce qui se trouvait face à eux. Le membre arraché dans l’autre main, le démon plongea son regard dans celui de l’humaine. Son côté espiègle et joyeux avait entièrement disparu, Asmodeus ne dégageait plus une once de cette impression provocante qui lui collait à la peau. Bien au contraire, le regard de la bête semblait bien plus froid et calme. Les commentateurs comme la foule se penchèrent en avant, ils avaient réalisé quelque chose que le démon lui même avait évidemment remarqué.
Après avoir vu le bras du démon être arraché, l’humaine avait reculé d’un pas. Peut-être avait-elle été surprise, peut-être avait-elle était dégoûtée par l’action de son ennemi. Le fait était là, cette simple petite réaction avait conforté le monstre dans sa décision. Asmodeus, son bras encore en main secoua ce dernier. L’apparence de la peau semblait différer, de secondes en secondes, d’étranges écailles s’agglutinaient et faisaient reluire la peau de la créature, le plus étrange restait la lueur verdâtre qui semblait émaner de cet appendice.
- Dis moi chère humaine. Que se passe-t-il si nous faisons entrer en conflit deux éléments radioactifs ?
L’humaine soupira avant de répondre avec un calme parfaitement maîtrisé.
- On risque d’en mourir les deux, mais toi tu reviendras sans doute à la vie grâce à tes étranges expériences.
Le démon hocha simplement la tête, s’amusant à agiter son bras arraché ; après quelques longues secondes. La créature jeta le bras au visage de l’humaine qui projeta un boulon sur le membre. Une voix sonna derrière elle.
- Mauvaise pioche.
Le bras éclata et projeta bien plus de sang qu’il ne l’aurait du au visage de l’humaine, aveuglant cette dernière. Au même instant, deux énormes bras vinrent accrocher le visage de la combattante, serrèrent de toutes leurs forces avant de tordre son cou dans un angle mortel. Elle tomba, raide, Marie Curie avait été tuée.
Heimdall s’empressa de prendre son Gjallahorn avant de réaliser, Pierre n’avait pas bougé d’un pouce.
- Le...Le combat n’est pas terminé ?
- Pensez vous réellement qu’une scientifique de ce niveau n’a pas songé à sa propre mort ?
Les centaines de pièces mécaniques se désassemblèrent une énième fois avant de s’empresser vers l’humaine. Asmodeus essayait de briser les petits morceaux, en vain. Après de longues secondes, tous les éléments mécaniques avaient fait disparaître le corps de l’humaine, une vive lumière brilla. Au milieu de ce véritable petit soleil, en pleine forme et toujours aussi souriante, Marie se dévoila à nouveau, guérie et parfaitement vivante, cette dernière se mit à rire.
- Eh bien, nous n’avons pas terminé de décevoir l’autre durant ce combat, il semblerait que nous soyons tous les deux immortels.
Depuis le poste de commentateur, Beelzebuth sembla grommeler à l’entente du mot immortel. À ses yeux, l’éternité était une malédiction toute particulière, et jouer avec cette dernière se devait d’être un tabou à ne pas franchir, sous peine de devenir complètement fou, écrasé par ses péchés. Pendant que le nouveau roi des enfers broyait du noir et s’énervait dans son coin, l’humaine continuait son monologue à l’intention de son adversaire.
- Comprends bien une chose cher démon. Ce combat ne sera que souffrance éternelle avant de revenir en vie. Et ça, sans interruption, la pierre de radium stabilisé qui me sert de noyau et de source d’énergie peut me faire revenir encore… des centaines… Que dis-je des milliers de fois. Quand bien même il existe des animaux résistants au radiations, aucun n’y est totalement immunisé… Ton corps finira par muter et mourir de lui même avant la fin de ce combat ! Il vaudrait mieux que tu te résignes et abandonnes, ne penses-tu pas ?
En réponse, un os particulièrement aiguisé frôla le visage de l’humaine et se planta contre une des parois de l’arène. Marie Curie ne bougea pas la tête et fixa ses yeux encore plus profondément dans le regard ennemi. Les yeux d’Asmodeus avaient changés, plus de pupilles, plus d’iris, simplement deux orbes entièrement blancs d’où semblaient couler quelques larmes. L’humaine le comprit, elle venait de commettre une terrible erreur.
- Eh merde… Moi et ma grande gueule des fois.
L’expression du démon était imperceptible, mélange de trop de sensations et sentiments différents. Son apparence n’avait que très peu changée et pourtant, il semblait bien plus terrifiant qu’il ne l’avait jamais été. Les deux mains ancrées profondément dans les poches de son manteau de fourrure, Asmodeus avança de quelques pas. Plus tôt, malgré un spectacle dégoûtant, nombre de spectateurs avaient même fini par trouver le démon séduisant, voir obscène ; maintenant, c’était tout l’inverse.
Le monstre scientifique avait une apparence particulièrement esthétique et plaisante. Ses cheveux presque blancs ondulaient légèrement à chacun de ses pas. Son expression était parfaitement neutre, le tumulte et la tempête émotionnelle à l’intérieur du crâne maléfique empêchaient toute perturbation de son visage. Pour ainsi dire, l’expression était correcte, les démons étaient particulièrement séduisants, peut-être pour attirer leurs futures victimes ; pourtant, malgré cette apparence divine. Plus aucune personne ne semblait être attiré par le démon, tout le monde l’aurait repoussé, aucune âme ici présente ne songeait à lui ou admirait sa beauté, l’humanité comme la divinité préféraient fermer les yeux face à cet être qui avait tout pour leur plaire. La voix du démon résonna pour questionner l’humaine face à lui.
- Réponds-moi humaine. De toutes les émotions… Laquelle est la plus éloignée du désir sexuel ?
La scientifique savait très bien quelle réponse le démon attendait, de nature studieuse, elle fit en sorte de ne pas décevoir les espoirs de ce dernier.
- La peur je suppose ?
- Exact… La sensation de domination, quand une personne en colère en attrape une autre, on parle souvent de tension sexuelle… Nous cherchons le réconfort lorsque nous sommes tristes… Même le dégoût nous attire, il a cette saveur défendue, interdite… Je le sais bien, combien d’entre vous dans les gradins imaginaient me baiser un peu plus tôt, alors même que je bouffais un insecte grouillant.
L’humaine bras croisés attendait simplement la fin de la réponse du démon, elle le savait, si elle énervait davantage ce dernier, elle n’en tirerait sans doute rien de bon, et tout de douloureux. Le monstre continuait son petit discours.
- Et pourquoi là, vous n’avez plus envie de me baiser ? Un peu plus tôt vous fantasmiez à l’idée de me voir à quatre pattes, certains s’imaginaient me prendre par tous les trous, m’enfoncer leurs affreux membres dans la gorge… Certaines femmes même fantasmaient à l’idée que je puisse les prendre, que je marque leurs poitrine avec mes crocs encore recouverts de boyaux d’arthropode. Maintenant plus rien, et vous savez pourquoi ? Parce que vous avez peur de moi.
Certains membres de l’assistance semblaient prêts à répondre, tous sans exception semblèrent cependant se calmer et faire profil bas une fois que leurs yeux avaient rencontrés les deux orbes immaculés du démon.
- On n’a pas envie de sexe quand on a peur. On a envie de survivre, on a envie de fuir… L’envie de sexe elle revient seulement une fois qu’on est sorti d’affaire, pour perpétuer nos gênes. Alors dites moi chers humains… Je sens vos odeurs… Ici… Combien d’entre vous ont déjà violé quelqu’un… Combien ont déjà profité de la faiblesse et de la terreur d’un être plus faible…
Après de longues secondes ou le démon demeurait paupières closes, ses deux phares éclairèrent de nouveau l’arène, un large sourire au dents parfaites s’afficha sur son visage de poupée.
- cent trente sept hein… Alors dites moi… Que devrais-je faire, vous bouffer ? Vous violer moi aussi ? Vous torturer ? Je ne sais pas trop… Je devrais peut-être demander à vos victimes ! Vous voyez chers humains, vous êtes prêts à semer votre foutre partout sauf quand vous avez peur, là dans le meilleur des cas vous vous pissez dessus. Elle est belle votre adrénaline, votre audace, une fois la libido enclenchée, plus rien ne vous paraît terrifiant. Mais là… là vous avez peur, je le sens.
De nombreux spectateurs voulaient quitter l’arène, certains par honte, d’autre par pure terreur, pourtant, aucun d’entre eux ne pouvait bouger, tous étaient pétrifiés sur leurs sièges, tous persuadés de mourir si le démon venait à les remarquer.
Beaucoup considéraient à raison que Bélial était quelqu’un de dangereux et fou depuis sa naissance. Un être profondément violent, amoureux de la haine, de la souffrance. Un démon particulièrement épris du vice, calculateur et manipulateur. Une âme qui était au côté des plus nobles, parvenant à cacher les faces les plus sévères de sa dépravation, un réel marquis de Sade parmi les dieux. Pour Asmodeus, son histoire et sa vie étaient très clairement différentes de celles de son amant.
« Ce qui est beau n’a pas le privilège de la naïveté. »
Cette phrase, Asmodeus l’eut compris très jeune, trop jeune. Le démon était à l’origine, comme beaucoup de ses semblables, un ange comme un autre. Réputés pour leur beauté, les anges eux même jalousait celle de l’enfant qui venait de naître, beaucoup finirent par considérer Asmodée comme un don du ciel, un cadeau censé les guider.
Si certains jalousaient l’enfant, très peu osaient s’approcher de lui, se lier à lui et encore moins lui faire du mal. Quand la beauté en arrive à avoir des attributs particulièrement divin, alors tout le monde préfère s’éloigner d’elle, ce qui est beau et divin vous veut du bien, mais ce qui est beau et divin fait peur, oppresse. Nous ne sommes jamais à l’aise face à un visage parfaitement symétrique, des yeux trop bleus, des dents d’un blanc immaculé. Pour cette raison, les hommes comme les dieux s’éprennent bien plus souvent de physiques montrant quelques défauts. Une dent qui n’est pas parfaitement alignée, une légère déviation de la cloison nasale. Rien en Asmodée n’était un défaut, tout semblait parfait.
Déjà studieux à l’époque, le petit démon dont le sexe restait inconnu pour l’intégralité du Valhalla passait de nombreuses heures à lire et à s’adonner à de différentes expérimentations. Le génie créatif de l’angelot était très clairement de paire avec sa beauté. Nombreux étaient les démons à avoir eu des prédispositions quant à leur futur statut, leur future transformation. Des enfants anormalement violents malgré une éducation parfaite, des gamins avec des obsessions particulièrement dérangeantes ou anormale. Le nouveau roi des enfers, fraîchement entré dans ses fonctions continuait d’apparaître de temps à autres au Valhalla, de nombreuses réunions étaient nécessaires pour permettre au peuple d’intégrer les nouvelles fonctions de Beelzebuth et surtout son statut.
Ainsi, de très nombreuses fois, Hermès servait de messager, et le roi des enfers, lui, passait de nombreuses journées au sein des palais du Valhalla. Une perspective qui ne l’enchantait nullement, peu de temps pour expérimenter, seulement de la paperasse, seulement des réunions interminables ou le paraître semblait plus important que les décisions. Ce monde lumineux, joyeux, qui irradiait en permanence avait le don d’exaspérer le démon, il l’aveuglait. Tout était trop beau, les arbres parfaitement alignés, les branches qui ne donnaient que des fruits avec des couleurs trop vives, les fleurs qui dégueulaient allègrement leur pollen et leurs fragrances ; c’était écœurant. Pourtant, en marchant, lorsque Beelzebuth découvrit un ange en train de lire, ses cheveux blond platine filant en épis devant son visage. La perfection de son image imprima sur le démon un tel dégoût qu’il se hâta auprès de l’enfant.
- Petit. Que fais-tu là tout seul ?
- Je lis, ô roi des enfers ! Un livre sur les sciences !
- Montre-moi ça.
Toujours souriant et poli, l’enfant referma soigneusement le bouquin avant de le tendre à son interlocuteur qui prit ce dernier entre les mains, parcourant le cuir du livre. Beelzebuth posa les yeux sur le titre et ne put s’empêcher de sourire.
- Alors un ange aussi parfait que toi s’intéresse aux expériences de transformation biologique ?
En réponse, l’enfant releva la tête et plongea ses yeux parfaitement bleus dans les orbes du démon. La symétrie de son visage, ses cheveux plus proches de l’or blanc que n’importe quel bijou, tout était perturbant en lui. Après quelques instants, le gamin ouvrit la bouche, révélant ses dizaines de perles blanches, souriant au démon.
- Les gens ont peur de moi, ils me fuient, je veux trouver un moyen de changer mon apparence.
Légèrement choqué tant par la plastique du gamin que par les révélations de ce dernier, Beelzebuth fronça légèrement les sourcils avant de lui rendre le livre.
- Poursuis tes expériences, si tu comprends déjà ce livre, tu me surpasseras sans doute. Si tu as besoin d’aide, je loge au palais grec. Pour entrer, montre-leur ceci.
En ponctuant sa phrase, le démon mit une broche en forme de mouche dans la petite main de l’autre. En quittant les lieux, Hermès se mit à glousser légèrement avant de parler au démon.
- Il semblerait que ce petit vous ai tapé dans l’œil seigneur Beelzebuth.
Peut-être était-ce par compassion envers un autre esseulé, peut-être était-ce par ennui. Une chose était sûre, Beelzebuth avait vu en ce gamin quelque chose que les autres n’avaient pas vu, quelque chose de prometteur, bien plus que sa beauté. L’air morne, la démarche renfrognée, le roi des enfers répliqua dans son flegme habituel.
- Je me demande simplement ce que ces graines donneront.
Quelques jours passèrent, puis quelques semaines. Personne n’avait toqué à la porte du démon, personne ne s’était rendu au palais. D’ordinaire, Beelzebuth est de ceux acceptant les choses et laissant le temps faire son affaire, cependant, ce gamin avait trop intrigué l’ancien combattant du Ragnarok pour que ce dernier laisse passer cette occasion. Le roi des enfers se décida à bouger ; il prit sa soutane entièrement noire et l’enfila, toute l’atmosphère de ce jour était particulière à ses yeux, il le sentait, quelque chose n’allait pas.
Beelzebuth poussa la porte de sa chambre d’hôte, la lumière semblait encore plus aveuglante que d’habitude, le soleil brûlait sa peau blanche, le ciel était bleu, bien trop bleu. Ecœuré par cette vision, le démon s’empressa de se diriger vers les appartements d’Hermès, tout le dégoûtait plus que d’habitude. Il sentait son corps suer de manière exagérée, les fleurs étaient moqueuses et projetaient des spores qu’il aurait presque pu voir à l’œil nu ; les fruits étaient resplendissants, presque cirés, nul doute que leur goût était divin, et pourtant il avait la nausée. La tête du démon tournait, la douleur commençait à s’emparer de lui, aucun nuage, aucune herbe qui ne dépassait, c’était horripilant, essoufflé, le démon toqua à la porte du messager.
- Hermès. L’enfant, tu connais son nom, amène-moi à son domicile.
Le dieu, comme à son habitude était déjà préparé, habillé en majordome. En ouvrant la porte, il adressa un sourire jovial à son interlocuteur.
- Le seigneur Beelzebuth se serait donc épris d’un enfant ?
- Ne plaisante pas. Tu sais comme moi que ce gamin cache quelque chose de plus que sa beauté.
Le dieu messager émit son habituel sourire à mi chemin entre la malice et la sincérité avant de répondre en hochant la tête.
- Entendu, suivez-moi.
Sans concession ou discussion supplémentaire, le dieu emboîta le pas, étonnamment, ce dernier semblait ne rien réaliser de la situation actuelle. Le démon tenta une affirmation, pour vérifier si son ressenti était un simple fruit de son imagination.
- Le ciel est différent de d’habitude.
- La seule chose différente est votre débit de parole… Vous êtes moins loquace en temps normal.
- Tch.
Pas un mot supplémentaire, il était donc le seul à avoir cette impression. Chaque pas s’alourdissait, chaque mètre devenait douloureux, sa tête s’écrasait. Le son des cloches se faisait assourdissant, bientôt des trompettes s’ajoutaient à cette vision. La nature démoniaque du roi des enfers lui donnait la chaire de poule, Beelzebuth frissonnait sous le soleil de plomb. N’importe quel croyant, dieu, démon se serait douté que cette situation était le signe déclencheur de l’apocalypse. Beelzebuth redoutait chaque pas, Hermès quant à lui s’arrêta net une fois arriver dans un des quartiers chics, le simple son qui s’échappa de sa bouche fut un léger.
- Oh.
Le démon était presque à demi conscient, Beelzebuth bougea légèrement pour se décaler de l’arrière d’Hermès et le vit. L’enfant était là, gisant, assit contre un mur, l’odeur de semence et d’autres fluides corporels était pestilentielle, les pas collaient contre le pavé, certaines flaques avaient séchées, d’autres étaient encore gluantes et tièdes, il semblait que les responsables avaient à peine fui les lieux. Asmodée était à peine conscient, les vêtements déchirés, le corps meurtri, des plaies saignaient, ses parties génitales étaient meurtries, rougissantes, gonflées, son visage était méconnaissable, boursouflé, marqué, brisé, les larmes se mélangeaient à la semence et au sang. Beelzebuth avait l’habitude de voir des horreurs, il était chirurgien, scientifique, certaines des plus grandes abominations étaient de son fait, et pourtant, l’énième coup de cloche plus puissant que les autres fit tomber le roi des enfers à genoux. Le démon se tenait la tête fermement, puis tremblotant se mit à vomir par terre, tout bourdonnait, une horde de criquets résonnaient dans sa tête. Les présages et visions bibliques lui brûlaient le crâne, son tatouage irradiait, un simple hurlement qui n’était pas sa voix retentit à travers la ville, le ciel toujours aussi bleu et pur, toujours aussi insouciant.
- Qu’avez vous fait à l’agneau ?!
A bout de souffle, le démon couru à toute allure vers Asmodée, plaquant ses mains contre son visage encore brûlant, tuméfié. Il sentait son petit souffle court, prêt à s’évanouir à tout instant, une simple petite bougie sur la quelle il aurait suffit de souffler.
- Pauvre enfant… Que s’est-il passé ? …
Tout le monde le savait, tout le monde l’avait compris, il ne voulait pas de mots, en réalité, le démon était déjà en train de parcourir l’esprit de la victime. Il voyait tout, la lumière, ce soleil cruel et insolent. Les jours entiers que l’enfant avait passé sans pouvoir dormir, sans pouvoir rire, sans pouvoir se débattre ou défendre, la violence des coups, le bruit des dents qui se brisent et s’entrechoquent contre les phalanges, les bras tordus, les fluides qui abondaient, collaient, l’odeur à vomir. Ses propres parents même... Beelzebuth réalisa l’ampleur de la situation avant de se retourner vers Hermès, le regard vide et en même temps gorgé d’émotions.
- Fais détruire le quartier et exécute les habitants sur le champ !
Voyant le messager hésiter, le roi s’invectiva de plus belle.
- Immédiatement ! Les habitants sont tous devenus des démons destinés au tartare !
Conscient de l’urgence de la situation, Hermès s’exécuta et fila aussitôt en direction du palais grec, Beelzebuth avait déjà disparu avec l’enfant, s’efforçant de soigner ce dernier tant bien que mal, lui redonnant son apparence d’origine a travers de nombreuses chirurgies, de nombreuses semaines et mois de rééducation, de soins. Au bout d’un certain moment, dans son palais, le démon fit venir l’ange dans ses appartements.
- Asmodée, je pense que tu l’as compris désormais, ton expérience était un succès mais…
- Mon apparence transforme les anges en démons. C’est bien ça ?
- Exactement, il semblerait que ton sang soit plus proche de celui des anges primitifs, les plus anciens, au fur et à mesure des années, le sang angélique s’est appauvri, les anges sont plus enclins au vices qu’à l’origine et…
- Confrontés à un test des dieux, ces derniers n’ont su garder leur vraie nature.
- C’est exact. Tu sais comme moi à quel point le destin est cruel et…
- Je ne pourrais plus jamais être un ange car j’ai été souillé, il aurait mieux valu que je meurs en martyr ?
- C’est exact… Il se peut qu’en effet tu sois un enfant envoyé par les dieux pour tester les autres anges.
- Et je l’ignorais entièrement… Ce qui est beau n’a pas le privilège de la naïveté.
Le roi des enfers se tut, observant simplement son nouvel élève faisant face à ses songes. L’ancien ange était devenu plus grand, sa silhouette restait androgyne, on aurait cru voir une poitrine naissante au niveau de son torse, mais en même temps voir les épaules caractéristiques de la gente masculine, ses clavicules droites et dessinées. Asmodée ferma les yeux quelques instant avant de les rouvrir, ses deux globes étaient devenus blancs, le ciel bleu avait disparu, il ne restait plus que cette fumée dans ses iris.
- Ne vous inquiétez pas Beelzebuth. Jamais plus je ne serai naïf.
Un léger frisson parcourut le corps du roi des enfers, il avait trouvé un élève d’exception mais il avait surtout compris. Il n’y aurait plus moyen de faire machine arrière, l’agneau avait été tué, l’ère sombre était arrivée, et celui qui mènerait l’armée des enfers n’allait sans doute pas être la mouche.
De retour à l’arène du Valhalla, Marie Curie, toujours face à son erreur et à la figure aussi parfaite que furieuse du démon ne put se résigner qu’à attendre dans l’espoir que ce dernier regagne un peu de calme. Une nouvelle question résonna dans l’arène.
- Dis moi humaine. Ne les détestes-tu pas toi aussi ? Ces humains, encore plus les hommes. Quand bien même tu étais un génie, ils ne voyaient en toi que ton genre, ton sexe. Tout ce qui les intéresse c’est engrosser, baiser, remplir de leur semence dégoûtante.
La scientifique déglutit anxieusement avant de répondre.
- Je ne peux pas dire que je les porte dans mon cœur, c’est sûr, pourtant c’est bien pour eux que je me bats, et plus il y aura de personnes prêtes à se battre et contre eux et pour eux… Tant qu’il y aura des personnes prêtes à leur foutre le nez dans la merde, alors les choses pourront continuer d’avancer. J’ai beau les détester… Je veux quand même les voir s’améliorer.
Le démon sembla sourire légèrement derrière son étrange masque.
- Je n’attends pas de voir des rats de laboratoire s’améliorer, je m’en moque, ils me serviront de carburant et de ressources pour mes recherches, voilà tout.
Les deux scientifiques le savaient, le combat allait bientôt se terminer, ils étaient venus à la même conclusion, faire durer les choses était inutile et le démon comptait se battre jusqu’au bout. Pour la première fois, la figure aussi démoniaque qu’angélique retira son manteau de fourrure et ses vêtements pour montrer une apparence aussi terrifiante que dégoûtante. Son corps entiers était recouvert de cicatrices, de marque de brûlures, mais surtout… Asmodeus avait cousu sur son propre corps des dizaines et des dizaines de sexes féminins, des vulves toutes différentes les unes des autres. Le démon s’adressa à nouveau à l’humaine, l’air fier de sa propre création et apparence.
- Les femmes sont capables de pas mal d’horreurs elles aussi… Mais les hommes… Ils sont si faciles à piéger, il leur suffit d’un trou, ils ne pensent qu’à ça, ils n’espèrent que ça. Pour eux toute leur réussite de vie se résume à ça, envoyer leur semence ça et là… Les succubes font parfaitement bien leur travail et moi j’en récolte les bénéfices, pourquoi donner un fluide aussi vital à un groupe aussi ridicule et idiot…
La mâchoire de la créature se disloqua à nouveau et cette dernière recracha un immense globe de verre. À l’intérieur de nombreux fluides semblaient se mélanger, d’un coup de poing sec, le monstre brisa le globe qui commença à répandre son contenu. L’odeur était abominable, et petit à petit, le cocktail effroyable se mit à s’agglutiner pour créer une créature qui semblait en tout point être la copie d’Asmodeus, le démon lui saisit le visage et l’embrassa de force, bientôt l’être fraîchement créé disparu et se mêla au corps de l’ange. Une masse de chaire gigantesque l’entourait, une espèce d’armure organique, il semblait qu’une cascade de boyaux et autres rejets se générait perpétuellement, rendant cette espèce de masse informe et dégoulinante d’autant plus répugnante.
Marie Curie se pinça le nez à cause de l’odeur et se mit à poser sa main sur ses pièces mécaniques.
- Le tout pour le tout alors.
Chapter 35: Mécanique organique
Summary:
le 8 ème round arrive à son terme, deux colosses s'affrontent.
Chapter Text
Les milliers de petites pièces de métal et autres ressorts commencèrent à vibrer les uns après les autres avant de s’agglutiner à nouveau. Cette fois ci étrangement, le courant magnétique se faisait plus fort, bien plus fort. La pierre de Radium se mit à trembler frénétiquement, attirant non seulement les pièces d’origine mais également tout autre métal qui se trouvait aux alentours. Les bijoux des spectateurs, montres comme bagues et autres boucles d’oreilles pointaient tour à tour vers la même direction. Certains membres du public se séparaient volontairement de leurs biens pour pouvoir venir en aide à l’humaine. Au bout de longues minutes, un colosse de ferraille apparut, les gens s’extasiant face à ce robot géant ; les geeks les plus fervents comme les enfants
s’écrièrent à l’unisson.
- On dirait un Gundam !
Asmodeus, même malgré sa nouvelle apparence n’avait pas réagit le moins du monde alors que Marie Curie préparait cette attaque, s’en sentait-il incapable ? Était-ce un excès d’arrogance et d’orgueil ? Rien de tout ça… La réalité était bien plus simple, le scientifique infernal était réellement impressionné par le génie créatif de son ennemie et voulait voir jusqu’au bout de quoi elle était capable. Après de longues secondes à observer sous tous les angles le robots construit à partir de pièces d’origines comme de babioles récupérées à droite à gauche, le démon se figea face à la structure.
Il était compliqué de décrire ce robot, ce dernier était particulièrement coloré mais aucun motif particulier ne semblait ressortir. Le premier coup d’œil sur cette étrange création aurait donné l’impression à l’observateur non initié qu’un enfant aurait décidé d’empiler tous ses lego les uns sur les autres. Peu symétrique, la création se voyait pourvue d’une paire de cornes dépareillées, l’une en pointe sur le devant, l’autre sur le côté. Un des bras du robots possédait quatre doigts tandis que l’autre bras en possédait bien cinq. Pourtant, malgré l’apparence étrange du robot, si on s’intéressait suffisamment à chacun des détails qui venait le composer, il s’avérait que chacune des parties du robot symétrique ou non avait un sens et une utilité.
La créature mécanique voyait l’arrière de son dos être ouvert, à l’intérieur de ce dernier se trouvait être une petite cabine. Marie Curie s’approcha et entra à l’intérieur du colosse, sa voix retentit à travers un haut parleur de fortune au niveau de la tête du robot.
- Eh voici mon ultime création ! Le robot ultime ! Son nom est Mékhane !
En contrebas, face au titan, l’autre colosse, constitué de chair quant à lui voyait son apparence se modifier peu à peu, sans doute pour faciliter la tâche à son hôte qui se trouvait encore à l’intérieur de cette décharge ambulante. Les dégoulinements s’étaient enfin interrompus, la bestiole sembla se lever sur ce qui lui servait de jambes et se dressa de toute sa hauteur face à son nouvel ennemi ; les deux créations étaient aussi gigantesques l’une que l’autre. Le monstre organique voyait de nombreux yeux apparaître et disparaître, cligner à l’unisson ou les uns après les autres. Une véritable abomination lovecraftienne se trouvait face aux spectateurs. Des centaines de bouches ouvraient et se refermaient, non seulement des bouches mais aussi des organes génitaux. Quelques dentures et autres os venaient transpercer l’aspect logique de la créature, certains sortant perpendiculairement à ses bras, d’autres traçant une ligne le long de son corps. L’amas de chair vibra et des cordes vocales de fortunes retentirent dans un long bruit sourd et caverneux.
- Yaldabaoth…
Les deux créations étaient nommées, l’ultime chef d’œuvre de chacun des deux combattants, l’ultime et sans doute le dernier pour un des deux. Après quelques instants à s’observer, les deux colosses prirent une position d’attaque. Yaldabaoth leva la main, de nombreux bruits de fracas retentirent en dehors de l’arène, puis, dans sa main, une lance gigantesque se jeta. Une lance faite de cadavres et autres membres humains, un visage de démon semblait gravé sur la framée, cette arme était celle de Bélial, une arme bien trop grande pour le démon, mais à la bonne taille pour cette création.
Mékhane en face de ce véritable monstre leva la main à son tour. Un grand flash de lumière survint, dans sa main, un sabre luminescent était serré, un sabre gigantesque qui irradiait presque toute l’arène. Certains scientifiques et autres spectateurs reconnurent certains rayons, cette lumière, un humain avait émit la même dans l’arène il y avait maintenant un millénaire. Le combat allait se terminer, les deux pilotes dans leurs vaisseaux de morts s’élancèrent, la puissance du choc causa un déplacement d’air qui surprit l’intégralité de la foule. Heimdall cramponné à son perchoir multipliait les exclamations.
- Exceptionnel ! Incroyable ! Époustouflant ! Qui aurait pu imaginer un combat comme celui ci ? Qui aurait pu espérer un combat comme celui ci ?! Deux véritables titans s’affrontent, l’humanité a tout misé sur ses connaissances technologiques pour créer un gigantesque robot ! Le démon quant à lui est resté fidèle à ses origines et à la tradition, un monstre de chair répugnante est au coude à coude avec son ennemi !
À chaque fois ou la lance de chair, d’os et d’énergie vitale entrait en collision avec le sabre lumineux. Un bruit sourd retentissait, puis une odeur de chair calcinée et grillée chatouillait les narines de la foule. Si la lance du démon semblait intacte, quelques débuts de fissures commençaient à s’y dessiner. Le robot de son côté voyait la lumière que sa lame dégageait réduire petit à petit. Les deux combattants le savaient, ce combat arrivait bientôt à son terme. Marie Curie s’écria depuis sa cabine, à elle seule et sa valkyrie.
- ValÞögn ! Ce n’est plus le moment d’hésiter ou d’avoir peur ! Nous jouons le tout pour le tout, c’est soit être tué ! Soit gagner ! Déchaîne toute la puissance de la pierre, assure-toi seulement de me garder en vie le plus longtemps possible !
La valkyrie hocha la tête.
- Je… Je vais essayer… Non ! Je vais le faire !
Le corps de la demoiselle si timide et frêle craquelait au fur et à mesure, le robot semblait plus rapide, plus fort, son épée reprenait son éclat original. Si l’humanité voyait le visage de la scientifique ne serait-ce qu’un instant, tous sans exception en pleureraient. Ses joues se creusaient, ses cheveux tombaient, puis ses dents, son visage était pâle, des cernes s’y dessinaient, ses lèvres perdaient toute forme de vie. Puis, l’instant d’après, tout récupérait son aspect d’origine, les milliers de cellules cancéreuses se multipliaient et disparaissaient aussitôt dans une douleur insoutenable. Une douleur que Marie Curie et sa valkyrie affrontaient tête haute.
- Encore ! … Plus ! …
Le géant de fer quant à lui semblait intact, les mêmes capteurs disposés sur le corps de l’humaine venaient lui parsemer l’intégralité du corps, clignotant à leur tour. Relevant la main, l’épée plus flamboyante que jamais, le robot s’était remis en garde.
Depuis le poste des commentateurs, Pierre savait. Le scientifique s’était muré dans un profond mutisme. Il n’aurait pas pu prononcer le moindre mot, il sentait déjà sa gorge être saisie par de profonds sanglots, il y avait de fortes chances que même si Marie remportait ce combat, elle ne s’en sortirait pas indemne.
De l’autre côté de l’arène, le Yaldabaoth semblait se régénérer encore et encore. À l’intérieur du monstre, Asmodeus lui même souffrait le martyr. Le monstre de chair était affamé, épuisé, il avait besoin d’énergie. Les tentacules et autres dents venaient s’accrocher au démon, lui mordre la peau, arracher des petits lambeaux de cette dernière. Les deux monstres se parasitaient mutuellement pour savoir lequel aurait le contrôle final, lequel survivrait à l’intensité de ce combat. Le monstre absorbait la lance comme pour dérober toute son énergie et sa puissance, bientôt les créatures étaient définitivement liées, elles ne faisaient qu’un.
Beelzebuth depuis les gradins, avait enfin décidé d’ouvrir la bouche pour commenter ce qui se trouvait sous ses yeux.
- Il y a un millénaire… Si j’avais créé un tel être, j’aurais été tué.
Heimdall se retourna vers le démon.
- Seigneur Beelzebuth, est-ce vrai ? Pensez vous réellement que ce monstre aurait pu être la création que vous cherchiez depuis tout ce temps ?
- Je n’en doutes pas le moins du monde… Je l’avais dit, ce gamin me surpassera un jour ou l’autre. La seule différence… C’est que lui est bien plus attaché à la vie que quiconque.
Pas un mot supplémentaire, Heimdall se retourna pour observer davantage les deux monstres qui étaient à nouveau en garde, prêts à s’entre-tuer. Le Yaldabaoth avait levé et armé son bras vers l’arrière, prêt à percer son ennemi de toutes ses forces ; le Mékhane avait quant à lui saisit sa lame à deux mains, levant cette dernière bien au dessus de sa tête, ils le savaient, les monstres comme les hôtes, cet échange serait sans aucun doute le dernier.
Les pièces fondaient et se ressoudaient entre elles, la chair brûlait et cicatrisait à vue d’œil. Un simple éclair survint dans le regard des deux colosses, puis, tout deux partirent à tout allure droit sur l’ennemi.
Le fracas retentit dans toute l’arène. La lumière provoquée par la violence du choc avait aveuglé l’intégralité du public. Une fois leur vision récupérée, l’intégralité des spectateur vit les deux colosses complètement figés. Yaldabaoth poussait sa gigantesque lance de toutes ses forces dans l’espoir de briser et transpercer la lame de Mékhane. La machine refusait de reculer ou de bouger d’un iota, les quelques tremblements des pièces mécaniques étaient dus à la force exercée sur la lame toujours aussi brillante. Les milliers de petits capteurs luisaient à l’unisson, se dirigeant tous vers les mains du combattant.
À l’intérieur des deux créations, les deux combattants ressentaient bien plus les contrecoups de cette attaque. Marie Curie vomissait du sang quasiment sans interruption, l’humaine perdait et regagnait conscience en permanence, elle sentait son esprit vaciller, elle s’efforçait à effectuer des calculs pour ne pas devenir folle et garder une trace de conscience. Sa valkyrie lui serrait les épaules de toutes ses forces, ses ongles se plantaient dans la chair violacée, l’intégralité de son corps était fissurée, craquelé.
À l’intérieur de Yaldabaoth, Asmodeus ne sentait plus ses membres, le démon était résolu, la bestiole avait sans doute déjà dévoré ses membres, bientôt il ne resterait plus que son cerveau et sa conscience, à la fin, il ne resterait sans aucun doute plus rien, c’était trop tard pour lui, il le savait. Dans un dernier élan le monstre mécanique repoussa de toutes ses forces la créature organique, une voix triomphante bien qu’endolorie retentit une nouvelle fois à travers les hauts parleurs.
- Le but de la science ! … C’est de sauver des vies !
La lame de Mékhane brilla à nouveau, toutes les lumières clignotèrent une fois de plus vers cette dernière avant de s’éteindre. Un dernier élan et le colosse vint trancher en deux l’intégralité du corps de Yaldabaoth, le monstre de chair tomba mollement au sol, séparé en deux, la machine ne bougeait plus, elle gardait la pose. Heimdall hurla dans son corps
- C’est terminé ! Marie Curie l’a emporté ! Le combat revient à l’huma…
Pierre saisit le cor du dieu pour l’interrompre, la voix noyée dans ses pleurs et ses sanglots.
- N’as-tu pas compris ? Elle a tranché le noyau du monstre volontairement, Asmodeus est encore en vie ! Elle a utilisé toute l’énergie qui lui restait ! Elle est… Elle est morte…
Le sas arrière du robot s’ouvrit, révélant deux mains, une boursoufflée et violacée, entrelacée par une main entièrement craquelée. Personne ne put voir les dernier instants de l’humaine, la simple vue de cette main avait permis au public de réaliser toutes ses souffrances. Peu à peu, les corps disparurent, le robot restait là, triomphant.
De l’amas de chair, les jambes coupées, les mains bouffées, Asmodeus s’extirpa avant de hurler.
- Qu’as-tu fait ?! Tu t’es sacrifiée pauvre idiote ! Tu aurais pu gagner ce combat ! Tu aurais pu l’emporter ! Tu… Putain !
L’agneau avait été sauvé, meurtri, blessé, scarifié ; mais l’agneau avait été sauvé. La seule chose qui restait au démon, c’était la possibilité et le devoir de créer un être capable de surpasser ce robot. Asmodeus rampait, la mâchoire serrée, le cœur lourd. Les dieux avaient gagné ce round, le démon avait perdu ce qui l’animait. Du haut des gradins Beelzebuth détourna le regard, cette sensation il l’avait vécue, peut-être ira-t-il rendre visite à son élève dans quelques temps. Nouvelle égalité, les dieux comme les humains étaient à quatre victoires chacun.
Chapter 36: La mer
Summary:
Deux nouvelles figures avancent, le prochain combat du Ragnarok commence, le premier affrontement entre deux femmes commence !
Chapter Text
Le score entre le camp de l’humanité et celui des déités avait retrouvé son égalité naturelle. Quatre combats remportés par les humains, quatre combats remportés par les dieux. Autant le dire, peu importe le résultat du prochain combat, ce dernier afficherait et marquerait le rythme futur du tournoi, la vraie question était de savoir à qui ce rythme serait favorable. Abattue, Göll restait muette et s’était enfermée dans sa chambre, peut-être pour pleurer la perte d’une sœur, ou bien pour réviser certaines stratégies. Quelques combattants humains se fixaient entre eux et le savaient, c’était sans doute pour faire les deux à la fois.
Roland avait passé la majorité de son temps dans la pièce réservée au collectif de scientifiques humains. Tous avaient perdu une cheffe, un esprit brillant, plus encore, tous avaient perdu une amie et pourtant, pas un seul d’entre eux n’avait versé une larme, pas un seul d’entre eux ne sombrait face aux désespoir. Au contraire, dans un silence caractéristique, la grande majorité du groupuscule se remit au travail. Roland comprit très bien, tous étaient tristes, mais plus que tristes, tous étaient déterminés. Le Chevalier prit le papier laissé par la scientifique, les fameuses directives que cette dernière avait laissé en cas de défaite. La première phrase disait « un banquet ». Qu’elle l’emporte ou qu’elle perde, la demande était la même. Il fallait nourrir les esprits les plus brillants, ce combat allait permettre à l’humanité d’avancer et ce, peu importe son issue. Dans un geste simple et solennel, le chevalier se releva, hocha la tête en guise de salutations et quitta les lieux, préférant laisser les scientifiques entre eux.
Du côté divin, malgré la victoire, personne ne se sentait d’humeur triomphante. La raison était simple, la plupart des dieux aurait préféré voir Asmodeus perdre cet affrontement. Les raisons qui quant à elles poussaient les dieux à désirer cette issue étaient diverses. La principale était sans conteste la dangerosité du démon ; instable, imprévisible, violent, cruel, autant le dire, le disciple de Beelzebuth avait la même réputation que ce dernier. Pour certains dieux, Asmodeus était même le démon qui avait poussé Bélial à une folie encore plus profonde, il était le démon qui pervertissait la moindre âme ; peu savaient la vérité. Asmodeus n’avait jamais été créé dans l’objectif de tromper ou dépraver les dieux, il était bien là pour les mettre à l’épreuve ; et c’était bien ça la deuxième raison derrière leur envie de voir le démon mourir. S’il était en vie, il allait sans doute vouloir rendre des comptes, mais pire que ça, un agneau à la patte arrachée est bien plus difficile à ignorer qu’un agneau mort, et ceux qui avaient mutilé la bête étaient bien les dieux. Laisser Asmodeus en vie, c’était être obligé de reconnaître la réalité, d’y faire face : les dieux avaient créé le pire démon de leur histoire car ils avaient failli à leur tâche.
Dans la fameuse salle de réunion, Zeus finit par briser le silence ; le vieillard observait le roi des enfers qui se trouvait face à lui.
- Je suppose que le Valhalla doit révéler la vérité.
- C’est préférable, car elle finira par éclater un jour ou l’autre.
Le doyen du panthéon grec s’affaissa un peu dans son fauteuil, après ce Ragnarok, il révélera l’histoire au reste des déités. Il ne semblait pas si dérangé ou déçu par cette obligation, après tout, Asmodeus leur avait tout de même apporté une victoire. Le vieillard se redressa légèrement dans son siège pour observer les dieux présents lors de cette réunion.
- Bon… Nous sommes arrivés à nouveau à une égalité, en soit, nous sommes revenus au point de départ. Ce Ragnarok semble bien plus différent et en même temps ressemble énormément au précédent… Cette Valkyrie manque de la détermination sans faille de Brunhilde, cependant.
Thot, encore en train de rédiger nombre de rapports leva la tête vers le doyen pour finir sa phrase.
- Cependant, le fait qu’elle ne semble avoir aucun objectif tierce que la victoire de ce Ragnarok la rend particulièrement imperturbable.
En guise de réponse, le plus âgé hocha simplement la tête, le scribe avait entièrement raison ; au yeux des divinités, Goll était potentiellement une adversaire encore plus redoutable que Brunhilde l’avait été il y a plus d’un millénaire. La petite valkyrie avait bien changé, au premier coup d’œil on aurait cru voir son aînée. Zeus soupira légèrement avant de reporter son attention sur le reste de l’assistance, observant les dieux qui avaient daigné se montrer cette fois ci. Aucune surprise pour lui, Ishtar n’était pas revenue, de toute manière, elle ne reviendrait sans doute pas avant son combat, à moins d’un autre caprice de cette dernière, rien ne l’aurait motivée à se montrer. Au grand étonnement du grec, Wukong était revenu, toujours aussi désintéressé, le singe était en train de boire une boisson à la mode en pianotant sur une tablette, visiblement cette salle de réunion servait majoritairement de salle de jeu pour cet étrange personnage. Zeus devait faire face à la réalité que bon nombre de dieux ne reviendrait plus ou ne se montrerait plus, à chaque combat le bilan des blessés ou des morts s’alourdissait, et de nombreux survivant n’avaient plus aucune raison de venir. Le baron samedi avait sans doute retrouvé sa famille, Thot était le seul à revenir envers et contre tout. Un des seuls participants à être venu quoi qu’il arrive était le serpentaire, le vieillard restait assis là, sévère, les bras croisés, particulièrement patient et silencieux. Zeus posa la main sur la table.
- Bon, la suite des événements… Eh bien je ne sais pas. Tiamat est censée être la prochaine à rejoindre l’arène et comme vous avez pu le remarquer, on ne l’a pas vue depuis le début de ce Ragnarok. C’est plutôt étonnant quand on sait que Ishtar elle même est déjà venue nous saluer une fois.
Hermès observa ses rapports avant de répondre à son aîné.
- Il est vrai que même si Tiamat et Ishtar partagent le même genre de caractère, la déesse des océans bien que parfois capricieuse à sa manière se veut plus raisonnable et posée que son amie. Je m’attendais à la voir ici une fois de temps à autre.
La porte grinça légèrement, une silhouette se dessina dans l’entrebâillement. Elle était colossale, gigantesque. Ares lui même semblait petit par rapport à cette figure qui s’avançait vers le centre de la pièce. Malgré la puissance de la majorité des dieux présents, tous étaient tombés bien silencieux, Zeus lui même observait la déesse sur ses gardes malgré son expression calme. Tous le savaient, les dieux mésopotamiens étaient des cas particuliers au sein du Valhalla, des dieux vénérés mais presque oubliés, surpuissants, terrifiants, et pourtant, les deux déesses principales de ces légendes avaient accepté de participer à ce tournoi. La figure inconnue était aussi terrifiante que magnifique, ses longs cheveux raides coulaient le long de son corps, presque jusqu’à ses pieds, leur bleu profond lui conférait un caractère particulièrement mystique. La peau de la déité était bronzée et foncée, son corps était recouvert de petites marques et tatouages, à quelques endroits cependant, quelques amas d’écailles se dessinaient. Ses doigts étaient longs et fins, légèrement griffus, la divinité dépassait aisément les deux mètres, colossale, oppressante, elle baissait la tête pour observer les quelques participants à cette réunion.
Ares décrivait cette étrange figure avec des adjectifs particulièrement révélateurs. C’était une beauté sauvage, une force de la nature, un être aussi terrifiant que séduisant. La déesse était particulièrement musclée, sa peau bronzée ne faisait que révéler davantage de sa musculature. Des cuisses et des bras épais et sculptés, un ventre ferme et tracé par les lignes de ses muscles abdominaux. La tenue de la déesse était on ne peut plus simple, un paréo bleu azur lui serrait les hanches et un haut en tissu venait serrer sa poitrine. Certains des combattants n’avaient que rarement voire jamais vu la déesse auparavant, tous retinrent leur souffle quand cette dernière se pencha, dévoilant son visage aux autres dieux. Elle était magnifiquement terrifiante, ses traits étaient à la fois fins et épais. Son nez aquilin traçait une ligne franche au milieu de son visage, la finesse de ses yeux couleur azur rendait son regard encore plus oppressant. Ce qui cependant clouait tout le monde sur place était le fait que la déesse possédait certains attributs inhumains. Quatre de ses dents étaient celles d’un ogre. Deux pointes qui dépassaient vers le haut de son visage croisées par deux autres pointes qui se dirigeaient vers le bas ; Le tout sur des lèvres aussi douces que pulpeuses. Tout le reste de sa dentition restait pointu, carnassier, rendant son sourire encore plus oppressant. La partie la plus particulière de la déesse restait l’intérieur de ses yeux ; si la forme de ces derniers était humaine, leur intérieur était celui d’un serpent, pas une trace de blanc, seulement l’iris complètement bleu, tranché par deux traits noirs, des yeux de prédateur. Tiamat s’assit avant d’observer les dieux présents, un sourire se dessina sur son visage, tordant ses énormes dents.
- Eh bien, vous n’êtes pas contents de me voir ? Je vous ai tout de même au moins un petit peu manqué, surtout toi !
La déesse posa son énorme main sur la tête du singe pour l’ébouriffer, étonnamment, celui ci ne dit rien et ne fit rien. Wukong était un singulier personnage, du genre à n’écoute rien ni personne sauf les deux déesses mésopotamiennes. Pour beaucoup la raison était simple, le singe et les déesses avaient beaucoup en commun, le trio était du genre surpuissant à ne jamais écouter rien ni personne. Zeus se décida finalement à répondre à la déesse.
- En réalité on ne t’attendait plus Tiamat, c’est plutôt étrange de ne pas te voir à ce genre de réunion, en tout cas de ne pas t’avoir vue plus tôt.
- Oh mais mon cher petit Zeus tu sais ce que c’est d’être parent ! Et des enfants, j’en ai beaucoup, ils sont tous adorables, tiens, regarde.
La déesse se releva pour se poser à côté du dieu grec, puis, commença à poser sur la table un nombre incalculable de photos en tout genre. Toutes ces photos étaient celles d’enfants ou petits enfants de la déesse. En réalité, rien de vraiment étonnant pour la déesse de la mer et de la vie elle même. Le dieu grec leva les yeux au plafonds, chaque jour qui passait, il comprenait mieux la nature de la relation entre son frère et cette dernière. Poséidon donnait toujours des avis très tranchés, et la déesse mésopotamienne ne faisait pas exception à la règle. Bruyante, bavarde, ennuyante, exubérante ; pourtant, jamais le dieu des mers n’avait prétendu la haïr, la mépriser ou même ne pas l’apprécier, ces deux là partageaient cet étrange goût et attachement envers les membres de leurs familles.
- Oui Tiamat tes enfants et petits enfants sont tous très mignons, mais n’oublie pas que la nature de ces réunions porte à s’assurer que le prochain combat…
- Il n’a pas lieu avant demain ! Et vu l’heure, j’ai faim, pas vous ? Allez, tous à table, Hermès ces jeunes hommes ont besoin de viande, ton père semble décatir d’année en année, il faut remédier à ça !
Le messager s’inclina légèrement avant de quitter la pièce, après quelques instants, lui comme de nombreuse serveuses amenèrent plusieurs plateaux remplis de mets différents. Wukong n’attendit pas un instant avant de se jeter sur sa pitance. Zeus comprit finalement la raison qui avait poussé le singe à venir aujourd’hui, ce malicieux macaque s’attendait déjà à voir Tiamat et à avoir le ventre bien rempli d’ici la fin de la réunion. Qui aurait pu penser qu’une déesse aussi terrifiante était en réalité une mère poule.
Après ce véritable festin, la déesse des mers reposa les yeux sur Zeus avant de se relever.
- Tu sais, ce n’est pas mon premier combat. Nul besoin de me dire quoi faire et comment le faire, les mers et océans, c’est mon domaine.
Le vieillard soupira simplement en la voyant quitter la salle, décidément elle n’avait jamais changé.
Du côté de l’humanité, la valkyrie traversait chaque couloir les uns après les autres, Sun Tzu suivait cette dernière, tout deux se hâtaient. Une fois sortis de l’arène, la valkyrie se retourna vers l’ancien combattant.
- Êtes vous sûr de m’accompagner ? Ce n’est pas la porte à côté, la marche va être longue et rude.
- Les généraux doivent accueillir leurs hommes lorsque ces derniers reviennent, je serais un bien piètre conseiller si je n’étais même pas capable de vous accompagner jusque là.
La valkyrie sourit au stratège avant de continuer sa marche. Leur objectif était simple, un port improvisé au loin de l’arène. Les deux aventuriers de fortune devaient se diriger jusqu’à ce dernier, et autant le dire, la mer était lointaine. Une partie de forêt à traverser, une colline, en réalité les deux compagnons d’infortune allaient devoir marcher au moins deux bonnes heures pour arriver au lieu de rendez vous.
- Il était prévu de les voir revenir une semaine plus tôt, mais j’ai été contactée pour être prévenue de leur retard, nous pouvons nous estimer chanceux qu’ils arrivent avant le début du neuvième round.
Après les longues heures de marche et quelques ampoules, poussant quelques feuillages du dos de la main, la valkyrie vit deux immenses bateaux. Le premier était un navire de guerre japonais, un atakebune. Les immenses et innombrables rames plongeaient dans l’eau et ramaient à l’unisson, aucune voile ne dépassait, aucune mat n’était visible, le bateau était bien plus proche d’un bloc compact flottant sur l’eau que d’un navire. L’autre navire était plus fin et élancé, tout autant de rames venaient frapper l’eau et voguaient aux côtés de l’étrange cuirassé, ce navire là en revanche possédait une gigantesque voile en son centre. Après quelques instants, les deux navires vinrent s’échouer sur le sable. Du plus fin des deux bâtiments, un homme sauta sur le sol avant de tituber un peu, les semaines en mer avaient perturbé son équilibre. L’homme semblait avoir une quarantaine d’années, le teint bronzé, ses cheveux noirs et bouclés étaient jetés vers l’arrière, plaqués par le sel et l’eau de mer. En l’observant bien, on pouvait discerner les centaines de cartes qui étaient enroulées dans un sac qu’il portait à son dos, des petites pochettes rattachées à ses vêtements, diverses poudres, des outils de navigation et quelques petits couteaux. La barbe mal rasée, l’air fatigué et les yeux cernés, l’homme marcha lentement vers les deux autres.
- Eh bien… Désolé pour le retard, il s’avère qu’on s’est mangé une belle tempête au moment de rentrer, ça me rappelle le bon vieux temps, sauf que ce n’était vraiment pas le moment ou le temps était bon, au sens propre comme figuré.
L’air nonchalant et cynique de l’aventurier amusa la valkyrie qui gloussa légèrement avant de la saluer un peu plus poliment.
- Heureuse de vous voir en un seul morceau Ulysse, le voyage semble avoir été éprouvant.
- Il le sera sans doute moins que le savon que Pénélope me passera une fois rentrer.
Le navigateur passa sa main dans sa nuque en baillant, il se sentait raide comme du bois, il craqua et bougea la tête dans tous les sens.
- Bon au moins on a réussi à mettre au point ce qu’on voulait mettre au point.
La valkyrie pencha la tête sur le côté avant de sourire.
- Si vous parlez de ce fameux navire, en effet il a été mis au point, sa création a été finalisée hier, autant le dire c’est un travail d’orfèvre, sculpté à partir des meilleurs bois du Valhalla ; vos plans étaient particulièrement précis et précieux.
- Oh tu sais, on ne survit pas aussi longtemps en mer sans apprendre une chose ou deux. D’ailleurs tant que j’y suis, Sun Tzu.
Le conseiller, bras dans ses longues manches se retourna vers le roi d’Ithaque. Ulysse fit tomber de ses épaules son immense sac et l’ouvrit à l’attention du stratège.
- J’ai noté les stratégies, courants marins, les vents, j’ai recartographié certaines zones qui semblaient erronées ou ont subit des changements. J’espère que ça sera suffisant, désolé pour le laps de temps, on n’aura que ce soir pour réétudier le tout et mettre quelques stratégies en place.
Le stratège hocha la tête avant de prendre quelques cartes, les déchiffrant.
- C’est un atout précieux, même s’il arrive seulement la veille, des informations plus précises changent le cours d’une bataille, et pour être honnête… Vu votre partenaire, une fois que cette dernière connaît le terrain, même nos stratégies pourraient s’avérer lui être annexe.
L’autre se mit à rire légèrement.
- La dernière que j’ai vu avec un tel caractère a fini par m’épouser, c’est le genre à ne pas se laisser faire, même moi j’ai l’air moins rebelle qu’elle.
Une immense porte se descella du deuxième navire, un cri perçant retentit.
- Eh bah ce n’est pas trop tôt, quelle saloperie cette porte !
Un immense coup résonna et la porte se délogea simplement avant de s’écrouler sur le sable dans un bruit sourd. Une silhouette grande et svelte se dessina au centre.
- J’ai bien fait d’avoir demandé de changer la porte de sortie pour le prochain. Ah ils étaient beaux à se vanter de leur savoir faire, ça ne valait pas les navires de mon époque cette camelote.
Une fois la poussière et le sable retombés, on distinguait mieux l’allure de la personne qui venait de faire forte impression. Une grande femme aux cheveux noirs de jais sauta sur le sol, ses cheveux étaient attachés en queue de cheval simple, sa tenue était un simple kimono noir serré par un cordage de navire. L’impératrice s’étira dans tous les sens avant de faire glisser les manches de son kimono pour se dégager les bras, un bandage blanc venait cacher et compresser sa poitrine, les mains libres, le kimono pendant légèrement, retenu par le cordage autour de son ventre elle se dirigea vers Göll.
- ça faisait longtemps Göll, désolée du retard, Ulysse a dû vous expliquer !
Quelques tatouages de monstres marins traditionnels couvraient ses épaules à la manière des yakuza. Pour une impératrice, Himiko avait tout d’un petit monstre espiègle et particulièrement libre. La dame s’approcha de Göll, bras croisés, son air assuré tranchait avec la pâleur nacrée de sa peau. Ses yeux en amandes vinrent se figer tout droit dans le regard de la valkyrie, cette dernière se souvint à quel point Himiko était un de ses meilleurs choix de combattant.
Elle avait sans doute été oubliée par bon nombre de contemporains, les marins vantaient sans limite les exploits des barbes noirs, des Vasco de Gama, Cartier et autres Colomb. Pourtant, nombreux étaient ceux à avoir oublié les capacités navigatrices des vikings, malgré leurs capacités, les fiers guerriers des grands froids nordiques l’admettaient sans une once de honte. Le plus éminent des navigateurs rencontré là haut, c’était bien Himiko.
L’océan Pacifique porte particulièrement mal son nom. De prime abord, lorsque les occidentaux avaient découvert ces eaux, ils les avaient trouvées apaisées, calmes et tranquille. Ironiquement, de l’autre côté du Japon, dans la vaste étendue d’eau qui parvenait aux îles de Guam, d’Hawaii et aux alentours des Samoa, cette mer était un véritable tombeau. Il y a alors quelques millénaires, une impératrice japonaise avait pris la mer, en voyant les bateaux de pêcheurs, ces petites barques qui se brisaient contre les rochers au moindre courant, Himiko n’avait qu’une hâte. Monter à bord et découvrir un monde plus grand que cette petite île.
Son tempérament fougueux, la puissance de son regard et de ses décisions avaient même forcé la Chine et la Corée à la traiter comme un égal. Et pourtant, un jour, au large de son île, elle avait disparu. Pour beaucoup, elle était la descendante directe d’Amaterasu, la vraie reine du soleil, celle qui s’était aventurée si loin à l’est du monde qu’elle avait finit par rencontrer le soleil et la déesse elle même dès leur réveil.
La demoiselle une fois bien en face de la valkyrie dégageait cette aura particulière et profonde, celle d’un empereur, de nombreuses fois la valkyrie avait pressenti et ressenti cette pression caractéristique des rois qui changeaient ce monde. Salomon, Charlemagne et maintenant elle. Ironiquement, le marin qui se tenait à ses côtés malgré son titre de roi n’en dégageait nullement l’énergie, Ulysse était à vrai dire ce qu’on pouvait appeler un cas à part.
Après quelques temps, un transport vint à la rencontre du petit groupe qui discutait encore, une fois confortablement installés, les deux marins s’étaient aussitôt endormis, ce long périple avait été particulièrement éprouvant. Encore plus dans une des mers du Valhalla, une étendue d’eau qui leur était encore inconnu, et surtout, une étendue d’eau fourmillant de monstre en tout genre. Un espace légendaire ou aucun courant n’a de sens, ou tout change en permanence, un endroit à l’image des dieux, capricieux et imprévisible.
Arrivés sains et saufs dans leurs appartements respectifs, la sieste à peine terminée, les deux marins s’étaient rendus dans une grande salle de réunion pour y faire leur rapport. Ulysse fut le premier à prendre la parole.
- J’ai affronté les sirènes, Charybde, Scylla. Les périples ça me connaît, Polyphème, Circé, j’ai croisé la mort de nombreuses fois, peut-être trop même. Et permettez moi d’être clair… Rien de tout ça ne m’a suffisamment préparé pour faire face à cette mer. Des serpents de plusieurs centaines de mètres de long. Des calamars géants de la taille d’une petite île, le kraken c’est un bébé à côté de ces machins. Le soleil est particulièrement violent, et cogne deux fois plus fort là bas. Mais je pense que le pire ce n’est pas les bestioles qui nous ont laissé relativement tranquilles. Le pire… C’est les courants et la mer en elle même. On a vu des tempêtes, on a affronté des typhons, les tourbillons je les comptes même plus.
Le loup de mer marqua une pause quelques instants avant de reprendre son récit.
- Le seul truc qui nous a permis de survivre, c’est Himiko. Je n’ai jamais vu un don pareil, c’est presque divin, elle sentait la moindre fluctuation de l’air, température de courant, la moindre goutte d’eau qui allait de travers, c’est littéralement comme si elle faisait du rodéo avec les vagues. Sur les vingt-trois tourbillons observés, les seize typhons et surtout les trentaines de vagues scélérates. On a pris une seule tempête et ce pour une raison très simple.
Himiko interrompit le récit de son aîné pour prendre la parole.
- Parce qu’elle est venue. Un dragon gigantesque, de la taille d’une montagne, ce n’est pas compliqué, un battement de sa queue cause un tsunami, son rugissement déchaîne les vents, et je sais très bien que si elle l’avait voulu, tous les monstres de cette mer nous auraient bouffés. Je ne peux même pas vraiment bien la décrire, il y avait trop de brume, la seule chose que j’ai vu c’est cette immense ombre serpentine au loin.
Göll hocha la tête, bras croisés.
- Tout concorde… Il me semble que c’est bien Tiamat, cette description c’est celle que tous les textes célestes recoupent.
Himiko claqua de la langue.
- Plus que mes capacités de navigation, on a besoin d’un navire assez résistant pour résister à ses petits protégés, et surtout, de la puissance de feu pour repousser et abattre tout ce beau monde. On ne se contente pas de naviguer cette fois ci, c’est une guerre navale et je vais être honnête, en l’état actuel, avec mes compétences seules…
L’impératrice fit une pause avant de serrer le poing sur le bureau et de replonger un regard aussi sombre qu’intense sur ses interlocuteurs.
- Je n’ai pas l’ombre d’une chance de l’emporter. On n’essayait même pas de l’affronter et elle non plus, et pourtant j’ai pris la tempête. Ce qu’elle a fait là, ce n’était même pas dans le but de nous nuire, c’est une mise en garde bien gentille et aimable de ce qui m’attend demain.
La valkyrie comme les deux conseillers semblaient résignés, c’est alors que la voix de l’impératrice prit en volume et en intensité.
- Alors ça me donne une raison de plus pour l’emporter.
Chapter 37: L'eau mère et meurtrière
Summary:
Le combat entre Tiamat et Himiko commence ! Un combat en haute mer !
Chapter Text
Le lendemain fatidique sonna : d’un côté, la combattante humaine, les cheveux raides et bien attachés en queue de cheval avançait droite, au milieu des couloirs. De l’autre, la déesse à l’allure presque barbare semblait aussi intéressée par ce combat que par le monde autour d’elle, une véritable enfant sauvage qui observait joyeusement tout ce qui se trouvait sur son chemin. Au terme d’un corridor, deux demoiselles attendaient l’humaine ; la première, bien connue de tous était Göll, en levant les yeux vers la deuxième personne, Himiko ne put s’empêcher un léger rictus.
- Tu éviteras d’avoir le mal de mer cette fois Svanhvit ?
Si l’humaine représentait un mélange de force et d’intensité par son kimono intégralement noir enfilé à la va-vite, la deuxième silhouette se voulait bien plus digne et posée. La deuxième Valkyrie, de loin plus grande que les deux autres dames présentes, possédait une longue robe faite de plumes, son allure élancée n’était pas sans rappeler celle des danseuses, un mélange de force et de fragilité ; au premier coup d’œil, on aurait pu l’imaginer craquer ou casser à cause d’un coup de vent. La valkyrie s’inclina respectueusement vers sa future partenaire, les yeux clos ; une fois relevée, ses deux perles ambrées affichaient une certaine sérénité.
- Il faut avouer que votre embarcation n’était pas tout à fait au point, une autre personne aurait été à la barre que nous nagerions parmi les poissons et autres monstres marins.
L’humaine posa les mains sur les hanches en rigolant, elle n’était pas étrangère à la flatterie, et pourtant, elle ne disait jamais non à un compliment à son intention. L’impératrice des mers tendit la main vers la valkyrie qui la saisit, dans un éclat lumineux, cette dernière disparut, un éventail de plumes se trouvait imbriqué dans la ceinture du kimono de l’humaine. Cette dernière se releva légèrement.
- Si on a pris la tempête la dernière fois, c’est parce qu’elle n’était pas avec nous pour cette expédition.
Göll, silencieuse depuis le début de la rencontre se retourna légèrement pour poser le regard sur la combattante avant de sourire légèrement.
- C’est votre manière de me promettre la victoire et de me rassurer ?
Posant les yeux vers le plafond, Himiko se mit à rire à nouveau avant de reprendre sa marche et dépasser Göll.
- J’énonce des faits, voilà tout, si un bateau coule et que l’équipage se noie, c’est la faute du capitaine, ceux qui restent sur la berge ne veulent pas de demi-mots.
La valkyrie se contenta d’abaisser légèrement la tête, l’humaine avait toujours été un de ses meilleurs choix pour le Ragnarok, mais elle le savait, chacun des derniers combattant était on ne peut plus compliqué de caractère.
Pas d’arène pour cet affrontement, les combattants et le public allaient être emmenés face à l’océan, deux gigantesques tribunes se trouvaient sur le sable, une pour les déités, une pour les combattantes. Au centre des tribunes, en guise de séparation se trouvait un étrange kiosque, le poste d’observation d’Heimdall. Le public finalement en place, le commentateur du Ragnarok serra son Gjallahörn avant de parler sur un ton étonnamment calme et solennel.
- La mer et les océans ont toujours été sources de fantasmes et d’inquiétudes, pour les humains comme pour les dieux. Dans ces profonds fonds marins, tout est insondable, monstres, poissons, requins, récifs et crevasses en tout genre. Plus d’un marin vous dira que le plus dangereux et terrifiant, c’est bien la mer en elle même, non pas ce qui s’y trouve, mais bien l’eau. Ainsi, depuis des millénaires, les dieux responsables de ces parties du monde sont aussi bien vénérés que craints. Poséidon était l’un d’entre eux, cependant… Certains l’ont oubliée, certains croyaient qu’il ne s’agissait que d’une légende. Et pourtant ! …
Après un instant de respiration, serrant davantage son haut parleur, Heimdall poursuivit son texte avec une nouvelle passion.
- Un serpent gigantesque de plusieurs kilomètres ! Un dragon des eaux ! Une sirène colossale au sourire terrifiant ! Un monstre marin, chimère de bien des créatures, tentaculaire, fuselé ! … Des manières de la décrire, il en existe des centaines. Aujourd’hui, le doute ne sera plus permis, vous la verrez sous son vrai jour, qu’il soit terrifiant ou envoûtant ! La déesse des mers n’est pas un mythe, elle participe bel et bien à ce Ragnarok, mesdames et messieurs ! Tiamat !
Un silence de mort régnait dans le public, plus circonspects et atterrés qu’excités, humains comme dieux n’avaient trouvé que le silence comme solution. Et pourtant, elle avança à gauche du kiosque d’Heimdall. Toujours aussi grande, colossale même, le soleil rebondissait sur ses quelques écailles et soulignait le teint hâlé de sa peau. La véritable ogresse ne s’était pas retournée, peu avaient vu son visage, mais tous avaient remarqué la largeur de ses épaules ; au milieu de sa longue chevelure, deux pics bruns dépassaient largement, elle était énorme. La déesse une fois face à l’eau, souriante, se retourna et se présenta au public en agitant la main pour leur faire signe. La réactions variaient naturellement, certains étaient circonspects par son apparence et les deux immenses crocs au centre de son visage, d’autres sentaient le poids de ses yeux de reptile. Les derniers enfin étaient littéralement tombés sous le charme de la déesse, son apparence atypique dégageait ce charme étrange, un doux mélange entre une apparence qui d’ordinaire devrait repousser et son apparence, son regard joueur et enjôleur. Chose rare, la quasi-totalité des dieux, chefs de panthéons ou non s’étaient présentés pour ce combat, la plupart n’ayant jamais entraperçu une des déesses anciennes.
Les deux mains dans le dos, se penchant joyeusement, la déesse semblait particulièrement détendue et contente de la situation. Heimdall brisa à nouveau le silence, la même présentation survint, le dieu commençait tout bas.
- Si les océans sont terrifiants, inquiétants, si certains préfèrent les éviter… Rares sont les fous qui décident de dompter un élément aussi libre. Cependant, ils existent, que ce soit pour se nourrir, pour faire face à leur destin ou même pour fuir ; à travers les âges, les hommes, emprunts de défi et de témérité se jetaient dans les eaux. Dans un milieu particulièrement masculin, en plein cœur d’un océan déchaîné, à une époque ou les guerres faisaient rage, une impératrice se leva.
Le dieu haussa la voix à nouveau, sa présentation arrivait à son terme.
- Première impératrice d’une île qui semblait ridicule aux yeux du monde ! Dès son plus jeune âge cette dernière filait entre les vagues du pacifique sur des bateaux qui tenaient plus du radeau que du navire. L’empire de Chine lui-même se vit obligé de reconnaître sa puissance et ses compétences, anoblie, malgré ses origines d’un peuple dit barbare, la plus grande navigatrice de l’humanité, c’est bien elle ! Himiko !
De la même manière, bien que nettement plus menue et chétive que la déesse ancienne, l’humaine apparut quant à elle à droite du kiosque. Son kimono était comme d’habitude à moitié défait, les deux manches ôtées, seule la ceinture retenait les restes de son habit. Le même bandage blanc serrait et cachait sa poitrine, droite, et sévère, elle marcha tranquillement devant le bateau qui se trouvait amarré là, l’attendant. Le navire était cette fois ci clairement différent du premier, dans un style japonais lui aussi, plusieurs voiles rouges avaient été hissées. La forme du bateau différait de celles que l’ont voyait habituellement, des éléments occidentaux avaient été ajoutés à la bâtisse, l’impératrice avait même fait ajouter des rames qui de base n’étaient pas prévues. Himiko semblait bien trop petite pour endosser ce combat et ce navire, à côté la déesse était bien plus grande et colossale, le bateau quant à lui la rendait encore plus petite jusqu’à ce que l’humaine lève le bras, les nuages avaient assombri le ciel, un voile sombre se dessinait sur l’assemblée.
Une batterie de tambour se mit à résonner à l’unisson dans un vacarme assourdissant, retenant et captant toute l’attention du public, deux énormes lumières jaillirent du bateau droit sur l’humaine qui se tenait toujours dos au public, l’ombre projetée sur le sable et les gradins avait impressionné tous les spectateurs, son dos semblait si large. L’humaine se retourna finalement, les lumières frappant désormais son dos, le contre-jour la rendait invisible et pourtant, tout le monde le savait, elle était là et prête.
L’impératrice se retourna pour observer la déesse qui ne la quittait pas des yeux, un grand sourire figé sur le visage. Le destin de ces deux femmes serait scellé dans les minutes, heures voire jours suivants, l’humaine fut la première à parler.
- Je n’ai pas pu vous remercier de votre visite d’il y a une semaine environ.
- J’étais partie rendre visite à mes petits enfants et vous vous trouviez sur le chemin ; il était bien naturel de vous saluer non ?
Dans un léger sourire, Himiko ne retint pas une dernière réflexion.
- Vous êtes persuadée de votre victoire ?
Dans un rire sincère et bruyant, la déesse s’approcha de l’humaine bien plus petite qu’elle et se mit à ses côtés avant de poser les yeux sur la mer. Un tourbillon commençait à apparaître au loin, petit à petit Himiko réalisa, le tourbillon était parsemé de gigantesque nageoires, ce qui le causait, c’étaient les enfants de la déesse.
- Vous aviez dit vouloir affronter la mer alors que vous pouviez vous contenter d’une déesse.
L’humaine ne put s’empêcher de sourire davantage, les yeux scintillants et émerveillés, elle se retourna vers la géante et leva la tête pour mieux l’admirer.
- J’espère que les vents vous seront aussi favorables que l’eau !
Étonnée de prime abord, la déesse se mit à rire en guise de réponse, l’aplomb de cette petite humaine lui plaisait beaucoup. Présentations faites, Heimdall reprit la parole pour donner les règles et autres instructions de ce combat.
- Le neuvième round de ce Ragnarok est donc une bataille en mer ! Pour les dieux, Tiamat, déesse des mers, pour les humains, Himiko. Comme d’autres combats précédemment, vous l’avez remarqué, les deux combattants ont le droit à des aides, un équipage complet pour l’humaine, ses enfants pour la déesse. Certes, en mer les combats seront sans doute impossibles à voir et pour cette raison, avec l’autorisation de Tiamat, certains de ses enfants ont vu une caméra leur être attachée, et pour le reste, nombreux oiseaux et autres caméras volantes filmeront le combat sous plusieurs angles ! Mesdames et messieurs, allumons-les !
Les prises de vues suivantes furent aussi terrifiantes que parlantes. Peu importe le point de vue aérien, ce qui semblait être une tempête régnait, si ce n’était pas ça, il fallait composer avec les typhons et autres maelstroms. Quant à la vision sous marine, cette dernière parlait d’elle même, tantôt c’était le noir complet, parfois la mer semblait relativement calme. Mais dans la majorité des cas, des monstres mythiques pataugeaient, des calmars géants, des cachalots gigantesques aux dents acérés, des léviathans en tout genre et autre mégalodons. Des bestioles aussi fantasmées que réelles peuplaient ces océans. À bien y regarder, certaines îles bougeaient, elles aussi étaient des monstres marins. Les dieux comme les humains déchantaient face à cette vision, mais une seule personne elle semblait particulièrement calme, Himiko, cette dernière regardait même les paysages avec grand intérêt. Heimdall poursuivait ses commentaires et instructions.
- Pour un souci de logique, enfin… Pour éviter que les combattantes se sautent dessus dès le coup d’envoi. Vous partirez avec trente minutes de décalage, la première à partir sera tirée à pile ou face, à vous de voir la situation vous avantageant le plus. Pile sera pour Tiamat, Face pour Himiko, vous avez bien compris ?
Les deux combattantes hochèrent la tête en synchronisation, une fois fait, le petit commentateur et arbitre descendit de son kiosque pour se situer entre les deux guerrières bien plus grandes que lui.
- Mesdames, constatez bien que la pièce ne subit aucun défaut, aucune manipulation et est conforme.
- Oui.
- Exact.
Le petit dieu fit gicler la pièce d’une pichenette avant de la recueillir dans sa paume et de la retourner sur le dos de son autre main.
- Pile, Tiamat part la première.
Aucun commentaire, les deux dames étaient restées imperturbables, Heimdall retourna à son kiosque avant de rugir dans son cor.
- Que le combat commence ! Tiamat vous pouvez partir !
La déesse ne se fit pas prier davantage et commença à mettre les pieds dans l’eau. L’eau ne se troubla pas, le sable ne se souleva pas, au contraire, l’intégralité de l’eau à la surface semblait frémir et trembler, comme si l’océan retrouvait enfin une mère partie depuis bien trop longtemps. Au fur et à mesure de ses pas, à chaque fois qu’elle s’enfonçait davantage, au chevilles, aux cuisses, aux hanches, à la taille, son corps semblait se couvrir progressivement d’écailles. Au bout d’un moment, on vit la déesse plonger et disparaître dans l’eau pour de bon.
L’humaine de son côté était restée assise sur le sable, faisant face a l’immensité aqueuse, un coup de tonnerre frappa, petit à petit des gouttes de pluie commençaient à teinter le sable, puis l’averse, enfin le déluge. Si les gradins étaient couverts, si les marins étaient déjà dans le navire, la seule personne à ne pas bouger malgré l’abondance d’eau, c’était bien Himiko. La raison était simple, l’humaine voulait ressentir et remarquer la moindre fluctuation de l’air, pour cette raison, elle refusait de bouger.
Quand l’orage semblait enfin se calmer légèrement, la brume se levait, une étrange brume qui cachait le paysage autant qu’elle le laissait discernable. Au bout de quelques instants, elle revint, elle la vit à nouveau. La même figure qui l’avait emportée dans la tempête une semaine plus tôt.
Souriante, l’humaine se serrait les bras, elle tremblait, autant de terreur que d’excitation. Pour la première fois de sa vie elle faisait face à un océan vraiment indomptable, pour la première fois de sa vie elle faisait face à une tempête qu’elle ne pouvait éviter. Son regard vissé au loin sur le monstre marin qui semblait attendre n’était pas sans rappeler celui d’un certain Achab, tourmenté par une maudite baleine blanche.
La voix d’Heimdall résonna une nouvelle fois.
- Les trente minutes sont écoulées ! Entrez dans votre bateau et prenez la mer !
L’humaine se releva, quelques marins remontaient l’ancre, elle entra dans le navire avant de finalement quitter le plancher des vaches. L’affrontement commençait enfin, le monstre serpentin au loin semblait onduler, les parties immergées sortaient de l’eau, et les parties émergées y rentraient. Himiko le comprit, elle se déplaçait et elle ne cherchait pas l’affrontement de suite, la déesse semblait vouloir s’amuser un peu. L’humaine en réponse se hissa sur le pont et avança vers la proue pour regarder l’eau qui venait frapper la coque. Pour l’instant, aucun monstre marin ne semblait décidé à les attaquer, en réalité les quelques uns qui la croisait faisaient demi-tour et cherchaient plutôt à l’éviter, était-ce un piège, avaient-ils peur ? Personne ne pouvait répondre, le navire se contentait de briser les vagues, la capitaine à l’avant, sa main cramponnée à une des cordes. Le second se trouvait assit à côté d’elle. Au bout de quelques minutes, Himiko brisa le silence.
- Dites au timonier d’aller en sud ouest. Qu’il vise entre les deux rochers au loin.
- Oui madame ! Timonier ! Sud ouest entre les roches !
Le navire entama sa lente manœuvre et se dirigea vers les fameuses pierres, à l’exact opposé d’où se trouvait leur ennemie. Himiko fit venir une carte, la plaqua au sol du navire et commença à gribouiller dessus.
Curieux, certains hommes observaient la plume de la combattante qui, même malgré une écriture brouillonne et des schémas aussi incompréhensibles que ridicule, était parfaitement compréhensible. Certains endroits de la mer avaient déjà changé, certaines îles identifiées comme telles ne l’étaient pas et le sens du vent avait encore tourné. A nouveau debout, l’humaine donnait des instructions, évitait certains tourbillons, passait à côté de nombreux orages, mais elle le savait, ceux là étaient les plus classiques qu’elle avait vu des milliers de fois… Ce n’était pas celui qu’elle avait vu la dernière fois, une tempête causée par une divinité, un véritable désastre.
La brume se leva à nouveau et l’humaine comprit, cette fois ci c’était pour de bon, le jeu avait assez duré et le combat allait commencer. La silhouette serpentine apparut à nouveau, partiellement cachée par une brume qui déformait et grossissait ses traits. La pluie perla, puis des trombes d’eau, chose inhabituelle, la brume n’avait pas bougé, elle demeurait, masquant la vision. L’humaine soupira légèrement, le combat avait commencé et son ennemie espérait déjà terminer ce dernier sans même attaquer frontalement, comme si la tempête seulement aurait pu suffire. En effet, la tempête de la dernière fois n’avait causé aucune perte, mais c’était car la mère marine avait bien voulu laisser partir l’humaine ; cette fois ci, Himiko le comprit, la tempête durerait tant que son bateau flotte encore.
Malgré les fluctuations de l’air, les légers courant, l’eau qui tanguait dans différents angles, l’impératrice des mers semblait ne trouver aucune solution ; l’inquiétude marquait déjà son équipage alors que son rire retentit et fit revenir tout le monde sur terre malgré un navire qui tanguait de plus en plus.
- Et dire que je pensais pouvoir m’en sortir sans avoir recours à cette stratégie ! Je me suis surestimée semble-t-il !
La main de la combattante vint saisir l’éventail qui se trouvait encore logé dans sa ceinture. Elle ouvrit ce dernier balaya d’un grand geste face à elle. Les nuages, la brume, la pluie, tout ce qui se trouvait en face du navire disparu pour montrer une mer calme, plate et un ciel bleu. Le navire s’engouffra dans ce petit trou et regagna des eaux plus calmes.
-Svanhvit, celle qui manipule les vents.
Heimdall en observant les caméras ne put cacher sa stupéfaction.
- Incroyable cher public ! L’impératrice de l’humanité a littéralement dompté la tempête, c’est comme si cette dernière s’était fendue face à son passage, lui formant une haie d’honneur ! Un exploit ressemblant à s’y méprendre à celui d’un certain Moïse !
Göll, assise à côté d’Ulysse, les yeux rivés sur l’écran soupira légèrement.
- Je ne pensais pas qu’elle l’utiliserait aussi vite, je ne sais pas si c’est une bonne chose de révéler sa carte maîtresse dès le début.
Ulysse vint saisir son menton et sa mâchoire, frottant et grattant légèrement sa barbe, signe évident que le roi d’Ithaque était en pleine réflexion. Après quelques délibérations, il répondit à la valkyrie.
- C’est à double tranchant, l’utiliser dès le début au lieu de quitter cette tempête par ses propres moyens baisse le niveau de stress de ses hommes, ça les rassure, en plus cette manière de faire une percée aussi théâtrale, ça donne beaucoup de confiance… Aussi, la déesse a compris que cette stratégie ne fonctionnerait plus. Mais…
La valkyrie posa les yeux sur le regard étrangement triste du vieil aventurier, il cherchait ses mots.
- Mais ?
Ulysse reposa les yeux sur les écrans.
- Elle perd l’atout de la surprise, et je pense que tu sais aussi bien que moi qu’en mer, cet atout est sans doute le plus important. Si j’ai réussi à défier et semer les dieux, c’est avec la surprise et la ruse… Mais je ne faisais que les fuir.
- Et là elle doit affronter non seulement un dieu… Mais aussi toute sa progéniture.
- Au moins la déesse a l’air plus joueuse que Poséidon. Je peux garantir qu’une fois qu’il m’a eu dans son collimateur, je n’ai vraiment pas dormi tranquille.
La valkyrie se souvint de la figure terrifiante qu’était le dieu des mers avant sa mort lors du dernier Ragnarok, elle ne put s’empêcher de frémir légèrement, en effet, affronter Poséidon avait déjà été compliqué pour Sasaki, mais l’affronter en pleine mer… Ulysse avait été chanceux.
Dans les gradins divins, deux grande figures étaient assises à côté de Zeus et observaient les caméras avec grand intérêt. La grande déesse de Mésopotamie elle même avait fait le déplacement pour observer ce combat, après tout une de ses plus chère amie était en tain de se battre, Ishtar était étonnamment silencieuse et sérieuse, quelque peu éblouie par le combat qui se produisait sous ses yeux, elle avait hâte d’y être, encore plus sachant qui elle affronterait. L’autre singulier personnage était Wukong, en temps normal le dieu simiesque observait les combats dans sa chambre, cette fois ci il avait fait le déplacement, déjà car c’était en extérieur, mais surtout car il était particulièrement curieux de voir les vraies capacités d’une déesse si puissante et ancienne.
Zeus au centre du groupe observait les deux divinités qui se tenaient de chaque côté de son siège. Le doyen grec ne pouvait s’empêcher de réfléchir et d’imaginer. Ce combat était le coup d’envoi de la fin d’un Ragnarok qui serait particulièrement terrifiant lors de ses derniers affrontements, pour cette raison, il fallait l’emporter au plus vite. Le vieillard posa les yeux sur Ishtar.
- Que penses-tu de ses chances de victoire ? En un simple coup de queue elle pourrait renverse le navire comme un bateau de papier, qu’attend-t-elle ?
- Justement… Elle ne peut pas.
Le vieil homme fronça légèrement les sourcils, visiblement confus et courroucé. Comment ça elle ne pouvait pas détruire le bateau d’elle même ? La déesse sourit doucement
- Cette petite valkyrie… C’est une sacré vicelarde, vous avez bien raison de vous en méfier… le navire est fait à partir d’un bois sacré pour Tiamat, si elle le touche, ce dernier la brûle sévèrement. Elle est obligée d’espérer les faire tomber par dessus bord.
Le dieu grec écarquilla légèrement les yeux. Lui même l’ignorait, comment une valkyrie comme Göll pouvait être au courant de l’existence d’un tel bois ? Puis, posant les yeux sur cette dernière, déviant ces derniers sur Ulysse il comprit. Si Sun Tzu faisait office de conseiller éclairé et compétent, il n’était que la figure de proue pour une stratégie honnête et directe. Dans les coulisses, un homme tout aussi terrifiant tirait les ficelles et était un informateur on ne peut plus précieux. Le vieillard ne put s’empêcher de sourire à pleines dents, cette valkyrie était définitivement aussi vicieuse et dangereuse que son aînée, peut-être plus encore ; il se sentait revivre.
Sur le navire, l’impératrice profita de l’accalmie pour se ruer sur les schémas et la carte, notant d’autres différences, pourquoi n’avait-elle pas fait disparaître toute la tempête ? Elle en était capable, mais sa raison était aussi logique que pragmatique, quelques nageoires commençaient à fendre l’eau et dépasser de la surface, toute provenant de cette fameuse tempête. La capitaine du navire se retourna pour hurler à ses hommes.
- Le vent repousse les tempêtes, mais le vent ne pourra pas repousser ces monstres ! Messieurs, je vous le demande en tant que capitaine ! Prenez les armes, levez les bien haut et surtout… N’ayez aucune pitié en cas d’attaque !
Dans un cri retentissant, tous les marins braillèrent à l’unisson et ce malgré les horreurs qui les suivaient. C’est comme si l’intégralité des légendes et folklores marins avaient décidé de s’en prendre à un misérable petit navire.
Au fond de l’océan, Tiamat, toujours aussi gigantesque que terrifiante parlait avec certains de ses enfants, les plus grands, les plus gros, les plus terrifiants.
- Chers petits, pardonnez moi… Cette humaine nous donnera peut-être un peu plus de fil à retordre que prévu. Je me doute bien que, partageant une telle quantité de mon sang, attaquer ce navire vous est particulièrement douloureux mais pourtant… Je vous demande de bien vouloir aider votre mère. Les océans ont toujours été nôtres, et les océans resteront nôtres à jamais, compris ?
Autour d’elle, les monstres semblaient bien ridicules, et pourtant, il s’agissait bien d’un léviathan, d’un mégalodon surdimensionné et d’un autre kraken. Le début de la guerre marine ne faisait que commencer, et la mer finirait sans doute rougie à jamais.
Chapter 38: Krakens et Léviathans
Summary:
Himiko est bien décidée à affronter les plus dangereux des monstres marins, quelles sont les raisons motivant la combattante ?
Chapter Text
Depuis le pont du navire Himiko observait les frémissements de l’eau, plongée dans ses pensées, l’impératrice finit par poser les yeux sur ses seconds, l’air particulièrement sérieux et grave.
- Chacun à un point du navire, et vous m’indiquerez chacun le sens dans le quel les vagues frappent la coque, maintenant !
L’air sérieux et grave du capitaine força les quelques seconds à accourir à leurs postes attitrés, l’un à l’arrière, un a tribord, le dernier à bâbord, seule Himiko restait au niveau de la proue, bientôt des cris retentissaient des coins du navire.
- Poupe ! Vagues frappant le sud est !
- Tribord ! Vagues frappant l’est !
- Bâbord ! Vagues frappant l’ouest !
Un bruit sourd retentit, la guerrière avait frappé sur une des bordures du navire.
- Enfoirés ! Tous sur le pont et que ça saute !
Sans se concerter plus longtemps, l’intégralité de l’équipage s’était trouvée sur le pont du navire face à une capitaine furieuse, l’expression sombre et funeste.
- Messieurs. Que se passe-t-il si l’eau frappe en plusieurs points différents la coque ? Des points qui pour certains sont opposés ?
Un homme d’équipage malgré la pression et l’angoisse que lui inspirait la dame s’avança, penaud.
- C’est signe que le navire ne bouge pas et qu’un potentiel tourbillon est en train de nous saisir.
Dans un cri presque guttural, la reine des mers vociféra du plus profond de ses entrailles.
- Alors pourquoi bougre d’imbéciles aucun d’entre vous ne m’a communiqué plus tôt que les vagues frappaient les flancs du navire au lieu de filer le long ?!
Silence de mort dans l’assistance, seulement le bruit des vagues et du vent. À la limite, quelques marins pouvaient entendre les dents de leur capitaine s’entrechoquer et grincer les unes contre les autres. Furieuse, Himiko se retourna pour faire face à l’horizon, dos à l’équipage.
- Comprenez bien que je vous suis reconnaissante de me suivre jusque dans la gueule d’une bête encore plus terrifiante et dangereuse qu’un loup… Cependant !
Serrant les poings de toutes ses forces, se mordant les lèvres d’autant plus. Elle se retourna à nouveau pour leur faire face, les yeux brûlant d’une rage intense, l’air presque hagard. La voix de l’impératrice tremblait légèrement autant de colère que d’émotion, elle l’avait compris, c’était maintenant ou jamais qu’il fallait parler à ses hommes.
- Cette mer n’est pas de celles qui se laissent faire. Les monstres qui attendent à chaque coin de récifs ne sont pas du genre à vouloir observer notre navire se promener gaiement ; les nuages de malheur qui s’agglutinent au dessus de nos têtes ne vont pas faire tomber la pluie mais bien un déluge frappé en rythme par la foudre la plus violente que vous puissiez cauchemarder !
Reprenant son souffle, loin d’avoir terminé son discours, la demoiselle qui de seconde en seconde ressemblait davantage à un monstre elle même terrifiait autant qu’elle imposait le respect et l’adoration de ses hommes. Ses épaules qui paraissaient aussi frêles que douces semblaient capables de porter le poids entier des futurs événements.
- Une seule erreur de ce genre peut nous coûter bien plus que la victoire, elle peut nous coûter la vie ! N’avez vous aucun foutu respect pour tout ceux ayant œuvré sur cette bâtisse ? Un navire, que dis-je un bâtiment si gigantesque ! Une arche que même Noé regarde avec respect et crainte car il le sait, ce n’est pas les animaux qui monteront à son bord mais bien les léviathans si craints dans ses textes !
Mugissant davantage, toujours plus fort, posant les mains sur les hanches, le soleil derrière elle frappait sa figure, offrant un contre-jour entièrement noir à ses hommes, ils suivaient le diable lui même.
- Un bois sacré ! Un navire inchavirable ! Des cordages, des chaînes, des ancres, des harpons, des pirogues ! Monts et merveilles nous ont été promis pour ce navire et vous savez quoi ?! Le résultat est même au-delà des promesses ! A une époque même ou sur une ridicule barque de pêcheur j’avais tué des baleines avec certains d’entre vous, le pari semblait perdu d’avance, et pourtant !
Levant le bras, vociférant si fort que le cri des vagues semblait hésitant à essayer de couvrir la voix de la capitaine, elle ponctua en saisissant une des fameuses caméras qui les observait, hurlant le visage droit devant l’objectif.
- écoutez moi bien bande d’enfoirés de fils de putes ! Jamais le Benkeï ne coulera, et si nous sommes défaits ! Et bien le navire lui flottera !
Le cadre de la caméra tremblait, l’image retransmise au public était celle d’un monstre des mers à l’apparence humaine, son équipage complets braillant à tue-tête à la fin du discours de leur bourreau. Les maudits damnés ne cherchaient même plus une tombe ou la terre, seulement le salut de la mer(e).
Un coup sec et sourd vint faire tanguer le navire de gauche à droit alors que les hommes se cramponnaient à divers cordages et autres rambardes pour ne pas passer par dessus bord. Himiko elle était restée debout, droite sans même bouger face au chocs, bientôt quelques tentacules percèrent les flots pour cercler le navire. Les tentacules, véritables pieux marins tranchaient le paysages et mettaient la bâtisse en cage, dans un étau qui viendrait les enserrer et les broyer. Bientôt une tête ronde commença à émerger à son tour des flots, un œil gigantesque faisant face à l’humaine. Une voix résonna si fort que le public trembla et sembla l’entendre même sans les caméras.
- Humaine… Je te le demande une dernière fois, mes frères et sœurs seront bien moins cléments. Abandonne ce combat et fais demi-tour, il est impossible que tu l’emportes face à cet océan et face à notre mère.
En réponse, la combattante se redressa, fière et sérieuse, les mains sur les hanches, elle fixa l’œil gigantesque qui lui faisait face.
- Hors de question, cette mer, cette aventure, c’est tout ce que j’ai toujours voulu, si je dois mourir, c’est ici et je ne compte pas mourir de sitôt !
Un grondement sous les eaux retentit, faisant frémir les eaux et remonter un nombre incalculables de bulles, davantage de tentacules menaçaient le bâtiment qui malgré sa taille gargantuesque ressemblait presque à une barque face au kraken.
- Très bien humaine… Quand tu viendras à couler, nous te laisseront périr sans nous repaître de ta chair, tu rejoindras le fond avec ton navire.
Les tentacules les uns après les autres commençaient à tournoyer autour du navire, de plus en plus vite, bientôt il devenait impossible de les distinguer les uns des autres. Le kraken ne pouvait certes pas toucher ce bois sacré sans en souffrir, cependant, il pouvait très bien amener le courant à faire couler le navire ennemi. L’œil immobile restait là à les observer, l’eau faisait tanguer de plus en plus le navire, le tourbillon se formait. Himiko fit signe à un de ses hommes qui lui ramena un énorme harpon, bien plus grand qu’elle, les dizaines de dentures lui donnaient une apparence d’arme infernale l’humaine le serra de toutes ses forces et le leva sans mal, l’armant avant de le jeter de toutes ses forces sur l’œil.
L’arme effleura la surface du globe oculaire ennemi avant de tomber à l’eau, incapable de le percer, pour ainsi dire, le monstre lui même n’avait pas réalisé l’attaque ennemie. La rage au ventre, l’humaine fit venir un deuxième harpon, avec davantage de force et d’élan, elle saisit dans sa deuxième main l’éventail, et, jetant de toutes ses forces le pieu déchaîna les vents à l’arrière de ce dernier qui vint transpercer l’œil de la bête. Le monstre marin s’agita et arrêta ses tentacules, calmant le tourbillon, mais elle le savait, ça ne suffirait pas, il fallait plus. Alors même que la bête s’apprêtait à plonger à nouveau pour disparaître, Himiko accourut vers l’armement pour saisir un nouveau harpon et le jeter à l’animal, attachant une corde à l’arrière, enserrant cette dernière autour de sa taille. L’impératrice se retourna vers ses hommes et leur offrit un sourire aussi fou que sincère.
- A tout à l’heure ! Je vous ramènerai du poulpe pour ce soir !
Debout sur le garde-corps, la bestiole s’était à nouveau immergée, elle tira dans son élan l’humaine qui tomba à l’eau avant de sombrer dans les abysses. Son plan était à double tranchant, elle n’avait pas peur de manquer de souffle, la seule chose qui l’inquiétait, c’était la pression marine, est-ce que l’armure de vent qu’elle s’était octroyée précédemment à l’aide de son völund suffirait à l’empêcher de se faire broyer par les eaux, elle n’en savait rien. Alors que l’eau la forçait à être traînée à l’arrière du monstre, ses coups de tentacules venaient secouer l’humaine, lui frôlant le corps plus d’une fois. Himiko se résolut à saisir à pleines mains le cordage de son harpon et tira un bras après l’autre remontant le fil de vie, progressivement ; ses muscles hurlant de douleur à chaque effort pour lutter contre l’eau.
Son manteau d’air fonctionnait, Svanhvit communiquait avec la combattante durant ses prouesses.
- Ne t’inquiète pas Himiko ! Je te jure de ne pas avoir le mal de mer cette fois ci, aussi longtemps que tu tiendras… Je tiendrai moi aussi !
Souriant peu à peu l’humaine approchait petit à petit du monstre, serrant les dents.
- Pour être honnête… Je n’aimais pas ta gueule ni tes manières au début ! Tu te prenais trop au sérieux, tu ne discutais pas avec les gens, tu ne buvais pas… En bref t’était chiante comme la pluie, tout ça parce que madame est une emplumée…
La valkyrie fit un léger rictus d’agacement en entendant le langage cru et les reproches de la combattante qui partageait son âme. Prête à rétorquer, elle fut cependant interrompue par la même combattante.
- Mais tu as du cran, tu m’engueules, tu me tiens tête, tu réfléchis… Alors… Tu as intérêt de tenir parole aussi !
Sortant un large couteau attaché à sa jambe Himiko vint planter la lame dans le corps du Kraken qui, possédant une peau aussi dure qu’épaisse ne sentit même pas l’arme se planter dans sa chair. Petit à petit, son épiderme se trouvait marqué de petits pointillés, tous ses coups de couteaux de l’humaine qui s’en servait pour avancer jusqu’à sa tête, vers son œil ; dans le seul objectif de saisir à nouveau son harpon et de lui infliger le coup de grâce. Après quelques longues minutes, le monstre marin arrêta finalement sa course, il était dans son antre, cherchant désespérément un moyen de soigner son œil. L’humaine nagea tranquillement vers le sommet du monstre, toujours attachée et guidée par la corde qu’elle ne lâchait sous aucun prétexte.
Il la vit, la misérable fourmi, l’alevin orgueilleux qui avait daigné le provoquer un peu plus tôt, lui et l’océan entier. Face à son œil la créature minuscule tenait à deux main un harpon qu’elle vint planter de toutes ses forces dans son orbe déjà endommagé, au plus profond de sa chaire. Le monstre se débattit, tressaillit et essaya même de la capturer ou de l’écraser avec ses tentacules. Mais le petit monstre était trop discret, trop vif, le harpon toujours en main, elle vint le planter à plusieurs reprise dans le corps du géant, créant un interstice dans le quel elle se logea, chassant les petits bouts de tentacules qui essayaient de la déloger. A force d’excavation, elle parvint à une des artères du monstre et y pénétra, se laissant guider jusqu’à un de ses cœurs. Le premier transpercé, l’animal s’affaiblissait déjà cruellement, à l’intérieur de son corps ; l’humaine lacérait et transperçait de son harpon et de son couteau chaque partie qui la gênait ou l’obstruait, le deuxième cœur se fit transpercer lui aussi, enfin le troisième. Le kraken était mort, David avait triomphé de Goliath, il n’était pas trop tôt, Himiko sentait que son manteau de vent s’amenuisait et que l’air se raréfiait. Remontant à la nage, la guerrière et impératrice sentait sa conscience s’épuiser petit à petit, y arriverait-elle ? Elle arrivait à peine à discerner les paroles de Svanhvit qui lui suppliait de remonter.
- Himiko ! Continue ! On y est presque ! Tu… Pas… Mourir… Maintenant… !
« Qu’ils se taisent tous nom de dieu, je fatigue moi, faut tout leur faire de toute façon... »
- Continue… ! Presque… !
« Cette voix… Je la connais... »
L’impératrice se réveilla en sursaut dans son lit, Himiko se retourna à droite, à gauche. Tout était sec, étrange, elle avait l’impression d’être dans l’eau il n’y avait pas si longtemps. L’impératrice se releva dans la hutte qui lui servait de maison et sortit ; nombre de villageois interpellaient la future impératrice et saluaient cette dernière poliment, sachant le futur qui lui était destiné. Naturellement, la future capitaine marcha vers le port de sa ville natale, observant les petits bateaux et autres embarcations de fortune. Himiko observa quelques marins faire divers nœuds, monter sur leur barques de pêcheurs et partir au large, au bout d’un moment, un vieillard s’adressa à la demoiselle.
- Oh ma chère Himiko… Tu es encore venue voir les marins et les pêcheurs partir ?
- Oui… ça vous dérangerait de me laisser une place pour que je parte avec vous ?
- Toi sur un navire ?! C’est la première fois que j’entends ça, tu es certes plus grande et forte que la majorité des gens ici, mais… Pêcher, tu n’y songes pas, la mer est impitoyable quand même !
Il n’y avait pas réellement de contre indication quant au fait qu’une femme navigue ou pêche, cependant la plupart d’entre elles se contentaient d’un travail aux champs, Himiko à contrario avait toujours regardé la mer avec intérêt. L’impératrice monta sur la barque, tenant parfaitement l’équilibre, elle s’assit en silence avant de poser les yeux sur le vieux pêcheur.
- Votre âge ne doit pas vous aider pour la pêche mais vous avez de l’expérience, voyez ça comme un marché ! Vous m’enseignez et moi je vous aide pour les travaux physiques !
Le vieillard explosa de rire, frappant avec vigueur sa jambe, cette petite avait du cran, en bref tout ce qu’il fallait pour un marin aguerri.
- Parfait, tu m’as convaincu ! On est partis !
D’un coup de rame énergique, le vieux poussa sa barque et prit le large tranquillement, expliquant à la demoiselle où lancer les filets, ou tirer, ou harponner quand le besoin s’en faisait sentir. Himiko était une élève aussi attentive que douée, leur première journée de pêche fut fructueuse, le vieux parvenait plus aisément à saisir les grosses prises et son expérience permettait à Himiko de très vite devenir pêcheuse hors pairs.
Des journées, des semaines et des mois durant, leur association fut aussi fructueuse qu’amicale. Lorsque l’hiver vint, le froid particulièrement mordant de cette année réduisit considérablement les prises. Les poissons qui en temps normal venaient en abondance à cette période étaient quasiment absents, les proies ne venaient plus. Himiko eut une idée, future impératrice, il fallait à ses yeux que le village puisse subsister, elle devait être ce phare qui les ferait survivre, eux et son futur empire. Alors la demoiselle fit une proposition au vieil homme.
- Quittons les zones de pêche traditionnelles ! Les courants marins semblent pour beaucoup fluctuer vers l’est, je suis sûre qu’on y trouvera beaucoup de poissons, un courant un peu plus chaud doit les guider !
- Tu n’y songes pas sérieusement j’espère ?! Cet endroit c’est le repère d’Isonade, le monstre marin qui dévore les pêcheurs et les jette à l’eau, c’est la mort assurée !
- Et alors ? Qu’est ce que tu préfères, aller prendre le risque de provoquer un requin qui n’existe sans doute même pas ou rester ici, ne rien prendre et voir les gens mourir de faim ? Parce que ce cas de figure là, je peux garantir qu’il se produira si on n’agit pas !
Soupirant bruyamment le vieil homme croisa les bras et sembla muré dans ses pensées ; après de longues secondes de délibérations et de débats internes, il ouvrit les yeux et les posa sur la demoiselle.
- Bon. Je veux bien prendre le risque, mais ça sera bien la seule fois ! On fera sécher nos prises et ça devrait permettre au village de tenir cet hiver, ce sera rude mais il ne devrait pas y avoir de morts.
La future impératrice se mit à sourire jusqu’au oreilles et hocha vivement la tête, contente d’avoir réussi à convaincre son partenaire.
- Tu vois ! L’idée n’est pas si mauvaise, je savais que tu allais accepter ! On va juste prendre deux harpons au plus au cas où cette bestiole est réelle, au pire on la tue, au mieux on la capture pour la bouffer elle aussi !
L’homme soupira, cette gamine avait de la suite dans les idées et décidément beaucoup trop de cran. Il y a quelques secondes à peine elle ne croyait pas à l’existence du monstre des mers et maintenant elle voulait le manger. De toute manière, il se doutait bien que la demoiselle avait un don pour l’océan, qu’elle ne resterait pas éternellement ici, c’était l’occasion rêvée. Après quelques instants à tirer sur les rames, Himiko s’interrompit pour observer le ciel.
- Il va y avoir une tempête, on n’aura sans doute pas le temps de faire demi-tour.
Le vieillard, continuant de ramer se mit à soupirer, il se doutait d’ores et déjà de la raison de cette tempête.
- On arrive prêt de chez lui…
- Tu vas arrêter de croire à cette superstition ? On ne l’a jamais vu de toute manière, je doute qu’elle existe cette bestiole !
- On verra ça si elle finit par arriver… On la reconnaîtra sans problème.
Le ciel s’embuait, se chargeait de nuages toujours plus menaçants, toujours plus noirs, le genre de nuages que jamais Himiko n’avait vus jusqu’à présent. Si la future impératrice avait eu une embarcation plus efficace, elle aurait déjà sonné le retrait depuis bien longtemps. Déglutissant, elle appuya à nouveau sur les rames, s’enfonçant dans l’inconnu. Un peu plus loin, l’eau frémissait d’une manière caractéristique, les deux pêcheurs hochèrent la tête, ils avaient enfin réussi à trouver un banc de sardines, le vrai danger était de réussir à les capturer sans amener de requin, leur embarcation n’aurait pu réussir à en hisser un sur le pont.
Silencieux, les deux pêcheurs balancèrent leurs filets au milieu du banc de poissons, ils n’avaient nullement le temps de vérifier avec précision la présence de requin, la tempête se hâtait et l’eau était bien trop trouble.
Remontant un plein filet de nombreuses prises, les deux visages s’illuminèrent, ils devaient se hâter de faire demi-tour, plus proche des berges ils pourraient sans doute mieux esquiver et éviter la tempête. Un certain remous cependant attira le regard du doyen qui observa avec un peu plus d’attention, il reconnut la forme d’un requin qui ondulait autour de la barque, soit intéressé par leur chasse, soit les méprenant pour un phoque. Un bon de géant leur fit observer l’être qui leur tournait autour, ce requin était difforme, plus grand que la normale, le corps couvert d’étranges plaques cuirassées qui semblaient presque faites de fer. Ses nageoires, son corps, sa queue, tout était parsemé de petit crochets et autres formes de hameçons, le vieillard beugla.
- C’est Isonade ! Demi-tour et fissa !
Le monstre fonça à tout allure sur l’embarcation, essayant de cogner cette dernière pour la retourner. La demoiselle prit un harpon et essaya de planter ce dernier droit sur le museau du monstre qui s’approchait. Un morceau de la pointe se brisa sans s’enfoncer dans le crâne de la bête, cette dernière visiblement sonnée fit demi-tour pour reprendre ses esprits et de l’élan. A nouveau lancée, la créature cette fois ci sauta par dessus le navire, un des crochets apposé sur ses nageoires saisit le filet et commença soulever ce dernier. Précipitamment le vieillard saisit son couteau et trancha les liens, la queue du monstre accrocha ses vêtements et l’emmena à l’eau, jeté aux flots. Himiko hurla
- Gendo ! Vite ! Remonte !
Le vieillard déjà résigné remonta par dessus bord, il avait eu de la chance, mais ça ne se reproduira pas une deuxième fois.
- Il ne nous lâchera pas tant qu’on ne le tue pas ou tant qu’il ne mange pas. On a aucune chance de venir à bout de ce truc. Retrouve les terres avec notre prise ! Fais vivre le village, deviens impératrice, on ne peut se passer ni de toi ni de notre réussite !
- Non ! Il existe un autre moyen je le sais !
- On ne discute pas un ordre de son capitaine gamine !
Pour la première fois le vieillard haussa le ton, le regard ancré dans celui de la jeune reine, un coup de tonnerre sonna et la pluie leur tomba dessus, faisant frémir les quelques poissons encore en vie. Serrant fermement son couteau, Gendo se releva et fit face au requin qui leur fonçait à nouveau dessus.
- Ne t’inquiètes pas Himiko. Si la mort d’un vieillard permet à notre île de prospérer… Alors ce vieillard donnera sa vie sans hésitation ! Vogue ! Continue !
Au même instant le requin sauta à nouveau, de son plein gré le pêcheur s’accrocha à une de ses nageoires et se laissa guider par le fond, luttant avec acharnement contre la bête jusqu’au bout. Himiko était rentrée seule, la tempête avait abandonné sa chasse en même temps que la bête. Une fois arrivée, accueillie par les triomphes et cris de joie de villageois qui se savaient saufs, les autres pêcheurs le savaient, Gendo les avait quittés dans l’océan à tout jamais.
L’année suivante, avec un bateau complet et plusieurs hommes, Himiko était à nouveau partie en mer, loin, auprès du domaine du monstre des mers. Lorsque Isonade s’approcha à nouveau, c’est avec stupeur que Himiko le réalisa, un œil du monstre avait été arraché, bon nombre de ses crochets et hameçons brisés. Le vieil homme s’était battu jusqu’au bout avec brio, certains points de la carapace semblaient même fracturés, laissant la chair à la vue de tous. Sans grand triomphe, la reine du japon vint à bout de la bête qu’elle remorqua jusqu’à son village, d’ici naquit la légende de l’impératrice des mers. Une légende qu’elle devait au sacrifice d’un vieil homme, une légende née des caprices d’une jeune fille.
- Himiko par tout ce qui est beau ! Réveille-toi !
Dans un sursaut, trempée et essoufflée l’humaine se releva, crachant une abondance d’eau de mer les yeux grands ouverts, elle posa ses yeux sur les membres de son équipage. Alors tout ça n’était qu’illusion ? Elle avait bien survécu, elle avait même vaincu le kraken. Se relevant non sans mal, titubant s’efforçant à rester droite, entre deux toussotement, elle parvint à donner un simple message à son équipage.
- Le kraken n’est plus.
Un hourra victorieux s’éleva, Heimdall depuis son estrade commenta avec ferveur.
- Quel combat ! Quelle âme ! Toute l’action nous a été offerte en grandes pompes ! Jamais personne n’aurait pu imaginer une humaine s’en sortir face à un tel monstre, et encore moins qu’elle y survive ! Himiko est une grande guerrière, mais cela suffira-t-il à vaincre Tiamat ?!
Déjà retournée vers l’horizon et la mer, la brume s’était levée à nouveau, un violent coup vint retentir et frapper l’eau. Encore à demi consciente, l’impératrice parvint seulement hurler sans grande force
- Accrochez vous !
La mort du kraken avait provoqué la colère de sa mère, d’un battement de queue Tiamat avait frappé l’eau, créant une gigantesque vague qui souleva le navire et le projeta au loin, non loin d’une île ou ce dernier manqua de s’écraser. L’équipage avait tenu bon, la capitaine chancela légèrement avant de tomber à la renverse. Il fallait fuir ou trouver un moyen de survivre au monstre déchaîné qui se dirigeait sans doute vers eux. Himiko inconsciente, son éventail se mit à briller de plus en plus vivement ; quand il disparu, la valkyrie se montra face aux hommes et d’un ton ferme leur ordonna.
- Trouvez un moyen de fuir. Il est temps de passer à la deuxième vitesse dès qu’elle se réveillera.
Chapter 39: Tisser la bataille
Summary:
Le combat entre Himiko et Tiamat s'intensifie, le courroux de la déesse semble sans fin
Chapter Text
Himiko gisait sans conscience sur le pont du navire entourée de ses hommes, à l’avant du navire, presque sur la proue, Svanhvit demeurait, bras croisés, sérieuse. La valkyrie renvoyait bien moins cette image impétueuse que l’humaine dégageait naturellement, plus grande, plus fine et bien plus sage, la dignité et la noblesse qu’elle dégageait forçait le respect, celui d’une grande dame bien décidée.
Certains marins hésitaient presque à prier avant de réaliser que leurs ennemis étaient les mêmes dieux qu’ils pensaient prier. Déjà l’impératrice avait vaincu Isonade par le passé, cette dernière venait d’abattre le kraken, elle domptait les mers et pourtant, tous étaient terrorisés par la charge de travail qui leur restait.
Le léviathan était toujours envie, son frère le mégalodon rôdait lui aussi. Peu enchantés, bien des marins considéraient le combat comme déjà perdu, non seulement ils devaient venir à bout d’un requin de plus de vingt mètres, mais en plus, un cachalot difforme aux dents aussi longues qu’un glaive. Le plus dangereux restait leur mère, de temps à autres on voyait au loin une longue silhouette serpentine s’élever hors de l’eau comme une montagne avant de plonger à nouveau dans un fracas déchaînant de hautes vagues. Comment venir à bout d’un tel monstre ?
La silhouette monstrueuse grandissait de secondes en secondes, tous le savaient, Tiamat venait à leur encontre, tout était perdu. Pour la première fois, la déesse montra sa gueule béante au pauvre navire qui se trouvait être son ennemi. Le monstre était gigantesque et terrifiant, ses crocs venaient percer sa chair, dépassant de sa gueule dans des étranges croisements, ses yeux bleus azurés étaient gigantesques et semblaient refléter l’abîme qui attendait l’équipage. Sa face serpentine était couverte d’écailles, la bête marine ouvra lentement la gueule, un air bouillant souffla sur le navire, certains hommes tremblaient de peur, d’autres étaient tout bonnement pétrifiés, aucun d’entre eux n’osa émettre le moindre son face à la bête.
Au moment ou la gueule béante de Tiamat finit son ouverture, révélant ses milliers de crocs de toutes formes, dévoilant une langue ronde et fourchue, les marins virent que son nez retroussé pour mieux capter l’air avait reculé, son visage lui même se disloquait pour lui permettre d’ouvrir la gueule et de sortir ses crocs de sa propre chair. Un son résonna du plus profond du ventre de la déesse et résonna sur le navire, beaucoup d’hommes tombèrent au sol, s’agrippant les oreilles de toutes leurs forces.
- C’est comme si le son résonnait directement dans ma tête !
- Tout tremble !
La matière elle même semblait résonner contre la voix de Tiamat, seule la valkyrie restait droite face à la déesse sans bouger. Les spectateurs les plus assidus pouvaient voir que la valkyrie serrait ses poings de toutes ses forces et plantait ses ongles dans ses paumes pour garder conscience. Le monstre finit par faire résonner des mots plus intelligibles
- Humains… Un des vôtres a tué un de mes fils. Chaque affrontement peut causer des morts, je sais me montrer sage. Donnez moi Himiko, et ce combat se terminera sans autres pertes.
Certains hommes se mirent à hésiter, était-il seulement possible pour eux, pour Himiko de venir à bout d’un tel monstre ? De tous âges, de toutes époques et de tout horizons, ces hommes connaissaient différentes mers, différents monstres. Certains redoutaient le kraken, certains redoutaient le léviathan, pour d’autres c’était la pensée de créatures comme Jormungrandr qui les terrifiait. La déesse, maîtresse des lieux avait fait venir nombre de ses enfants aux alentours du navire. Le mégalodon lui même sauta hors de l’eau avant de s’écraser dans l’eau et d’y disparaître, l’île aux alentours du navire se mit à bouger avant de s’immerger et de disparaître sous les flots, une tête noire aux yeux oranges sortit des flots, fixant les humains. La voix du monstre marin résonna à nouveau, pressant les humains de faire un choix.
- Alors… Que décidez vous ?
Terrifiés, plusieurs hommes se levèrent, prêts à trahir leur capitaine, à contre-cœur certes, mais décidés. Une main se leva pour les interrompre, stoppant net les mutins, béats et perdus. La valkyrie sourit légèrement face à la déesse avant de répondre.
- Nous refusons votre généreuse offre dame Tiamat, cet affrontement a été choisi et accepté par les deux partis, humains comme dieux. Je préfère encore finir au fin fond de l’océan avec la fierté de m’être battue que vivre sur une berge en regardant cette mer, rongée par ma lâcheté.
Un profond grognement se fit entendre, les humains secouèrent un peu la tête, ces derniers avaient retrouvé leurs esprits, réalisant la folie qu’ils s’apprêtaient à commettre envers celle qui plus d’une fois avait risqué sa vie pour les sauver. L’eau frémissait, les plus petits poissons sautaient hors des flots les uns après les autres, puis l’écume venait frapper le navire, le faisant tanguer peu à peu, les queues de requins, de baleines et autres animaux claquaient contre les eaux, bientôt la mer entière semblait blanchir à cause de l’écume.
S’accrochant au navire, la valkyrie serrant l’humaine contre ses bras pour s’assurer que cette dernière ne tombe pas dans les flots. L’humanité avait compris, ce combat serait encore plus terrifiant et terrible que tous ceux menés jusqu’à présent, les cris des baleines résonnaient, les hoquets des dauphins ne faisaient que les rythmer et les intensifier. Jamais on n’aurait pu croire la mer si terrifiante et bruyante par un ciel si bleu ; puis, le calme. Les nuages venaient peu à peu et s’amoncelaient, quelques gouttes d’eau commencèrent à tomber du ciel, le tonnerre gronda et frappa une île non loin. La voix de Tiamat résonna à nouveau, la gueule du monstre semblait presque sourire face à l’audace de ses minuscules ennemis.
- Eh bien… Soit. Adieu, humains, désormais, la mer n’a plus aucune règle.
Aussitôt annoncé, là un étrange clameur survint, les poissons les uns après les autres s’entre-dévoraient les uns les autres. La mer devenait rouge, les vagues se déchaînaient, la pluie battante n’arrivait même plus à nettoyer l’eau. Tiamat qui pourtant se disait mère des océans observait sereinement tous ses « enfants » se tuer les uns les autres.
Depuis les gradins et son poste d’observation, Heimdall commentait la situation, la main tremblante en tenant son cor, la sueur coulant le long de ses joues. L’air lui semblait lourd, l’ambiance pesante, la vue des nombreux écrans terrifiait plus d’un spectateur, le sang, les viscères, les milliers de dents, les cris de terreurs de géants marins comme de milliers de poissons plus petits.
- Mesdames et messieurs… Le spectacle qui se déroule sous nos yeux est malheureusement… Impossible à commenter, organes, boyaux en tout genre, un sang parfois rouge, parfois brun, parfois même vert semble flotter sur les eaux ou couler par le fond. J’entends les pinces des crabes claquer à répétition et se planter dans la chair de leurs propres frères. Les voiles d’encre des calamars se noient dans le rouge de l’eau, les corps flottants et croqués des poissons en tout genre donnent presque l’impression qu’une île est en train de se créer sur le champ de bataille…
Depuis les gradins, les dieux les plus anciens s’interrogeaient et questionnaient avec hâte Ishtar, Zeus le premier semblait circonspect de ce spectacle.
- Ishtar ! Qu’est ce qu’il se passe ? Réponds-moi veux-tu.
Il est rare que le dieu grec se lève de son propre siège pour questionner quelqu’un, encore plus rare qu’il s’approche de ce dernier pour le faire, de l’histoire du Ragnarok, la seule occurrence de cet événement était lorsque son frère avait fait irruption au milieu du sixième round. La déesse mésopotamienne ouvrit calmement la bouche.
- Pensez vous sincèrement que Tiamat est une mère ?
Hermès fit irruption lors de la conversation pour répondre à la déesse.
- C’est ce que cette dernière revendique en tout cas.
- Mer et mère ont la même sonorité. Comment voulez vous qu’elle soit mère de tous les poissons, comment ces derniers pourraient survivre sans se dévorer entre eux ? Elle est leur ancêtre commun, elle tient du respect pour ses aînés, ses premiers fils. Le reste n’est qu’un enfant qui peut être dévoré et remplacé par un autre lors d’une ponte. Tous le savent, tous sont au courant, c’est pour ça qu’ils sont devenus de plus en plus idiots, de plus en plus soumis à de simples instincts, ils ne réalisent pas cette condition. Tiamat est au fond bien plus cruelle que vous ne pouvez le croire. C’est le cours naturel des choses si ses enfants se dévorent, c’est le cours naturel si les humains en mangent quelques uns. Ce qu’elle n’acceptera pas en revanche, c’est qu’on abuse de ce privilège ou qu’on tue un de ses aînés.
Les dieux déglutirent, la déesse frivole et amusée était donc un être aussi impitoyable et utilitariste ? Zeus comprenait de mieux en mieux les raisons qui poussaient son frère Poséidon et la déesse des mers à si bien s’entendre.
Du côté de l’humanité, Goll observait le combat avec grande anxiété, pour la première fois du Ragnarok, même si elle avait grande confiance en ses combattants, elle n’en demeurait pas moins persuadée d’avoir envoyé plusieurs combattants et une de ses sœurs à une mort assurée. Elle avait sous-estimé Tiamat, par erreur, la cheffe des valkyries avait cru que la déesse était en effet quelqu’un d’enjoué, de magnanime et surtout de toujours mesuré. Elle réalisa à ses dépend que Tiamat n’était pas la mer que de nom, aussi bien cruelle, injuste, capricieuse que calme et douce, les humains avaient déchaîné la tempête.
Ulysse face à l’affrontement ne pouvait retenir un léger rire gêné, visiblement même le plus grand aventurier de l’histoire se retrouvait pantois et muet face à ce qui se trouvait face à lui. Jamais Charybde, jamais Polyphème ne furent aussi terrifiant que cette vision, pour peu, l’humain se retrouvait heureux de ne pas être au milieu de cette mêlée. De l’autre côté de la valkyrie, Sun Tzu observait le combat en silence, réfléchissant ; de nombreuses fois le stratège grimaçait, lui même ne trouvait aucune solution ni issue pour cet affrontement.
Tiamat frappa l’eau de la mer à l’aide de sa queue plusieurs fois, le bateau sentait les remous causés par ces mouvements, plus encore, le navire tanguait à cause des centaines de poissons qui se frappaient contre la coque ou y étaient projetés. Ils n’avaient aucune issue, tous étaient voués à mourir lors de cette bataille.
Svanhvit leva progressivement la main, et sous les regards interloqués des spectateurs, des monstres et des marins, le bateau commençait à se soulever hors de l’eau, après quelques secondes seulement, il flottait sur l’air, au milieu de la tempête, la seule inquiétude qui restait aux combattants, c’était la foudre. De son perchoir, observant la monstrueuse figure en contrebas, la valkyrie lança.
- Je suis Svanhvit ! Valkyrie des vents ! Si la mer est ton antre, alors le ciel est mon royaume !
Et de l’autre main, la guerrière agita son éventail qui chassa les nuages et la tempête, le navire flottait littéralement sur l’air et quitta la zone infestée. La solution n’était que temporaire, ils ne pouvaient pas attaquer ainsi et toute la faune marine les pourchassait. Dès l’instant où le navire toucherait à nouveau l’eau, leur sort serait sans doute scellé. La seule issue pour l’humanité était le réveil de leur capitaine, encore endormie par son rude combat, inconsciente à cause des flots.
La déesse ondulait le long des vagues et causait d’immenses remous, elle pistait avec attention le navire de l’impératrice et essayait tant bien que mal de projeter son immense corps pour dévorer ce dernier, quitte à mourir du bois sacré dont la bâtisse était constituée. Au fur et à mesure qu’elle nageait et perçait les flots, Tiamat se souvenait de ses enfants, de la mort d’un de ses aînés, sa colère ne faiblissait pas, cette humaine le paierait quoi qu’il en coûte.
Il y a plusieurs longs millénaires, l’eau était apparue sur terre en même temps qu’un simple serpent, au fil des ans, le serpent grossissait à mesure que l’étendue d’eau prenait en volume. Une longue vie de solitude marquait la créature, cette dernière était curieuse de voir ces étranges îles solides. Sa seule compagnie était les algues, s’approchant non loin des côtes, avec stupeur la déesse aperçu un cours d’eau qui venait se déverser dans son océan, une fois rapprochée, Tiamat réalisa que cette eau, contrairement à celle qui constituait son monde était douce. Sa mission fût désormais scellée, la déesse remontra le cours de ce fleuve pour voir ce qu’il s’y trouvait. Des heures durant, à contre courant, l’étrange serpent nageait, parfois les rochers gênaient sa course, d’autres fois elle passait dans un circuit sous terrain, et c’est alors au fin fond d’une grotte qu’elle trouva une étrange figure assise sur un rocher, de cette figure un filet d’eau coulait et s’amplifiait pour créer le fameux cours d’eau.
Alors le serpent s’approcha, et, essayant de parler et d’interpeller l’inconnu, Tiamat posa un peu de son corps sur le sol, ce dernier se transforma aussitôt, et incapable de rester debout, la demoiselle à l’apparence désormais humaine tomba sur le sol, alertant l’autre. L’étrange homme se retourna et vint au secours de la demoiselle, faisant connaissance avec elle. Selon lui, quelques autres personnes étaient présentes et erraient sans réel but ici bas. Une membre de ce groupuscule, bien plus bruyante et téméraire finit par mettre un coup de pied dans la fourmilière, lasse de devoir attendre on ne sait trop quoi. Ishtar rugit au milieu de tous ses compagnons.
- Eh bien puisqu’on n’a rien à faire ! On a qu’à s’unir ! Créer des autres créatures, des petits êtres !
De ces unions, nombre de divinités vinrent au monde, la planète elle même se façonnait différemment de jours en jours. Tiamat et l’inconnu de la grotte, Apsû, s’unir et firent naître le ciel, les créatures marines en tout genre. Dégoûté de ses propres enfants, Apsû finit par faire tuer son propre fils par un des siens, si sa femme et lui étaient l’eau, aucun de leur enfant ne se devait de vivre au dessus d’eux, les cieux devaient demeurer inaccessibles. La grande guerre des divinités survint, les créatures des mers s’en prenaient aux oiseaux, à ceux de la terre ferme, la tuerie massive était particulièrement plaisante et distrayante pour les dieux apprentis sorciers.
De toutes ces guerres, de tous ces massacres, de toutes ces tueries. Jamais Tiamat n’aura invoqué la possibilité de paix, jamais elle n’aura éprouvé la moindre pitié ou le moindre ressentiment à l’idée d’envoyer des milliers de ses enfants à leur propre morts, s’il fallait tuer son époux, elle l’aurait même fait sans hésiter. Pour eux c’était le cours naturel des choses, un enfant était une chose mignonne dont on pouvait disposer pour en créer un autre, mieux réussi. Un époux était remplaçable, parfois il n’y en avait même pas besoin.
Les seuls créatures qui obtinrent grâce et un statut spécifique aux yeux de la déesse étaient trois de ses fils, les trois premiers. Le kraken, une pieuvre gigantesque qui montait sur la terre elle même pour attaquer ses résidents, le mégalodon, un requin gigantesque qui pouvait bondir sur plusieurs centaines de mètre hors de l’eau pour dévorer les oiseaux et autres animaux qui tournoyaient autour de l’eau, et enfin le léviathan, le géant marin qui menait loi sur toutes les autres créatures marines qui lui étaient inférieures.
De peur, la seule solution trouvée par les peuples terriens fut de bénir un arbre, qu’un des fils reniés de la déesse y appose une bénédiction et l’interdiction pour Tiamat et ses enfants de pénétrer sur terre, de toucher à ce bois sacré.
À l’issue de la guerre, les trois aînés des mers avaient survécu, tous étaient craints et respectés comme les trois monstres les plus terrifiant de l’histoire du monde encore à ce jour, des millénaires durant. Un de ces règnes avait été interrompu par Himiko. De rage la déesse des mers sentait pour la première fois un sentiment qu’elle n’avait jamais vécu jusqu’alors
Tiamat était capricieuse, lunatique, cependant, au grand jamais personne n’avait vu la déesse des mers enrager ou être profondément en colère, et pourtant, la réalité était face à elle. D’immenses coups de queue projetaient nombre de poissons et autres créatures dans le ciel, certains venaient même s’écraser sur la coque du navire qui essayait d’échapper de cette mauvaise passe. Silencieuse, Ishtar observait le combat, pensive quant aux résultats de l’affrontement de son amie.
- Tiamat a toujours été compliquée, moins que moi sans doute, cependant… Je ne sais pas si courroucer cette dernière est une bonne idée. Après tout une colère qui n’est jamais entrée en éruption ne peut qu’être terrifiante. À ne jamais connaître amour sincère… On ne connaît jamais haine sincère.
La coque du Benkei s’était teintée de rouge, des viscères et autres morceaux de poissons s’y étaient collés. Svanhvit sentait ses forces lui échapper de secondes en secondes, elle ne pourrait pas tenir plus longtemps, ils allaient s’écraser et potentiellement devant un monstre effroyable et terrifiant.
Alors que le bateau perdait progressivement de l’altitude, la guerrière de l’humanité finit par ouvrir un œil et se releva en hâte, Himiko accourut vers la valkyrie.
- Tu utilises trop de tes pouvoirs ! Tant pis si le bateau s’écroule dans l’eau, on trouvera un moyen de toute manière ! On a les chaînes, les harpons, les barques et autres petits harponniers, ça suffira largement pour s’en sortir, faire diversion et disparaître !
- Tu es sûre qu’on peut s’en sortir ?! Regarde en bas ! Le Mégalodon essaie de sauter pour nous bouffer quitte à en mourir, le Léviathan attend bien gentiment en bas et je n’ai même pas besoin de te parler de ce qui est en train de nous suivre !
- Je ne te dirais pas de le faire si je n’étais pas persuadée d’avoir une solution figures-toi ! Quand un capitaine donne un ordre, même s’il est idiot, on doit lui obéir !
La valkyrie en guise de réponse grommela légèrement avant de s’exécuter, cette dernière avait guidé les troupes comme il se devait en l’absence de sa partenaire, et tout ce qu’elle y gagnait c’était des ordres et pas l’ombre d’un remerciement. L’impératrice observait le paysage morbide en contrebas, sifflant, impressionnée par cette vision ; puis, revenant sur la proue, aux côté de Svanhvit, Himiko se mit à estimer le sens du vent, et l’approche des nuages. Un sourire malicieux finit par se dessiner sur le visage de la japonaise qui ancra son regard dans celui de sa coéquipière.
- On a aucune issue ! Tu sais donc ce que ça veut dire j’espère ?
La valkyrie soupira avant de tendre sa main.
- Nous nous étions mises d’accords que c’était un dernier recours.
- Eh bien nous sommes dans la situation du dernier recours.
Himiko prit la main de la valkyrie qui se mit à briller vivement, cette dernière disparut. Au sol, bien ancré sur le pont du navire, un étrange plateau qui changeait d’apparence en temps réel était apparu. Les marins réalisèrent très vite que cette carte représentait le champ de bataille en temps réel ; l’impératrice des mers posa ses deux doigts sur le plateau et sembla zoomer à l’aide de ces derniers sur la zone ou le navire était affiché en train de tomber en chute libre. Posant le doigt sur ce dernier, Himiko interrompit la chute aussitôt avant de tourner l’index à un autre lieu, loin de toute vie marine, au sein d’une crique, elle lâcha l’index et le bateau se retrouva sur l’eau, sans problème. L’impératrice demanda
- Combien d’utilisations ?
- Plus que deux.
Le tableau avait répondu, Himiko observait sa main, le bout de ses doigts devenait noir, petit à petit la noirceur semblait remonter jusqu’à ses mains, c’était donc le prix à payer pour le nouveau pouvoir de la valkyrie.
- Messieurs, nous vous avions mentis et vous nous en voyez désolées. Le vrai nom de cette valkyrie n’est pas Svanhvit mais Hladgudr, son nom signifie « tisseuse de batailles ». Pour être honnête je préférais éviter d’aller utiliser cette méthode, nous nous étions accordés avec Ulysse que ce secret resterait entre lui, Goll, Svanhvit et moi. Pour tromper l’ennemi, trompe d’abord tes alliés !
Joyeuse et secouant sa main, Himiko se releva pour observer l’horizon.
- Bon le passage moins amusant c’est que maintenant, il va falloir ramer, je ne peux plus appeler les vents pour nous aider !
Un marin un peu plus téméraire que ses compagnons se mit face à la capitaine pour la questionner.
- Mais enfin, qu’est ce qui vous empêche d’utiliser un de ces pouvoirs pour empoigner Tiamat et la jeter contre une montagne pour lui briser le crâne ?!
- Oulah oulah, tout doux mon grand, tu veux aller vite et tu n’es pas trop bête. Mais pose-toi d’abord les bonnes questions. Tu penses sincèrement qu’un pouvoir aussi fort peut avoir un impact sur des êtres vivants ? Encore plus une déesse de cet acabit ? Je ne peux que toucher l’inanimé, c’est pour ça qu’on dit tisser une bataille et pas la faire vivre.
Un peu déçu, le marin baissa la tête avant de se faire interrompre par la guerrière toujours plus assurée et enjouée.
- Au moins le bon côté des choses c’est que le choc final n’en sera que plus amusant et le triomphe plus grand !
Sur ces mots, Himiko revint à son poste d’observation, les hommes se mirent à ramer, le navire quitta la crique, paré vers de nouveaux effrois et de nouvelles aventures.
De l’autre côté de l’océan, les nuées de monstres marins et autres poissons abyssaux avaient été envoyées par leur mère chercher leur ennemie, de terreur autant que d’adoration, chacun de ses enfants avait écouté Tiamat et obéit avec grande ferveur. Ses deux derniers fils menaient chacun une armée entière de poissons dans le seul objectif de trouver l’humaine et de lui faire payer la mort de leur frère. Tiamat, toujours aveuglée par la colère fusait et ondulait sur toute la mer, le monstre serpentin se dirigeait vers chaque remous, chaque lueur un peu différente de l’ordinaire, son seul but était de la trouver.
Après de longues minutes et un plan correctement échafaudé, l’humanité était prête ; le monstre marin trouva finalement le navire humain et siffla longuement face à ce dernier, la queue de la créature frappait et agitait l’eau, autant par colère que dans le but de faire couler l’humanité. Alertés, ses nombreuses enfants avaient rejoint leur mère à toute allure, cerclant le navire de l’humaine, prêts à attaquer au moindre signal. Toujours aussi arrogante, la petite humaine croisa les bras face à la gueule béante du monstre qui l’interpella.
- Himiko, humaine, prépare-toi à quitter ce monde, à rejoindre le fond. Toi qui adorais la mer, c’est bien cette dernière qui sera ton tombeau !
En guise de réponse, Himiko soupira, amusée par les menaces de la déesse marine qui sentait sa fureur monter de secondes en secondes. Dans un calme naturel, la demoiselle attacha ses cheveux et ancra ses yeux sur Tiamat.
- Tu veux déclencher une guerre et tu te plains que l’ennemi attaque ? Ce combat ton fils comme moi y avions consenti ! Il est mort avec les honneurs et à la loyale, si tu n’es pas prête à perdre, eh bien ne joue pas !
Encore plus enragée, la déesse frappa l’eau de sa longue queue, d’immenses gerbes d’eau s’écroulaient en cascade de chacun des côtés de ses mâchoires. Tiamat poussa un hurlement qui motiva tous les poissons à essayer d’entrer en collision contre le bateau. Quelques secondes après, nombre d’entre eux se mit à flotter à la surface, percés par d’étranges piques. Himiko se mit à rire.
- Ta haine t’aveugle, tu n’as même pas pris la peine d’observer le bateau. On avait préparé un revêtement spécial avant le combat, il est recouvert d’épines ! Tes enfants foncent volontairement et ceux qui veulent reculer son entraînés par les suivant. Toi qui n’as jamais connu que guerre et violence sans rien perdre… Crains les humains qui risquent leur vie chaque jour.
Chapter 40: Au milieu de l'abysse
Summary:
Le grand final du combat opposant Himiko et Tiamat ! Laquelle des deux combattantes sera gagnante ?
Chapter Text
Tiamat dans toute sa puissance et sa taille gigantesque observait le bateau, gonflée par la rage et la volonté de détruire ce misérable radeau, elle savait qu’au moindre coup de croc dans cette coque ou ce navire lui serait fatal avant même qu’elle puisse s’assurer de la mort de ses ennemis. Le monstre des mers sifflait longuement, l’atroce bruit venait jusqu’à résonner à l’intérieur du crâne des pauvres marins qui pour beaucoup essayèrent de combler leurs oreilles du mieux qu’ils le pouvaient.
Droit devant, toujours aussi fière, le regard plein de provocation, Himiko observait longuement la déesse qui perdait patience et voyait sa rage la gagner davantage à chaque seconde qui passait. Himiko attendait patiemment, les bêtes marines n’attaquaient plus, plus aucun poisson, aucun cétacé ne venait s’en prendre à son navire. La seule chose qu’elle observait était les deux autres formes gigantesques qui, avec l’aide de nombreux de poissons plus petits commençaient à cercler le Benkei, accélérant progressivement dans le but de créer un tourbillon gigantesque qui mènerait le navire par le fond. Les rapports des hommes sur le pont se faisaient de plus en plus alarmants, chaque seconde qui passait rendait les vagues plus violentes et pressaient l’atroce maelstrom. La seule réponse de la capitaine fut aussi simple que succincte.
- Pas encore.
- Mais ! Mon capitaine ! Vous voyez bien que le navire va finir par se noyer au milieu du courant, nous devons essayer une manœuvre !
- Pas encore…
Le pauvre marin comprit bien assez vite que Himiko observait la mer avec grande attention, le tourbillon était parfait en tout point, pas une goutte d’écume ne venait refluer ou perturber la vue des milliers d’horreurs marines qui les attendaient en contrebas.
- Messieurs, préparez les harponniers et les canons de harpons !
En silence, les hommes s’exécutèrent, la plupart étaient déterminés et avaient décidé de faire confiance à la capitaine jusqu’au bout. Au fin fond du cœur de la plupart de ces hommes, la même sensation refluait ; ils savaient tous qu’une fois montés sur ces petits harponniers, leur mort serait assurée. Himiko avait beau être une impératrice on ne peut plus originale, elle savait faire des sacrifices lorsque la situation en faisait ressentir le besoin. Sa valkyrie s’approcha pour la questionner.
- Quel est ton plan ma chère ?
- Attendre encore un peu, déjà le mal de mer ?
Ajouta la reine, un léger sourire espiègle et amusé. La valkyrie prit une mine renfrognée, peu importe le plan que l’humaine avait en tête, cette dernière ne comptait pas le moins du monde en faire part à sa partenaire, et c’était peut-être pour le mieux. Résignée, Hladgudr ne demanda rien de plus et se contenta de faire tout comme Himiko, patienter.
Les harponniers prêts, la plupart des hommes, armées et tremblants montèrent à bord, cramponnant avec leurs forces comme leurs âmes les pauvres tiges de métal qui étaient censées les défendre. Les marins étaient tous accrochés fermement à leur navires de fortune, prêts à tomber dans la gueule de monstres béants prêts à les dévorer. Cependant, une fois à l’eau, rien ; aucune attaque, aucun poisson ne semblait décidé à se montrer, le seul événement notoire était les navires qui se mirent à flotter autour du navire à cause des courants du tourbillon. Himiko avait pris le soin de poser le même revêtement, les mêmes épines sur les coques de toutes ses embarcations, la seule solution pour leur ennemis était de sauter hors de l’eau pour les dévorer, chose impossible puisque tous les marins s’étaient couchés au plus profond de la coque, seule leurs quelques piques dépassaient. La peur s’emparait de la faune marine, les poissons avec le temps, tous devenus plus bêtes et soumis à leurs instincts refusaient de foncer droit vers une mort certaine, les soldats des mers étaient devenus inaptes à poursuivre un affrontement qui leur serait fatal en toute circonstance.
Alors, des profondeurs, le mégalodon se mit à ouvrir sa gueule au plus grand, se propulsant de toute sa puissance, le monstre des mers filait à toute allure vers la surface, prêt à engloutir n’importe quel poisson sur son chemin, n’importe quelle embarcation. Le gigantesque requin avait perdu patience, et ça, une certaine personne l’attendait de pied ferme. Depuis un des canons à harpons, sur le navire principal, Himiko, le bras levé restait stoïque et patiente, après quelques instants, elle abattit sa main en hurlant à plein poumons
- Tirez !
Depuis le navire la batterie de canons tira tous ses épais harpons à l’unisson, pile en dessous de la coque de l’harponnier le moins mobile. Une immense vague manqua de retourner la majorité des canots, après quelques instants, une gigantesque mare rouge se dispersa autour du pauvre petit harponnier, un immense corps se mit à flotter, le crâne couvert de gigantesques harpons. Le mégalodon était mort.
Le hurlement de pure rage proféré par Tiamat déclencha une grande vague qui fit tanguer la plupart des harponniers qui de nouveau étaient raccrochés au bateau mer. Himiko elle même leva le bras pour éviter de recevoir le souffle de plein fouet.
Depuis les gradins, Göll observait la scène avec de grands yeux écarquillés.
- Mais enfin, comment a-t-elle fait ?!
Ulysse, riant légèrement observait un des nombreux écrans avec un grand sourire.
- Cette gamine a de la suite dans les idées… Elle se doutait aux mouvements des poissons que ces derniers ne suivraient plus leurs supérieurs pour un assaut suicide. Elle a donc fait un pari on ne peut plus simple, le mégalodon n’allait pas avoir la patience de guider ses troupes et allait attaquer l’harponnier lui même.
Sun Tzu hocha la tête avant d’ajouter sa propre observation.
- Un plan on ne peut plus clairvoyant, si on sait d’ores et déjà ou l’ennemi attaquera, la seule issue à déterminer, c’est le temps… Vu ses connaissances de la mer, au moindre remous, elle avait compris quand le mégalodon avait amorcé sa charge, il ne restait qu’à tirer au bon moment.
Le public humain comme divin était circonspect, Heimdall se mit à hurler dans son cor.
- Le mégalodon est tombé ! Deux des fils de Tiamat sont morts, après des millénaires de règne ! Le léviathan est le dernier fils de la déesse, même si l’humanité perd ce combat, jamais elle n’aurait pu rêver meilleure performance !
Hladgudr s’approcha d’Himiko pour questionner la combattante, le regard inquiet. Tiamat ne les quittait plus des yeux, la déesse était prête à bondir elle même sur le navire, quitte à en mourir.
- Pourquoi avoir utilisé une telle méthode ? Il te reste deux utilisations de mon pouvoir après tout.
- Si j’en utilise une maintenant, c’était perdu d’avance, il nous faut toutes nos capacités pour Tiamat, celle que j’ai utilisée était déjà de trop.
La valkyrie en réponse déglutit simplement, la guerrière elle en revanche ne faisait que sourire de plus en plus, son ennemie elle, grimaçait de plus en plus.
- Elle ne va pas tarder à dire à toutes ses forces de foncer sur le navire peu importe le prix qu’il en coûte. La rage l’aveugle, et là, même les piques ne suffiront plus.
- Que prévois-tu alors ?
En un simple sourire, l’humaine s’assit devant son plateau, observant les centaines de petits points sur la carte, chacun d’entre eux se déplaçant et se regroupant vers la déesse toujours plus bruyante et enragée. L’instinct des poissons allait les pousser à attaquer, ils avaient bien plus peur de leur mère que du navire. L’humaine leva son bras à demi noirci par l’utilisation de son pouvoir et appuya ce dernier sur le plateau pour garder l’équilibre. Elle approcha son autre main vers la carte, en silence, la sueur perlant sur son front, elle attendait l’assaut.
Dans un nouveau cri bestial, Tiamat poussa ses hordes à foncer à l’assaut de l’humaine et de son navire, la plupart de ses hommes encore en train de remonter du navire depuis leur harponniers. Tous se hâtèrent en entendant le nouveau cri, le souffle de ce dernier faisant tanguer les cordages où ils s’étaient accrochés.
Himiko attendit quelques secondes avant d’abattre son poing sur la carte, de là, dix navires identiques au Benkei apparurent autour du premier bateau, dix copies conformes des hommes jusqu’à la capitaine. Le deuxième bras de l’humaine se mit à subir le même sort que le premier, les marques noires montaient de plus en plus, bientôt ses deux bras étaient entièrement noirs jusqu’aux épaules. Himiko se mit à saigner du nez, le regard plus embrasé que jamais, les yeux figés dans la froideur de Tiamat.
Les poissons, tous décontenancés se mirent à foncer sur les bateaux les plus proches, incapables de reconnaître l’original. Une grande partie mourrait au premier assaut, les autres mourraient des attaques humaines. Au fur et à mesure des minutes, quelques bateaux coulaient déjà, Tiamat comprit aisément que les navires factices n’étaient pas construits du même bois sacré, d’un revers de nageoire, elle fit couler la quasi-intégralité de la flotte à l’exception de deux bateaux, trop éloignés du reste.
Le léviathan, tout aussi affolé et enragé de la mort de ses frères fonça droit sur le navire le plus à l’écart, persuadé que celui ci était l’originel, le léviathan était prêt à mourir du bois sacré. D’un violent coup de tête, le monstre planta son crâne droit sur les piques de la coque, le bois du navire craqua, ce dernier prit l’eau et commençait à couler. Le navire était factice, en pleine hâte, le monstre secoua la tête et porta son attention sur le deuxième bateau.
Un cri cependant interpella le monstre. Depuis le mat du navire en train de couler, une étrange figure avait sauté tenant un harpon dans une main et une carte dans l’autre.
- Eh mon gros ! Rien ne m’empêche de monter à bord du mauvais bateau !
Himiko atterrit tout droit au niveau du crâne du monstre et de toute ses forces planta le harpon dans une de ses plaies, appuyant de toutes ses forces, fendillant et craquelant le crâne. L’humaine grogna, ses forces l’abandonnaient, son pouvoir avait un contrecoup bien trop violent, elle ne pouvait pas tuer la baleine, déjà sa mère s’approchait, le léviathan s’apprêtait à s’immerger.
De nombreux bruits de harpons et canons retentirent, le monstre des mers essaya à nouveau de plonger avant de réaliser que les hommes avaient tirés des chaînes pour le gêner dans sa fuite. Dans un grand sourire, Himiko releva la harpon avant de l’enfoncer à répétition, burinant le crâne du titan. Le monstre se sentait perdre connaissance, sa mère hurlant en fonçant droit à lui réalisait qu’il était trop tard, Tiamat sauta hors de l’eau, la gueule grande ouverte, prête à dévorer les restes de son fils avec l’humaine.
Essoufflée, à peine consciente, Himiko ouvrit la carte, posa deux de ses doigts sur son navire et elle même.
- Elle a craqué ! Maintenant !
Sans aucune retenue, l’humaine glissa les deux doigts sur la carte. Le navire ainsi qu’elle même furent projetés en plein centre de la gueule béante de Tiamat, prête à les dévorer à ses risques et périls.
Les marques d’Himiko se diffusaient de plus en plus, les extrémités de son corps étaient toutes noircies, les marques venaient saisir son cou, remonter vers ses joues. Deux étranges motifs de vagues commençaient à enserrer son cœur, prêts à le broyer.
Jetée dans la gueule gigantesque du monstre, les marins hurlaient, tous avaient compris leur mission. Le bois sacré brûlait la gorge de Tiamat, faisait fondre ses chairs. Le monstre sautait dans l’océan, y plongeait gueule ouverte. Tiamat espérait que la pression de l’eau et le déluge de vagues viendrait écraser les hommes contre leur navire ou contre ses crocs. La douleur était de plus en plus insoutenable, les marins avaient déjà rempli une de leur mission. Les nombreux restes de débris de navires, de poissons dévorés avaient fini par bloquer la gorge du serpent qui commençait à étouffer.
Himiko, au portes de la mort saisit un morceau de bois et essayait de le plaquer et de le planter contre le palais du monstre. L’eau, la fatigue, le pouvoir, tout manquait de tuer l’humaine, sa vie ne tenait qu’à un fil. Ses hommes faisaient de même, certains étaient déjà noyés, les plus solides et résistants imitaient leur capitaine, voyant les chairs brûler, sentant que le monstre perdait en énergie, ils continuaient de toutes leurs forces. Le crâne de la déesse commençait à être perforé, les humains finirent par atteindre l’intérieur de sa boite crânienne puis d’assaillir et lacérer l’intérieur de son cerveau. Tiamat était en train de mourir, le colosse se mit à flotter, quelques secondes après, la valkyrie, presque brisée et le second du navire firent une dernière percée à l’air libre. Du crâne broyé de la déesse, Himiko inconsciente était tenue par deux de ses compagnons. L’humanité avait gagné le neuvième round du ragnarok, le score était de cinq contre quatre pour les hommes.
Chapter 41: Deux souhaits
Summary:
Le prochain combat du Ragnarok va enfin débuter, qui seront les deux candidats du dixième round ?!
Chapter Text
En urgence, de nombreux moyens avaient été déployés pour récupérer les quelques rescapés de la guerre marine qui avait eu lieu. La mer semblait morte, pas une brise ni alizée, pas un contre courant, une vaste nappe bleu, rien de plus. À moitié morte, le corps presque entièrement noirci Himiko avait été sauvée de la mort in extremis, sa valkyrie fissurée de toutes parts, toutes deux semblaient plus mortes que vives, pourtant, leur cœurs battaient. Le seul regret de l’humaine était de ne pas avoir réussi à faire revenir tous ses hommes sur le plancher des vaches.
Depuis les gradins, Göll se retira, suivie de ses deux conseillers, Ulysse et Sun Tzu. Le roi d’Ithaque observait le ciel, plus un nuage à l’horizon, plus un signe de tempête, seulement un grand soleil radieux. Sun Tzu l’interpella, forçant l’humain à reporter son attention sur ce qui se trouvait autour de lui.
- Ulysse, vous savez que le prochain combat est le vôtre ? Vous vous sentez prêt ?
- Tu le sais aussi bien que moi Sun Tzu. On n’est jamais suffisamment prêt quand il s’agit de combat à mort.
Le stratège chinois ne répondit nullement, les deux avaient vu bien assez de batailles, bien trop même, et pourtant, même dans l’au delà les humains devaient à nouveau risquer leur vie. Dans un air nonchalant, mains dans les poches de ses habits, Ulysse reporta le regard vers le ciel.
- Il y a mille ans. J’étais censé être celui qui affronterait Poséidon.
Göll continuait de marcher sans se retourner, répondant simplement à l’aventurier.
- Je sais, les vieux rapports de Brunhilde indiquaient que vous aviez refusé la proposition car votre demande était irréalisable.
Pas de mots supplémentaires, après quelques secondes particulièrement pesantes la valkyrie continua sa réponse.
- Votre demande était irréalisable en effet… C’était le cas il y a un millénaire, maintenant les choses sont différentes, les dieux ont pris goût à ce spectacle, les enjeux ont changés.
- Tu penses que cette demande sera acceptée ?
- Selon Hermès il semble que le seigneur Zeus ne voit aucun problème à t’accorder ce privilège, au contraire même, il est particulièrement enchanté par cette idée et ce qu’elle peut apporter avec les temps.
Ulysse répondit en riant légèrement, un rire mêlant amertume et sincère amusement.
- Les dieux grecs ne changeront jamais, toujours bloqués sur leur fameuse destinée, toujours à considérer les vies humaines comme des jouets qu’on pouvait casser et remplacer à volonté.
Sun Tzu demeurait silencieux tout du long de cette conversation, il était évident que son acolyte nourrissait une certaine forme de rancœur envers les dieux qu’il était obligé de vénérer de son vivant ; dieux qui pour certains s’étaient moqués de lui, profitant de ses faiblesses, jouant avec sa pauvre vie de mortel. Göll marqua un arrêt avant de plonger ses grands yeux verts dans le regard du roi grec.
- Rassurez vous, les Grecs sont loin d’être les seuls dieux à considérer l’humanité sous ce jour, votre adversaire lui même ne fait pas exception à cette règle.
- Le contraire m’aurait étonné vu les informations que j’ai pu obtenir à son sujet…
La valkyrie n’ajouta aucun mot, Ulysse était du genre à toujours tout planifier, plus encore, il était du genre à toujours avoir un train d’avance sur les autres, il était particulièrement naturel et peu étonnant que le combattant ait déjà trouvé un moyen d’en apprendre le plus possible sur son adversaire.
Dans la soirée, la valkyrie avait fait dépêcher les derniers combattants humains, aucun n’avait la possibilité ou le droit de passer outre cette réunion, les quatre derniers combattants de l’humanité se devaient d’être présents. Le seul des candidats à s’être présenté à l’heure était Louis Pasteur, le plus grand biologiste de l’histoire de l’humanité ; l’homme d’âge mûr assit sur sa chaise passa sa main dans sa barbe presque blanche avant de reporter ses petits yeux bleus sur la valkyrie.
- Il me semblait pourtant que cette réunion était obligatoire
- Et elle l’est, ils sont juste en retard, j’ai été prévenue en amont. Diogène avait dit qu’il viendrait quand il le déciderait nécessaire, Ulysse révise ses plans et surtout, Salomon était parti rencontrer sa valkyrie pour la première fois. Enfin… Je m’en doutais de toute manière, tout comme je savais que vous seriez le seul à venir à l’heure. Les blessés, comment se portent-ils ?
- Je m’attendais bien à ce que vous posiez cette question.
Louis Pasteur était tout ce qu’on pouvait attendre d’un médecin sérieux et propre sur lui. Après des années de recherches, d’avancées, le père de la vaccination s’était intéressé aux arts médicaux devenant sans doute le plus éminent médecin de l’histoire de l’humanité. Pour une fois, l’homme avait troqué son habituelle blouse pour un costume trois pièce impeccable, réajustant légèrement le col, le docteur se pencha récupérer sa serviette avant de l’ouvrir et d’en sortir plusieurs dossiers.
- Comme vous l’avez sans doute remarqué, Roland et Charlemagne sont comme neufs. J’appelle cependant Roland de temps à autres pour mieux analyser son système musculaire, ce dernier est particulier et recèle bien des mystères. Sun Tzu est en pleine forme, mais ça vous le saviez déjà. Je me doute que les cas vous préoccupant le plus…
- Sont Pierre, Lénine et Himiko, exactement.
- Alors j’ai bien fait de préparer ces dossiers en amont.
Louis pasteur ouvrit le premier dossier avant de se racler la gorge pour aider sa voix à porter davantage.
- Le cas de Pierre est tout bonnement fascinant. Les encéphalogrammes indiquent bien une présence de plusieurs milliers de conscience partageant son esprit et pourtant, aucune n’interagit, ce n’est pas comme si elles étaient endormies ou qu’il ne savait pas les utiliser. Tiens par exemple, à un moment nous lui avons demandé de réparer une vieille voiture, une Peugeot trois-cent un. Une des conscience s’est éveillée et il a réparé la voiture comme de rien.
Göll semblait pensive, elle releva finalement la tête vers le docteur, dubitative.
- Les consciences ne sont pas endormies, mais elles restent silencieuses de leur propre choix ?
- Tout juste ; c’était une armée après tout. Considérez que Pierre a une petite armée dans sa tête qui se montre lorsque le besoin s’en fait ressentir. Comment il arrive à survivre en cette condition sans être en constant völund avec sa valkyrie par contre… ça relève du mystère.
La valkyrie demeura silencieuse, observant une à une chaque photos, chaque scanners qui étaient agrafés au dossier. Après quelques instants, elle reposa les yeux sur le second dossier, Pasteur l’ouvrit.
- Le cas Lénine maintenant. Pour être honnête, ce fut compliqué, il était vraiment particulièrement blessé et affaibli quand il a été amené à l’infirmerie. En tout cas suffisamment pour que j’effectue moi même l’opération. Son état stable mais il est faible, très faible, je ne sais même pas s’il se réveillera d’ici la fin du Ragnarok.
Göll se contenta de répondre en hochant la tête, elle savait l’état du russe alarmant, cependant, elle restait rassurée de le savoir hors de danger. La demoiselle fut interrompue dans ses pensées par le dernier dossier que Louis Pasteur venait d’ouvrir.
- Et enfin… Le cas le plus alarmant, et je ne dis pas seulement ça car c’est la patiente que vous m’avez envoyée en début d’après midi… Le mal qui la touche est bien plus profond et grave, premièrement les marques sur son corps ne disparaîtront sans doute pas. Ces dernières sont implantées dans sa chair, au plus profond, mais c’est bien là le problème. La marque ne s’est pas contentée de la chair, s’il ne s’agissait que d’organes et de tissus, au pire ça lui aurait fait un tatouage de mauvais goût. Non le vrai problème, c’est d’avoir tiré la corde, de l’avoir beaucoup trop tirée en tout cas. S’il ne s’agissait que de l’utilisation de son völund, un repos prolongé aurait suffit, cependant voilà, le sang de Tiamat s’est mêlé à ses blessures, son âme lutte contre une âme divine qui s’y est mêlée, et pas n’importe quel sang.
Le médecin baissa légèrement la tête, il n’aimait pas être celui qui apportait de mauvaises nouvelles.
- Il se pourrait qu’elle ne se réveille jamais. Pauvre enfant, un combat à peine terminé que son âme doit lutter contre les restes de celle du monstre qu’elle a elle même pourfendu. Il y a donc quelques possibilités ; la première, elle remporte ce duel et se verra même renforcée par le sang de la déesse. La deuxième, le sang de la déesse la plonge dans un songe éternel, ou pire, brise son âme. Et enfin la dernière, trouver un moyen de purger ce sang pour en garder seulement les attributs.
Göll garda les bras croisés un long moment, les yeux clos, bloquée en pleine méditation, après de nombreux débats internes, elle se résolut à ouvrir les lèvres pour questionner le médecin.
- Vous êtes le maître de la microbiologie, purger ce sang, c’est sûrement possible pour vous.
- Possible en théorie, cependant il ne s’agit pas seulement de purger un sang impur. Son âme est touchée et un docteur guérit le corps, pas l’âme. Il me faudrait un expert sur ce domaine pour réussir cette opération.
La porte de la salle de réunion s’ouvrit et dessina un visage au teint bronzé, Ulysse fit quelques pas avant de s’asseoir sur un des sièges prévus à cet effet.
- La seule solution, c’est de demander à un dieu, je n’aime pas leur être redevable, mais il faut bien avouer qu’ils maîtrisent bien mieux l’âme que nous. Il y a bien un type en particulier qui connaissait bien les particularités de l’âme.
Göll sentit qu’elle avait la chair de poule, ses poils se hérissaient un à un, elle savait particulièrement bien à qui Ulysse faisait allusion, mais le fait même de voir cette personne lui semblait particulièrement impossible pour une raison très simple.
- Buddha est mort lors de la grande guerre contre Odin il y a un millénaire Ulysse, le voir est chose impossible désormais.
- Oui, enfin ça c’est ce que l’histoire dit. Une âme comme la sienne ça ne disparaît pas dans le flux de Nilfheim comme par magie. Ça trouve un nouvel hôte, un nouveau Buddha en somme, ça n’est jamais qu’un titre, Gautama, Siddharta, et surtout…
Göll écarquilla les yeux.
- Sun Wukong…
- Exact ! La pérégrination vers l’ouest raconte que le seul adversaire ayant battu le singe, c’était Buddha, et qu’après son long voyage le roi singe était devenu un illuminé lui aussi, un Buddha. Je pense que le mythe n’est pas si loin de la réalité, il y a des chances que les capacités de Buddha résident en lui.
- D’accord je veux bien vous croire, on peut essayer… Mais comment convaincre Sun Wukong lui même d’aider une ennemie, d’autant plus quand on sait que Tiamat semblait relativement amie avec ce dernier.
Un puissant rôt résonna au milieu de l’assistance, tout le monde se retourna vers la dernière figure arrivée. Un jeune homme au cheveux bruns et sales se tenait là ; la figure inconnue se gratta la barbe avant de s’ébouriffer davantage les cheveux. Un simple draps jauni, noirci et même déchiré à quelques endroits couvrait son corps qui semblait étonnamment en bonne santé. L’étrange personnage semblait plutôt musclé et massif ; s’il ne se tenait pas à demi voûté, l’air hagard, ce bonhomme avoisinerait sans doute les deux mètres. Dans une voix à moitié endormie par l’alcool comme par le sommeil, l’étranger coupa nette la discussion.
- Bah pour le convaincre ce n’est pas dur, on utilise des mots, c’est tout.
La valkyrie s’entendit soupirer avant même de prononcer le nom du combattant et de commencer à sermonner celui qui se montrait toujours en retard et ivre.
- Diogène, je vous suis très reconnaissante de vos traits d’esprits, mais je doute fort que vos solutions fonctionnent d’une quelconque mani-
Le grossier personnage répondit par un bâillement volontairement sonore pour interrompre la demoiselle.
- Ils sont particulièrement mauvais tes mots d’ailleurs.
La dirigeante des guerrières, calme en toute circonstance sentait déjà sa patience la quitter après seulement deux phrases du philosophe le plus indiscipliné de tous les temps. Si seulement il n’avait pas été le meilleur dans ce domaine, elle aurait sans doute préféré un candidat bien plus docile et sage. Diogène ricana légèrement en voyant Göll froncer les sourcils.
- Pas besoin de t’énerver comme ça. Tu n’as pas compris ou je voulais en venir ; tu connais l’histoire avec Alexandre le grand pas vrai ?
La valkyrie bien qu’excédée hocha la tête en guise de réponse.
- Alors si un vieillard décati arrive à persuader un jeune empereur à la tête d’une armée à changer de route. Les treize humains que tu considères comme les meilleurs dans leurs domaines peuvent bien réussir à convaincre un dieu.
La logique du philosophe était aussi simple qu’agaçante, la situation était aussi critique que difficile et lui arrivait à trouver des réponses toutes faites envers et contre tout, une autre silhouette apparut au côtés du grec.
- Voilà qui est bien parlé ! Eh bien, je suis le dernier arrivé, plus besoin d’attendre, nous pouvons commencer cette réunion !
La valkyrie soupira bruyamment.
- Vous étiez dans le couloir depuis le début et vous attendiez les autres pour arriver au meilleur moment et attirer l’attention sur vous, pas vrai Salomon ?
- Mais non voyons ! Ce n’est qu’un heureux hasard que le plus incroyable des combattants arrive au dernier moment !
Göll se contenta de reporter le regard vers Ulysse et Diogène, les deux grecs hochèrent simplement la tête, en effet, ils avaient tout deux croisé Salomon dans le couloir, et en effet, ce dernier attendait là pour donner un ressort palpitant et incroyable à son arrivée. Le roi mage toussa légèrement pour détourner l’attention des autres personnes présentes dans la pièce et rejoignit sa place tranquillement ; attendant sagement les directives et informations de la valkyrie. Göll leva les yeux au ciel avant d’allumer l’écran qui se trouvait derrière elle.
- Messieurs. Vous êtes les derniers combattant de ce Ragnarok et sans doute les êtres les plus capables de commettre une catastrophe s’ils le voulaient. Bien que certains d’entre vous l’aient déjà fait par le passé.
Le silence des interlocuteurs poussa la demoiselle à continuer son discours.
- Les prochains thèmes sont les suivants. L’aventure, l’excellence, la liberté et la médecine. La seule chose que je sais, c’est quel sera le prochain thème, nous l’apprenons dès l’instant ou le dernier combat se termine. C’est pour cette raison que je vous le demande une dernière fois. Êtes vous tous prêts et sûrs de gagner vos prochain combats ? Dans l’idéal je ne veux voir que deux d’entre vous partir, nous devons remporter les deux prochains affrontements.
Pas un mot de la part des combattants, seulement un hochement de tête général, tous étaient prêts, tous allaient remporter la victoire. Göll reporta son attention sur les combattants.
- Ulysse, je sais que vous n’êtes rentré que récemment mais malheureusement. Le prochain thème est l’aventure, c’est votre tour, je vous ai prévenu dès que possible, avez vous eu le temps de vous préparer ?
Le roi d’Ithaque émit un léger rire avant de se relever et de s’étirer.
- Je n’aurais jamais pu être aussi prêt qu’aujourd’hui, savoir que ma demande sera accordée, ça ne peut que me motiver.
Sur ces mots, le roi grec quitta la salle tranquillement pour retourner dans ses appartements, déjà prêt pour son affrontement du lendemain. Les regards des autres combattants se dirigèrent vers la valkyrie, tous plus interrogatifs les uns que les autres. Salomon prit la parole le premier.
- Bon, tu peux nous le dire maintenant Göll. Cette fameuse demande dont il parlait, qu’est ce que c’est ?
La valkyrie soupira avant de fournir une réponse évasive.
- L’abolition d’une certaine loi. Vous saurez demain, sinon vous voudrez forcément essayer de le dissuader.
Les trois derniers humains se résignèrent, cette femme était muette comme une tombe lorsqu’il s’agissait du Ragnarok, aucun d’entre eux ne saurait ce qu’était cette fameuse demande d’Ulysse.
Du côté des dieux, Zeus avait regagné ses appartements, pas de réunion cette fois ci, le Ragnarok touchait à sa fin et le dieu grec ne voulait pas spécialement voir une salle vidée de plus de la moitié des participants encore une fois, encore plus lorsque Ishtar semblait particulièrement irritée par la défaite de son amie. Le vieillard devait remplir quelques rapports, reposant les piles de dossier sur les bras d’Hermès, il ouvrit la bouche.
- Hermès, ce Ragnarok est palpitant ne trouves-tu pas ? Les nouvelles arènes, les combats particuliers… Ils sont tous intéressant à observer.
- Je ne peux que tomber d’accord avec vous seigneur Zeus, cependant votre ton ne semble pas coïncider avec vos paroles.
- Evidemment, ça a beau être intéressant, je préfère très clairement voir des combats directs, les stratégies, les énigmes, c’est bien beau tout ça, mais ça a je troue bien moins de charme que des vrais combats.
- Vous m’en voyez désolé, mais le thème des prochains combats ne semble pas non plus particulièrement propice à des affrontements plus classiques… Enfin bon, nous pouvons être étonnés.
Le doyen soupira bruyamment, visiblement ennuyé. Il ne voulait pas l’admettre mais une des autres raisons de son agacement, c’était bien le fait qu’il ne pouvait pas se battre durant ce Ragnarok ci. Après quelques instants, toujours dans son bureau, le dieu sentait la sueur lui perler le long du front, son souffle s’alourdir.
- Dis moi Hermès, ce n’est qu’une impression ou la température ici ne fait que s’empirer de minutes en minute, c’est une vraie fournaise.
- Je dois admettre que comparé à Helheim la chaleur est moins étouffante mais en effet… Le thermomètre semble s’emballer à toute allure.
- Va ouvrir la fenêtre veux-tu.
Sans demander son reste, le majordome s’approcha de la grande fenêtre pour ouvrir cette dernière. La chaleur ne fit qu’augmenter davantage, le soleil lui même semblait prêt à frapper et agresser tout ceux qui daignaient être sur son passage. La stature particulièrement droite, Hermès observa l’oiseau coloré se poser sur la rambarde du balcon.
- Seigneur Quetzalcoatl, vous venez vous enquérir de quelques informations sur votre combat ?
Un peu plus loin depuis l’intérieur de la pièce, le vieillard haussa la voix.
- Ah Quetzalcoatl ! C’est toi cette foutue chaleur, veux-tu baisser un peu la température ? Tu n’as pas besoin d’essayer de te montrer plus impressionnant que tu ne l’es !
L’oiseau se mit à briller, une silhouette svelte et relativement petite était assise sur le garde corps, s’amusant à balancer les pieds. Quetzalcoatl était bien loin du gigantesque serpent plumé qu’on décrivait dans chaque mythe. Sa peau était foncée, son corps fin et souple, une gigantesque épée aztèque lui était attachée au dos. On se demandait comment un être aussi chétif pouvait porter et manier une arme aussi titanesque. Le jeune homme au cheveux noir remit quelques mèches en arrière, son visage était particulièrement expressif et joyeux.
- Compris, compris ! Je baisse un peu la température ! Je venais juste vous voir pour savoir si le marché était toujours d’actualité !
Le dieu grec finit par apparaître lui aussi sur le balcon, les deux mains dans le dos. Zeus observa quelques instants le dieu aztèque qui se trouvait face à lui.
- Rien n’a changé Quetzalcoatl, garantir une récompense particulière était le seul moyen pour te convaincre toi comme cet humain de combattre. Et il aurait été fort dommage de ne pas vous voir vous affronter lors du ragnarok.
Le dieu solaire hocha vivement la tête en guise de réponse, il ne pouvait qu’être d’accord avec le jugement du vieux dieu grec. Après quelques instants, le nouveau venu plongea ses grands yeux verts et malicieux dans le regard de son aîné.
- Chez moi je suis le dieu du soleil, de la sagesse, de l’intelligence… Bref, de beaucoup de choses et j’ai entendu dire que cet humain était un de ceux vous ayant donné le plus de fil à retordre à l’époque, donc j’étais un peu curieux.
Zeus soupira légèrement avant de s’asseoir.
- C’est une vieille histoire, je préfère laisser Hermès te la raconter.
Le dieu en costume s’inclina légèrement avant de s’asseoir à son tour, observant le dieu serpentin qui l’observait avec grande hâte et grande attention.
- il y a quelques millénaires, nous étions encore directement impliqués dans les événements de l’humanité, notre zone d’action, la Grèce, était sujette à de nombreuses guerres, et comme les combats entre dieux étaient déjà interdits à l’époque… Nombreux étaient les dieux à choisir un humain ou à se lier à une humaine pour créer fils et filles. Ensuite, c’était presque comme une partie d’échecs. Thésée, fils de Poséidon, Énée, fils d’Aphrodite, Achille, fils de Thétis… Beaucoup des grands héros grecs sont fils de dieux, déesses et autres être hors du commun. Tous sauf deux en particulier, Ulysse et Hector. Et voir deux mortels affronter sur un pied d’égalité des demi-dieux et autres héros était un problème à part entière. Hector fut tué par Achille, mais Ulysse lui… Renversa la guerre et réussit à quitter la ville. Dix années de lutte contre Poséidon, nous n’avions pas le droit d’agir directement face aux humains, et ça, Ulysse le savait très bien, il en jouait. Jamais de notre histoire nous n’avions rencontré adversaire si difficile et si rusé, si bien qu’encore aujourd’hui, Ulysse est le seul humain à avoir réussi à nous échapper.
Particulièrement attentif, le dieu solaire hochait vivement la tête en silence à chaque explication d’Hermès. Son adversaire était donc un personnage complexe et retors. Le dieu serpent sembla pensif, après quelques instants, ce dernier se hissa sur ses jambes avant de marcher légèrement.
- Moi je suis moins malin, je préfère foncer directement dans le tas… Je suis très curieux de savoir laquelle de nos deux méthodes s’avérera être la plus fonctionnelle ! En tout cas merci de vos explications, je comprends un peu mieux le personnage que je dois affronter désormais ! J’espère que vous ne raterez pas ce combat !
Sans explications supplémentaires, le dieu reprit une apparence d’oiseau et s’envola comme il était venu, une vraie tempête qui emmenait tout sur son passage sans se soucier du monde qui l’entourait.
Dans sa chambre, Ulysse discutait avec sa valkyrie et élaborait certaines plans pour s’assurer la victoire. Le héros grec révisait encore et encore, les plans de Sun Tzu par dessous le bras, sa valkyrie se mit à bailler
- Ulysse je veux bien t’aider pour tes recherches mais à un moment il faudra bien que nous dormions, le combat commencera demain dans l’après midi, nous avons besoin de force, et de toute manière connaître par cœur les mythes de Quetzalcoatl ne nous aidera pas, on n’est même pas sûrs de leur véracité ici. Les dieux aztèques ont un statut bien particulier au valhalla.
- Je le sais bien, mais tu vois… Même si ces mythes sont faux, je pense que c’est intéressant de les étudier un tant soit peu. Tu connais le dicton après tout, dans chaque mensonge se cache une part de vérité. De ce que je lis en tout cas, je suis heureux de ne pas avoir à affronter directement ce dieu.
- Quetzalcoatl est loin d’être un adversaire facile en effet, c’est un dieu qu’on voit relativement rarement, mais c’est un dieu qui a le don de faire parler de lui quoi qu’il fasse et ou qu’il passe. Exubérant, joyeux, extraverti, ce n’est pas un dieu du soleil pour rien, quoi qu’il fasse, partout il aille il semble illuminer la pièce. Et pourtant… Même en se comportant comme ça, il ne semble pas moins étrange, c’est comme s’il cachait en permanence quelque chose au monde. Enfin… Je dis ça mais je suis relativement jeune, je ne l’ai vu que quelques fois !
- On dit souvent que la première impression est toujours la bonne. En tout cas, ce dieu m’intéresse beaucoup ! J’ai hâte de l’affronter !
Chapter 42: Compter les moutons
Summary:
Les deux combattants ont tout deux une demande bien particulière à l'issue de leur combat, qu'est ce qui a bien pu motiver les deux guerriers à rejoindre le tournoi ?
Chapter Text
Ulysse fut réveillé par les premiers rayons du soleil, l’astre infiltrait sa lumière par les interstices des volets de chambre, la lueur venait barrer le visage de l’humain ; dans un grognement un peu rauque, Ulysse essaya de chasser l’insecte qui l’ennuyait avant de réaliser que la chaleur sur sa main était celle du soleil.
Entouré par les centaines de documents éparpillés ça et là sur le lit, l’humain regarda une dernière fois les myriades d’éléments empilés dans sa chambre, qu’il s’agisse de livres comme de babioles de tous âges et de toutes époques. Certains rouleaux étaient grossièrement empilés, des petits pendules et compas se promenaient sur les tables, de nombreux vêtements froissés et un nécessaire de toilette en pagaille l’attendaient.
Ulysse se leva finalement avant de se diriger vers le miroir, observant ses traits quelques instants, l’homme plongea les mains dans une eau tiède et s’aspergea abondamment le visage avant de s’étirer longuement. Le matin était seulement arrivé, il avait dû dormir quelques heures tout au plus, cependant il ne se sentait plus fatigué, il désirait simplement se pencher une dernière fois sur le moindre élément que pouvait cacher son futur ennemi.
La valkyrie dans un lit un peu plus en retrait se réveilla à son tour avant de se diriger tranquillement vers son partenaire. La guerrière possédait des cheveux blonds comme les blés, des yeux verts comme l’émeraude, la demoiselle avait adopté un style bien plus proche de celui des Grecs que ses autres sœurs. Une couronne d’olivier venait cercler sa tête, ses poignets blancs et fins étaient affublés d’épais bracelets dorés. Sa longue robe blanche l’approchait bien plus d’une apparence divine que d’une apparence humaine. Les lèvres légèrement rosées de la demoiselle s’ouvrirent pour la laisser parler.
- Ulysse, nous devrions manger avant de partir au combat, ne penses-tu pas ?
Le combattant déjà à moitié prit par ses recherche se retourna avant de hocher la tête.
- Oui… Tu as raison, pardonne-moi, ce combat me tend légèrement.
Elle le savait, elle l’avait remarqué, l’humain tremblait quelque peu, même le plus grand des aventuriers pouvait s’inquiéter de la suite des événements, même l’homme ayant bravé l’odyssée était capable de s’inquiéter, lui qui pourtant avait sans doute déjà tout vu.
Dans les appartements du dieu aztèque, le dieu solaire se réveilla avec grande hâte, relativement pressé, ce dernier ne prit même pas soin d’observer sa chambre de la ranger ou de faire quoi que ce soit ; il piétina quelques objets sur son chemin avant de quitter la pièce, son épée prise à la hâte. Quetzalcoatl se hâta dans les couloirs avant d’appeler quelqu’un.
- Tezca’ ! Je vais déjeuner, tu viens ?!
Un homme à l’allure lugubre, arborant un costume trois pièce et des gants blancs apparut derrière le dieu et fit une légère courbette.
- Seigneur Quetzalcoatl… Je suis au grand regret de vous rappeler que votre cher frère nous a quitté il y a maintenant bien des années.
Le dieu serpent leva les yeux au ciel, l’air pensif et se mit à rire légèrement.
- J’avais oublié ! A cause de l’excitation de mon combat et de mon souhait c’était comme s’il était toujours là !
Sans s’attarder davantage le dieu du soleil quitta le corridor pour commencer son repas. Les deux futurs combattants articulaient leur matinée en vue de leur futur combat du mieux qu’ils pouvaient, ils le savaient, un des deux ne verrait sans doute pas le soleil se lever à nouveau le lendemain.
L’après midi vint, Ulysse arborait une tunique parsemée de quelques ferrures en guise de protection. Il n’avait sous aucun prétexte laissé de côté ses nombreuses sacoches toutes remplies d’éléments les plus étranges les uns que les autres. La longue cape du guerrier lui servait sans doute à dissimuler d’autres surprises que sa tenue réservait à son adversaire. Sa valkyrie avait disparu, seule une dague à l’allure bien plus scintillante que celle de l’homme subsistait accrochée à sa ceinture. La lumière au bout du couloir empêchait de correctement observer et voir ce qui attendait les combattants, Ulysse marcha sans hésiter et traversa le rideau lumineux, tombant droit sur une grande arène ouverte. Les dieux s’étaient montrés fort ingénieux et avaient donné une forme d’amphithéâtre à l’arène, laissait une partie de cette dernière totalement ouverte à la nature. Sans un bruit, l’humain s’approcha de l’estrade et monta de son côté de la rampe.
Ulysse détourna curieusement les yeux vers la deuxième personne présente sur l’arène, en effet le dieu Quetzalcoatl était très différent des descriptions faites dans les livres décrivant ses exploits. La figure divine était plus petite que l’humain, plus svelte, Ulysse lui accordait volontiers des traits animaux, de sa stature à son attitude qui semblait être celle d’une bête sauvage alerte et curieuse, ce dieu était particulièrement étrange. Lorsque les grands yeux verts du dieu rencontrèrent ceux de l’humain ce dernier ne put s’empêcher d’agiter la main pour le saluer avec grande joie, Ulysse le mima après quelques instants d’hésitation, ce dieu était définitivement bizarre.
Un épais rideau fut tiré, cachant les deux figures, Heimdall apparut tout d’un coup devant le rideau, son Gjallahorn en main, le dieu nordique était prêt à commenter un nouveau combat. Après quelques secondes, la fumée s’estompant petit à petit, sa voix rugit à travers le public.
- Chers amis ! Mesdames et messieurs ! L’humanité a commis l’impensable ! Ces derniers ont réussi à venir à bout d’une grande divinité mésopotamienne, qui les en aurait cru capables ?! Et pourtant… L’humain que je m’apprête à vous présenter est sans doute un de ceux les plus redoutés par les dieux… Les derniers combats de ce Ragnarok ne vous réservent plus que les humains les plus terrifiants ! Louis Pasteur, le légendaire chercheur capable de décimer un continent entier avec une bactérie… Salomon, le seul homme qui obligea les dieux à le traiter comme un égal de son vivant… Diogène, l’humain décrit comme l’homme le plus aimé des dieux et enfin… Celui le plus craint, le seul homme ayant réussi à échapper à l’impitoyable Poséidon, l’humain le plus détesté de l’histoire du Valhalla… De Charybde en Scylla, face aux sirènes, face aux demi-dieux, face au cyclope… Mesdames et messieurs ! Ulysse !
Une partie du rideau se releva, révélant la figure de l’humain qui attendait bras croisés, déjà concentré sur son combat, essayant de repérer le moindre détail pouvant lui être utile. L’humanité applaudit de toutes ses forces tandis que les huées des dieux venaient essayer de masquer les clameurs, décidément, même après plusieurs millénaires, ces derniers le détestaient toujours. Heimdall attendit quelques instants le retour du silence avant de reprendre.
- Du côté des dieux, personne n’est en reste ! Ishtar la déesse suprême mésopotamienne ! Asclépios, le créateur de la médecine ! Sun Wukong, le dieu le plus craint du Valhalla ! Et enfin… Dernier membre de son clan encore en vie, dieu aux facettes multiples, connu pour sa bonne humeur et ses frasques toutes plus incongrues qu’impressionnantes ! Quetzalcoatl !
La deuxième partie du rideau s’ouvrit, laissant place au dieu oiseau-serpent qui levait les bras et les agitait pour saluer la foule en délire. Beaucoup n’avaient encore jamais vu le dieu aztèque, et pourtant, même malgré son apparence juvénile, tous ressentaient déjà la puissance qui entourait le dieu solaire.
Heimdall se prépara une dernière fois, approchant à nouveau son haut-parleur de la bouche.
- Permettez moi de vous expliquer les règles de cette rencontre ! Si cette apparence de théâtre vous semble étrange, il y a une très bonne raison ! Trois tours, c’est la durée de ce combat ! À chaque tour, une prouesse et une aventure d’un des deux combattants sera choisie ! Il ne s’agit pas d’une recréation historique fidèle ! Chacun des combattants obtiendra un rôle à jouer et un objectif à accomplir, interdiction de tuer l’autre directement ! Ce combat est spécial pour une deuxième raison, le combattant victorieux se verra offrir un vœu de son choix ! Pour cette raison… Je vais vous demander votre vœu avant le combat, ce dernier peut encore changer d’ici la fin ! Commençons par Ulysse, que désirez vous ?
- Je ne demanderai qu’une chose. L’abolition de la loi de mémoire.
Quelques interrogations se soulevèrent au sein du public, Heimdall fit couper net ces discussions en expliquant cette loi aux humains comme aux dieux.
- Comme vous le savez, chaque âme défunte se trouve au Valhalla. Enfin, c’est un abus de langage… Lorsqu’une personne meurt, son âme revient au Valhalla. De nouvelles âmes sont-elles créées ? Peu en réalité ! Lorsque le temps est estimé juste, une âme du Valhalla est envoyé en Nilfheim ou elle sera renvoyée sur Midgard une fois épurée de tous souvenirs ! Cependant… Tant qu’un vivant se souvient de vous… Votre âme est obligée de rester au Valhalla !
Les voix commencèrent à chuchoter et débattre à nouveau, Zeus finit lui même par couper la discussion en s’avançant sur l’estrade pour prendre parole.
- Vous avez bien entendu. Ulysse a demandé l’abolition de cette loi. Ce qui veut dire que dès qu’une âme voudra quitter le Valhalla, elle en sera désormais capable.
Le vieil homme se retourna vers l’humain, un léger sourire sur le visage ; en guise de réponse Ulysse hocha simplement la tête, le doyen des dieux grecs avait bien résumé la situation. Heimdall une fois l’événement terminé porta un microphone vers Quetzalcoatl.
- Et vous seigneur Quetzalcoatl, quel est votre souhait ?
- Je veux entamer le nouveau cycle dès maintenant.
Toujours dans son sourire caractéristique, le dieu reporta son regard vers Heimdall, attendant simplement que ce dernier explique la situation au public, le dieu nordique hocha légèrement la tête avant de se retourner vers les gradins.
- Cher public… Les dieux aztèques sont les garants du temps et de sa continuité via leurs calendriers. Lorsque le dernier dieu aztèque meurt, un nouveau calendrier débute, tous reviennent à la vie, et un nouveau cycle débute. Cependant, chaque cycle se termine par la mort d’un soleil et chaque cycle débute par la création d’un nouvel astre.
Le dieu se contenta de hocher la tête avec un grand sourire, les gradins commençaient à paniquer, la mort d’un soleil… ça voulait dire la mort de toute forme de vie, il était prêt à condamner toute vie sur la planète pour faire revenir sa famille ? Les huées commençaient à monter petit à petit, le dieu répondit simplement en faisant un léger signe de main, peu dérangé par la rage du public.
Heimdall se retourna, le commentateur était prêt à assumer sa responsabilité jusqu’au bout, Zeus encore présent sur l’estrade par sa présence faisait bien comprendre que nul dieu ne pourrait venir s’opposer à cet affrontement ou perturber le cours de ce dernier. L’humain comme le dieu s’étaient retournés face à la vaste plaine qui attendait leurs futures aventures. Heimdall ponctua son introduction et ses explications.
- Votre rôle et votre objectif seront inconnus de l’adversaire, gardez bien en tête que vous pouvez lui révéler, lui mentir, tout est possible pour la victoire, tout sauf l’attaquer directement. Le tirage de l’aventure va être effectué, êtes vous prêts ?
À l’unisson, l’humain comme le dieu répondirent.
- Oui !
Une machine de loterie gigantesque apparut sur l’estrade, les boules se mélangeaient les unes aux autres, au bout de quelques instants, une d’entre elle roula jusqu’à la sortie, le dieu messager la saisit pour lire à haute voix.
- Cette aventure sera donc Ulysse contre le cyclope !
Ulysse se sentit légèrement tressaillir au moment de l’annonce du combat, de nombreux événements et combats l’avaient éreinté, l’avaient terrorisé et pourtant, celui ci gardait un goût amer, celui d’un échec et d’une négligence. Le héros grec posa sa main dans une des pochettes et y sentit le fameux papier délivré par les dieux, quel allait être son rôle et qu’était-il sensé accomplir pour pouvoir l’emporter ?
Quetzalcoatl vit l’humain froncer les sourcils au moment de déplier et lire le contenu du papier, il n’avait sans doute pas hérité d’un rôle qui lui plaisait ou lui convenait, bien au contraire. Le dieu saisit à son tour le papier qui s’était coincé entre deux plumes de ses habits et lut le contenu.
« Tu seras un des autres cyclopes de l’île, ton objectif est de trouver un moyen de rendre la vue à Polyphème. »
Le dieu soupira légèrement, si son rôle n’était pas le plus difficile, l’objectif quant à lui se montrait quasiment impossible. Ulysse quant à lui se mit à soupirer lourdement, l’aventurier avait reprit son calme et s’était assit contre un arbre, pensif. Comment le guerrier Ulysse, le roi d’Ithaque allait réussir un tel exploit ?
« Tu seras un des mouton de Polyphème, ton objectif est de tuer ton maître. »
Un bruit de cloche retentit et Ulysse reconnu un paysage qu’il aurait préféré oublier. Des immenses et verts pâturages, une montagne abrupte parsemée de nombreuses grottes, des carrures gigantesques qui marchaient en faisant trembler le sol. Ces paysages luxuriant, cette île de démesure, il n’y avait aucun doute, il était bien retourné sur l’île du maudit cyclope. L’humain se hâta vers la grotte qui cachait la demeure de Polyphème, une gigantesque main stoppa net le guerrier dans son élan et le jeta au milieu du troupeau, l’atroce voix retentit.
- Hep là mon petit gars, tu restes avec les autres si tu ne veux pas finir à la casserole ce soir
.
Ulysse s’arrêta quelques instants, jamais Polyphème ne se serait montré aussi agréable et avenant avec des humains. Après tout il se souvenait encore des atroces bruits de craquements que faisaient les os de ses camarades quand le cyclope les avait dévorés. Il se devait pourtant d’aller prévenir ses compagnons, qu’il ne fallait pas aller dans cette grotte, sous aucun prétexte ; tant pis, il hurlerait assez fort pour qu’on l’entende. Prenant une grande inspiration, de toutes ses forces, Ulysse hurla :
« N’allez pas dans la grotte le cyclope vous dévorera ! »
Malheureusement pour Ulysse, le seul son qui parvint à sortir de sa gorge fut un bêlement particulièrement sonore et puissant, attirant l’attention de Polyphème qui observa le mouton, légèrement amusé.
- Bah qu’est ce qui t’arrive mon gars, tu t’es fait mal quand je t’ai jeté un peu plus tôt ?
Ulysse réalisa seulement à ce moment sa situation. Il était condamné à jouer un rôle dans une pièce, il était devenu le mouton. Rien n’était vrai, tout ça n’était qu’une mascarade, et pourtant l’illusion était parfaite. Ulysse était devenu un des moutons de Polyphème et son rôle était de tuer le cyclope.
Du côté du dieu aztèque, la situation était plus amusante bien que légèrement préoccupante. Le dieu serpent comprit assez vite sa situation, Quetzalcoatl s’était réveillé aux abords d’une rivière et avait vu sa nouvelle apparence dans les reflets de l’eau, le dieu du soleil observa longuement ses immenses mains et se retourna vers l’orée de la forêt, il avait très vite compris son objectif, il devait trouver un moyen de soigner l’œil de Polyphème avant la fin de l’aventure. La vraie difficulté de ce défi, ce n’était pas de soigner le cyclope, c’était le temps imparti, il devait y arriver avant le départ d’Ulysse, signant la fin de son aventure.
Cependant, une information crucial manquait au dieu, le temps restant avant que Ulysse ne vienne sur l’île et rende le cyclope à jamais aveugle. Au bord de la rivière, Quetzalcoatl réfléchissait, les cyclopes n’avaient aucun procédé leur permettant de dater précisément les événements, et de toute manière l’aventure d’Ulysse n’avait pas non plus été datée précisément, il était impossible de savoir quand frapperaient les humains. Une nouvelle réalisation vint frapper le dieu qui se demandait de plus en plus s’il avait obtenu un bon rôle. Aider Polyphème et le soigner, il voulait bien le faire, mais avant toute chose il devait le trouver, et le dieu solaire n’avait encore jamais vu le cyclope ni à quoi ce dernier était censé ressembler.
Le dieu sous sa nouvelle enveloppe se releva avant de quitter la fameuse rivière et de commencer à rejoindre un petit chemin de terre, il devait à tout prix trouver quelqu’un qui serait prêt à l’aiguiller et l’aider, aussi bien pour trouver Polyphème que pour trouver un moyen de soigner l’œil de ce dernier. Arrivant face à un cyclope qui se promenait, Quetzalcoatl l’interpella.
- Holà l’ami ! Excuse-moi, je cherche la demeure de mon ami Polyphème, ne saurais-tu pas où elle se trouve ?
- C’est la grotte en face de la prairie, celle vers le grand rocher en forme d’amphore, tu ne peux pas la rater.
- Parfait, tu m’aides grandement, mais permets moi de te déranger un peu plus ! Je vois assez mal à cause d’une bestiole qui m’est rentrée dans l’œil un peu plus tôt… Tu ne sais pas ou je pourrais faire soigner ça ?
- Ah pour sûr que si ! Il faut aller voir le vieil apothicaire Phalamine, il devrait avoir des herbes pour ça, c’est la troisième grotte en face de la plage, celle avec des barrières qui protègent des plants d’herbes.
- C’est très aimable à toi de m’aider l’ami ! Je te revaudrai ça, je ne te dérange pas plus longtemps, je dois me hâter pour qu’on m’enlève cette vilaine bête !
Sans demander son reste et sans prendre plus du temps du cyclope inconnu, Quetzalcoatl se dirigea en toute hâte vers le domaine du vieux soigneur. Il ne savait pas si ce dernier avait un moyen ou serait capable de trouver un moyen de guérir la blessure de Polyphème ; mais avant même d’espérer avoir un plan, le dieu était bien obligé de regrouper le plus d’informations disponibles pour pouvoir aviser par la suite. Après quelques instants de marche vers la plage, le combattant reconnu finalement les fameuses barrières qui venaient protéger les herbes, il s’avança vers l’entrée de la grotte avant d’appeler.
- Phalamine ! Vous êtes là ?
Ulysse réfléchissait au meilleur moyen de se rebeller et de tuer l’affreux cyclope. Le combattant essayait déjà de communiquer avec les autres moutons pour persuader ces derniers de se rebeller et de s’attaquer à leur berger. Impossible, aucune réaction, chaque animal regardait le combattant avec des yeux vides et se remettait à brouter de l’herbe, contents de leurs sorts. Ulysse allait devoir trouver un autre moyen de venir à bout de cette tâche, son plan original était on ne peut plus simple, attirer le cyclope vers une des corniches et de le faire tomber, espérant que son poids gargantuesque l’empalerait sur les roches escarpées en contrebas. Plusieurs soucis cependant gênaient l’objectif du combattant, le premier était le manque d’informations. Où était Quetzalcoatl, quel était son rôle et surtout, quel était son objectif ? Ce dernier aurait très bien pu être un autre mouton qui lui devait réussir à empêcher les Grecs de sortir de la grotte, ou bien il aurait pu jouer lui même le rôle d’Ulysse. Le guerrier humain réfléchissait du mieux qu’il pouvait, il était inconcevable à ses yeux que le guerrier divin soit un des moutons, vu ses actions précédentes, un mouton aurait sans doute changé d’attitude du tout au tout ; il était également impossible que son ennemi endosse le rôle de Polyphème, les actions d’Ulysse avaient été bien trop spécifiques pour ne pas alerter l’adversaire. La valkyrie de l’humain se mit à lui parler.
- Ulysse, as-tu repris tes esprits ? La vision de ce paysage et de ce cyclope semblait t’avoir déconnecté de toute réalité.
Heureusement pour l’humain, la communication interne via l’entremêlement des deux âmes lui permettait de dialoguer avec sa valkyrie.
- Oui, tout va bien, excuse-moi, j’ai perdu mon calme l’espace d’un instant. Il faut trouver un moyen de le tuer, même si le troupeau le piétine je ne pense pas qu’on puisse venir à bout de ce monstre…
- ça me semble en effet particulièrement difficile, cependant, n’oublie pas certaines informations… Tu possèdes encore ma dague cachée dans ta laine, et l’autre Ulysse rendra le cyclope aveugle, tout du moins il endormira Polyphème à l’aide d’un tonneau de vin… Tu peux essayer de le tuer dans son sommeil.
Ulysse demeura silencieux quelques instants, ce plan lui paraissait particulièrement faisable, un problème subsistait cependant. Il n’avait aucune idée de qui était Quetzalcoatl et qu’est ce que ce dernier était censé faire pour remporter cet affrontement. Peut-être même pouvait-il réussir à renverser et remporter cette manche sans avoir besoin d’attendre l’intervention des quelques grecs dans la grotte.
Faute de mieux, Ulysse accepta ce plan en recours final, en attendant il se décarcasserait à trouver un plan plus efficace et surtout plus rapidement réalisable, l’information demeurait le nerf de la guerre.
Un grand cyclope sortit de la grotte pour arriver à la rencontre de Quetzalcoatl, Phalamine avait une apparence clairement différente de celle de ses confrères. Le cyclope s’était laissé pousser une barbe grisonnante, une toge et une paire de sandales de cuir venaient l’habiller. Là ou la majorité de cette tribu s’était affublée de peaux de bêtes et s’aventurait pieds nu, le médecin avait opté pour cette apparence bien plus proche de celle des humains et surtout bien plus cérémonieuse. Le vieillard s’approcha légèrement, droit et ferme.
- Que me veux-tu ? Tu ne sembles pas blessé.
- Rien de grave à signaler, cependant quelque chose m’a foncé dans l’œil, j’ai essayé de m’en débarrasser à l’aide de la rivière mais impossible ! Je ne sais pas ce que c’est mais je vois mal et ça fait un mal de chien.
- Bon… Viens donc, je vais voir ce que je peux faire.
Le médecin fit venir et installer son nouveau patient à l’air libre, il avait besoin de lumière pour correctement observer le globe oculaire du blessé. Pendant quelques instants Phalamine observa et chercha dans l’œil de Quetzalcoatl sans rien trouver.
- M’as-tu menti, je ne trouve rien dans ton œil.
- Pourtant non ! J’ai bien senti quelque chose y entrer !
- Humpf… Il semblerait en tout cas que ça ne soit plus là, tes douleurs sont dues à l’irritation, tu as trop aspergé ton œil d’eau et tu as trop frotté, il est irrité. Prends ces herbes, utilise un mortier et mélange les à du lait, tu appliqueras le contenu sur tes paupières, la douleur disparaîtra et tu éviteras les infections.
- Merci Phalamine, vous êtes un sauveur, mais je me posais une question… Si je venais à perdre la vue ou si un choc venait à me crever l’œil, y’aurait-il un moyen de m’en sortir tout de même ?
- Un moyen de retrouver la vue ? Certainement pas, ce qui est perdu est perdu, lorsque tu perds un bras, penses-tu sincèrement pouvoir le faire repousser ? Un œil c’est pareil, c’est bien pour ça que nous devons faire attention.
Un léger rictus se dessina sur le visage du combattant divin, cette réponse le déplaisait, lui avait-on assigné une tâche impossible ? Le papier lui donnait bien comme objectif de faire retrouver la vue à Polyphème, mais est-ce qu’empêcher ce dernier de la perdre suffirait ? Après de longues délibérations et voyant le docteur ranger ses quelques ustensiles, prêt à partir, Quetzalcoatl l’interpella à nouveau.
- Imaginons… qu’au lieu de soigner l’œil, nous le remplacions… Tu penses cela possible ? Admettons que nous prenions l’œil d’un bœuf, on pourrait remplacer l’ancien organe.
- Quand bien même ce serait possible, premièrement nous ne sommes pas les mêmes êtres, je ne pense pas que son œil fonctionnerait, mais le plus gros problème… C’est la taille. Notre œil est bien plus gros que celui d’un bœuf, les deux pièces ne coïncident pas.
- D’accord… Mais admettons qu’au lieu de faire ça avec un animal… Nous le faisions avec un autre cyclope, cela serait-il possible ?
- Personne ne prendrait pari aussi risqué ! Nous n’avons aucune garantie que ça fonctionnerait et ça reviendrait à rendre une autre personne aveugle pour peut-être n’avoir aucun résultat.
Quetzalcoatl sembla réfléchir un long moment, laissant échapper un simple mot.
- Personne hein…
Le dieu releva la tête avant de sourire au médecin.
- Je te remercie encore Phalamine ! Je ferai attention, merci d’avoir pris de ton temps !
Et sans demander son reste, le dieu disparu.
Chapter 43: Le poids des années
Summary:
Le combat entre Ulysse et Quetzalcoatl s'agite, qu'est ce qui motive l'humain à faire un tel souhait ?!
Chapter Text
Ulysse se secoua pour retirer les quelques brindilles et autres branchages coincés dans sa laine, le mouton observa un instant le sol jonché de multiples objets qui avaient été soit récoltés à partir de sa laine, soit qu’il avait lui même récupérés. Rien ne ressortait, même s’il était nettement plus imposant que des moutons normaux, il n’en restait pas moins un pauvre herbivore face à un monstre bien plus grand et fort que lui, de vulgaires petits branchages ne suffiraient pas à l’emporter ou à affecter le cyclope. Ulysse réfléchissait du mieux qu’il pouvait, une de ses solutions était de faire un piège et de faire semblant de se perdre afin que Polyphème parte à sa recherche dans les bois et se jette droit dans la gueule du loup.
Muré dans ses réflexions, Ulysse pesait doucement le pour et le contre de chacune de ses décisions. Le premier point et le plus évident, c’est qu’il allait lui être clairement impossible de construire un piège, les moutons n’ont pas de pouces opposables, manipuler des cordages, pierres et autres collets était chose impossible.
La deuxième solution, sans doute plus aisée et envisageable était de creuser un trou et de le recouvrir de branchages et autres feuillages. Seulement voilà, Polyphème restait gigantesque, jusqu’à quelle profondeur fallait-il creuser pour espérer que le cyclope se retrouve emprisonné. Si on estimait la taille du géant, ce dernier dépassait aisément les quatre mètres, ajoutons-y la taille de ses bras tendus et il devait pouvoir atteindre les six mètres de hauteur. Par sûreté et pour éviter que le monstre puisse sauter pour se cramponner à l’extérieur, il fallait au moins creuser un trou de huit mètres de profondeur. Un trou de cette profondeur prendrait à lui seul une journée entière à un groupe d’humains, pour un mouton seul, inapte à extraire les roches ou à les percer, il y en aurait pour plusieurs mois, dans tous les cas, cette solution était inenvisageable.
Enfin, le troisième point surgit comme un éclair dans l’esprit d’Ulysse, ce dernier s’était tout à coup souvenu de sa situation et condition actuelle ; il était un mouton à l’orée d’une forêt, les loups sont légion, surtout en cette région du monde, le pauvre humain emprisonné dans cette chair de bétail était une proie de choix pour les prédateurs et les meutes environnantes. Le roi grec s’était mis dans une position particulièrement fâcheuse sans en avoir réelle conscience.
Depuis les gradins, aucun spectateur ne savait qui était qui dans cette étrange revisite d’une légende humaine. Nombreux pariaient sur l’identité des deux combattants, un homme tout particulier faisait s’écarter les gens tant par son odeur que par son attitude, après quelques instant, reniflant et se mouchant dans ses habits Diogène s’assit à côté de Göll.
- Alors, tu as compris qui était qui ou pas encore ?
- J’ai quelques idées, je pense que Ulysse a pris le rôle du matelot qui conseille l’autre Ulysse particulièrement souvent, il a l’air drôlement impliqué. Quant à Quetzalcoatl, il a dû faire une mauvaise pioche et est ce mouton égaré, il n’y a que lui pour s’agiter à ce point.
Après un rire gras et épais, le philosophe grec toujours aussi désagréable corrigea la demoiselle.
- Tu es presque maline, mais ce n’est pas ça. Quetz… Machin là, c’est le cyclope qu’était chez le docteur, il a une démarche particulière par rapport aux autres ; il manque de se cogner partout à cause de sa taille et de son œil unique qui gêne l’appréciation des distances… Mais le plus gros indice c’est qu’il ne s’arrête pas de sourire et a l’air de s’amuser comme un petit fou.
La valkyrie s’apprêtait à reprendre et fustiger verbalement le philosophe avant de se rendre compte que son jugement était non seulement sensé mais également bien senti et potentiellement correct. Silencieuse, elle l’observa, espérant que ce dernier poursuive ses explications, l’humain continua tranquillement
- Quand tu as dit que le mouton c’était le dieu, tu avais presque raison, il y a bien quelqu’un dedans, et ce quelqu’un c’est Ulysse. Le fameux matelot dont tu parles c’est le capitaine, il se fait tuer par le cyclope un peu plus tard mais ça reste un membre proactif du groupe, il aidait et conseillait beaucoup Ulysse. Par contre ce mouton, il n’y a que Ulysse pour s’agiter autant avant de se figer pendant dix minutes sans bouger, uniquement pour réfléchir.
Goll hocha simplement la tête, les analyses de Diogène semblaient parfaites, malgré son comportement ouvertement hostile et provocateur, le philosophe restait un des meilleurs combattants du camp humain. L’homme se mit à bailler avant d’étirer les bras derrière la tête, manquant de s’endormir, à demi conscient, il fit une dernière annonce.
- C’est Ulysse qui va gagner ce premier affrontement.
La valkyrie écarquilla légèrement les yeux, comment Ulysse pouvait même espérer gagner cet affrontement en étant un mouton, de plus Diogène même s’il avait deviné l’identité des deux combattants n’avait aucune idée de la tâche qui leur avait été attribuée.
Quetzalcoatl se dirigeait tranquillement vers la demeure de Polyphème, la tâche était claire, le dieu devait trouver un moyen de soigner la cécité du cyclope, tout en marchant le dieu solaire réfléchissait et se posait une question bien particulière vis à vis de la nature de cet affrontement.
- Ok on ne peut pas tuer notre adversaire ou essayer de le tuer… Mais les organisateurs ont bien imaginé un cas de figure ou ni l’un ni l’autre n’arrive à accomplir son défi, dans ce cas là, que se passe-t-il…
La voix d’Heimdall retentit au travers de l’arène, des petits mouchards étaient rattachés aux deux combattants pour suivre plus efficacement leurs déplacements et leurs actions sans divulguer leur identité ou leur objectif au public.
- Excellente question de la part du dieu solaire ! Cher public, vous vous êtes sans doute vous aussi posé la question… Que se passe-t-il si aucun des deux combattants ne parvient pas à triompher de son objectif ? Eh bien le round est tout bonnement annulé et les deux combattants reçoivent un malus ! Le malus peut avoir plusieurs formes, soit une blessure, soit le combattant adverse obtient un indice lors du prochain round ou enfin… vos objectifs et rôles seront plus compliqués !
Ulysse soupira au moment d’entendre l’annonce d’Heimdall, une des solutions du grec était d’espérer le statu quo, cependant ce dernier préférait ne prendre aucun risque et ne donner aucune chance à son adversaire, il fallait l’emporter.
Quetzalcoatl poursuivait sa marche vers la demeure du cyclope tout en réfléchissant à l’annonce du dieu nordique. Le dieu se demandait si certains défis étaient volontairement irréalisables pour pimenter l’issue du combat, si seulement il savait quelle était la situation d’Ulysse et ou en était l’avancement des plans de ce dernier, il pourrait répondre, cependant, tout lui était étranger.
Le dieu solaire s’approchait peu à peu de la demeure de Polyphème et reconnu enfin le rocher en forme d’amphore, fallait-il essayer d’interpeller et discuter avec le géant ? Pensif, Quetzalcoatl observa la scène à distance raisonnable, ses pensées cliquetant dans son esprit
« Ulysse a l’avantage du terrain, il sait naturellement ce qui s’est passé et ne s’est pas passé ce jour là, s’il est dans les parages et voit tout un coup un cyclope s’adresser à Polyphème, ça reviendrait à révéler mon identité au grand jour… La seule certitude qui me reste c’est qu’il n’est pas Polyphème, sinon je n’aurais pas eu de mission liée directement à ce dernier… »
Un éclair vint brouiller les pensées du dieu serpent qui se souvint d’un détail, ses dent se resserraient. Et si Ulysse avait été Phalamine ? Peut-être que les herbes sont empoisonnées, peut-être que ce dernier lui a donné une fausse indication et que les cyclopes ont un moyen de guérir la cécité. Les questions insistantes du dieu ont sans doute alerté l’humain, pensif, Quetzalcoatl imaginait tous les scénarios à voix basse.
- à sa place si j’avais été Phalamine j’aurais donné des plantes capables de gêner mes mouvements ou de m’endormir pour être sûr de me gêner mais pas de me tuer… Ou alors j’aurais fait amener les autres cyclopes en prétendant à une maladie pour les forcer à me mettre en quarantaine…
Sur ces mots le dieu frotta très légèrement une des feuilles sur le bout de sa langue, le goût était sucré ; après une dizaine de minute aucune sensation particulière, un soupir de soulagement plus tard, il comprit que Ulysse n’était pas Phalamine.
- Bon… foutu pour foutu, au pire Ulysse est un des humains, ce n’est pas comme s’il pouvait grand-chose face à moi même en sachant qui je suis.
Après quelques délibérations et réflexions, le dieu aztèque s’approcha davantage de Polyphème sans l’aborder pour autant, passant derrière lui et continuant sa marche. Il n’avait rien à gagner à l’aborder, lui parler ou quoi que ce soit, le seul intérêt que le dieu avait, c’était de soigner l’individu une fois ce dernier blessé. Cependant après quelques réflexions une idée vint au dieu, il se retourna et se dirigea à nouveau vers le berger.
- Excuse moi mon brave, je vois que tu gardes des moutons, je voulais savoir si tu étais disposé à m’échanger certains produits offerts par ces bêtes.
Le cyclope releva la tête avant de poser son œil unique sur celui de son interlocuteur.
- Tout dépend ce que tu as à me proposer l’ami, qu’es-tu disposé à échanger ?
- Oh je n’ai pas grand-chose de très intéressant à part peut-être ces herbes médicinales. Phalamine m’a raconté que mélangées à du lait de brebis ces plantes une fois broyées pouvaient apaiser les douleurs et empêcher les plaies de s’infecter !
- Hum… Je vois, c’est une proposition intéressante, je n’ai qu’à chercher le seau de lait qu’il me reste de ce matin et nous y broierons les plantes, quelques douleurs me chargent les épaules. Viens, suis-moi.
Le cyclope se releva avant de quitter son poste d’observation, guidant le dieu tout droit vers sa caverne. Une fois à l’intérieur, Polyphème fit signe à son invité de s’asseoir et de poser les herbes sur la table. Le cyclope approcha le seau de lait et y plongea les herbes avant d’ajouter.
- Si ces herbes fonctionnent je veux bien te donner le couvert pour ce soir, elles semblent coûteuses et précieuses.
Le plan de Quetzalcoatl était parfait, si ce dernier passait la nuit chez Polyphème il pourrait agir au plus vite pour soigner ce dernier quitte à sacrifier son propre œil. Il était obligé de voir le cyclope se faire retirer la vue pour réussir son objectif.
Ulysse avait enfin conçu son plan. Le mouton avait trouvé la solution en butant contre une racine, grattant la terre et arrachant certaines plantes, l’animal cacha ses trouvailles dans sa laine et regagna le troupeau, attendant patiemment que ce dernier soit ramené chez le monstre.
Les deux cyclopes avaient quitté la grotte pour quelques instants, les marins grecs en avaient profité pour s’y réfugier sans savoir qu’ils allaient se retrouver emprisonnés. Ulysse savait qu’il allait devoir voir ses compagnons mourir à nouveau, mais cette fois ci, il faisait ça pour leur salut, ce sacrifice était nécessaire pour son vœu, un souhait que tous partageaient.
Le mouton suivit son troupeau jusqu’à arriver au sein de la caverne qui abritait le monstre, quelques instants plus tard, déjà quelques marins avaient été dévorés. Le souffle court par la vision d’horreur, Ulysse essaya de s’approcher tant bien que mal de quelques marins, secouant légèrement sa laine pour divulguer quelques unes des racines.
Quetzalcoatl discutait avec le monstre, il savait bien qu’à l’issue de cette nuit il perdrait la vue, tout ce qui lui restait à faire, c’était d’attendre que Polyphème se saoule au point de s’endormir, que son œil soit crevé et qu’il sauve ce dernier.
Un des marins écarquilla les yeux et chuchota à son chef.
- Ulysse… Dans la laine du mouton, il y a des racines d’aconit…
L’humain se mit à sourire, saisit délicatement quelques unes des racines et les jeta discrètement dans le tonneau de vin lorsque les deux cyclopes discutaient. Polyphème but d’un trait avant de s’endormir, Quetzalcoatl fronça les sourcils, les humains n’étaient-ils pas censés crever l’œil du cyclope ? Le dieu s’approcha du monstre avant de réaliser qu’il ne respirait plus, son corps refroidissait, un clairon sonna, la voix d’Heimdall résonna.
- La première victoire revient à Ulysse ! Incarnant le mouton, ce dernier devait trouver le moyen de tuer le cyclope ! Quelle stratégie mesdames et messieurs, l’humain avait caché des racines d’aconit dans sa laine, pariant que les matelots en mettraient dans le breuvage du cyclope !
Bras croisés d’un côté de la scène, Ulysse attendait que Heimdall termine son discours, concentré, prêts pour la suite des événements. Cependant, Quetzalcoatl s’approcha du combattant, un grand sourire sur les lèvres, le dieu semblait particulièrement bien vivre et accepter cette défaite.
- Eh bien eh bien, je te félicite tu es comme mes chers amis grecs t’avaient décrit ! Fourbe, malin, calme et avisé, je n’avais pas l’ombre d’une chance sur le premier round !
L’humain répondit en hochant simplement la tête, ne sachant pas réellement comment répondre au dieu. Quetzalcoatl l’observa quelques instants supplémentaires avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début de ce combat.
- Maintenant fais moi une faveur et réponds moi… Pourquoi veux-tu faire disparaître la loi de mémoire ?
Ulysse détourna le regard vers Heimdall, le dieu nordique ne semblait pas contre quelques mots de la part de l’humain et surtout des raisons motivant son acte, il considérait sans doute que les révélations du combattant rendraient le combat encore plus palpitant. Ulysse soupira donc avant de saisir entre ses mains un micro, il tapota ce dernier afin de vérifier le son avant d’humidifier ses lèvres pour conter son histoire.
- Il me semble que… Beaucoup d’entre vous me connaissent déjà, que beaucoup me détestent déjà par ailleurs. Enfin… Mon principal détracteur est mort il y a maintenant un millénaire. Vous n’êtes pas sans savoir qu’une fois une âme portée au Valhalla, tant que son identité est encore présente dans une conscience vivante, cette âme ne disparaîtra pas. Maintenant imaginez un homme ayant bravé tous les dangers, un homme ayant commis des actes dont pour certains… Il est peu fier. Le grand vainqueur de l’Iliade, celui qui voyait ses compagnons traîner les corps ennemis à bout de chariots, celui qui a fait venir le diable au cœur d’une cité à l’aide d’un cheval. Cet homme est devant vos yeux, mais plus encore, voguant sur les flots, Ulysse et son équipage affrontent les Cicones, aveuglent le cyclope, se font attaquer par Poséidon lui même. L’histoire de Circé, les cochons, l’aventure au pays des morts, les sirènes…
Ulysse marqua un long instant une pause dans son récit, ses doigts se crispant au contact du microphone, il soupira lourdement avant de poursuivre.
- Charybde et Scylla, Calypso durant sept longues années, seul, mon équipage déjà mort. Une fois rentré auprès de mon enfant, de ma femme, j’ai dû me faire passer pour mendiant, mentir à un pauvre chien bien plus innocent que moi, un mensonge qui l’aura tué de chagrin. La tuerie dans mon palais… En bref, une vie bien trop chargée pour un homme, une vie ou l’empreinte divine était bien trop visible… Toutes ces histoires, vous les connaissez déjà, mais maintenant… Laissez moi vous raconter ce que vous ignoriez, ce que vous n’aviez jamais entendu.
Comme par magie, sans doute via les tours de plusieurs déités, une grande toile se leva derrière le combattant, de nombreuses ombres venaient jouer et imager son histoire. Mort, Ulysse avait arpenté le Valhalla en long et en large, mission donnée par Zeus tant en guise de punition que de respect, l’humain avait certes retrouvé sa femme et son fils dans l’au delà. Une vie de rêves pendant quelques années qui devinrent des décennies, puis des siècles. C’est au bout du premier millénaire que les premiers signes de souffrances les rattrapaient vraiment, tous leurs amis, les matelots, l’équipage avaient disparu et rejoint le grand flux, mais Ulysse, Pénélope, Télémaque. Aucun d’entre eux n’avait disparu, aucun des héros grecs non plus, ni Achille, ni Hector, Ni Agamemnon, ni Enée et encore moins Thésée. Les anciens ennemis ne se souvenaient même plus pourquoi ils se haïssaient, parfois même, accablés par leur propre destin, rendus fous par les jeux des dieux lors de leurs vies mortelles, ces derniers se piquaient, se battaient et s’entre-tuaient ; parfois c’était par folie, d’autres fois c’était dans l’espoir d’enfin disparaître.
Chaque seconde de leur existence était accablée par cette vérité, cette horrible fatalité. Personne n’oublierait jamais le nom d’Ulysse, personne n’oublierait jamais celui d’Achille. Chaque héros cherchait un moyen ou une solution, peu importe les origines, les pays, bon nombre d’anciens héros ou roi cherchaient une solution pour disparaître à jamais, qu’il s’agisse de Vlad l’empaleur comme de Brutus, les poids de leurs crimes humains avaient fini par les rendre fous les uns après les autres. Aucune plante n’apportait repos éternel, aucune manière de mourir ne les faisait disparaître, certains avaient même fini par faire le compte en se gravant directement la peau. Une dizaine de fois, une vingtaine, parfois plus d’une centaine, aucun des anciens héros ne supportait cette existence. Ulysse pencha un peu la tête et questionna le public divin.
- Chers dieux, vous avez été constitués, créés, avez évolué de manière à vivre immortels, à supporter cette immortalité, à l’embrasser, à l’aimer même en fin de compte. Pourtant, avez vous imaginé à quel point l’esprit humain pouvait en souffrir ? Vous ne pouvez pas le figurer… Eh bien observez.
Ulysse se retourna pour prendre un pinceau d’une de ses sacoches, trempant ce dernier dans de l’encre, le combattant dessina une simple fourmi.
- Si nous prenons l’écart et nos différences naturelles. À vos yeux, vous êtes ce que sont les fourmis pour des humains. Vous voyez, la taille de la tête de cet insecte, on estime qu’une fourmi vit tout au plus un an… Maintenant, imaginez centupler son espérance de vie. Et chaque année, le processus d’information dans son cerveau augmente, la première année, ce dernier a une taille parfaite, la suivante, elle grossit… Maintenant imaginez la centième année. Son crâne et son corps ne serait pas capable de procéder à cette quantité d’informations. Eh bien… C’est ce que les humains vivent, un vieillard de quatre-vingt ans souffre déjà d’Alzheimer, il en devient fou. Alors qu’en est il pour un humain de plus de trois mille ans ?
Plusieurs voix s’élevèrent légèrement, les nombreux dieux dans le public débattaient et réfléchissaient à la réflexion de l’humain. Plus les crimes et la conscience d’un individu lui pesait, plus ce mal le rongeait, Ulysse était sans doute un des humains les plus rongés par son vécu, un de ceux souffrant le plus.
- C’est pour cette raison que je fais le souhait d’abroger cette loi. Non pas tant pour moi, mais pour ma femme et mon fils qui non contents d’avoir dû attendre vingt années d’une vie mortelle doivent désormais attendre l’éternité tant que leurs noms seront scellés dans les livres.
Ulysse finit par se retourner vers Quetzalcoatl.
- Enfin… Le seul dieu qui comprend concrètement ce genre de souffrance, c’est toi pas vrai ?
L’humain avait fait de nombreuses recherches, avait appris de nombreuses choses, cependant, envers et contre tout, ce qu’il écoutait le plus restait son instinct. Quelque chose dans la psyché du dieu semblait le ronger, derrière son grand sourire sincère, ses yeux semblaient vides, presque déjà morts. L’oiseau se mit à rire légèrement avant de reposer ses yeux sur le combattant humain.
- Et si je te donnais ma réponse après le prochain round, tiens ?
La toile avait disparu, le même champ gigantesque faisait face aux deux combattants, cette fois ci tout deux devaient affronter une des légendaires aventures du dieu solaire. Après avoir mis les pieds dans l’herbe, sentant la brise les emporter, leurs corps disparaître, Ulysse entendit un simple conseil de son adversaire.
- Tout ne peut pas se régler avec la ruse.
Ulysse se réveilla en sursaut avant de déplier un petit papier sur le quel son rôle et son objectif étaient inscrits
« Tu es Quetzalcoatl et tu dois ramener les os des humains sans en briser un seul. »
L’objectif de l’humain était particulièrement flou, ce dernier soupira bruyamment. Pourquoi chercher les os humains et où les chercher surtout, même en connaissant le mythe associé, Ulysse n’avait aucune idée de comment se diriger au Mictlan.
De son côté le dieu aztèque, toujours souriant déplia le papier qui lui avait conféré un rôle et un objectif bien différent.
« Tu es Mictlantecuhtli et tu dois empêcher Quetzalcoatl d’emporter les os »
Le dieu rit légèrement, cette fois ci tout était normal, cet objectif était d’ores et déjà celui que poursuivait le dieu de la mort il y a maintenant bien longtemps. Cette fois ci Quetzalcoatl avait non seulement l’avantage du terrain, mais en plus ce dernier, fort de son rôle de gardien des enfers saurait si la moindre personne empiétait sur ce territoire, quoiqu’il arrive, le dieu aztèque était sûr de reconnaître Ulysse lorsqu’il arriverait face à lui. Tout ne pouvait pas se régler par la ruse, s’ils étaient tout deux interdits d’essayer de mettre un terme à la vie de l’adversaire, rien ne leur empêchait de se battre, de s’affronter ou de tout faire pour empêcher l’autre de parvenir à ses fins.
Ulysse dans des vêtements qui lui semblaient bien peu habituels et naturels cacha le poignard du mieux qu’il put, se dirigeant vers une grande salle, deux silhouettes gigantesques se trouvaient face au combattant. La figure masculine avait la peau entièrement noire, parsemée de nombreux petits points blancs et autres étranges motifs, au bout de quelques instants voyant ces motifs bouger en permanence, Ulysse comprit que la peau du dieu représentait le ciel nocturne et les étoiles, l’arc en main, Mixcoatl parla.
- Mon fils, une mission toute particulière et d’une importance primordiale t’incombe, tu dois te rendre au Mictlan récupérer les os des premiers hommes.
La deuxième figure, une grande dame au teint légèrement rouge, les lèvres pulpeuse et les cheveux noirs s’approcha de son fils pour appuyer la requête de son père.
- Vois-tu ce cycle touche bientôt à son terme… Le soleil mourra bientôt pour laisser sa place à un nouvel astre… Il faut une nouvelle humanité pour braver cette épreuve et reconstruire le monde d’en bas.
Ulysse répondit simplement en hochant la tête. Au moins il savait désormais un peu plus en détail la nature de sa mission et un chemin tout tracé vers l’entrée des enfers se dessina face à lui. Sans réfléchir plus longuement, Ulysse prit simplement cet étrange escalier pour descendre jusqu’au cœur de l’inframonde. Serrant la grande épée attachée dans son dos, l’humain réfléchissait, aucun des deux parents semblait n’avoir menti, leurs discours se raccordaient et lui donnaient le bon objectif, aucun d’entre eux n’était Quetzalcoatl.
Ce n’est qu’au terme d’une longue marche, la lumière quasiment disparue que Ulysse vit un gigantesque squelette assit à même le sol lui faire face. Quelques morceaux de chair pendaient encore après les ossements ; deux immenses globes oculaires se mirent à fixer tout droit le nouvel arrivé. Dans un léger ricanement, le squelette prit la parole.
- Eh bien, je ne t’attendais plus Quetzalcoatl… Ou enfin devrais-je dire, Ulysse.
L’humain sentit son cœur battre la chamade, peut-être l’ennemi bluffait-il, peut-être faisait-il ça avec chaque personne qui se présentait face à lui, en tout cas si ce dernier voulait passer inaperçu c’était fichu. Qu’il s’agisse d’un bluff ou non, son nom était trop caractéristique pour cette culture, il était impossible que ce ne soit qu’un hasard, et de toute manière n’importe qui aurait reconnu Quetzalcoatl. Le squelette ricana de plus belle avant de se relever.
- Je suis sûr que tu es en train de te demander comment j’ai pu savoir que c’était bien toi… Eh bien c’est simple, je ne marche pas comme ça, je ne respire pas comme ça, je n’hésite pas comme ça… En bref, tu n’es pas très bon acteur.
Chapter 44: Cinquième cycle
Summary:
Le voeu de Quetzalcoatl semble bien trop extrême, quelles sont les raisons poussant le dieu à être aussi radical ?
Chapter Text
De longues secondes, Ulysse et Quetzalcoatl dans leurs apparences modifiées se regardaient, les corps figés, l’un morose, l’autre parfaitement neutre. Quetzalcoatl observa l’humain de bas en haut, appréciant chacun de ses gestes, de la plus petite respiration au simple fait de balancer les mains au rythme de ses pas, rien n’avait échappé au dieu.
- En réalité, peut-être es-tu bon comédien, mais devoir jouer le rôle d’une autre personne devant celle ci ça revient à essayer de faire croire au soleil qu’il est froid.
Ulysse était muré dans le silence, l’humain n’avait pas grand-chose à ajouter ni quoi que ce soit à objecter, il avait été pris la main dans le sac et il n’y avait aucun remède ou porte de sortie vis à vis de cette situation. Le dieu rigola longuement avant de se rasseoir par terre, il était impossible de deviner l’expression du squelette, seulement les agissements de ce dernier trahissaient sa joie et son entrain. Le dieu des morts pointa du doigt le sol avant de donner un ordre à son invité.
- Maintenant, mon cher Ulysse, que dirais-tu de t’asseoir ici ?
Le héros humain n’avait pas réellement le luxe de faire un choix, il était obligé de passer et si Quetzalcoatl voulait l’en empêcher, il l’aurait sans doute pu sans grand problème, après tout le volund d’Ulysse n’était pas le genre de volund à lui conférer beaucoup de forces supplémentaires. A l’image de l’homme, les runes lui permettaient d’exceptionnelles prouesses à condition de savoir utiliser cet étrange pouvoir. Le roi d’Ithaque accéda donc à la requête du dieu serpent et s’assit à même le sol sans demander son reste ; Quetzalcoatl toujours dans son apparence squelettique commença à questionner l’humain.
- Je n’aime pas les règles de cet affrontement, tous les autres combattants pouvaient discuter s’ils le désiraient et nous nos règles nous imposent la discrétion, je trouve ça dommage ! Alors pour cette raison, j’espérais au moins une fois réussir à te trouver et discuter un peu plus avec toi !
- Et pourquoi ça ?
Un léger temps d’arrêt survint à la réponse du grec, l’aztèque répliqua avec le même timbre légèrement chantant qui lui était si naturel.
- On va essayer de s’entre tuer pour réaliser le rêve de nos vies ou après vies tout de même, moi j’aimerais en savoir un peu plus sur l’homme que je suis censé tuer, pas toi ?
- Pas réellement non, on se renseigne sur l’ennemi, sur ses habitudes, sur sa personnalité, sur son histoire mais en général on ne papote pas trop avec, en tout cas on ne copine pas.
- Et pourquoi ça ?
La même réponse qui fut proférée il y a quelques instants par le combattant de Troie lui fut renvoyée aussitôt par le dieu serpent qui semblait désormais aussi provocateur qu’il était joyeux. Ulysse soupira lourdement avant de répondre.
- Quand on doit tuer une biche pour manger, on discute avec ?
- Tes allégories sont toujours très animalières dis-moi, mais moi je ne te considère ni comme une fourmi ni comme une biche.
- Bon… Prenons ça autrement. Admettons qu’on doit tuer quelqu’un. Ça vous viendrait à l’esprit de devenir ami avec cette cible vous ?
- à choisir je préfère être tué par un ami qu’un ennemi, la lame me paraîtrait moins froide.
Un silence brisa la tension quelques instant, Ulysse se risqua à une réflexion.
- Vous sonnez comme quelqu’un en ayant déjà fait l’expérience de la mort.
- Je te laisses essayer de deviner.
En guise de réponse l’humain claqua de la langue avant d’ajouter.
- Vous êtes plutôt compliqué, j’ai grand mal à vous cerner, je dois avouer que c’est plutôt rare.
- Et toi mon cher Ulysse tu es plus simple qu’il n’y paraît en réalité.
Et dans un geste parfaitement calme, le squelette mit une main dans ses poches avant d’en sortir un des fameux ossements tant convoité. Un air de défi dans la voix, Quetzalcoatl reprit la parole.
- C’est pour ça que tu es venu, et vu mon rôle et mon objectif, je suppose qu’il suffit que je garde ces os pour que tu perdes cette manche… Tu pourrais abandonner immédiatement cette manche si tu le souhaites ! Mais je pense que tu te doutes des risques encourus…
- Un malus c’est bien ça ?
- Exact, et tu as jusqu’à la fin de la nuit pour ramener ces os, si le temps est écoulé, eh bien c’est manche perdue pour toi ! Mieux vaut la perdre que se risquer au malus ne penses-tu pas ?
Ulysse hocha silencieusement la tête, alors le dieu aztèque, toujours aussi enjoué s’étira légèrement avant de se laisser tomber au sol.
- Je t’aurais pensé plus curieux Ulysse, tu m’as interrogé tout à l’heure et tu n’as pas insisté.
- Je reste fidèle à mes principes, j’évite de me lier d’amitié à une cible… Et courroucer un dieu, ça peut coûter cher.
- Eh bien pour la deuxième partie c’est loupé, participer au Ragnarok c’est déjà en courroucer un bon nombre.
- Pas vous étonnamment.
Quetzalcoatl rit de bon cœur, toujours couché sur le sol, les yeux posés sur le plafond du monde souterrain le dieu leva légèrement ses mains squelettiques, silencieux comme s’il mesurait le poids de chacun de ses mots avant de trouver comment questionner l’humain.
- N’es tu pas curieux de mon vœu ou de sa nature ?
- Je dois bien avouer que je le suis un peu, mais étant donné que je n’ai pas pour objectif de vous laisser gagner, je ne me suis pas interrogé plus que ça.
- Un peu plus tôt, sur la scène, tu m’avais tutoyé et tu avais affirmé quelque chose tu sais.
Le dieu se releva pour défier le regard de l’humain.
- Cet éclair que tu avais dans les yeux, tu ne l’as plus à présent. C’était le regard de quelqu’un sûr de lui, de quelqu’un prêt à tout défier, de quelqu’un qui voulait en savoir plus, j’aimerais le revoir à nouveau.
Ulysse feignait une sorte de désinvolture exagérée, peu de monde y aurait cru alors le dieu solaire ne parla pas pendant quelques instants avant de reprendre de plus belle.
- Tu veux permettre à ta femme et ton fils de disparaître c’est ça ?
- C’est ça.
- Regardent-ils ce combat ?
- Ils ne le peuvent pas.
Quetzalcoatl se redressa un peu plus pour fixer l’humain, ce dernier avait l’air grave, comme si quelque chose d’horrible empêchait sa famille d’assister à ce fameux combat, Quetzalcoatl comprit très bien, leurs âmes avaient été fracturées avec le temps, ils n’étaient plus que coquilles vides remplies de souffrances et Ulysse cherchait à soulager ces souffrances. Le dieu du soleil posa une nouvelle question.
- Combien sont dans la même situation ?
- Bien plus que ce qu’on pourrait croire…
- Moi c’est mes frères qui ont disparu.
En guise de réponse, le combattant humain posa son regard sur le dieu, l’invitant à continuer son récit visiblement intéressé par ce dernier. Ulysse posa même une question à la divinité vis à vis de son étrange vœu.
- Ton vœu, il est lié à eux ?
Heureux d’entendre l’humain le tutoyer à nouveau et voyant que ce dernier était à nouveau intéressé, Quetzalcoatl entreprit son récit.
- Les dieux ne connaissent rien au cycles… Si j’en entreprends un nouveau dès maintenant, il y aura certes une extinction de masse pour certaines des espèces de Midgard mais de toute manière cette dernière est déjà bien avancée.
Quetzalcoatl se tut un instant avant de reprendre.
- Dis moi Heimdall, je sais que tu nous écoutes et les spectateurs aussi, tu veux bien nous ramener la fameuse toile utilisée un peu plus tôt pour l’histoire d’Ulysse, je pense que ça sera plus intéressant que juste m’entendre parler.
Quelques instants plus tard, plusieurs petits personnages étaient apparus pour accrocher la grande nappe blanche verticalement, allumant certaines lumières et se préparant à faire jouer les ombres derrière elle. Quetzalcoatl s’éclaircit à la voix pour pouvoir exprimer son récit du mieux qu’il put.
- Nous sommes au cinquième cycle. Il n’y a rien qui peut prédire la durée d’un cycle, elle peut être de deux cents ans comme de plusieurs millénaires, le cycle actuel est le plus long jamais observé.
Ulysse observa avec attention la nappe, distrait par l’histoire que le dieu aztèque était en train de conter. Bientôt les ombres s’agitèrent pour mettre au point une histoire, le récit de la création du monde. Quatre ombres au cœur coloré apparaissent sur la toile, une était bleue, une noire, une blanche et la dernière rouge, très vite l’histoire fit comprendre que les dieux étaient frères, l’aîné était le blanc, Quetzalcoatl, le second était le noir Tezcatlipoca, le troisième était le rouge Xipe Totec et le quatrième était le bleu Huitzilopochtli.
Les quadruplés nés de la même grossesse étaient tous foncièrement différents, l’aîné avait un corps étincelant, un air toujours joyeux et aventureux au visage, il était le plus frêle et petit de la fratrie, ce dernier faisait rayonner le monde peu importe où il se trouvait. Le deuxième né, était de loin le plus grand et le plus massif, un air profondément stoïque le suivait en permanence, sa peau était sombre comme la nuit, tous les frères le tenaient en respect et considéraient Tezcatlipoca comme le plus sage d’entre tous. Le troisième affichait toujours une mine triste et blafarde, ce dernier était le plus timide de la fratrie, tant svelte que chétif, à force d’essayer d’empêcher ses frères de se battre et de se déchirer, il était devenu le plus empathique du groupe. Le quatrième était plus sage, plus réservé, toujours dans un coin d’ombre il lisait, se renseignait, observait et théorisait. Nombreuses fois ses longs cheveux noirs tombant en cascade étaient la dernière chose que les autres voyaient au moment du coucher, sa chandelle reflétant son ombre rassurante étant la dernière chose que tous voyaient avant de s’endormir.
Vint alors leur âge adulte, la terre avait été créée, le soleil existait, les astres également mais tout restait dans un songe éternel, dans un suspens caractéristique, quatre frères, quatre périodes de la journée, les aztèques seraient gardiens de ce cycle éternel. Quetzalcoatl serait le gardien du plein jour, offrant lumière et chaleur aux mortels. Tezcatlipoca serait la nuit, rôle incompris et craint par bon nombre de leurs sujets. Xipe Totec serait la matinée, l’heure rouge vif ou tout se réveille, les douleurs comme les espoirs. Enfin Huitzilopochtli serait la soirée, l’heure bleue, l’instant ou la nuit et le jour se mêlent, là ou les songes humains s’endorment.
Être gardiens du temps avait offert une malédiction toute particulière aux quatre frères, ces derniers contrairement aux dieux étaient mortels. Bien plus forts, bien plus craint et pourtant bien plus faillibles, lorsqu’un des frères meurt, ce dernier rejoint les astres et attend que le soleil s’éteigne avant de renaître. La première grande guerre des panthéons avait amené la mort du matin, les récoltes ne profitaient plus de l’agréable rosée née du sang divin, bientôt elles dépérissaient une à une, la famine touchait l’humanité, les prières se multipliaient sans résultats, alors la nuit vint et dévora les humains pour ne pas les voir souffrir plus longtemps : le deuxième frère avait déjà accepté le rôle de bourreau.
Bientôt, tous les dieux aztèques tombèrent au combat, le bourreau fut le deuxième, acceptant son cruel destin, vint le soleil qui pleurant son frère fut tué à son tour. Le dernier survivant fut un crépuscule qui régnait éternellement sur la planète à moitié endormie, Huitzilopochtli avait accepté d’être dernier survivant pour écrire les erreurs de ce cycle, et bientôt le vide prit place, le premier cycle s’était achevé.
À l’aube du deuxième cycle, d’un œuf solaire les quatre frères naquirent à nouveau. Inconscients de leur ancienne vie, au fur et à mesure que les frères grandirent, tous purent lire les restes des écritures laissées par leur ancien frère. Dieux et quelques espèces avaient survécu ce premier âge sombre, le deuxième survint de manière inopinée. L’humanité de ce cycle, bien trop arrogante avait décidé de renier les dieux et de mépriser crépuscule et aube, considérant leurs faveurs comme acquises. De rage la nuit engloba les hommes dans son ombre, soufflant mille tonnerres, l’humanité avait péri, et quelques temps plus tard, le cycle était déjà fini, une nouvelle naissance avait eu lieu et cette fois, l’humain serait traité avec plus de sévérité.
Au début du troisième cycle, l’humain était plus docile, les guerres divines avaient été interrompues à jamais depuis l’existence du Valhalla et de son conseil. Venait la première période d’opulence divine, nombreux dieux s’amusaient à miser sur des humains, à leur donner différentes faveurs, à les renforcer, incapables de se battre pour leurs intérêts, leurs représentants le feraient pour eux. Cette ère était censée être la plus prospère, ce n’est que trop tard que Quetzalcoatl réalisa qu’au cœur d’une des arènes humaines, son frère se battait, Tezcatlipoca était amoureux de la bataille et ces arènes étaient son dernier salut, ce dernier malgré sa vaillance perdit la vie au combat, comme il l’avait souhaité. Tiraillé par le chagrin, la lune masqua le soleil, et bientôt les pleurs du dieu solaire coulèrent le long des astres avant de tomber en pluie de feu sur la terre, tuant la moitié de la planète, d’un commun accord, les frères acceptèrent la fin de ce cycle et se donnèrent tous la mort pour retrouver une planète désolée lors du suivant.
Le quatrième cycle fut de loin le plus court, le crépuscule se sacrifia pour faire venir la pluie, une pluie incessante qui recouvrit l’entièreté de la planète durant de longues années, redonnant l’éclat d’origine à la terre, un cycle particulièrement court qui suite à ce sacrifice résulta sur le dernier et actuel cycle, le cinquième.
Quetzalcoatl ponctua.
- Ce cycle est selon certains le dernier avant la grande fin… on raconte que la terre se déchirera et que les Tzitzimime vont venir dévorer l’humanité.
- Et tu serais prêt à risquer ça ?
- Bien évidemment que je le suis, rien ne prouve ces dires et de toute manière, même morts mes frères ont fait en sorte de me léguer leur force pour que je puisse maintenir ce cycle le plus longtemps possible, c’est pour ça que même depuis leur mort le cours du temps n’a jamais été interrompu.
- Et… Depuis combien de temps sont ils morts ?
Un long silence plana sur l’étrange pièce, Queztalcoatl leva la tête au plafond avant de soupirer, un soupir aussi long que triste.
- Vingt mille ans.
Ulysse se tut quelques instants avant de soupirer à son tour.
- C’est malin…
- Quoi donc ?
- Je n’ai plus envie de te tuer maintenant que je sais ça.
Le dieu répliqua en riant de bon cœur malgré son corps squelettique.
- C’est pour ça que tu refuses de tisser des liens avec les ennemis. De toute façon ne t’inquiètes pas, on n’est pas censé tuer l’autre au terme de ce combat, c’est bien plus facile de faire une action qui mène à la mort de quelqu’un que d’activement tuer cette personne.
Le dieu se releva avant de saisir un des os dans sa main et de briser ce dernier. Le cor d’Heimdall rugit, ce dernier annonçait la victoire du dieu.
- Incroyable mesdames et messieurs ! Quelle histoire poignante ! Nous comprenons tout de suite mieux les raisons poussant Quetzalcoatl à faire un vœu d’apparence si extrême !
Le dieu et l’humain avaient regagné leur apparence d’origine, le dieu un peu plus petit que l’homme se balançait légèrement d’avant en arrière sur la pointe des pieds, sa colossale épée encore dans le dos. Comment avait-il pu conter une histoire aussi triste à un adversaire en restant aussi calme et stoïque après coup ; le dieu se retourna vers Ulysse pour lui sourire à nouveau. L’humain déjà trop impliqué se décida à poser une question au dieu.
- Toi aussi tu veux mourir pour tout recommencer pas vrai ?
- Exact.
- On est deux… Et pourtant on ne veut pas tuer l’autre.
- C’est pour ça que je savais qu’on allait s’entendre, tu ne crois pas ? Je te l’ai dit, je préfère mourir de la lame d’un ami que de la lame d’un ennemi, on ne priverait tout de même pas le soleil de la chaleur ?
Le sourire de Quetzalcoatl était resté le même, franc, joyeux et sans aucune once de mauvaise intention, il y avait certes de la malice, mais la malice d’un enfant joueur qui voulait parvenir à ses fins et s’amuser un peu plus longtemps. Plus le temps passait, plus l’humain grisonnant sentait la tristesse monter sur ses épaules, le doute lui serrer la gorge. Voulait-il réellement gagner cet affrontement ?
Ulysse secoua la tête en se souvenant de la souffrance des siens, de son souhait, de la seule opportunité qu’il avait. L’humain leva la main vers celui qu’il considérait désormais comme un ami, et, vint serrer la chaude main du dieu solaire, un grand sourire sur ses lippes.
- Quel dommage que nous ne puissions pas nous entre-tuer directement dans ce cas… Je t’aurais promis une belle mort.
Le sourire du dieu éclata davantage.
- J’aime ce que j’entends !
Tout deux furent interrompus par Heimdall qui venait d’entendre certaines instructions. Le dieu crieur saisit un peu plus fermement son cor avant de hurler dans ce dernier.
- Mesdames et messieurs ! Au vues des demandes générales, le round ne sera pas choisi aléatoirement et les rôles non plus, toutes les règles son levées ! Le dernier champ de bataille sera Troie ! Ulysse jouera son propre rôle, Quetzalcoatl sera Énée, tout deux conserveront leur apparence actuelle et pourront attenter à la vie de l’autre combattant, cette fois ci, c’est la guerre !
Un éclair jaillit dans les yeux des deux guerriers, Ulysse naturellement était plus inquiet et perturbé à l’idée de revivre l’enfer, de revivre un des moments les plus terribles de sa vie, son pire crime, mais il savait au fond. Cette fois ci, Troie serait la fin de son aventure, quoi qu’il arrive, vainqueur ou vaincu, le roi d’Ithaque verrait son histoire enfin se terminer là ou tout avait commencé.
Derrière eux la scène changeait déjà peu à peu, une immense forteresse au bord d’une île se hissait, menaçante, tout en haut des remparts, une figure tranchait avec tous les autres, Quetzalcoatl même paré de l’armure du héros troyens gardait près de lui sa gigantesque épée aztèque. Les bras croisés il toisait le contrebas avec un sourire caractéristique, celui d’un guerrier attendant que l’ennemi que la destinait lui offrait fasse son apparition.
Au beau milieu de ce qui était déjà un champ de bataille mélangé à un siège improvisé se trouvait Ulysse qui malgré la situation souriait largement. Les deux ennemis et amis allaient pouvoir s’affronter cœur à cœur, dans l’honnêteté la plus pure, les embryons de catapultes et autres frondes essayaient d’atteindre les ennemis depuis le bas des remparts, certaines mêlées se faisaient de temps à autres lorsque quelques troyens courageux essayaient de défaire le siège adverse.
Pendant un long moment lorsque le regard du dieu et de l’humain se croisèrent, tout deux serrèrent leur arme, prêts à se rejoindre aussitôt pour se battre, mais tout deux le savaient, leur propre guerre serait l’aboutissement et la finalité de cette bataille ci.
Pour l’instant, l’objectif du guerrier grec était de réussir à affaiblir les murs de la cité ennemie. Ulysse dégaina finalement sa dague avant de parler à haute voix.
- Désolé de t’avoir fait attendre Herfjötur… C’est ton moment de briller.
- Tu n’as pas à t’excuser Ulysse, au contraire, si tu avais pu l’emporter sans mon aide, ça aurait été pour le mieux, en tout cas… Je suis heureuse de te voir aussi résolu.
La dague blanche et dorée se mit à scintiller légèrement et Ulysse se dirigea vers un rocher avant de toucher ce dernier avec la pointe de la dague. La roche se mit à scintiller et l’humain commença à frapper de toutes ses forces cette dernière. Une fois la lumière endormie, le rocher fit un léger soubresaut dans le sens inverse de celui des coups avant de s’arrêter. Ulysse recommença, ses soldats comprirent aussitôt et nombre d’entre eux vinrent frapper la roche à coup de lames, bouclier et autres marteaux.
Après quelques longues secondes d’assauts, la roche se propulsa droit sur le premier mur de Troie, quelques morceaux du rempart se brisèrent et tombèrent au sol, les soldats en haut avaient vacillé, certains étaient tombés mais les murs de la cité avaient tenu. Amusé par cette idée Quetzalcoatl se préparait à voir un cruel combat se préparer avant même l’arrivée du cheval. Le dieu observa le ciel, le soleil brillait, de plus en plus fort, de plus en plus intensément. A la grande surprise des troyens, cette chaleur ne semblait frapper que les Grecs en contrebas, beaucoup d’entre eux retiraient déjà des morceaux de leurs armures à cause de la chaleur accablante, cuisant véritablement sous les cuirasses. Ces derniers n’eurent que le temps d’entendre un « N’enlevez pas vos armures ! » des plus avisés qu’ils étaient déjà transpercés par les flèches ennemies.
Frapper d’aussi gros rocher était épuisant et le soleil de Grèce faisait déjà glisser les manches des marteaux entre les mains. Cependant l’ajout du soleil aztèque, le mercure qui ne faisait qu’augmenter et les armures servant de véritables cocottes minutes dissuadaient de plus en plus de combattant à poursuivre ces efforts.
Ulysse épongeait son front du revers de son bras, appliqué, il continuait ses efforts en frappant la roche encore et encore. Cette dernière fit un saut bien moins impressionnant et vertigineux que la première, manquant décidément de trop de force de frappe. Quelques restes de gravats encore accrochés aux murs troyens tombèrent, mais rien de plus, le mur était encore debout. Le soleil en revanche continuait de frapper de toute sa chaleur.
Le guerrier grec disparu dans la forêt sous le regard de Quetzalcoatl. Le dieu se demandait ou était passé l’humain et surtout quel plan de secours ce dernier était en train de préparer, de toute manière l’aztèque continuait de rendre la chaleur assommante, espérant que l’ennemi finirait par battre en retraite, laissant Ulysse seul.
Un a un, de nombreux soldats grecs commençaient à quitter la zone de siège, déjà les troyens se félicitaient et voulaient descendre célébrer la victoire, massacrer les quelques rescapés et surtout détruire leur village de fortune. Quetzalcoatl interrompit les clameurs en levant le bras, invoquant le silence.
- Nous n’avons aucune preuve de leur fuite, ils peuvent très bien être cachés dans la forêt. Méfiez vous des arcs, des flèches, vu la chaleur ils peuvent essayer de mettre le feu pour nous enfumer. Préparez vous au pires pièges.
Sous les ordres avisés de leur leader, les troyens étaient restés sages et alertes, refusant de quitter leur poste ou de perdre la moindre seconde d’attention. Ce n’est qu’après un certain moment que Quetzalcoatl comprit, ce dernier ne put s’empêcher de sourire à pleine dents.
- L’enfoiré…
Un raz de marée gigantesque fonçait tout droit contre un des angles du château, le plus proche de la mer. Ulysse avait utilisé son volund pour déchaîner la mer, ses hommes l’ayant aidé à créer le plus gros reflux possible dans l’espoir de faire un vrai tsunami.
La vague vint frapper de plein fouet l’endroit visé, le choc ne fit pas s’écrouler les murs mais fragilisa ceux qui avaient déjà été touchés, les remparts ne tiendraient pas un assaut supplémentaire. Quetzalcoatl se releva en donnant des indications et autres ordres à ses hommes avant de réaliser : Ulysse n’était pas dans la mer.
De nombreuses flèches vinrent se planter dans les chairs des assiégés, une d’entre elle vint même se planter dans l’épaule du dieu. Ulysse n’avait été présent dans la mer qu’au début, à peine le raz de marée arrivé et la panique semée, l’humain avait regagné la forêt et s’était servi de son volund pour tirer le plus de flèches possibles, son cri retentit.
- Je m’appelle Ulysse ! Roi d’Ithaque ! Ma valkyrie s’appelle Herfjötur et ses runes signifient « Chaîne de guerre ! »
Chapter 45: Mon voeu est...
Summary:
Fin de l'affrontement entre Ulysse et Quetzalcoatl, qui l'emportera ?!
Chapter Text
Les deux combattants croisaient leurs regards, d’un côté le dieu du soleil depuis le haut de sa muraille arracha la flèche qui lui avait percé l’épaule, brûlant la plaie à l’aide de ses paumes Quetzalcoatl ne quitta pas des yeux Ulysse un seul instant avant de crier à son tour.
- Je suis Quetzalcoatl ! Le dieu du jour et du soleil !
Sans explications supplémentaires, le dieu sauta de la muraille avant de se réceptionner au sol avec grande agilité, Quetzalcoatl dégaina son macuahuitl et pointa ce dernier vers Ulysse ; jamais un corps aussi frêle n’aurait pu être capable de porter à un seul bras telle arme avec si peu d’efforts. Le dieu du soleil posa la deuxième main sur le manche de son arme et se mit en garde. Le combattant humain l’observa légèrement avant de lever sa dague comme pour se préparer à venir lui aussi à l’assaut de son adversaire, il lança quelques mots à ce dernier.
- Ne penses-tu pas ça étrange que nous nous battions à mort alors que nous étions censés faire un duel au points ?
- Même si nous mourrons lors de ce combat, ce n’est qu’un rôle, peu importe si l’un meurt ou non, ce qui compte c’est celui ayant le plus de points, même s’il est défait ici !
L’humain ne put s’empêcher de sourire légèrement, serrant davantage son arme, communiquant avec sa valkyrie.
- Je n’ai aucune chance de l’emporter en un contre un pas vrai ?
- En effet… Les chances de réussite sont aussi faibles que les chances de revenir à Ithaque en s’opposant à Poséidon.
- Et pourtant j’ai réussi… Il va falloir ruser comme d’habitude.
Après quelques instants supplémentaires à jauger l’adversaire les deux guerriers s’élancèrent chacun à leur manière, Ulysse jeta une étrange bombe d’une de ses multiples sacoches. Quetzalcoatl déjà élancé comprit qu’il s’agissait sans doute d’un fumigène, c’était le meilleur choix possible. La sphère explosa et engouffra les deux combattants dans une épaisse fumée blanche. Le dieu aveuglé essaya de quitter la zone avant de sentir une lame se planter dans son bras, puis une autre dans sa cuisse, bientôt le dieu ressemblait plus à un porc-épic qu’à un oiseau. Un puissant coup de vent propre au climat marin vint balayer petit à petit le nuage, révélant un Ulysse qui tenait de nombreux couteaux de lancer entre ses mains.
Le dieu comprit aisément que l’humain avait lancé tous ses couteaux un à un avant d’utiliser son volund pour pouvoir déclencher leurs attaques dès qu’il le voulait. Après un léger soupir tant pour évacuer la douleur que pour se concentrer le dieu retira les couteaux avant de les jeter derrière lui.
- Eh bien, Si tu pensais que ça allait suffire pour me vaincre… J’espère que tu as d’autres atouts dans ta poche.
Le dieu fit un pas vers l’avant, ses plaies semblaient s’arrêter de saigner les unes après les autres, Ulysse comprit bien assez vite que le sang qui s’écoulait de chacune des blessures commençait à bouillir, sécher et s’évaporer ; bientôt toutes les blessures avaient été cautérisées. Joyeux Quetzalcoatl s’empressa d’expliquer son pouvoir à son adversaire.
- Tu sais au Valhalla on est plusieurs à se battre avec la chaleur ! Shiva peut faire battre son cœur pour s’embraser même si c’est très dangereux pour lui, Râ peut invoquer la puissance du soleil ! Mais…
La puissante vague de chaleur qui émanait du corps divin le rendait bien plus colossal et gigantesque qu’il ne l’était. Bientôt son image se distordait légèrement et ondulait, les herbes séchaient et brûlaient, la nature dépérissait.
- Aucun n’a mon niveau.
Ulysse sentait presque sa peau se déchirer et bouillir. Les autres dieux pouvaient artificiellement atteindre des chaleurs incroyables, pouvaient appeler à la puissance du soleil pour se renforcer mais lui… Le dieu aztèque était bien au dessus, il était le soleil lui même, il était l’incarnation de l’astre.
Chaque pas du dieu asséchait et brûlait davantage l’humain, après quelques instants, un large sourire s’afficha sur le visage d’Ulysse.
- Tu sais… Les guerriers se plaignent et décrivent souvent une chose bien particulière lors de la guerre. La chaleur et le soleil.
L’adversaire haussa le sourcil avant de comprendre, le mercure n’augmentait plus, le dieu comprit aussitôt, l’humain avait utilisé son volund pour bloquer l’avancée de la chaleur. Ulysse dans un grand sourire poursuivit.
- Chaînes de guerre… Ce volund peut bloquer tout ce qui est lié à la guerre… Les concepts y compris, ta chaleur a touché la lame, tu étais imprudent.
Un rire tonitruant éclata, le dieu avait réalisé son erreur et le plan qu’Ulysse mettait en place depuis le début, la fumigène, les couteaux. Aucun n’avait objectif de le blesser, seulement de le faire suffisamment saigner pour lui imposer d’utiliser son pouvoir ; Ulysse avait vu le dieu cautériser sa plaie depuis la tour, l’humain avait été plus rusé et le dieu ne s’en était pas rendu compte. Dans un deuxième sourire encore plus sincère et joyeux, Quetzalcoatl répondit.
- Et jusqu’à quand penses-tu que ton volund puisse tenir cette cadence ? Tu ne peux bloquer qu’un élément à la fois. Sois-tu bloques les couteaux soit la chaleur mais tu ne peux jamais bloquer deux éléments ou armes différentes à la fois.
- Et comment le sais-tu ?
- Car tu as bloqué les flèches seulement après le raz de marée.
Ulysse claqua de la langue, ce dieu était malin, bien plus malin que ce qu’il voulait bien laisser paraître. L’humain dégaina son glaive avant de le pointer vers le dieu.
- Eh bien puisque nous n’avons plus aucune combine en poche… Donnons tout ce qu’il nous reste.
Dans un élan le glaive de l’humain et les lames d’obsidiennes du dieu vinrent s’entrechoquer, repoussant légèrement les deux combattants. Ils haletaient, pendant chaque instant Quetzalcoatl essayait de faire davantage rugir la chaleur pour briser le volund de l’humain ; à contrario Ulysse se décarcassait à contenir cette même chaleur sous contrôle. En un coup seulement les deux combattants suaient à grosse gouttes.
Selon le public ce combat ressemblait davantage aux derniers élans de folies accordés par la guerre et le désespoir. Les assauts de deux hommes qui avaient été esseulés des millénaires durant, le désespoir de deux guerriers qui voulaient plus que tout revoir leurs familles ou au moins soulager un peu leur fardeau. Chaque bruit de lame, chaque petite blessure, chaque goutte de sang criaient une valeur différente. L’un voulait la paix et l’absolution, des millénaires de souffrance pour lui et sa famille devaient s’interrompre ; il n’en pouvait plus, il ne supportait plus voir son amour, son fils et ses amis s’autodétruire. Son odyssée n’avait pas été les mers, son odyssée avait été sa survie pendant plusieurs millénaires, une survie pitoyable et pathétique. Chaque assaut de l’autre guerrier ne faisait que hurler cette solitude, cet écho vide qui lui revenait inlassablement, les journées, les siècles entiers à dire au revoir à des frères perdus chaque fois que son pieds foulait la sortie du palais. Il ne se souvenait même plus distinctement de leur visage, tout au plus de leur voix, le seul souvenir qui le rattachait à eux était la course effrénée entre le soleil et la lune.
Les deux adversaire avaient un vœu simple, chacun d’entre eux voulait mourir. Le dieu d’ordinaire joyeux et optimiste voulait plus que tout au monde voire le cycle se terminer, plus le temps avançait plus ses rires étaient creux, aucun public ne pouvait rire à ses blagues. L’humain toujours mesuré et calme se surprenait lui même à hurler à chaque coup, peu importe le cyclope, peu importe les sirènes, Charybde ou Scylla. Aucune de ces épreuves n’avait été plus difficile que cette dernière, Au moment de mourir, les combattants peuvent espérer le salut éternel, malheureusement pour certains d’entre eux l’éternité avait été une malédiction.
De petits lambeaux de peau tombaient par terre, Ulysse voyait chaque lame d’obsidienne percer sa chair et en arracher des petits morceaux les uns après les autres. Quetzalcoatl lui sentait ses tendons et ses muscles se tordre à cause des multiples coups de lame qui venait le lacérer. Le sang et la sueur se mêlaient, aucun des deux combattant ne voulait laisser l’autre mettre un pied dans son domaine, aucun d’entre eux ne voulait abandonner. Ils étaient devenus amis l’espace d’un combat seulement et pourtant, chaque coup qui résonnait ne leur faisait que comprendre à quel point ils se comprenaient.
Depuis les gradins, Diogène s’était réveillé et regardait le combat avec grand calme et sérieux. Göll sentait le regard du philosophe s’alourdir de seconde en seconde, jamais ce dernier n’avait été aussi concentré. Quelques mots lui échappèrent.
- J’ai déjà vu des hommes se battre pour vivre… Mais jamais pour mourir.
- Et qu’en pensez vous ?
- C’est laid, c’est ridicule et c’est fou.
- Vous ne comprenez pas.
- Si, justement. C’est parce que c’est laid, ridicule et fou que c’est magnifique. C’est cette folie qui fait ce que nous sommes, ce que nous voyons est le spectacle le plus pur de l’essence qui nous anime.
Pas un mot supplémentaire, le combat continuait de faire rage. Un coup de hachoir vint arracher une des mains de l’humain, ce dernier se sentant tomber serra les dents de toutes ses forces avant de venir lacérer la jambe de son ennemi. Le tendon tranché Quetzalcoatl tomba à terre avant de fixer Ulysse. Les deux avaient la gueule en sang, les coupures sur leur visage dégoulinaient d’un mélange rouge et opaque. Paradoxalement les deux souriaient comme ils n’avaient jamais souri jusqu’à présent. Quetzalcoatl haletant se permit un commentaire.
- Ne préfères-tu pas mourir de la lame d’un ami désormais ?
Ulysse toussa avant de répondre.
- Si… Je crois bien que oui…
Dans un dernier élan de courage les deux guerriers levèrent leur lame dans l’espoir d’asséner le coup final, l’immense arme de Quetzalcoatl frappa la lame de l’humain. L’un manquait de force dans les jambes pour pousser le coup plus loin, l’autre manquait d’une main qui lui permettait de correctement tenir sa lame. Ulysse à l’aide de son bras désormais infirme frappa sa lame de toute ses forces pour la pousser davantage, sentant le fer se planter son la chair déjà blessée il grogna, poussant toujours plus fort. Quetzalcoatl vint placer une de ses mains là ou une lame d’obsidienne avait sauté, poussant sur ses jambes de toutes ses forces le guerrier solaire essayait lui aussi de changer la donne.
Après quelques instants, la lame divine vint dévier celle de l’humain et dans un coup ascendant Quetzalcoatl lacéra le torse de Ulysse qui tomba à la renverse, mortellement blessé. La scène disparaissait au fur et à mesure que la vie quittait Ulysse ; respirant péniblement l’humain sentait les larmes lui monter aux yeux avant de couler et de se mélanger au sang séché sur son visage.
- Pénélope… Désolé…
Sa promesse avait été rompue, il serait le seul à mourir, son vœu ne serait jamais exaucé. Quetzalcoatl se pencha vers l’humain pour le prendre dans ses bras, le serrant de toutes ses forces en répétant simplement.
- Désolé… Désolé… Désolé…
Ulysse dans quelque élan serra son adversaire, sentant les larmes bouillantes du dieu s’engouffrer contre sa gorge, tout deux pleuraient.
La scène avait disparu, seul les deux acteurs demeuraient, après quelques secondes, sentant le froid le prendre, Ulysse savait qu’il ne se lèverait plus. Quetzalcoatl se releva en prenant soin de reposer convenablement son ami au sol, il prit la parole.
- Mon vœu est… D’abolir la loi de mémoire !
L’assistance demeura silencieuse, la voix engorgée de peine et de douleur, Ulysse utilisa ses dernières forces pour parler.
- Idiot ! … Et ton vœu !
Quetzalcoatl se retourna vers l’humain qui avait l’impression de voir deux soleil rayonner, un des deux astres semblait pourtant pleurer légèrement. Le dieu renifla un bon coup avant de répondre.
- Chaque cycle est voué à se terminer tôt ou tard ! Mais je sais qu’au grand jamais personne ne pourra désormais oublier Ulysse, surtout pas moi ! Alors va l’ami, j’espère revoir ta prochaine incarnation !
Un sourire au lèvres, Ulysse ferma les yeux avant de rendre son dernier souffle, Quetzalcoatl essuya son visage d’un revers de bras avant de se retourner vers la foule un grand sourire sur le visage.
- Que les morts soient libre ! La loi de mémoire n’est plus !
Sous un tonnerre d’applaudissement le dieu quitta silencieusement la scène en boitillant, si seulement un frère ou un ami pouvait lui servir de support.
Heimdall annonça le résultat du combat.
- Les dieux ont vaincu ! Le résultat est désormais de cinq partout !
Chapter 46: Pour s'amuser !
Summary:
Les deux nouveaux guerriers sont appelés
le combat des deux plus grand indisciplinés commence.
Chapter Text
Le score était revenu à une égalité parfaite, la mort d’Ulysse avait fait trembler l’humanité, un combattant si émérite, un homme bien plus déterminé que la majorité et pourtant, il n’était plus. Göll soupira lourdement, il était certains combats qu’elle espérait remporter plus que d’autres, celui ci en était un, la perte d’Ulysse était on ne peut plus lourde. Il ne restait peut-être que trois combats et pourtant ses conseils étaient plus que précieux, Diogène bailla bruyamment avant d’ouvrir la bouche.
- Tes milliers de pensées qui se culbutent gamine, ça me fatigue. Il a perdu, il a eu ce qu’il voulait. Sois heureuse, on doit encore soigner la petite pêcheuse.
Diogène n’était pas spécialement du genre à apprécier appeler les gens par leurs noms, sa vraie passion c’était plutôt de les surnommer, de leur trouver multiples sobriquets, sans doute sa manière de montrer une forme d’appréciation, en temps normal il se contentait d’un « toi ». L’humain s’étira et se releva, Göll ne pouvait s’empêcher d’admirer la taille colossale du philosophe, jamais une seule peinture ne l’avait représenté ainsi. L’humain regarda une dernière fois l’arène, un léger sourire sur les lippes, il quitta les gradins.
Goll poursuivit à la hâte le grec, elle espérait obtenir réponse à ses questions et elle en avait plus d’une.
- Diogène ! Voulez-vous bien répondre à mes questions, nous sommes en pleine crise et vous semblez particulièrement calme, voir même désintéressé de notre situation !
- Hm ?
- Comment vous comptez guérir l’âme fragmentée de Himiko au juste ? D’accord nous devrions demander à Sun Wukong, mais ensuite, comment lui demander ? Acceptera-t-il ? A-t-on seulement un plan de secours ?! De plus je tiens à vous rappeler que nous sommes à cinq partout, deux victoires, c’est tout ce qui manque pour gagner, d’un côté comme de l’autre ! Et…
- Oh putain ta gueule pitié.
La valkyrie tout bonnement trop effarée pour répondre se contenta de laisser tomber la mâchoire dans un geste de stupéfaction profonde. L’homme en face d’elle soupira de plus belle, il se gratta la tête.
- C’est ça le putain de problème avec vous autres, et si, et si, et si ?! Qu’est ce qu’on s’en fiche des « si » y’a qu’une seule note de musique dans une gamme peut-être ? Des possibilités y’en a des pelles, sur ce Ragnarok, l’humanité elle se joue peut-être ? Non, la situation est bien moins dramatique qu’il y a un millénaire.
- Oui mais ce Ragnarok permettrait à l’humanité de gagner davantage de droits et des grandes avancées technologiques qui lui permettrait de !...
- De ressembler un peu plus aux dieux ? Vous ne comprenez rien à rien ma parole… Ils nous ont déjà laissé la vie sauve y’a mille ans. Ils savent déjà qu’on est différents d’eux et pourtant bien plus forts que ce qu’ils croyaient à la base. Il va falloir arrêter de leur donner ce statut particulier, on a déjà piétiné leurs plates-bandes et on s’en est même très bien sortis. L’humanité acceptera le coup de pouce parce qu’elle aime la facilité, mais si elle ne reçoit pas le coup de pouce elle se démerdera quand même ma grande. Qu’on gagne ce Ragnarok ou non, ça ne changera rien à terme.
Pour la première fois, un combattant s’opposait délibérément et fermement aux jugements et aux désirs de la valkyrie. Elle avait réussi à rassembler nombre de guerriers chacun avec des objectifs particuliers, et pourtant, Diogène était un mystère, un des seuls si ce n’est le seul à avoir accepté sans poser de questions, sans demander quoi que ce soit en retour. Serrant les poings la valkyrie se décida à poser une question au philosophe.
- Alors pourquoi vous êtes là hein ?! Vous ne voulez pas sauver les humains, vous n’êtes pas plus intéressés que ça par le combat ! Je ne vois pas pourquoi vous risqueriez votre âme pour ça !
- Plusieurs raisons, déjà un, j’aime faire chier mon monde. Deux, j’ai de l’alcool à volonté. Trois, ta sœur est une bête de sexe. Quatre…
- Ne poursuivez pas s’il vous plaît, je n’ai pas besoin de connaître les détails de vos orgies et autres accomplissements de baisodrome.
- Quatre… C’est marrant.
La valkyrie écarquilla légèrement les yeux, c’était « marrant » ? C’est donc ça qui pousse un homme à aller se battre, à risquer sa vie ? À s’acharner alors qu’il n’avait aucune chance ? Tous les autres combattants avant lui avaient une bonne raison de se battre. Ses ongles commençaient à pénétrer sa chair tant la colère lui faisait serrer les poings toujours plus fort, ses dents grinçaient, la valkyrie s’apprêtait à s’invectiver avant d’être à nouveau coupée par l’humain.
- Le chevalier rouge c’était la loyauté. L’écrivain décomplexé, la paix. Le musicien morose, la liberté. Le stratège coincé, la dignité. L’androgyne romantique, l’amour. Le soldat perdu, l’humanité. Le russe silencieux, la révolution. La scientifique folle, le progrès. La petite pêcheuse, l’honneur. Et l’autre glandu, le repos. Ils ont tous eu une raison de se battre. Pourquoi le plaisir serait une raison plus mauvaise qu’une autre ? C’est un sentiment tout aussi humain que le reste.
Il était irritant, détestable, haïssable et pourtant, pas une seule de ses paroles ne semblait insensée ou même idiote aux yeux de la demi-déesse. Ce qui la mettait hors d’elle c’était cette incapacité à lui donner tort, il savait toujours où appuyer, comment contredire les gens, et pourtant, même si toutes ses raisons avaient une forme de logique… Personne ne semblait capable de comprendre cette dite logique : celle d’un électron trop libre pour le monde.
Sans s’attarder davantage le philosophe se retourna avant de quitter la pièce, il retournait tout simplement là ou il le voulait, peut-être dehors, peut-être un parc, peut être sous un arbre. Tout ce qui lui importait c’était de faire ce qui l’arrangeait et l’amusait le plus. Éreintée Göll soupira une fois de plus, cet homme était si particulier qu’elle ne voulait même pas l’accepter pendant ce Ragnarok. Une ombre alerta la demoiselle qui se retourna pour observer le nouveau venu, Charlemagne la fixait.
- Dis moi, tu as de plus en plus de mal à le cerner n’est-ce pas ?
- Parce que vous y arrivez peut-être ? Un être comme lui est bien trop libre pour qu’on puisse le comprendre c’est presque comme…
- Comme si c’était un humain qui avait le cerveau et la mentalité d’un dieu.
La demoiselle écarquilla un peu les yeux, elle fixa Charlemagne un long moment avant de trouver une réponse appropriée.
- C’est… Oui, c’est ça, c’est presque comme devoir parler à un dieu particulièrement libre et capricieux.
- Tu sais petite… Il y a quelques personnes à travers l’histoire de l’humanité qui ont été considérées comme l’être le plus proche des dieux. Des héros comme Héraclès, des rois comme Salomon… En bref, la plupart des combattants du Ragnarok.
- Où voulez vous en venir ?
- Qu’il y a certains cas ou cette appellation est plus vraie que d’autres. Adam et ses yeux divins… Salomon et ses anciens pouvoirs… Et enfin…
- Diogène et son esprit libre ?
Le roi hocha la tête.
- Je n’ai pas vraiment l’impression qu’il a peur de mourir. À ses yeux c’est peut-être comme s’il ne pouvait pas mourir.
La valkyrie se pinça le menton, murée dans ses réflexions ; en réalité l’analyse du roi des francs semblait particulièrement correcte, elle devait en avoir le cœur net, mieux comprendre son combattant lui permettrait sans doute de mieux savoir comment appréhender ce dernier, à nouveau souriante la demoiselle posa ses grands yeux verts sur le roi.
- Seigneur Charlemagne, nous allons nous promener j’ai quelques personnes à rencontrer, vous voulez bien m’accompagner ?
Le roi hocha la tête avant de sourire.
- Volontiers, à vrai dire je pense que nous avons eu la même idée !
Après une série interminable de virages dans des couloirs aussi labyrinthiques que gigantesques la demoiselle arriva face à une simple porte de bois, elle toqua avant d’ouvrir. Au milieu de la salle un certain chevalier observait son armure sous plusieurs angles, cherchant la moindre imperfection. Ce dernier en se retournant s’agenouilla aussitôt.
- Seigneur Charlemagne, Göll ! Pardonnez ma tenue, si j’avais été averti de votre venu je me serais montré plus digne de vous recevoir !
Le roi leva la main comme pour apaiser le chevalier qui se releva ; Goll lui posa sa question.
- Roland, avez vous discuté avec Diogène.
- Rarement à vrai dire…
- Qu’avez vous pensé de lui ?
- Rustre, malpoli, très peu civil… Mais je ne pense pas qu’il soit une mauvaise personne pour autant.
La réponse du chevalier était simple et succincte, autant que son comportement sur le champ de bataille, dépouillé de tout artifice. Après un hochement de tête en guise de salut la valkyrie et le roi quittèrent la chambre pour se diriger vers la suivante, celle fois ci ils ouvrirent sans même toquer.
- Sun Tzu ! Vous avez sans doute des dossiers sur Diogène, ou au moins écrit quelque chose, aidez-nous.
- Impossible.
- Et pourquoi donc ?
Le stratège soupira légèrement avant de montrer une petite pile de documents et autres parchemins.
- J’ai pris l’habitude de retranscrire les paroles de chacune de mes discussions, ce genre d’archivage est essentiel pour mieux comprendre ses alliés comme ses ennemis… Mais lui…
- Lui ?
- Chacune des histoires qu’il raconte est différente, tout est inconstant, ses capacités, sa force, son histoire… Tout change à chaque fois que la question lui est posée.
Agacée la valkyrie claqua de la langue avant de remercier le stratège et de quitter la pièce, il fallait demander à une nouvelle personne. Une fois la salle ouverte, la valkyrie y trouva Pierre qui posa ses deux orbes désormais multicolore sur la demoiselle.
- Oh Göll ! Quel plaisir, désolé de n’être venu à aucune réunion, j’ai encore du mal à m’adapter à ma nouvelle condition…
- Ce n’est rien Pierre, c’est même moi qui suis fautive, c’est la première visite que je vous rends malgré toute votre aide… Excusez moi par ailleurs, si je me présente à vous, c’est pour vous demander encore un service.
Le soldat hocha simplement la tête en souriant, prêt à écouter la requête de la demoiselle ; cette dernière poursuivit donc.
- Que pensez vous de Diogène, avez vous discuté avec lui ?
- Personnellement… Jamais, mais peut être que si je demande à une des âmes en moi j’aurais une réponse positive.
L’homme ferma les yeux et sembla se concentrer, quelques secondes plus tard au moment ou il ouvrit ses deux paupières, la couleur de ses yeux était désormais d’un bleu immaculé.
- Apparemment il est venu discuter avec certains soldats la veille du combat. Ils ont bu et joué au cartes toute la soirée, une très bonne compagnie, un peu rustre mais franche et sage parait-il.
La valkyrie soupira légèrement, les quelques personnes qui le décrivaient donnaient toujours les mêmes explications et autres histoires. Un géant aussi intéressant que malpoli, un soiffard invétéré qui venait s’amuser avec quiconque croisait sa route.
- Merci Pierre, prenez soin de vous et faites attention à votre rétablissement !
L’humain fit un signe de main avant de voir la valkyrie disparaître. Enragée cette dernière poussa un long soupir de déception au milieu du couloir.
- Lénine a repris connaissance mais il est trop faible pour parler et Himiko est toujours entre la vie et la mort… On ne peut plus compter que sur Pasteur et Salomon…
Charlemagne croisa les bras et se gratta la barbe. Visiblement le philosophe était une personnalité bien tranchée, très spéciale et pourtant malgré cette forte impression qu’il laissait à tous et toutes, les gens semblaient évasifs ou perdus lorsqu’il s’agissait de le décrire. Le médecin passa non loin du groupe en tenant une grosse caisse, il hocha la tête une fois passé à leur niveau. La valkyrie interrompit sa course, même arrêté le docteur maintenait son caisson rempli de fioles et autres tubes à essais.
- Docteur Pasteur, aidez-nous, nous essayons désespérément d’obtenir des informations sur Diogène et rien… Tout le monde semble le connaître et ne pas le connaître à la fois.
- Et ce n’est pas moi qui pourrais plus vous aider ! Il est sale, n’a aucune manière et ne fait attention à rien, la seule fois ou il est venu dans mon bureau il a détruit des cultures essentielles à mes recherches en éternuant dessus, depuis il n’a plus le droit d’entrer !
La demoiselle soupira avant d’ajouter.
- Rien d’autre ?
Le docteur hocha la tête de droite à gauche avant de repartir en direction de son bureau, les recherches n’avançaient pas. Charlemagne grommela légèrement.
- Et si nous lui posions les questions directement ?
- Si Sun Tzu lui même n’arrive pas à obtenir de réponse, ce n’est même pas la peine que nous essayions. Il ne reste plus que Salomon mais je dois bien avouer que je n’ai vraiment pas envie de lui demander ce service.
- Le roi Salomon est un personnage fort intéressant ! Mais il est vrai que ce dernier a ce petit côté espiègle et tourmenteur que certains enfants possèdent.
La valkyrie soupira, visiblement elle n’aurait pas les réponses qu’elle souhaitait aujourd’hui.
Zeus entra une nouvelle fois dans sa grande salle de réunion. Cette fois ci le dieu semblait bien plus enjoué, non seulement leur camp avait gagné ce tour mais en plus de ça Queztalcoatl semblait enfin avoir arrêté de poursuivre cette fameuse fin de cycle dont il parlait systématiquement. L’aîné des dieux s’assit sur son trône avant d’observer les divinités présentes lors de cette réunion. Asclépios comme à chaque réunion était ici, Sun Wukong était revenu, Thot patientait tranquillement pendant que Asmodeus s’appliquait une étrange crème sur le visage. Zeus prit la parole
- Eh bien, ravi de voir que pour une fois un ancien combattant est revenu pour une réunion.
Asmodeus à demi intéressé répondit tout en massant ses joues à l’aide de l’étrange mixture.
- Ce n’est pas comme si j’avais grand-chose d’autre à faire, Beelzebuth m’a formellement interdit de m’essayer à quelconque expérimentation tant que je n’étais pas totalement remis.
Zeus soupira légèrement.
- Bon, l’essentiel c’est que tu sois là. Pour ce qui est du reste. Deux victoires. Ce Ragnarok ne fera que douze rounds et j’y tiens, il est hors de question de vivre une nouvelle défaite et de perdre un autre dieu.
Thot prit la parole sur un ton particulièrement calme mais tout autant interrogateur.
- Cela n’aurait-il pas aussi rapport avec Ishtar, l’ordre des combats est donné aléatoirement, à tout moment cette dernière peut être amenée à se battre.
Zeus hocha la tête.
- Précisément et c’est ce que j’aimerais éviter. Nous ne pouvons qu’espérer avoir assez de chance pour que cette dernière n’ait pas à se battre. Sinon…
Le roi singe semblait étonnamment plus intéressé que d’habitude, Sun Wukong se mit à question Zeus à son tour.
- Sinon quoi ? Elle est si flippante que ça la vieille ? Sérieusement qu’est ce que ça change si elle part se battre ?
Zeus continua.
- Tu es trop jeune pour avoir connu cette période… Vois-tu, lors de la première guerre des cieux, bien avant la création de l’humanité, tout a été causé par elle. Elle est déesse de la guerre, déesse de l’amour et pour beaucoup elle est l’origine de tout. On raconte même que si les quatre primordiaux ont pu apparaître et régner quelques temps sur le valhalla, c’est uniquement car Ishtar n’avait aucun intérêt vis à vis de la situation à cette époque là. Bref, elle ne doit pas aller se battre, c’est tout ce qu’il y à savoir, sinon ce n’est pas seulement le valhalla qui est en danger, mais bien toute la planète.
L’assemblée se mura dans le silence quelques instants, une notification alerta Hermès qui observa le message avant de sourire légèrement.
- Eh bien le souci d’Ishtar semble réglé pour le moment ! C’est à votre tour d’aller dans l’arène seigneur Wukong.
Le dieu singe se releva avant de s’étirer. Lors du dernier Ragnarok il n’avait pas pu participer, cette fois ci, il comptait bien faire en sorte de profiter du moindre instant de ce Ragnarok et de son combat jusqu’au bout. Particulièrement joyeux, le dieu singe s’envola presque aussitôt sans même attendre la fin de la réunion ou quelconque information supplémentaire.
Le philosophe de l’humanité était à demi couché contre un arbre, entre le sommeil et l’éveil il profitait du soleil dans un silence tout particulier. C’est alors qu’une présence le força à bouger légèrement la tête avant de voir qu’un étrange homme singe était à côté de lui, lui aussi couché. Pas un mot ne fut prononcé, tout deux étaient bien trop occupés à profiter de l’instant présent, cet accord tacite entre les deux futurs combattants était particulier, même irréel. Après quelques instants L’humain se mit à interroger le singe dans son habituel ton désinvolte et désintéressé.
- Tu sembles particulièrement heureux l’ami, une bonne nouvelle peut-être ?
- Oui ! Je vais enfin pouvoir participer au Ragnarok, j’avais plutôt hâte en vérité.
- C’est marrant ça, moi aussi je dois y participer.
Le dieu se retourna pour observer le combattant.
- On est donc adversaires ?
L’humain hocha la tête, toujours aussi calme et mesuré. Diogène se releva légèrement avant de s’étirer.
- Exact, quel est ton nom ?
- Sun Wukong, et toi ?
- Diogène, Diogène de Sinope.
Un long silence, une pause, puis un léger sourire, les deux combattants se jaugeaient déjà, les deux futurs ennemis essayaient déjà de trouver la faille, ils essayaient déjà de lire au fin fond des pensées de leur adversaire. Ils le savaient, l’un comme l’autre, ils devaient quitter ce lieu et se préparer pour l’affrontement du lendemain. Ils n’étaient pas censés se rencontrer avant ce jour fatidique et pourtant, aussi fascinés que provocateurs les deux adversaires désormais debout s’échangeaient nombre de regards et semblaient parfaitement prêts à se sauter dessus dès maintenant. Pourtant la situation ne déboucha nulle part, et c’est après plus d’une heure environ qu’une nouvelle personne croisa la route des deux combattants qui jouaient aux dés dans une concentration absolue. Göll ne cessait jamais d’être surprise par l’étrange comportement du combattant humain, pire encore, Sun Wukong était rentré dans son jeu et désormais tout deux s’amusaient ensemble comme deux amis qui se retrouvent au bar chaque soir après une longue journée de travail. Excédée la demoiselle s’approcha avant d’interpeller les deux futurs ennemis qui semblaient jouer un combat bien plus important à l’instant présent.
- Diogène, seigneur Wukong… Permettez moi de vous rappeler que vous êtes tout deux censés vous affronter dès demain et que jouer aux dés avec son ennemi la veille d’un affrontement n’est sans doute pas la meilleure idée.
Diogène leva les yeux vers la valkyrie avant de porter son attention vers les trois petits rochers blancs parsemés de points noirs.
- Bam, nénette, ça me fait deux jetons.
Le singe leva les yeux vers Göll avant de lui faire signe de s’asseoir elle aussi. Avant même d’attendre sa réponse il lança ses dés à son tour.
- Deux as et un cinq, ça me fait cinq jetons quand même, je gagne la manche.
Le guerrier humain soupira avant de poser cinq jetons dans la main du dieu simiesque qui rit légèrement. Atterrée, la valkyrie se racla la gorge avant de tousser bruyamment.
- Messieurs, si vous n’avez toujours pas compris, la partie est terminée et si vous voulez régler vos comptes ce sera demain dans l’arène !
Piqués comme deux enfants qui se faisaient interrompre en plein jeu par une mère un peu trop sévère, c’est à contre-cœur que les désormais deux compères rangèrent leurs jetons et leurs dés avant de quitter le fameux coin d’herbe, l’air légèrement penaud. Göll soupira en levant les yeux au ciel, elle savait parfaitement que les deux combattants se moquaient d’elle.
Arrivé à ses appartements, le dieu simiesque s’empressa d’inspecter chaque recoin de son armure, chacune de ses tenues. Étonnamment et malgré son air « je m’en foutiste », le dieu prêtait grande attention à son style et voulait faire en sorte que le moindre détail de sa tenue, de son allure et de son apparence général fut parfait. Sa mission d’importance capitale terminée, le grand saint à l’égal des cieux se positionna sur son tapis pour commencer à méditer et réfléchir. Même s’il pouvait changer de forme à volonté, cet humain était particulièrement grand, gigantesque même, sa constitution était particulière, bourrue mais souple, il était plutôt aisé de comprendre comment Diogène avait pu survivre à une telle destinée pendant l’antiquité. Décidément, une seule pensée obstruait et obsédait le singe, il avait hâte d’être demain, hâte de rencontrer une nouvelle fois cet adversaire, hâte de discuter avec ce dernier. En réalité il avait plus hâte de toutes ces activités qu’il n’avait hâte de se battre.
De son côté le combattant humain regagna sa chambre. Personne d’autre que lui ou sa valkyrie n’avait jamais pénétré cet antre, c’était son royaume le seul. Un royaume constitué d’une simple paillasse sur le sol. Diogène n’avait jamais eu besoin de plus, Diogène n’avait jamais rien réclamé de plus. Le philosophe s’assit sur la paillasse avant d’attendre patiemment. Après quelques minutes de solitude, une silhouette se dessina à la porte et entra dans la pièce. Entièrement nue, celle qui était de paire avec le guerrier venait seulement de revenir. La valkyrie était rousse, de multiples tâches de rousseurs venaient parsemer son visage, ses yeux entre le vert et le bleu étaient éternellement rieurs. La demoiselle bien en chair vint enlacer le guerrier par l’arrière, plaquant sa poitrine contre le dos de ce dernier ; amusé il répondit.
- Tu sais, demain nous allons affronter un bien étrange et amusant personnage !
- Ah oui ? Et qui donc ?
La guerrière serra davantage le corps du philosophe, à moitié endormie, cet espèce de rapport intime que tout deux entretenaient lui apportait un certain réconfort, plus encore, cette connexion entre les deux les rendait capables du meilleur comme du pire.
- Sun Wukong, le fameux dieu singe, je le savais déjà, mais je ne lui avais encore jamais parlé !
La valkyrie réfugia sa tête dans la nuque du combattant avant de se relever et d’aller chercher deux choppes, une fois les deux verres dans les mains, ces deux se remplirent aussitôt de bière, elle vint poser un des deux contenant en face de son amant avant de boire le sien d’un trait.
- Ouais… Il est particulier, c’est sans doute le dieu qui te ressemble le plus, enfin mentalement parlant, je n’irais pas aller jusqu’à coucher avec non plus… Et pourtant.
La demoiselle s’approcha et fixa longuement l’homme qui se mit à rire en la voyant opérer de la sorte.
- Eh bien alors, qu’y a-t-il, tu as oublié à quoi ressemblait mon visage ? Je sais que je suis rarement absent mais tout de même.
- Non ce n’est pas ça que je veux dire. C’est celui qui te ressemble le plus, mais pourtant même malgré tout ça vous êtes particulièrement différents… M’enfin… Oh je ne sais pas trop en fait, je préfère boire, et de toute façon on est tous différents.
En réponse l’homme se mit à rire d’autant plus avant de boire et de terminer son verre à son tour. Il observa longuement la demoiselle, cette dernière finit par se coucher sur la paillasse. Diogène posa sa tête sur le ventre de cette dernière avant de respirer calmement et profondément.
- On est tous différents et tous pareils à la fois… Sinon ça ne serait pas aussi facile de tromper les gens et d’être trompé en même temps.
- Ah, cette rencontre t’a inspiré on dirait bien, tu te mets à jouer sur les mots.
- Humpf… c’est avec autre chose que j’aimerais jouer, J’ai hâte de demain, mais pour l’instant j’ai surtout hâte de toi.
Chapter 47: Règle une : Pas de règles
Summary:
Diogene et Wukong se rencontrent pour un grand affrontement, enfin peut-être... Je vous avoue que je sais pas moi même, en tout cas ils s'amusent bien
Chapter Text
Le chant de quelques oiseaux força l’humain à ouvrir les yeux, Diogène balaya sa chambre du regard et posa les yeux sur celle qui partageait sa couche. Le philosophe se tira hors de la paillasse avant de s’étirer de tout son long, après un bâillement inutilement long et exagéré il posa les yeux sur la demoiselle encore assoupie.
- Tu n’as pas assez bu pour avoir la gueule de bois et vu comme le lit est inconfortable je doute que tu dormes encore.
- Hmmm… Bon eh bien je suppose que je n’y couperais pas, on doit aller se battre c’est ça ?
- Ouais. Et tu vas devoir faire un truc que tu détestes, mettre des vêtements. Pas que ça me dérange, mais j’ai la flemme d’entendre les autres gueuler pour ça.
Après un dernier sourire moqueur à l’intention de la demoiselle Diogène se dirigea vers ce qui faisait office de salle de bain, il observa longuement les éléments qui s’y trouvaient et étaient presque intacts ; du pommeau de douche à la brosse à cheveux tout y passait. Un léger moment de curiosité le poussa à déboucher ce qui semblait être une eau de Cologne, l’odeur irrita immédiatement ses narines, il reboucha le flacon. Après s’être mouillé le visage et avoir regardé sa face l’homme sortit de la pièce.
- Ok je sais que ça va t’étonner, mais j’ai besoin que tu me rases et me coupe un peu les cheveux.
- Attends… tu es sérieux ?
- On va se battre à mort d’ici quelques heures grand max, je n’ai pas envie de me prendre un coup perdu parce que mes cheveux me gênaient ou quelconque connerie du genre.
Encore étonnée la demoiselle se releva en hâte avant de chercher un coupe-choux et une paire de ciseaux dans la salle de bain. Une fois Diogène assit, la valkyrie raccourcissait et enlevait par volume des bourres de cheveux et de poils. Après un long moment, Diogène se releva et se retourna, les joues rasées à blanc, les cheveux légèrement raccourcis, rebouclant légèrement lui arrivaient au niveau du nez. L’humain prit deux barrettes et vint les loger dans ses cheveux, ne laissant plus qu’une mèche lui retomber entre les deux yeux.
Le guerrier dépassait aisément les deux mètres, la carrure large et épaisse Diogène était un colosse naturel, et pourtant, tout le monde continuait de l’imaginer et de le décrire comme un vieillard chétif et décrépi, pourtant chaque fois que ce dernier se tenait debout et droit, tout le monde le réalisait… Il était bien plus gigantesque et imposant qu’on ne pouvait le croire. Son front parfaitement lisse et vaste trahissait une vie sans embûche, ou en tout cas une vie que rien ne dérangeait. Ses sourcils étonnamment fins dessinaient un arc de cercle qui donnait à ses yeux un air aussi moqueur que stupéfait. Son nez droit venait particulièrement trancher son visage et intensifiaient son sourire aussi espiègle qu’énigmatique, le guerrier posa ses deux yeux verts comme la prairie dans ceux de la valkyrie.
- La toge ça va être chiant pour se battre, Je vais juste mettre un pantalon large.
La demoiselle rousse au sourire joyeux observa longuement le personnage à l’apparence changée, un léger gloussement plus tard elle se contenta de poser ses lèvres sur sa joue, visiblement satisfaite du résultat. La guerrière tressa son immense crinière rousse et vint enrouler cette tresse autour d’un chignon, elle enfila une robe de serveuse et posa ses grands yeux ronds sur le guerrier.
- Bon, on y va ?
- Yep.
Sans un mot de plus, les deux quittèrent la salle, prêts pour le combat.
Du côté divin, un énorme bruit de cognement fit bondir le dieu singe hors du lit, les cheveux encore complètement ébouriffés et dans un pyjama à motifs de canards Sun Wukong ouvrit la porte.
- Ouais putain il se passe quoi encore ? Pourquoi on me réveille ? Ah merde le combat c’est vrai, il est quelle heure ?
Zhu Bajie saisit fermement son compagnon au niveau des épaules et le secoua de toutes ses forces.
- Wukong ! Wukong ! Me pardonneras-tu seulement ? J’ai égaré le Ruyi jingu bang ! Que va-t-on faire si tu ne l’as pas avec toi ?!
- Oui tu veux dire le bâton en permanence coincé dans mon oreille ?
- Oui le bâton en permanence coincé dans ton ! … Attends mais qu’est ce que je gardais au juste ?!
- Rien du tout, un faux, je te l’ai donné pour que tu me fiches la paix et que je puisse dormir tranquille. Pas mal comme stratagème hein ? Je l’ai appelé euh… Je sais plus.
Le dieu singe se curait allègrement le nez devant son compagnon hébété qui le saisit à nouveau par le col et le secoua.
- Enfoiré ! Et dire que je me suis inquiété et que ! … Mais attends je rêve, tu as boutonné le lundi avec le mercredi là ?
Un chausson à l’effigie d’un dragon, l’autre à l’effigie d’un tigre, le haut du pyjama boutonné dans un ordre aléatoire, le pantalon à l’envers, visiblement l’homme singe n’avait pas trop fait attention à sa tenue. Wukong termina de se curer le nez et essuya le résultat sur les habits de son compagnon qui l’invectivait encore, le singe lui coupa finalement la parole.
- Bon tu ne sais pas, maintenant que tu es là, aide-moi un peu tu veux ?
- Pourquoi faire ? Tu n’as pas besoin de moi pour quoi que ce soit de toute façon.
- Justement, j’ai besoin d’un conseil de style. Est-ce que j’y vais comme d’habitude, parce que mon adversaire fera sans doute pareil ou… Est-ce que je sors le grand jeu comme à l’époque du vieux moine ?
- Un Ragnarok c’est tous les mille ans.
Le singe se retourna vers son ami avant de rire un peu, le grand saint à l’égal des cieux ferma les yeux, ses cheveux blondirent, sa barbe poussa, son apparence rapetissait légèrement, la forme de sa tête changeait, des poils recouvraient son corps. La queue du primate ondulait légèrement, Wukong posa ses deux yeux rouges sur son compagnon, un sourire particulièrement espiègle sur le visage.
- Sortons le grand jeu alors.
Wukong enfila son armure et posa sur son crâne sa coiffe, les deux longues plumes de faisan ondulèrent à cause des légers déplacement d’air, tapant légèrement sur la cuirasse pour vérifier sa solidité, le roi singe quitta la pièce en faisant signe à son ami de le suivre.
A l’intérieur de l’arène, Heimdall essayait tant bien que mal de divertir le public qui s’impatientait, déjà une heure de retard pour les deux guerriers, était-ce par égarement ou par volonté de déranger le plus de monde possible ? Personne ne le savait, le résultat demeurait fâcheux. En temps normal un adversaire en retard signifie une défaite d’office, mais dans le cas des deux adversaires, que faire, reporter l’affrontement ? Pire encore comment s’étaient-ils tous deux accordés pour arriver en retard. L’arène cette fois ci était en plein air, la demande avait été faite par Zeus elle même, non pas pour faire plaisir au combattants, seulement pour éviter que les frais de réparation de l’arène ne deviennent trop coûteux.
Deux sons se mirent à rugir en même temps, un à droite d’Heimdall, l’autre à gauche, le commentateur secoua vivement la tête pour mieux comprendre ce qui se passait. À sa droite, une guitare hyper saturée rugissait, quelques instants plus tard, un chanteur se mettait à brailler un jargon incompréhensible. Ce n’est seulement au moment ou le parolier hurla « Fuck the system » que le singe apparut, il tenait à un bras un ampli qui hurlait sa musique, marchant en se balançant de gauche à droite. Heimdall essaya de prendre la parole.
- Bon et bien le seigneur Wukong semble être arrivé… Par défaut la victoire-
Plusieurs coups de feu vinrent couper Heimdall. Puis la mélodie, enfin des paroles. « Many men wish death upon me ». Une choppe de bière à moitié vidée, en train de boire le contenu, Diogène fit quelques pas en rythme dans l’arène, une énorme baffle sur l’épaule. Les deux musiques semblaient se répondre, les deux adversaire s’observaient et souriaient à pleines dents, Diogène fut le premier à parler.
- System of a down, Fuck the system, bon choix.
- Many men de Fifty cent c’est pas mal non plus, on a pas mal de goûts communs.
La voix d’Heimdall coupa les deux adversaires qui semblaient bien peu intéressés par le combat, hors de lui, le dieu commentateur s’était mis à hurler pour capter leur attention.
- Messieurs ! Vous avez chacun une heure de retard, vous arrivez en même temps ! C’est à se demander si vous ne l’avez pas fait exprès ! Aucun respect, aucune présentation, une musique qui hurle ! Et en plus vous vous permettez de papoter.
Les deux ennemis sifflèrent de manière synchronisée, impressionnés par les cris du dieu, tout deux s’assirent à même le sol, un complètement avachi, l’autre en tailleur, le menton reposant sur une main. Wukong leva la main.
- Bon voilà on coupe la musique, tu peux nous présenter nous et l’épreuve maintenant.
Le dieu nordique soupira avant de serrer son cor, la nonchalance des deux combattants avait le don de le mettre sur les nerfs, il amena l’embout à la bouche.
- Du côté divin ! Durant de nombreuses années considéré comme le dieu à abattre ! Pour le présenter, autant faire la liste de ses méfaits ! Racket d’armes et d’armures divines, profanation du livre des morts, provocation et injures à l’encontre de l’empereur de jade, coups et blessures sur des fonctionnaires divins, vol des plus belles pêches divines… Vol des pilules d’immortalité, pillage des palais divins, saccages en tout genres… Tout ça ne s’est terminé qu’a l’intervention d’un ancien bouddha.
Diogène hocha la tête, impressionné, visiblement enchanté de voir les méfaits de son adversaire. Le singe après la longue liste de méfaits se releva en levant les bras et en hurlant
- Ouaiiiiiiis !
Résultats, quelques rires de la foule, quelques applaudissements mais surtout beaucoup de huées du panthéon chinois. Heimdall leva les yeux au ciel avant de présenter l’adversaire.
- Du côté des humains ! Le Socrates devenu fou, Diogène de Sinope ! Exhibitionnisme, atteinte à la pudeur et au bonnes mœurs, blasphème, apologie du cannibalisme et de la violence… Compter son histoire serait trop complexe, il aurait rencontré les plus grands de son époque, aurait forcé le respect de chacun d’entre eux en vivant dans une jarre ! Les anecdotes disent tout et leur contraire, encore aujourd’hui, nul ne connaît la vérité !
Le combattant humain se releva légèrement, saisit fermement sa choppe et la leva avec grand fierté avant de terminer de boire le contenu en beuglant.
- Et santé !
Résultats, quelques rires de la foule, quelques applaudissements mais surtout beaucoup de huées du peuple grec. Heimdall leva à nouveau les yeux au ciel. Les deux combattants se fixèrent à nouveau, l’air enjoué.
- Pourquoi tu avais choisi de mettre du métal toi ?
- Parce que ça emmerde les divinités chinoises, ça les empêche de méditer. Et toi pourquoi le rap ?
- Parce que ça emmerde les philosophes grecs, ils disent que c’est vulgaire.
Les deux ennemis ou amis, on ne sait plus trop se mirent à rire en cœur ; puis, à l’unisson ils se retournèrent tout deux vers Heimdall, l’invitant à présenter la thématique du combat, ils avaient certes leurs propres règles mais ils attendaient tout de même l’aval de la direction pour une fois. Heimdall sembla hausser légèrement les sourcils, perturbé par leur comportement tout d’un coup bien plus docile ; le dieu prit son cor et commença son monologue.
- Le onzième round du Ragnarok a un règlement très simple. Les deux combattants doivent s’entre-tuer, voilà tout. Pas de règles supplémentaires, pas d’objectif supplémentaire, seulement un combat dans les règles du premier Ragnarok, les deux combattants se battront jusqu’à ce que mort ou abandon s’ensuive.
Sun Wukong comme Diogène semblaient tous deux ravis de cette annonce, plusieurs voix s’élevaient, les interrogations se multipliaient, Heimdall coupa court.
- Cher public, je me doute bien que de nombreuses questions vous viennent, pourquoi faire en sorte que l’homme considéré comme le plus grand philosophe de l’histoire et un des rares détenteurs du titre de Bouddha s’affrontent à mort au lieu de débattre ou d’offrir un combat verbal. Eh bien c’est simple… Ils n’en voyaient pas l’intérêt, ils préfèrent montrer leurs philosophie de vie via les poings plus que via les mots.
Diogène posa ses yeux sur Wukong, tout deux semblaient prêts, mais avant le départ du combat, l’humain leva la main et posa une question à son adversaire.
- Tant que j’y suis tiens, je viens de me rappeler. Tu n’aurais pas un médicament qui guérit l’âme ?
- Laisse-moi deviner… Vous n’avez pas réussi à soigner l’ennemie de Tiamat parce que son poison ronge l’âme ?
- Ouais…
Le singe émit quelques pensées avant de détacher une fiole de sa poche, il l’envoya à l’humain.
- Faites lui boire ça, c’est un remède d’âme, de sang et de plantes. Ça apaisera le poison et aura un effet liant sur son âme.
L’humain hocha la tête avant de se retourner et agiter la main vers le public là ou se trouvait Göll.
- Tu vois Göll ! Ce n’était pas si dur ! Il suffisait de demander je l’avais dit ! Allez viens chercher la fiole maintenant ! Et oh… Mais qui je vois ?! Platon ça va mon con ?!
La valkyrie se massa les tempes alors que le philosophe assit à côté se sentait déjà rougir de honte. Diogène lui même était en train d’escalader les gradins en poussant les gens les uns après les autres pour apporter la fiole. Les humains comme les dieux ne savaient comment réagir : une heure de retard et ce dernier se permettait encore de faire ce qu’il voulait, Wukong en contrebas était hilare. Une fois la fiole dans les mains de la valkyrie, Diogène descendit en envoyant un baiser vers Platon pour le narguer, à nouveau face au dieu singe, il le questionna.
- Tu vois le chauve un peu musclé ?
- Oui ?
- Il a la haine parce que j’ai été choisi comme meilleur philosophe et pas lui avec sa caverne à la con là.
- Bah je ne vais pas te mentir qu’il n’a pas l’air très marrant donc bon je n’aurais pas eu envie de le taper.
Après une franche séance de rigolade, les deux combattants se tenaient face à face, l’humain devait baisser la tête pour pouvoir observer le petit dieu simiesque face à lui. Tandis qu’un dépassait aisément les deux mètres, l’autre avoisinait seulement le mètre trente, tout ce qu’il restait, c’était l’annonce du combat.
Lorsque Heimdall souffla de toutes ses forces dans son cor, prêt à déchaîner le début d’un affrontement sanglant et mortel, quand son « Fight ! » résonna au cœur de la grande arène ouverte, les deux combattants à la surprise générale vinrent s’asseoir face à face, aucun ne déclenchait les hostilités. Heimdall se répéta, et après quelques longues secondes le dieu nordique questionna les deux adversaire.
- Messieurs, un problème ?
Wukong répondit d’un ton désintéressé.
- On est censés se battre, mais rien ne nous oblige de nous frapper dès le coup d’envoi.
L’humain quant à lui se contenta de hocher la tête pour confirmer les dires du dieu simiesque, il sortit trois dés de sa poche, Wukong quelques jetons qu’il distribua tout en poursuivant son monologue.
- De plus on avait une partie de quatre vingt et un à terminer, j’étais à quinze jetons et Diogène à six, on va en profiter pour discuter un peu puisque de toute façon c’est ce que certains spectateurs attendaient.
Nombreux cris de protestations s’élevèrent, et pourtant aucun des deux guerriers ne semblait y prêter attention, tous deux se contentaient de jouer leur partie, Diogène récupérait quelques jetons, Wukong les reprenait, et ainsi de suite. Après quelques échanges, l’humain se mit à parler.
- Dis moi, les anciens combats, tu les as regardés toi ?
- Tous, pas forcément en direct, mais je les ai tous vus.
- Hm je vois… J’ai fait pareil.
- Et pourquoi cette question ?
- Je suis curieux de savoir qui tu supportais, le fait d’être humain ne m’oblige pas à supporter l’humanité et le fait d’être dieu ne t’oblige pas à supporter les dieux. Commençons ! Premier combat, tu étais pour qui ?
- Celui entre Roland et Guan Yu ? J’aime trop emmerder les empereurs de Jade pour me ranger de leur côté, donc Roland.
- Le vieux roi est marrant, donc j’étais avec lui et le chevalier… Suivant maintenant, l’emplumé contre l’écrivain ? Je supportais l’écrivain, j’aimais bien sa vision des mots.
- Pareil, je n’ai rien contre le seigneur Thot, mais tout unifier est rarement une bonne idée.
- Hmmm… Le clinquant contre le blondinet ? J’étais neutre, tous les deux avaient raison.
- Et tous les deux avaient tort en même temps, je me souviens avoir seulement apprécié la musique.
- Le stratège contre votre vieux fou ? J’aurais aimé que le vieux fou gagne, ça aurait été marrant de voir le bordel que ça aurait donné.
- Pour l’avoir vu à l’action lui et ses plans, je peux te dire que je préférais que votre stratège gagne haha…
- Humm… L’amoureuse androgyne et son copain avec plein de têtes ? C’était triste comme histoire, j’aime bien les deux, de toute façon ils se retrouveront tôt ou tard.
- Je me demandais surtout ce que ça fait d’aimer quelqu’un à ce point, c’est presque flippant je trouve.
- Tiens, quand le démon tout rouge à affronté l’armée, au début j’étais pour lui et après quand ils se sont mis à chanter les crocodiles j’avoue avoir rejoint leurs idées.
- Tu vois tout sous le prisme de l’humour, mais je peux comprendre, Bélial était un enfoiré de toute façon, mais peut-être plus honnête dans son horreur que beaucoup d’autres…
- Après on a eu le révolutionnaire et les deux frangins, là j’avoue que j’étais du côté du révolutionnaire, faut que les choses bougent de toute façon.
- Pour avoir vécu des millénaires et des millénaires, on pensait et on pense tous encore un peu comme Janus pensait, l’autre avait de bons argument mais c’est encore trop tôt pour voir si les choses changeront.
- Les deux scientifiques ? J’aimais bien les expériences glauques de l’autre, les machines ça a peu d’âme… Mais le gros robot de la fin, c’était pas mal.
- Assez neutre sur celui là, il m’a fait pas mal repenser à un combat du millénaire dernier.
- La pêcheuse et le monstre marin ? La gamine me plaît bien, elle est rigolote et toujours énervée pour rien.
- J’étais pour Tiamat, c’était une vieille amie, aussi fêlée soit-elle…
- Ouais… ça peut se comprendre, et du coup le dernier combat… T’en penses quoi, faut être immortel ou faut disparaître à un moment ou un autre ?
- Ah, tu ne me demandes pas qui je supportais cette fois ci ?
- Nan, ce débat là me paraît plus intéressant.
- Hum… Rester immortel, depuis que je suis né je voulais vivre pour l’éternité, parce que j’ai toujours trouvé et je trouverai toujours des choses à faire ! Je me suis amusé, je me suis battu, j’ai aidé des gens, je suis tombé en dépression, j’ai retrouvé la foi, j’ai appris, je continue d’apprendre, je peux guider… Tu peux tout faire avec l’immortalité si tu n’es pas fou !
- Je ne suis pas d’accord. Rien n’a de goût si tout est éternel, bouffe une tarte au cerises tous les jours et ça deviendra dégueulasse. Ok tu n’es pas obligé de faire la même chose tous les jours, mais savoir que c’est éternel, que ça n’a pas de réel impact, c’est comme si on ne faisait rien au final, y’a qu’en vivant et en mourant que ça peut devenir intéressant, sinon c’est comme jouer sans rien parier.
- Hum, c’est la première fois qu’on est aussi peu d’accords sur un sujet ! Mais dis-moi, comment tu es mort au fait toi ?
- Je vais te donner trois histoires différentes. La première c’est que j’en ai eu assez de vivre, j’ai arrêté de respirer et je suis mort. La deuxième c’est que je me suis étouffé en avalant un poulpe cru pour gagner un pari. La troisième c’est que des chiens m’ont mordu et l’infection m’a tué, tout ça parce que j’avais volé leur os. Alors, laquelle est la bonne ?
- Vu ta tirade sur les paris, la mortalité et le fait de faire des choses risquées… Elles peuvent toute l’être à la fois, ce n’est pas facile ton jeu.
- Allez, faisons un pari, si tu arrives à me battre, je te le dis ! Maintenant à mon tour. Pourquoi tu participes au Ragnarok ?
- Parce que je peux le faire et que c’est marrant… Et toi ?
- Tout pareil ! Bon allez. On y va ?
Les deux guerriers se relevèrent, la choppe en bois dans la main de Diogène disparut, Wukong s’enfila un doigt dans l’oreille et en retira une tige qui grandissait et grossissait au fur et à mesure que cette dernière lui sortait du crâne. Le colossal humain torse nu vêtu d’un simple pantalon en toile large se mit en garde, le dieu singe bien plus petit se baissa et fit tournoyer son gigantesque bâton derrière lui. Les deux étaient prêts, l’assaut allait commencer. Le roi singe eut à peine le temps de voir le coude du philosophe lui foncer droit au visage, il sentit de nombreuses parois en bois et en fer lui frapper le dos, il passait à travers un nombre de couches incalculables.
Plusieurs tonneaux gigantesques avaient barré la route du singe qui avait été projeté par le surpuissant coup de coude de l’humain. La plupart d’entre eux avait été brisée, dans la poussière le bâton fila à toute allure droit sur Diogène, un tonneau dévora littéralement le bâton qui s’étendait, un second apparut au dessus de la tête du singe, le bâton en ressortit et vint écraser le singe au sol. L’humain offrit un large sourire.
- Je suis Diogène, ma valkyrie s’appelle Ölrunn, elle est celle qui sert la bière au Valhalla, je peux imaginer et faire faire ce que je veux avec l’alcool et les tonneaux, genre… ça.
Une étrange balle toute de bois et de fer apparut dans la main de l’humain qui la jeta, un deuxième tonneau apparut entre ses mains et prit la forme d’une batte de baseball, dans un coup surpuissant Diogène frappa la balle qui rebondit contre des centaines de parois de tonneaux et frappa le singe une nouvelle fois.
Un rire rauque et profond retentit, en haut d’une des parois de tonneau restante, le singe se tenait accroupi, la gueule légèrement en sang il applaudissait.
- Pas mal pas mal ! Ce clone a vraiment pris cher !
Le dieu simiesque cracha une bourre de poil, chacun d’entre eux devint un double du guerrier, les clones fusèrent sur l’humain, tous armés du même bâton, il était envoyé dans tous les sens, un bâton le projetait en l’air, un autre sur la droite, un sur la gauche, et après de nombreuses passes d’armes, un dernier coup descendant vint projeter Diogène, l’écrasant au sol avant de lui faire tomber un bâton de la taille d’un immeuble dessus. L’arme disparut, Diogène écrasé au sol regardait le ciel en hurlant de rire à son tour.
- Pas mal ! Vraiment pas mal !
- Pas encore mort mon pote ?
- Je suis trop con pour crever !
Les deux adversaires se redressèrent pour se faire à nouveau face à face, les deux déjà blessés, mais les deux ayant déjà prit goût à un combat complètement fou et insensé. Göll ne pouvait pas détacher son regard de l’arène.
- Platon… Comment se fait-il que Diogène ait survécu à…
- Diogène n’a jamais été le genre d’humain à croire en autre chose qu’en ses propres idées… S’il refuse de mourir, il va falloir en faire bien plus que ça pour le tuer… C’est bien pour ça qu’il est le plus grand philosophe de l’histoire, c’est le seul capable de changer la réalité par ses idées.
Chapter 48: La république des coups
Summary:
Diogène a-t-il une raison le poussant à participer au Ragnarok ?
Chapter Text
La gueule en sang, le philosophe humain se boucha une narine à l’aide de son pouce et cracha par la deuxième un peu de liquide rougeâtre, il souffla bruyamment à nouveau capable de respirer sans encombre. Sa valkyrie questionna son état, légèrement inquiète.
- Tu penses vraiment tenir un combat comme ça contre Sun Wukong ? On n’est qu’au début de nos peines… Il sait faire bien plus que ça…
- Ah sérieusement ? Là il n’est même pas chaud, putain comme j’ai hâte de voir ce qu’il sait faire d’autre alors.
Le guerrier était un vrai gamin complètement enchanté par la perspective de pouvoir s’opposer à un adversaire qu’il considérait à sa mesure. La valkyrie soupira et lui posa une nouvelle question.
- Aussi heureux sois-tu ça ne règle pas notre problème ! Comment on est censés le battre si on est déjà en difficulté aussi vite ?
- En devenant meilleur.
Une réponse, une simple réponse et il fusait déjà à une vitesse quasiment imperceptible vers l’ennemi. L’humain fit un saut vertigineux en levant les bras, un gigantesque marteau fait à partir de centaines de tonneaux différent lui apparut entre les mains, il serra de toutes ses forces avant d’abattre l’arme sur l’ennemi en contrebas. Le singe sentait le bois se courber, se déchirer, s’éclater contre sa peau, l’arme s’était brisée, le gigantesque bâton du dieu singe transperça les restes pour venir enfoncer la cage thoracique de l’humain qui s’envolait toujours plus haut dans le ciel. Impressionné Heimdall hurlait dans son cor.
- Incroyable ! Fantastique ! Diogène semble acculé, l’humain n’a aucune chance, mais au juste… Quand est-ce que ça s’arrêtera ?! Le bâton monte encore et encore et encore, sa base grossit de plus en plus, le pilier a-t-il ne serait-ce qu’une limite ?!
L’humain sentait l’extrémité du bâton le repousser et le hisser toujours plus haut, bientôt la circonférence qui tapait seulement son pectoral vint englober son torse, puis son corps… Bientôt elle était gigantesque et le repoussait tout entier. Un grondement soudain arrêta l’ascension, plus rien. Diogène se releva, toussotant un peu.
- Pas beaucoup d’air là haut… ça caille.
La valkyrie claqua de la langue.
- En même temps… Je crois qu’on vient d’entrer dans la stratosphère… On est à plus de dix kilomètres d’altitude là.
Aucune réponse de l’humain qui se contenta de siffler en se posant vers un des rebords de l’arme, observant ce qui se passait en dessous de lui.
- Trop de nuage j’vois pas ce qui se passe en bas… Mais… Il arrive.
Des bruits sourds résonnaient toujours plus fort, au bout d’un moment une silhouette simiesque sauta et se posa en face de l’humain. Le singe se mit à rire de bon cœur avant de se mettre en garde, prêt à reprendre le combat de plus belle, une poignée de cheveux dans sa main s’envola et fit apparaître une dizaine de clones autour de l’original. Diogène se massa le point d’impact du bâton avant de se mettre en garde à son tour.
- Alors on y retourne !
Les clones foncèrent à l’unisson sur l’humain, étonnamment ce dernier ne fit apparaître aucun tonneau ou aucune arme, il se contentait de répliquer à mains nues, à coup de poings, de pieds, de crâne. Plus le temps passait, plus ses mouvements étaient précis, presque chirurgicaux. Le nombre de clones augmentait au fur et à mesure envahissant presque tout l’espace, Diogène arrivait à les vaincre, mais ils apparaissaient bien plus vite. L’humain soupira, et leva une main sur le côté, une gigantesque batte de baseball y apparut, il se mit en garde et commença à se battre à cette manière, écrasant les crânes, tapant les articulations, hurlant en fonçant, au dernier moment le crâne du singe reçut le choc, aucun des deux ne bougea, le sang se mit à couler le long de la tête depuis la zone d’impact. Sun Wukong se mit à sourire à pleines dents avant de briser la batte en la serrant simplement.
- Plus le temps passe… Plus tu t’améliores c’est ça ?
- J’ai bien conscience que je dois devenir meilleur pour te battre.
- Et le manque d’air ne te gêne pas ?
- J’ai décidé que je n’en avais rien à foutre.
Le poing du singe vint s’écraser contre la mâchoire de l’humain qui recula de plusieurs pas avant de cracher une dent par terre, il secoua la tête pour retrouver ses esprits et les idées claires.
- Allez… C’est quand que t’y vas sérieusement ?
- Plus tard ! Je veux encore que ça dure !
Diogène claqua de la langue et vint abattre son poing de toutes ses forces contre sa paume, un tonneau gigantesque apparut et s’écrasa contre Wukong, puis un deuxième, puis trois… à chaque fois que le guerrier humain répétait ce geste, des tonneaux par dizaines, par centaines s’écrasaient contre l’adversaire qui sentait bien le poids augmenter encore et encore.
Le singe bondit hors des décombres de bois et de ferraille et se rua sur l’humain, des arts martiaux purs et durs, rien d’autre pour le moment ; un coup de genoux paré et dévié par une paume, un poing avec l’index légèrement relevé qui venait légèrement couper une joue, un coup d’épaule qui était bloqué par une garde en croix.
Le combat dura de longues minutes de cette manière, les deux suaient de plus en plus, s’ils n’avaient pas été au dessus des nuages ils auraient pu jurer que la pluie battante les trempait de plus en plus. Chaque coup semblait plus rapide, plus violent, plus précis. En joie, le singe s’écria.
- Non seulement tu t’améliores, mais moi aussi, mes réflexes sont de plus en plus rapides, comme si je retrouvais mon niveau de l’époque !
- Ah ouais ?! Et bien rendons ça encore plus drôle !
Le singe baissa les mains, curieux, il attendait avec impatience de voir ce que son ennemi et ami préparait. Avec stupéfaction, le macaque écarquilla les yeux, impossible… Comment un humain pouvait réussir un coup pareil. Une colonne de la même taille que le Ruyi jingu bang s’élevait en face, une colonne faite uniquement de tonneaux ; Diogène sauta dessus avant de s’écrier avec joie.
- Maintenant ! On passe à la vitesse supérieure mon pote !
Et sans demander son reste l’humain sauta et disparut, il se rendait à la base de l’arme, au sol, prêt à la soulever pour se battre avec. Le singe fit disparaître son bâton et le logea sur son oreille, encore impressionné, il sauta sur un nuage pour mieux observer ce que l’humain préparait, trépidant d’impatience. Sun Wukong vit la gigantesque arme de fortune voler dans sa direction, prête à l’écraser et le frapper de tout son poids ; dans la hâte le dieu sortit le bâton de son oreille et le fit grossir pour bloquer le coup qui lui fonçait tout droit dessus. Depuis les gradins on vit seulement Diogène agiter un pilier ridiculement gigantesque puis une énorme ombre, une ombre colossale qui cachait tout le soleil. Un éclair, un coup de tonnerre qui fit apparaître un singe gigantesque en train d’essayer de repousser une arme tout aussi titanesque, puis le singe s’envola et disparut. Heimdall se hâta de questionner le combattant présent sur la terre ferme.
- Diogène que se passe-t-il ?!
- Filez moi une de vos caméras.
- Mais pourquoi ?!
- Parce qu’on va aller voir ce qui se passe sur la lune !
Terrorisé et rendu muet par la réponse de l’humain, Heimdall lui laissa une petite caméra, Diogène se mit à empoigner le manche de son arme, serrer et à courir à toute allure. Il planta sa perche de fortune dans le sol, s’en servit pour se projeter et disparaître à son tour au-delà des nuages.
La caméra laissée par le dieu commentateur grésilla quelques instants avant de retranscrire un bruit de choc, bientôt l’image devint plus claire. Un paysage gigantesque et désolé, des vastes étendues de cratères et le même gris, partout. Diogène y était arrivé, le combattant humain était sur la lune, torse nu, affublé d’un simple pantalon. Le vide spatial devrait dilater l’air dans ses poumons, peu importe, la pression devrait faire gonfler le corps et lui faire perdre conscience, ça ne l’intéressait pas. Il n’était pas censé être capable de respirer dans l’espace, il n’en n’avait que faire.
De l’autre côté, assit sur une des roches lunaires, le dieu simiesque laissait son bâton reposer contre son épaule, patiemment. Sun Wukong posa les yeux sur le philosophe fraîchement arrivé avant de se relever, son arme en main, il pointa un des bouts vers son adversaire.
- Avant qu’on y retourne encore plus fort, laisse moi te poser une question.
- Dis moi tout.
- Pourquoi on est partis se battre sur la lune.
- Je ne sais pas, tu n’as jamais été curieux de ce à quoi ça pouvait ressembler là haut ?
- C’est vrai que maintenant que tu le dis… Mais j’ai du mal à croire que c’est la seule raison.
L’humain en guise de réponse s’étira et se mit à bailler, passant sa main dans les cheveux pour les remettre correctement en arrière, Diogène se remit en garde.
- ça m’ennuierait pas mal de casser le Valhalla, ça ferait désordre et ça annulerait le combat.
- Alors que sur la lune…
Les deux adversaire affichaient tout deux un sourire particulièrement dément avant d’ajouter en chœur.
- Il n’y a absolument rien pour nous empêcher de tout flinguer.
A peine leur chant terminé les deux combattants foncèrent à nouveau au contact, l’un avec une main recouverte d’un étrange gant fait de morceaux de tonneaux, l’autre avec un coup de bâton. Les deux armes s’entrechoquaient, aucun d’entre eux ne réussissait à bouger ou à avancer davantage. Après une lourde inspiration le dieu singe recula, leva une main devant le visage et ferma les yeux. La paume en position de prière, une jambe relevée la plante plaquée contre son autre jambe, le singe semblait méditer.
Diogène recula, il refusait d’attaquer, le philosophe fronça les sourcils, bien plus concentré et semblant particulièrement sous pression. Sa valkyrie l’interpella.
- Il prépare quelque chose hein ?
- Ouais… Et pas un petit truc… Faut que je me prépare au pire, il devient sérieux maintenant, si je l’attaque, je suis mort.
Presque comme un animal sauvage, Diogène s’était abaissé, lui qui dépassait aisément les deux mètres semblait réduire sa taille le plus possible, prêt à fuir ou attaquer quoi que ce soit qui s’approchait un peu trop de lui. Après quelques longues seconde, Sun Wukong ouvrit à nouveau les yeux et l’humain sentit une pression comme il n’en n’avait alors jamais sentie jusqu’alors, son corps suait à grosses gouttes, ses muscles ne pouvaient s’empêcher de trembler, il respirait bruyamment. Sa valkyrie s’agitait et essayait du mieux qu’elle pouvait de lui faire reprendre ses esprits, mais pourtant, elle aussi était terrifiée et incapable de penser rationnellement face au monstre qui se trouvait contre eux.
Dans le gris de la lune, au beau milieu du noir de l’espace, deux orbes rouges semblaient scintiller, dans leur centre, l’or lui même brillait de mille feux. Les yeux du singe s’étaient définitivement ouverts, et Diogène comprit, son ennemi était un Buddha, et ce n’était pas un titre donné pour la beauté de la chose. Déglutissant à grande difficulté, l’humain se redressa du mieux qu’il put, riant nerveusement.
- Bon… Eh bien jusqu’à ce que je trouve un moyen, la mission est on ne peut plus simple. Survivre.
Il y a plusieurs millénaires de ça, alors que la corruption et les biens matériels s’emparaient peu à peu du cœur des hommes, il en était un qui avait décidé de nier tous ces idéaux, un qui avait décidé de ne jamais respecter ces dogmes. Le jeune Diogène, fils de banquier, éduqué de la meilleure des manières détestait sa vie, emprisonné entre de l’arithmétique et de nombreuses séances d’équitation. Le jeune homme observait la nuit étoilée, chaque jour, et de nombreuses nuit, il quittait son domaine pour dormir dans le jardin, admirant les étoiles, profitant de la fraîcheur de l’herbe. Un jour ou l’autre, il partirait, mais il n’était pas encore temps, avant toute chose il devait faire comprendre à son père la futilité des choses.
Un beau matin, la garde vint saisir son père, le jeune homme savait tout, le jeune homme l’avait dénoncé, toutes ses pièces qui fusaient entre ses doigts, il trouvait ça écœurant, tant d’argent inutile, vrai ou faux, tant de bouts de métal qui ne servaient à rien sinon déchaîner la guerre. Diogène quitta sa ville natale, Diogène se dirigea à Athènes.
Antisthène, Socrates, Anaxagore, Diogène connaissait leurs textes, Diogène connaissait leurs écrits, même si bon nombre de philosophes lui attribuaient certains maîtres, jamais Diogène ne fut élève. En réalité, l’humain était élève du monde entier, du malheureux chien au plus riche des marchands, il les observait tous, l’air rieur. Le jeune philosophe observait la mort, Socrates se tua devant les athéniens, Antisthène disparut, en réalité, à part Platon et quelques autres orateurs, Diogène ne connaissait pas grand monde, alors il s’amusait.
« La métaphore de la caverne ? Une connerie, un orage et le feu s’éteint ». « La république de Platon, je vais en écrire une meilleure ». « Les concepts et les idées, c’est bien beau, mais ils ne viennent pas de nulle part, il a juste trop peur d’essayer par lui même ».
Chaque jour qui passait, le philosophe rendait visite à Platon, chaque jour il le moquait, le raillait. Et pourtant, quand bien même les deux se détestaient, les deux s’adoraient également, les deux se provoquaient, les deux discutaient, les deux débattaient. Un jour alors que le cynique écrivait dans sa jarre, un main vint toquer sur le haut de cette dernière, Platon l’observa.
- Qu’est ce que tu nous écris cette fois.
- Ma république.
- Ah tiens, est-elle meilleure que la mienne ?
- Plus drôle en tout cas.
Les deux s’échangèrent un regard de défi, puis un sourire amusé, l’élève de Socrates s’assit et tendit la main.
- Allez va, fais-moi lire, au moins on s’amusera un peu.
Silencieusement, les expressions de Platon changeaient, parfois scandalisées, parfois amusées, parfois même courroucées. Après plus d’une heure il rendit les quelques pages à son rival.
- C’est bien ce que je disais… Un torchon.
- Plus utile que ta république alors, je ne voudrais même pas me torcher avec.
- Un torchon qui changera le monde.
Silencieux, le clochard posa deux yeux sombres sur Platon, un regard qu’il n’avait encore jamais affiché jusqu’alors, un regard plein de sérieux, celui d’un homme qui n’acceptait que très peu qu’on prenne ce qui devait être une plaisanterie au sérieux. Diogène ouvrit la bouche.
- ça changera mon monde, si c’est lu par une autre personne que toi, je rejoindrai Socrates mais sans les honneurs.
Platon se tût quelques instants avant de répondre, comme s’il mesurait chacun de ses mots.
- Tu dis vouloir qu’on couche avec qui que ce soit… Qu’on supprime toutes les armes et toute forme de monnaie… Tu critiques les relations entre adultes et éphèbes, tu dis même préférer bouffer des cadavres. La liberté de critiquer les croyances, les mêmes droits peu importe le sexe, le mépris des traditions, l’abolition des cités états… La moindre de ces idées devrait te valoir non pas l’exil, mais bien l’exécution.
Après un rire profond, Diogène répondit avec un calme à nouveau naturel.
- Et encore… Je n’ai pas fini d’écrire.
- Ah… Et que nous réserves-tu de plus ?
- L’interdiction de la politique, cette science néfaste… Vivre comme on l’entend et comme on le désire…
Platon appuya son regard sur Diogène, il se doutait bien que l’autre cachait quelque chose, une chose qui pour une fois était bien trop sérieuse.
- J’aimerais voir les dieux tu sais. J’aimerais leur poser des questions, tellement de questions… Pourquoi on a été créés comme ça, pourquoi deux jambes, pourquoi les pouces opposables, pourquoi un cerveau qui permet de réfléchir, d’être trompé… Pourquoi un sens du goût développé, pourquoi la pudeur, les normes… J’aimerais tant leur demander, j’ai tant de questions…
La voix du philosophe était émerveillée, comme si ce dernier regardait des étoiles malgré un ciel bleu immaculé.
- Pourquoi les étoiles, pourquoi la lune, pourquoi le ciel, pourquoi la mer est bleue, pourquoi tout ça ? Et… Pourquoi on n’en a rien à foutre de tout ça ? Pourquoi on réfléchit à comment mentir aux voisins, pourquoi on pense être meilleurs que les autres, pourquoi on déteste des gens qu’on ne connaît même pas ! Seulement parce qu’ils viennent d’ailleurs ?! Pourquoi on réfléchit à ça au lieu de regarder les étoiles ?!
Un sanglot venait nouer sa gorge, il poursuivait, plus fort, avec plus de conviction.
- Les dieux ont fait souffrir des hommes innocents pour la simple raison qu’ils le pouvaient, et nous, nous aussi imparfaits soit-on, on veut croire en eux, croire en eux avec cet amour que les enfants portent à leurs parents. On est prêts à se faire caillasser, foudroyer, dévorer pour le plaisir d’un dieu qu’on adore mais qu’on n’a jamais vu ! Pourquoi les hommes s’entre-tuent, pourquoi ils tuent au noms de dieux qui de toute manière pourraient régler ces conflits d’eux mêmes ? Pourquoi… Pourquoi moi un jour je me suis réveillé là ! Comme ça, comme un connard ! Je me suis réveillé avec des voix divines qui résonnaient dans mon crâne, des voix qui me disaient que je pouvais faire ce que je voulais, des voix qui me poussaient à dire que tout le monde faisait fausse route… Pourquoi moi ?! Pourquoi ils ne m’écoutent pas de toute façon hein ?!
Par rage, le philosophe balança son crayon vers le ciel, hurlant autant qu’il pleurait.
- Pourquoi hein ?! Pourquoi vous m’avez abandonné ?! Pourquoi c’est moi qui dois porter ça ?! Je sais que je vais rater, vous savez que je vais rater, et qu’est ce que vous ferez ?! Vous en trouverez un autre, un pauvre gamin à peine né, ne qu’avait rien à foutre là, ne qu’avait rien à subir de tout ça… Et vous lui direz de parler pour vous, et personne ne le comprendra, et il sera seul, si seul le pauvre… Il sera si seul et on le tuera comme on a tué Socrates ! Pauvre gamin, pauvre innocent, ils ne savent même pas ce qu’ils font… Vous leur avez même donné vos caprices et votre colère aux hommes… Des êtres aussi immatures, mais qu’est ce qu’ils peuvent en faire sinon se détruire les uns les autres… Et moi… Moi je dois porter votre parole au milieu de tout ce merdier… Mais pourquoi faire putain… Eh bah je vous maudis, je vous tuerai tous s’il le faut ! Je vous prouverai que vous n’êtes pas aussi puissant que ce que vous prétendez, vous le verrez, je ferai plier le genou des rois, je terroriserai les empereurs, et une fois là haut, tout là bas ! C’est vous, vous qui finirez par voir ce que ça fait quand quelqu’un rit de votre malheur !
Göll écarquilla les yeux avant d’entrouvrir la bouche, cette dernière se cramponna au bras de Platon, forçant le philosophe à la regarder.
- Ce que vous me dites Platon… Est-ce… C’est vrai ?
- Entièrement… Aussi vrai que ce soit la seule fois ou je l’ai pris dans mes bras après l’avoir écouté. Il participe en effet à ce Ragnarok parce que ça l’amuse, c’est faux de penser l’inverse… Il s’amuse autant qu’il hait les dieux, les vrais tortionnaires de l’humanité à ses yeux.
La valkyrie se mordit la lèvre, alors le combattant le plus enjoué, le plus détaché était de tous celui qui méprisait le plus les dieux, celui qui espérait plus que quiconque vaincre et leur prouver la puissance de l’Homme.
Sur la lune, deux figures se faisaient face, l’homme se redressait peu à peu alors que le singe ne bougeait pas, les yeux du dieu étaient insensibles, apaisés et pourtant indicateur d’une violente tempête. Diogène le défia du regard avant de l’interpeller.
- Arrête de faire le malin et balance-moi tout ce que t’as à la gueule, tu verras que cette fois ci aussi je survivrai !
Souriant légèrement le dieu fonça vers l’humain, une des deux extrémités du bâton vint frapper le plexus de Diogène qui sentit son corps et son âme se détacher, il vit seulement son enveloppe s’écraser au sol, inerte. Puis il releva les yeux, des centaines de démons gigantesques, des esprits aussi grands qu’une montagne, des monstres grimaçant, certains souriaient, d’autres pleuraient. À tour de rôle chacun d’entre eux vint frapper à coup de massue et d’épée la pauvre petite âme séparée de son corps. Les chocs étaient si violents que même le corps inerte de l’humain bougeait sous la violence des coups.
Une frappe derrière le crâne vint écraser Diogène au sol. Le philosophe se releva et cracha par terre, sa valkyrie marcha à ses côtés, il sourit.
- C’est bien un expert de l’âme, mais nos âmes son liées, donc je peux me battre ici aussi !
- Tu n’y penses pas quand même ?
- Si je les explose, j’aurais enfin le niveau pour battre le singe.
Dans un nouveau sourire, l’humain fit apparaître ce qui ressemblait à un petit tonneau dans sa main, il en but le contenu bien que tout était intangible.
- Ah ! La bière, meilleure nourriture de l’âme, maintenant que je suis guéri, allez-y mes gros, je vais tous vous exploser maintenant !
Les géants recommencèrent leurs assauts, les coups d’épée semblaient plus lents, les lames moins tranchantes. Bientôt Diogène arrivait à esquiver un coup sur trois, puis un sur deux. Au bout de ce qui semblait être des années, l’humain commençait enfin à tout éviter, mais pourtant, à aucun moment il ne se sentait capable de riposter ou d’affronter ces démons. Bientôt les années devinrent des décennies, puis des siècles… Sa valkyrie tremblotante lui posait toujours la même question.
- Tu as perdu combien de fois ?
- Quarante-huit mille sept cent vingt deux.
- Et tu comptes continuer jusqu’à ?
- Gagner bien sûr !
Pour la première fois, Diogène réussit à contre attaquer, un coup ridicule, minuscule même. Mais pourtant, non content d’esquiver, l’humain avait réussi à asséner un maigre coup face à l’ennemi. En réalité le coup n’avait même pas effleuré le monstre, mais pourtant, un coup avait tout de même été essayé. Et bientôt un deuxième, puis d’autres… Chose aussi incongrue qu’impossible, les démons eux même finissait par craindre l’humain, les monstres et les esprits avaient fini par avoir peur de l’homme. Diogène non content de cette petite victoire poursuivit, premier coup qui faisait mouche, première blessure. Et après d’autres centaines d’essais, voir milliers… Il avait réussi, le premier démon était tombé.
- Tu as perdu combien de fois avant de gagner ?
- Cent vingt-sept mille quatre-cent quatre-vingt trois.
- Et il reste combien de démons.
- Un de moins de sûr.
Sept cent trente deux. C’était le nombre d’esprits de haut rang invoqués par le dieu singe, si on y ajoutait les autres créatures mythologique, une armée de plusieurs milliers de monstres attendait le misérable humain qui continua, encore et encore.
- T’en as tué combien ?
- Tous je crois…
- Après combien d’essais ?
- J’ai arrêté de compter.
- T’y es depuis combien de temps.
- J’ai arrêté de compter aussi.
Le singe écarquilla les yeux, le corps de l’humain avait reprit vie, ce dernier se releva comme après une sieste. Affichant un large sourire, Diogène posa une simple question au dieu singe.
- J’ai fait la sieste combien de temps.
- une dizaine de secondes.
- Elles m’ont paru plus longues.
Les deux adversaires se mirent à rire à nouveau, et pourtant une angoisse venait saisir le singe. Le plus grand philosophe de l’humanité était venu à bout de ses esprits. Diogène se mit à rire à nouveau avant d’interroger le singe.
- Il en faut combien des comme ça pour un comme toi ?
- Beaucoup plus…
- Alors on a encore le temps de s’amuser.
Chapter 49: Putain de montagne
Summary:
Diogène et Wukong semblent aussi semblables qu'ils sont différents, qu'est ce qui pousse les deux ennemis et amis à s'affronter ?
Chapter Text
Le roi singe fit virevolter légèrement son bâton, il tint ce dernier légèrement en arrière, comme si l’arme était en quelque sorte rangée. Levant les yeux vers le philosophe, Sun Wukong rit légèrement avant d’interroger Diogène.
- Tu es au courant que s’il n’avait pas vu le jour, tu serais sans doute l’humain le plus fort de l’histoire ?
- A la différence près que moi je n’ai pas eu besoin du pouvoir des dieux pour devenir ce que je suis.
Les lippes du singe vinrent se courber, il était satisfait, parfaitement contenté de cet adversaire, de ses pensées… De tout en réalité, à tel point que le singe gonflait et grandissait de plus en plus, devenant gigantesque, presque aussi grand qu’une montagne.
- Tu as raison après tout… J’emmerde les autres dieux moi aussi, si tu veux un truc d’eux, le meilleur moyen… C’est de leur prendre !
L’homme leva la tête pour observer le colosse qui se trouvait en face de lui, lorsque le singe se tenait parfaitement debout Diogène pouvait sentir des perturbations dans son champ de gravité. La taille même de son ennemi avait été capable de légèrement perturber le champ gravitationnel de la lune. Diogène ne se laissa pas décourager un seul instant et communiquait avec sa valkyrie, joueur et riant.
- Le problème c’est que j’aurais bien aimé flinguer un dieu, mais lui il n’a rien d’un dieu.
- Pourtant c’en est bien un, qu’est ce qui te fait dire l’inverse ?
- Quand il veut quelque chose, il l’obtient de lui même, sans moyens détournés.
Le philosophe inspira un bon coup avant de sauter, un tremplin fait de tonneau apparut, puis un autre, encore un autre, des plateformes entières. L’homme filait de plus en plus vite alors que le singe s’apprêtait à abattre un gigantesque coup descendant pour briser toutes les créations de l’humain. Au moment ou le coup engagea son mouvement, l’homme hurla de toutes ses forces.
- Maintenant !
En un saut, il échappa au coup de poing du singe qui était alors emporté dans son élan, le combattant recula le bras, arma son poing, des centaines de tonneaux, de morceaux de fer et de bois venaient s’agglutiner autour du membre, il abattit le coup de poing gigantesque contre la mâchoire du singe qui tomba au sol de tout son poids, causant un véritable tremblement de terre sur la lune. Diogène atterrit au sol après coup, essoufflé, il sentait l’entièreté de son corps crier à l’aide et souffrir mille atrocités. Ce qui l’inquiétait plus que son état physique, c’était bien l’état de son âme, cette dernière commençait à ressentir le poids des centaines de combats et presque morts s’alourdir de plus en plus, sans compter la pression phénoménale exercée par la seule présence de son ennemi.
- Dis moi le singe. Vu notre état actuel, si on redescendait là-bas, il se passerait quoi ?
- Humm… Je pense qu’une bonne partie des gradins viendrait à s’évanouir ou à devenir fou.
- Ton statut de Buddha n’est pas censé apporter la paix de l’âme justement ?
- Permets moi de te faire expérimenter quelques choses dans ce cas… Vois-tu, il m’est arrivé de perdre une seule fois… Et cette fois ci, c’était contre lui. Le premier Buddha.
Le singe avait retrouvé une taille normale, et pourtant, ce dernier semblait bien plus grand, gigantesque… Voir même infini, c’est comme si l’univers et les étoiles étaient lui et lui seul. Diogène sentait ses jambes commencer à trembler et faiblir. La voix du singe résonna comme des milliers de cloches dans la tête du philosophe qui se tint le crâne et tomba à genoux.
- Réponds-moi humain. Sais-tu ou tu te trouves ? Toi qui critiquais les mathématiciens et leur attrait des étoiles, regardes-tu ou tu mets les pieds ?
Diogène baissa les yeux avant de réaliser qu’il se trouvait dans la paume du roi singe. L’humain serra les poings et la mâchoire. Il sentait chacune de ses dents se fendre, ses molaires se briser, ses paupières se déchiraient alors que ses sourcils venaient presque à fusionner avec ses yeux. Tous ses muscles faciaux se contractaient, ses veines pulsaient ; le sang commençait à couler de ses paumes tant il serrait de toutes ses forces, il commençait même à sentir que ses ongles atteignaient les os de sa main. Les jambes en coton, il se sentait comme un faon qui venait de naître et faisait face à un tigre ; tant bien que mal l’humain parvint à se relever et se tenir debout, se retenant de vomir tout le contenu de son estomac à chaque micro seconde. Les poumons chargés, la voix écrasée, il répondit.
- Dans… Dans ta paume.
- Parfait, ta raison ne t’a pas encore quitté… Alors réponds moi maintenant, même si mon titre est censé garantir la paix… Cette dernière n’est-elle pas terrifiante ?
- Si. Mais moins que la guerre.
Même acculé, même au bord du précipice, son insolence revenait encore et toujours, ses dents fendues, les gencives coupées par quelques morceaux d’émail, Diogène offrit un sourire ensanglanté au dieu. Le singe se mit à rire avant de continuer son supplice, ravi de voir que cet adversaire restait fidèle à lui même peu importe les circonstances ce dernier décida finalement de mettre l’humain au défi.
- Maintenant… Je vais te donner un défi, si tu parviens à me vaincra à ce jeu… Tu auras gagné le round, d’accord ?
- Tu es sûr de vouloir perdre aussi facilement ?
Le philosophe feignait l’assurance, ce dernier pouvait à peine bouger, peu importe le défi qui lui serait proposé, il serait presque impossible et inconcevable d’en venir à bout. Prenant une grande inspiration, il ancra à nouveau son regard dans ce qui semblait être les yeux du roi singe. Le dieu simiesque se mit à sourire davantage.
- Tu ne demandes pas ce que tu risques en cas de défaite ?
- Pourquoi faire, je compte perdre peut-être ?
Sun Wukong éclata de rire à la réflexion de son ennemi, recouvrant ses esprits, le nouveau Bouddha énonça son défi.
- Tu dois réussir à quitter ma paume. Voilà tout.
Aucune réaction de la part de l’humain qui vint simplement se rasseoir en tailleur, comme s’il réfléchissait, son corps parvenait petit à petit à s’adapter à la pression qui lui pesait sur les épaules. La douleur était horrible, son énergie le quittait peu à peu mais pourtant tout semblait plus supportable. Étonné, le singe interrogea Diogène.
- Eh bien, tu n’essaies pas de partir ?
- Pour aller où ? M’échapper vers où ? Comment ? Ta paume semble infinie, ce n’est même pas la peine d’essayer de courir, là je réfléchis, je verrais après.
La réponse était audacieuse et pourtant loin d’être insensée, le premier réflexe de Sun Wukong à l’époque ou ce défi lui avait été proposé avait été de courir dans tous les sens, taper sur la main, hurler, brailler et s’énerver comme un animal en cage. Et pourtant, jamais la main n’avait bougé, jamais le roi singe n’arriva à s’échapper, pire, c’est comme si ce dernier avait eu l’impression de ne pas avancer ou bouger au centre de cette paume immobile ; comme si tous les efforts du monde ne permettaient pas de quitter une simple main.
Il y a bien des millénaires, quand la foudre vint frapper un rocher, brisant ce dernier, un singe en sortit pour commencer un long périple. Un simple hasard venait de faire naître une des plus grandes calamité du royaume des cieux, la créature faite de pierre s’aventura, rejoignant les singes, devenant leur roi… L’histoire de Wukong était on ne peut plus simple, et pourtant personne ne semble prendre la vraie mesure de ce qui s’était passé, personne ne semble raconter correctement son histoire.
Le futur dieu singe était puissant, surpuissant. Beaucoup le voyaient comme un simple joyeux luron, une créature qui aimait embêter son prochain. Demandez-lui quelque chose et il fera l’inverse, envoyez-le en enfer et il s’y montrera si insupportable qu’on le renverra sur la terre ferme. Faites-le monter aux cieux, donnez-lui de l’honneur et des grades, il fera tout pour les souiller aussi vite que possible. Trop indiscipliné pour rester au ciel, trop dangereux pour rester sur terre, trop nonchalant pour pourrir en enfer, aucune solution ne semblait adéquate pour le singe.
Les armées des cieux qui lui étaient envoyées, toutes massacrées. Les négociants, tous renvoyés sans même les écouter. Les offrandes, il croquait seulement dedans avant de les jeter, les mets les plus raffinés, les filles les plus jolies, les artifices les plus rares, les titres les plus nobles. Il n’en voulait pas, ça ne l’intéressait pas, rien de tout ça ne l’intéressait. Personne ne comprenait réellement ce qu’espérait le roi singe. Une seule personne un jour intervint, l’être à la sagesse la plus infinie, le plus puissant, le plus intelligent, le Bouddha. Le maître de la sagesse, l’éveillé au beau milieu d’une réunion vint s’asseoir dignement dans un des recoins, ne dérangeant personne. Sa seule présence avait forcé le silence, la plupart des divins et des esprits s’inclinèrent, aussitôt il fut amené à la place d’honneur de cette réunion, lui qui semblait amusé par ce comportement.
- Eh bien mes chers amis, est-il besoin de me traiter moi, simple spectateur en général de guerre ?
- Ô grand Bouddha ! Nous requérons votre sagesse… Voyez vous il est désormais des siècles, voir même des millénaires qu’un affreux singe nous importune. Celui qui s’est autoproclamé « Le grand saint à l’égal des cieux » se joue de nous ! Railleries en tout genre, moqueries, irrespect de l’étiquette et de nos coutumes, il nous est depuis impossible de nous en débarrasser ou de forcer son respect !
L’immaculé se mit à rire doucement, le regard serein, l’expression amusée. Dans des gestes lents et gracieux, il regarda à droite, puis à gauche. Tout le monde retenait son souffle, tout le monde attendait de voir la solution de l’éveillé. Ce dernier prit une simple inspiration avant de souffler du bout des lèvres une réponse, comme si elle était l’évidence même.
- Cet ami simiesque me dites-vous… Lui avez vous demandé ce qu’il voulait au fond ?
- Sauf respect de votre sagesse et de votre grandeur… Pourquoi ? Cet être nous importune, il doit être châtié, non félicité !
- Soit, je lui demanderai dans ce cas !
Dans un sourire particulièrement pur, presque enfantin, le grand sage se releva sous le regard ébahi de l’assistance. Seul le bruit de ses pas résonna sur le sol, et après quelques instants, quittant la salle, le bruit au sein de cette dernière reprit de plus belle. Le sage soupira, autant par amusement que par fatigue, cet être de pierre avait décidément fini par capter son attention.
L’éveillé vint en personne en face du roi singe qui se reposait sur un arbre. Dans un simple sourire, les pieds salis par la terre, sa longue robe blanche brunie, le Bouddha observa le singe, les yeux toujours clos et lui adressa la parole.
- Mon brave ami, je suis venu discuter, permets-moi de me présenter je suis Tanhankara, certains m’appellent l’éveillé ou le Bouddha mais au fond… Peu importe les noms.
- Si tu viens de là haut, tu peux repartir, aller te faire foutre et leur dire d’aller se faire foutre aussi.
- Oh non, rien de tout ça, je viens de moi même !
- Pourquoi faire ?
- Discuter.
- Discuter de ?
Le sage se mit à sourire d’autant plus, il avait réussi à piquer la curiosité du singe, ce dernier ne lui était plus aussi hostile, bien que sur ses gardes. Le Bouddha continua sur le même ton, avec le même calme habituel.
- Ce que tu veux. Tu ne fais sans doute pas tout ce remue-ménage par simple plaisir ?
- Et si c’était le cas ?
- Tu n’y aurais pas mis autant d’énergie et tu aurais accepté les nombreuses morts qui t’ont été offertes. Celui qui ne désire rien ne désire pas vivre.
- Oulah ce n’est pas un gros blasphème sur ta propre croyance ça ?
- Peut-être je ne désire rien moi même et je me contente d’attendre mon heure ?
Le singe se mit à froncer les sourcils, ce fameux Bouddha était un vrai problème, pour la première fois il était impossible de jauger cet adversaire, que voulait-il, que faisait-il, qu’espérait-il ? Avait-il une ouverture, était-il possible de le battre ? Après tout il était plutôt chétif, le dieu singe était sûr de pouvoir le tuer en un coup de bâton et pourtant, une sensation irrépressible lui hurlait que c’était chose impossible, qu’il ne parviendrait pas à tuer cette entité. Le singe se concentra de plus belle.
- Bon, admettons que j’espère quelque chose. Depuis le temps, j’aurais sans doute du l’avoir non ? Tout ce que je veux je le prends, tu le sais bien, l’immortalité, mon arme, mon armure, mon nuage… Tout, tout ce que je voulais, je l’ai eu.
- Alors si tu as eu tout ce que tu voulais. Tu n’as plus besoin de vivre, ta vie est pleinement accomplie, même si tu es d’un naturel joueur, tu ne perdrais pas autant d’énergie à provoquer les cieux, à te battre jusqu’au seuil de la mort à chaque fois.
Le singe claqua de la langue, visiblement agacé, sa queue s’agitait dans tous les sens. Sun Wukong détestait qu’on essaie de lire en lui, qu’on essaie de sonder les plus sombres abîmes de son esprit, et c’était précisément ce que cet homme aux yeux mis clos essayait de faire.
- Et selon toi. Qu’est ce que j’essaie d’obtenir ?
- Tu veux détruire les dieux.
Le regard du singe s’assombrit aussitôt, feignant le calme, ce dernier essaya d’argumenter. Chacun de ses gestes trahissait son état mental, respiration troublée, légers tremblements, queue qui s’agitait dans tous les sens.
- Et… Et si c’était le cas. Que ferais-tu ?
- Rien. Je n’ai rien à dire, rien à faire contre ça, tu es libre d’avoir cet objectif.
- Et tu ne veux même pas essayer de m’arrêter ? Essayer de me vaincre ?
- Pourquoi faire ? À mes yeux tu as même raison, les dieux sont lubriques, orgueilleux, capricieux, intolérants, violents, puérils, inconscient, impatients, pervers, sadiques, superficiels… J’ai vu bon nombre de guerres divines, et ton traitement est bien la preuve de cet orgueil. Si deux dieux s’affrontent et changent la planète elle même, prenant au passage des milliers de vies, tout va bien… En revanche si un être venu d’en bas bats un dieu une fois, alors le monde entier doit changer, c’est absurde non ?
Le singe se mit à sourire légèrement, finalement quelqu’un comprenait son point de vue, il n’était pas le seul à penser de cette manière vis à vis des déités et de leur royaume.
- La violence… C’est ça que je ne supporte pas. Ironique pas vrai, le singe bagarreur et guerrier qui déteste la violence ? Mais ce n’est pas cette violence qui me dégoûte… C’est celle qu’on subit au quotidien.
Le singe prit une inspiration, il était prêt à se lancer dans une longue tirade.
- Lorsqu’un dieu fait le choix d’envoyer tel orage sur telle zone, lorsqu’il déchaîne un cyclone, qu’il punit ses incarnations… Quand un dieu méprise ses adorateurs, quand il laisse la faim tuer des milliers d’innocents, quand il laisse un dictateur au pouvoir… Moi je la vois cette violence, et on essaie de me faire croire que la plus insupportable des violences, c’est moi qui leur écrase mon bâton à la gueule… Je préfère encore mille fois voir les gens se taper dessus honnêtement que s’entre-tuer secrètement, de se négliger… Un respecte l’adversaire, l’autre ne lui souffle que son mépris. Je ne pense pas que la violence en tant qu’acte, se battre, se mettre des coups soit une mauvaise chose, à mes yeux, c’est même une bonne chose. Elle est nécessaire.
A cette réflexion, le singe fronça les sourcils, déterminé.
- Elle est nécessaire parce qu’elle force à regarder l’autre, se battre c’est dialoguer avec l’autre, ça règle un différent, on s’engueule avec un pote, deux coups de poings dans la gueule et c’est passé, on ne lui en tient pas rigueur parce qu’il s’est défendu. Tout n’est que violence dans ce monde et essayer de passer ça sous le radar, c’est idiot. On est violent en tuant des animaux pour les manger, on est violents avec les arbres quand on les abat pour construire une maison. On est violents en permanence, mais cette violence là, elle m’est moins nauséabonde et moins violente que leur mépris. Je ne veux pas vivre dans un monde ou quelques connards là haut peuvent nous laisser crever de faim alors qu’ils pourraient nous sauver d’un geste de la main. C’est pour ça que je veux les faire disparaître, parce qu’ils ne verront jamais quelconque problème quant au fait que nous nous disparaissions. S’ils sont choqués parce que je leur ai éclaté la gueule ? Tant mieux, ça ne leur fera réaliser qu’une petite partie de ce qu’ils nous font.
Le Bouddha se mit à sourire, amusé, ce dernier finit par ouvrir les yeux, son regard projeta l’âme du singe. Sun Wukong n’eut jamais ressenti telle pression, telle intensité dans des yeux, et pourtant, aucune haine, aucune violence. La voix de l’immense vint résonner dans son crâne, en panique il regarda à ses pieds, il était dans la paume du géant.
- Espèce d’enfoiré ! Tu m’as piégé hein avoue !
- Pas le moins du monde mon ami… Je te juge capable de changer ces choses mais ces méthodes ne fonctionneront pas… Ainsi je te propose un marché. Si tu quittes ma paume, tu pourras aller les détruire, tu en auras le pouvoir. Si tu n’y parviens pas, alors tu seras emprisonné sous cette montagne jusqu’à ce qu’un homme digne te libère et te fasse changer le monde autrement.
- Hé ! Facile !
Le singe se mit à courir, des heures, une vitesse jamais vue auparavant, et pourtant, le premier jour écoulé, il n’avait pas bougé du centre de la main divine. Le second jour, Wukong s’employa à détruire la main qui le retenait prisonnier, coups de crocs, gigantisme, coups de bâton gigantesque et pourtant, la main restait la même. Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois que Sun Wukong se résigna et posa les yeux sur Bouddha.
- J’abandonne. Tu as gagné.
Dans un sourire plein de tristesse et de compassion, Le Bouddha accepta la décision du singe et enferma ce dernier dans sa prison de roche ou il attendit plusieurs millénaire. L’immaculé finit par trouver la mort, en ayant permis quelques avancées au sein des domaines divins, mais le système demeurait le même, toujours aussi violent par sa surdité. Le moine vint, Wukong commença sa grande aventure, les écritures sacrées, sauver l’humanité d’elle même. Alors que la vie du moine s’éteignit, le grand saint à l’égal des cieux lui offrit sa dernière réflexion.
- On doit sauver les hommes d’eux même… Mais pour se faire, on doit les sauver de leur fanatisme divin.
C’est la dernière fois que Midgard vit le roi singe sur sa terre, ce dernier rejoignit le valhalla, bien déterminé à changer le monde et les choses à tout jamais.
Dans la main du dieu singe, Diogène encore assit en tailleur semblait presque assoupi, ce dernier cherchait une réponse toute différente de celle du singe. Il était assis, simplement, à admirer le temps qui passe, si bien que Sun Wukong l’interrogea à nouveau.
- Tu ne veux donc rien essayer ?
- Non, ton énigme ne m’intéresse pas, si tu me fous dans une montagne je la casse et je me tire c’est tout.
- Que penses-tu qu’il faut faire pour détruire les dieux… Que dois-ton faire pour qu’ils arrêtent de jouer les vieux sages ?
- J’sais pas. Au moins on est sur la même longueur d’onde, ils ne font pas que du bien autour d’eux. Mais tu sais, ce genre de chose, y’a pas de mode d’emploi, c’est au feeling, faut faire ce qui nous semble juste quand on le veut et quand on le peut.
- Et ça changera vraiment quelque chose ?
- D’un désir égoïste, le monde entier peut à jamais changer, tu veux que je mette ça en pratique ?
Curieux le singe hocha la tête.
- Fous moi dans la montagne alors.
Le singe referma la main, cette dernière se transforma en gigantesque montagne, bientôt des morceaux de roches vinrent rouler et tomber, la montagne se craquela à divers endroits, puis peu à peu, elle s’affaissa et s’écroula sur elle même, un gigantesque tonneau avait pris sa place. La structure fut détruite aussitôt, révélant Diogène debout au centre, mains sur les hanches, l’air triomphant.
- J’ai voulu sortir, donc j’ai pété une montagne, un simple désir égoïste. On change tous le monde avec des désirs égoïstes, ça ne sera ni la première ni la dernière fois, certains y arrivent juste mieux que d’autres, et quand tout le monde finit par avoir la même idée égoïste… Le monde change enfin.
Le dieu singe se mit à rire à son tour. Le même rêve, les mêmes destinées, les mêmes échecs et pourtant, deux solutions et deux conclusions qui avaient été différentes. Sun Wukong saisit fermement son bâton et se mit en garde.
- C’est le moment de mettre un terme à ce combat pas vrai ?
L’humain répondit à son tour un large sourire qui révéla toutes ses dents, guéries et en bon état. Il était franc, sincère, enfantin d’une certaine manière. Diogène se mit en garde, prêt à lancer l’assaut final de leur affrontement.
- On a encore le temps de s’arracher la gueule avant d’en finir !
Wukong sauta le plus haut possible, saisit son arme et l’étira, toujours plus long, toujours plus vite et toujours plus fort. Le bâton vint frapper le ventre de Diogène qui fut plaqué au sol, la force dégagée et la violence du coup commença à enfoncer le sol, puis à le briser. Le bâton s’étirait de plus en plus, poussait de plus en plus. Sans solution Diogène sentait la roche lui lacérer le dos, il se voyait s’enfoncer de plus en plus, dans le noir complet, ce n’est qu’après de longues secondes qu’il comprit qu’il traversait l’astre lui même. Lorsque l’humain ressorti de l’autre côté du satellite, il se dirigeait tout droit vers la terre, la vitesse, la violence du choc, il prenait feu, Diogène carbonisait, son ventre transpercé par l’arme. Dans un fracas sourd qui souleva la poussière partout dans l’arène. L’humain venait d’atterrir, laissant un profond cratère dans le sol. Wukong arriva peu après et ramena le bâton à lui, lui redonnant une taille normale.
- C’est fini… Diogène a perdu.
Résigné, triste. Le singe avait fini par tuer celui qui avait été son ennemi et son ami. Alors que Heimdall s’apprêtait à sonner la fin du combat. Une main complètement noire et carbonisée sortit du cratère et se cramponna au rebord, peu a peu, le corps sévèrement brûlé, la peau tombant en lambeau, Diogène se releva et sortit. Alors encore en flamme, un petit tonneau lui apparut dans la main, il essaya d’en boire le contenu, le tout brûla immédiatement, pas une goutte. Agacé, l’humain claqua de la langue avant de hurler.
- Des clopes !
Le public en liesse lui jeta de nombreux paquets, Diogène en saisit un au sol, la cigarette entière brûlait à peine mise dans sa bouche, filtre, tabac, papier, tout. Il rigola légèrement, un gigantesque tonneau de bière apparut au dessus de sa tête et se renversa, sur lui, l’éteignant au passage, sauf le bout d’un doigt. Il saisit une autre cigarette et l’alluma avant d’éteindre ledit doigt. Sa peau se reformait peu à peu, il guérissait à petit feu et avait une apparence presque humaine.
- Les dommages restent là, mais au moins je suis plus présentable… Je te l’ai dit putain de singe ! Je suis trop con pour crever !
Sur ces paroles, l’humain se remit en garde, prêt à se battre, le corps chancelant, l’âme à bout. Le singe fit un franc sourire avant de relever son bâton, les yeux embrumés de larmes, autant par tristesse que par joie.
- Cette fois ci tu ne te relèveras pas.
- Tant que tu douteras ! Je resterai là en vie, même si tu es encore en forme, tu t’épuiseras avant moi !
Chapter 50: Lotus et Houblon
Summary:
La fin de l'affrontement entre Diogène et Wukong !
Chapter Text
Diogène récupérait à vue d’œil, son corps retrouvait son état d’origine, le philosophe replaça ses cheveux en arrière pour mieux observer son adversaire, l’air triomphant. Même le jeter de la lune ne suffisait pas à le tuer, l’homme qui avait décidé de n’obéir à aucune règle. Le philosophe, la cigarette encore entre les lèvres prit une bouffée avant de tout recracher par les narines.
- On va à fond cette fois ci ?
- Même si on risque de détruire le public voire une partie de la planète ?
- Pas notre problème, on nous a demandé de nous battre, on assume.
Énième élan, ils ne les comptaient plus, ni la durée du combat ressentie comme réelle, ni les nombres de coups, tout ce qui comptait, c’était de foncer encore. Ölrun alertait le philosophe, si son corps survivait et ne flanchait pas, son âme s’épuisait de plus en plus, il allait indubitablement s’écrouler et bien plus vite qu’il ne le pensait. Un coup de bâton vint frapper le côté de sa tête, l’avant bras tremblant Wukong sentait une résistance exceptionnelle qui lui empêchait de poursuivre son mouvement. L’humain saisit le bâton à une main, serra et commença à forcer le singe à ployer face à lui ; retirant la cigarette de son autre main, le regard embrasé du philosophe croisa celui du singe qui se mit à sourire avant de se relever petit à petit, les deux serrant l’arme de toutes leurs forces, incapables de bouger.
Une voix retentit au fin fond du cœur de l’homme, la valkyrie hurlait et suppliait pour qu’il lâche ce bâton. Il allait mourir, il fallait se replier, réfléchir, trouver un moyen ; dans un râle surpuissant, Diogène beugla
- Et alors ?! Si une âme n’est pas capable de s’embraser, alors elle ne sert à rien, et si elle n’est pas capable de plus ! Eh bien tant pis pour elle !
Wukong recula légèrement, retirant son bâton, tout bonnement stupéfait, de plus en plus de dieux s’agitaient dans les gradins, Zeus lui même se releva de son siège.
- Impossible ?! Cet homme l’a fait ?!
Ares en panique secoua vivement Hermès.
- Que se passe-t-il Hermès ?!
Lui même époustouflé, Hermès parvint à peine à répondre.
- Il semblerait que Diogène… Ait transcendé sa condition humaine… Diogène… Est devenu un dieu.
Alors que les attributs divins commençaient à encercler l’humain, que l’aura divine elle même s’emparait de lui, une couronne de houblon venait cercler son crâne. L’humain se sentait bouillir et hurla à nouveau.
- J’emmerde cette saloperie, je n’en veux pas !
De rage il déchira la couronne, pour la première fois un humain qui avait atteint l’éveil l’avait repoussé, il gardait une force divine, mais sa condition restait celle d’un mortel.
- Avec ça… J’ai encore du combustible ! On y retourne le singe !
La valkyrie réapparut à côté de l’humain, le serra dans ses bras en versant plusieurs larmes, au contact de sa peau, chacune d’entre elle faisait germer une pousse.
- Dis le Diogène… Tu le ressens toi même.
- Revölund...
Dans une lumière perçante, la valkyrie disparu à nouveau, un bâton avait rejoint les mains de l’humain, la couronne de houblon était revenue sur son front, Sun Wukong s’agita.
- Mais enfin, tu récupères un statut quasi divin comme ça ! Comme le miens !
- Eh bien je ne serai pas le premier dieu à emmerder les dieux, ce statut je l’ai refusé de toute façon.
Les deux bâtons s’entrechoquèrent dans une violence inouïe, le coup résonna à travers toute l’arène et souleva la terre dans un grand tremblement. C’était une guerre entre deux êtres surpuissants, deux êtres qui étaient presque en passe de surpasser la divinité.
Le dieu singe fit tourner son bâton, une étrange danse dessinait un motif de lotus derrière lui, les yeux sages et apaisés, il posa le regard sur l’humain.
- Pourquoi n’abandonnes-tu pas malgré tout ?
- Parce que je n’ai jamais abandonné avant ça.
Le combat prenait une énième apparence différente, alors que Sun Wukong frappait le sol, de gigantesques lotus apparaissaient, la terre tremblait, le paysage semblait glisser et onduler. Dans une étrange pose de méditation, le singe se décida de foncer à l’assaut, son bâton frappant chirurgicalement chaque point vital de l’homme qui resta debout avant de cracher du sang. En réponse, Diogène leva son bâton au ciel, des tiges en tout genre venaient s’accrocher autour de son corps, s’agglutiner autour de ses points vitaux, il guérissait à vue d’œil, à son tour il sauta sur le singe pour abattre son arme sur son crâne. Un craquement résonna, le singe secoua la tête, le coup avait porté mais il n’était pas vraiment blessé. Les deux le sentaient, la fatigue montait de plus en plus, ils étaient tout deux incapables de porter un coup assez puissant pour tuer leur adversaire. Le singe interpella l’homme.
- Y’a un début à tout ! Abandonne maintenant, tu n’arrives pas à me blesser, ça ne sert à rien !
- Tu dis ça avec le sourire ! Avoue que tu veux que ça continue ! Tu adores ce combat !
Un rictus venait distordre le sourire de celui qui était censé être sage et mesuré, il ne pouvait pas le nier, ce combat était tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il aimait. Il voulait que ça dure le plus longtemps possible, cependant tout ça, c’était autant une torture pour lui que pour son adversaire, les deux fatiguaient à une vitesse alarmante. Diogène demanda à son tour.
- Tu doutes toujours ?!
- De pouvoir changer toute cette merde ? Evidemment que je doute, on n’y est jamais arrivés.
- Et y’a cinq minutes on n’aurait jamais cru qu’un humain qui s’élève au statut de dieu le rejette !
Le philosophe se mit à sourire à nouveau avant de courir droit sur le singe, un coup de bâton plus proche du swing d’une batte de baseball vint frapper les côtes du dieu simiesque qui souffla de douleur. Peu à peu il se rendit compte que des tiges de houblon venaient s’accrocher à ton torse, essayant de se frayer un chemin à l’intérieur de la plaie. La plante s’accrochait et petit à petit versait de l’alcool dans le système sanguin du dieu qui sentait l’ivresse monter petit à petit. Posant la main sur l’offense, Sun Wukong fit pousser un lotus qui bataillait contre les plans de houblon, les deux racines se mélangeaient, s’affrontaient-elles même, la pureté du lotus essayait de purger et de drainer l’alcool.
En retour, un coup avait frappé Diogène vers la tête, des fleurs de vie se dessinaient sur son visage, une d’entre elle commençait même à envahir son œil. Le symbole sacré retrouvé dans toutes les cultures s’emparait de l’humain. Dans un rire, ce dernier leva les yeux au ciel.
- La dépravation qui affronte la pureté maintenant ? On transforme encore plus ça en duel d’endurance tu sais ?
Le singe se mit à sourire à nouveau.
- Je mets notre détermination à l’épreuve !
Les deux adversaires offraient un combat tout bonnement inouï, des coups toujours plus rapides, toujours plus précis s’entrechoquaient. Des centaines de Lotus venaient inonder l’humain qui répondait par des murs de houblon. Un coup venait brûler les fleurs, le deuxième les noyait dans l’alcool et les faisait faner. La seule chose qu’on entendait entre les rires était le même mot de la part des deux combattants.
- Encore ! Encore ! Encore !
Dès qu’un des deux tombait, trop épuisé par le combat, l’autre s’arrêtait pour l’observer et l’attendre, et ainsi de suite. Les spectateurs sont incapables d’estimer la durée de l’affrontement, pour certains ça avait été des heures, pour d’autres des jours. La notion même du temps n’existait plus. À chaque instant, chaque fois qu’un des deux adversaire se relevait, la même question était posée par l’humain, qu’il soit celui à terre ou encore debout.
- Alors. Tu doutes toujours ?
La réponse restait la même, mais le ton changeait, il variait à chaque réponse. Au fond de lui même, Sun Wukong ne s’était jamais pleinement résolu à abandonner, la flamme qui brûlait au fond de son cœur ne s’était jamais vraiment éteinte. Il le voulait plus que quiconque, il voulait changer ce monde, il voulait que les choses s’améliorent enfin. Alors à chaque balbutiement de voix, chaque hésitation, chaque léger bégaiement supplémentaire, Diogène continuait encore plus fort.
C’est après un nombre indéfinissable d’échange de coups, de blessures, d’efforts que tous les deux le réalisèrent. Ils étaient à sec, ni l’humain ni le dieu ne pouvaient utiliser leurs techniques, étendre leurs armes, changer leur forme, invoquer fleurs et plantes. Tout ce dont ils étaient capables, c’était se foncer dessus pour se frapper à coup de bâtons, jambes, mains, têtes. Alors ils continuèrent ainsi, et ce n’est qu’après un long moment que les deux mirent un stop. L’humain fut le premier à prendre la parole
- Bon… On y arrive plus hein.
- Ouais… Mais je suppose que toi aussi tu as de quoi lancer une dernière attaque.
- Exact…
Ils le savaient, le combat allait enfin se terminer, pourtant, aucun ne semblait soulagé, ils étaient solennels, voir même un peu déçus. Les deux participaient pour se battre car ça les amusait, pourtant tout deux avaient eu des vrais rêves, des vrais objectifs et ces raisons les ont poussés à continuer encore plus, tant par plaisir de se battre que par volonté d’avoir le dernier mot.
L’humain saisit le bâton à deux mains et l’arma de côté, le singe lui le prit à une main en arrière et leva droit l’autre paume face à lui, comme pour mesurer la distance. Une fraction de seconde, un seul éclat, et les coups étaient lancés. Comme à son habitude, l’humain avait projeté son arme comme un swing, le bâton devenu gigantesque était entré en collision avec la gigantesque percée ennemie. Dans un estoc bien droit, le bâton du dieu singe filait à toute allure jusqu’à frapper celui de l’humain.
Le résultat fut sans appel, l’arme de Diogène avait été brisée, son corps entièrement broyé et arraché sur un côté, jamais le singe n’avait réussi à envoyer un coup si puissant et impressionnant, son arme elle même en tremblait. Lorsque le bâton reprit sa taille initiale, le singe voyait quelques branches de houblons accrochées à l’arme. Les fleurs de lotus restantes venaient mêler leurs racines aux autres, partout au milieu du terrain des petites fleurs de lotus entraient en éclosion, le cœur des fleurs était plein de petits cônes de houblon, un hybride parfait entre les deux plantes. Le corps de l’humain ne se régénérait pas, il avait atteint ses limites, le singe quant à lui avait réussi à les surpasser une fois de plus. Encore debout, Diogène arrivait à parler tant bien que mal, il vint à interroger le singe une dernière fois.
- Alors… Tu doutes toujours ?
- Je ne peux pas dire que je doute toujours autant… Cependant je ne peux pas être aussi sûr que toi… Au moins je veux essayer.
La tête baissée, le regard sombre, le combattant divin était particulièrement silencieux, tout s’était terminé et il le savait, jamais rien de semblable n’arriverait à nouveau. Reprenant un peu courage, reniflant légèrement, le dieu simiesque posa une question à l’humain.
- D’ailleurs… J’ai gagné le pari, comment es-tu mort ?
- Se souviens-t-on de quelqu’un pour sa mort ou pour ce qu’il a vécu ?
- Tu ne t’en souviens plus toi même pas vrai ?
- Non… Mais je me souviens de ce que j’ai vécu. Je me souviens de mes combats, et ça je sais que personne de l’oubliera jamais.
Le dieu singe soupira légèrement avant de porter les yeux au ciel. Même dans ces cas là sa victoire paraissait amère, arrachée… Après tout comment faire face à un homme qui n’avait jamais abandonné. L’humain lui même avait surpassé le dieu sur ce plan, l’un était devenu apathique, n’espérait plus, n’essayait plus, l’autre était resté déterminé jusqu’au bout, même s’il savait que ça ne servait à rien. Une dernière phrase vint faire sourire Diogène une ultime fois.
- Même si ça ne sert à rien… ça n’empêche pas d’essayer.
Le vent fit bruisser les pétales de lotus, éparpillant avec le pollen les restes de l’humain qui se fragmentait, cette fois ci, il pouvait enfin rester libre même dans la mort. Les dieux avaient remporté le round leur donnant la tête. Six à cinq.
Chapter 51: Marché avantageux
Summary:
Une étrange proposition est faite au combattants du prochain round, quelle est-elle ?
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Le résultat du combat plongeait l’humanité au bord du précipice, la cheffe des valkyries se mordillait le pouce à cause d’un mélange d’émotions. L’anxiété venait la saisir, la tristesse aussi ; Diogène était un être exceptionnel en tout point, exceptionnellement insupportable certes, mais aussi exceptionnellement déterminé. La mort du plus grand philosophe de l’histoire de l’humanité laissait un grand vide pour son espèce, cependant la seule chose dont les gens parlaient, ce n’était pas sa disparition, c’était ce qu’il s’était passé juste avant. Nombre de voix divines et humaines résonnaient doucement dans un brouhaha général.
« Cet humain… Il a bien réussi à atteindre le statut divin par lui même ? »
« Moi qui imaginais Diogène comme un vieux fou… C’était surestimer son âge et sous estimer sa folie »
« Ils ont quand même à moitié détruit la lune en se battant ces deux là. »
Cependant une réalisation soudaine vint saisir tout le public. Wukong était debout, éreinté, épuisé, mais pourtant, de tout ce Ragnarok, il était sans doute le survivant ayant subi le moins de dommages. Un des humains les plus puissants, un homme ayant atteint et refusé le statut divin par ses propres moyens n’avait pas réussi à vaincre ou ne serait-ce que laisser une marque au dieu singe, celui ci était resté immaculé. Le bouddha simiesque soupira bruyamment avant de s’asseoir au sol en tailleur, admirant le ciel.
- Non seulement tu étais fort, mais en plus tu as gagné la joute verbale… Foutu enfoiré.
Dans un soupir mélancolique et en forçant sur ses muscles courbaturés le singe se releva pour quitter l’arène sous les applaudissements de la foule. Il se sentait raide, durcit, éreinté, ça ne faisait aucun doute, ce combat était sans doute le plus éprouvant qu’il avait eu l’occasion de vivre. Une figure stoïque applaudissait, l’air grave et sérieux, Göll se retourna vers cette dernière.
- Platon, vous allez bien ?
Le vieux philosophe avait les yeux embués de larmes, des larmes qu’il essayait de noyer par les applaudissements, la voix encore alourdie et nouée par la tristesse il se décida tout de même à répondre à la valkyrie.
- Il a réussi… Certes il est mort… Mais il a vu les dieux, il leur a dit ce qu’il pensait, il a fait les choses à sa manière jusqu’au bout, jamais quiconque n’arrivera à aller aussi loin et réussir autant.
L’expression de la valkyrie changea pour une expression plus triste et plus résolue, observant l’arène parsemée de ces étranges nouvelles fleurs, elle soupira.
- Il a réussi en effet… Peut-être avait-il raison l’humanité n’a pas besoin de réaliser ce Ragnarok ou même de le remporter.
- Le penses-tu vraiment ?
La valkyrie se retourna en reconnaissant cette voix, un roi légèrement barbu, les cheveux bouclés et en bataille la regardait, les yeux toujours rieur, son sourire énigmatique plaqué sur son visage, il répéta sa question dans une douceur exagérée.
- Le penses-tu vraiment ?
Un peu sous le coup de l’étonnement, la guerrière sembla hésiter légèrement, elle connaissait Salomon, elle savait que ce dernier était un maître lorsqu’il s’agissait d’embêter son monde. Si Diogène faisait exprès de donner tort à tout le monde par une logique simpliste, Salomon lui était oppressant par sa simple existence, un simple sourire, le moindre geste forçait tout le monde à remettre jusqu’à sa propre manière de vivre en question. Après quelques délibérations, la valkyrie hocha la tête, déterminée, elle affronta le regard de l’humain.
- Il n’existe aucune réponse complètement vraie, cependant je pense qu’il faut continuer, c’est mon choix et je compte bien l’assumer jusqu’au bout.
Le roi se mit à rire légèrement, les yeux toujours plongés dans ceux de la demoiselle. Après quelques instants il lui donna une réponse sous forme d’énigme.
- Connais-tu le biais des coûts irrécupérables ? Admettons que tu dois donner cent pièces d’or pour un événement. Cependant plus le temps passe, plus les clauses semblent être différentes, moins cet événement t’intéresse, pourtant, tu as donné ton argent, que ferais-tu ? À ton regard tu déciderais tout de même d’y aller, après tant d’efforts, tant de sacrifice et un tel coût, ne pas y aller serait une erreur. C’est la logique même d’un casino, ce fameux « Après tout, au point ou j’en suis, j’ai déjà perdu quasiment tout mon argent, autant tenter le tout pour le tout, je ne sortirai pas bredouille ». Veux-tu toujours maintenir ce choix, sachant que la mise cette fois ci, ce sont des vies.
La valkyrie fronça les sourcils, l’analyse du roi n’était pas mauvaise, c’était d’ailleurs une des premières et rares fois que ce dernier lui parlait aussi sérieusement. Cette mesure dans ses paroles, ce ton volontairement énigmatique et autoritaire, elle comprenait petit à petit pourquoi Salomon avait été amené à régner aussi longtemps de son vivant. En tant que souverain, ce dernier avait fait face à bon nombre de situations du même genre. La valkyrie prit une inspiration et étudia toutes les informations en sa possession.
- Tous les combattants que j’ai choisi sont résolus à donner leur vie, tous connaissaient les risques et les clauses. Certes, si nous ne remportons pas ce Ragnarok, l’humanité ne disparaîtra pas, cependant… Ces aides apportées par les dieux, leurs technologies pourraient sauver de nombreuses vies. Mieux vaut sacrifier sept vie et perdre que ne rien faire et en voir des milliers dépérir.
Salomon se mit à rire à nouveau avant de fixer la valkyrie, son sourire plus qu’énigmatique se faisait légèrement joueur, un peu sadique même.
- Tu ne vois qu’à partir de statistiques et de données, le combat de cet alcoolique ne t’a rien appris ? Ils n’ont pas seulement accepté des clauses, ils voulaient se battre, les gens s’amusent devant ces combats, les combattants prennent plaisir à les effectuer et à mettre leur vie en jeu.
Le roi se releva, se retourna et commença à emboîter le pas pour quitter les gradins, il lança une dernière réflexion à la valkyrie.
- Si t’en avais discuté avec Diogène, il aurait juste répondu « Si ça emmerde les dieux, alors ça vaut le coup de continuer, c’est marrant ». Parfois il ne faut pas réfléchir plus loin que ça.
Et sur ces mots, il avait quitté les gradins pour aller on ne sait où. La valkyrie se pinça le menton, prise dans ses réflexions, après quelques instants elle se retourna vers Platon, comme pour chercher un début de réponse, au moins un élément ou un indice. Le vieux philosophe haussa les épaules avant de donner sa vision des choses.
- Ce Ragnarok est bien différent du premier, il n’est pas question de vie ou de mort. Normalement Diogène vous l’a appris, l’humanité pourrait s’en sortir même sans cette fameuse aide divine. Pire encore, ça serait sans doute mieux pour elle car elle se sent encore trop dépendante de ceux l’ayant créée. Cependant…
La valkyrie le fixait toujours, espérant recevoir une conclusion probante.
- S’il a décidé de combattre pour leur apporter cette aide, c’est autant parce qu’il voulait ennuyer les dieux que parce qu’il n’aurait pas supporté de voir des innocents mourir car les créateurs ont décidé de ne pas les aider.
Cette dernière phrase sembla donner un choc à la demoiselle, elle n’avait encore jamais interprété ou pensé les choses sous cet angle. Diogène avait raison, on pouvait très bien se battre pour aucune autre raison que s’amuser, ou même pour plusieurs raisons à la fois. Un dernier regard triste se figea sur le cœur de l’arène, la valkyrie le quitta finalement les lieux, déterminée à poursuivre sa quête. Dans les couloirs des combattants humains cependant, un événement sans précédent allait sans doute gêner la poursuite du tournoi ou sceller le futur de ce dernier.
Au loin, Göll vit trois silhouettes distinctes, deux masculines et une féminine. La valkyrie s’approcha légèrement pour mieux comprendre la nature de cet attroupement dans un lieu aussi reculé que l’aile des combattants humains. Au fur et à mesure de ses pas, elle se sentait trembler, la situation était incontrôlable et elle ignorait tout de la raison qui déchaînait une peur primaire chez elle. À chaque pas qui résonnait, elle sentait ses jambes s’affaiblir et s’épuiser à la porter, à chaque centimètre un peu plus loin, elle sentait une sueur froide glisser le long de sa nuque, parcourir son dos pour lui saisir l’échine. Son souffle devenait plus court, sa vision s’embrumait, elle ne voyait plus que devant elle, rien aux alentours. La gorge nouée, son ventre sonnant des milliers de tambours, elle arrivait finalement vers le petit groupe.
Les deux hommes étaient Salomon et Louis Pasteur. Le médecin et chercheur était dans un état aussi lamentable que la valkyrie, la seule chose qui semblait le faire tenir debout et lui redonner un peu de courage c’était la main amicale que le roi lui avait posée sur l’épaule. À mieux le regarder c’est comme s’il était devenu géant, son énorme paluche serrait l’épaule et semblait presque faire tenir l’homme debout par sa seule force. L’air semblait brûlant, on sentait presque des légers chocs électriques parcourir tout le couloir, les seuls bruits audibles étaient les respirations de deux personnes, Salomon et la silhouette féminine. Lorsque Göll parvint enfin à observer cette figure féminine, ses yeux s’écarquillèrent, ses genoux avaient lâché, elle ne tenait debout que grâce à la main que Salomon venait de placer sous ses bras et derrière son dos. Ce dernier se retourna simplement, un léger sourire rassurant sur les lèvres, la situation semblait ne pas le déranger le moins du monde. Ishtar était venue pour la première fois à la rencontre de ses adversaires, la déesse suprême arborait une expression particulièrement neutre, ses lèvres ne se courbaient d’aucune manière, ses yeux verts étaient glaçants, à bien y regarder on pouvait même croire que sa pupille avait prit la forme de celle d’un chat. Les mains sur les hanches, la gigantesque déesse fusillait du regard les trois personnes qui lui faisaient face. Après quelques instants, la pression exercée par la déesse comme par l’humain commença à se relâcher. Les deux autres allaient tomber par terre, comme s’ils avaient couru plusieurs marathon, les deux mains du rois les empêchèrent cependant de rejoindre le sol.
La déesse se mit à rire avant de lever une main, son expression avait changé du tout au tout, souriante, chaleureuse et même légèrement espiègle.
- Où sont passées mes manières excusez moi ! Voyez vous je voulais discuter avec ce jeune homme ici présent, monsieur… Pasteur c’est bien ça ? Je lui faisais une proposition pour son propre intérêt, je ne voulais pas vous importuner !
La valkyrie sentait sa gorge se dénouer peut à peu, encore sous le coup d’une angoisse profonde, elle se décida cependant à interroger la déesse qui se trouvait face à elle. À peine un « heum... » fut prononcé que les yeux verts de la déesse se mirent à fixer la valkyrie qui hésitait d’autant plus à poser sa question, terrifiée. Le roi encore sa main derrière le dos de la demoiselle serra légèrement les doigts comme pour confirmer sa présence et la forcer à reprendre un peu de courage. Respirant légèrement, la valkyrie s’assura de reprendre une voix plus claire et assurée.
- Pardonnez mon comportement dame Ishtar, il est très rare de vous voir… Excusez ma curiosité, cependant étant donné mon statut de régente des combattants humains, accepteriez vous de me révéler la nature de cette proposition ?
La politesse de la valkyrie plut à la déesse qui lui répondit en souriant, un sourire presque rassurant au vu de la situation précédente. La proposition qui s’ensuivit le fut clairement beaucoup moins.
- Eh bien c’est fort simple ! Comme vous le savez, à la moindre défaite de l’humanité, le tournoi est fini pour vous ! Et je pense qu’il y a quelques minutes, vous avez tout comme moi appris le thème du prochain combat. Les maladies ! Ce n’est ni mon domaine d’expertise ni celui de Salomon, il ne s’agit pas de notre combat. Et si votre protégé était amené à perdre…
Malgré elle, la puissance qu’elle dégageait et la pression surnaturelle se mit à frapper à nouveau, une aura de violence et de puissance pure qui venait glacer les gens sur son passage autant qu’elle les brûlait de l’intérieur.
- Eh bien il n’y aurait pas de combat entre ce cher Salomon et moi même et ça…
Son regard s’intensifia à nouveau, un regard particulièrement terrifiant, lourd de sens et de menaces.
- Je ne l’accepterai pas.
Elle se mit à sourire à nouveau avant de taper ses paumes dans un geste étonnamment puéril et enfantin, un geste qui la rendait encore plus imprévisible et terrifiante. Dans une voix caricaturalement théâtrale et articulée et poursuivit.
- Enfin ! Voi-la ! Ma proposition était la suivante. Je tue Asclépios ! Je donne la victoire à votre petit protégé par forfait et comme ça le dernier round entre ce cher Salomon et moi même pourra commencer dès maintenant, qu’en pensez vous ?
La proposition de la déesse était attrayante, c’était même une réelle bénédiction pour l’humanité. Cependant, peut-être grâce au sacrifice de Diogène, la valkyrie refusa en cherchant un prétexte.
- S’ils trouvent le corps ou s’ils s’en aperçoivent, le Ragnarok sera annulé.
La déesse admirait ses ongles en répondant.
- Peu m’importe, s’ils le remarquent après notre combat, ça m’est égal. Et de toute manière… Si je ne veux pas que ce Ragnarok se termine… Alors il continuera.
Sa proposition et son marché étaient un véritable cadeau empoisonné, pas même un cadeau ni un marché en réalité. Ce que la déesse faisait était on ne peut plus simple, elle venait prévenir les humains de ce qu’elle comptait faire, voilà tout.
Salomon soupira, se mit à rire légèrement avant de répondre à son tour, les yeux ancrés dans ceux de la dame qui était pourtant plus grande que lui.
- Ma chère Ishtar, fais ça et tu n’auras jamais ma réponse vis à vis de ta fameuse question.
La déesse fronça les sourcils, cependant cette fois ci, son énergie ne vint pas inonder tout le couloir, seulement, elle semblait courroucée et dérangée.
- Et qu’est ce qui te fait dire que je ne peux pas te forcer à me répondre.
- Tu sais très bien que tu ne le peux pas, sinon tu aurais déjà eu la réponse il y a des siècles voir des millénaires.
La déesse claqua de la langue et soupira avant de croiser les bras, l’air boudeur.
- Bon et bien… Je suppose que je vais faire à ce cher Salomon la faveur de respecter ses désirs, cependant si vous changez d’avis, n’hésitez pas à m’en parler !
Dans un dernier petit sourire et un geste de la main la déesse quitta le couloir, doucement, à son rythme, ses talons claquant contre le sol à chaque pas. Salomon retira ses deux mains qui servaient à soutenir ses deux compagnons. Les deux personnes parvinrent à rester debout, bien qu’encore tremblotantes et affaiblies. Le roi vint sourire au deux avant de prendre la parole en plaisantant comme à son habitude.
- Eh bah alors ?! On pourrait penser que vous avez vu une déesse suprême capable de raser la planète sous le coup d’un caprice !
La valkyrie sentit la colère lui monter tout d’un coup.
- Peut-être parce qu’on vient de croiser une déesse suprême capable de raser la planète sous le coup d’un caprice et que cette déesse est notre ennemie ?!
- Tu vois, maintenant que tu es énervée tu tiens debout toute seule et tu as même oublié d’avoir peur, ce n’est pas si dur.
La valkyrie garda les sourcils froncés un bon moment avant de questionner le roi.
- Votre relation avec Ishtar, quelle est-elle ? J’ai du mal à croire qu’elle écoute un humain aussi facilement.
- Ce n’est pas la première fois que tu vois des humains tuer des dieux pourtant.
- Pas de cette nature.
- Himiko comptait pour du beurre peut-être ?
- Himiko avait un équipage entier, un navire créé pour l’occasion et une valkyrie.
- Et son adversaire avait l’océan et tous ses enfants pour lui venir en aide.
La valkyrie grommela légèrement, l’humain marquait un point. Ils avaient déjà réussi à vaincre et à tuer des dieux surpuissants, pour autant vaincre quelqu’un comme Ishtar, cela semblait toujours aussi incongru et impossible. Le roi s’étira avant de faire un geste de la main pour quitter le couloir à son tour.
- Bon, je vous laisse, tu as encore un truc à donner à Pasteur, je vais me préparer pour le treizième round et mon combat moi.
La valkyrie fronça à nouveau les sourcils, comment pouvait-il être aussi nonchalant et calme malgré la situation.
- Qu’est ce qui vous dit que Pasteur gagnera son combat ?
- Je n’ai pas envie qu’il perde, voilà tout. Et même, pour une bonne histoire, ça serait dommage de ne pas voir le dernier combat, encore plus lorsqu’on a gardé le meilleur pour la fin.
La valkyrie haussa les yeux au ciel en soupirant, même après un événement de ce niveau là il restait toujours aussi assuré et orgueilleux. Elle se retourna finalement vers Pasteur une fois le roi parti.
- Docteur Pasteur, j’ai le remède pour l’âme de Himiko ! Vous pouvez lui prescrire dès maintenant et… Pour votre combat je pense que vous êtes déjà au courant.
Le médecin ne sembla pas porter quelconque attention à l’annonce de son combat et se concentra seulement sur la première partie de l’annonce. Il s’empara de la fameuse gourde offerte par le dieu singe et se dirigea immédiatement vers l’infirmerie suivi par Göll. Les patients restant semblaient dans un état stable, si la plupart avaient déjà regagné leurs chambres et n’avaient besoin que de quelques rendez vous de contrôle, deux en revanche étaient encore à l’infirmerie. Lénine était enfin réveillé, des bandages recouvraient son corps, une perfusion d’anti-douleur venait injecter le liquide translucide mélangé à du sérum dans ses veines, le révolutionnaire lisait tranquillement. Il reposa son livre et observa les deux nouveaux venus.
- J’ai appris pour la défaite de Diogène, elle est regrettable, a-t-il réussi sa mission ?
Comme à son habitude, le combattant et ancien vainqueur était concentré avant tous la fin, l’objectif, la finalité de la chose. Il savait que les moyens étaient tout aussi importants, mais il savait surtout que si Diogène était mort sans réussir sa mission, alors une autre personne allait le rejoindre dans le vide éternel. Le docteur répondit en continuant ses pas vers le lit ou était encore étendue Himiko, le teint pâle, la marque noire s’étendant petit à petit et cerclant doucement son cœur.
- Nous l’avons, il n’y a plus qu’à espérer que ça suffise à la faire guérir, mais j’ai bon espoir.
Sans s’expliquer davantage, le docteur s’assit, prit les constantes de la demoiselle, observa les comptes rendus de son état. Après un long silence, la valkyrie se décida à le questionner.
- Vous étiez à ses côtés il n’y a pas si longtemps, pourquoi êtes vous en train de tout étudier à nouveau ?
Aucune réponse du médecin qui continua ce qu’il était déjà en train d’entreprendre, la valkyrie n’osa pas poser de question supplémentaire de peur de le déranger. Le chercheur finit par refermer le calepin contenant toutes les informations liées à la demoiselle.
- Même si je quitte la pièce pour quelques minutes seulement, il faut quand même garder toutes les informations en tête, encore plus lorsqu’il s’agit de devoir administrer un médicament de ce genre. Vous savez ce qu’on dit, ce qui tue, plus que le produit, c’est le dosage.
La valkyrie hocha légèrement la tête, semblant comprendre ce que le docteur était en train de lui expliquer tout en observant et en révisant ses ustensiles. Louis Pasteur s’approcha du pied à perfusions et nota consciencieusement les évolutions dans le contenu de la poche. L’une servait à injecter du sang mélangé à un remède de fortune, l’autre servait à prélever l’autre partie du sang, celle noircie, celle salie par le poison.
- Le grand souci derrière cette histoire, c’est que la nature de ce poison est impossible à purger avec nos propres moyens et nos propres procédés. Cette dernière empoisonne l’âme elle même qui ensuite se déverse dans le sang, la peau, les muscles et les organes… Pour faire court, tant qu’on ne soigne pas l’âme, son état ne changera pas.
Le docteur était particulièrement calme, après quelques instants, il se mit à faire différents tests sur la malade. Une légère incision sur la peau noircie pour y injecter une simple goutte du sérum offert par le dieu singe, la peau sembla s’éclaircir un instant avant de reprendre la teinte noire qu’elle avait à l’origine. Pasteur se pinça le menton pour réfléchir dans sa barbe.
- Ok, il nous faut une perfusion vers la veine cave inférieure… il faut que ça soit au plus proche du cœur et envoie directement le sérum dedans, par la suite ça s’injectera dans le reste du corps et agira en conséquence.
La valkyrie retint sa respiration et posa une question innocente.
- Et comment comptez vous trouver la veine cave alors que toute la peau autour de son corps est noire et ne montre aucune forme de circulation sanguine ?
Pas un mot du médecin qui semblait particulièrement absorbé et concentré. Il se contenta de piquer un endroit bien spécifique à l’aide d’un cathéter, le contenu intégral du sérum fut versé dans une poche qui commença à perdre à petit en quantité. Le corps de la demoiselle semblait reprendre des couleurs plus habituelles, elle semblait reprendre vie à vue d’œil.
- Par la connaissance et la chance, il faut toujours une part de chance pour sauver une vie.
Après quelques heures, la vie était revenue à Himiko qui ouvrit péniblement les yeux, jurant un peu au passage.
- Oh putain celle ci… Je m’en souviendrai.
Göll du retenir Hladgudr qui se préparait déjà à sauter au coup de sa partenaire, autant pour pleurer que pour l’injurier, elle était encore faible, trop faible. Péniblement, l’impératrice posa une question au docteur.
- Doc… On en est où ? …
- Eh bien, votre état me semble stable, je pense que vous allez survivre, en tout cas rien ne semble gêner cette théorie et…
- Non je voulais dire… Le tournoi ? …
L’expression du docteur sembla s’assombrir légèrement, après tout Himiko leur avait fait prendre la tête du Ragnarok, et les résultats étaient sans appel. Les deux combats suivant étaient deux défaites, les dieux avaient repris les devants et son sacrifice semblait bien vain. Pasteur soupira avant de répondre.
- Six pour les dieux, cinq pour nous, ils ont à nouveau l’avantage pour le tournoi…
L’humaine tourna la tête pour fixer le plafond, rageant intérieurement.
- Fait chier…
Dans un sourire plutôt rassurant, l’humain se releva et fixa l’impératrice qui était toujours aussi épuisée.
- Gardez espoir, c’est à mon tour de me battre. Et un médecin digne de ce nom… Ne peut pas mourir avant de voir ses patients guéris.
Et sans un mot supplémentaire, le docteur de l’humanité quitta la salle, déterminé à remporter le prochain combat, déterminé à remporter ce Ragnarok. Si les dieux pouvaient offrir leur remède de l’âme à l’humanité, bon nombre de vies seraient sauvées.
Dans un bureau de l’autre côté de l’arène, un dieu écrivait des recherches à l’aide d’une longue plume d’oiseau. De temps à autres il marquait une pause, se relisait, saisissait à nouveau sa plume et continuait. Derrière lui, une immense pile de documents entassés révélait tous des théories, expériences et recherches, sur bon nombre d’entre elles, on pouvait voir un coup de tampon vert avec l’inscription « Guéri ». Plusieurs maladies voyaient ce tampon sur leurs fiches, le sida, les cancers en général, la mucoviscidose, Alzheimer. L’apothicaire divin termina sa feuille, reposa sa plume avant de saisir son bâton de serpentaire, se hissa et sortit de la pièce en boitillant.
Chapter 52: Micro maladie
Summary:
Le 12 ème round du Ragnarok débute ! qui est le meilleur médecin ?
Chapter Text
Le douzième round du Ragnarok était inéluctable, le minimum de combats nécessaires était sept, le maximum treize. La réalité c’est que les personnes souffrant le plus de cette prolongation des combats étaient les médecins. En période de crise ou de guerre, ces derniers sont toujours envoyés au front, toujours les moins équipés, interdits de faire du mal, interdit d’apporter la mort, seulement de sauver des vies. À chaque affrontement du Ragnarok, ils le savent, ce qu’ils devront soigner sera toujours inédit, les cas qu’ils rencontreront seront toujours parmi les plus spectaculaires et énigmatiques. Blessures liées à l’âme en elle même, brûlures quasi intégrales du corps, amalgame de plusieurs organes, jamais un seul combat de ce tournoi ne s’effectuait sans traces indélébiles et surtout, jamais un seul blessé ne pouvait être traité avec facilité.
Le début du jour venait toquer à la fenêtre, les premiers rayons du soleil vinrent frapper le visage de l’humain qui était déjà réveillé depuis longtemps ; en réalité il n’avait même pas dormi, la nuit les rechutes se font fréquentes. Notre état le plus vulnérable reste le sommeil, quelqu’un devait sacrifier de son repos pour s’assurer que les autres puissent en profiter sereinement. La seule raison qui avait poussé l’humain à revenir dans sa chambre était de ranger ses appareils, et se changer pour le combat à venir. Le chercheur enfila une blouse blanche propre, inspectant les moindres détails de cette dernière, pas de trace. Le chercheur se retourna et quitta la salle comme toujours parfaitement rangée et arrangée, toutes ses recherches et les rapports sur ses malades d’un côtés, recopiés à la virgule près s’il venait à disparaître. Arrivant face à la cheffe des valkyries, il s’inclina légèrement avant de s’adresser à elle.
- Son état est stable, je vous ai écrit les mesures à prendre en cas de problème, les rapports et comptes-rendus sont déjà sur mon bureau, les directives ont été données à Sun Tzu.
- Et vous, comment-vous sentez vous ?
Un silence vint ponctuer cette question, Louis Pasteur posa les yeux sur la valkyrie qui semblait inquiète de son état, plus encore, inquiète du résultat du combat, une simple erreur et c’était la fin de ce Ragnarok.
- Mes recherches m’ont prouvé que bien souvent… La petite bête finit par manger la grosse.
Sans un mot supplémentaire, il posa une main amicale sur l’épaule de la valkyrie avant de quitter les couloirs ; toquant à une autre porte avant d’entrer dans la pièce. La chambre était encore celle d’une dormeuse, une veilleuse venait refléter un ciel étoilé partout sur les murs et les plafond. La demoiselle qui s’y trouvait était encore endormie, un bonnet de nuit vissé sur la tête, un grand pyjama à motif de fleurs et même un masque de sommeil. L’humain soupira, il ne comprenait pas l’intérêt de mettre un masque de nuit en plus d’une veilleuse ; après un léger toussotement pour signaler sa présence, la demoiselle ne bougeait toujours pas. L’intégralité de la chambre était remplie de peluche en tout genre, un petit réfrigérateur se trouvait à côté du lit, sans doute rempli de boissons en tout genre. Après quelques instants Pasteur s’approcha finalement de l’endormie pour poser sa main sur son épaule et la secouer légèrement.
Un œil mauve s’ouvrit, puis un deuxième, elle cligna vivement avant de se relever, son oreiller encore dans les bras. Elle ferma les yeux avec force et exagération, faisant apparaître quelques rides au niveau de ses tempes. Après quelques instants elle vint à retirer ses bouchons d’oreille.
- Oh docteur… Quelle heure est-il ?
- Le soleil rugit dehors et le combat va commencer, tu devrais te préparer.
- Je suis déjà prête.
- En pyjama ? Ce n’est pas sérieux, surtout pour un combat.
- Pourtant c’est là ou je suis le plus à l’aise, ayez confiance en moi !
Ses yeux retombaient légèrement, son expression était celle d’une beauté sereine et éternellement endormie, son calme apparent et sa docilité tranchaient particulièrement avec l’éclair dans ses yeux, celui d’une personne capable de tuer de sang froid. Les longs cheveux noirs de la demoiselle restaient en place et coiffés par son bonnet, elle se releva, enfila ses pantoufles avant de quitter la pièce, suivie par Louis Pasteur. Tandis que les deux compagnons se dirigeaient vers la lumière de l’arène, la demoiselle vint se frotter les yeux avant de bailler et d’interroger l’homme.
- Et donc… On sait comment le combat va s’articuler ?
- Pas encore, son déroulement a été gardé secret pour notre adversaire comme pour moi. Selon la direction c’est pour conserver de l’intérêt pour le combat, si nous avions été mis au courant plus tôt nos recherches personnelles auraient pu interférer et réduire sa durée.
- Et ça ne vous dérange pas de ne pas savoir ?
- Naturellement, mais devoir composer avec l’imprévu est une chose plutôt normale au vu de mon travail…
La demoiselle fit une moue en guise de réponse, le chercheur disait vrai, cela dit ce combat était sans doute un des plus décisif de ce Ragnarok, il fallait gagner à tout prix. Elle questionna davantage le combattant, curieuse d’en savoir plus sur son état d’esprit du moment.
- Connaître l’importance de ce combat ne vous inquiète pas ?
- Avant que je mette au point vaccins et procédés comme la pasteurisation… On jouait à pile ou face avec la vie en permanence. La situation n’est pas tellement différente cette fois ci.
Après un léger sourire se voulant rassurant, l’humain pénétra finalement dans l’arène, la valkyrie à ses côtés, encore trop peu réveillée pour supporter le soleil, elle se cacha les yeux à l’aide d’un de ses bras. De l’autre côté, un vieil homme boitillant s’avançait, un sceptre entouré par un gigantesque serpent lui servait à s’appuyer et à aider ses déplacements, Pasteur déglutit, sa valkyrie l’observa.
- Il est si fort que ça ?
- Physiquement non… Mais voir un des dieux sur les quels on prête serment avant de devenir médecin reste impressionnant…
La valkyrie se tut et observa le vieillard qui arrivait à leur niveau. D’un commun accord les deux médecin s’inclinèrent légèrement pour se saluer avant de chacun tendre une main à l’autre avant de la serrer. Pasteur fut le premier à prendre la parole.
- Cher confrère et maître, c’est un honneur de devoir vous affronter aujourd’hui.
- Cher confrère et maître, c’est un honneur de devoir vous affronter aujourd’hui.
À leurs côtés la valkyrie se faisait la plus petite possible, c’était comme voir une réunion extrêmement sérieuse et solennelle entre deux membres d’un même clan, deux êtres à part qui appartenaient à un monde différent.
Les deux guerriers reculèrent désormais, de chaque côté de l’arène se trouvaient des bureaux accompagnés de matériel en tout genre, stéthoscope, microscopes, nécessaires à opérations en tout genre, seringues, balances, tensiomètres. En bref, la majorité des outils nécessaires pour ausculter des patients en toute sérénité. Heimdall intervint en prenant la parole.
- Mesdames et messieurs ! Bienvenue pour ce douzième round du Ragnarok ! Avant de vous présenter les deux participants, permettez-moi de présenter les règles et de répondre à certaines questions qui vous brûlent sûrement déjà les lèvres !
Le petit dieu s’empressa de prendre un porte document et d’en sortir quelques feuilles, ces dernières résumant les principes de cet affrontement.
- Premièrement ! Tout matériel réclamé et demandé par un des combattants lui sera octroyé le plus rapidement possible, la raison est simple, ne pas surcharger l’arène inutilement.
- Deuxièmement ! Tout produit réclamé et demandé par un des combattants lui sera aussi octroyé le plus rapidement possible, qu’il s’agisse d’une fleur de pissenlit comme d’un diamant.
- Troisièmement ! En cas de manque d’une ressource particulière, par exemple du désinfectant, le combattant est légitime et a le droit d’en réclamer à volonté !
- Quatrièmement ! Si pour le besoin d’une expérience un des participants à besoin d’une pièce sombre, d’être caché, aseptisée, ce droit lui est accordé !
Rangeant cette feuille, le dieu commentateur interrogea les deux futurs combattants.
- Messieurs, ces clauses vous semblent-elles acceptables, avez vous des objections ou demandes particulières ?
Les deux docteurs et chercheurs répondirent par un hochement de tête négatif, Heimdall hocha à son tour la tête avant de sortir une deuxième feuille pour présenter l’épreuve.
- Messieurs ! Amenez la maquette !
Une gigantesque maquette de presque l’intégralité de la circonférence de l’arène sortit du sol et vint à hauteur de torse des deux combattants, tout deux se penchèrent pour observer le contenu de cette dernière ; elle y représentait une grande ville humaine, une métropole occidentale. Heimdall reprit son explication.
- Mesdames et messieurs ! Cette ville n’existe pas réellement, cette dernière est un mélange de plusieurs cités occidentales, de Paris à New York en passant par Venise ! On peut y reconnaître nombre de structures et disposition et en même temps il semble impossible de les nommer ! À l’intérieur de ces maquettes ! Des créations de Beelzebuth lui même !
Les deux guerriers froncèrent les sourcils, même si le démon était un médecin hors pair, ses expériences tabous étaient fortement décriées, pire encore, la simple mention de son nom était un mauvais présage et laissait aux deux guerriers un arrière-goût amer. Heimdall n’y prêta aucunement attention tant ce dernier était préoccupé à expliquer les principes de l’affrontement.
- Tous ces petits êtres que vous voyez sont conscients, intelligents, ressentent la douleur ! Comme nous, mais à une échelle… Moindre, celle des fourmis en somme ! Si ces dernières ont été créées et si ces capitales ont été choisies, ce n’est pas un hasard ! Vous jouez au niveau de difficulté maximum ! Les créatures se lavent et se désinfectent régulièrement, les créatures portent des masques au moindre signe de maladie, Et plus encore ! Ces petites merveilles sont toutes dotées de conscience et d’intelligence, toutes feront attention mais réagiront différemment en tombant malade ! Votre objectif est simple. Chacun d’entre vous créera une maladie et celle causant le plus de morts sera celle du vainqueur !
Un silence particulièrement lourd se leva dans l’assemblée, Asclépios serra son sceptre de toutes ses forces, le serpent se mettait à trembler, on sentait toute la colère du vieillard prendre possession de ce dernier. Pasteur qui était resté silencieux jusqu’alors fut le premier à répondre.
- Je refuse de participer.
Un cri de surprise s’empara de l’intégralité du public, le commentateur lui même était bouche bée. Heimdall essaya de convaincre l’humain du mieux qu’il put.
- Mais enfin ! Vous savez aussi bien que moi la disposition dans la quelle l’humanité se trouve actuellement ! La moindre défaite et vous perdrez ce Ragnarok !
L’humain croisa les bras et fixa le commentateur.
- Et je refuse tout de même. Un médecin n’est pas censé jouer à Dieu ou à l’apprenti sorcier, nous n’avons pas le droit de rendre des personnes saines malades.
Heimdall ronchonna et grommela légèrement, des instructions de la part des dirigeants lui parvenaient dans l’oreillette, il devait essayer tant bien que mal de convaincre l’humain avant d’annoncer sa défaite par forfait. A peine le nordique ouvrit la bouche pour exposer des arguments et essayer de convaincre le guerrier que la voix du deuxième docteur s’éleva, un râle plein de colère et d’énergie.
- Je refuse de participer moi aussi !
Nouveau cri de surprise, les humains comme les dieux s’agitaient, les deux partis ignoraient tout bonnement comment se solutionnerait le combat entre les deux chercheurs et docteurs. Une égalité, ou peut-être le premier qui refusait de participer était déclaré perdant ? Le dieu commentateur dirigea un regard à l’intention des dirigeants qui se concertaient. Après quelques instants dans le flou et dans un silence de mort, Heimdall questionna les deux guerriers.
- Messieurs, Après concertation avec les dirigeants… Plusieurs propositions vous sont faites, il est évidemment hors de question que vous vous affrontiez tout deux à main nues ou dans un combat traditionnel. De plus soigner des malades semble difficile étant donné que nous devrions trouver deux malades identiques pour chaque épreuve.
Les deux médecins agréaient volontiers à ces explications, cependant le format et le principe même de cette épreuve les dérangeait foncièrement, et tant qu’aucune solution ne serait trouvée ou prononcée, il était hors de question qu’ils participent à cet affrontement. La recherche de solution s’allongeait de plus en plus, les débats entre dieux, humains et refus en tout genre s’éternisaient. Ce n’est qu’après un long débat qu’une proposition finale fut proposée, faute de quoi, le combat serait annulé, résulterait en une égalité. Heimdall prit parole, soupirant légèrement.
- Cette proposition sera la dernière qu’on vous offrira. Vous devrez tout deux créer une maladie asymptomatique, trouver une maladie faisant de tout le monde porteur sain. Cette maladie a deux objectifs, le premier c’est d’agir contre toute autre maladie, en effet, chaque malade étant infecté ne doit présenter aucun symptôme mais aussi n’attraper aucun autre mal, en quelques sortes… Vous créez un vaccin universel. L’autre condition pour rendre le combat plus intéressant et pour le rendre plus visuel et parlant ! Votre maladie devra changer la couleur de la peau des infectés, Louis Pasteur devra rendre leur peau magenta, Asclépios bleu ciel ! Ne vous inquiétez pas, ces créatures changent de couleur de peau assez aisément !
La proposition mura les deux adversaires dans le silence, tous deux pesaient le pour et le contre. D’un côté créer cette maladie et la diffusait était contraire à leur serment, de l’autre, inoculer une maladie en guise de soin était le principe même du vaccin. Les deux médecins se lancèrent un regard sérieux, plus que pour cet affrontement, la création d’une telle maladie était un défi de taille, et surtout… Si un d’entre eux y parvenait, c’était un pas certain vers la panacée, un rêve vieux comme le monde. D’un commun accord, les deux rivaux levèrent la tête vers Heimdall pour répondre en chœur.
- Nous acceptons ces clauses !
Un sourire vint s’afficher sur le visage du commentateur qui hurla de toutes ses forces dans son cor, la fièvre du combat le gagnant à nouveau.
- Mesdames et messieurs ! Dieux et déesses ! Deux adversaires, deux ennemis et pourtant ! Ils se sont accordés, ce combat aura lieu ! Louis Pasteur et Asclépios participeront au douzième tour de ce Ragnarok ! Permettez-moi de les présenter !
D’un côté, le dieu se reposait sur son sceptre, malgré son apparence vieillissante, ce dernier semblait entretenir une forme de vigueur et une détermination sans faille, une curiosité sincère se dessinait sur son visage. Heimdall le présenta en premier.
- Dieu de la médecine ! Toujours accompagné par son sceptre du serpentaire ! Le plus grand docteur de l’histoire du royaume divin, responsable d’un des plus grands tabous des lois divines ! Le boiteux capable de soigner même les morts ! Asclépios !
Particulièrement silencieux, le docteur divin ne disait rien, il était déjà muré dans le silence, déjà en pleine réflexion, chaque seconde à prêter attention à autre chose l’empêchait déjà d’entrevoir comment créer une telle prouesse biologiques et chimique. Il n’avait qu’une hâte, courir vers son bureau pour initier ses premières expériences. Heimdall cependant n’avait toujours annoncé ni le début du combat, ni présenté le deuxième combattant.
- L’homme réussissant l’impossible ! Celui qui comprit que même le germe le plus minuscule pouvait avoir des conséquences désastreuse. Nul ne sait combien de vies ont été sauvées par ses vaccins comme par ses recherches. Mesdames et messieurs, Louis Pasteur !
L’humain n’était guère plus bavard, lui aussi avait adopté une pose propre à la réflexion. Le combat n’était pas officiellement annoncé et pourtant, ils pensaient déjà au meilleur moyen de créer une telle maladie. Ce n’est qu’après quelques secondes qu’une certaine phrase vint les ramener à la réalité avant de les presser vers leurs activités. Le cor d’Heimdall résonna, le dieu annonça finalement le début du douzième round de ce Ragnarok.
- Messieurs ! Que le combat commence !
Le vieillard encore boitillant se dirigea à la hâte vers son bureau, ce dernier fit venir aussitôt plusieurs variétés d’herbes, d’eaux et d’autres mixtures. Pour l’instant le dieu docteur se cantonnait à des méthodes très traditionnelles, des mélanges d’herboristes en tout genre. Le docteur brisait dans un grand mortier des graines de pavots, des morceaux d’orties et d’autres fleurs en tout genre, créant une mixture à la couleur repoussante à et à l’odeur prononcée. Il observa longuement cette création, à demi satisfait, cette mixture avait la capacité de changer la couleur de la peau et de guérir quelques douleurs tout au plus, mais rien au niveau de ce qui était demandé. D’ailleurs il fallait même se poser la question, comment fonctionnaient ces créatures ?
Louis Pasteur de son côté ne s’était aucunement dirigé vers son bureau, ce dernier était déjà en train d’inspecter chaque recoin de la ville, chaque fonctionnement, chaque gaine d’égout. Il lisait et retranscrivait tout ce qu’il observait, des petits nuisibles présents ça et là, des animaux qui entouraient ce peuple miniature, les aspérités des bâtiments, le nombre de fontaines publiques. Au fur et à mesure des observations, le médecin écrivait chaque élément intéressant, et plus encore, il redessinait un plan de la ville, notant chaque zone importante. La vraie question désormais était de voir comment une de ces créatures réagirait une fois malade.
Le dieu posa les yeux sur l’humain, curieux de voir ce que ce dernier observait et créait, la soif d’apprendre et de comprendre prit le dessus sur le vieillard qui se mit finalement à questionner son rival.
- Pardonne ma curiosité cher confrère, mais vois-tu, je me demande ce que tu es en train d’étudier au lieu d’initier ta tâche.
- C’est plutôt simple en réalité, comme vous le savez la médecine a évolué, il existe désormais une discipline appelée l’épidémiologie. Avec ça les chercheurs et médecins étudient l’impact des maladies et les réactions de la population face à ces dernières. Le
tout en prenant le plus de facteurs en compte. Un exemple très simple c’est celui de la gratuité des soins, si vous soignez les gens sans les faire payer, beaucoup iront se faire soigner… Cependant…
Le dieu déjà happé par les enseignements de ce jeune humain ne put s’empêcher de répondre et de conclue la phrase par lui même.
- Si les soins s’avèrent trop coûteux, ils les refusent, aggravant donc les effets et augmentant les chances de maladies plus graves…
Le docteur humain hocha la tête, ce dernier prenait déjà en compte tous les facteurs possibles de la société humaine, le coût des soins, les capacités des infrastructures, les symptômes des maladies. Pasteur s’improvisait comportementaliste, il observait chaque petit être avec curiosité, impatient de voir leur actions et surtout lesquels étaient les plus à même de répandre les maladies.
Asclépios avait déjà aisément réalisé quelle partie de la population était la plus facile à viser, les plus pauvres et les plus démunis, ces derniers ont plus de chance d’ignorer les symptômes, mais une réflexion vint le frapper à tout allure. Tandis que Louis Pasteur étudiait encore chaque mouvement de ces étranges bestioles, un plan se dessinait dans l’esprit du dieu de la médecine. Parlant à voix basse depuis son bureau, Asclépios fit venir quelques ustensiles et outils de chimiste comme d’alchimiste.
Une réalisation on ne peut plus simple et pourtant évidente avait frappé l’esprit du vieux docteur. Il fallait impérativement créer une maladie qui de prime abord n’a aucun symptôme, une maladie saine remplie de porteurs sains. Il fallait d’abord la rend asymptomatique puis faire en sorte que cette dernière change la couleur de peau, la simple explication de Louis Pasteur quant aux comportements humains avait fait réaliser au docteur que le moindre symptôme serait chassé et que dans le pire des cas, les malades seraient des pestiférés tant cette maladie était visuelle. Plus encore, l’intérêt du médecin se montrait de manière différente il fallait créer une balance parfaite, la maladie devait être détectée assez rapidement et aisément, mais surtout devait montrer patte blanche et se montrer inoffensive, le médecin réfléchissait à un moyen de montrer aux créatures que cette expérience leur était bénéfique.
Assit sur sa chaise, le visage pointé vers le ciel, Asclépios semblait presque endormi, écroulé par cette réflexion qui accaparait chaque brin d’énergie qui le traversait, fallait-il rendre la maladie bien visible mais l’injecter à un patient déjà malade, le guérissant et montrant les bienfaits de sa création. L’idée était séduisante mais erronée, dans cette micro-société il était bien précisé que l’accès au soin était aisé et que ces créatures étaient conscientes de leur santé, les poussant à essayer de se soigner en cas de maladie. Si une d’entre elle se voyait guérie par la maladie d’Asclépios, il ne ferait aucun doute que ce changement de couleur serait considéré comme un effet secondaire d’un des médicaments originalement prescrit et que ces derniers seraient testés avant même qu’on fasse des recherches sur l’état du malade.
De son côté Louis Pasteur faisait face et réfléchissait à un autre problème de taille, de quelle manière devait-il propager sa maladie ? D’un côté le dieu de la médecine était du genre à expérimenter en premier lieu puis à partir de ses observations il adapterait la recette, tâtonnant vers la réponse et la solution ultime. L’humain quant à lui favorisait une approche plus théorique et méthodique, il préférait éviter d’inquiéter les populations le plus possible, il cherchait un moyen de rendre la maladie la plus infectieuse possible pour que cette dernière se propage de la manière la plus rapide et efficace. Plusieurs cas de figure se proposaient à lui, le premier était les animaux, il pouvait essayer d’injecter la maladie au moustiques, s’assurant que leur salive et leurs piqûres puissent transmettre la maladie au futures victimes. L’autre solution était de directement infecter l’eau, tout le monde y étant exposé et surtout, tout le monde y étant dépendant, il était obligé d’infecter quelques citoyens, le plus grand problème était de s’assurer que la maladie puisse survivre dans l’eau. Sa dernière solution était la transmission par l’air, les maladies pulmonaires ont tendance à être les plus infectieuses, les toussotements, miasmes et autres réactions étaient on ne peut plus efficaces lorsqu’il s’agissait de transmettre une maladie, le problème restait le même, ce peuple était très soucieux de sa santé, et la maladie se voulant asymptomatique cette dernière ne causerait aucune toux ou éternuements pourtant nécessaires à sa transmission.
À l’heure actuelle les deux combattants étaient dans le flou, chacun faisait face à un problème de taille, l’un réfléchissait au meilleur moyen de transmettre la maladie et comment la rendre la plus facile à transmettre, l’autre réfléchissait déjà à comment les créatures réagiraient face à cette dernière. Dans tous les cas, toutes leurs réflexions menaient au même cul de sac, il leur était pour l’instant tout bonnement impossible de trouver une solution à leurs problèmes, à peine un mouvement était fait que le deuxième se retrouvait bloqué. D’un commun accord, les deux docteurs s’approchèrent, et chacun d’un côté de la table échangeait ses connaissances et ses recherches, du jamais vu au cours d’un Ragnarok et pourtant une solution aussi pragmatique qu’intelligente. Si un échange s’avérait fructueux un parti pouvait obtenir une information manquante sans en dévoiler une essentielle à l’adversaire, en plus d’un vrai combat de recherche, il s’agissait aussi d’un combat psychologique, un combat de qui allait céder le plus, qui partagerait le plus d’informations. Au terme d’un long débats et de plusieurs hypothèse, une première conclusion vint aux adversaires qui firent à haute voix la même conclusion.
- Si notre maladie peut détruire et faire disparaître les autres maladies, alors ça veut dire que la maladie de l’autre fait aussi partie de l’équation, en plus de créer une maladie infectieuse et efficace, il faut réussir à en créer une plus tenace que l’autre, à terme tout le monde sera infecté, mais la vraie difficulté est de savoir qui aura l’avantage sur l’autre en termes de création…
Chapter 53: Sang de gorgone
Summary:
L'affrontement entre les deux meilleurs médecins s'intensifie, comment est né Asclepios, plus grand médecin des cieux ?
Chapter Text
Après cette déduction et conclusion, un silence de mort, les deux combattants étaient retournés à leurs bureaux respectifs, cachant le plus possible ce qu’il faisaient, réclamant des rideaux et autres moyens de masquer le moindre aperçu de leur recherche. Plusieurs bruissements se faisaient entendre dans le public qui débattait de la raison qui avait poussé les deux chercheurs à opter pour cette stratégie et à cacher leurs découvertes tout d’un coup.
Un vieillard à la barbe épaisse et au crâne dégarni assit à côté de Göll observait la demoiselle qui semblait elle même perdue dans ses pensées. C’est après quelques secondes de réflexion qu’il se mit à répondre aux questionnement que la guerrière gardait pour elle seule.
- Si leur adversaire voit ne serait-ce qu’une partie de leur création, alors il pourrait remonter à la base de cette dernière et y trouver un remède, c’est une simple précaution.
La valkyrie hocha la tête avant de porter son regard à l’intention du vieil homme.
- Je m’en doutais, cependant le docteur Pasteur semble moins à risque, ses méthodes sont plus récentes et utilisent des procédés encore jamais vus et utilisés par Asclepios !
- En es-tu sûre ?
Une deuxième voix avait résonné un autre vieillard au crâne rasé et arborant un bouc épais s’assit de l’autre côté de la demoiselle, l’homme serra les bords d’un des verres de ses lunettes et les remonta légèrement pour correctement réajuster sa vue. Robert Koch marqua un léger silence avant de porter son regard vers la demoiselle après avoir longuement observé les quelques mouvements que le dieu effectuait et qu’on pouvait deviner, il poursuivit son explication.
- Admettons que tu possèdes deux méthodes pour voir une bactérie, la première, c’est le microscope, perfectionné, futuriste, une magnifique technologie en somme. La deuxième méthode, c’est tes yeux, ces derniers sont assez perfectionnés pour voir les bactéries si tu regarde attentivement. Si tu avais le choix entre les deux méthodes, la quelle choisirais-tu ?
La valkyrie toujours les yeux rivés sur le champ de bataille répondit naturellement à la question sans perdre de son attention.
- La première naturellement, elle demande moins d’efforts.
- Tout juste… Il en est de même pour les remèdes, aller à l’essentiel est le plus efficace et le moins coûteux en énergie, en temps et en argent.
La valkyrie sembla frappée par une réalisation, elle reporta le regard sur le docteur en train de lui expliquer ces simples petits faits. Après un instant, elle ouvrit la bouche comme pour vérifier ses dires.
- Vous sous entendez que Asclépios n’a pas besoin du microscope ?
- Tout juste.
La valkyrie se pinça le menton, cette affirmation n’avait l’air que d’une théorie ou une supposition, après tout les médecins étaient le genre de personnes à toujours imaginer le pire justement dans l’optique de l’éviter. Pour se rassurer, la demoiselle après quelques instants de réflexion et après une longue observation des deux combattants se retourna à nouveau vers les deux docteurs pour les questionner.
- Y’a-t-il quelque chose prouvant qu’en effet Asclepios soit à même de comprendre les procédés et moyens de la médecine moderne ?
Les deux docteurs s’échangèrent un bref regard avant de baisser la tête, comme pour s’excuser de ce qu’ils allaient annoncer à la demoiselle.
- Après chaque interactions entre lui et le docteur Pasteur, Asclépios s’est lavé les mains. À son époque, personne ne faisait ça, personne ne connaissait l’importance de se désinfecter pour éviter tout germe ou autre élément infectieux.
Après quelques instants, Hippocrate se permit même une deuxième réflexion, enfonçant le clou de la vérité encore plus profondément dans les espoirs de la cheffe des valkyries.
- Tout médecin se doit d’apprendre les nouvelles recherches et méthodes. Imaginez qu’un patient souffre ou meurt de notre manque de connaissances, il ne fait aucun doute que Asclepios a suivi toute l’histoire des avancées et découvertes de la médecine. C’est sans doute le médecin le plus expérimenté et érudit de l’histoire.
Göll déglutit péniblement, l’angoisse venait la saisir à la gorge, lui posait une boule dans l’estomac, si ce combat était perdu, le Ragnarok tout entier le serait et c’était hors de question. Les deux docteurs toujours assit ne semblaient cependant pas anxieux pour un sou, un d’entre eux ajouta même.
- Vous doutez déjà de vos capacités et de vos choix chère valkyrie ?
La demoiselle serra le poing avant de se retourner.
- Une bataille sans doute est un suicide, il faut tout prendre en compte.
- Certes, mais vous ne doutez pas, vous laisser la peur obscurcir votre jugement. Y’a-t-il un seul des combattants humains envoyé à ce Ragnarok capable de vaincre un dieu en temps normal ?
La valkyrie hocha la tête négativement, et après quelques instants de réflexion réalisa.
- Pasteur n’a pas encore utilisé l’aide de sa valkyrie !
En contrebas, dans l’arène, du côté de l’humain caché derrière de nombreux rideaux, sa valkyrie encore en pyjama semblait à demi endormie, la demoiselle baillait à presque chaque manipulation ou création du docteur, ce dernier multipliait un nombre d’essais exceptionnels. Parfois il tentait de faire proliférer des bactéries dans de l’eau avant de claquer la langue, ça fonctionnait certes, mais cette eau était stagnante, mettre la bactérie dans les canalisations l’empêcherait de correctement se démultiplier. De toute manière, il était sans doute impossible de lancer une maladie de cette manière, cette société était très à cheval sur les questions de santé publique, la moindre bactérie dans l’eau allait forcément être découverte et traitée. Cette perspective tombait à l’eau pour Louis Pasteur, le docteur allait devoir se rabattre sur une autre possibilité, se pinçant le menton, il semblait en profonde réflexion. Sa valkyrie toujours les yeux mi-clos se décida à l’interroger, elle voulait savoir si elle allait lui être utile ou si elle pouvait s’endormir à nouveau.
- Docteur… Vous n’avez pas besoin de moi pas vrai ?
- Pour l’instant… Pas vraiment, ce n’est qu’a la deuxième partie de mon plan que tu entreras en ligne de compte.
La valkyrie rouvrit un peu plus les yeux, fixant celui qui était son compagnon d’armes. D’un côté l’appel du sommeil se faisait crescendo, de l’autre la curiosité prenait peu à peu le pas, c’est après quelques instants que la demoiselle posa une nouvelle question.
- Que suis-je censée faire ?
Un léger sourire se dessina sur les lippes du docteur, ce dernier se retourna vers la demoiselle, et dans une habitude pédagogique, posa ses deux mains sur son bureau avant de la questionner.
- Tu connais toi même le pouvoir de tes runes, aucune idée ne te vient en tête ?
La valkyrie sembla entrer dans un silence qui était celui du sommeil, à mieux y observer, on pouvait cependant y voir une différence, cette dernière avait légèrement froncé les sourcils, offrant une expression à peine plus courroucée qu’a l’ordinaire, une expression qui était celle de quelqu’un plongé au plus profond de ses réflexions. Quelques suppositions faites dans son propre esprits mises à part, la demoiselle releva la tête, et entrouvrit les yeux sur le docteur qui attendait sa réponse.
- Je dois tuer ou endormir les bactéries et les malades, c’est bien ça ?
- Tout juste ! L’idéal aurait été que tu puisses endormir ou faire disparaître la maladie d’Asclepios, cependant il n’essaiera rien avant d’avoir trouvé la formule parfaite, le plan est donc clair, on va essayer le plus possibles d’associations et de créations sur les sujets test jusqu’à trouver la formule parfaite !
- Si je comprends bien, le plan d’Asclepios est de taper une seule fois mais assez juste et assez fort pour que le coup soit décisif et le nôtre est d’avancer à tâtons jusqu’à trouver l’essai clé sur le cadavre des centaines voir milliers d’autres.
- Exact !
- Et donc à quel moment j’aurais besoin d’agir ?
- Quand je te le dirai, c’est dur à estimer…
Le docteur était déjà reparti à ses recherches, le bruit des éprouvettes et des béchers qui s’entrechoquaient de temps à autre ; celui des liquides qui se versaient et transvasaient donnaient une étrange mélodie lancinante qui ne tarda pas à faire s’endormir la valkyrie qui attendait son heure. La liste d’essais s’allongeait, certains abandonnés dès le leurs prémices, d’autres mis au points mais impossible à mettre en place pour raisons logistiques. Pasteur notait soigneusement et cochait chacun des échecs avec attention, les pages se voyaient remplies de noir, de marqueur, parfois de quelques taches de désinfectant, la solution ne venait toujours pas.
Le dieu de la médecine toujours en boitillant observait et comparait chacune de ses mixtures, il révisait l’effet de chacune des herbes et en couplait certaines. Parfois l’effet de changement de couleur escompté était accompli, mais en contrepartie la maladie n’était pas asymptomatique, toux, fièvre, maux de ventres, il fallait se faire une raison, cet essai là ne serait pas le bon lui non plus. Un nouvel essai était mis en place, parfois avec des ingrédients aussi saugrenus que des coquilles d’escargots broyés en fine poudre, rien n’y faisait, si ces remèdes qui tenaient plus de l’alchimie que de la médecine fonctionnaient et créait une maladie capable d’annihiler toutes autres maladies, la couleur du patient restait inchangée. Certaines idées de prime abord insensées venaient aux esprits des scientifiques, celle d’Asclepios était de trouver des bribes d’informations sur divers créatures du règne animal, peut-être pouvait-il créer une maladie qui une fois inoculée ferait changer la couleur de peau des individus en fonction de leur régime alimentaire, peut-être le flamant rose était la clé. Après maintes réflexions, cette théorie et cette idée fut elle aussi lancée aux oubliettes. Peut-être la solution était de s’intéresser aux insectes qui changeaient de couleur en fonction de leur environnement, les mantes religieuses par exemple ; une idée qui elle aussi fut abandonnée, il fallait faire en sorte que toute la ville soit peinte de la même couleur et le moindre habitant voulant voir autre chose finirait par voir la couleur changer, invalidant le défi.
Dans les gradins, les dieux se mettaient à débattre, une question en particulier cependant remonta aux oreilles de Zeus, Ares se questionnait depuis un long moment.
- Père, malgré ses capacités de médecin et d’apothicaire, comment se fait-il que Asclépios boîte encore et n’ait jamais soigné sa jambe.
Le vieillard observa celui qui en contrebas se décarcassait à créer quelque chose de presque parfait, après quelques instants, Zeus se mit à soupirer avant de mettre les mains dans le dos sans quitter du regard le docteur.
- Il ne le veut pas, vois-tu, lorsqu’on commet une faute grave, on en porte le poids toute sa vie, cette jambe, c’est le poids de sa plus grande erreur.
Le dieu de la guerre se remémora les chaînes de Prométhée et ses supplices, les défis qui retinrent Ulysse en mer pendant plusieurs décennies. Même Adamas ayant été puni pour ses actions et le corps quasi détruit par Poséidon s’était vu attribuer un nouveau corps cybernétique, la seule chose qui avait disparu était son nom dans les livres d’histoire, alors le dieu de la guerre posa une nouvelle question.
- Quelle faute peut bien mener à un tel supplice et une telle punition ?
- Briser un des tabous les plus importants. Briser le tabou de Nilfheim.
Ares écarquilla les yeux avant de se cramponner à la rambarde.
- Mais voyons, ce n’est qu’une légende, un fantasme ! Personne n’en n’a jamais été capable !
Hermes intervint, coupant la discussion, toujours les mains dans le dos et l’air noble, le dieu majordome se permit de raconter l’histoire à son frère.
- Tout comme l’histoire du Valhalla elle même avait décidé de rayer le nom d’Adamas de la plus part de ses écrits. Cette histoire là est encore plus ancienne donc naturellement encore moins connue.
Avant même l’existence et la création de l’humanité, à l’époque ou les guerres entre divinités et panthéons faisaient rage. Un nom était craint, celui d’Asclepios, celui qui était appelé le serpent avant que le christianisme ne s’empare de son nom était considéré comme l’empoisonneur le plus puissant et le plus dangereux de l’histoire du Valhalla. Chaque demande, chaque mission, chaque assassinat lui était demandé, Asclepios était devenu le dieu capable de tuer les dieux.
Les bons et loyaux services du dieu empoisonneur avaient déjà fait le tour des mondes divins et de leurs panthéons, nombreux dieux étaient tombés par sa faute, nombreux étaient incapacités et infirmes à jamais. Des missions menées en bonnes et dues formes par un assassin qui ne serait sans doute jamais apprécié ou estimé à travers l’histoire, un monstre qui tuait et s’en contentait, voilà tout. À travers les nombreuses guerres, les mains jeux politiques, le dieu serpent se mettait à comprendre quelque chose qui le gênait de plus en plus, à chaque altercation, à chaque combat, à chaque guerre, on lui en demandait plus ; les cadavres s’empilaient et pourtant les fameux jours de paix promis jusqu’alors n’étaient jamais venus.
Au fil d’une énième guerre dans le royaume divin, Asclepios fit une rencontre qui changea sa vie à tout jamais. Un centaure était venu toquer à la porte de l’empoisonneur, grièvement blessé, l’être merveilleux demandait grâce et asile, quelques jours tout au plus, le simple souhait d’un compatriote du panthéon grec qui voulait seulement survivre.
À demi intéressé par les récits du front, Asclepios laissa le centaure blessé entrer dans sa demeure et s’assit sur son lit, dévisageant le centaure qui observait chaque partie de la bâtisse laissée à l’abandon, privée de toute forme de décoration. Un détail attira l’attention de la demi bête qui s’approcha de certains bocaux avant de se retourner vers le dieu serpent, des étoiles dans les yeux.
- Vous êtes apothicaire ? Mieux, docteur ?
Soucieux de son anonymat et du secret qui entourait sa personne le dieu offrit une réponse détournée, un mensonge de circonstance, reconnaître un statut d’assassin était chose peu avantageuse.
- Pas réellement, j’étudie les herbes, c’est tout.
Après quelques secondes et de peur que le centaure n’insiste, Asclepios se décida à questionner ce dernier dans l’espoir de lui faire oublier la situation. Son compagnon fraîchement rencontré semblait cependant très affaibli par ses blessures, si bien que ce dernier se coucha à même le sol et sembla perdre connaissance. Le dieu claqua de la langue, râlant pour lui même.
- ‘tain, si ils se mettent à venir chez moi pour me claquer entre les doigts ça va pas le faire cette histoire.
Par cas de conscience et par obligation plus que par altruisme ou propre bonté de coeur l’assassin s’approcha de l’individu blessé et fiévreux puis inspecta ses plaies. Le résultat était mauvais, la fièvre commençait à prendre le colosse et ses plaies semblaient se rouvrir, le sang commençait à couler petit à petit, menaçant une infection. Asclepios prit divers ustensiles qui d’ordinaire servaient à la mort, cette fois ci ils seraient détournés de leurs objectifs premiers, ils serviraient à préserver la vie. Un fin couteau fut utilisé pour ouvrir un peu plus une des plaies et y retirer le morceau de point de flèche qui s’y était logée et était sans doute la principale cause de fièvre, il fallait cependant et impérativement trouver une solution pour arrêter le saignement et empêcher la plaie de s’infecter. Le dieu porta son attention vers un de ses fils de pêche, une de ses aiguilles normalement imbibée de poison et sutura tant bien que mal la blessure. Les points étaient inégaux peu assurés, trop nombreux et rapprochés, mais au moins, la plaie ne saignait plus. Faute de mieux le docteur improvisé prit un citron d’une main et l’écrasa de toutes ses forces au dessus de la plaie, espérant que l’acidité du fruit soit suffisante. Ce travail lui prit des heures, et de fatigue, Asclepios tomba à son tour.
Un bruit de sabot réveilla l’assassin qui retrouva son corps parfaitement posé sur son lit, la couverture le recouvrant jusqu’au cou. Le médecin de fortune bougea la tête pour y apercevoir le centaure qui, réveillé, observait tous les bocaux, l’air rêveur. Asclepios interpella le centaure qui était perdu dans ses observations.
- Alors dis moi, que faisais-tu au front là bas ?
- J’y suis médecin et apothicaire, en tout cas… Plus que vous, il n’y a qu’a voir vos sutures
Le centaure sourit amicalement a l’assassin, l’air légèrement rieur, sa réflexion n’était pas un reproche, un simple constat ironique. Le cheval continua son petit monologue, l’air serein et satisfait.
- En tout cas vous me voyez obligé de me remercier, vous m’avez littéralement sauvé la vie, c’est une première pour vous non ? Monsieur l’assassin.
Asclepios se releva en quatrième vitesse avant de se mettre dos au mur, au sens propre comme figuré, sa dague n’était plus accrochée à sa ceinture, le centaure s’était joué de lui. L’autre continuait de sourire, montra la dague et la planta sur la table avant de regarder à nouveau son interlocuteur.
- Comment je sais vous demandez vous ? Eh bien… Je vais me permettre de te tutoyer, Asclepios c’est bien ça ? Rassures-toi, je ne suis pas envoyé pour te tuer ni quoi que ce soit d’autre, en réalité jusqu’à mon réveil j’ignorais même qu’il s’agissait de toi.
Le dieu se mit à froncer les sourcils, cette situation était particulièrement déplaisante à ses yeux.
- Aux faits.
Le centaure toujours souriant ponctua son récit.
- Toutes les herbes, les racines, les plantes dans tes bocaux. Toutes sont des poisons. N’importe qui de suffisamment malin pouvait faire le rapprochement, encore plus un médecin comme moi.
- Si c’est tout ce que tu as à me dire… Vas-t-en avant que je me décide à te tuer !
Le centaure, un regard plein de résolution s’avança légèrement avant de tendre la main à son sauveur et agresseur.
- Asclepios, pour la première fois. Tu as sauvé une vie. Toi qui en a pris tant, ne doutes-tu pas ? Cette paix tarde à venir, la guerre, tout est fait pour l’entretenir, tant que Ishtar sera déesse suprême de ces mondes, rien ne changera… Pourquoi ne pas sauver plus de vies ? Je pourrais t’apprendre !
Au moment ou l’assassin avança une main hésitante, une quinte de toux frappa le centaure qui cracha du sang, la fièvre remontait. L’empoisonneur recula la main avant de la serrer, les sourcils froncés.
- Cette flèche. Elle était imbibée de sang de gorgone pas vrai ?
- On ne peut rien te cacher… Je mourrai, c’est indéniable.
- Il n’existe aucun poison sans remède.
Sur ce commun accord les deux nouveaux amis se mirent à multiplier les recherches, Asclepios apprenait de jour en jour, un élève assidu, capable, déjà au faits de toutes les herbes possibles et imaginables. Celui qui avait tué toute sa vie était devenu capable de mourir pour sauver, les remèdes savaient apaiser les douleurs, redonner un peu de mobilité, malheureusement, jamais un seul d’entre eux ne permit au centaure de survivre, quelques années supplémentaires lui avaient été accordées, un exploit jamais vu auparavant et pourtant ; Asclepios n’avait pas réussi à sauver son ami. Celui qui lui avait appris à vivre, être heureux, sauver n’était plus, le désormais docteur avait une nouvelle mission qui lui serrait le coeur, celui qui s’en croyait dépourvu le sentait plus lourd que jamais, un poids nouveau qui ne le quitterait sans doute jamais. Les gorgones avaient presque disparu des paysages du valhalla, et pourtant, le docteur n’abandonna jamais sa quête, il devait en trouver une, il devait les étudier pour trouver un remède, un remède capable d’empêcher quiconque de mourir à nouveau.
Ce n’est qu’après de longues recherches qu’Asclepios trouva une gorgone, drainant son sang, observant ses effets, après maintes recherches, le docteur trouva un moyen, le docteur avait réussi à faire du pire poison le plus efficace des remèdes. Le sang de la gorgone pouvait tout tuer, le docteur avait réussi à en créer un remède qui arrivait à tuer la mort elle même, la seule création qui ramenait les morts à la vie. Accourant à la tombe de Chiron, le dieu serpent versa le remède sur le corps en décomposition de feu son compagnon, la bête qui se réveilla n’était pas son ami, ce n’était qu’un pantin de chair pourrie, aucune âme n’y résidait, aucun esprit. Asclepios avait trouvé un moyen de faire revenir les corps, mais au grand jamais on ne pouvait faire revenir une âme partie en Nilfheim, un coup de sabot lui brisa le bassin et une partie du fémur, puis un grand flash blanc, plus rien, le corps de son ami avait disparu et un jeune homme gigantesque, les mains sur les hanches se mit à rire à gorge déployée.
- Bah alors Asclepios ! Le plus grand des assassins qui se fait avoir par une carcasse de centaure ? Ça va pas mon gars ? T’as vieilli ?
Le médecin serra les poings, silencieux, la douleur ne le quittait pas, et pourtant, il était incapable de seulement songer à la présence de cette dernière. Le jeune homme siffla en observant les alentours avant de croiser les bras, le regard ancré sur Asclepios qui regardait la tombe, l’air défait. Le dieu anonyme continua à faire la conversation tout seul.
- Tu savais toi même que redonner vie à un mort est le plus grand tabou de ce monde, Nilfheim ne l’accepterait jamais, ce qui y est envoyé ne revient jamais. M’enfin… La guerre est terminée maintenant, tu n’as plus besoin de tuer, bien que tu ne le faisais plus.
Asclepios restait silencieux, les poings serrés, toujours fixé sur cette tombe, il était perdu, noyé par un torrent d’émotions, la déception l’assommait tout particulièrement. Le jeune homme finit par s’asseoir, même pas vraiment sûr que l’autre écoutait.
- Tu peux pas ramener les morts, mais tu peux empêcher les vivants de les rejoindre plus tôt que prévu. À part Apollon y’a plus vraiment de bons médecins ici… le centaure aurait pas été du genre à laisser des malades crever.
À la mention du mot « centaure » Asclepios releva la tête et fixa le jeune homme qui était le Zeus de jadis.
- Que puis-je faire alors ?
- Continuer son travail. Devenir le meilleur médecin, je sais pas, toujours est-il que si il t’a formé, c’était pas pour rien, il savait qu’il allait claquer, il voulait s’assurer que tu prennes le relai. T’as qu’à garder la blessure en guise de souvenir, un assassin boiteux, ça sert à rien.
Après cette pointe d’ironie et un sourire rieur, Zeus se releva avant de quitter les lieux. Asclepios se releva à son tour, la douleur lui perçant le flanc, le médecin saisit tant bien que mal un bâton qui traînait et boitilla jusqu’à sa demeure, il avait du travail.
De retour dans l’arène, les deux combattants enchaînaient chaque potentielles expériences sans mot dire. L’un effectuait des expériences sur plusieurs possibilités en même temps, celle de rendre malade via l’eau, via l’air, via des parasites, pourtant rien n’y faisait, ses recherches semblaient comme coincées au point mort.
Le dieu quant à lui n’avançait guère mieux, chacune de ses mixtures semblait s’approcher du but, le touchait du bout des doigts et pourtant, aucune ne semblait être suffisante pour réussir l’impossible. Après de longs moments de réflexion, par acquis de conscience, le dieu posa les yeux sur le commentateur avant de lui faire une demande.
- Il m’est impossible de demander une gorgone ou son sang je suppose ?
Heimdall secoua la tête.
- Malheureusement cher docteur… Même en redoublant d’effort, ça nous serait impossible, elles ont disparu il y a maintenant des millénaires.
Le docteur soupira, parier sur la capacité régénératrice du sang de gorgone était sans doute le meilleur moyen de remporter cet affrontement et pourtant, le remède légendaire n’était plus, il n’était plus car la dernière gorgone avait été tuée il y a des millénaires par un fou essayant de faire revenir un ami à la vie. Asclepios se pencha et redoubla d’efforts dans sa tâche, son objectif était simple, réussir à recréer une mixture aussi proche du sang de gorgone qu’il était possible de le faire.
Chapter 54: Fièvre du samedi soir
Summary:
Le chercheur de l'humanité semble en retard sur l'adversaire, peut-être a-t-il besoin d'un déclic ?
Chapter Text
Déjà sept heures ; c’était le temps qu’avaient passé les deux chercheurs à mettre au point une solution viable, et pourtant, aucun n’avait avancé sur sa propre création. Nombreux spectateurs allaient et venaient, certains demandaient à être réveillés ou prévenus en cas d’avancement du combat. Nul ne pouvait prédire la durée de ce duel, peut-être prendrait-il une seule heure supplémentaire, peut-être durerait-il des mois entiers, sinon plus. Pourtant l’arbitrage et les dirigeants hésitaient à modifier le défi pour la simple et bonne raison qu’ils n’avaient aucune possibilité leur permettant d’estimer un potentiel vainqueur. Les débats prenaient cours dans l’enceinte des loges d’honneur, Göll elle même fut invitée pour prendre part au pourparler. Accompagnée de Sun Tzu comme à son habiude, la valkyrie vint s’asseoir à la place qui lui était destinée. Il y a un millénaire, elle aurait sans doute tremblé, peut-être même aurait-elle été pétrifiée, morte de peur, et pourtant malgré un regard qui trahissait une certaine forme de tension, la guerrière restait droite sur son siège, observant chaque participant qu’elle saluait poliment.
Sun Tzu se pencha un peu plus près de la valkyrie pour communiquer.
- Ces pourparlers sont à sens unique… Nous sommes seuls, en cas de vote, c’est perdu d’avance.
- Une négociation ne se fait jamais sur un pied d’égalité, ne vous inquiétez pas Sun Tzu, j’ai plus d’une carte dans ma manche.
Zeus toussa pour signaler sa présence et surtout pour interrompre les messes basses, tant entre les dieux qu’entre Göll et son conseiller. Le vieillard déjà assit posa les mains sur les genoux avant de soupirer bruyamment.
- Je ne vais pas m’en cacher, cet affrontement est d’un ennui mortel, autant pour moi que pour bon nombre d’autres dieux. Une idée nous est donc venue, nous proposons une durée limite à l’affrontement, faute de quoi, les deux combattants seront disqualifiés.
Dans un sourire particulièrement doux et sincère, Göll vint croiser les mains avant de les reposer sur une de ses jambes elles même croisées ; la stature droite de la valkyrie fit s’interroger certains dieux, le silence se faisait pesant, la demoiselle répondit finalement.
- Votre proposition est concrètement avantageuse pour vous. Les dieux mènent déjà le Ragnarok, éliminer d’office deux combattants sachant que Ishtar est la dernière sur votre liste revient à vous donner la victoire par défaut. De toute manière ce n’est pas comme si nous pouvions voter de manière équitable. Seigneur Zeus, vous avez toujours été du genre à agir puis à parler une fois l’action déjà oubliée, je suis étonnée que vous preniez la peine de me contacter pour une telle décision… Cependant.
Le petit vieux était passé par toutes les expressions, une première plutôt enjouée, puis le courroux. Leur adversaire semblait se résigner, semblait seulement… La valkyrie poursuivit.
- Ma première réserve porte sur l’épreuve en elle même. Créer un tel remède vient à créer la panacée, nous ne devrions pas empêcher les deux scientifiques de réussir tel exploit tant il serait bénéfique à l’intégralité de nos mondes.
Dans l’assistance, Beelzebuth, figurant parmi les décisionnaire hocha la tête, son coeur de chercheur détestait être bloqué dans ses expérimentations, encore plus lorsque ces dernières peuvent révolutionner le champ des possibles. Créer une créature presque immortelle était son moyen ultime d’essayer de mourir à nouveau, le dieu ne voyait aucun intérêt à expédier l’affrontement. La valkyrie posa la main sur la table avant de se redresser, fixant le vieillard droit dans les yeux.
- La deuxième raison n’est pas une réserve, considérez la comme une menace, mais pas de ma part.
Le sol se mit à trembler, la colère des dieux allait éclater. La table se mettait à craqueler, la simple mention de menace, encore plus venant d’une demi déesse avait le don de les mettre hors d’eux. La demoiselle sentait la pression la gagner de plus en plus, sa gorge s’asséchait, elle sentait des frissons lui parcourir la colonne. Malgré l’angoisse qui venait lui nouer l’estomac, Göll s’efforça de rester droite et de poursuivre son monologue. Elle se retourna pour sourire à la déesse suprême, Ishtar, seule à être restée calme.
- Dame Ishtar… Pardonnez mon égoïsme, vous souvenez-vous de votre proposition ?
La déesse se mit à sourire avant de rire aux éclats, cette gamine avait de la ressource, bien trop. Zeus, interloqué jouait du regard entre les deux femmes, alors qu’il s’apprêtait à réclamer plus d’explications et de taper du poing sur la table, Göll reprit.
- Dame Ishtar avait hâte de son combat… Pour cette raison elle nous avait proposé de tuer Asclépios, nous offrant une victoire par forfait. Si nous acceptons son marché maintenant… Asclépios serait tué, vous devrez choisir entre match nul ou victoire pour l’humanité. Mais de sûr, Ishtar serait disqualifiée, vous obligeant à trouver un nouveau concurrent à Salomon.
La colère du dieu grec explosa, la table s’affaissa, les murs tremblaient et se craquelaient ; chaque pas de Zeus sur le sol venait l’enfoncer un peu plus, forçant la demoiselle à se courber de plus en plus, suant à grosses gouttes. Le vieillard posa une main sur l’épaule de la valkyrie qui sentit son corps entiers s’affaisser, elle était à genoux. Dans un rire forcé, le grec parla.
- Que de cachotteries… Trouver un adversaire pour Salomon ?
Le vieillard se mit à rire de plus belle, l’air quasi dément. Le dieu du tonnerre ancrait ses yeux dans ceux de la guerrière qui ne parvenait que très peu à soutenir cette pression.
- Mais, gamine. J’irai moi même si il le faut.
La valkyrie se sentait tressaillir, son plan était un échec, comment aurait-elle un seul instant pu imaginer que Zeus allait gentiment l’écouter proférer des demi-menaces sans réagir, lui qui n’avait toujours agi que par instinct et sans réfléchir. Un événement la sauva tout de même, Ishtar était venue à son tour poser la main sur l’épaule du vieillard.
- Mon petit Zeus ! Tuer ta concurrente directe te vaudrait la défaite immédiate du Ragnarok. Il est de toute façon question d’un vote, et nous ne l’avons même pas entamé.
Le doyen vint s’asseoir à nouveau, les mains dans le dos, parfaitement calme, comme si rien ne s’était passé. Zeus caressa légèrement sa barbe avant de rire comme à son habitude.
- Eh bien puisque nous devons voter… Allons-y !
L’assemblée était constituée de plusieurs dieux en tout genre, tous dirigeants de leur panthéon. Zeus représentait le panthéon grec, Beelzebuth Helheim, Thor le panthéon nordique, Shiva le panthéon hindou, Ishtar le panthéon mésopotamien, Izanagi le panthéon shinto, Wukong avait une place d’honneur en tant qu’hériter du buddha, enfin, Quetzalcoatl était dernier représentant du panthéon aztèque. La voix d’Hermes résonna dans la salle
- Que ceux voulant instaurer une limite à la durée du combat lèvent la main.
Zeus et Shiva furent les seuls à lever la main, les deux étaient principalement motivés par l’ennui que ce combat leur inspirait, Hermes parla à nouveau.
- Y’a-t-il un vote blanc dans cette assemblée ?
Personne ne répondit, par défaut, le combat continuerait sans limite ou condition. Tous hochèrent la tête et quittèrent la salle, deux en bougonnant plus que d’autres.
De retour dans les gradins, la valkyrie sentait encore ses jambes trembler et sa sueur la glacer, pour rien au monde elle ne souhaitait réitérer cette expérience, à peine assise elle se disait à elle même « Je n’ose pas imaginer ce qu’ils vivent et ressentent en bas... »
Dans l’arène les deux chercheurs multipliaient les expériences plus saugrenues les unes que les autres. Mettre diverses bactéries dans du poison pour neutraliser ses caractéristiques et les faire absorber au dites bactéries espérant que ces dernières n’aient pas d’effet néfaste sur le corps. D’un autre côté on s’intéressait au puces, au tiques, dans l’espoir créer un parasite porteur d’une maladie saine comme demandé.
Aucune de ces options, aucune de ces créations ne fonctionna, les bactéries mourraient d’office, les parasites allaient de toute évidence être annihilés aussitôt une fois envoyés dans la simulation. Pour les deux chercheurs, l’avancement de cet affrontement était profondément entravé, autant le dire, ils étaient au point mort.
Asclépios était incapable de créer une mixture s’approchant des capacités quasi magiques du sang de gorgone, la moindre goutte lui aurait pourtant suffi. Les traits des deux chercheurs se creusaient petit à petit, les cernes se dessinaient, déjà plus de douze heures sans une moindre once de repos ; les deux finirent par se lancer un regard et hocher la tête, ils s’accordaient finalement un peu de sommeil, espérant que les rêves et les songes leurs apporteraient les réponses nécessaires.
Svava s’approcha de Louis Pasteur, posa son pouce sur le front de ce dernier qui s’endormit aussitôt dans un des brancards réclamés par les chercheurs. Le sommeil ne fut pas long, ni pour l’un ni pour l’autre, ils s’étaient reposés les yeux, tout au plus, un sommeil sourd et lourd, sans parole, sans pensées.
L’humain émergea le premier et se remit à ses recherches aussitôt, il avait gardé bon espoir que laisser quelques champignons, spores et autres bactéries au frais ou au contraire à la chaleur et à l’humidité le temps de son sommeil apporterait quelconque modifications ou évolutions. Rien n’y fait, certaines d’entre elles affichaient en effet quelques changements, mais aucun d’entre eux n’était concluant ou assez efficace pour être considéré ou même utilisé. Nouvel échec, le docteur s’avachit sur son fauteuil de bureau, se pinça l’arête du nez, soupira et recommença.
Heimdall ne commentait plus depuis des heures, il n’y avait rien à dire, rien à observer, les spectateurs s’endormaient, faisaient leur vie, certains regardaient avec d’attention, beaucoup faisaient des pauses, allaient et venaient. Combien de temps ? C’était la seule question qui venait brûler les lèvres et animait encore les gradins.
De temps à autres certains spectateurs se réveillaient et semblaient s’agiter lorsqu’un des deux chercheurs se mettait à légèrement sourire ou s’agiter un peu, comme si il avait une piste, une solution, ou au moins une ébauche. Parfois lorsque tout le monde était à peu près réveillé, on entendait même la foule s’écrier et scander le nom de leur protégés quand un tube à essai allait du côté des essais concluants et non celui des essais ratés.
Asclépios semblait avoir un début de solution, le chercheur s’acharnait et s’agitait de plus en plus, pour certains des spectateurs c’était le signe, la preuve incontestable que le combat s’approchait de son terme, après tout, ça faisait déjà trois jours que les deux adversaires cherchaient une solution, sans relâche. La moindre possibilité qu’un des deux combattant propose ne serait-ce qu’une ébauche était plus qu’un avantage, c’était presque une victoire assurée.
Pasteur cependant ne semblait pas inquiet, l’humain continuait ses recherches sans l’ombre d’une pression, un de ses mains tremblotait de temps à autres à cause du manque de sommeil. À chaque fois que la douleur prenait le pas, que ses mouvements n’étaient plus assez précis il demandait à Svava de venir l’aider.
- Le tube à essai avec la solution bleutée… Mets le dans la centrifugeuse.
La demoiselle était devenue la parfaite assistante, tout le jargon scientifique lui était désormais familier, du tube à essai à la burette en passant par les ampoules à décanter. Les solutions étaient toutes colorées, chacun des spectateurs semblait voir un cours d’alchimie voir même de magie. Le verre tintait, les couleurs se mélangeaient, de la fumée apparaissait, et à aucun moment, la solution ne venait, Pasteur se balança, regardant le ciel, comme pour prier une solution. Le docteur leva la main.
- Heimdall… Une bière s’il vous plait. De préférence une à fermentation haute.
Le commentateur s’exécuta et fit venir l’alcool à l’humain qui observa un peu la bouteille pour prendre connaissance du breuvage. Après sa lecture, Pasteur décapsula la bouteille à l’aide d’une des pinces prévues pour ses expérimentations. Le docteur servit le contenu dans une de ses fioles et observa la boisson, bercé par les bulles qui remontaient et explosaient à la surface.
Un cancre. C’était la meilleure manière de décrire la jeunesse du futur médecin ; Louis Pasteur était un enfant doué, intelligent et passionné d’études, cependant le jeune homme partait tout sauf gagnant dans ce domaine. Échecs en tout genre, ratages les uns après les autres, réorientations, formations différentes, le jeune homme finissait toujours par s’en sortir et offrait toujours la même conclusion.
« Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés. »
La collection d’échecs longue comme le bras du futur chercheur lui avait à terme permis d’être un des plus consciencieux et un des élèves les plus capables, chaque mesure était respectée, tout était mis en ordre ; un lieu de travail impeccable, rien ne pouvait être laissé au hasard pour la simple raison que la moindre variable pouvait tout déséquilibrer.
Louis Pasteur cherchait inlassablement et sans discrimination, chaque domaine méritait d’être étudié, chaque domaine avait son intérêt, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Le moindre hasard pouvait tout perturber, de la mort de nombreux de ses enfants aux déclenchements d’une guerre, Pasteur voulait tout comprendre, tout saisir.
Membre d’académies en Suède, en Belgique, aux Etats-Unis, En Russie, qu’il s’agisse de sciences, de recherches, d’agriculture, de cristaux, de bactéries, de philosophie, de littérature, de psychiatrie. Il n’était pas un seul domaine ou Louis Pasteur n’avait pas mis les pieds, pas un seul domaine dans le quel il n’avait porté intérêt.
L’homme était fasciné par le moindre changement dans le monde et voulait étudier le fonctionnement de chacun d’entre eux, de l’humain qui changeait de caractère et d’humeur au vin qui devenait vinaigre. Comment une levure pouvait manger du sucre pour relâcher du CO2, comment les bactéries tournaient le lait et comment le chauffer tuait ces dernières. Comment utiliser le moindre petit procédé même le plus insipide pour changer une production complète, sauver des vies, nourrir la nation.
Une angoisse cependant naquit un beau jour, angoisse qui à jamais allait saisir le chercheur, angoisse qui à jamais le ferait réfléchir à l’inéluctable.
« Jamais je ne pourrai tout comprendre… Jamais je ne pourrai tout apprendre… Les choses avanceront et changeront, mais je ne pourrai jamais faire assez. »
Angoisse qui petit à petit menait le chercheur tout droit à sa perte, expériences qui n’aboutissaient plus, précipitation, et un jour le surmenage eut raison du docteur. Pasteur s’était retrouvé handicapé à vie, privé d’une main, obligé de diviser toutes ses capacités par deux.
À cette époque, tout fut mis en place pour forcer le repos du chercheur, tout fut mis en place pour que Louis Pasteur puisse se reposer ne serait-ce qu’un tant soit peu. Moyens coupés, recherches non financées, échecs dans les relations politiques, boycott quasi général. Tout le monde s’était accordé, il fallait que le chercheur s’arrête à tout prix, il fallait qu’il se repose.
Impossible. La moindre seconde était consacrée à ses recherches, le moindre instant ne laissait pas son esprit libre, qu’il boîte ou que sa main soit paralysée ne changeait rien, Pasteur était incapable de s’arrêter, si le mécanisme s’arrêtait, c’est que le mécanisme était brisé et mort à jamais.
Multiplication d’études en tout genre, renseignement sur les animaux, maladies liées au cultures en tout genre. Le médecin voulait à tout prix tout guérir, Louis Pasteur voulait trouver une solution à tout. Plus de recherches, plus de moyens, plus de malades, plus d’études, plus de possibilités, plus de production, plus de solutions.
Une vie entière menée par l’effort, l’effort et toujours l’effort. Pas un repos, pas le temps d’un deuil, juste la recherche de possibilités, celles permettant à des enfants de survivre, à des gens de boire une boisson sans risquer d’en mourir. De la bactérie à l’homme en passant par les moutons et le raisin, jamais chercheur n’aura été aussi versatile et capable de celui nommé Pasteur.
Pourtant, même après la mort, jamais le docteur ne s’était arrêté, recherches sur l’âme, sur les damnés d’Helheim, les démons, les espèces divines, les chimères en tout genre. Il s’était aventuré au quatre coins du Valhalla, avait fait revenir les carcasses des pires monstre du tréfonds des enfers, avait étudié les derniers instants des êtres lorsque l’âme les quitte pour rejoindre Hellheim.
Celui qui croyait en dieu, celui qui soutenait ce champ des possibles, celui embrassant toute possibilité ne pouvait réaliser que ce champ des possibles venait s’étendre même au-delà du monde des hommes, dans les cieux, dans les pommes d’or, dans les pêches qui rendaient immortels. Tous les produits divins étaient différents, tout était à réapprendre, tout était à réétudier, des maladies jamais vues, des syndromes innommables ; mais surtout, l’éternité pour les étudier, l’éternité pour les comprendre, un perpétuel bras de fer contre la maladie, contre les douleurs, contre le monde lui même, un bras de fer par nature inégal que Pasteur voulait renverser à tout prix. Jusqu’au jour ou une valkyrie toqua à sa porte, lui promettant qu’un tournoi remporter permettrait de faire pencher la balance davantage.
Perdu dans les bulles de son rafraîchissement le docteur contemplait autant la condensation due à la fraîcheur de la boisson qui venait perler le long du verre qu’il contemplait et repensait à son passé, sa vie, ses sacrifices. L’homme saisit le verre d’une main franche et décidée, vida le contenu et retourna à ses recherches, prêts à explorer de nouvelles possibilités, il ne tremblait plus.
Une idée vint au docteur alors que ce dernier observait ses cultures. Même si il trouvait une maladie adéquate et fonctionnelle, il devait avant tout trouver un moyen de la propager efficacement, un moyen de faire en sorte que le plus de citoyens possibles soient infectés le plus vite possible. Sur cette piste de réflexion, Pasteur parvint à une conclusion bien différente de celle de son adversaire, la priorité n’était pas de trouver la bonne maladie, la priorité était de trouver comment la diffuser le plus vite et efficacement possible.
Le médecin mit ses ébauches et ses cultures de côté, il devait à tout prix trouver un moyen efficace de transmettre la maladie à ces petits êtres, alors il arrêta tout. Le docteur prit un calepin, s’approcha de la cité remplie de ces étranges créature, sa valkyrie le suivant toujours de près, et il se mit à écrire.
- Svava, tu vas noter toute loi que tu sembles entrevoir, toute tradition, toute coutume, tout comportement. Je veux tout savoir, si ils se font la bise, si ils se serrent la main, si ils se lavent les mains après les avoir serrées, ce qu’ils consomment, leurs habitudes alimentaires, leurs habitudes dans le monde du travail, leur étiquette, tout.
La valkyrie hocha vivement la tête en écrivant chaque détail qu’elle semblait observer, cette dernière ne put s’empêcher de questionner son partenaire, curieuse de savoir ce que le chercheur pouvait bien imaginer et surtout penser.
- Docteur, vous avez déjà une idée de la base de votre maladie.
Louis Pasteur ne put s’empêcher de sourire légèrement avant de se retourner vers la demoiselle, répondant comme à son habitude par des questions.
- Chère amie, sais-tu quelle est la pire maladie du monde, la plus grande fièvre de l’humanité ?
La valkyrie secoua négativement la tête, incapable de trouver une réponse convaincante. Le docteur poursuivit en apportant la réponse.
- Le capitalisme et la société de consommation. L’humain a trouvé moyen de produire en masse pour vendre en masse, son objectif, vendre plus pour plus de profits. Pour faire plus de profits, on créé plus de besoins, et donc, à travers le besoin, on a beaucoup de demandes.
Le docteur continuait d’écrire sur son calepin tout en expliquant la situation, écrivant chaque petite observation qu’il faisait en voyant une des créatures se déplacer d’une certaine manière, une autre manger un produit différent.
- Cette société est calquée sur la nôtre… Ce qui veut dire.
La valkyrie sembla avoir un choc réalisateur.
- Vous voulez exploiter cette avidité naturelle !
- Exact. La solution depuis le début, ce n’est pas de créer une maladie quasiment indétectable et de prier pour que cette dernière le reste, puis infecte la population. La meilleure solution… C’est de donner envie au gens de tomber malade. Et le meilleur moyen pour ça, c’est de leur proposer un produit qui semble avantageux et amusant.
La valkyrie hocha vivement la tête, le plan du docteur semblait on ne peut plus censé et on ne peut plus simple, un souci cependant venait perturber la demoiselle.
- Quel produit proposer ?
- C’est le moment ou on doit s’intéresser à une nouvelle discipline, le marketing.
Le docteur s’empressa de faire place sur une des tables, posant un tableau dessus, il saisit un marqueur et commença à gribouiller.
- La meilleure solution de prime abord c’est de proposer un produit de première nécessité, des pâtes, de l’eau par exemple, mais ça vient avec un gros problème. Les gens ont des habitudes, et les habitudes ont la vie dure, qu’est ce qui les pousserait à favoriser d’un coup notre produit ? Il faut des moyens, une pression marketing folle et surtout… évincer tous les concurrents. C’est pas possible, surtout dans les produits de première nécessité.
La demoiselle se pinça le menton et hocha la tête.
- Et vous avez une solution pour ça ?
- Pour l’instant ? Pas vraiment malheureusement, on sait que la première nécessité, c’est impossible. De sûr il faut se diriger vers de l’alimentaire, quelque chose d’ingérable…
Svava après quelques réflexions claqua des doigts.
- Ce que vous buviez avant, la bière, ça pourrait marcher ?
- Je suis confiant quant à mes capacités d’en faire une bonne, mais le souci avec ça… C’est qu’il y a encore plus de concurrence dans le domaine, plus de concurrence et surtout, les mineurs ne peuvent pas en boire.
- Cependant on peut garder l’idée de la boisson, plus qu’une boisson… Il faudrait créer une marque, les marques c’est très efficace pour convaincre les gens, regardez mes bouchons d’oreilles, je prends la marque d’Hypnos, c’est la meilleure sur le marché !
A cette réflexion, le scientifique claqua des doigts.
- Une boisson à base de levure et de fermentation… Une version alcoolisée… Une version saine et détox pour les sportifs, et un soda pour les plus jeunes !
La valkyrie particulièrement enjouée et heureuse de trouver une solution ajouta encore plus d’éléments.
- Il faut en faire quelque chose de récréatif, tout miser sur un effet de mode ! Si la mode prend vite, plus de citoyens s’infecteront, c’est l’idéal ! L’alcool et ses effets pousseront les gens à relâcher un peu leur garde, le changement de couleur doit non pas être caché mais mis en avant, en faire un élément récréatif !
Louis Pasteur s’assit, pensif, le changement de couleur récréatif était une bonne idée, cependant il fallait faire en sorte que ce dernier ne soit que temporaire pour éviter d’inquiéter la population, une interrogation lui venait cependant. Fallait-il que les sujets gardent la couleur attitrée ou cette dernière était-elle nécessaire que pour le décompte. Après quelques instants de délibération le docteur se releva.
- Foutu pour foutu de toute façon on peut toujours essayer, si ça rate, tant pis, ce qu’il faut commencer par faire… c’est de créer une levure assez efficace pour qu’elle puisse provoquer un changement de couleur et que la boisson soit assez bonne et variée pour être commercialisée. Pour ça…
- Vous allez avoir besoin de mon aide ! Je dois endormir les levures mutantes et les plus nourries pour les isoler correctement, c’est bien ça ?
- Parfaitement ! Allez, on a du travail !
Et sans débats supplémentaires, le médecin et son assistantes levèrent la main pour une requête particulièrement simple.
- Nous aurions besoin de levures, de bicarbonate, de colorants alimentaires, de bières, et aussi… Des nouvelles fleurs de Sun Wukong.
Leur plan était en marche, le duo qui représentait l’humanité devait tout miser sur cette chance, peut-être la seule et unique qui leur serait représentée.
De l’autre côté de l’arène, dans un élan de joie et un cri victorieux, Asclepios hurla de bonheur, sa mixture mimant le sang de gorgone était prête, le dieu avait enfin trouvé l’association de baies, de plantes et de sangs nécessaire pour recréer le nectar divin.
Chapter 55: Maladie Marketing
Summary:
Fin du combat entre Pasteur et Asclépios ! qui l'emportera ?
Chapter Text
Le dieu versa son produit final avec grandes précautions dans un flacon. La dernière variante à prendre en compte était le patient zéro. La meilleure manière de distribuer ce remède miracle, le moyen de transmission était simple et parfait, le faux sang de gorgone apposé sur le patient venait se mélanger à la sudation et pénétrait les pores de la peau, se mêlant ensuite au système sanguin du sujet. Une simple poignée de main d’un infecté pouvait suffire, une fois le sang infecté, impossible de s’en défaire.
Du côté de l’humanité, un dernier souci venait gêner les deux compagnons. Le système de transmission était rôdé et parfait, cependant il fallait trouver le procédé parfait pour créer la fameuse maladie sur mesure. Le docteur se pinça le menton avant de regarder sa valkyrie.
- Nous sommes d’accords, tes runes peuvent annuler toute forme de maladie, enfin… L’endormir techniquement ?
La demoiselle hocha la tête, le docteur poursuivit son explication et ses réflexions.
- Ces runes… elles sont liées à ton âme…
Le médecin observa la demoiselle avant de sourire.
- Peur des piqûres ?
- Pas spécialement… Vous m’inquiétez docteur.
- Je vais avoir besoin d’un peu de ton sang.
La demoiselle préféra fermer les yeux en tendant le bras, ignorant tout de ce que pouvait bien préparer le médecin. Ce dernier piqua dans une des veines et absorba un peu du liquide rougeâtre. Svava se frotta le bras à l’emplacement de la piqûre, interrogeant l’humain.
- Bon, maintenant que vous m’avez ponctionné du sang pour vos expériences, vous pouvez bien me dire ce que vous avez en tête.
- En essayant de soigner Himiko j’ai réalisé que l’âme était intrinsèquement liée au sang, ou en tout cas à ce qui fait office de fluide vital. Ce qui veut dire que les sang sert en partie à véhiculer l’âme, le völund et les runes en général… ça semble être des mutations sanguines.
La valkyrie plissa les yeux, ne comprenant pas réellement ou le docteur voulait en venir.
- Basiquement, au moment d’un völund, c’est comme si le sang du combattant et de sa valkyrie se mélangeaient, le code génétique se mélange… Bref, tout est lié au sang. Ce qui veut donc dire…
Le docteur observait plusieurs de ses cultures et après un léger sourire, versa quelques gouttes du sang récolté un peu plus tôt dans un bécher tapissé d’amidon, la valkyrie se pencha pour observer un peu plus en détail.
- Je ne vois toujours pas exactement ou vous voulez en venir docteur Pasteur…
- T’es-tu déjà occupée d’un animal ?
- Oui… Enfin, quand j’étais petite, j’avais un hamster parce qu’ils dormait tout le temps, comme moi.
- Tu as déjà du lui donner des médicaments ?
- Pas que je saches…
- Souvent, quand on veut donner un médicament à un animal il va pas vouloir le manger, alors les gens le cachent dans la pâté, dans l’eau… Un peu partout. Là on fait la même chose.
- On va faire manger ça aux citoyens ?
- Non justement… On mélange ton sang à de l’amidon, parce que les levures ça adore l’amidon. Si on les fait proliférer après qu’elles aient mangé un amidon chargé par ton sang… Il y a des chances, c’est pas garanti hein, mais il y a des chances qu’au moment de se diviser et de se reproduire, elles fassent naître des levures mutantes qui garderont le pouvoir de tes runes.
- Et donc qu’une fois dans le système digestif et sanguin du patient… Ces levures diffusent mes runes qui endormiront tout corps étranger !
- à la condition qu’elles arrivent à s’implémenter aux globules blancs, là dessus… C’est plus que de la chance, mais nous n’avons plus de meilleures options.
Le docteur une fois le sang et l’amidon parfaitement mélangés versa le contenu dans une fiole remplie de levures, il ne restait plus qu’à attendre. Une attente particulièrement pesante et angoissante car Asclépios s’approchait de la petite ville pour saisir un des habitants, il approchait du but.
Le docteur avait opté pour un brumisateur qui recouvrirait le patient quelques instant, diffusant le sang de la gorgone un peu partout sur sa peau, espérant que la mixture se mêle au sang du patient le plus rapidement possible. Le dieu reposa le petit être dans la ville et observa ; la créature se hâta à toute allure chez elle, se lava minutieusement, sortit de sa maison avec un masque et se dirigea aussitôt à l’hôpital. Asclépios claqua de la langue, il fallait espérer que les médecins ne le mettent pas en quarantaine il perdrait un temps précieux, essayer d’infecter d’autres sujets était une bonne idée, cependant il risquait de causer divers mouvements de panique, voir un confinement. Devait-il essayer avec les sans domiciles fixes ? Ces dernier n’avaient que très peu de contact physique avec les autres citoyens, pestiférés voir considérés comme des nuisibles. Le médecin soupira bruyamment, même avec une idée qui semblait aussi géniale, il était lui aussi condamné à l’attente.
Un autre souci venait désormais gêner l’humanité, ils devaient trouver un moyen de commercialiser cette boisson, un pari plutôt difficile pour deux géants. Plusieurs cas de figures étaient possible, laisser une des boissons avec la recette à un habitant, espérer qu’il s’en empare et en fasse la distribution pour devenir riche ; essayer de contacter un des habitants et lui proposer en bonne et due forme un contrat, lui permettant de distribuer et vendre l’étrange boisson à ses compatriotes. Le souci étant leur langue, personne ne semblait la parler à part eux, si seulement Tolkien était encore là. Pasteur soupira, le médecin faisait face à un véritable casse-tête.
Une idée vint à la valkyrie qui s’approcha du combattant.
- Demandons une caméra. Physiquement parlant, ils nous ressemblent en tout point, c’est une mini société humaine, même si on ne parle pas leur langue, il suffit de faire une vidéo ou on créé les boissons, on montre un joli packaging, même si ils ne comprennent pas la langue, si ça possède un peu d’intérêt comme une bizarrerie ou un challenge, ils iront en réclamer en magasin, ou au moins les ingrédients.
- Et si ils ne les trouvent pas… Il nous suffira de leur proposer.
L’humain réclama une caméra et mit son plan en marche. Le contre la montre devenait insoutenable pour les deux ennemis ; Asclépios priait de tout son coeur pour que sa création soit indétectable lors des nombreux examens effectués par son patient zéro, si il restait en quarantaine ou privé de contact physique, c’était fichu.
Après ce qui lui semblait être une attente interminable le patient zéro put sortir sans vérifications supplémentaires, tout l’hôpital s’était accordé, il était en parfaite santé, même, plus en forme qu’auparavant. Le docteur soupira de soulagement avant d’observer la créature commencer à reprendre contact avec son environnement, ses amis, ses collègues de travail. Une angoisse cependant prenait Asclépios, il ne fallait sous aucun prétexte que le changement de couleur ne se déclare maintenant, il n’y avait pas encore assez d’infectés et un confinement ou une quarantaine viendrait automatiquement réduire à néant tous ses efforts.
Pasteur patientait, il observait les petits êtres, l’idée de la valkyrie ne semblait pas fonctionner, après tout, personne ne viendrait regarder une vidéo du genre, jamais elle ne ferait parler d’elle, il fallait se rendre à l’évidence, cette solution n’était pas la bonne.
Une idée vint au docteur qui claqua de la langue.
- Bon. On a une solution, mais c’est quitte ou double… Quand ils referont les stocks de leurs magasins, tu endors les transporteurs et on échange leurs palettes par les nôtres remplies de nos produits, il va falloir parier sur le fait qu’ils les mettront tout de même en vente.
La demoiselle observa attentivement plusieurs des magasins de la ville et lorsqu’elle vit un des employés charger sa cargaison, elle l’endormit avant de soigneusement remplacer chacune des caisses par les leurs.
Une fois réveillé et arrivé à destination, l’employé ouvrit la cargaison et appela son supérieur, tout deux débattaient pour savoir si oui ou non ils devaient vendre ces produits. Le directeur du magasin vint, puis plusieurs autres employés. Aucun d’entre eux ne voulait prendre le risque, il était impossible de contacter le fabriquant et personne ne semblait avoir d’informations sur ce produit. Un directeur des ventes cependant invoqua une possibilité. Si le produit était sain et fonctionnel, ils seraient sans doute les seuls de la ville à le vendre, leur donnant un avantage considérable.
Un des stagiaires fut appelé, contre une coquette somme il devait essayer les produits qui leurs avaient été apportés. Appâté par l’argent, l’employé accepta finalement, s’imaginant que rien de mal ne pouvait lui arriver, en tout cas, rien de trop grave. La créature décapsula une des bières et la but, rien au début, si ce n’était un très bon goût. Tout le magasin débattait, après quelques minutes, le stagiaire se mit à changer de couleur. Une ambulance arriva aussitôt et amena le pauvre employé faire une batterie de tests, les résultats furent sans appel, rien de grave ne lui était arrivé, puis, il reprit une couleur normale au bout de quelques heures.
La conclusion fut simple, l’effet de changement de couleur était à but récréatif, à aucun moment ce dernier n’était dangereux, le produit était simplement un peu fantaisiste. La direction du magasin décida finalement de commercialiser le produit, persuadés que ce dernier serait un carton, mettant même en avant le changement de couleur comme amusant et tout sauf dangereux.
Pasteur observait les petites créatures s’agiter, aller et venir, faire des réunions marketing, il ne pouvait espérer qu’une chose, que ces actions lui profiteraient au final.
Peu à peu la ville commençait à vivre de nombreux changements, de plus en plus de gens changeaient de couleur, certains à cause des nouvelles boissons en vogue, d’autres pour une raison inconnue et bien plus obscure. L’un était un événement récréatif et volontaire, l’autre était nettement plus inquiétant.
Pour cette raison, bon nombres d’habitants se rendaient à l’hôpital aucun résultat n’était alarmant ou inquiétant, mais par mesure de sécurité, toute personne ayant cette couleur en particulier évitait le contact physique avec des non infectés. De plus, la couleur demeurait, ils devaient désormais vivre comme ça. De l’autre côté, tous les consommateurs de la boisson voyaient leur couleur changer après chaque bouteille, parfois l’effet restait quelques minutes, parfois plusieurs heures. Le plan de Pasteur était parfait, ce dernier augmentait les dosages et petit à petit, sans que les gens ne s’en rendent compte, les couleurs ne changeaient plus, ils étaient condamnés à garder les pigments que les bouteilles leurs imposaient.
De fil en aiguille, la finalité du combat devenait de plus en plus évidente. Les deux maladies étaient parfaites en tout point, cependant, Asclépios traînait, la maladie se diffusait moins, les gens étaient bien plus défiants, en bref ; seul un sixième de la population avait été infecté, Pasteur quant à lui en avait déjà atteint la moitié, et la gamme des produits se faisait de plus en plus variées. Après les bières, et les sodas, les yaourts, puis le pain en tout genre, la maladie se cachait et s’imprégnait dans presque tous les aliments, la pression marketing, l’effet de mode prit le pas. Bientôt les gens touchés par le changement de couleur étaient considérés comme en meilleur santé, plus rarement malades, de meilleure humeur, il était même conseillé de consommer les produits de cette fameuse marque.
Asclépios soupira bruyamment avant de se relever et de se diriger vers l’humain et la valkyrie. Le docteur des dieux leva la main pour la présenter à Louis Pasteur.
- Je suppose que le résultat est sans appel cher confrère, j’ai été plus rapide mais vous avez été plus efficace.
- D’un point de vue purement médical… Vous étiez meilleur, j’ai simplement eu de la chance.
- La chance c’est bien le travail de la médecine… On ne peut jamais être sûr de sauver quelqu’un, juste d’augmenter ses chances… C’est votre victoire, je vous demanderai juste de conserver mes recherches et de les poursuivre.
- Ce sera fait.
Dans un léger sourire, le dieu hocha la tête, Pasteur sentait la main qui était dans la sienne devenir de moins en moins tangible, la personne en face de lui disparaissait et bientôt, Asclépios n’était plus. L’humanité avait remporté une nouvelle victoire, le score était à égalité, la bataille finale pouvait commencer.
Chapter 56: Dévastation
Summary:
Le douzième round désormais terminé, l'humanité comme les dieux se préparent pour le dernier affrontement de ce ragnarok
Chapter Text
Le dernier combat du Ragnarok commencerait le lendemain. Pour l’instant, l’heure était au soulagement, l’humanité avait réussi à remonter la pente, le résultat était revenu à l’égalité, un statu quo particulièrement espéré, rien n’était gagné certes, mais rien n’était perdu et c’est sans doute ce qui comptait le plus. Même après un affrontement particulièrement long et éprouvant Louis Pasteur se dirigea automatiquement vers l’infirmerie, il devait surveiller l’état de ses patients et s’assurer que tout allait bien, encore plus après avoir passé autant de temps sur le front. À peine arrivé cependant, sa valkyrie posa délicatement une de ses mains sur son épaule, le docteur s’écroula progressivement, luttant tant bien que mal contre le sommeil, affalé sur l’épaule de la demoiselle. Hippocrate qui après le début du combat s’était dirigé à l’infirmerie pour remplacer le docteur aida Svava à porter Pasteur, étendant l’homme sur un canapé, là ou il pouvait enfin un peu trouver le sommeil.
Une grande majorité des malades et des blessés s’étaient remis, Roland et Sun Tzu depuis le plus longtemps, Pierre avait également rejoint l’infirmerie pour apporter son aide et regarder le combat depuis un des écrans de la salle, tout le monde attendait en priant de toute son âme, tout le monde s’exclamait au moindre avancement du chercheur. Lénine se releva et étira quelques peu ses membres, le révolutionnaire était enfin remis de ses blessures, la majorité de son temps était consacrée à lire des journaux et se renseigner sur l’actualité, tous les canards parlaient évidemment du Ragnarok et de son issue. La rémission la plus miraculeuse restait celle de Himiko, l’impératrice avait à nouveau attaché ses cheveux en queue de cheval et tournait en rond dans l’infirmerie, comme si elle voulait déjà retourner en mer.
Hladgudr saisit la demoiselle au bras, à nouveau prête à la sermonner.
- Himiko ce n’est pas la peine de t’agiter autant ! Tant qu’on a pas trouvé un moyen de rendre l’apparence à tes bras on restera ici bien sagement !
L’impératrice claqua de la langue. Même remise de son mal, ses bras avaient conservé leur teinte noire d’encre, sans doute colorés à jamais. Les marques étaient restées là jusqu’à son coeur, donnant l’impression d’un tatouage tout particulier, la japonaise observa sa valkyrie avant de faire une moue désapprobatrice.
- Eh bien moi je m’en fiche ! Ils sont très bien comme ça mes bras de toute façon ! Mieux, regarde !
La demoiselle saisit un long kimono bleu qu’elle enfila à la hâte, elle retroussa les manches, et croisa les bras, elle n’avait pas menti, cet attirail lui allait comme un gant. La valkyrie détourna légèrement les yeux.
- Dans tous les cas tu n’es pas encore tout à fait remise, tant que le docteur Pasteur ne te donne pas le feu vert tu restera ici !
- Mais tout va bien je te dis, dans tous les cas c’est pas grave d’être noir ! Regarde le lui !
La reine pointa Pierre du doigt.
- Il va très bien sans être blanc !
Le soldat se mit à rire franchement.
- A la différence près que je suis né comme ça et que ce n’est pas une malédiction, enfin, tout dépend aux yeux de qui.
Himiko croisa les bras avant de froncer les sourcils, elle finit par hocher la tête fièrement.
- Eh bien tu vois, chez moi le seul truc qui aurait importé, c’est que tu pêches bien et que tu tiennes le coup en mer !
Il était indéniable que le tempérament franc et impétueux de la demoiselle permettait d’égayer et d’illuminer un peu la pièce, elle avait cette capacité que tous les empereurs dignes de ce nom possédaient, celle de donner envie d’être suivis même à travers la mort.
Il ouvrit la porte, toute la salle se fit silencieuse jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche, Salomon se mit à plaisanter.
- C’est l’infirmerie ou la salle de réunion des vainqueurs ?
Sun Tzu, profitant encore de son thé tourna calmement la tête vers l’empereur.
- Ne vendez pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Plus on se persuade de notre victoire, plus dure est la chute.
« Tout juste ! »
Une voix plus féminine résonnait derrière Salomon, l’empereur se décala pour laisser passer Göll qui vint se placer au milieu de la pièce.
- J’aurais aimé être aussi optimiste que le seigneur Salomon, mais n’oubliez pas. Son adversaire c’est Ishtar en personne.
La plus part des expressions devinrent plus graves à l’exception d’une seule, celle de Salomon qui se mit à se plaindre à haute voix.
- Vous voyez c’est pour ça que je voulais que Diogene gagne… Imaginez comme il vous aurait engueulés tous. Vous pensez encore à la défaite après tout ce temps ? Qui aurait cru que Roland batte Guan Yu ? Qui aurait pensé qu’un stratège arrive à venir à bout d’une des plus grandes menace de l’histoire du Valhalla ?
L’empereur se servit une coupe de vin avant d’en boire légèrement le contenu, comme pour se remémorer les frasques d’un certain alcoolique.
- Une armée d’homme a réussi à vaincre le démon le plus craint d’Helheim, un révolutionnaire a réussi à briser le cycle, une petite impératrice a tué un truc encore plus terrifiant que le Jormungrandr. Et maintenant, un simple docteur a réussi à créer la panacée.
Salomon soupira avant de reposer le verre, vide.
- Et là on ne parle que de ceux ayant remporté leur combat. Faites pas honte à ceux qui ont péri la tête haute, parce que eux aussi ont réussi l’impossible. Même si on perd ce tournoi sur les chiffres, idéologiquement parlant, on a gagné.
La valkyrie coupa Salomon.
- Vous même vous estimez la possibilité de perdre.
- Bien sûr, tout peut arriver, même si je n’y crois pas un instant. Je sais bien qu’il s’agit de Ishtar en face, mais vous oubliez assez vite qu’il s’agit de moi de ce côté.
Sur ces mots, le roi agita la main comme pour saluer les gens présents et quitta la pièce, l’humain prit une profonde inspiration dans le couloir et continua son chemin.
La déesse applaudissait encore la victoire de l’humanité, particulièrement enjouée Ishtar était même arrivée en avance dans la salle de réunion, la déesse rayonnait, particulièrement satisfaite des résultats du combat. Zeus ouvrit la porte et observa l’impératrice qui semblait particulièrement fière et satisfaite par la situation.
- Ishtar, tu es bien heureuse de ce combat semble-t-il, hâte d’aller dans l’arène je suppose ?
- Bien sûr ! Enfin, je ne suis pas comme toi mon petit Zeus, ce n’est pas le fait d’aller dans l’arène qui m’enchante, c’est bien de savoir qui j’affronterai !
Le vieillard se lissa la barbiche en rigolant légèrement.
- C’est vrai… N’importe quel adversaire m’aurait enchanté, ah si seulement j’avais pu participer à ce Ragnarok aussi !
- Tu penses pouvoir réussir sans te faire un tour de rein ? La dernière fois le gamin t’avais foutu sur les rotules mon vieux.
Le dieu grec se mit à sourire, peu à peu sa forme devenait nettement plus imposante, ses muscles venaient gonfler et le rendaient gigantesque.
- Envie de parier ? Voir autant de combats sans rien faire ça m’a donné envie ! On verra qui sera sur les rotules en premier !
La déesse éclata de rire avant de s’observer les ongles et de reposer son visage sur une de ses paumes.
- Mais voyons, j’ai un combat demain moi, mes ongles sont parfaits, ma skin care vient tout juste d’être terminée, je n’ai pas envie de me battre ici et maintenant, encore moins dans cette salle, je vais avoir de la poussière dans les cheveux après !
Le vieillard soupira avant de s’asseoir, Ishtar avait toujours eu ce genre de comportement, la première à provoquer, la première à oppresser pour ensuite jouer les jeunes filles innocentes. Cependant elle disait vrai, s’affronter ici et maintenant était une mauvaise idée, le dieu ne doutait pas une seconde de la victoire de l’impératrice, pourtant son adversaire restait coriace.
Les dieux restants vinrent dans la salle, Thot s’assit et sorti aussitôt plusieurs parchemins, prêt à écrire les tenants et aboutissants de la discussion. Étonnamment, le baron samedi lui même vint dans la salle, méconnaissable ; le dieu musicien avait abandonné son costume trois pièces et son haut de forme habituels, sa tenue était bien plus détendue, bien plus décontractée. Zeus écarquilla légèrement les yeux.
- On ne pensait pas te revoir ici, Samedi.
- J’ai pris la vie de plusieurs humains, et une autre lors de ce tournoi, c’est normal que je m’intéresse à la suite des événements.
- Et ta fille ?
- Je l’ai laissée à la maison, quelqu’un s’occupe d’elle.
Le dieu semblait plus serein, plus posé qu’il ne l’était pas le passé, comme si il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait depuis si longtemps. Le baron s’assit sans parler davantage, simplement curieux de connaître la suite des événements. Ishtar ajouta, légèrement amusée et pour provoquer un peu l’assistance.
- Je me demande si Hastur va venir à cette réunion lui aussi !
La plus part des dieux se mirent à pâlir légèrement, tout le monde dans cette salle espérait que le dieu perdu reste au beau milieu des étoiles à chercher son aimée. Ce n’était pas tant son caractère qui était un problème que sa simple présence. D’un autre côté la plus part des dieux de la salle étaient heureux pour une raison, ni Odin ni Belial ne viendrait participer à une réunion désormais. Asmodeus ouvrit la salle à son tour, il avait lui aussi abandonné son style de proxénète, le démon-ange avait opté pour une tenue bien plus sobre, claire, une simple chemise blanche dans un pantalon noir. Petit à petit, tous les anciens participants pénétraient dans la grande salle de réunion ; Quetzalcoatl toujours aussi joyeux s’avança gaiement vers une chaise avant de s’y asseoir, s’étirant de tout son long, la lueur dans ses yeux semblait presque indiquer qu’il avait petit à petit repris goût à la vie. Wukong entra à son tour, le singe était resté le même, fidèle à lui même, du même caractère, le grand sage s’assit en silence avant de sortir son téléphone pour jouer à un jeu vidéo.
Zeus observa le petit groupe avant de se relever et de poser les mains sur la grande table.
- Ce Ragnarok va bientôt se terminer. Le prochain aura lieu dans un millénaire et sera sans doute encore différent de celui ci, des règles changeront, d’autres seront ajoutées ou supprimée. Cependant.
La plus part des dieux présents dans l’assistance fixèrent le vieillard, attendant ce que ce dernier allait leur révéler ou leur demander.
- Il est hors de question que nous laissions l’humanité l’emporter. Comme vous le savez, le premier Ragnarok s’était terminé sur des notes très étranges et très amères, nous avions donc décidé de laisser l’humanité survivre. Cette fois ci, aucun incident ne devrait se produire, le Ragnarok se terminera donc en bonne et due forme.
Le doyen semblait toujours plus grand, toujours plus massif, ses deux mains venaient s’enfoncer et broyaient petit à petit la table.
- Les dieux doivent gagner ce Ragnarok.
Les expressions étaient toutes plus graves les unes que les autres, non pas à cause de l’annonce de Zeus, mais bien parce que les dieux le savaient, peu importe l’issue de ce dernier round, les choses changeraient. Si Ishtar l’emporterait, le Valhalla se verrait redevable et elle ne s’empêcherait pas le moins du monde de profiter de cet avantage. Si l’humanité l’emportait, les dieux perdraient indubitablement en crédibilité. Il fallait voir la vérité en face, peu importe le résultat du dernier Ragnarok, les dieux avaient déjà failli. Qu’ils l’emportent ou non, il était impossible que les choses restent les mêmes après ce Ragnarok. La déesse suprême quant à elle restait parfaitement calme et même joyeuse, trépidante à l’idée même d’aller affronter Salomon le lendemain. Les tenants et aboutissants de la réunion ne menaient nulle part, en réalité la plus part des dieux s’étaient mis d’accord en un coup d’oeil, ils devaient rester sur leurs gardes et surtout trouver un moyen d’éviter les problèmes et toute forme de risque si la déesse s’avérait être victorieuse.
La réunion terminée, Ishtar qui était la première arrivée fut également la première à quitter la salle ; la déesse était partie se promener et légèrement vagabonder dans les nombreux couloirs de l’arène. Plus que se promener, cette dernière semblait vivement espérer tomber sur Salomon, peut-être voulait-elle même commencer l’affrontement dès maintenant, peut-être voulait elle le menacer, discuter, personne n’était capable de comprendre ou d’imaginer ce que pouvait bien vouloir la déesse.
L’espoir devint réalité plus vite que prévu, de l’autre côté d’un long couloir elle reconnaissait cette allure, elle ressentait l’énergie et l’âme même de celui qui était promis à l’affronter. Aucun des deux adversaires ne bougea, après quelques secondes qui semblaient être des siècles, tout deux se mirent à engager le pas pour se retrouver l’un en face de l’autre. Les deux faisaient à peu près la même taille, l’une croisa les bras et bomba le torse, le deuxième, mains dans les poches levait légèrement le menton, l’air arrogant. Salomon comme à son habitude fut celui qui prit l’initiative.
- T’es un peu trop pressée tu ne trouves pas ? Le combat est censé être demain.
- Ne joue pas l’idiot avec moi, tu savais depuis le début que le Ragnarok allait se dérouler de cette manière n’est-ce pas ?
Léger silence, les yeux de Salomon scintillaient, la couleur d’ambre semblait être de plus en plus dorée, puis deux pupilles, trois, quatre… Bientôt les yeux entiers de Salomon n’affichaient plus qu’un amas de pupilles et d’iris, comparables à des œufs de grenouilles agglutinés, plus une parcelle de blanc ne parcourait les globes.
- Je ne le savais pas, j’ai simplement entrevu cette possibilité parmi tant d’autres.
- Et que vois-tu pour notre affrontement.
- Ma victoire bien entendu !
Un immense sceptre apparut dans la main d’Ishtar, son apparence changeait petit à petit, une gigantesque paire d’ailes surgit hors de son dos, ses pieds étaient devenus des serres de rapace. La déesse ancra plus profondément ses yeux dans le regard multiple de Salomon qui ne bronchait pas. La déesse leva le sceptre et le plaça sur le côté du crâne de l’humain.
- Si c’est le cas, qu’est ce qui m’empêche de te tuer dès maintenant ? Je n’ai aucun intérêt à remporter le Ragnarok ou quoi que ce soit. Je m’en moque.
Un sourire vint se dessiner sur le visage de Salomon.
- Le fait que t’en es incapable.
Le sceptre vint s’appuyer sur son épaule et pesait de plus en plus lourd, l’humain sentait même le sol commencer à craqueler sous ses pieds, la pression était intolérable, et pourtant, il ne bronchait pas. Pire encore, souriant de plus belle, l’humain continua ses provocations.
- T’attends quoi ?
- Que tu sortes ton arme et prenne ça au sérieux.
- Hors de question, notre affrontement n’a pas commencé.
- Il a commencé il y a des millénaires au contraire !
La pression du sceptre s’était quelque peu relâchée, Salomon profita de cet amoindrissement des forces pour saisir l’arme d’une main et serrer à son tour pour abaisser légèrement le poids qui venait accabler sa pauvre épaule. Toujours aussi souriant, Salomon se permit même de provoquer une nouvelle fois la déesse.
- Alors ce n’est pas un coucher de soleil de plus qui changera la donne.
La déesse soupira avant de ramener le sceptre à elle.
- Tu n’as pas d’arme c’est ça ?
L’humain haussa les épaules, non sans douleur.
- Tu as deviné ?
- Toujours piètre menteur, tu n’as pas changé. Demain je ne retiendrai pas mes coups, ce sceptre te tuera.
- Faisons comme ça alors !
Une fois la déesse partie l’humain se tint l’épaule de toute ses forces en grognant de douleur, Salomon se résigna à faire demi tour pour retourner dans l’infirmerie. Göll se retourna pour le prendre à parti.
- Seigneur Salomon, la réunion n’avait pas encore commencé ! Vous n’êtes pas au courant du plan prévu ni de quoi que ce soit, ce n’est pas sérieux ! Il ne nous manque votre victoire pour…
La valkyrie réalisa aussitôt que l’humain était blessé et s’arrêta aussitôt.
- Baste… Asseyez vous et expliquez nous.
Le roi s’assit sur un des brancards et retira sa longue robe d’empereur, l’épaule touchée était déjà violette, de nombreuses marques, sceaux, et autres dessins en tout genre parcouraient le membre de l’humain qui se tenait le bras de toutes ses forces, serrant les dents.
- Ishtar m’a payé une visite, et elle aime bien les messages visuels plus que les messages oraux, voilà tout. De toute façon c’est pas le problème, il me faut de l’eau bénite là.
Hippocrate s’empressa d’amener une bouteille à l’empereur qui trempa les doigts dedans et commença à masser son épaule en récitant une étrange prière dans une langue inconnue. Tout le monde observait la scène sans rien dire, trop absorbés par l’étrange rituel du roi qui après quelques secondes avait fait disparaître les sceaux et les étranges dessins qui parcouraient bras ; seule la couleur violacée liée à la douleur était restée. Göll commença à s’inquiéter de plus belle.
- Votre combat… Comment va-t-on faire, Ishtar vous inflige bien plus de dégâts que ce qu’on pensait, vous êtes blessés et vous êtes censés vous battre demain !
Salomon à contrario de la valkyrie gardait un calme olympien et rigolait même légèrement.
- Bof, elle peut faire bien pire, là c’était l’équivalent d’une bise. La blessure sera guérie bien assez vite.
- Et vous, vous l’avez affaiblie ?
- Non, j’avais pas d’arme de toute façon.
La valkyrie soupira en posant sa main sur le front avant de s’affaler sur un siège. Comment diable sa sœur avait-elle pu supporter de tels énergumènes le millénaire dernier. Salomon toujours aussi calme s’occupait à fermer et rouvrir son poing, bouger son épaule et tourner le cou. Le roi renfila sa longue robe et observa les personnes présentes dans la pièce, toutes angoissées par la suite des événements, Pierre soupirait en se murmurant à lui même que sous aucun prétexte les sacrifices de ses compagnons ne devaient être vains. Salomon se releva finalement, dépoussiérant sa tenue, bien conscient de l’angoisse qui planait dans l’infirmerie.
- Je vois très bien que vous avez peur. Je vois très bien que vous doutez, que vous doutez de ma victoire et même que vous doutez de moi. Je sais très bien que vous ne doutez pas de ma force mais bien de ma capacité à affronter un être qui dépasse toute forme de logique. Et pourtant, vous devez le savoir mieux que moi. Jamais l’humanité n’a été logique.
L’intégralité de la salle conserva le silence, la stature de Salomon imposait une forme de respect, et étonnamment, certains des anciens combattants se sentaient rassurés, l’impossible semblait tout à coup non pas possible, mais au moins envisageable. L’empereur se releva et secoua son épaule du mieux qu’il put avant de fixer la valkyrie.
- Bon, on a encore du pain sur la planche ma chère Göll, en tout cas le temps presse, tu peux jeter les stratégies à la poubelle, Ishtar est bien pire que ce que tu imaginais à la base.
La valkyrie grommela légèrement, Salomon avait raison, tous leurs plans, toutes leurs stratégies étaient tombées à l’eau. Göll réfléchit quelques instants avant de prendre la parole, un léger sourire sur les lèvres.
- Vous êtes confiant vis à vis de votre victoire, seigneur Salomon ?
- Bien sûr, je ne m’imagine pas perdre ce combat.
La guerrière hocha la tête avant de se diriger vers la sortie de l’infirmerie, elle se retourna pour fixer l’homme quelques instants.
- Suivez-moi. Il est temps de vous présenter votre valkyrie.
Salomon se releva et suivit Göll, ignorant jusqu’où cette dernière comptait l’emmener, curieux, le guerrier assaillait la demoiselle de nombre de questions.
- Dis-moi, comment s’appelle ma partenaire ? Tu n’as jamais voulu répondre à cette question en prétendant que c’était secret, il doit bien y avoir une raison non ?
- Je vous connais, voilà tout. Il était hors de question de vous révéler le nom de votre future partenaire car vous connaissant les deux vous alliez impérativement vouloir vous rencontrer et je n’aurais pas été au bout de mes peines.
L’intérêt du guerrier était piqué, que voulait-elle bien dire par là ? La valkyrie était un cas compliqué elle aussi ? Trop libre, trop forte, trop indépendante, peut-être même trop jolie ? Salomon se posait un nombre incalculable de questions jusqu’à ce que l’arrêt de Göll l’interrompe, une grande porte fermée par plusieurs verrous se trouvait devant eux. La valkyrie sortit plusieurs séries de clés, entra différents codes et scanna sa main sous toutes les coutures avant d’ouvrir la porte, faisant signe à l’humain de la suivre jusque dans la pièce.
Salomon resta silencieux, observant chaque partie et chaque parcelle du couloir dans le quel il se trouvait, le roi ne comprenait pas pourquoi de telles mesures de sécurités. Les valkyrie étaient certes fortes, mais aucune d’entre elle n’était aussi dangereuse qu’un dieu, ces méthodes semblaient exagérées. Arrivés à destination, Salomon aperçut une demoiselle à l’allure particulièrement frêle, la peau nacrée, de longs cheveux noirs de jais qu’elle coiffait soigneusement dans le calme le plus absolu.
Le roi se pencha vers Göll pour réclamer plus d’explications.
- C’est pas que je doute de toi, mais sincèrement, je ne suis pas sûr qu’il y avait besoin d’autant de verrous pour enfermer ta chère sœur, outre le fait que je doute de ses capacités de destruction, je doute que son tempérament la pousse à semer le trouble.
Göll se mit à rire légèrement avant de corriger le roi.
- Ce n’est pas pour elle qu’on s’inquiète, c’est pour les gens qui s’approchent d’elle. Salomon, je vous présente Herja ! Ses runes signifient dévastation !
L’empereur écarquilla légèrement les yeux.
- Comment ça dévastation, elle est si violente que ça ?
- Elle, non, ses runes oui, et malheureusement… De toutes mes sœurs, Herja est la seule à ne jamais avoir pu contrôler ces dernières, causant la mort de quiconque s’approchait d’elle.
Salomon ne put s’empêcher de sourire et de considérer cette mise en garde comme un défi, la demoiselle ne semblait même pas les avoir remarqués. Alors le roi s’avança, un pas puis l’autre, la pression montait de plus en plus. C’est comme si un champ de force naturel venait essayer de le repousser et de l’empêcher d’atteindre sa future partenaire ; Salomon leva le bras et tendit la main vers elle comme pour l’atteindre, à peine son bras se levait et s’approchait, une douleur percutante venait le saisir et le tiraillait. Sa main se mettait à brûler, la peau se déchiquetait, les muscles, les tendons, les nerfs, tout devenait plus visible, à vif. Le roi grogna et avança de plus belle, peu à peu c’était l’intégralité de son bras qui était touché, les os devenaient visibles, son corps entier commençait à être rongé. Salomon se mit à avancer encore plus vite, presque à courir vers la valkyrie qui semblait toujours plus loin, son espoir et son objectif était simple, il devait la toucher à tout prix, Göll devait avoir un plan, et si l’empereur des hommes avait été capable de survivre à l’assaut d’Ishtar, alors il devait être capable de survivre à la malédiction et aux runes de la valkyrie. La témérité du roi le poussait à redoubler d’efforts, petit à petit il parvenait à gagner du terrain et à voir son corps guérir automatiquement, Salomon devait faire usage de toutes ses capacités pour avoir une chance d’atteindre sa valkyrie indemne. Après une rude bataille contre ce qui semblait seulement être le champ de force de la demoiselle, Salomon, à peine essoufflé parvint à poser sa main sur le bureau de cette dernière, l’obligeant à le remarquer et à bouger la tête.
- Salon Herja, c’est notre tour.
Le roi se mit à sourire, la valkyrie répondit par un simple sourire en retour.

Tourmaline (Guest) on Chapter 1 Wed 21 May 2025 01:38PM UTC
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